Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Les seigneurs de Bruyères-le-Châtel (1070-1459)

Chronique du vieux Marcoussy————————————————-Ajout août 2010 — Mars 2008

C. Julien

J.P. Dagnot

Dans une précédente chronique nous avions relaté les fameux Thomas de Bruyères qui régnèrent sur le village pendant plus de quatre siècles. La présente chronique (1) se propose l'étude complémentaire de la seigneurie de Bruyères-le-Châtel du XIe au XVe siècle, date à laquelle la terre des Bruyères échappa à l'illustre famille pour être vendue à Louis Bohan de la Rochette en 1459 (2).

Les documents anciens

Il semble que le plus ancien document mentionnant l'existence du château de Bruyères-le-Châtel soit la charte de l'abbaye de Saint-Florent de Saumur, qui date de 1070. Ce chastel aurait été construit sur les ruines d'un ancien monastère de religieuses dont ne subsiste au XIe siècle que la chapelle Notre-Dame. De cette forteresse appartenant au système de défense de la région parisienne, et élevée sur une éminence naturelle qui domine le village, il ne reste que très peu de vestiges.

Dans les chartes de Longpont antérieures à celle des Vaux de Cernay, nous trouvons les seigneurs de Brueriis qui appartiennent à la « familia de Monte Letherico ». Gui de Montlhéry, puis son fils Milon, grands barons du sud parisien, avaient groupé autour d'eux une clientèle de petits vassaux. Parmi eux, on voit les chevaliers de Bruyères, Hugues, Hervé et Thomas accompagnés leur sœur Agnès. Tous ont participé activement, comme témoins ou donateurs aux cérémonies du prieuré Sainte-Marie de Longpont.

Un second document indiscutable a été rédigé en 1090 à Longpont. On trouve le sénéchal Gautier et Hugues de Bruyères « Hugo de Bueriis & Galterius, dapifer » qui assistent Tevin de Forges et Rainald de Breuillet arbitres du différend opposant Anould Malviel et le prieuré de Longpont. Arnould se plaint que les moines ont usurpé les biens de sa femme défunte. Finalement, son beau-père Eudes vient éteindre la dispute en concédant les hostises, objets du contentieux (NDLP n°54).

Nous avions déjà vu lors d'une chronique sur les seigneurs de Janvry que vers 1100, “Simon de la Brosse ” donna à Ste Marie de Longpont toute sa terre qu'il possédait au Plessis excepté les bois (NDLP n°173). En 1162 et 1173, une donation de terre est faite au Plessis près de Bruyères « jouxta Bruieram apud Plesiz » pour laquelle Hugo de Plesiz et Isabelle, sa femme, sont concernés. Simon de la Brosse était également un homme influant puisqu'il a participé à de nombreuses donations à Longpont.

Toutefois, les documents sont muets sur Hugues de Bruyères. On sait qu'il fut un chevalier proche de la puissante famille de Montlhéry. Serait-il parti à la première croisade, accompagnant Milon 1er et tous les seigneurs du Hurepoix (3) ? Deux chevaliers de Bruyères, Hugues et Thomas assistent le prieur de Longpont en 1108 quand Gui Troussel, seigneur de Montlhéry, faisant son testament recommande tous ses biens au roi de France, Louis VI représenté par le sénéchal Anseau de Garlande. Gui confirme la liberté et l'exemption qui avaient été accordées aux moines de Longpont.

La charte de 1162 résume les donations reçues par l'abbaye des Vaux de Cernay ; notamment Thomas de Bruyères amortit le cens pris sur le pré du prêtre Hubert et son fils Gui donne le terrain d'une maison libre de droit censuel situé à Crucem (NDCV n°24). Entre 1150 et 1185, en examinant le cartulaire de St-Florent-de-Saumur, la Chapelle Saint-Thomas serait bâtie par Thomas II de Bruyères. Cette chapelle désignée “du Plesseiz” est nommée dans une bulle du pape Urbain III en 1186. En 1208, les frères de l'hospital font l'acquisition du fief du chevalier Hugues Barchel “ miles ” et Gila son épouse “ siz à Bruières ”. L'année suivante, suite à l'arbitrage de Pierre de Nemours, évêque de Paris, Thomas de Bruyères cède à l'abbaye St-Magloire de Paris la dîme du fief de Séquigny qui revenait à la cure de Sainte-Geneviève-des-Bois (charte LXIX)

