age en chantier ---- La Vierge à l'Enfant de Marcoussis Chronique du Vieux Marcoussy ----------------------------- ---- _--------------------------- Novembre 2009 La Vierge à l'Enfant de Marcoussis attribuée à Jean de Cambrai (1408). C. Julien JP Dagnot L'iconographie religieuse du Moyen âge fait une large place à la vie de la Sainte Vierge qui est représentée par ses principaux thèmes liturgiques. Ainsi nous trouvons : l'Éducation de la Vierge , l'Annonciation, la Visitation , la Vierge de l'Incarnation, la Nativité et l'Épiphanie, la Vierge à l'Enfant, la Vierge de Pitié, le Trépassement, l'Assomption et le Couronnement de la Vierge. Le thème favori de l'art chrétien au XVe siècle est la représentation de la Vierge à l'Enfant . Par exemple, le diocèse d'Evreux compte à lui seul plus d'un millier de statues de Madones. Notons que ces deux derniers thèmes sont ceux du portail de la Basilique de Longpont. C'est également à Longpont, centre marial par excellence, qu'une statue de la Vierge « Virgini Pariturae », trouvée, dit-on, dans le creux d'un chêne, attirait de nombreux pèlerins depuis le XIIIe siècle. Cette chronique présente la célèbre statue de Marcoussis dont nous venons de fêter le 600e anniversaire en 2008 : la Vierge à L'Enfant, nommée également « Notre-Dame-de-Grâce » qui jouissait autrefois d'une grande réputation dans le pays. C'est une statue restée intacte comme par miracle malgré les périodes iconoclastes qu'elle a traversées. Le meilleur repère des Vierges flamboyantes du XVe siècle est fourni par la Vierge de Marcoussis datée de 1408. La sculpture du gothique tardif En réaction à la tendance maniériste, les artistes tentent, au début du XIVe siècle, de revenir vers une certaine monumentalité tout en conservant une certaine grâce formelle : visages idéalisés, composition en S des Vierges à l'Enfant, légèreté du drapé dont les plis multiples jouent leur virtuosité avec la lumière ou retombant en cascade. Le gisant de Robert II d'Artois déposé à Saint-Denis en 1317 ou la Vierge à l'Enfant provenant de l'abbaye de Pont-aux-Dames, vers 1330, sont les exemples les plus aboutis. À partir du règne de Charles V, troisième quart du XIVe siècle, apparaît un style plus sévère. Sur son gisant, sculpté à partir de 1364 par André Beauneveu pour la nécropole de Saint-Denis (1), les traits du souverain, bien que ressemblants, sont prématurément vieillis, l'étoffe se fait plus pesante, la lumière glisse le long de grandes plages lisses et fluides, interrompues par quelques gros plis à la fois souples et consistants. Puis, autour de 1400, certains artistes ont tendance à densifier leurs compositions, les ramenant presque à des formes géométriques ou, au contraire, d'autres sculpteurs parviennent à exalter les volumes de façon extrêmement véhémente et à accuser les traits du visage, dépassant de loin la simple recherche de naturalisme. La Vierge de Marcoussis appartient à la première catégorie. La période est celle de l'art gothique transformé et rajeuni par le naturalisme. « C'est à ce moment que les principes nouveaux dont la Renaissance procédera, se produisent et s'affirment d'une manière bien caractérisée » nous dit Louis Courajod dans sa leçon de 1888 à l'école du Louvre. La France inspirée par l'école des Flandres inaugure un art nouveau en sculpture : le naturalisme des têtes et des mains, affectation de la vulgarité (2). La Vierge à l'Enfant, représentations du XVe siècle : par Léonard de Vinci, v. 1490 (gauche) et par Sandro Botticelli, v. 1470 (à droite). Notre-Dame-de-Grâce La Vierge à l'Enfant de Marcoussis est un marbre blanc de Carrare taillé et poli avec des traces de dorure. « On ne peut rien comprendre à cet art quand on le rapproche des œuvres qui