Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

Outils pour utilisateurs

Outils du site


dagnot:chronique15.01

Page en chantier


La Fronde à Marcoussis

Mai 2008

Chronique du vieux Marcoussy

JP. Dagnot

C. Julien

Cette chronique relate les évènements survenus à Marcoussis pendant la Fronde. Elle sera suivie par une autre relative à la région. Cette période correspond aux troubles qui, de janvier 1648 à février 1653, dégénérèrent en guerre civile pendant la minorité du roi Louis XIV (1). Le récit historique que nous présentons se situe principalement à la fin du mois d'avril 1652.

Préambule

Nous nous garderons bien d'exposer ici tous les évènements qui survinrent avant 1652. Pour résumer brièvement cette période complexe, nous pouvons toutefois dire qu'il y eut deux phases : la Fronde parlementaire en 1648-49 (2) et la Fronde des princes en 1650-53. Les troubles politiques peuvent aussi être vus comme la conséquence de la guerre de Trente ans qui a vidé les caisses du Trésor et la guerre contre l'Espagne qui a été également ruineuse. Généralement, trois facteurs sont distingués pour expliquer les troubles : une pression croissante de la fiscalité royale (lit de justice du 15 janvier 1648), une remise en cause du rôle du Parlement de Paris et le renforcement de la monarchie absolue.

Rappelons également que la régence était assurée par la reine Anne d'Autriche et le gouvernement conduit par le cardinal Mazarin et ses fidèles collaborateurs Hugues de Lionne, Michel Le Tellier, Abel Servien et Nicolas Fouquet.

Face au gouvernement se dressaient les Grands qui n'étaient pas moins que les princes du sang : Gaston d'Orléans , frère de Louis XIII, et sa fille, Anne-Marie d'Orléans de Montpensier , dite la “Grande Demoiselle”, César de Bourbon-Vendôme , duc de Beaufort, Louis II de Bourbon-Condé , dit le “Grand Condé”, Armand de Bourbon-Conti , et leur sœur Anne de Bourbon-Condé , duchesse de Longueville mariée à Henri II d'Orléans.

La politique d'apaisement de Mazarin se fait contre la famille de Bourbon ouvrant une nouvelle période de crise appelée “ la Fronde des Princes ”. Elle est déclenchée par l'arrestation du 18 janvier 1650, sur l'ordre de Mazarin, des princes de Condé et de Conti et de leur beau-frère le duc de Longueville. Les princes sont conduits d'abord à Vincennes puis enfermés le 29 août 1650 “au château de Marcoussis sous la bonne garde de Gui de Bar ”. C'est sur les conseils de Gaston d'Orléans, comte de Montlhéry, que son vassal, Léon 1er d'Illiers de Balsac d'Entragues, seigneur de Marcoussis, offrit ses services à Mazarin (3).

Ayant découvert une tentative d'évasion, Mazarin ordonna le 15 novembre le transfert des prisonniers dans la citadelle du Havre où ils n'arrivèrent que 10 jours plus tard. Finalement Condé, Conti et Longueville sont libérés et font un retour triomphal à Paris le 16 février 1651.

Les Frondeurs : le duc de Longueville et les princes de Condé et Conti.

L'armée royale à Chastres-soubz-Montlhéry

Nous sommes en avril 1652. Le 7 avril, la bataille de Bléneau (4) oppose les armées du prince de Condé à celles du roi commandées par Turenne. La troupe du maréchal d'Hocquincourt est taillée en pièce alors que Turenne, bien retranché, sauve la Cour.

Laissons le narrateur de Marcoussis continuer le récit : « Messires les princes sont mis en liberté et sortant du Havre à leur grand contentement et déclarant ami Mr le prince de Condé réuni à Paris où il réside les compliments de conjouissance, mais bientost après, ne s'y trouvant en assuré, sur quelque avis il en sortit s'en alla en Guyenne, ce qui obligea le Roy et la Cour d'aller jusques à Poictiers. Ses troupes ayant reçu par Mr le comte d'Harcour quelque eschec, il s'y revenu a Paris trouvant Mr le duc d'Orléans et quelques princes forma une Ligue pour chasser le Cardinal Mazarin ou continuer la guerre ».

