La dernière phase du Provisoire devient aussi favorable à l'apiculture que l'ont été les derniers moments de l'Empire dont le conseil d'État —on s'en souvient — a fait de l'abeille un animal dangereux en France (à l'étranger, l'abeille est regardée comme moins dangereuse que le cheval et le bœuf): l'épidémie des arrêtés municipaux sur l'éloignement des ruchers redouble d'intensité dans plusieurs départements. Ces arrêtés sont toujours inspirés par les mêmes mobiles: d'une part, l'ignorance des mœurs des abeilles; de l'autre, l'esprit vindicatif.

Voici le modèle du genre: Le maire de Congerville — qui a pris la mouche contre son curé — porte contre les abeilles un arrêté municipal et fixe de par son bon plaisir, à 100 mètres des chemins, sentiers et habitations, la distance des ruchers. M. le curé de Congerville, seul possesseur de ruches dans la localité et dont la culture des abeilles est pour lui une récréation en même temps qu'une ressource qui ajoute aux modestes revenus de sa cure (Congerville est une petite paroisse de la Beauce riche en miel par ses nombreux sainfoins); M. le curé de Congerville cherche un jardin autre que celui du presbytère où il puisse installer son rucher à la distance légale (on demande si les vérificateurs des poids et mesures sont chargés de celle-là?) et y établit ses ruches. Mais la mouche qu'a prise M. le maire le pique de plus beau. Il porte un nouvel arrêté qui met totalement son adversaire dans l'impossibilité de conserver des abeilles. Malgré le veto du préfet sur l'effet du 1er arrêté de M. le maire, le second commence à recevoir son exécution. Voici une brigade de gendarmes qui tombe un matin chez M. le curé pour verbaliser et mettre l'ordre, que diable! Après enquête sur les lieux, le brigadier est bientôt au courant de ce qui se passe: il refuse de dresser procès-verbal et fait un rapport dans lequel on lit cette phrase qui résume l'affaire: arrêté de vindication. |98|

Sous ce rapport, les apiculteurs du Calvados ont été privilégiés depuis longtemps. Aussi l'apiculture est à peine le quart de ce qu'elle y était, il y a 30 ans. Après les règlements préfectoraux et sous-préfectoraux jugés abusifs et illégaux dans ces derniers temps, tombent dru comme grêle les arrêtés municipaux fixant des distances qui rendent l'apiculture impossible dans maintes localités. Les apiculteurs survivants se sont émus, et il y a quelques jours, ils nous consultaient pour une nouvelle campagne à tenter près du conseil d'État du Provisoire. Nous leur avons répondu: Attendez le définitif qui devra, lui, donner l'interprétation exacte de la loi de 1791, c'est-à-dire proclamer la liberté de la culture des abeilles, avec l'usage de la loi commune.