le précèdent. On comprend tout quand on le rapproche des œuvres qui suivront. Voulez-vous un exemple ? Regardez la Vierge en marbre de Marcoussis dont j'ai fait également, pour vous la tête. La Vierge de Marcoussis qui, par ses plis, se rattache à une autre école de sculpture sur laquelle j'aurai à revenir date certainement de l'époque de la construction du monastère érigé par les Montagu avant leur disgrâce. C'est-à-dire qu'elle est antérieure à 1409 ». Voilà la troisième leçon de Louis Courajod donnée le 11 janvier 1888 intitulée l'Art sous Charles VI. Quelques temps auparavant, un autre spécialiste, M. de Champeaux, dans un article de la Gazette archéologique , avait assimilé la statue à « une image de Notre-Dame de marbre ou d'albastre blanc de trois pieds de haut, des bienfaits du duc de Berry » dont il est question dans l'histoire de Marcoussis de Simon de la Motte à la date de dédicace de l'église, le 17 avril 1408. « Cela n'est pas invraisemblable » nous dit le conservateur du Louvre. La Vierge de Marcoussis passe pour être un don du duc de Berry au monastère des Célestins. Elle avait été offerte le jour de la cérémonie de consécration. N'oublions pas que le couvent des Célestins avait été fondé « en l'onneur, louange et reverance de Dieu le père et le fils et le saint-Esprit, un Dieu vray et sainte trinité et de la glorieuse Vierge Marie, Notre-Dame sa mère ». En tout cas, cette statue a été sculptée dans le milieu parisien. On l'attribue à Jean de Cambrai, artiste au service de Jean de Berry. Pour Emile Mâle, la singulière Vierge de Marcoussis est la première statue de Notre-Dame « qui ressemble à un portrait sans beauté est probablement l'œuvre d'un artiste de l'atelier de Beauneveu, père du réalisme dans la sculpture religieuse du XVe siècle ». La forme de la Vierge de Marcoussis se caractérise par un élargissement vers le bas et se signale encore par des mains aux doigts effilés. Il est évident que le traitement du drapé suit la mode vestimentaire du début du XVe siècle. L'abondance de la draperie combine un manteau long qui tombe en chute libre sur les pieds avec le châle qui se confond avec le vêtement. On remarque par ailleurs les replis du manteau au contact du sol ; ces procédés sont particuliers à l'école de Beauneveu. Pour le professeur Courajod, la Vierge de Marcoussis appartient aux statues d'un goût très sage, très pondéré aux plis allongés « de jolis méandres de plis ». Ici les plis ne sont pas touffus et agités ; ils tombent droit d'une façon qui vise à la simplicité. « Il y a une sagesse générale et recherche dans l'étagement des volutes des plis ». Pour les spécialistes, l'art de Jean de Cambrai est un art qui sort du cœur de l'artiste ; c'est un art qui dédaigne de rechercher à plaire aux mécènes et de se laisser domestiquer. C'est un art libre qui n'est pas théâtral, de l'art philosophique ni littéraire, esclave des milieux sociaux qu'il traverse. Déjà la pierre elle-même de la Vierge de Marcoussis rayonne « d'une vérité légèrement idéalisée, doucement attendrie, mais toujours réelle ». La statue possède les proportions et les volumes qui caractérisent l'œuvre majeure de Jean de Cambrai. En exécutant une statue d'une hauteur, grandeur nature, de 1m75, l'artiste a adopté le canon 8 pour sa Vierge dont la tête recouverte d'un long manteau-voile (3). On note des traces de dorure sur les cheveux de la Vierge et de l'Enfant et des teintes vertes et bleues sur le bouquet de fleurs dans la main gauche de l'enfant Jésus. Notre-Dame porte l'enfant sur son bras droit, ce qui est inhabituel. L'Enfant couché sur le bras droit de sa mère est considéré en symbolisme comme un signe de noblesse. Les historiens d'art font remarquer que le hanchement