Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

Outils pour utilisateurs

Outils du site


dagnot:chronique04.02

Page en chantier


Le dernier seigneur de Bellejame

Cette chronique est séparée de l'histoire de Bellejame en raison de l'originalité du personnage. Charles Thomas de Bullion méritait bien cet hommage.

J-P Dagnot Juin 2007.

Partie de plan du fief de la Flotte au XVIIIe siècle.

La succession des Lemaistre

Henry Louis Lemaistre, seigneur de Bellejame à Marcoussis meurt à Marcoussis en 1733. Marie Madeleine de Bullion, son épouse et sa veuve, vient de Fontenay les Briis. Mère de deux filles qui vont hériter de leur père, elle est aussi la tante de Charles Thomas, futur seigneur.

A cette époque, l'abbé Deschez, “ami de la famille qui a surveillé des augmentations et réparations du château”, obtient la jouissance du gros pavillon du château (partie du château démoli en 2001) étant au bout de la galerie, avec droit de passage dans cette dernière pour entrer dans le premier étage du pavillon…

Marie Françoise et Marie Madeleine, filles du défunt, héritent du domaine chacune par moitié. Cette situation dure jusqu'au décès de leur mère. L'abbé Deschez sera victime d'apoplexie.

Marie Françoise, l'aînée des deux filles, demeurée célibataire, gère seule les biens et le domaine. Elle décide de louer le château. En 1762, la dame rédige son testament et institue Charles Thomas, marquis de Bullion, son légataire universel.

Marie Françoise décède et est inhumée dans le choeur de l'église de Marcoussis, en présence de son neveu Charles Thomas, seul représentant de la famille, et d'un frère célestin.

Charles Thomas à Bellejame

L'année suivante, Marie Madeleine, seule héritière de sa soeur Marie Françoise, malgré l'opposition de son mari, et afin de respecter le testament de la défunte, fait les arrangements suivants avec son neveu Charles Thomas, encore mineur (il n'a alors que 24 ans, bien qu'exécuteur testamentaire et légataire universel en propriété): - Charles obtient les biens des seigneuries de Bellejame et Guillerville, - Sa tante se réserve l'usufruit des dits biens ainsi que la moitié d'une maison à Paris et des rentes. Notons que Charles Thomas hérite également des dettes…

En 1768, notre personnage s'unit avec Pierrette Petitjean fille d'un procureur (défunt). L'union se déroule au château de Versailles en présence de la famille royale, et d'importantes personnes de la noblesse, tous amis du mari.

Signatures de la famille royale.

Notons dans les apports du mari, de la nue propriété de Bellejame avec les meubles. L'épouse, quant à elle, apporte dans la corbeille la somme de 300.000 livres venant d'une parente.

Le nouvel arrivant, doit vite affronter des difficultés de paiement des gages d'anciens domestiques et serviteurs de Bellejame dont l'un d'eux est devenu bourgeois de Linas. Ces tracasseries financières iront même jusqu'à la saisie du domaine!

En 1771, pour l'entretien et l'embellissement du domaine, il fait procéder au curage de la pièce d'eau (repère A du plan), et pour des raisons de symétrie fait réaliser une pièce identique et parallèle (rep B). Il en profite également pour curer à fond vif les fossés autour du château (repère C du plan).

Notons que la tante, Marie Madeleine, se rend régulièrement au château pour gérer l'usufruit des seigneuries de Bellejame et Guillerville. C'est notamment elle qui, déjà en 1764, louait le moulin de Guillerville.

Le couple Bullion vit entre Bellejame et Paris. Les enfants de cette union naissent à Marcoussis. Participant à la vie paroissiale, Charles Thomas de Bullion est notamment présent lors des mariages de ses serviteurs.

Occupant jusqu'à neuf domestiques pour son domaine de Bellejame, on peut considérer que ce seigneur est le plus important employeur de Marcoussis, devant les célestins et les fermiers.

Sur la fin de sa vie, outre ses occupations traditionnelles de seigneur terrien, Charles Thomas de Bullion se découvre à nous comme assez singulier et original…

L'année précédant la Révolution, dans un courrier à Brienne, ministre de la Guerre, il propose une poudre nouvelle, plus puissante que celle du roi. Cette poudre a été a analysée par Berthollet (illustration ci-dessous) et pourrait servir à la défense des côtes. Cependant, elle a causé un accident en présence des administrateurs des poudres, deux personnes ayant été tuées et deux autres blessées. “Cette poudre ne contient point de nitre elle est faite avec du sel dont la découverte est due à Monsieur Berthollet de l'académie des sciences, la découverte de l'employ de sel pour en fabriquer de la poudre m'est due. Après avoir fait plusieurs expériences, j'ai trouvé un mélange de de ce sel avec le soufre & le charbon qui m'a donné une poudre le double plus forte que la poudre royale. J'ai communiqué mes expériences aux administrateurs des poudres et leur ay donné de ma poudre; le résultat de l'épreuve qu'ils en ont faite leur a donné l'idée d'en fabriquer, ils ne m'ont point appelé à leurs expériences et ont dû suivre mes instructions approximativement car il leur en a cousté la vie à deux personnes et un ou deux blessés”. …

Une demande de rendez-vous accordé le 31 octobre pour le lundi 3 novembre … à cette époque les décisions étaient rapides!