Puis, le 24 avril 1652 « les deux armées se costoient cependant et approchoient de Paris. Celle du Roy commandée par Messire le vicomte de Turenne, et le Mareschal d'Hocquincourt tient camp à Chastres soubz Monthlery et celle des princes à Estampes ».

Dès le lendemain matin 25, jour de Saint-Marc, l'armée du Roy « courut au pillage » et des soldats arrivent sur les dix heures du matin dans le village de Marcoussis « par qui la n'osoit aller au dessus de Chastres de crainte de ceux d'Estampes ». Turenne ayant levé le siège d'Étampes laisse le maréchal d'Hocquincourt occuper le Hurepoix (5). Celui-ci partage ses troupes et établit des camps à « Chastres soubz Monthlery et Paloisiau » pour barrer la route du prince de Condé qui voulait investir Paris.

L'attaque du Monastère de Marcoussis

« L'estoit une chose pitoyable d'entendre les cris et les gémissements des habitans, les clameurs et les hurlements des soldats, l'estrange bruit qu'ils faisoient rompant les portes des maisons, brisant et mettant les meubles dehors qu'ils pouvoient emporter poursuivant à coup de bastons, d'espèce et de fusils, jusqu'aux femmes, enfans, vieillards, malades avec une cruauté inoüie et celle que les Turcs firent dans des pays ennemis sur des Chrestiens, sur leurs compatriotes et sur des gens qui ne leur étoient point ennemis ». Voilà en peu de mots la situation des villages à l'arrivée des mercenaires de l'armée royale qui refusaient de savoir « si les personnes ne fussent sujettes et tres soumises au Roy » et qui, n'épargnant personne, se permettaient de « piller, violer et saccager plus impunément des gens sans résistance par ce qu'ils ne croyoient point avoir d'ennemis ».

Le pillage de Marcoussis commence. Les soldats pénètrent les maisons, renversent tout pour accumuler leur butin. « Après s'être rendu maistre de toute les maisons et fait les dégats de quantité de fruits, blez, avoine, foins, l'espace d'environ trois heures. Ils tournoient leur veüe sur notre Monastère avec autant plus de furie qu'ils le croioient y trouver moins de résistance et y faire des captures bien plus considérables, non pas pour adjouster le sacrilège a tous leurs crimes, par ce qu'ils avoient desjà pillé l'église paroissialle et jetté les Saintes Hosties sur la pierre de l'autel, mais pour l'y continuer » (6).

Après le saccage de l'église Sainte-Madeleine et du prieuré, les mercenaires se dirigent vers le monastère des Célestins. « Ils s'imaginoient trouver toutes les portes ouvertes pour les retenoir quoy qu'elles n'étoient pas esté assez grandes tant ils étoient de monde ; et entra comme il avoit fait en beaucoup d'autres endroits avec leur compliments ordinaires qu'ils étoient serviteurs du Roy. Mais ayant d'abord eües une palissade qui couroit le guichet, et un mur de huict à neuf pieds devant la grand'porte … »

Les moines sonnent le tocsin. Bien décidés à se défendre car « il n'estoit point question de compliment mais qu'il y avoit d'autres mots à dire », ils observent l'arrivée de pelotons de cavaliers et d'infanterie « dans les prez de la Haye, le bois d'Olinville, devant la porte du Clos Neuf, derrière le petit mur du clos de devant le monastère et ainsi tout au tour des murs ; il en eu mizs d'assez téméraires pour se mettre dessous les hayes fort escartéez et mal jointes de l'eschafaux de devant la grand'porte que l'en n'avoient pas de le loisir d'entrer ». Voyant la résistance s'organiser, les assaillants « discutaient pour demander avec leur civilité feinte, du foin et de l'avoine pour la compagnie comme serviteurs du Roy ».

