Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

Outils pour utilisateurs

Outils du site


dagnot:chronique08.02

Page en chantier


Les antiquités de Nozay

Charlemagne et Louis le Pieux avec portrait de Pépin le Bref et vues des abbayes de Saint-Germain-des-Prés (haut) et Saint-Denis (bas)

Décembre 2007 C. Julien

Chronique du vieux Marcoussy

Cette Chronique présente les deux antiquités de Nozay (cant. Montlhéry, arr. Palaiseau, Essonne). Ce sont les deux documents donnant les premières indications historiques de l'existence de ce village du Hurepoix.

Période précarolingienne

Au commencement du Moyen Âge, le domaine de Nozay et ses fiefs furent redistribués à diverses reprises par les autorités féodales. Les donataires furent des églises, des abbayes, des seigneurs de haut lignage, des chevaliers qui reçurent les fiefs soit par héritage, soit par donation pour services rendus.

Le toponyme « Nooreio, Noreyo, Noray , Nozé » de nos jours Nozay confirme le caractère agreste du lieu et désigne un endroit où abondaient les noyers (du latin populaire nucarius , de nux «noix»). En 1180, le mot est francisé en noier .

Situé au cœur du Hurepoix, le site originel de Nozay faisait partie de la grande forêt d'Yveline. C'était un vaste massif boisé, devenu la forêt de Rambouillet dont le nom gaulois signifiait “ abondance en eau ”. De 418 à 752, la forêt d'Yveline appartient à la dynastie mérovingienne, puis après une répartition de 752 à 987 aux Carolingiens. Sous les capétiens le morcellement se poursuit entre l'Eglise et les vassaux qui participèrent à l'établissement de la dynastie.

Fulrad est abbé de Saint-Denis depuis 750 (1). Le 27 juillet 754, Pépin le Bref est sacré à Saint-Denis. C'est la naissance de la nouvelle dynastie et de nombreux monastères passent alors sous le contrôle de Pépin et dépendent désormais du fisc carolingien (2).

Déjà dégradée à l'époque qui nous intéresse, la forêt d'Yveline ne serait qu'un des vestiges de l'immense forêt que certains nomment forêt des Carnutes. La forêt des Carnutes proprement dite, doit être identifiée à la forêt d'Orléans ou ses extrémités occidentales (forêts de Blois, de Marchenoir et de Fréteval près de Vendôme). Le site de Nozay appartenait plutôt au pagus parisiacus , le Parisis, et plus spécifiquement au pagus castrensis , c'est-à-dire le Châtrais (3).

Sous les carolingiens, une grande activité régnait dans l'Yveline. Des routes romaines la traversaient, des exploitations du fer existaient à Auffargis et des villae étaient implantées dans les clairières.

Les rois mérovingiens firent les premières donations. Une de leurs résidences était Palaiseau ( palatolium ). Ainsi saint Germain, apôtre de l'Yveline, fondateur de l'abbaye Saint-Vincent et Sainte-Croix reçut de Childebert 1er le domaine de Palaiseau. Rappelons-nous également la fondation du prieuré de Fontenelle à Marcoussis, vers 663, quand Hartbain de Fillancourt qui, encouragé par le roi Clotaire III, donna la terre de Bution à saint Wandrille en personne. Enfin, Pépin le Bref fit de nouveau don du domaine de Palaiseau et de ses dépendances à l' abbaye de Saint-Germain-des-Prés.

La charte de Pépin le Bref (768)

La région occidentale de la grande forêt d'Yveline qui allait devenir le Hurepoix, dénomination médiévale, fut donnée par Pépin le Bref à l'abbaye de Saint-Denis en 768. Le texte de la charte cité par l'abbé Lebeuf est d'une grande précision. « Pépin, roi de France, par la grâce de Dieu, nous donnons à l'église de Saint-Denis, notre forêt appelée Aquaelina avec tout ce qui se mesure et ses biens fonds, tout ce qui est sensé relever et appartenir à cette forêt ainsi qu'elle fut possédée par nous jusqu'à maintenant. Ainsi, nous ordonnons spécialement par cette prescription et ainsi nous voulons qu'il soit décidé de façon perpétuelle que la susdite forêt Aquaelina soit donnée dans sa totalité que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur, c'est-à-dire les manses, terres, maisons, bâtiments, dépendances, serfs, forêts, vignes, champs, prés, pâturages, eaux vives et dormantes, argent et économies des gens des deux sexes, troupeaux avec leurs bergers et les différentes sortes de gibiers ».

L'abbaye de Saint-Denis (plan géométral de 1706).