caractéristique de la période antérieure a totalement disparu. Enfin, l'index droit de l'enfant est cassé au niveau de la première phalange. Détail montrant la dorure des cheveux de la Vierge et de l'Enfant Jésus. Détails des mains de l'Enfant Jésus. La Vierge de Marcoussis porte l'enfant Jésus. Reine du ciel, elle offre son fils pour le salut du monde. Elle est aussi la Nouvelle Eve , celle qui écrase le Mal « [sa descendance] t'écrasera la tête » (Génèse 3, 15). « … et au bas de la tunique de la Vierge , on lit en lettres gothiques formant une espèce de bordure ou de grecque : Et concalcabo sub pedibus caput anguis » nous dit Malte-Brun, c'est-à-dire : « Mon désir d'amour écrasera la tête du serpent ». À Longpont, la Vierge est représentée avec son pied droit qui repose sur un reptile à tête de femme, un deuxième dragon se contorsionne sous son pied gauche « Mais le dragon fut vaincu, et ses anges et lui n'eurent plus la possibilité de rester dans le ciel » (Apocalypse 12, 8). Blotti dans les bras de Marie, l'Enfant Jésus relève la tête et fait face aux fidèles, comme s'il était au courant de son destin. Au sixième mois, l'ange Gabriel avait été envoyé par Dieu dans la ville de Nazareth, auprès de Marie. L'ange entra chez elle, et dit : « Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voici que vous concevrez, et vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé fils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père; il règnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin » (Évangile selon saint Luc 26:33). Le donateur Il importe auparavant de connaître la personne du donateur. Jean de Berry était le troisième fils du roi Jean II le Bon et frère du roi Charles V. À ce titre, le roi l'apanagea des duchés de Berry et d'Auvergne, du comté d'Étampes, puis du duché du Poitou pris sur les Anglais Ce fut le troisième comte d'Étampes. Jean de Berry était un homme paisible, d'un naturel conciliateur avec de réels talents diplomatiques qu'il exerça face aux Anglais et auprès des dignitaires de l'Église pour mettre fin au Grand schisme d'Occident. Oncle de Charles VI, il participa à plusieurs reprises au gouvernement et devint en 1407 le chef du parti « Armignaz ». Détesté par le peuple de Paris, son château de Bicêtre fut pillé lors d'une révolte antifiscale. Mois d'avril, signes du bélier et du taureau, des Très Riches Heures du Duc de Berry . Dilettante, Jean de Berry n'aimait pas la guerre, mais il était curieux des arts et des lettres. Il fut un grand bâtisseur. Il possédait de nombreuses résidences dont l'hôtel de Nesle à Paris, le château de Bicêtre et le fameux château de Mehun-sur-Yèvre. Il fut le mécène de Guy de Dammartin, son maître d'œuvre, du sculpteur André de Beauneveu et du miniaturiste Paul de Limbourg. De lui demeurent encore des restes de sa magnificence, comme des monuments à Bourges et en Auvergne. Le fameux psautier « Les Très Riches Heures du duc de Berry » nous fait dire qu'il fut le prince des bibliophiles français. Il meurt en 1416 à l'âge de 76 ans. Nous venons de dire que Jean de Berry fut un mécène fastueux. Il fit appel à des artistes liés au milieu parisien, dont André Beauneveu, pour décorer ses résidences de Mehun-sur-Yèvre et de Bourges, entre 1386 et 1400. Après la mort du maître, vers 1401, Jean de Cambrai est chargé de concrétiser les projets du duc, notamment son tombeau à Bourges. Nous ignorons la manière dont la commande de la grande Vierge de Marcoussis fut passée par le duc de Berry à Jean de Cambrai. Fut-elle prédestinée à orner le couvent des Célestins ou était-elle réservée à d'autre usage ? Les archéologues reconnaissent que l'art de Cambrai triompha à Marcoussis avec la grande Vierge en marbre, « montrant