Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Le Cimetière des Prussiens à Longpont

Extrait de la carte indiquant le cimetière des Prussiens à Longpont. Avril 2008

C Julien

Chronique du vieux Marcoussy

Cette Chronique concerne un chantier qui fut appelé « le Cimetière des Prussiens » sur la commune de Longpont-sur-Orge (cant. Montlhéry, arr. Palaiseau, Essonne). C'est le terroir nommé de nos jours la Berge qui est contigu du chantier de la Butte-du-Moulin-à-Vent, lui-même le Boulay, autrefois. Ce lieu est encore mentionné sur le fond de plans de la carte IGN. Le nom de ce chantier, qui nous intrigue aujourd'hui, nous vient il y a plus d'un siècle, de la guerre franco-allemande de 1870-71.

La guerre franco-allemande de 1870-71

Je devrais dire plutôt la guerre “ franco-prussienne ” car l'Allemagne ne naîtra à Versailles qu'au jour de la déclaration d'unification des états germaniques le 18 janvier 1871. Après la déclaration de guerre du 19 juillet 1870, le maréchal Mac-Mahon est battu à Wissembourg le 4 août, le 2 septembre voit le désastre de Sedan, et le 4 septembre, la République est proclamée à Paris (1). Le traité de paix provisoire signé le 26 février 1871 à Versailles, permettant l'évacuation des Allemands, est confirmé par le traité de Francfort le 10 mai 1871. La France abandonne l'Alsace, la partie nord-est de la Lorraine et est condamnée à verser une contribution de guerre de 5 milliards de francs or. Entre temps, la Garde nationale et les ouvriers de Paris refusaient la défaite et s'organisaient en gouvernement insurrectionnel : la Commune de Paris . Aidé plus ou moins par l'occupant, le gouvernement de Thiers écrasa les Communards pendant la semaine sanglante (21-28 mai).

Voilà, en quelques mots, un résumé très succinct des évènements, mais revenons à Longpont.

Suite aux élections des 6 et 7 août pour le renouvellement des conseils municipaux, l'installation d'un nouveau « corps municipal » eut lieu le 28 août 1870 à Longpont (2). Il comprenait 10 membres dont le maire Alexis Cossonnet. Le gouvernement avait fait voter la loi du 12 août 1870 pour la réorganisation de la Garde nationale qui devait être recrutée parmi le corps municipal. Sous la présidence du maire Cossonnet, on trouve Denis Rousseau, Alexandre Gouffier, Duchêne, Plé et Joseph Rousseau. Sous la pression des évènements, la Garde nationale de Longpont est renforcée avec la présence de Gabriel Bucher, François-Alexandre Cossonnet, Alexis Cahouet, Alexandre Godmet, Charles Lambert et Denis Poigneux.

L'armée allemande à Longpont

Aussitôt après la lamentable défaite à Sedan, dès le 4 septembre, Paris devient l'objectif des Allemands : la III e armée, celle du prince royal de Prusse, moins les Bavarois, se met en marche dans cette direction. Le 12 septembre, deux éclaireurs sont aperçus à Ablon, dans le canton de Longjumeau; le 15, des cavaliers se montrent à Draveil; le 16, dès le matin, des troupes de toutes armes, venues de Lagny et de Brie-Comte-Robert, inondent le canton de Boissy-Saint-Léger et se massent dans la plaine de Vigneux. A ce moment, Paris était prêt d'être investi : les IIIe et IVe armées allemandes sont à deux marches de la capitale, dans la direction du nord-est et du nord-ouest : la 5e et la 6e division de cavalerie, chargées d'éclairer les colonnes, s'avancent vers Pontoise; le même jour, les Prussiens occupent la voie ferrée entre Ablon et Athis, puis ils descendent vers Mongeron.

Batterie prussienne au fort d'Aubervilliers. Le canon Krupp en acier se charge par la culasse alors que les Français utilisaient encore le vieux canon napoléonien en bronze qui se charge par la gueule.

Le 17, un pont de bateaux est jeté sur la Seine, près de Villeneuve-Saint-Georges, et une avant-garde de 1.000 hommes, appartenant au XIe corps bavarois, se présente dans le faubourg de Corbeil. Le VIe corps bavarois occupe Villeneuve-Saint-Georges et Brunoy, alors que le IIe corps bavarois marche sur Longjumeau, détachant une brigade à Montlhéry. Dès leur arrivée à Montlhéry, l'armée prussienne occupe la tour pour surveiller le siège de Paris.

