Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Guy Troussel est-il un voyou ?

Les domaines de la famille Montlhéry-Rochefort sur la carte de l'Ile-de-France par Sanson d'Abbeville (1648)

Avril 2008

C. Julien

Chronique du vieux Marcoussy

«La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j'ai vu les plus honnêtes gens prêts d'en être accablés» ( Eloge de la calomnie par Beaumarchais, Le Barbier de Séville, II, 8)

Pendant plus d'un siècle, les chevaliers de Montlhéry « Mons Letherici ou Mons Aericus » que certains nomment comtes, sires ou barons, ont été pourvus de charges royales : forestier, sénéchal (1). Pour certains auteurs, ces seigneurs étaient de terribles brigands, des pillards, des tyranneaux de l'Ile-de-France, etc… ; tous ces écrits sans aucune justification historique. Aussi, parmi les notices récentes de nombreuses inexactitudes fourmillent, introduites par des généalogistes qu'il convient de lire avec beaucoup de réserves (2).

Le propos de cette Chronique est de rétablir une certaine vérité pour la réhabilitation qui devrait être écrite sur un homme, Gui Troussel , « Guido Trusellus », que l'on accable de tous les maux.

Une mauvaise réputation

Il est évident que Suger maltraita ses contemporains, les grands barons de l'Ile-de-France. Toute cette mauvaise réputation fut établie par Suger, le biographe de Louis VI le Gros « vita Ludovici Grossi regis » qui apparaît bien souvent excessif et partial. Sa plume devient terrible envers les personnages qui n'entrent pas dans ses vues. Même le roi Philippe 1er est taxé « d'être emporté par la violence de son désir pour la femme », péché dont il mourut en juillet 1108 (3). Suger devient un abbé très influent qui prône le centralisme auprès de Louis VI.

De nombreux exemples montrent que les difficultés des Capétiens ne provenaient pas de la féodalité mécontente mais de l'intérieur agité et des drames domestiques qui rendaient singulièrement difficile, pour les successeurs de Hugues Capet, l'accomplissement de leur devoir de roi. N'oublions pas, aussi, que le roi Louis VI porta le sobriquet de Batailleur .

Parmi les preuves à charge « ce prince turbulent [Louis VI], mais brave et intelligent, passa son règne à batailler pour agrandir le royaume et affermir la royauté », on comprend que la politique des capétiens tendait à réduire, avec l'appui du clergé et des villes, les privilèges des grands vassaux, et à rétablir une administration centralisatrice sur le modèle carolingien. Les seigneurs de Montlhéry et du Puiset sont alors présentés comme des ravageurs des campagnes et des détrousseurs de pèlerins et voyageurs (4). Pour l'abbé de Saint-Denis, Hugues le jeune, seigneur du Puiset « ne devait sa puissance qu'à sa tyranie, son père était d'un orgueil étonnant, … ceux que son père frappait de verges, il les battait à coups de scorpion ».

Peut-on considérer que l'abbé Suger soit impartial ? (5)

À la décharge, il faut savoir que le roi avait bien apprécié les services de son grand-père Hugues le Vieux, qui avait pris parti pour ce prince, et retint prisonnier au château de Montlhéry l'évêque Yves de Chartres lors de l'excommunication provoquée par l'entrée de Bertrade de Montfort dans la couche royale.

Le même état d'esprit se rapportait aux Montlhéry-Rochefort. Le chroniqueur de Morigny parle de Hugues de Crécy, cousin de Gui Troussel à peu près dans les mêmes termes « Vir audax et manu promptus, simulator et dissimulator cujusvis rei, oppressor pauperum et agricolarum cupidus interemptor », homme hardi et de main prompte, hypocrite et dissimulateur en toute espèce de matières, oppresseur des pauvres, tueur de paysans par cupidité.

Tous ces antagonismes allaient bientôt finir, en cette fin de XIe siècle, avec une entreprise religieuse et idéaliste nouvelle qui tourna les énergies et les goûts batailleurs : la libération du Saint-Sépulcre. En prêchant la grande Croisade, Urbain II et Pierre l'Ermite rendirent un immense service à la jeune royauté. On notera que le roi en personne se garda de participer, envoyant seulement son fils cadet, Hugues de Vermandois.