Ainsi donc, le dernier seigneur de Bellejame avait un jardin secret, entretenant une passion pour les sciences et notamment la chimie.

Charles Thomas parait s'intégrer dans la période révolutionnaire en devenant commandant de la garde nationale. Probablement peu favorable dans une certaine mesure aux idées nouvelles, cet aristocrate du siècle des Lumières, passionné de sciences, est malheureusement mort trop tôt laissant son épouse avec trois fils mineurs dont un en exil (*).

Vie et mort d'un homme et de son laboratoire

Malade et malgré les visites et les soins prodigués par des médecins parisiens, Charles Thomas de Bullion meurt en 1791.

On ne peut manquer de s'interroger sur la corrélation entre ses recherches dans le domaine de la chimie et les causes de son décès, à une époque où la prévention n'existait guère. Les inhalations de vapeurs toxiques, des manipulations sans précaution, ont peut-être eu raison de la santé du dernier seigneur de Bellejame. Curieusement parmi les dettes figurant au décès, on trouve celle d'un chirurgien oculiste.

L'inventaire fait à son décès révèle l'originalité de l'homme.

Cet amateur de chimie semble également bien connaître celle… du vin! Son train de vie dans ce domaine semble assez fastueux, et l'on devine là encore un amateur éclairé. L'inventaire des caves du château parle de lui-même: plusieurs centaines de bouteilles y sont entreposées, parmi lesquelles, Porto, Grave, Rota, Chérès, Gênes, Clos Vougeau (Clos Vougeot), champagne non mousseux, Tocquet, Lunelles, des bières et vins du cru, le tout estimé à la somme importante 5000 livres! Ce seigneur oenologue possédait aussi son pressoir “qui sait?” servit peut-être à des expériences de vinification?

Ce seigneur possède un pressoir, et également un colombier. Éminent privilège du seigneur, sujet de plaintes répétées des paysans des campagnes, on peut noter ici que le colombier de Bellejame n'est plus utilisé pour son usage premier. Le bâtiment est en bon état et sert d'entrepôt pour stocker les grains sur trois étages, avec au troisième une roue sans fin garnie de son cable (servant à monter les sacs). On ne compte pas moins de 11.000 bottes de paille foin ou luzerne dans les granges du domaine.

Nous arrivons maintenant à la description la plus originale pour l'époque. On dénombre dans les communs: un laboratoire de chimie où se trouvent 2 alambics, 6 fourneaux, 200 creusets, 200 vases, 3 chaudières, 4 mortiers, une forge ambulante… dans un autre laboratoire au dessus du précédent : 5 tables, 2 établis, 250 outils, un tour, 1 paire de balance, un fourneau, un moulin à brûler le café… une machine électrique avec ses accessoires tant en métal qu'en verre, des armes , fusils, pistolets, canon, mortier avec leurs affuts! cannes à lame, une boite d'optique contenant une lanterne magique, un microscope avec accessoires, une collection de minéraux , une machine pneumatique, 150 volumes et 80 brochures composant une bibliothèque particulière de chimie, sciences naturelles et politique permettent à cet amateur éclairé de s'instruire… Le lecteur reste étonné devant un tel document original datant de 1791!

Coté vie commune, passons sur la description luxueuse des salons et notons, une salle avec billard de 24 pieds, une bibliothèque comprenant 313 volumes tant d'histoire que de poésie et de politique… dans d'autres salles on y voit un télescope sur pied, 4 tables à jouer… Dans la chambre de Monsieur, on trouve un baromètre, 3 paires de lunettes… A coté une infirmerie.

Enfin une orangerie avec tout son équipement, ce bâtiment existait encore en 2000, et méritait d'être restauré et sauvegardé. Malheureusement tout ce qui en restait a été détruit lors de l'implantation du centre de rugby…

Orangerie. Photo du 20ème siècle .

Dans le bois, depuis la glacière, on voyait l'orangerie au bout de l'allée traversant le parc. Cette percée existe encore actuellement, la vue n'est pas la même.

Voilà l'histoire de Charles Thomas de Bullion, seigneur de Bellejame, aristocrate du siècle des Lumières, contemporain de Lavoisier, sympathique figure d'un amateur passionné de sciences.

dagnot/chronique04.02.txt · Dernière modification: 2020/11/11 00:57 de bg