C'est le 17 septembre 1870, en fin d'après-midi, que les longpontais voient pour la première fois les Prussiens venant de Corbeil (3). Un habitant d'Etampes écrit : « Le dix-sept septembre, nous étions complètement coupés de Paris, et l'armée bavaroise, qui avait traversé la Seine à Corbeil, marchait vers la Capitale par la route d'Orléans et les autres routes du midi; mais Étampes était tout à fait en dehors de son action immédiate » (4).

Plus tard, le maire Alexis Cossonnet fait inscrire sur le registre des délibérations du conseil municipal “ la commune a été occupée par les Prussiens du 18 septembre 1870 jusqu'en février 1871 ” (5). Le château de Villebouzin fut réquisitionné par l'armée allemande dès leur arrivée dans le sud de Paris. En effet, pendant le terrible siège de Paris, les Prussiens qui s'étaient installés dans la région de Montlhéry, avaient organisé une infirmerie, “ une ambulance ” comme on disait à cette époque, où étaient soignés les malades et les blessés. Cette infirmerie prussienne fut installée principalement pour soigner les soldats malades du typhus. Le lieu verdoyant, loin des foyers d'infection, paraissait propice à la guérison. On a compté jusqu'à 500 malades à Villebouzin (6).

Tombe des soldats Prussiens décédés au château de Villebouzin transformé en hôpital.

Parmi les soldats soignés à Villebouzin, 39 décédèrent par suite de l'épidémie de typhus à l'automne 1870. Ils furent inhumés, en un lieu proche du hameau du Mesnil, dans la sablière à l'ouest du Boulay qui devint un cimetière militaire. Ce canton s'appelait “ les Sables ” sur le plan napoléonien de 1809 (section B du Mesnil). La matrice cadastrale de 1810 nous renseigne que la sablière était exploitée par plusieurs propriétaires : la veuve Simon Froissant et Louis Josset demeurant à La Ville-du-Bois et Germain Champagne demeurant à Longpont, pour une surface totale de 1.165 centiares.

Le chantier des Sables prit pendant près d'un siècle le nom de “ bois de Prussiens ” ou “ cimetière des Prussiens ”. Au XIXe siècle, il y avait sans doute un bois près de la sablière. Il est mentionné sur le fond de plans de la carte IGN. Récemment, on changea le titre du chantier en “ la Berge ” pour être “politiquement correct ” (7).

C'est en février 1871 (sans doute le 15 ou 16) que les Allemands quittent définitivement Longpont laissant derrière eux les sépultures provisoires. Les dispositions du traité de Francfort et la loi du 4 avril 1873 imposaient de donner une sépulture plus digne aux soldats morts en France.

En 1875, l'état-major allemand demande que les corps soient relevés et exige, de surcroît, leur transfert en terre chrétienne, au cimetière de Longpont où ils sont placés à droite en entrant dans la nécropole communale. La tombe date de 1877. On peut encore voir le monument en forme de pyramide de pierre calcaire qui, certes, a subi les outrages du temps (cf. photographie).

Le conseil municipal se réunit le 30 novembre 1879 avec l'ordre du jour comprenant la missive préfectorale du 20 courant “ relative à l'entretien des tombes des soldats français et allemands morts en 1870-71 et élevés dans les diverses communes du département ”. Le conseil délibère et envoie sa réponse à Mr le Préfet “ la commune reste chargée de l'entretien de la tombe des militaires allemands établie dans le cimetière de Longpont en s'engageant à le faire convenablement sans réclamer d'indemnité ”.

L'occupation allemande à Longpont

Pendant la guerre franco-allemande de 1870-1871, le département de Seine-et-Oise est, parmi les départements qui subissent alors les douleurs et les hontes de l'invasion, un de ceux qui ont le plus à souffrir. Enveloppant Paris sur un périmètre extérieur de près de 80 kilomètres , son territoire l'expose plus que tout autre au danger. La Seine-et -Oise est occupée par 216 bataillons d'infanterie, 244 escadrons de cavalerie avec 774 canons. On comprend qu'une pareille concentration de troupes n'ait pu se faire sans dommage et vexations pour les habitants, auxquels les menaces, les coups, la mort même ne furent pas épargnés.

Des récits terribles sont rapportés ici et là, les Prussiens ont une bien mauvaise réputation : « les soldats pénètrent avec effraction dans les maisons fermées, s'installent par groupes, arrachent les habitants de leur lit » ou encore «… à Verrières-le-Buisson, ils mettent leurs chevaux dans les boutiques et les rez-de-chaussée, pillent en masse les marchands de comestibles » ou encore « dans le tribunal de Corbeil s'installe une boucherie ».