un système de plis tuyautés monumentaux et une retombée majestueuse retombée du pan gauche du manteau » disent-ils. La présence du duc de Berry à Marcoussis, le jour de la consécration, n'est pas un hasard. Nous savons les liens étroits qui unissaient le grand-maître Jean de Montagu à l'oncle du roi. Depuis 1401, ces personnages siégeaient au conseil du roi ; Jean de Berry était un homme paisible et avait une sensibilité orléaniste ; avant d'être nommé évêque de Paris en 1409, Gérard de Montagu avait été également le chambellan du duc. Après l'assassinat du duc d'Orléans Jean de Montagu s'était même mis sous la protection du duc qui lui avait proposé d'échanger Marcoussis contre une place inexpugnable dans ses terres d'Auvergne. L'artiste Sous Charles VI, nous avons vu apparaître aux environs de Paris, à Marcoussis par exemple, un art un peu nouveau, plus naïf, plus simple et moins raffiné que l'ancien. Les figures du XIVe siècle ont abouti quelquefois au décousu. Au début du XVe siècle, dans le second art franco-flamand, nous trouvons sagesse générale et recherche dans l'étagement des volutes des plis. C'est bien à ce courant qu'il faut rattacher la Vierge de Marcoussis (4). Un auteur précise que « la Vierge à l'Enfant de Marcoussis doit être l'œuvre d'un des nombreux sculpteurs résidant à Paris auxquels le Roi avait coutume de s'adresser ». Pour un second « elle se rattache aux œuvres postérieures à André Beauneveu, statue ronde et molle… ». Mais, elle témoigne du succès aussi bien du culte marial que celui d'un certain type esthétique de la Vierge. Les spécialistes citent Jean de Cambrai . Jean de Cambrai naquit dans une petite ville de Picardie, à Roupy, près de Saint-Quentin, et qu'il porta d'abord le nom de Jean de Roupy dit de Cambray , surnom adopté vers 1375-1376, lorsqu'il alla travailler dans cette ville à la sculpture du campanile de la cathédrale. Avec son collègue Jean de Thory, il fut l'élève d'André Beauneveu depuis 1387. Il était imagier depuis 1396 et valet de chambre du duc de Berry en 1401-1402. Il épousa Marguerite Chambellan, apparentée à la meilleure bourgeoisie de Cambrai. Leur fils Jean devint panetier de Charles VII, puis conseiller et maître de comptes de Charles, duc de Berry ; un autre fils devint archevêque de Bourges. Jean de Cambrai est mort en 1438 et fut enterré aux Cordeliers. L'artiste est aujourd'hui reconnu pour avoir une manière « robuste et pondérée ». Outre son œuvre magistrale, la Vierge de Marcoussis , on lui connaît les statues d' Apôtres de la chapelle de Mehun-sur-Yèvre , les Pleurants du tombeau du duc de Berry . Un document relatif au tombeau de Duguesclin à Saint-Denis, en 1397, mentionne « Jean de Cambray, carrier pour une tumbe de liaiz, par lui amené des carrières de Notre-Dame des Champs ». La seule œuvre que l'on puisse lui attribuer avec certitude est le Gisant du duc de Berry , placé autrefois dans la Sainte-Chapelle de Bourges et conservé actuellement dans la crypte de la cathédrale. L'avis des historiens d'art Il est incontestable que la Vierge de Marcoussis est un chef d'œuvre, un exemplaire unique de la période naturaliste médiévale. À ce titre, elle a été présentée dans plusieurs expositions nationales et internationales, comme au musée du Louvre en 2004 et plus récemment à Bruxelles. Ainsi, la magnifique Vierge à l'Enfant en marbre, attribuée à Jean de Cambrai, comptait parmi les 350 œuvres extraites des trésors de cent cinquante musées européens qui composaient la fabuleuse exposition bruxelloise, " Le Grand Atelier, chemins de l'art en Europe du Ve au XVIIIe siècle ". Lors de l'exposition Europalia en 2007, Clotilde de Gastines écrivit à propos de la célèbre statue « Au centre de la chambre trône