La famille de Montlhéry

Depuis le Xe siècle, la famille de Montlhéry faisait partie de la « regis familia » depuis que le grand-père Thibault venant de sa Brie natale avait reçu Montlhéry des mains de Hugues Capet. « Tempore Roberti régis, Theobaldus cognonime Filans stupa firmavit montem Lethericum » (6). En fait, les Montlhéry étaient feudataires de l'évêque de Paris qu'ils étaient tenus de porter à chaque prise de fonction.

Le roi Robert II avait fait de Gui 1er son forestier (7). Celui-ci fut en grande estime auprès du roi Henry 1er, «servoit aussi le roi Philippe I en diverses occasions, & tenoit un des premiers rangs entre les seigneurs de sa suite ès années 1067, 1069, & 1071». Il fonde avec sa femme Hodierne de Gometz l'église de Longpont en 1031, puis le prieuré Sainte-Marie en 1061. De même ce couple fait de libéralités au prieuré Saint-Clément de Chastres (Arpajon) en 1067. Il donne à la sollicitation d'Hodierne à l'abbaye de Saint-Pierre de Bourgueil, les églises de Chevreuse avec leurs appartenances, du consentement de Milon et de Guy leurs enfants. Sur la fin de sa vie, il se rend religieux à Longpont sous le prieur Etienne, et au jour qu'il prend l'habit, il donne, avec le consentement de toute la famille, le moulin de Grotteau avec sa banalité.

Par un autre diplôme, Milon le Grand et Gui le Roux, les fils de Gui et Hodierne , abandonnent tous leurs droits sur Grotteau. Ce même Gui le Roux, seigneur de Gournay, qui devient sénéchal en 1093, fonde un prieuré qu'il donne vers 1079 au monastère Saint-Martin-des-Champs de Paris. À ce don, il ajoute la chapelle du château, qui deviendra par la suite l'église paroissiale Saint-Arnoult, et le moulin. Milon le Grand rétablit l'église de Saint-Sauveur-de-Bray, fondée par Bouchard 1er seigneur de Bray, laquelle était en ruine ; et étant à Chevreuse, il ratifie entre les mains de Baldric, abbé de Saint-Pierre-de-Bourgueil, le don que son père avait fait à ce monastère des églises de Chevreuse.

Le personnage Gui Troussel

Gui Troussel nait vers 1072, fils de Milon 1er le Grand. Sa mère Litause ou Lithuise (v. 1045-1112), vicomtesse de Troyes, pourrait être la fille d'Eudes de Blois. Gui reçoit l'éducation de chevalier dont les qualités sont sagesse, prouesse, générosité, fidelité et piété . Il est imprégné par les valeurs de la chevalerie inculquées par son père, son oncle le sénéchal Gui et par tous les chevaliers « miles » de Montlhéry. Il est aussi instruit par les chanoines du prieuré Saint-Pierre du Château que son grand-père Gui 1er avait fondé.

La plus grande partie du territoire francilien est contrôlés par les oncles, cousins et alliés de Montlhéry. Héritier de l'une des grandes familles aristocratiques franques, les Montlhéry-Rochefort, Gui succéda à Milon dans la seigneurie de Montlhéry et à Chevreuse. Il a trois sœurs, Isabeau, Emmeline et Marguerite, et deux frères Milon II et Renaud. Milon, vicomte de Troyes reçoit la seigneurie de Bray et Renaud deviendra vicomte de Troyes à la mort de son frère et coiffera la mitre de cette ville. Du mariage disproportionné de Milon II avec Lithuise de Blois (1112), la fille d'Etienne-Henri de Blois, le gendre de Guillaume le Conquérant, la famille de Montlhéry appartient à la haute société du XIIe siècle du point de vue nobiliaire.

Gui Troussel est marié à Mabilia nommée dans une charte de Longpont ou Adelaïs selon la chronique de l'abbaye de Morigny. L'épouse de Gui était, pour le dire brièvement comme Georges Duby, pieuse ( religiosa ), sage ( sapientia ) et pleine de sollicitude ( sollocita ). La comtesse, présentée comme la femme idéale, ne donna qu'une fille unique à Montlhéry, prénommée Elisabeth. Mabilia et son chapelain Raoul assistent le prieur de Longpont quand Philippe de Mantes confirma que l'église possédait les redevances qui avaient été cédées par les chevaliers du fisc de Montlhéry. En 1110, on retrouve Mabilia qui consolide la donation faite par son mari des terres et du village de Ver (charte CC). Pour certains auteurs, Gui aurait été marié deux fois, d'abord avec Mabilia, puis devenu veuf, avec Alès ou Adelaïde, dame de la Ferté.