Le département de Seine-et-Oise est placé sous l'administration d'occupation avec un préfet allemand à sa tête, M. de Brauchitsch (7) . En arrivant, les Prussiens avaient frappé le département d'une contribution extraordinaire d'un million. Devant la mauvaise volonté générale, le préfet prussien du département de Seine-et-Oise promulgue un arrêté réclamant des contributions directes aux communes pour les forces armées.

L'arrêté préfectoral du 10 octobre concerne le paiement d'une contribution directe pour « frais de guerre ». Le maire Cossonnet réunit les plus forts contribuables de la commune le 27 octobre 1870 pour discuter du mode de paiement à l'autorité allemande de cette contribution de guerre. Le procès-verbal mentionne que les élus de Longpont tentent une résistance en disant :

« Considérant que la plupart des forts propriétaires sont absents de la commune ;

Que les habitants présents à leur domicile sont de petits cultivateurs s'occupant presque uniquement de cultures maraîchères et fruitières ; que par suite du siège de Paris et de l'occupation presque continuelle de la commune par les armées, toutes les productions se sont trouvées perdues ; que par conséquent ils ne possèdent pas l'argent nécessaire aux exigences de l'Autorité Allemande ;

Considérant cependant qu'il importe de prendre les mesures nécessaires pour éviter à la commune de plus grands maux ».

Ainsi, la pression étant si forte qu'il faut payer sans discussion. Le maire constate que les actifs du budget de 1871 se montent à 3.248 francs et qu'il est obligé de recourir à l'emprunt pour honorer la somme demandée. Finalement, il est décidé « que la commune prenne un emprunt avec intérêt au taux de 5% par an ». Le titre d'emprunt du 27 décembre 1870 se monte à 8.452,13 Frs. Alexis Cossonnet termine son exposé « après la guerre ces emprunts seront régularisés suivant les formes qui seront prescrites par l'administration française ».

La somme payée par la commune de Longpont est énorme ; elle s'élève à 11.155,50 Frs qui se décomposent en contributions directes payées aux Allemands (5.951,62 Frs), la contribution de guerre (4.435,98 Frs) et diverses dépenses « faites et acquittées par Mr. Le Maire dont les pièces justificatives sont jointes au dossier » (767,90 Frs). La perception des contributions totales payées par le département de la Seine-et -Oise prit la forme d'un emprunt forcé qui fournit 1.101.279 francs.

Plus tard le secrétaire de mairie écrit « la commune de Longpont a été occupée et ravagée par les ennemis qui ont anéanti toutes les productions en fruits, légumes et céréales à entretenir pendant près de deux mois l'ambulance de Villebouzin ».

Le corps municipal de Longpont (27 décembre 1870) sous la présidence du maire Alexis Cossonnet.

Les dommages de guerre

Parcourons brièvement les procès-verbaux du conseil municipal de Longpont. Le 25 août 1872, est votée une somme de 50 Frs pour l'œuvre des orphelins de guerre. Le 8 février 1874, l'Etat décide la restitution de la contribution de guerre versé en trop par la commune. Longpont reçoit une somme de 1.224.13 Frs avec une perte financière de 100,87 Frs qui « provient des frais d'exécution militaire qu'il a fallu payer aux Allemands et auxquelles les communes débitrices refusent de prendre part ».

Les dommages de guerre supportés par la commune et les habitants de Longpont furent estimés par la « Commission de Révision » à 214.144 Frs. Cette somme est considérable quand on la compare au budget communal de 1870, plus de 30 fois, ou aux 872 Frs représentant le traitement mensuel de l'instituteur de Longpont. Le 16 août 1874 le conseil municipal écoute la lecture de la circulaire du Préfet en date du 26 juin concernant « la répartition des indemnités de guerre accordées à la commune ». Il s'agit de deux tranches, de 30.026 et 30.055 Frs, faisant un total de 60.081 Frs. Mr Michaux, secrétaire de mairie recevra 300 Frs pour travaux exceptionnels et 80 Frs seront versés à Louis Montgobert, marchand de bois à La Grange-aux -Cercles, pour « un tas de fagots estimés à 300 Frs employés durant la guerre à boucher la moitié d'une tranchée qui avait été faite sur la route de Paris à Orléans près de son habitation ». La plus grande partie de la subvention (55.953 Frs) fut redistribuée « au marc le franc » avec un quantum servant de base à la répartition de 2,65%. Finalement la commune se réserva une somme de 3.332 Frs.