En février 1205, le roi Philippe-Auguste donne aux Hospitaliers de Paris tout ce qu'il possédait à Bruyères-le-Châtel « quicquid habemus apud Bruerias castrum juxta Chastres » tant en droits féodaux qu'en terres cultivées et incultes, en vignes, prés et bois, en échange d'une rente de 30 livres, que le feu comte Robert de Dreux, son oncle, leur avait donné à Poissy. Les Hospitaliers pourront y avoir un marché hebdomadaire chaque mardi « semel in ebdomada, scilicet die martis, habeant mercatum ». Toutefois le roi se réserve le service militaire, c'est-à-dire la fameuse garde de la tour de Montlhéry qui était assurée par ses chevaliers « miles de Monte Letherico » (4).

La charte rédigée en septembre 1229 renseigne sur la complexité féodale. L'écuyer Hugues de Verville reconnaît que Renard de Sarmese fonda un obit, pour le repos de son âme aux moines des Vaux de Cernay, en donnant une vigne à « Vilers juxta Bruerias ». Symon de Cernay possède également un quart du droit féodal sur cette vigne chargée d'un denier de cens payable le jour de la St-Rémy (NDVC n°302). Une charte de 1232 accorde au chapelain de “ Plesseiaco juxta Bruerias ” la jouissance de trois charges de bois à brûler chaque semaine à prendre dans le bois du Buisson et pour les hoirs de Mulleron la jouissance du “ pourpris dans lequel est situé la maison du chapelain ”.

Thomas le glorieux seigneur de Bruyères

Contrairement à ce qui est souvent écrit, Thomas III de Bruyères est né bien avant 1200 comme il peut en être déduit avec ce qui suit. La confusion de parenté persiste avec une dame Marguerite de Bruyères épouse de Gosselin de Lèves. Une charte des Vaux de Cernay mentionne que Gosselin de Lèves « Jollanus, dominus de Lives » agit comme seigneur justicier de Bruyères-le-Châtel au nom de sa femme Marguerite. Nous sommes en 1226, Marguerite, née en 1285, ne peut être ni la mère, ni la fille de Thomas III de Bruyères. Il nous reste qu'elle puisse être sa sœur ou sa tante, fille de Gui Parvus de Bruyères. En tout état de cause, les seigneurs de Bruyères recevront le titre de seigneur de Lèves, par héritage collatéral sans doute.

Thomas III apparaît dans la liste des nobles qui possèdent des fiefs dans la châtellenie de Montlhéry sous Philippe-Auguste. Ils sont appelés « milites de fisco Montis Letherici » et la coutume exigeait qu'ils assurent la garde de Montlhéry. Vers 1201, Thomas III de Bruyères cède à la chapelle du Plessis les droits féodaux qu'il possède dans la dîme de blé de Bruyères et 2 muids de vin de rente à Doleinville.

C'est en 1210 que Thomas III, seigneur de Bruyères également connu sous le nom de Pons 1er, participe à la croisade contre les Cathares dite « croisade des Albigeois » conduite par Simon de Montfort sous le haut patronage du roi Philippe Auguste et du pape Innocent III (5). De cette épopée, Thomas revient, dans sa terre de Bruyères, couvert d'honneurs et pourvu de nouvelles terres du pays occitan. La construction du château, à une époque de grande stabilité, pourrait être l'œuvre de ce chevalier (6).

Nous pouvons supposer que Pons de Bruyères était un vaillant chevalier et un puissant seigneur puisque Simon de Montfort lui confia, en qualité de lieutenant, le commandement d'un corps de six mille hommes. Il réussit, en peu de temps à prendre les châteaux du Quercorb, enlever la puissante forteresse de Puivert après trois jours et quatre nuits de siège; sans fait d'armes, sans traité de paix. Il est fort probable que ses occupants aient fuit avant l'arrivée de Bruyères dont la réputation n'était plus à faire.

