Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La grange aux dîmes de Longpont L'ensemble agricole clunisien de Longpont

1061 à nos jours

Novembre 2007

C. Julien

Chronique du vieux Marcoussy

Cette chronique décrit l'ensemble agricole clunisien unique en Ile-de-France, la grange monastique du Prieuré de Longpont-sur-Orge (Essonne, arr. Palaiseau). Située à proximité de la Basilique N.- D. de Bonne Garde, dans l'enclos de la ferme prieurale, la grange monastique dite improprement “grange aux dîmes” était l'un des bâtiments les plus importants du prieuré clunisien, son cœur économique. Elle forme un quadrilatère de 54 mètres de long sur 20 mètres de large orienté dans le sens est-ouest. Le pignon occidental donne sur la rue de Lormoy et le pignon oriental est adjacent à la cour du prieuré. Les murs sont construits de pierres liées de terre et de chaux.

Rappelons que le Prieuré de Longpont fut fondé en 1061 par Guy de Montlhéry et sa femme Hodierne de Gometz. Avec le droit d'exemption, la seigneurie ecclésiastique de Longpont devient « chef de réseau régional » avec sept prieurés sous sa tutelle. Immédiatement la mise en valeur des terres, prés et bois imposa la construction de l'emble agricole constitué par la ferme de Longpont, le pressoir et la grange monastique attenante à l'enclos du couvent. Ce sont les bâtiments, remaniés certes, que nous pouvons admirer de nos jours.

Le mot grange ( grangia ) était autrefois synonyme de ferme et correspondait à l'ensemble des bâtiments d'exploitation construits par les moines, soit dans l'abbaye même, soit à l'écart afin de cultiver les terres trop éloignées. Elles pouvaient aussi désigner les bâtiments destinés à recueillir dîmes et champarts. Lorsque les autres constructions étaient prohibées, celles-ci demeuraient autorisées. La création de ces granges est due principalement aux Cisterciens plus spécialement voués au travail de la terre et aux Bénédictins (dont les Clunisiens) qui furent de riches propriétaires terriens. Les donations pieuses jouèrent ici leur rôle. Les aumônes introduisirent des terres nouvelles dans la fortune foncière. Il fallut mettre en valeur ces coutures , les concéder à des hôtes et construire des bâtiments pour l'exploitation rationnelle.

Les documents anciens

C'est encore une fois le Cartulaire du Prieuré qu'il faut visiter pour glaner quelques informations. La charte de 1108 fait allusion à la grange monastique de Longpont. Lors de l'entrée du moine Wulgrin, ses parents, le chevalier Hervé et sa femme Emeline, donnèrent un champart qui est la propriété de la grange de Sainte Marie « dederunt unum campum qui est propre grangiam sancte Marie ». Hervé reçut en contre partie un setier de blé de la part des moines « unum sextarium frumenti ». L'acte de cette donation faite publiquement est posé devant la coupe de Saint-Macaire en présence des moines Araud, Otard, Wulgrin et du chapelain Harduin. Vers 1080, le chevalier Henri, surnommé Payen, donna à Villeneuve-le-Roi ( Villam Novam ) un coin de bois pour y édifier leur grange monastique et d'autres maisons pour abriter un moine et son serviteur « et quendam angulum bosci, ubi monachi facerent grangiam suam et alias domos ».

Le prieuré de Longpont possédait plusieurs granges dans ses terres de Hurepoix. D'autres chartes du Cartulaire mentionnent des granges. Vers 1108, une grange à Charcoix ; vers 1100 une grange à Plessis-Pâté ; vers 1100, Ansold donna un champ à côté de l'église de Nozay pour construire une maison pour y déposer la dîme « et quandam plateam juxta ecclesiam de Nooreio ad domum faciendam, propter decimam reponendam ». Vers 1140, Herbert d'Orangis donna en aumône huit deniers de cens, qui sont honorés chaque année dans la grange monastique de Longpont dont dépend Orangis ; en mai 1136 (octave de l'Ascension), un différend entre Longpont et Geoffroy de Vert, sur deux muids et cinq setiers de blé à rendre dans la grange d'Orangis, fut réglé par trois juges qui étaient Jean de Corbeil, Gui de Vaugrigneuse, Robert Polin. Vers 1130, Longpont reçut le clos avec une treille et la grange de Savigny des mains du seigneur Étienne. Vers 1120, le comte Frédéric, fils de Payen d'Étampes céda trois hostises qu'il possède en propre à Bondoufle, avec la tenure et un muid d'annone d'hiver qui revient à la grange commune de Bondoufle « Fredericus dedit tres hospites quos habebat proprios apud Bunduflum, & unum modium annone hyemalis in communi granchia Bundufli ». Pendant cette période, le prieuré de Longpont créa ou reçut en don des granges dîmières, mais on ne sait s'il les afferma ou y pratiqua le faire-valoir direct.