la Vierge de Marcoussis taillée dans un gigantesque bloc de marbre blanc. Son maintien est plus humain, qu'aristocratique. Elle est revêtue d'un voile byzantin, exceptionnel dans sa simplicité. Les artistes ont commencé à cette époque à idéaliser la femme et sa beauté, explique le commissaire . Ils ne laissaient pas apercevoir l'anatomie, mais le lyrisme de leur représentation est presque provocant. La dévotion à Marie se développe d'ailleurs en même temps que la lyrique courtoise des troubadours et des chevaliers » . Dans son étude sur la sculpture flamboyante, Jacques Baudoin précise que les commandes les plus prestigieuses, comme les gisants royaux, requièrent l'usage du marbre blanc, roche métamorphique, exploitée principalement à Carrare. Considérés comme synonymes dans le langage médiéval, le marbre blanc et l'albâtre sont des matériaux précieux souvent réservés pour la tête des gisants. L'équivalence est clairement établie par le texte « Les travaux d'art exécutés par Jean de France, duc de Berry » relatif à la donation de la statue de Notre-Dame-de-Grâce de Marcoussis, « une image de nostre Dame de marbre ou d'albâtre blanc… ». Le 12 janvier 1979, à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, M. Alain Erlande-Brandenburg fit une communication intitulée « Jean de Cambrai, sculpteur du duc de Berry » où il parle de la Vierge en ces termes « Le style de cette œuvre est si proche de celles de Jean de Cambrai qu'elle peut lui être reconnue. Il s'agit même de son chef-d'œuvre. Exceptionnelle par ses dimensions avec ses 2,10 m [ ?], elle l'est également par la qualité de son marbre, par l'originalité de son iconographie et la beauté de son traitement. Elle témoigne avec éloquence du génie pleinement maîtrisé de l'artiste. Elle permet aussi de mieux juger de son style étranger à la grande révolution que Sluter venait s'accomplir sur le chantier de la chartreuse de Champmol… » (5). Simon de la Motte Le chef d'œuvre de Marcoussis est sans contestation, la magnifique statue de la Vierge à l'Enfant attribuée à Jean de Cambrai que l'on peut admirer aujourd'hui dans l'église paroissiale Sainte Marie-Madeleine. Cette Madone a été décrite initialement par Simon de la Motte . C'est la narration de la bénédiction du couvent des Célestins de Marcoussis par l'évêque de Poitiers, frère du fondateur Jean de Montagu, au mois d'avril 1408. Dans son manuscrit, Simon de la Motte (chap. IX) est bien peu informatif sur la Vierge « Le lendemain 18 du même mois d'avril [1408], le cloître, le préau et le parvis de devant l'église furent bénis par monseigneur l'évêque de Poitiers, depuis évêque de Paris; et ainsi l'église étant pourvue suffisamment de livres, de cahiers, de plusieurs reliquaires et ornements par la libéralité môme du roi, qui donna même une chapelle de damas blanc, avec les armes de France, à trois fleurs de lis d'or en champ d'azur accolé avec une couronne à hauts fleurons d'or, et un cerf de couleur fauve en plein vol, d'or boisé et ramé de même, et d'un grand Missel de vélin en miniature, d'une image de Notre-Dame de marbre ou d'albâtre blanc de six pieds de haut , d'une autre Notre-Dame de Pitié, des bienfaits du duc de Berry ». La statue dont parle Simon de la Motte est bien la Vierge à l'Enfant autrement dit Notre-Dame de Grâce . Toutefois, le texte comporte une valeur approximative de la hauteur de la statue. En réalité, la statue mesure cinq pieds un tiers qui font 1 m 75 . Notons que la mensuration de la Vierge de Marcoussis varie d'un auteur à l'autre, allant selon les fantaisies de 97,5 cm (3 pieds) à 2,10 m (6 pieds et demi) (6). La base de données documentaires du ministère de la Culture (référence IM91001003) donne une hauteur de 190 centimètres. Avec