À maintes reprises, le premier roi carolingien donna ses biens de la forêt d'Yveline. Il avait donné, le 25 juillet 754, le domaine de Palaiseau à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. C'est au cours de l'été 768 alors que sa santé déclinait fortement « in extremo vite positus », qu'il légua le Hurepoix central à l'abbaye de Saint-Denis (4) . La région de Montlhéry était située à l'extrême est de la forêt d'Yveline (bas-latin, silva Aequalina , silva Equilina , puis vieux français, forest d'Iveline ) « laquelle avançoit alors jusqu'à la rivière d'Orge en avant vers Corbeil, après y avoir nommé le haut de Briis ». Et, le texte de la charte d'ajouter « et in Villarcelum mansum unum, in Brogarias mansum unum, apud Villare duo mansum et Ansbertovivino et Aerico Monte cum integritate ». Le roi mourut à Saint Denis le 24 septembre.

Cette charte apporte des éclaircissements importants sur les origines connues de Nozay. Je les développe succinctement : - le donateur cède la forêt avec toutes ses dépendances, serfs et gardes forestiers, - après avoir appartenu à l'église de Reims, sous Clovis, la forêt d'Yveline devint la propriété de la puissance abbaye de Saint-Denis, - des donations précédentes avaient été faites aux abbayes et églises de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Benoît-sur-Loire, de Notre-Dame de Chartres, d'Argenteuil et de Saint-Pierre de Poitiers, - les grands défrichements de la forêt primaire avaient déjà eu lieu, - la féodalité réglée en partie par le droit romain et partie par le droit germanique est déjà mise en place à la fin de la période mérovingienne, - une partie des terres labourables était cultivée en vignes qui restèrent jusqu'à la fin du XIXème siècle une des richesses de la région, - le village de Montlhéry ( Monte Aerico, Mons Aetricus, Montis Letherici, etc. ) était établi sur la butte dominant la vallée de l'Orge ( Urbia ), - les domaines agricoles ou fermes de Villarceau ( Villarcelum ) et de Villiers ( Villare ) existaient à Nozay ( Nooreio ) dès le VIIIème siècle.

La charte de la donation de Pépin le Bref à l'abbaye de Saint-Denis (768) Document en latin portant la signature autographe du roi.

Le polyptique d'Irminon (vers 828)

Le polyptique d'Irminon est un inventaire des biens de l'abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés. Il fut rédigé vers 823-828 par Irminon, abbé de Saint-Germain. Il décrit les possessions de l'abbaye situées principalement dans la région parisienne, entre Seine et Eure.

En parcourant le livre d'Auguste Longnon, historien qui étudia le haut Moyen Âge carolingien, on peut lire ce qui suit « c'est au pays Châtrais, pagus Castrensis , qu'appartenaient les fiscs … de Palaiseau, … d'Epinay-sur-Orge aussi bien que le bénéfice de Nozay ». L'existence d'une exploitation agricole ou forestière, dépendance de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, est donc attestée vers 830. Le bénéfice « benificium » est le bien conservé en usufruit opposé à propriété. Le bénéfice consiste en le droit de jouir de la chose sans en altérer la substance. Il y avait au moins 28 bénéfices contenant environ 369 manses à l'abbaye Saint-Germain.

Puis, le même auteur identifie le village de Nozay avec les vocables Noveridus, Novaritum ou Noavritus ? Et d'ajouter, c'est le village de Nozay situé au sud de Paris non loin de Montlhéry, jadis Noray . Deux passages sont consacrés à Nozay dans le polyptique de Saint-Germain-des-Prés. Ils existent dans le dossier répertorié « Fragmenta I, 3 & 14 ». On sait que depuis le VIIIème siècle, deux villae à Nozay , Villarcelum et Villare , étaient les domaines agricoles de l'abbaye Saint-Denis. Quant était-il pour l'abbaye Saint-Germain ? Le texte dit un bénéfice et d'ajouter plus loin « le maire de Palaiseau, …, Nozay et probablement aussi celui de Massy étaient obligés aux mêmes redevances et services que les autres tenanciers ». L'église de Nozay est dédiée à saint Germain d'Auxerre, dont le culte s'est peut-être substitué à celui de saint Germain de Paris ; ce qui donne une certaine vraisemblance au rapprochement qui vient d'être fait.