En 1875, une demande surprenante de la ville de Corbeil arrive sur le bureau du maire de Longpont. La somme de 275,50 Frs est réclamée pour « f ourniture de vin, de viande et d'épicerie faite aux Allemands soit disant cantonnés à Longpont les 17 et 5 novembre 1870 ». La commune refuse de payer étant donné que « tout ce qui a été réclamé par les ennemis leur a été fourni soit directement par les habitants soit par l'intermédiaire de l'administration communale ».Le conseil municipal de Longpont déboute “ poliment la demande ”.

L'Odysée d'une ambulance colmarienne à Villebouzin

Dès le début de la guerre de 1870, la Société colmarienne de secours aux blessés s'était occupée d'organiser plusieurs ambulances locales; celles-ci étant devenues inutiles par suite des événements, le comité décida d'envoyer deux ambulances dans les environs de Paris sur le nouveau théâtre de la guerre. La première fut placée sous les ordres du Dr Hummel; et l'autre sous les ordres du Dr Emile Neumann ayant pour aides et compagnons MM. Schmitt, pharmacien, Birmelé, Bott (Paul), Hoecher, Léonhardt (Théophile), Lévy (Sylvain) et Ortlieb qui partirent comme ambulanciers volontaires. Le 8 septembre 1870, l 'ambulance se dirigea vers Paris. Arrivés dans la capitale le 10 au soir, l'ambulance reçut sa feuille de route le 13 au soir, pour Tours pour rejoindre les ambulances, en formation, confiées à M. le vicomte de Flavigny et à M. le Dr Gallard, médecin en chef du chemin de fer d'Orléans.

Le 15 septembre, il ne fut bruit que de combats livrés dans les environs de Paris et particulièrement du côté de Juvisy, sur la ligne d'Orléans à Paris. Une ambulance volante sous la responsabilité du Dr Neumann auquel s'adjoignit MM. Chaigneau, Ferrand, Patenostre et Rivière, étudiants en médecine, qui devaient avec les gens de Colmar compléter le personnel de l'ambulance. L'ordre était donné de se rendre à Savigny-sur-Orge, près de Juvisy, pour y porter secours aux blessés qui devaient être, après les premiers pansements, dirigés par le chemin de fer, le plus loin possible des opérations militaires. Le 17 septembre, l'ambulance traverse Dourdan, puis de là Arpajon, où la ligne du chemin de fer était coupée. Le groupe trouve une voiture et un cocher qui consent à le conduire jusqu'à Savigny-surOrge ; mais, hélas ! c'était compté sans les Allemands qui ne tardèrent pas à trouver les ambulanciers.

À cent mètres environ de la gare de Brétigny-sur-Orge, des soldats bavarois cachés derrière une meule de paille, se levèrent subitement à leur approche et croisèrent la baïonnette. On ne passe pas, dirent-ils. Ils ordonnent de descendre de voiture et forment le cercle autour des « colmariens »; un lieutenant qui commandait le détachement ne tarde pas à paraître : il demande quel est le but du voyage.

Voici la narration du Dr Neumann : « Je m'empresse de le lui faire connaître, lui montrant les feuilles de route dont nous étions munis, nos brassards, notre matériel d'ambulance, dit Neumann. Il nous déclare très brutalement qu'il lui est impossible de nous laisser poursuivre notre route et qu'il ne peut pas davantage nous permettre de rebrousser chemin, attendu que nous avons vu leurs positions. J'insiste, je renouvelle mes explications et je proteste au nom de la Convention de Genève ; l'officier ne veut pas entendre raison; un capitaine arrive sur ces entrefaites, approuve le lieutenant et nous fait conduire sous bonne escorte chez le colonel qui se trouvait dans un village voisin, le Plessis-Pâté. Le colonel, je dois le dire, fut plus poli que les officiers subalternes, mais il ne voulut pourtant pas nous permettre de retourner sur nos pas. Ordre est donné aux soldats qui nous accompagnent de nous conduire jusqu'à la ferme de Courcouronnes occupée par des officiers d'état-major ».