un canon de 8 la hauteur de la Vierge ne pouvait être qu'un multiple de ce nombre, soit 5 pieds et un tiers (ou 16 tiers de pied). Parmi tous les écrits sur Internet que je qualifie de pittoresques pour rester convenable, je viens de lire « Mécénat de Jean de Berry : Vierge à l'enfant (de Jean de Cambrai) offert par Charles V au couvent de Marcoussis, en marbre blanc. Aspect géométrique et massif, les plis sont contenus dans un volume cylindrique, fluides dans la partie basse du vêtement ». L'auteur de ces lignes, éminent spécialiste, n'en doutons pas, se rend-il compte de son ridicule quand on sait que l'illustre statue a été sculptée plus de 25 ans après la mort de Charles V ? Notre-Dame de Grâce selon Malte-Brun Dans son Histoire de Marcoussis , Malte-Brun parle de la Vierge à l'Enfant en plusieurs endroits en introduisant une confusion. Il est curieux de voir que Malte-Brun ait repris les écrits de Simon de la Motte "pour argent comptant" sans aucune critique de sa part ; le texte repris in-extenso est le suivant : « Et ainsi l'église étant pourvue… d'une image de Notre-Dame de marbre en albâtre blanc de 6 pieds de haut, d'une autre image de Notre Dame de Pitié, des bienfaits du duc de Berry » (p. 54). Mais il y a pire !! Suite aux dévastations lors du passage des Huguenots de Condé en 1562 (p. 169), nous lisons : « … Nous citerons plus particulièrement une belle statue de Notre-Dame-de-Grâce donnée aux Célestins sans doute par la dame d'Amboise ; en 1536, les soldats huguenots qui la cherchaient, fouillèrent la terre assez près d'elle pour casser un doigt et l'enfant Jésus ; néanmoins ils ne la découvrirent pas; ce qui fut considéré comme un miracle. On répara les monuments funéraires, et, tout d'abord, celui du fondateur. Deux années suffirent à peine aux peintres pour rendre à l'église, à ses chapelles, à ses monuments leur splendeur passée ». La note de bas de cette page 169 précise « À la Révolution , cette statue, qui est en marbre blanc et dont le style accuse le commencement de la Renaissance , fut mise à part et envoyée avec les archives du château et du monastère à Versailles; sous la Restauration , elle fut réclamée par le curé et les habitants de Marcoussis , et leur fut rendue. Elle fut alors placée dans l'église paroissiale où elle décore la chapelle de la Vierge ». Il n'y a donc aucune ambiguïté !! Il s'agit bien de la statue dont nous parlons, celle qui est actuellement conservée en l'église de Marcoussis, c'est-à-dire Notre-Dame-de-Grâce qui présente bien la particularité de l'enfant Jésus au doigt cassé . Comment le célèbre géographe a-t-il pu commettre une telle erreur quant à la donatrice et la date de 1536 (il faudrait que le point-virgule soit placé après cette date). Malte-Brun ajoute une erreur supplémentaire, suite logique de la précédente en prétendant que la Vierge de Marcoussis « est en marbre blanc et le style accuse le commencement de la Renaissance … ». Certes la sculpture a été créée à la fin de la période gothique, avant 1408 plus précisément, qui n'est pas à proprement parler le commencement de la Renaissance française (7). Par contre, l'auteur des pages sur Marcoussis ajoute « c'est certainement une œuvre d'art remarquable et la plus riche que l'on puisse montrer aujourd'hui dans cette église… », en mentionnant une espèce de bordure ou de grecque en lettres gothiques : « Et concalcabo sub pedibus caput anguis », que nous venons d'évoquer. À la page 247, Malte-Brun donne quelques indications sur la profanation du couvent des Célestins en septembre 1792. « [Sous la révolution], les statues des saints du couvent des Célestins, celles des tombeaux furent enlevées de leur place ; on les sortit de l'église en les appuyant