Outre leur énorme patrimoine, les Montlhéry-Rochefort tiennent les donjons les plus réputés des environs de Paris et étendent leur juridiction sur 300 paroisses et plus d'une centaine de fiefs ; ils s'avancent comme les protecteurs de l'Eglise (8). Sous leur patronage, pas moins de cinq couvents furent créés et une dizaine d'églises redistribuées aux ecclésiastiques. Ces faits sont donc contradictoires avec la mauvaise réputation propagée par l'abbé Suger. Guy hérita de tous les domaines de Milon le Grand excepté la vicomté de Troyes.

Vers 1105, les officiers de la propre maison de Guy Troussel : le prévôt Landry, Raintroy de Chevreuse, Foucher Falmeschon, les chambriers Rainbert et Mascelin, et l'écuyer Gérard signèrent la charte de donation d'une vigne à Champlan aux Religieux de Longpont (charte CCXXI). À la même époque, le prévôt Landry était lui-même suzerain de Gislebert « Gislebertus, clyens ipsius Landrici » (charte CCX).

De nombreux textes témoignent de l'extrême pitié de Gui Troussel. Tout d'abord très attentionné par l'œuvre de ses grands-parents : le prieuré de Longpont pour lequel il demande la protection du roi « eum subnixe rogavit ut ecclesiam sancte Marie de Longo Ponte ejusque habitatores custodiret » . Avant de partir à la Croisade il approuve le legs du village de Ver par son père « de terra & villa que dicitur Ver hoc firmo, laudo & corroboro quod filius meus, Guido, & uxor mea secerint & laudaverint ». Avec le consentement de sa femme et de son père, Gui donna les églises de la Ferté-Baudouin à l'abbaye de Morigny « ecclesias de Firmitate Balduini dedit Guido Trodellus, hujus loci fidelissimus, concedente uxore sua Adelaide ». En 1096, au moment de partir pour la Croisade, il avait remis au chapitre de Notre-Dame de Paris un droit de voirie dont il jouissait à Itteville, un bois au Bouchet et la vigne de Bannioli « eodem die, obiit Guido Trossellus, qui viariam Steoville et Boschetum silvam dedit nobis, et feodum vinearum Hildeart Bannioli, cujus anniversarium debet fieri » (charte LXXV). .

La tragédie montlhérienne

Trois grandes forces travaillaient la société féodale du sud parisien en cette fin de XIe siècle. Celle de la famille royale, celle de l'Eglise et notamment des communautés monastiques (9) et celle des barons regroupés autour de Montlhéry-Rochefort. Sachant qu'à l'intérieur de chaque famille des divergences sont apparues au gré des alliances.

Prologue. A la fin du XIe siècle, les alliances des Montlhéry constituent un large réseau de nobles qui s'engagent massivement dans la Croisade. Pas moins d'une dizaine de chevaliers du “clan montlhérien” partent en 1096 pour conquérir Jérusalem (10).

Il faut dire de Gui 1er de Montlhéry et sa femme Hodierne de Gometz ont soigneusement mariés leurs 3 fils et 5 filles. Guillaume seigneur de Gometz reçoit la dot de sa mère ; Alix est mariée à Hugues 1er Blavons, vicomte de Chartres et châtelain du Puiset est dotée de la seigneurie de Villepreux ; Mélisende l'aînée est unie à Hugues de Rethel dont le fils Baudouin deviendra roi de Jérusalem ; Ermensende se marie avec Gautier de Saint-Valéry ; Elisabeth née en 1048 épouse Josselin 1er, seigneur de Courtenay en 1065 ; Melisende la Jeune est mariée à Pons de Traynel, seigneur de Pont-sur-Seine ; et le fils aîné, Milon né en 1040 hérite des seigneuries de Montlhéry, Chevreuse et Bray-sur-Seine (11).

Le troisième fils, Guy 1er de Rochefort dit le Rouge né en 1042, a épousé en premières noces Aélis de Rochefort qui lui apporte la seigneurie paternelle, puis il épouse en 1076 Elisabeth de Crécy « comitissa de Creciaco castro » veuve de Bouchard de Corbeil, fille de Hilduin IV de Ramerupt, comte de Montdidier et d'Alix, comtesse de Roucy. De cette union naîtront deux fils et deux filles : Guy II comte de Rochefort, Hugues seigneur de Crécy, Luciane fiancée à Louis VI le Gros et Béatrice, la femme d'Anseau de Garlande. Guy le Rouge est sénéchal de France. Il décède en mars 1108 peu avant son neveu. Il est inhumé dans le prieuré de Gournay-sur-Marne qu'il avait fondé.