Les caractéristiques architecturales

L'absence de documents sur la construction, l'entretien ou les modifications éventuelles de la Grange Monastique de Longpont, fait que la question de la datation de ce bâtiment pose un réel problème. Toutefois, considérant certains éléments architecturaux primordiaux, et par comparaison à divers bâtiments monastiques similaires, je discute cet aspect très important en me référant aux travaux connus dans ce domaine. Différents indices convergents permettent de dire que les plans et les fondations de la grange monastique de Longpont sont ceux du XIVème siècle. Ceci paraît logique après l'analyse qui vient d'être faite. Bien que remanié par la suite, les fondations de ce grand bâtiment possèdent des caractéristiques évidentes qui vont dans le sens de l'hypothèse évoquée.

Les caractères principaux de la grange de Longpont sont les suivants : - la disposition d'une nef avec des bas-côtés, le plan général de la grange rappelle celui d'une ecclesiae , - des murs en pierres du pays, de faible élévation, d'une hauteur de trois à quatre mètres sur le pourtour du bâtiment, - des contreforts sur le pignon situé à l'est pour maintenir la poussée du reste du bâtiment sur le coteau et celle de son importante charpente.

Ces caractéristiques ne se retrouvent plus dans les constructions du XVIIème siècle et encore moins dans celles du XVIIIème siècle, époque à laquelle les granges forment un quadrilatère sans bas-côtés avec des murs plus élevés. À cette époque l'aspect fonctionnel est primé et les techniques de construction ont sensiblement changé par rapport à celles du Moyen Âge. L'architecte rural abandonne l'esprit ecclésiastique de la construction.

Pour Marie-Joseph Salmon, conservateur en chef du musée de Beauvais et spécialiste des Fermes du Soissonais, les contreforts ont leurs origines aux XV-XVIème siècles, les bas-côtés disparaissent au XVIIème siècle et les murs bas sont des XIV-XVème siècles. Cet auteur note que « plus la grange est ancienne, plus les murs ont une faible élévation, afin que les versants de grande hauteur tendent vers la verticale, accroissant le volume disponible et portant mieux la charge des couvertures » et d'ajouter la remarque « à partir du XV e siècle on construisait des granges vastes ». Les deux pignons étaient à l'ordinaire contrebutés par un contrefort médian principal, deux contreforts latéraux et deux contreforts d'angle, mais ce nombre varie. Ces contreforts donnaient à l'ensemble un aspect de puissance. Ils étaient inclinés, et à ressauts dégressifs. Quand la façade de la grange longe la cour de la ferme, et c'est le cas à Longpont, c'est dans son milieu, ou avec un léger décalage, que sont pratiquées la ou les portes charretières, au hasard de commodités de la cour.

Il est évident que les chariots entraient directement dans la grange où l'on déchargeait les gerbes frumentaires. Les gerbières extérieures ne sont apparues qu'au XVIIIème siècle. C'est de cette époque que l'on peut dater l'unique gerbière de Longpont. La raison peut être la suivante. Au XVIIIème siècle, les charrettes n'entrent plus dans la grange, on crée des gerbières fermées de volets. C'est l'occasion d'utiliser les greniers élevés que l'on chargeait du sol.

Dans un pays de forte production céréalière, où il était nécessaire de construire des bâtiments importants destinés à abriter des récoltes considérables, la grange est le cœur, le réceptacle de toute l'exploitation, et les riches abbayes la font bâtir avec presque le même soin que celui qu'elles mettaient à élever leurs églises. La grange devient un “ sanctuaire temporel ”. D'où l'opinion, couramment répandue mais fausse que ces granges étaient des chapelles. La grange était faite pour contenir la récolte en gerbes et permettre de la battre sur une aire, malaxage d'argile et de chaux, avec un maximum d'engrangement. Le blé est indispensable, c'est la base même de la nourriture humaine depuis le XIème siècle, tenue en si haute valeur que les religions en ont fait un symbole de vie. Nous avons vu qu'il fallait un setier de froment pour nourrir un moine pendant un trimestre. En 1520, la consommation annuelle de Longpont, avec 6 moines est donc d'environ 24 setiers.