Thomas III a été marié en 1216 à Agnès de Beaumont-en-Gâtinais, fille d'Adam II de Beaumont et d'Isabelle de Mauvoisin, dame d'Aulnay. Agnès lui donna de nombreux enfants dont Thomas IV et Jean 1er qui suivent, deux autres fils Adam et Pierre et deux filles Mathilde et Jeanne. Thomas III mourut le 17 octobre 1251.

Jean le puissant seigneur de Bruyères

Jean 1er de Bruyères hérite, après la mort de son frère Thomas IV, d'un patrimoine considérable, constitué par toutes les terres et seigneuries acquises par son père Thomas III. On le voit seigneur de Bruyères, de Lèves et de fiefs à Arpajon (Chastres avant 1720), Chartres, Poissy, etc. Il possède de nombreuses seigneuries en Languedoc : Chalabre, Puivert, Nébias, St-Jean-de Paracol, Montjardin, Rivel, Sonac, etc. Preux chevalier comme son père, Jean part pour la terre Sainte dès 1292 où il meurt à Acre. Il avait épousé Eustachie de Lévis, la fille de Gui 1er de Lévis et de Guiburge de Montfort. Tout comme Thomas, le père de Jean, ce Gui de Levis s'était illustré lors de la croisade des Albigeois. Lieutenant de son suzerain, Simon IV de Montfort, il reçu les terres de Mirepoix, Florensac et Montségur, tous fiefs du Languedoc. Jeanne de Bruyères, sœur de Jean avait épousé le frère d'Eustachie, Gui II de Lévis, seigneur de Mirepoix.

En mars 1258, Jean et son frère Thomas IV « Johannes, dominus Brueriarum, et ego Thomas, miles, frater ejus », en tant que seigneurs éminents, amortissent les biens de Berchères que les chevaliers Thibaud de Poisvilliers, et des écuyers Hugues Payen et Guérin de Berchères avaient vendus aux moines des Vaux de Cernay (NDVC n°582). En novembre 1259, nous voyons Jean, seigneur de Bruyères-le-Châtel, chevalier et Eustachie, sa femme, s'opposer à la fermeture du cloître Notre-Dame, comme propriétaires d'une maison sise audit cloître. Cette maison fut vendue au chapitre de Chartres en 1302 par leur fils Thomas V de Bruyères.

Paraissant devant le grand Pastoral de l'Eglise de Paris en 1262, Jean et Eustachie vendent leurs biens à Chevrigny et à la Barre (hameaux proches de St-Rémy-les-Chevreuse), mouvant du fief de Hervé de Chevreuse, moyennant 1.600 livres . Les biens venaient du patrimoine de Jean puisque ses frères Thomas et Adam et sa sœur Mathide donnèrent leur consentement à la vente. Il semble que son frère Thomas IV décéda avant 1264.

Ce Jean de Bruyères se dira quelquefois de Poissy et apparaît sur cette dénomination lors de l'acquisition par le Déluge d'une partie de la seigneurie de Linas. En 1264, le roi saint Louis fait échange avec Jean de Poissy, de la terre de Bruyères-le-Châtel pour celle de Poissy et une partie de la forêt de St-Germain-en-Laye. L'acte du transport mentionne la baronnie de Bruyères-le-Châtel . Le sire est devenu baron.

En septembre 1276, Jean de Bruyères, seigneur éminent, accorde des droits féodaux à Jean Rousel de Laparruche demeurant à Châteaufort sur un arrière-fief dans la ville de Chastres qui est dans la mouvance d'un nommé Jean de Marcoussis « Jehannot de Marcoucis escuyer ». Cet arrière-fief composé d'une ferme et d'une étable chargées de 12 deniers à la St-Rémy avait été cédé par Thibaud Maillart.

Âgé de 48 ans, Jean est comblé par les faveurs royales. Il obtient la charge de chambellan du roi Philippe III le Hardi quand il chevauche avec ce prince vers l'Aragon. Comme de coutume, il s'allie avec des familles puissantes du royaume en mariant son fils avec la fille du comte de Blois et sa fille avec le vidame de Chartres.