Refusant toute discussion, on en vient aux menaces, aux injures, et aux blasphèmes. Puis, c'est l'assaut « à mesme temps, au signal donné l'infanterie qui estoit cachée et a couvert du petit mur commença à faire feu de ses mousquets six à six contre l'eschauguette de dessus la grand'porte où il avoit en corps de garde, contre la grand'porte et contre la palissade du guichet quoy qu'ils vissent bien qu'ils perdoient leur poudre et leur plomb et leur temps sans rien avoir par ce qu'ils leur observoit et escoutoit … » avec l'espérance d'un grand butin .

« … ils entourent le mur, ils s'amassent devant la porte, ils frappent avec leur haches, ils secouent de grosses pierres, ils s'efforcent de l'esbranler, il y avoit du danger à les laisser faire plus longtemps. On commença à leur faire connoistre que nostre silence et nostre retenue n'étoit point une marque de lascheté, mais un temps qu'on leur donnoit pour leur faire rentrer dans leur devoir en mesme temps… ». Puis, n'ayant plus de munitions et commençant à recevoir la mitraille venant des gens du monastère « ils sonnèrent la retraite et promirent de nous venir revoir le lendemain en plus forts ».

Pendant l'assaut, les moines demandant du secours, avaient envoyé cinq ou six messagers à « Mr d'Entragues » qui était au château. Le seigneur de Marcoussis ne répondit pas à l'appel des moines « il ne vouloit pas hazarder 20 ou 30 personnes, ou par ce qu'il n'auroit pû trouver dans tout son monde autant d'hommes assez hardis pour nous venir seconder, si l'on ne trouve plus à propos de dire que leur Seigneur qui nous avoient abandonnez et qui s'y estoit retirez y avoient tellement jettez l'espouvante qu'il y auroit eu de l'imprudence de se despouiller de ses forces ». Puis le narrateur de préciser : « Dèz que l'on reconnu qu'il n'y pourroit avoir du bruit en final, toutes les femmes, filles et enfants dans l'Eglise sont pour prier Dieu, sont aussi afin de ne point entendre leurs cris, leur gémissements, par ce qu'ils s'imaginoient déjà que leurs maris, elles et leurs enfants estoient perdües ».

Une seconde escouade d'une vingtaine de fantassins revient au couvent « armés de mousquets et d'espées qui eschoient à grands pas le long des chaussées ». Finalement, le garde-chasse du monastère « de plus quoy qu'aagé par ce qu'il avoit porté les armes au siège de Montauban il estoit décoré fort dispos de son corps et ne s'estonnoit guère pour le bruit » aidé du dénommé François Delaliau « menuisier de son mestier , …, egarni que sur deux poches pleines de cartouches et un fusil » repoussèrent les soldats qui partirent après « qu'on leur put de boire d'un carot de vin qui estoit dans cette petite cour qu'y paysan n'avoit pu porter plus loing, on leur accorda et pour leur tesmoigne qui l'on n'avoit point de rancune ou bien avec eux par ce que les nostres l'avoient bien gaigné ».

Extrait du plan fourni avec l'histoire de Marcoussis

De cette narration, nous avons une description du couvent des Célestins qui communiquait avec le château par la Grande Allée des Charmes. Les lieux étaient fermées avec “la grand'porte” munie d'une échauguette et d'un guichet. Le Clos Neuf constituait le grand jardin et le potager des moines. De la sacristie, on apercevait le grand poirier de la Magdeleine « qui estoit entre la Chaussée et l'abbreuvoy où il y a présentement un petit jardin ». Outre l'église avec 5 chapelles, le cloître, la sacristie et les dortoirs, la maison comprend une infirmerie, un chauffoir, une grange et une grande galerie. Les annexes du couvent comprennent une “lessiverie” (lavoir) avec une fontaine, un abreuvoir, un étang. Un petit bois visible du couvent est appelé “bois d'Olinville”.