La Grange devait être suffisamment isolée pour ne pas être directement en contact avec les autres constructions. La raison de cet isolement est double. La grange ne doit pas communiquer avec les autres bâtiments pour les risques d'incendie. La grange, lieu d'exploitation, est aussi utilisée par les “non-initiés”, les laïcs qui ne doivent pas entrer en contact avec les moines. Suivant la règle de Saint-Benoît, seul le chambrier peut “parler” au commun des mortels. Son emplacement est donc commandé par son isolement relatif par rapport aux autres bâtiments de l'abbaye et par la proximité du chemin d'accès aux champs, de façon à permettre un engrangement rapide des récoltes. Ainsi, dans le plan du monastère clunisien, la trouverons-nous sur le côté opposé au corps du logis et lui est perpendiculaire, de telle sorte qu'un des pignons donne sur la cour et que tout le bâtiment fasse saillie à l'extérieur, ce qui crée un isolement naturel. Les granges monastiques ont été élevées par les moines conscients que les bâtiments d'exploitation devaient être construits avec une rigueur identique à celle de leurs églises et leurs bâtiments conventuels. Il arrive souvent qu'ils soient confondus. De nos jours, difficilement utilisables dans une ferme moderne, ces bâtiments offrent un cadre remarquable, aux manifestations artistiques et culturelles. Cette nouvelle fonction est aussi une façon de sauver ce patrimoine.

Plan de masse et plan de coupe de la Grange Monastique de Longpont La disposition intérieure comporte un local organisé d'une nef centrale composée de travées délimitées par deux alignements de piliers, et les bas-côtés entre les piliers et les façades. On compte douze piliers carrés en pierre taillée (de dimension 60 cm par 60 cm chacun) terminés par un tailloir et huit poteaux de chêne matérialisés au sol par des socles (dés) en pierre. Ces piliers servent de support aux fermes et demi fermes intermédiaires de la charpente. Le volume est divisé en plusieurs parties, dont celle qui, vraisemblablement, fut adjointe au XVIIIème siècle. En effet, sur les plans géométraux de 1764, la partie située le long de la rue de Lormoy ne semble pas encore construite.

Ce bâtiment est évidemment lié à la principale activité du prieuré : l'exploitation d'un grand domaine agricole de plus de 200 arpents de terres. Remontant à la période de travail si intense où les moines défrichèrent et essartèrent les forêts, amendèrent les terres, tandis que de toute part ils faisaient surgir de magnifiques monuments, la grange monastique appartient à l'histoire de notre architecture comme à celle de l'agriculture de notre village. L'ensemble agricole prieural est entouré de murs de faible élévation qui entendaient moins défendre que délimiter l'établissement. La cour et une grande maison d'habitation constituaient les installations domestiques. La grange est construite pour faciliter le plus possible la circulation des chariots. Les gerbes étaient entassées soit dans les deux bas-côtés (la nef, sur laquelle s'ouvrent les deux portes charretières d'égale largeur, étant réservée au passage des chariots), soit dans la nef et un des bas-côtés.

La grange monastique de Longpont, comme les granges du XIIIème siècle et celles du XIVème siècle est un bâtiment d'aspect monumental et de vastes dimensions. Avec sa surface interne de 1015 mètres carrés , elle est comparable aux vastes granges du Soissonais : à Confrécourt, d'une surface totale de 772,80 mètres carrés , à Monthussart 765 mètres carrés , au Mont-de-Soissons 723,45 mètres carrés . Si l'on s'en tient aux dimensions, la grange monastique de Longpont avec ses 54 mètres de long et ses douze travées offrait une possibilité de stockage considérable, j'estime qu'elle pouvait contenir jusqu'à 80.000 gerbes de blé. Cette capacité d'engrangement correspond aussi à celui de la grange d'Ardenne à Caen qui, avec une longueur de 50 mètres environ, contenait la même quantité.

L'emploi des colonnes de pierre se rencontre dans de nombreux édifices. David-Roy précise qu'il existe de nombreuses granges dont la charpente est supportée par de fortes piles carrées ou rectangulaires aux angles abattus et terminées par un tailloir. On remarque la similitude de la construction de la charpente à double ferme avec celle de Sainte-Vaubourg qui ne comporte que des piliers en bois ou à Fourchet (Oise). La charpente de Longpont est intrigante car elle possède des fermes doubles dissymétriques et l'ossature interne est assurée par des piliers de pierre et des poteaux massifs de bois reposants sur des dés de grès. Les fermes sont du type “à poinçon et contre-fiches”. Les moises qui relient les arbalétriers à chaque pilier forment des “doubleaux cintrés” de chêne. La toiture à deux rampants avec pans coupés sur les pignons est couverte par des tuiles plates.

Vues intérieures de la grange

Un grand espoir : que la commune de Longpont propriétaire des lieux se décide un jour à ouvrir ce magnifique bâtiment après une mise aux normes de sécurité. Ce pourrait être un centre culturel d'intérêt régional . Toute « ré-habilitation intempestive » détruirait cet ensemble unique qu'il faut garder en l'état avec quelques touches de modernité bien évidemment.

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