Les ambulanciers furent conduits à Corbeil, auprès du général von Hartmann , commandant le IIe corps bavarois. Le général n'a que faire de la Convention de Genève, à la guerre comme à la guerre; les français sont dans les lignes allemandes et doivent y rester jusqu'après la capitulation de Paris. La situation devenait critique. Il était 8 heures du soir lors de l'arrivée à Corbeil ; les hôtels regorgeaient de Bavarois, dans les rues partout des casques à chenille ; ce n'était pas chose aisée de trouver ce soir-là à Corbeil soit un morceau de pain, soit un gîte pour la nuit. Ils se procurèrent du pain grâce à la complaisance d'un officier bavarois et s'adressant à la concierge du tribunal, un dortoir fut improvisé dans le prétoire de la justice de paix. De Corbeil, les hommes du service de santé allèrent à Melun, puis délogés par les Allemands, il fallut revenir sur leurs pas et regagner la ligne d'Orléans après avoir passé par Corbeil, par Ris-Orangis, Ris-Orangis, et arriver à Savigny-sur-Orge qui était également -occupé par les troupes allemandes. Les Prussiens arrivaient en nombre considérable et le pays était épuisé par de continuels passages de troupes. Le 22 septembre, le Dr Neumann arrive à Arpajon reçu de façon la plus grossière par un capitaine bavarois : « Il n'y a pas de place ici pour les Français autres que les habitants d'Arpajon : qui êtes-vous, que faites-vous, d'où venez-vous ? » Puis, sans attendre la réponse, il ajouta: « Avant une heure vous aurez quitté la ville», puis, revenant quelques temps après, il dit : « Non, vous ne partirez pas, vous passerez la nuit à Arpajon et demain je vous ferai conduire à Longjumeau ». Gardés à vue, les ambulanciers passèrent la nuit dans une des salles de la mairie.

Le 23 septembre, on les fit monter dans deux voitures pour aller à Longjumeau, escortés comme des criminels par des gendarmes à cheval ; le quartier général bavarois se trouvait alors à Longjumeau. Conduits auprès du général von der Thann , commandant le 1er corps bavarois, ils s'entendent dire : «Vous êtes des chenapans, nous savons assez sur votre compte. Gendarmes, conduisez ces gens-là où vous savez. » Ils sont menés dans une petite maison située à l'extrémité de la grande rue de Longjumeau et dans laquelle était installé un poste de soldats bavarois à la garde desquels ils sont confiés.

Qu'allait-il advenir des Colmariens, de quels méfaits pouvait-on les accuser? La journée du 23 et la nuit du 23 au 24 se passèrent dans une anxiété facile à comprendre. Le lendemain, samedi 24 septembre, à 10 heures et demie du matin, ils reçoivent la visite du maire de Longjumeau, qui se présente accompagné d'un officier allemand. Le maire, très ému, vient leur annoncer qu'une accusation très grave pèse sur eux et qu'ils sont prend pour des espions. « Vous allez passer, dit-il, devant un juge militaire qui se prononcera sur votre sort. Cet officier vous interrogera et si malheureusement il ne vous était pas favorable, vous seriez fusillés demain matin; soyez calmes et défendez-vous bien… ». À 4 heures de l'après-midi, les hommes présentés l'un après l'autre au juge « auditor », comme l'appellent les Allemands et sont interrogés séparément. Après les interrogatoires où le Dr Neumann justifie qu'il est médecin accompagné d'autres médecins et d'ambulanciers, à huit heures, il entend le verdict de « l'auditor »: « Messieurs, dit-il, je veux bien croire que vous êtes médecins ou ambulanciers et que vous appartenez à la Société de Genève, mais votre présence ici ne nous étant pas suffisamment expliquée, il m'est impossible de vous rendre la liberté, je vais vous faire placer dans une de nos ambulances qui se trouve établie très près d'ici et dans laquelle vous resterez en observation jusqu'à nouvel ordre ». Ils ont donc la vie sauve. Ils partent le soir même, sinon contents, du moins résignés, sous la garde de soldats qui les conduisent au château Villebousin , près Montlhéry, où se trouvait installée la neuvième ambulance bavarois. D'abord faisant l'objet d'une surveillance très rigoureuse et de tous les instants, on leur accorda une certaine liberté, avec permission de sortir du parc, d'aller et de venir dans les environs du château, mais la libération définitive espérée est toujours refusée. Les médecins bavarois, malgré le grand nombre de malades auxquels ils avaient à donner leurs soins (l'ambulance regorgeait de soldats atteints de fièvre typhoïde ou de dysenterie), n'eurent jamais recours à leurs services. Ces médecins ne leur témoignent d'ailleurs pas la moindre bienveillance ; ils n'eurent même pas pour eux les égards que commande la confraternité la plus banale.