De nombreux serviteurs du couvent s'étaient enfuis à l'arrivée de la soldatesque. Le chambrier ne s'en plaignit pas car il considéra que « cette chamade [fut bénéfique] d'autant qu'elle purgea nostre maison de plusieurs fanfarons qui nous auroient esté insupportables si l'occasion ne les avoit fait connoistre. Elle nous deschargea aussi de beaucoup de bouches inutiles et de gens qui nous auroient causé une très grande infection qui s'estoient jettez icy comme dans un asyle assuré que la crainte d'estre attaqués fut sortir dez le soir mesme ».

La résistance s'organise aux Célestins

« La Compagnie s'estant retirée n'ayant pû trouver de gist comme elle esperoit, on se rafraichissoit puis on festa à mettre en meilleur ordre, à establir et régler les corps de garde, à y proposer un religieux à chacun à qui on obéïroit sans contredit souz peine d'estre réformé et mis dehors le couvent ».

Recopions in extenso le texte du narrateur de Marcoussis sur les mesures prises aux Célestins « Le premier et le plus important fut dans l'eschauguette de la grand'porte, un autre dans la cuisine d'enbas pour prendre garde aux cours ou on avoit faict une barricade ou retranchement en palissade, un dans la chambre du Révérend Père Provincial qui veilleroit aussi par la tribune sur les petits jardins, sur le portail de l'Eglise, sur le Clos Neuf et sur les cinq chapelles, un dans S. Pietri Celestin comme corps de réseau, un dans S. Paul et la petite gallerie voisine pour le Grand Clos, le corps des infirmeries, la grange, la porte de nostre lexiverie et de l'abreuvoy, un dans le chauffoir pour commander le grand clos et jardins, les portes du Parc et du cloistre au jardin, la sacristie, et par la gallerie prochaine les portes de l'abreuvoy et de nostre lexiverie [ lessiverie, lavoir] et le grand clos et jardin oultre le camp volant et les volontaires l'on mit des tonneaux pleins de terre devant les portes et quelques fenestres, on n'y mura d'autres qu'à moitié pour estres couvert, on si contenta d'y barricader d'autres, l'on perça des murs et planches pour si faire des veües, et après avoir esté cy dedans tout le bois de dessous la galerie, on ferma aux clefs et verrous la porte proche nostre lexiverie et celle du parc de sorte que l'on ne pouvoit plus aller aux jardins ny au parc sans partir et sans une extresme nécessité ».

Les moines devaient demeurer dans cette discipline et réserver tant que « l'armée du Roy campa à Chastres et Paloisiau ». Puis, messire d'Entragues envoya ses compliments aux moines « sur nostre bravoure et dire entre autres choses que nostre victoire estoit d'autan plus glorieuse que personne ne la partageoit avec nous ». Toutefois, en grand seigneur, il envoya en même temps des « compliments à Mr le Mareschal d'Hocquincourt, son cousin et l'un des Chevaux » en se plaignant à lui de l'insulte que les soldats avaient faite et « pour empescher donc un semblable désordre, il commanda incontinent à six de ses gardes de se transporter à Marcoussis ».

Bien évidemment, l'arrivée officielle des soldats du Roy à Marcoussis fit cesser les pillages et saccages. Mais, les moines ne l'entendirent pas de la même façon « car il fallut leur donner les plus belles chambres, les nourrir à table d'hoste, et leur chevaux, …, ce qui a esté estimé plus de douze cent livres y compris les trois cent livres en argent, et toute cette despense pour ne rien faire (car la terre estoit si couverte de soldats, que l'on ne pouvoit faire de convoi) que de nous donner de fausses allarmes toutes les fois qu'ils alloient au camp ». Le monastère était devenu le lieu où régnait un grand charivari « que toutes ces visites, allées et venues de leur amis nous estoient fort suspect ». Les moines reprennent les affaires en mains, séparent et isolent les gardes royaux durant deux ou trois jours, une autre fois on les enferma dans leurs chambres sans qu'ils ne sachent rien « l'on ne pouvoit pas les renvoyer sans obliger Mr d'Hocquincourt ». En fait leur présence était une garantie contre des troubles causées par eux-mêmes.