Acte notarié du chevalier Jean 1 er de Bruyères (1276)

En septembre 1279, c'est un échange « à noble homme monseigneur Jehan sires de Bruières le chastel & à noble dame madame Eustachie feme dudit monsigneur, chevalier, dame de ce mesme lieu & à leur hoirs, pur échange, c'est à savoir une pièce de bois appelé le bois Egluy …. de la banerie du four et du molin & des cosnées appartenances du four et du molin ». Cet acte concerne un moulin sur l'Yvette à Palaiseau. La même année Jean « dominus de Brueriis Castro, miles, filius defunctorum domini Thome et Agnetis » confirme que les moines de Vaux de Cernay possède en mainmorte un muid de blé dans la grange d'Ollainville et une pièce de pré de 3 arpents à Bruyères près de la maison de Ysabelle de Torta-Via (NDVC n°807).

Nous arrivons à la fin du XIIIe siècle, “Thomas, sire de Bruyères, chevalier, confesse qu'il avoit pris et reçu à toujours de religieux homme frère Ychier de Manteuil, prieur, et des frères de la sainte meson de lospital saint Jehan de Jerusalem en France, le moulin que lesdits religieux avoient à Guisseroy et trente sous parisis de cens ou de rente que le commandeur de Chauffour prenoit chacun an sur leur meson du déluge pour ce que la meson du déluge tient de Chauffour au terrouer de Bruyères” . Quelques mois plus tard, nous retrouvons “frère Baudoin “commandeur à ce temps de la sainte maison de l'Hôpital de Jésuralem du Déluge en l'évesché de Paris ” pour une rente d'un setier de blé à Soucy (7).

Jean de Bruyères mourut en 1292. D'après l'abbé Lebeuf, il y a tout lieu de penser que la tombe dans l'église St-Didier « du chevalier représenté tout armé avec un chien à ses pieds, mort en MCCIIII xx et XI le samedi après la sainte Croix de Septembre » soit celle de Jean 1er. Ses armoiries sont trois chevrons et à sa gauche est un écu chargé d'un lion rampant, « l'emblème des Bruyères » depuis Pons 1er. Son fils, Thomas V, a épousé en 1310 Isabelle de Melun (1295-1361), fille d'Adam IV, vicomte de Melun, grand chambellan de France et sœur de deux archevêques de Sens. Ce couple vécut principalement en Languedoc dans leur terre de Puivert et fait reconstruire le « nouveau château », à l'est du Château Vieux dont les vestiges sont toujours visibles. Thomas, qui s'était distingué pendant la guerre des Flandres, fréquente les grands de l'époque puisque par lettres patentes données en 1314, Philippe le Bel étend les immunités de Puivert ; et il marie sa fille Jeanne au comte de Soissons.

Depuis l'expédition glorieuse de son père, Jean de Bruyères était devenu un puissant baron du Quercorb, petit pays de moyenne montagne placé entre Ariège et Haute Vallée de l'Aude, sur la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée. A la fin du XIIIe siècle, alors que Jean 1er de Bruyères était seigneur de Puivert, le château abritait une princesse. Elle aimait méditer sur les beautés du paysage, assise sur un rocher, en bordure du lac. La pluie gonflant parfois les eaux gênait la princesse dans sa contemplation. C'est pourquoi elle persuada le seigneur d'ordonner des travaux visant à abaisser le niveau du plan d'eau. Hélas, les rochers formant un barrage naturel cédèrent et l'eau se rua vers le nord, canalisée par la vallée, et détruisant Mirepoix par inondation en 1289. Cette version des faits donna lieu à une légende, dite ” de la Dame Blanche “.

Mais revenons à Bruyères-le-Châtel !

En décembre 1248, Pierre, frère de Jean, « dominus Petrus de Brueria, miles » reconnaît que la dîme et le champart de la terre de Fromengiis, située à Villehier et Corterbeuf appartiennent aux moines des Vaux de Cernay (NDVC n°467).

En 1297, Thomas V de Bruyères rachète un fief de Bruyères aux frères Hospitaliers. Il s'agit du bail à rente pris par Thomas de Bruyères du moulin de Guisseray appartenant à l'Hôpital de St-Jean de Jérusalem. C'est dans cet acte que l'on apprend que le commandeur de Chauffour prenait sur la maison du Déluge, les biens de Bruyères dont Guisseray.

