§ 2. Nodier et l'École centrale: De Besses
Rappelé par son père, Nodier quitte Novillars en octobre 1794 et revient à Besançon continuer ses études sous la surveillance paternelle
1).
La création de l'
École centrale du département du Doubs, en 1795
2), va permettre à Nodier de compléter, en suivant un enseignement méthodique, ses connaissances scientifiques, particulièrement en mathématiques et en histoire naturelle.
L'École centrale avait été installée, par arrêté du 23 floréal an III (12 mai 1795) dans les bâtiments de l'ancien collège des Jésuites, le Lycée actuel; l'enseignement y était donné dans dix cours publics dont les professeurs étaient: Debesses, pour l'histoire naturelle; Demeusy, les mathématiques; Guillemet, la physique et la chimie; Briot, puis J. Droz, les belles-lettres; J.-J. Ordinaire, la grammaire générale; Proudhon, la législation, etc.
3)
Nodier s'intéressa non seulement aux sciences naturelles, mais aussi aux mathématiques; il écrit à Pertusier: “Deis travaille à l'histoire naturelle et il pourra bien être un Pline quand je serai un Newton” (VI,942); et plus tard, le 20 nivôse an VII: “j'apprends les mathématiques et mon arithmétique est déjà finie” (VI, 969.) |41|
Mais c'est l'enseignement de Debesses et son influence sur Nodier que nous devons examiner surtout dans cette étude sur Nodier naturaliste.
La commission de l'Ecole, dont Girod-Chantrans faisait partie, avait eu beaucoup de peine à trouver un professeur d'histoire naturelle; le seul candidat qui s'était présenté au concours, le 4 pluviôse an III, le citoyen Léglise, avait été jugé insuffisant; un autre inscrit avait fait défaut; devant cette disette de candidats, le jury avait cru devoir demander un professeur au Ministre de l'Intérieur qui lui désigna Jean-Antoine Debesses, professeur à l'Institut de Paris, comme très capable de remplir ces fonctions
4); le jury accepta cette proposition et Debesses fut ainsi nommé, sans concours, professeur d'Histoire naturelle (13 floréal an IV — 2 mai 1796.)
Jean-Antoine de Glo de Gesses dit Chonel, était un personnage très remuant, d'un caractère bouillant, courageux et actif, — nous apprend une biographie manuscrite
5), — et dont l'existence a été, en effet, très mouvementée; né le 15 octobre 1754, à Besses, commune de Silhac (Ardèche), il tait ses études classiques chez les Jésuites au collège de Tournon; embrasse d'abord la carrière militaire, puis l'état ecclésiastique (1780); à la Révolution, partisan des nouvelles idées, il renonce à la prêtrise (en 1792) et se retire à Besses; la tourmente un peu apaisée, il vient à Paris, vers 1795, où il professe, comme il a été dit, plusieurs cours à l'Institut; il séjourne ensuite à Besançon, comme professeur à l'École centrale, puis comme procureur général du Lycée, de 1796 à 1804; en février 1804, il rentre dans la carrière ecclésiastique, comme aumônier du Lycée de Versailles, puis comme |
42| curé de Viroflay (Seine-et-Oise) où il meurt, le 28 avril 1825.
6)
De Besses, très zélé, très actif, s'occupa beaucoup de son enseignement à l'École centrale et de l'organisation du jardin botanique qu'il avait installé dans une partie des jardins du Collège
7).
Son cours, bisannuel, qui avait lieu tous les jours pairs, à 10 heures du matin, et les démonstrations au jardin botanique qui le complétaient, avaient obtenu un grand succès; Droz en donne l'attestation suivante.
L'enseignement de Debesse était aussi agréable que compréhensible, et ce genre de mérite lui attirait de nombreux auditeurs. Ses leçons avaient lieu le plus souvent en plein air, en face de la nature, selon l'expression de François Neufchâteau. La minéralogie et la zoologie lui étaient moins familières que la botanique; aussi cette dernière science faisait le sujet privilégié de ses travaux au jardin botanique, il montrait la certitude de l'observateur sérieux. Dans sa chaire, la parole et le crayon suppléaient à l'absence de la nature, et, dans les deux cas, ses exposés comme ses discussions brillaient par la logique, autant que par l'élégance et la clarté. Il professait avec goût, et son zèle témoignait d'un grand amour de la science. Ce sentiment se manifesta de la façon la moins équivoque dans les labeurs qu'il entreprit pour mettre son appareil de culture au niveau de son enseignement. Mais ses soins échouèrent devant l'indifférence et les mesquines économies de l'administration8).
Le cours était aussi complété par des excursions botaniques
9); ajoutons que De Besses avait préparé une
Flore du |
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département du Doubs, d'après l'herbier de Girod de Chantrans, mais cet ouvrage n'a pas été publié.
Tel est l'enseignement que Nodier suivit à l'École centrale et dontt il profita assurément, bien que sa spécialisation précoce dans l'entomologie, — science moins familière à De Besses que la botanique, — ne lui permit peut-être pas d'en retirer le même profit. Au surplus, on a conservé le souvenir du brillant examen que Nodier soutint à la fin de son année d'études.
L'élève le plus distingué de son cours était Ch. Nodier. Dans le premier compte rendu des examens publics, il avait émis en entomologie des opinions tellement savantes ou avancées, que le jury, dans l'emburras, ne put les accueillir que sous réserves. Il est juste d'ajouter qu'il devait cette supériorité aux soins particuliers de Girod de Chantrans. (XXXVI, 116, note.)
Ne conviendrait-il pas d'y associer le nom de Luczot, son collaborateur, son ami, son condisciple, puisqu'il suivait aussi les cours de De Besses? Voici, en effet la liste des auditeurs, conservée dans les Archives du Doubs.
Levasseur, directeur du génie; Giraud, officier du génie; Dangel, adjoint du génie; Luxot (sic), ingénieur; Compagnie, Petitpierre, Ordinaire cadet, Gardet, Loriot, Charles, Plantain, Clerc, officiers de santé; Dey (sic), Nodier jeune, Camus, France, Guillaume, Mathieu, Perrin, Ménétrier, Prost, Besson, étudiants, Le Cloux, élève médecin.
Ordinaire cadet est Désiré Ordinaire (1773-1847, qui fut professeur d'histoue naturelle à la première Faculté des sciences de Besançon (1810-1815);
Loriot est probablement Pierre-Alexis Loriot (1753-1823), médecin, pharmacien, botaniste, dont nous parlerons dans nos Botanistes bisontins.
On a vu plus haut qu'un autre camarade et ami de Nodier, Deis, étudiait aussi avec passion l'histoire naturelle. |44|
En résumé, Nodier doit moins à De Besses qu'à Girod de Chantrans et qu'à Luczot; De Besses était surtout botaniste; et si Nodier profita des leçons de l'École centrale dans cette branche de l'histoire naturelle pendant ses excursions dans les Vosges et le Jura, pendant son professorat à Dole, et dans ses promenades aux environs de Paris ou dans son voyage en Écosse, il délaissa assez tôt la botanique pour s'intéresser presque exclusivement à l'entomologie.