« Toutes ces choses se passèrent à l'exception de ce traitement des gardes en l'absence des prieurs et sous-prieurs qui estoient partis le lundy 23 avril pour aller au Chapitre général à Paris, qui ne revinrent que le samedy 28 dudit moi non sans beaucoup de difficulté et de hazard parce que les chemins estoient tous connus de parties qui traitoient mal ceux qu'ils visitoient, après les avoir volé et dépoüillé ». Dès leur retour à Marcoussis, les supérieurs ordonnent avec la permission de Mr d'Entragues de porter au château « deux de nos gros coffres de bois, l'un pour les reliques et argenteries, et l'autre pour les papiers, des tretiaux et planches pour faire des tables pour mettre nos ornements et tapisseries de nos chaires ».

La visite des officiers royaux

Monsieur le Maréchal d'Hocquincourt rendant visite à Monsieur d'Entragues fait l'honneur de venir voir les moines accompagnés de Mr le comte de Quinci, lieutenant général. Les officiers sont également suivis de quantité de noblesse et tous décident de prendre la collation où la « santé du Roy estoit béni abondamment ».

« Mr de Quinci nous consoloit de cette despense se disant que les soldats avoient en estimation des lieux que les Chevaux visitoient, qu'ils s'en esloignoient entendu qu'ils n'avoient gardé de rien entreprendre sur iceux de peur d'estre punis comme ils se seroient infailliblement si on s'y plaignoit pour quoy les put connoistre ».

Le siège et les assauts d'Estampes n'ayant pas été une réussite heureuse aux armées du roi quoique le Maréchal d'Hocquincourt qui commandait y du faire de sa personne tout ce « qu'on pouvoit humainement attendre d'un grand capitaine », Monsieur de Turenne ne lui ayant servi que de témoin et n'ayant été que le spectateur avec ses gens, ils furent obligés de lâcher le siège. Mr d'Hocquincourt se retira et Mr de Turenne commanda seul l'armée et « campa à Paloisiau par ce que ce pays cy estoit tout ruiné, mais parce que estant à Chastres ils avoient fait un dégast général jusqu'à Paris, et qu'il n'y avoit aucune sûreté à porter si peu de vivres qui restoient au camp ».

Ils se virent bientôt réduits à une extrême nécessité de façon que Mr de Turenne ne trouva point d'autre moyen pour subsister que de faire payer des contributions en blé, vin, avoine, etc. « mais on ne pouvoit pas luy fournir grand'chose dans un pays que son armée ruinoit depuis plus de deux mois ».

Degré de parenté entre Léon 1er d'Illiers de Balsac d'Entragues, seigneur de Marcoussis et Ludovic II Stuart, seigneur d'Aubigny.

Il écrivit à Léon d'Entragues qui était à Marcoussis depuis Pâques avec toute sa famille et Messire Ludovic Stuart de Lennox, seigneur d'Aubigny, son cousin, et « luy demanda une si grande contribution que l'on prenoit cela pour une querelle d'Alleman par ce que tout ce qui estoit au chastiau n'auroit pas pû le contenter ». Dans sa réponse, Léon d'Illiers fit état de ce qui lui restait après le passage des soudards « qui estoit si peu de chose et qu'il estoit obligé de nourrir presque tous ceux qui s'y estoient refugiez ». De plus, Ludovic d'Aubigny qui lui était intime voulut accompagner d'un mot la lettre de Mr d'Entragues. Il se plaignit en ami de ce qu'on le tient si longtemps prisonnier dans le château de Marcoussis « et mesme des choses les plus necessaires à la vie, qu'il ne pouvoit leur rien demander à moins que de la leur vouloir hostile, ou bien qu'il luy plut leur ouvrir un chemin pour l'aller chercher à Paris, que s'il luy plaisoit de leur faire l'honneur de voir un de leur meilleurs repas, il seroit tout surpris de leur frugalité fort par difficulté de cette que l'on pratique dans une place assiégée ou on paise le pain et on mesure l'iau ». Turenne fut fort touché de cette lettre, il ne lui fit aucune réponse, toutefois on ne parla plus de rien.