Les intrigues au sein même de la famille royale sont nombreuses. Le prince Louis, fils aîné du roi et de Berthe de Hollande a été couronné avec son père à Reims. Philippe 1er est remarié avec Bertrade de Montfort, sœur d'Amaury III de Montfort, qui lui a donné trois enfants : deux garçons Philippe comte de Mantes, et Florus, et une fille Cécile qui épouse Tancrède d'Antioche. Le seul but de Bertrade est d'évincer Louis du trône de France pour y placer son fils Philippe « cette marâtre qui avoit dessein de l'ôter du monde [Louis VI] de quelque manière que ce fût, …, et luy fit donner le boucon dont il languit quelque tems, & courut risque de sa vie ».

Acte I. Depuis 987, le grand dessein capétien est la restitution de l'empire de Charlemagne. Mais on est bien loin du compte. Louis VI a embrassé la cause des moines de Saint-Denis et est conseillé par l'abbé Suger dont il a fait son ministre. Dès le début du XIe siècle, l'Eglise a entrepris la reconquête de son temporel et ses droits féodaux arrachés par les seigneurs laïcs aux temps troublés précédents. Cette politique est exactement en phase avec celle des Capétiens qui veulent réduire les privilèges des grands barons. Suger écrit en 1090 que deux “ barrières ” empêchent l'extension vers le sud, Montlhéry et le Puisset, tenues par les deux beaux-frères Milon et Hugues bien que la charge de sénéchal « dapifer » ait été confiée à Gui Troussel par le roi quelques temps avant son départ pour la Palestine pour y rejoindre son père.

Entracte. Pendant plus de 4 ans le petit domaine capétien retrouve la paix, faute de combattants. Tous sont partis en 1096 pour reconquérir Jérusalem. La première Croisade est conduite par Godefroy de Bouillon et le prince Hugues le Grand, frère du roi et comte de Vermandois. Il meurt en Terre Sainte en 1101. Certains seigneurs ont d'ailleurs reproché au roi de ne pas avoir participer à cette expédition, préférant rester dans les bras de sa nouvelle femme Bertrade de Montfort qu'il a arraché des mains du prétendu violent comte d'Anjou, Foulque IV le Réchin.

Mézeray écrivit “ Il n'y voit si petit seigneur qui ne bravait le Roy Philippe, endormi entre les bras de sa Bertrade, Mile Seigneur de Montlehery, & Gui Troussel son fils, le tenoient fort en presse par le moyen de leur chasteau de Montlehery, & de quatre ou cinq autres qu'ils avoient en ces quartiers-là, avec quoy ils gourmandoient tout le païs, & rempoient tout le commerce de Paris & d'Orléans …”.

Gui de Rochefort, l'oncle de Gui Troussel, reçoit la charge de grand sénéchal et part pour la Terre Sainte avec son fils Hugues en 1097 « peut-être pour ne se point même, comme il y eus testé obligé par la coutume d'alors, dans les guerres de ses parents contre le Roy son bienfaiteur ».

Acte II. En 1098, le retour de Gui Troussel à Montlhéry n'est pas passé inaperçu « unde cum Guido Trusellus, a via Sancti Sepulchri donum repedasset ». Il revient de Terre Sainte ruiné et précédé d'une fâcheuse réputation. Les récits sur les épisodes de la première croisade font état des désertions de certains chevaliers francs. « Après l'attaque des Turcs, il en résulta pour les Chrétiens un grand désespoir. Quelques uns refusèrent le combat et eurent la bassesse de fuir ». En effet, Guillaume de Grandménil et Alberic son frère, Lambert-le-Pauvre, Gui Troussel et plusieurs autres chevaliers normands étaient épouvantés de la bataille d'Antioche « et, se préparant à fuir le lendemain, ils avaient attaché des cordes aux murailles ». C'est pourquoi on les appela les furtifs funambules et Gui Troussel revient d'Antioche sous le nom de danseur de cordes . Il a suivi le beau-père de son frère, Etienne-Henri de Blois, découragé par les rigueurs et les difficultés du siège d'Antioche. Ils désertent la ville assiégée dans la nuit du 10 au 11 juin 1098, afin d'éviter une mort inéluctable. Mais malheureusement pour leur réputation, des croisés survivent, et réussissent à reprendre Jérusalem en 1099. Milon le Grand périt à la bataille de Ramla, le 17 mai 1102. Fin de l'acte.