Dans le village de Nozay ( villa Novarito ), un document exceptionnel nous est parvenu, c'est le Fragmenta duo . Le bénéfice du nommé Acoinus porte sur 9 manses et demi et couvre une étendue de 36 bonniers de terres arables, environ 9 arpents de vigne, 10 arpents de prés, des bois et un élevage de 100 porcs à l'engrais « porcos saginandos ». Nous savons que le maire Dominicus et sa femme Dominica ( major ou villicus ) vivent avec leurs deux enfants Dominicus et Teudildis sur un manse ingénuile (libre) (5). Le maire dont la fonction renfermait exclusivement dans ce qui concerne l'agriculture et l'économie domestique, était un colon ( colonus ), c'est-à-dire un homme à la condition forcée, attaché au fonds qu'il occupait. Le maire occupait donc la position sociale au milieu de l'homme libre ( indenuus ) et le serf ( servus ). Le manse est partagé entre deux ménages, celui du maire et par Hildradus et sa femme Teutlindis et leurs deux enfants. Il contient 6 bonniers de terres arables, 4 bonniers de pré et un arpent de vigne. Les redevances s'établissent comme suit : 2 sous de droit de guerre, 4 deniers de droit de paison (ou droit de glandée), 4 deniers de droit de pâture, 3 poules et 15 brebis. Des services sont aussi requis : 2 œuvres exécutées à la main « manoperas » et une semaine de corvée « corvatam », labour et entretien des chemins.

Tableau des colons avec la superficie des manses en 830 à Nozay.

Du tableau décrivant les manses de Nozay, on peut faire quelques remarques : • deux manses sont tenus chacun par deux couples dont celui du maire, • le bénéfice de Nozay comprend 20 adultes dont 3 veuves et 5 célibataires, et 26 enfants. Il est surprenant de voir les enfants entrer dans la description des biens. • Tous les habitants de Nozay sont des colons « colonus et uxor ejus colona », • chaque tenure possède une vigne d'au moins un arpent. • la surface totale du domaine de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés sur le territoire de Nozay est environ 50 hectares (6).

La redistribution des terres

A partir de 903, les membres de la famille robertienne sont abbés laïcs des monastères de Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Martin-de-Tours, Marmoutier : Robert 1er, roi de France, puis Hugues II en 923 et enfin Hugues III en 956, devenu roi de France sous le nom de Hugues Capet (7). Comme à chaque changement de dynastie, ces personnages disposent des biens des abbayes et redistribuent des fiefs à leurs barons et officiers. C'est ainsi qu'Hugues Capet donne Montlhéry à Thibault File-Etoupe en 991 et, la même année, les terres de la rive droite de l'Orge à Jean Labbé.

Bien qu'Hugues le Grand, puis son fils Hugues Capet aient repris plusieurs domaines, ils finirent par les redistribuer à l'Église pour acquérir le soutien du clergé et des puissants monastères bénédictins et pour asseoir leur pouvoir de droit divin. Par exemple, l'abbaye de Saint-Magloire reçut d'Hugues Capet l'église et la localité de Poigny. Robert le Pieux aurait fait construire le monastère de Saint-Léger dans l'enceinte du château, entre 1026 et 1031. Ce même Robert vint poser la première pierre de l'église de Longpont au printemps 1031.

Cette partie d'histoire a été donnée dans de nombreux manuels. On pourrait lire les chapitres de l'abbé Lebeuf qui a rapporté l'essentiel.

Notes

(1) Fulrad, né en 710 et mort le 16 juillet 784, était le 14ème abbé de Saint-Denis. Il fut conseiller de Pépin le Bref puis de ses deux fils, Charlemagne et Carloman 1er. Il a également servi à la cour carolingienne en tant que chapelain et ambassadeur. Il fut être mêlé à tous les évènements d'où sortira le pouvoir temporel des papes. Le nouveau sanctuaire de Saint-Denis fut achevé sous son abbatiat.

(2) Fils cadet de Charles Martel et de Rotrude de Trèves, Pépin le Bref devint maire du palais à la mort de son père. Le maire du palais « quasi magister palatii seu Major domus regiæ », était la première dignité du royaume. Il portait aussi le titre de duc de France. Protecteur de pape Etienne II celui-ci lui apporte son appui spirituel et le sacre une seconde fois (754).

(3) Châtres est l'ancien nom d'Arpajon (ch.-l. cant., Essonne).

(4) La date de 798 (?), citée par certains auteurs (Dulaure) pour la donation de Pépin le Bref est erronée. Une autre confusion fut introduite (Jouanen) : «…une charte du Roi Pépin le Bref en l'an 768. Quelques années (?) avant sa mort le Roi fit don à l'abbaye de Sai nt-Denis de Mons Aetricus…».

(5) Un manse est à l'origine une tenure correspondant à une parcelle agricole suffisamment importante pour nourrir une famille. Le mot a évolué plus tard en “mas” et en “mesnil”.

(6) Le bonnier valait 128 ares 33 centiares sous Charlemagne. Il fallait 3,3 muids de froment ou 198 litres de semence par bonnier.

(7) Hugues III doit son surnom à sa “chape” d'abbé.

dagnot/chronique08.02.txt · Dernière modification: 2020/11/11 02:44 de bg