L'insécurité à Marcoussis

En cette fin de printemps 1652, la situation devient catastrophique et la paix civile n'est toujours pas rétablie dans le Hurepoix. Pendant ce temps, les moines s'organisent mais semblent n'avoir que peu de moyens « L'on faisoit l'office divin jour et nuit nonobstant les grandes veilles et fatigues mais on ne le savions point par ce que toutes les portes de l'Eglise hormis celle du cloistre estoient barricadées, et afin que l'on put donner les alarmes l'on garda l'abstinence au commandement comme à la dernière guerre mais enfin estant extraordinairement abbatus et ne trouvant plus rien dans nos jardins qui fut des fouragez d'abord par le grand nombre des refugiéz et par les troupeaux de nos serviteurs que nous aurions retiréz, que l'on y esgaioit comme à la desrobée de peur qu'ils ne mourussent estant si long temps de fermer, que l'on ne pouvoit pas mesme cultiver… ».

« Quel horreur de voir nostre Eglise fermée de crainte qu'ils ne s'y rendre maistre comme si l'estoit une guerre de religion contre des hérétiques, contre des Athées, contre des paysans par ce que l'on n'auroit pas de meilleur composition d'eux que l'on en doit espérer de cette dernière, de la voir comme une halle ou marché » Le rédacteur de Marcoussis, moine Célestin, se plaint de tous les maux subis par le couvent « nostre closture violée par l'introduction des femmes, nos salles et chambres d'hostes converties en salles non d'hospital car il y auroit de quelque sorte de consollation, mais de confusion où chacun craignoit de perdre par un mauvais voisin ce qu'il avoit apporté, ou tout le monde couchoit sans couchette, sans tour de lict, où la pudeur souffroit une infinité de combats, les sains étoient avec les malades, les hommes et garçons avec les femmes et filles ». Très indigné le moine va jusqu'à dire que l'église conventuelle est prête de devenir une « escurie » par leur insolence et impiété de l'armée du roi.

Toute la misère subie par les habitants de Marcoussis réfugiés au couvent est décrite « l'un trembloit la fièvre, un autre estoit en sueur, un homme crioit la cholique, une femme estoit dans les tourments de l'accouchement, des enfants à la mamelle mourant de faim et de soif crioient sans cesse ne trouvant point de lait, la peur l'ayant fait perdre à leur mère, et par le manque de vaches par ce qu'on leur a desrobéz ou le défaut de fourrage et de pasturage à celles qui sont restées estant descharnées plus maigres que les maigres du songe de Joseph, on estoindant l'impuissance d'avoir du laict pour les soulager, il n'y avoit point de repos ny nuit ny jour pour les sains et les malades, le bruit, le trouble et les inquiétudes estoient continuelles ».