Acte III. En 1104, au lieu de traiter les Rochefort-Montlhéry comme l'ont été les Montmorency, les Beaumont et les Roucy, dont le jeune Louis, dans les années 1101 et 1102, a pris les châteaux tout en s'en faisant de fidèles compagnons pour l'avenir, on les fait entrer dans la famille royale et dans le Gouvernement. Le roi accueille Guy le Rouge, tout auréolé de gloire et de richesses de retour de la Croisade , et lui remet la charge de grand Sénéchal « avec de grandes démonstrations d'amitiés ». Puis, deux mariages sont envisagés pour sceller la paix entre les Montlhéry et la famille royale. D'une part, le prince Louis est fiancé à Luciane de Rochefort âgée de 10 ans, fille du sénéchal. Ce dernier projet n'aboutit pas car les frères Garlande, rivaux de la famille de Montlhéry, ont intrigué auprès du roi et obtenu que celui-ci ne marie pas son fils sous prétexte de parenté (12). Finalement, Luciane de Rochefort accepte les bras de Guichard III, sire de Beaujeu en 1107. D'autre part, Philippe, le demi-frère de Louis, est fiancé à Elisabeth de Montlhéry, la fille unique de Gui Troussel et de Mabilia. Fin 1104, le mariage d'Elisabeth et Philippe est célébré « à condition que Guy [Troussel] luy délivrât le chasteau de Montlehery comme il fit. En échange il luy [le roi Philippe 1 er ] donna le chasteau de Meun sur Loire qu'il avait acquiq par confiscation ». Fin de l'acte.

Acte IV. La tragédie s'ouvre en 1105, quand Milon II de Bray, le frère cadet de Gui Troussel, vient se plaindre que la donation de Montlhéry a été faite sans son consentement comme la coutume féodale l'exige par le retrait lignager . Il réclame justice « de ce qu'on ne luy avoit point réservé sa légitime sur cette Comté ». Avec l'aide des frères Anseau et Etienne de Garlande, il veut s'emparer de Montlhéry où sont la comtesse de Rochefort et sa fille Luciane. Le sénéchal Gui le Rouge, oncle de Gui Troussel et beau-père d'Anseau de Garlande y mit bon ordre en entraînant les Garlande dans son camp. Ainsi, son neveu Milon de Bray, vicomte de Troyes est mis en fuite et les Garlande remis dans les bonnes grâces du roi. Fin de l'acte.

Acte V. C'est l'affaire de la Ferté-Baudoin ( La Ferté-Alais ) en 1108 qui relance la dispute. Cette place est tenue par Gui le Rouge « Guido Rubens » et son fils Hugues de Crécy « Hugo Creciacensis », qui retiennent prisonniers le comte de Eudes Corbeil, demi-frère de Hugues et Anseau de Garlande, gendre de Gui. Il faut dire que la famille de Rochefort a été humiliée à plusieurs reprises par Louis VI. Une première fois à la suite d'un convoi de chevaux allemands à Gournay dont Hugues contrôlait le péage sur la Marne ; une seconde fois par l'annulation du mariage d'avec Luciane de Rochefort ; une troisième fois par la révocation du sénéchal pour donner la charge à Anseau de Garlande et puis la trahison d'Anseau de Garlande à qui Gui avait donné la main de sa fille Béatrice et finalement l'accaparement de Montlhéry par un prince illégitime. Après un siège de plusieurs semaines, le roi libère les prisonniers. Les belligérants s'échappent de justesse. Fin de l'acte.

Acte VI. Se sentant perdu, Gui Troussel fait un testament pour confier Montlhéry au prince Louis. D'après Luchaire, Gui Trousseau a remis la terre de Montlhéry aux mains de Louis « in manu domni Ludovici commendavit » car sa fille Élisabeth étant morte sans enfants, Philippe de Mantes, son mari, n'avait plus aucun droit sur l'héritage du domaine de Montlhéry. Devant le vicomte Hervé de Melun, le sénéchal Anseau de Garlande et l'archidiacre Etienne, les témoins de Louis le Gros, roi désigné, c'est l'acte par lequel il déclare remettre sa terre de Montlhéry entre les mains du prince en le priant de placer sous sa sauvegarde le prieuré de Longpont qui faisait la fierté de la famille. Gui Troussel expire le 17 avril 1108, peu de temps après son oncle Gui le Rouge.