Nous arrivons en décembre 1307 quand le seigneur de Bruyères-le-Châtel et le commandeur du Déluge font des « eschanges but à but sans soulte disant que vinrent en jugement devant Fremin de Quoquerel, garde de la prévosté de Paris, frère Guillaume de Sancerre, commandeur de Hessend, frère Jehan de Montlhéry, commandeur du Déluge, & Roger de Gildesbourg, élève procureur de Guillaume de Tochalle, prieur de la saincte maison de Lhospital de Sainct Jehan de Hiérusalem en Angleterre, que eulx au nom dudit prieur et pour le proffit de la maison font eschange & permutation de biens avec Monseigneur Thomas de Bruière, chevallier les héritages qui ensuivent, savoir le Délugedonne: - 32 sols de cens sur plusieurs maisons en la ville de Bruières , - derechef 17 sols sur des terres au terroir de Soucy, - derchef 10 sols sur plusieurs maisons en la ville de Lopigny, - derechef une pièce de bois à Marivaulx , qui soulloit estre tenu de lhostel du Déluge à deux deniers de cens par an, … En contre eschange Thomas de Bruyères cède 32 sols parisis sur plusieurs maisons à Chastres (Arpajon), en la rue Moran…. ».

Bruyères sous Madame Marguerite

Thomas VI de Bruyères, sénéchal de Carcassonne, meurt le 22 mars 1371. Outre la seigneurie de Bruyères, il avait hérité de son père les terres du Quercorb : Puivert, Nébias, St-Jean-de-Paracol et Montjardin, et acheté les droits que sa sœur Jeanne avait sur Puivert. Il laissait quatre filles de son mariage avec Béatrix de Varennes. L'aînée, Marguerite reçoit la seigneurie paternelle et devient « la dame de Bruyères ». Mariée avant 1374 à Guillaume V des Bordes, elle aura un fils marié à Jacqueline de Beauvais, Jean II des Bordes qui mourra sans postérité en 1412. Guillaume des Bordes, chambellan du roi, porte oriflamme, est tué en 1396 à la bataille Nicopolis contre les Turcs (8).

Le commandeur du Déluge, frère Jehan de Neudeviller, docteur en théologie, religieux de l'ordre st Jehan de Jérusalem, commandeur de l'hospital ancien de st Jehan de Jérusalem à Paris va nous faire connaître en 1437, les héritiers de Thomas de Bruyères. En effet il ressort un acte de 1297 par lequel ladite commanderie a droit de prendre recevoir par chaque an à quatre termes c'est à savoir, la somme de 45 livres parisis de rente annuelle sur la terre & chatellenie de Bruyères , en la vicomté de Paris et sur leurs appartenances et plusieurs autres terres et possessions à déclarer en temps et lieu … defaut paiements … peyne, double peyne, paier comme dit est feu Thomas de Bruyères , chevalier, et ses ayants causes, devait payer en 1297, le lundi prouchain après les brandons. La suite logique à cette époque pour default de paiement se feust meu procès envers cour de parlement entre les religieux dudit hospital demandeurs d'une part et feu Guillaume des Bordes chevalier à cause de Marguerite dame de Bruyères, Giraud de Voisins chevalier et Aleps de Bruyères sa femme, Rigaud de Veruh et Jehanne de Bruyères sa femme, et Gaston de la Payace escuier à cause de Ysabel de Bruyères, soeurs héritières et aiant cause dudit Thomas de Bruyères dès le 19 décembre 1374, défendeur d'autre part …, condamnés à payer aux religieux dudit hospital ancien ladite somme de 45 livres . Cet acte daté de 1346, de peu d'importance, nous donne sans ambiguîté les héritiers de Thomas de Bruyères.

Le 19 juin 1398, une lettre de souffrance d'hommage est donnée « pour les terres qu'elle tient en la vicomté de Paris, accordées à Marguerite de Bruyères, dame des Bordes, veuve de Guillaume, seigneur des Bordes, conseiller & chambellan du roi ». Marguerite de Bruyères, dame des Bordes et de Bruyères, fait foy et hommage le 20 juin 1402 pour sa terre et seigneurie de Bruyères, ainsi que pour la terre de Saint-Yon.