Dans les premiers jours d'octobre, la IXe ambulance quitta Villebousin et fut remplacée par la XP ; les médecins qui composaient celle-ci se montrèrent moins durs et moins arrogants que leurs prédécesseurs: la situation des alsaciens devient plus tolérable, mais on ne se décide toujours pas à les renvoyer. L'un des médecins, le Dr Hermann, offre généreusement d'intervenir en leur faveur, tout en me faisant observer qu'il était indispensable, pour avoir la liberté, que l'un d'eux se rendît à Versailles au quartier général. Le 20 octobre, Léonhardt et Neumann obtiennent un sauf-conduit de vingt-quatre heures pour faire ce voyage. Arrivés à Versailles le 21 octobre à midi, la première visite est pour le Comité versaillais de la Société de la Croix-Rouge et rencontrant avec le prince Putbus, délégué de la Société allemande de secours aux blessés celui-ci leur dit : «Vous devez être renvoyés dans vos foyers, je ne puis vous laisser et ne vous laisserai pas rejoindre l'armée française; vous retournerez en Alsace, à Colmar, d'où vous êtes partis; ce n'est qu'à cette condition que je vous accorde la liberté» ?

Telle fut l'odyssée de la deuxième ambulance colmarienne. Ses mésaventures, comme celles de beaucoup d'autres ambulances, suffisent à démontrer que, le plus souvent, la Convention de Genève resta lettre morte. Aussi, n'oublions pas que l'Alsace allait devenir allemande quelques semaines plus tard. [ L'Odysée d'une ambulance colmarienne aux environs de Paris (1870) est un article signé par le docteur Emile Neumann (1884) ].

Notes

(1) Cette date presque tombée dans l'oubli a donné le nom à la rue et la station de métro “Quatre Septembre “à Paris (2ème arrondissement). Elles nous rappellent la proclamation de la Troisième République par Gambetta. Le lundi 5 septembre 1870 paraît le 1er numéro du Journal officiel de la République française. Il contient la composition du gouvernement de la Défense nationale et les attributions des ministères à ses membres, ainsi que deux proclamations déclarant la République , l'une aux Français et l'autre aux Parisiens. Il publie des décrets portant dissolution du Corps législatif et abolition du Sénat. Il publie également le compte rendu de la séance du Corps Législatif du 4 septembre.

(2) Un décret du 16 septembre 1870 convoque de nouvelles élections municipales pour toutes les communes de France, avec un premier tour le dimanche 25 septembre, un deuxième tour le mercredi 28 et l'élection du maire et des adjoints par le conseil municipal le jeudi 29 septembre. Rappelons que les maires et adjoints n'étaient pas élus mais nommés par les préfets et que les femmes n'auront le droit de vote qu'en 1945.

(3) Les habitants de Longpont avaient déjà fait connaissance, par le passé, avec les Allemands, ceux qui servaient dans l'armée des huguenots en 1562. Ils sont appelés reîtres , terme moitié français, moitié allemand. On leur attribue la décapitation des statues du portail de la Basilique.

(4) Un autre récit d'un Etampois peut être donné « Ils occupaient déjà, Montlhéry et Arpajon [le 19 septembre]; on nous les signalait à Étréchy, où quelques habitants de la ville, plus curieux que les autres, s'empressèrent d'aller, et jugèrent même à propos de leur payer à boire; les dragons bavarois acceptèrent, mais, au courant de leur métier, empoignèrent quelques-uns des curieux pour leur servir d'otages ».

(5) Archives municipales de Longpont-sur-Orge. Procès-verbal n°213.

(6) Dans les rangs de l'armée allemande, les pertes humaines s'élèvent à 47.000 morts dont la moitié de maladie, soit 14% des effectifs.

(7) C'est en 1971 que la rue fut débaptisée pour porter le nom de « rue de la Tourelle ».

(8) Dans son livre intitulé Versailles pendant l'occupation , Emile Delérot (Plon, 1873) écrit : « Nous avons pu juger par expérience comment la Prusse contemporaine entendait l'administration civile des pays occupés : le préfet de Brauchitsch est, à ce titre, un échantillon curieux de cupidité à étudier. Ses actes et ceux des subordonnés placés sous ses ordres sont d'autant plus intéressants qu'ils s'accomplissaient sous les yeux du roi, par conséquent avec son assentiment tacite ».

dagnot/chronique13.04.txt · Dernière modification: 2020/11/11 20:30 de bg