Plus tard, Milon II de Montlhéry, accompagné de son neveu Guy de Dampierre, du sénéchal Gautier et du prévôt Duran, vient faire un obit à l'église de Longpont « pro anima fratis sui, Guidonis Trosselli » constitué par l'hostise de Benoît, fils de Goburgis (charte XLVI).

Le 29 juillet 1108, le roi Philippe 1er meurt à Melun et est inhumé à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, où il avait choisi sa sépulture. Avec Louis VI, son successeur promptement sacré roi à Orléans par peur que son frère adultérin ne le devance à Reims, commence la période d'activité de la monarchie capétienne. Le moment était venu. Si un prince apathique l'avait laissé passer, l'avenir de la France eût été bien compromis. Louis le Gros était énergique et il partit d'une idée simple : être le maître chez lui. Il entreprit des opérations de police militaire destinées à nettoyer le pays : c'était le programme que son père lui avait indiqué quand il lui montrait le donjon de Montlhéry comme le premier obstacle à renverser. L'ambition du roi de France, au commencement du XIIe siècle, était d'aller sans encombre de Paris à Orléans.

Epilogue. En 1110, une nouvelle ligue entraîna le nouveau seigneur de Montlhéry à s'opposer au roi « pour celle [la seigneurie] de Montlehery, les liguez, afin de la mieux garder, la voulurent donner à Hugues de Crécy, avec une fille d'Amaury [de Montfort] en mariage : mais le Roy le prévint, & la rendit à Milon vicomte de Troyes, qui y avoit quelque droit ». En 1111, Milon II de Bray se laissa entraîner dans une guerre dirigée par son cousin Thibaut de Blois et fut même accusé de manœuvres incestueuses par le grand canoniste Yves de Chartres.

La suite de cette affaire a été écrite dans la Chronique de Morigny et reprise par de nombreux auteurs. En 1118, Hugues de Crécy ne pouvant supporter d'être dépossédé au profit de Milon II de Bray, s'empara de son cousin, l'enferma dans son château de Rochefort « ne sçachant où le garder que le Roy ne le délivrast, ni le relâcher qu'il ne se vengeast, il le fit étrangler la nuit dans le chasteau de Gommets, & puis jetter le corps par la fenestre ». Milon fut enterré au prieuré de Longpont en présence du roi Louis VI le Gros et de toute l'aristocratie de la région (13). Le meurtrier dut comparaître en duel féodal dans la « Cour d'Amaury de Montfort ». Refusant le duel, il abandonna ses terres et prit l'habit de moine au prieuré de Saint-Martin-des-Champs à Paris où il mourut en 1147.

Finalement, Montlhéry fut confisqué par le roi Louis VI le Gros en 1118 et entra dans le domaine royal sous le nom de châtellenie royale de Montlhéry (14). En 1137, Louis VII installa un prévôt royal à Montlhéry ; ainsi les terribles soucis des capétiens étaient définitivement effacés.

En fait, après la disparition de la famille de Montlhéry, la nature refusant le vide, c'est une nouvelle famille qui succéda sur le devant de la scène, les Montfort.

Gui Troussel était-il un mauvais garçon ?

Sur Gui Troussel, on a dit beaucoup de sottises sur son anarchisme jusqu'à inventer que son surnom dérive de Trousset, qui veut dire le « détrousseur ». Pour d'aucuns, les chevaliers de Montlhéry étaient des « seigneurs brigands ». On lit dans Suger que Gui Trousseau, fils de Milon, « viri tumultuosi et regni turbatoris » tumultueux perturbateur du royaume ; d'ou vient cette affirmation ? L'abbé Lebeuf est plus modéré et présente Gui Trousseau comme un pacifiste convaincu, plutôt tourné vers Dieu suivant en cela, la société nouvelle du XIIe siècle.

Alors où est le voyou décrit par Suger ?