Après tous ses malheurs familiaux, Marguerite de Bruyères rédige son testament le 30 juin 1416 (9). Elle était restée veuve avec un fils Jean prisonnier des Turcs en 1397, lequel ne laissa point d'enfants. Elle donne le Fay à Linas à sa filleule Marguerite de Braye et fait quelques libéralités à sa cousine « la dame de la Rivière » et à sa nièce Marguerite de La Platrere. Une des clauses du testament est la demande de Marguerite pour que sa tombe soit érigée dans la chapelle Notre-Dame de l'église Saint-Didier où devaient être ramenés les restes de son fils et de sa bru. Marguerite se montre très généreuse avec ses serviteurs, distribuant près de 700 écus à ceux de Bruières et de Montlhéry, ceux du Nivernais et ceux du Vimeu dans les terres de son mari. La même générosité atteint le fils que son mari avait eu avec une servante, ” Jehan, le bastart des Bordes “ qui reçoit 100 écus. De plus, les exécuteurs testamentaires devront distribuer 8 deniers à toute personne assistant à son enterrement « Item, je vueil et ordonne une donnée estre faicte à tous venans de la somme de huit deniers Parisis à chascun le jour de mon obseque ».

Testament de Marguerite de Bruyères, dame des Bordes (30 juin 1416).

Malgré les troubles de la guerre de Cent ans et des difficultés économiques, Marguerite œuvre à augmenter son patrimoine. Quelques temps après le décès de son père en 1371, elle achète les parts qui lui manquaient sur un moulin à eau, dit “le moulin Moreau” sur l'Orge à Chastres moyennant 24 livres tournois. Il faut dire que son père Thomas VI avait acquis la plus grande part de ce moulin dès 1334.

Le 31 janvier 1417, le devoir de foi et hommage est fait par Thomas de Voisins, chevalier, après que Marguerite, dame des Bordes, se fût démise en la main du roi desdits foi et hommage. Cet aveu sommaire donné devant la Chambre des Comptes montre que Bruyères est concédé à Thomas de Voisins, chambellan de Charles VI. Qui est-ce Thomas ? Il pourrait être le neveu de Marguerite de Bruyères, le fils de sa sœur Alix mariée à Géraud de Voisins, puisque la seigneurie est passée dans les mains de la dame Voisins.

Puis, la châtellenie de Bruyères, qui dépendait depuis toujours de Montlhéry, retourne au domaine royal en janvier 1418. Marguerite de Bruyères décède en décembre 1419, au moment où la situation politique est confuse.

Aux environs de 1750, l 'abbé Lebeuf remarque dans la chapelle du collatéral sud de l'église Saint-Didier de Bruyères-le-Châtel, deux gisants de femmes, la tête reposant sur des coussins à glands et les pieds sur des chiens jouant avec des épitaphes en gothique minuscule, dont l'une indiquait : « Cy gist Noble Dame Madame Marguerite de Bruyeres Dame des Bordes et dudit Bruyeres, et femme de feu Messite Guillaume Seigneur des Bordes, jadis Chevalier, qui trèspassa l'an M CCCC et XIX. Priez Dieu pour elle ».

Les héritiers de Marguerite

Après l'assassinat du duc d'Orléans, 1410-1422 est troublée et politiquement instable. En vertu du traité de Troyes, Henri V épouse la fille de Charles VI, devient l'héritier de ce dernier et cumule les titres de roi d'Angleterre et de régent de France.

Suite à la confiscation des biens de Jean de Montagu, le duc Louis de Bavière, beau-frère du roi Charles VI était devenu seigneur de Marcoussis et Gometz-le-Châtel en 1410. Essayant de s'implanter dans le sud parisien, ses alliés, les barons Bourguignons, s'étaient accaparés les terres de ” l'empire Montagu “.

Charles VI a conclu un traité de paix avec le roi Henri V d'Angleterre, héritier et régent de France. En 1422 ce dernier a conquis le duché de Normandie dont il a déjà donné des terres. David de Brimeu, conseiller et chambellan du duc de Bourgogne, nous a toujour obéi et possédait des biens dans ce duché qu'il a perdu. D'autre part, Thomas de Voisins, naguères seigneur de Bruyères le chastel a esté et nous est rebelle, a fait et encore fait guerre à nous, … le chastel et seigneurie de Bruyères sont à nous forfaiz, confisquez, donnons cedons et transportons audit David de Brimeu et sa femme tant en recompensacion comme de don libéral le chastel et seigneurie de Bruyères …(11). Le roi Charles VI meurt la même année et la situation politique bascule. Bruyères reviendra quinze ans après dans les mains de la famille de Voisins.