le long du mur du petit parc, les mieux conservées furent vendues à l'encan, les autres furent brisées; enfin, celles que recommandaient leur valeur artistique ou les souvenirs, furent réservées ; de ce nombre était la belle statue, en marbre blanc, de la Vierge , qui, après avoir échappé miraculeusement aux profanations des calvinistes, en 1562, échappa cette fois encore aux révolutionnaires; elle fut réclamée au nom du district et envoyée à Versailles avec d'autres dépouilles du couvent. Bientôt il ne resta plus que les quatre murs dénudés de l'église, les cellules vides et le cloître désert ». La Vierge durant la période révolutionnaire Dans la chronique sur l'étrange année 1792 à Marcoussis , au début janvier, le maire et ses conseillers municipaux préviennent Versailles que l'église des Célestins contient à l'intérieur quantité de menuiserie, une grille de choeur, trois autels, la boiserie du choeur composée de 36 stalles, et une vierge de pierre , comme lesdits objets ne sont pas en sureté, il serait "à propos de vendre ou de les donner à l'église paroissiale qui en a besoin". La vierge va donc se déplacer temporairement en l'église paroissiale. Quelques mois passent. On aborde la période de revanche, la destruction des signes de royauté. En raison des mutilations de monuments qui se déroulaient pendant la Terreur, une circulaire fut imprimée pour employer des tailleurs de pierre afin d'effacer et mettre à plat les signes de féodalité. Egalement à la même époque des commissaires artistes, nommés par les administrateurs du département de Seine-et-Oise pour l'extraction des effets précieux dans les maisons nationales, se rendirent à Marcoussis. Ils reconnurent "avoir enlevé de la ci-devant église de Marcoussis, une vierge en marbre blanc avec l'enfant Jésus dans ses bras" , pour être transportée au dépôt central du palais national à Versailles. Ils donnèrent "une pleine et entière décharge de cette figure aux maire et officiers municipaux de ladite commune ", ce fut fait le 16 ventôse an II de la République une et indivisible . Notre-Dame de Grâce resta dans les réserves du district de Versailles pendant plus d'une vingtaine d'années. Son retour à Marcoussis, sous la Restauration, est du aux efforts du maire Jean-Marie-Augustin Dubois, fils du propriétaire du domaine de Bellejame qui en prit le nom sous le Premier Empire. Cet homme préoccupé des intérêts de la commune réclama au nom de ses administrés la belle statue de Notre-Dame de Grâce et la fit placer dans l'église paroissiale, dans la chapelle de la Vierge. Notes (1) André Beauneveu de Valenciennes est l'auteur des statues de Philippe VI, de Jean II et de Charles V à Saint-Denis. Pour certains auteurs il est mort avant 1402, pour d'autres, il mourut en 1413. (2) L. Courajod, Leçons professées à l'École du Louvre, 1887-1888 (Réimpr. Bibliolife, Charleston, 2008). (3) Le canon d'une statue est le nombre de têtes contenues dans la hauteur du corps. Ainsi, le canon normal, correspondant à la moyenne de la hauteur humaine, est de 8. (4) D'une manière générale, l'attribution et la datation sont basées uniquement sur les particularités vestimentaires [J. Baudoin, La sculpture flamboyante en Normandie et Île-de-France (Éd. Créer, Nonette, 1992)]. (5) A. Erlande-Brandenburg, Jean de Cambrai, sculpteur du duc Jean de Berry , C.R. Acad. des Inscrip. et Belles-Lettres, vol. 123 (1979) p. 32 - La Vierge de Marcoussis (XVe s.) , in : Bull. de la Soc. Nat. des Antiquaires de France , 1977, p. 193-194. (6) Selon la toise du Châtelet, le pied-du-roi valait 32,48 cm, en 1668. (7) Nous n'évoquerons pas les auteurs qui datent la création de la Vierge de Marcoussis pendant la Renaissance. Ce serait leur faire trop d'honneur.