Autant le père apparaît comme un homme dur, rigide, un chevalier trempé qui n'hésita pas à s'engager dans la Croisade , autant le fils apparaît comme un homme de compromis, très pieux, plus diplomate que chevalier. Milon de Montlhéry fut appelé le Grand & le Vieux , à cause de sa puissance et de son grand âge, alors que son fils Gui fut surnommé Troussel ou Trousseau qui viendrait de Rousseau, le Roux , sobriquet dû à sa chevelure blonde ou auburn. On se souvient de l'arrière-grand-père Thibaut File-Etoupe « Filans stupa » et de l'oncle Gui le Rouge « Guido Rubens » ainsi nommés pour leur chevelure.

Le nom de Gui Troussel apparaît de nombreuses fois dans le cartulaire de Longpont. On se souvient qu'étant mourant en mars 1108, Gui Troussel prie Louis le Gros de placer sous sa sauvegarde le prieuré de Longpont (charte XLII). Avant de partir pour la Croisade , Milon de Montlhéry et son fils Gui Troussel ont, dans un premier temps, délaissé leurs droits féodaux qu'ils possédaient à Ver-le-Grand. Une partie de ce village avait été donné par Mélisende dite Chère Voisine, la sœur de Milon (charte CCI). Puis, accompagné de Letvise, et de ses fils, Milon complète son legs en cédant tout le village de Ver pour ajouter aux prières des moines dans le temps du voyage à Jérusalem. Seul l'usage du chemin et du fossé « preter consuctudinarium carretum & fossatum » est retenu par Letvise et ses fils (charte CCII). Quelques mois plus tard, devant Dodon de Villeneuve et le prévôt Landry, Gui donne le droit de passage et le labour que son père et lui-même possédaient à Ver (chartes CXCIX et CC). Ensuite, il donne son clos de Champlan contenant 5 arpents de vignes qui rendent un cens de 5 muids de vin (charte CCXXI).

En tant que seigneur éminent, Guy Troussel est le protecteur du prieuré de Longpont . En 1104, il accepte le transport de l'église de Pecqueuse par Simon Chastel, seigneur d'Orsay avec le consentement de Galon, l'évêque de Paris (charte CCXCV). Un acte similaire est passé par les frères de Simon devant les chevaliers de Montlhéry : Burchard de Vaugrigneuse, Milon de Linas, Robert de Fleury, Hugues Chamilli, Gui Andegavensis, Gui de Luisant, Gilbert de Vaugrigneuse, Guillaume Cuchivis et Aszo de Villebon.

En 1105, il est témoin du legs de Pierre de Leuville et ses frères cédant un arpent de terre pour le salut de l'âme de dame Rencie, surnommée la Comtesse. En 1105, Gui Troussel atteste la donation d'une forêt lors de la prise des habits monastiques par les fils de Gautier Pinel, Evesgod et Gui (charte LVI). La même année, assisté du sénéchal Gautier, il oblige la signature d'un concordat entre les moines et Hugues Chamilli qui avait retenu une terre à Etréchy (charte CLXV). Son jugement est encore réclamé lors de la dispute entre les moines et Gautier de Chastres pour un problème de bornage à Savigny (charte CLXXIV). Début 1107, afin de préserver le temporel du prieuré, avec sa femme Mabilia, Gui Troussel confirme au prieur Henri les donations des terres de Ver, afin d'éviter que son gendre revendique les droits féodaux.

Pour finir, signalons l'obitaire de Longpont : « Eodem modo celebrabitur anniversarius domni Guidonis Trosselli et Mabilie, uxoris ipsius, XVII kal. Aprilis, eo quod ipse quamplurima beneficia huic ecclesie …», c'est dire que l'Eglise le gardait en haute estime.

Malgré les dires de Suger, Gui Troussel fut sans doute un honnête homme, digne de considération. Reste à nous poser la question des raisons de l'antipathie et de l'animosité de ce prélat.

Assurément Gui Troussel n'est pas un brigand, loin s'en faut. La mauvaise réputation que l'on fit et continue de lui faire n'est pas justifiée.

Notes

(1) Un excellent auteur a écrit récemment «… Montlhéry est l'égal du Puiset, l'image même des âpres luttes où s'affrontèrent les premiers capétiens et les rapace barons … ». C'est inverser la réalité. Les barons avaient reçu leurs terres de Hugues Capet qui flattait ses électeurs. Ses successeurs abandonnant le système électif voulaient reprendre leurs domaines.

(2) Par inadvertance singulière, Gui Troussel est souvent confondu avec son grand-père Gui 1er de Montlhéry ou avec son oncle Gui le Rouge de Rochefort.