Le 13 mars 1436, Philippe de Voisins, le neveu de Marguerite, rend foi et hommage au roi pour sa terre et baronnie de Bruyères qu'il possèdera jusqu'à sa mort en 1455. Ce personnage est le frère du chambellan Thomas ; il avait épousé, le 30 septembre 1432, Gabrielle de Carmaing qui lui donna deux fils Michel et Jean II de Voisins, seigneur de Puivert, qui hérite de Bruyères. La foi et hommage est faite par Jean de Voisins, 2 juin 1455 pour ses terres et baronnie de Bruyères. Jehan de Voisins décède le 30 juin 1457.

La famille Voisins s'était installée dans le midi de la France où elle s'était faite une mauvaise réputation. En l'année 1379, Guiraud de Voisin, le gendre de Thomas VI de Bruyères, avait intenté un procès contre les puivertains, qui refusaient la garde du site pour laquelle ils avaient été exemptés de taxes royales. Son petit fils, Jean II de Voisins, épousera Paule de Foix Rabat, mariage qui augmenta ses titres déjà considérables. Un procès déchira les familles de Levis-Mirepoix et Voisins au décès Elipside, sœur de Jean V de Levis, trépassée sans enfant de son mariage avec Philippe de Voisins. La somme de 8.000 livres de dot était réclamée à Jean II qui s'acquitta.

À la sortie de la guerre de Cent ans, tout était dans une égale désolation aux environs de de Bruyères. On se souvient de la sanglante chevauchée d'Edouard III, du siège de Chastres et de l'incendie de l'église. Le seigneur de Bruyères-le-Châtel, dans un aveu de 1462, déclarait complètement détruits les villages de Baillot, Couart, le Petit-Ruot, la Verville , Repenty, Saint-Maurice, Arvy, Loppigny, le Plessis de Bruyères, Mulleron, qui comptaient avant la guerre une centaine de feux. A Trou, dans la même seigneurie, il n'y avait plus qu'un laboureur, à la Roche un ménage, à Ollainville six ménages, au Grand-Ruot deux ménages. C'est pour toutes ses raisons que la famille de Voisins vendit la seigneurie de Bruyères en 1459 à Louis Bohan de la Rochette.

Les fiefs et arrière-fiefs de Bruyères

Dans la complexité de la propriété féodale, nous avons vu que plusieurs seigneurs se partageaient le territoire de Bruyères-le-Châtel, tant laïcs qu'ecclésiastiques. Parmi les institutions religieuses, on note : l'abbaye St-Florent-de-Saumur, l'abbaye de Bourgueil, l'abbaye des Vaux-de-Cernay, les frères Hospitaliers de St-Jean, mais aussi l'Eglise de Paris, qui, par l'entremise de son évêque, avait droit de visite et recevait la redevance du Piment . Ainsi, le prieuré Saint-Didier, la chapelle Saint-Thomas et le manoir des Moines-Blancs étaient des centres religieux importants. Parmi les seigneurs laïcs, on compte : le roi dont Bruyères est dans la mouvance, mais aussi qui possède des fiefs en propre, et la famille de Bruyères bien évidemment.

Nous avons décrit et nommé les seigneuries extérieures détenues par les Bruyères, celles du pays occitan. Mais il convient également de remarquer les nombreux fiefs éparpillés çà et là dans les environs. Comme par exemple « la Boucherie de Châtres avec ses cens et appartenances, tenue et mouvant en fief du seigneur de Bruyères-le-Châtel ».

Sous le règne de Philippe Auguste, Thomas, seigneur de Bruyères-le-Châtel, possédait une partie de la dîme de Bries , et la donna à la chapelle Saint-Thomas-du-Plessy ; ce don fut confirmé en 1201 par Eudes de Sully, évêque de Paris.

