PETITE FEUILLE
Une vente, deux souvenirs.
Moins de cinq mois après la mort de Louise Abbéma, les derniers souvenirs, de sa vie intime sont dispersés à l'Hôtel des Ventes. La vente a commencé hier, elle s'achèvera aujourd'hui.
Poussé plus encore par la sentimentalité que par un désir curieux, nous sommes allé, avant que retentît le marteau des enchères, visiter la dernière “exposition” de la vieille et douce artiste.
Nous y vîmes son buste en marbre, exécuté par Sarah Bernhardt, sa main unie à celle de la grande actrice, en maquette et coulées en bronze; un bizarre projet de fontaine publique avec, pour motif monumental, la tête de l'illustre tragédienne; deux médaillons-plaquettes, à mi-relief, en étain bruni repoussé, dont l'un représente Sarah, de profil, par Louise Abbéma, et cette dernière, de profil aussi, par Sarah Bernhard. Témoins déjà vétustes d'un passé récent et d'une amitié célèbre.
Des livres dédicacés s'amoncelaient. Sur les pages de garde nous lûmes les signatures de Loti, Anatole France, Gyp, Courteline, Jean Lorrain, Alphonse Daudet, Maizeroy, et, d'une écriture svelte et mauve, ces lignes de vaticinateur: “À Louise Abbéma, l'être admirable et délectable, en dévouement ambitieux parce qu'il est profond. — Péladan.” Parmi les fascicules, les catalogues et les brochures, de lourds albums contenant des coupures de journaux, des articles de critiques, toutes les photographies des tableaux de l'artiste. Des feuilles détachées portant des copies, des croquis, des ébauches, des études féminines. Un luxueux programme, illustré par Louise Abbéma, consacré au “Gala de la Renaissance en l'honneur de Sarah Bernhardt 18 décembre 1896”, avec cette indication: “Les poètes Coppée, Heredia, Catulle Mendès, Rostand, Theuriet diront à Mme Sarah Bernhardt les sonnets qu'ils ont composés pour elle et la couronneront sur la scène…” Sur une page, un autographe d'Edmond Rostand.
Dans une vitrine, des bagues à ornements lourds, des épingles à pierres serties, la Légion d'honneur, les palmes académiques, la croix du Mérite agricole décernée à Louise Abbéma qui aima tant les fleurs. Plus loin, une commode à ornements de cuivre, un bureau, un piano de palissandre, une haute cheminée de bois aux griffons en consoles, des coffrets, un buste de Girardin, d'innombrables vases de porcelaine, poussiéreux, fragiles.
Pendant que nous considérions tous ces objets prêts à être disséminés en des mains inconnues, des commissionnaires travaillaient, travaillaient, indifférents en apparence. Nous dîmes à d'un d'eux: “Ce soir, demain, il n'y aura plus rien…” “Si, répondit cet humble, il y aura le souvenir….”