(3) Il s'agit de Bertrade de Montfort, fille de Simon 1er de Montfort et d'Agnès d'Evreux, sœur de Simon II, d'Amaury III et de Guillaume, évêque de Paris. Elle avait épousé le comte d'Anjou Foulque IV le Réchin en 1088, fut enlevée par le roi Philippe 1er dans la nuit du 15 mai 1092 et convola en noces adultérines.

(4) Tous ces propos sont contradictoires avec l'organisation féodale qui donne au seigneur éminent la collecte de redevances alimentant sa propre cassette. Cela paraît évident qu'à Montlhéry comme au Puiset, les chevaliers n'ont aucun intérêt à ravager leurs fiefs.

(5) En lisant la « Vita Ludovici Grossi Regis » on peut douter de la bonne foi de Suger. Alors que le récit s'étend sur la période 1094-1137, Suger est complètement muet sur la Croisade. Il n'en parle que pour dire que Robert Courteheuse était à la grande expédition du Saint-Sépulcre « Robertus major in illa magna expedicione sancti Sepulchri agebat ».

(6) Le pouvoir du seigneur qui a le titre de dominus , s'étend sur les terres rassemblées autour du donjon . Ce chef est à la tête d'une maison , ensemble de chevaliers « miles » et valets « famulii » employées à son service. Appelée aussi maisnie , elle est formée de deux éléments : la valetaille et les hommes d'armes, les chevaliers. De cette famille, le sire est vu comme le père.

(7) Gui 1er de Montlhéry apparaît dans la généalogie de la princesse Lady Diana comme son ancêtre au 25ème degré par Elisabeth de Montlhéry (fille de Guy et Hodierne) mariée à Josselin de Courtenay. Guy est aussi l'ancêtre de George Washington au 20ème degré.

(8) C'est par deux actes écrits que Pépin le Bref (768) et Charlemagne (774) firent donation de la forêt des Yvelines aux abbés de Saint-Denis qui inféodèrent Châteaufort au seigneur de Montlhéry, Thibault File Etoupe. Châteaufort est alors une importante forteresse dominée par trois châteaux et appartenant, en 1080, à Gui le Rouge et au chevalier Amaury, tandis que les chanoines de Bourgeuil s'établissent dans le prieuré de Châteaufort.

(9) C'est d'abord l'abbaye de Saint-Denis qui voulait reconquérir son pouvoir auprès des rois capétiens en région parisienne et indirectement l'abbaye de Cluny qui s'imposait dans le monde chrétien.

(10) Mézeray commente « Ces Croisades et voyages d'Outremer dont l'ardeur a duré plus de deux cents ans furent favorables aux Rois parce que tous les plus braves et les plus mutins leur laissaient le terrain plus libre & une belle occasion d'entreprendre sur leurs places & sur leurs droits & privilèges ». Godefroy de Bouillon, devenu roi de Jérusalem, avait vendu son château à Otbert, évêque de Liège pour financer son expédition en Terre Sainte.

(11) Hodierne, née à La Ferté-Baudouin (de nos jours, La Ferté-Alais ) apporta cette seigneurie en dot. Elle mourut le 7 décembre 1074 (Obitaire de Longpont). Sa fille Mélisende la jeune fut surnommée Chère Voisine.

(12) Le mariage ne fut pas consommé car Lucienne n'était pas nubile « necdum nubilem matrimonio sollempni reciperet ». Finalement, le mariage fut annulé le 25 mai 1107 au Concile de Troyes, par le pape Pascal II.

(13) Les cérémonies des funérailles sont célébrées avec une grande solennité. Le roi lui-même, accourt à la première nouvelle du crime, y assiste et avec lui l'évêque de Paris, le doyen du chapitre et un grand nombre d'illustres personnages. Après ces obsèques, Renaud de Montlhéry, évêque de Troyes et frère de Milon, vient avec Manassé, vicomte de Sens, visiter dans l'église de Longpont le tombeau de son frère. Il verse, dit la chronique, d'abondantes larmes et fait chanter un service solennel pour le repos de l'âme du défunt. Beaucoup de seigneurs du voisinage assistent à cette triste cérémonie ; de ce nombre est Aymon de La Norville , probablement fils de Gui du même nom.

(14) « En ce tems-là, le droit des François étoit tel, qu'on ne pouvoit point légitimement arrester les Seigneurs, ni les punir de mort, si ce n'étoit pour trahison, mais seulement les dépouiller de leurs terres ».

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