De nombreux aveux et dénombrements sont rendus au seigneur de Bruyères-le-Châtel, pour la seigneurie des Granges-les-Châtres aboutissant sur la rivière d'Orge dont deux articles concernaient Bruyères-le-Châtel : 2 sols parisis de cens annuel à percevoir sur les vignes du prieur de Saint-Didier de Bruyères et 10 sols parisis de cens annuel à prendre sur les fossés de la basse-cour du château de Bruyères, sous la vieille porte. Plusieurs arrière-fiefs de Basville relevaient avec la seigneurie de ce lieu du fief des Granges-les-Châtres et par suite de Bruyères-le-Châtel (10).

Notes

(1) Cette chronique est documentée par le cartulaire de l'abbaye Notre-Dame des Vaux-de-Cernay (noté NDVC ) et par celui du prieuré Notre-Dame de Longpont (noté NDLP ). Les notices des communes de l'Aude ont été également utilisées.

(2) Voir l'ouvrage de Mme Balufin pour les seigneurs de Bruyères après 1459.

(3) Milon 1er partit à la première croisade entouré de son fils Gui Troussel, son frère Gui le Rouge, son neveu Hugues de Crécy, son beau-père Etienne II de Blois qui, comme son gendre, trouva la mort à Ramla (Palestine) en 1102, et une multitude de chevaliers voisins. Dans une notice historique, on peut lire « Les Bruyères étaient une famille depuis longtemps considérable ; lors de la croisade l'un des aïeux de Pons avait pris en 1089, le nom du fief de Bruyères le châtel, situé dans la foret d'Ivelisse, Seine et Oise, prés de Montlhéry, parce qu'il en avait reçu l'investiture de Beaudoin, comte de Flandres, son oncle et tuteur du roi Philippe 1er ».

(4) Rappelons que les frères de l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem étaient installés au Déluge, à moins de deux kilomètres (cf. Chronique ” le Déluge à Marcoussis “).

(5) La croisade fut déclenchée à la suite de l'assassinat du légat du pape, Pierre de Castelneau, mort à St-Gilles-du-Gard le 14 janvier 1208. Immédiatement, le pape Innocent III promulgue l'encyclique de mars 1208 qui appelle les barons du nord de la France à se croiser contre les hérétiques d'Occitanie.

(6) Le château de Bruyères-le-Châtel aurait été construit sur les ruines d'un ancien monastère de religieuses dont ne subsiste au XIe siècle que la chapelle Notre-Dame. De cette forteresse appartenant au système de défense de la région parisienne, et élevée sur une éminence naturelle qui domine le village, il ne reste que très peu de vestiges. De nouvelles fortifications sont édifiées au XIVe siècle, dont subsistent la poterne d'entrée avec les tourelles, les mâchicoulis et les traces de la herse d'un pont-levis.

(7) Guisseroy [Guisseray, à la limite de Bruyères et de Breuillet], Chauffour [Chauffour-lès-Etréchy], Soucy [comm. de Fontenay-lès-Briis].

(8) D'après Froissart, ce Guillaume V des Bordes, seigneur de Beaumont-la-Ferrière, s'était rendu célèbre pour avoir pris la ville de Châtellerault en 1370 « et messire Guillaume des Bordes en la garnison de la Haie en Touraine, et Kerlouet à Saint-Savin, ils mirent secrètement sus une chevauchée de gens d'armes et de compagnons, et vinrent écheler sur une ajournement la ville de Châteauleraut …». Il participe à la Guerre de Cent ans comme capitaine de Valognes « et fut messire Guillaume des Bordes pris[onnier] d'un écuyer du Hainaut, nommé Guillaume de Baulieu. Ainsi furent menés à Cherbourg ; et là trouvèrent messire Olivier du Guesclin aussi prisonnier ». Il est un des favoris de Charles VI à la bataille de Rosebec. On le retrouve à la bataille de Nicopolis (25 septembre 1396) comme porte-oriflamme aux côtés du duc de Bourgogne, du comte d'Eu et du roi de Hongrie. Il y perdit la vie et son corps fut rapporté aux Célestins pour y être inhumé le 12 novembre 1397.

(9) Ce testament mentionne que deux curés servaient la paroisse de Bruyères, situation exceptionnelle dans l'évêché de Paris. En février 1439, Jehan de Préaulx est prieur de Saint-Didier de Bruières.

(10) D'après Histoire de La Norville , par l'abbé Genty (1885), chapitre 10.

(11) acte provenance Pascal Herbert.

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