Le samedi 28 avril, le cinquième jour après le campement de Chastres, une bande de jeunes gens qui « s'ennuyoit desjà d'estre enfermés au chastiau » voulant se promener dans le village pour voir les désordres que les gens de guerre y faisaient, ou pour faire fortune, ou pour autre dessin, y firent rencontre « d'un parti très considérable comme ils se craignoient l'un l'autre ». Ils se contentèrent de faire quelques escarmouches dans le carrefour où un nommé Roch Mesnard, fils d'un boucher à Lynois, reçut malheureusement un coup de fusil à la tête ; « les parties s'estant séparéz, une douzaine ou environ de fusilliers » ses camarades le portèrent au Monastère des Célestins. Il était tout couvert de son sang et de sa cervelle, sans parole et presque sans mouvements. Un religieux lui donna l'extrême onction, bien lui fit la grâce de reprendre connaissance le troisième jour, il se confessa, reçut le saint viatique, mourut un peu après “en bon Chrétien”. Il a été enterré dans la nef des Célestins « sa teste est au pied du bénistier ».

Un autre incident « non moins pitoiable » que le précédent fut causé par un paysan qui, étant désespéré d'avoir tout perdu, tendit en embuscade dans « la haye du grand Pré », laissa passer le gros de la troupe de Mr d'Hocquincourt. Il tira sur un cavalier qui « suivoit luy troisième ou quatrième un peu après les autres, luy rompit les reins ». Ses compagnons le ramenèrent au château, « tout blessé qu'il estoit, il ne demandoit qu'à boire, manger et dormir, par ce qu'il y avoit trois jours qu'il estoit à cheval ou il avoit pris fort peu de nourriture et point de repos ». Il mourut sur les dix heures du soir, il repose dans la nef des Célestins « au pied du tronc ». Il ne pouvait pas faire une fin plus malheureuse après 27 ans de service en qualité de capitaine de cavalerie. “Si ce coup n'estoit arrivé à la veüe de ce Mareschal cousin de Mr d'Entragues, c'estoit une affaire à faire réduire le chastiau en cendre. Il s'agit de grandes plaintes mais on ne luy fit point de justice par ce que l'auteur demeura caché”.

Les épidémies de l'été 1652

La chaleur augmentant infesta « extraordinairement l'aïr, cet aïr corrompu joinct à la mauvaise nourriture » causa beaucoup de maladies et de morts de façon que l'on pouvait appeler « le Chastiau et nostre Monastère des hospitaux généraux et oultre cela nostre maison le cimetière du pays » car les moines enterraient les morts, ceux du château et enfin tous ceux qu'on leur apportait ou qui étaient trouvés à leurs portes du parc ou de la rue. « Toute le cérémonie, de ceux qui les apportoient, estoit de grande puissance, et crié à pleine voix qui l'estoit des corps morts tant bien que mal ensevelis ».

Un moine âgé, qui avait été Prieur et qui ne faisait autre chose que d'administrer les sacrements aux malades, fut pris tant de fatigue « montant tantost dans des greniers tantost allant de salles en salles, de chambre en chambre » qu'il mourut de la maladie qu'il gagna dans ce pénible « mais glorieux et charitable exercice ».

Catherine d'Elbène, femme de Léon d'Illiers d'Entragues « quoy qu'infatigable et inépuisable dans sa charité envers les pauvres et les malades qui estoient en grand nombre dans son chastiau succomba ». Madame d'Entragues mourut en septembre de la même année quoique “Monsieur son mary” ait fait venir deux fois à trois grands frais Monsieur Tallot, premier médecin du Roy, car il du 600 livres tournois pour ses deux voyages, où il fallut encore payer un transport pour les sorties et les carrosses de relais.

La reprise des activités agricoles

Quoique les armées se soient enfin retirées, la sécurité ne régnait pas encore dans le pays « il n'y avoit pas pour cela plus de sûreté dans la campagne qu'en pleine guerre par ce que les parties courroient avec autant de liberté et plus de gain d'autant qu'ils surprenoient des gens qui ennuyés d'estre enfermés et hors leur maisons depuis si long temps y avoient reporter leurs commoditéz ».

Les moines de Marcoussis sollicitèrent un garde de son Altesse Royale pour donner quelque « lustre et authorité à nostre escorte que pour le besoin qu'elle cy chut ». Il était nécessaire de sortir dans les champs pour aller « quérir des fourrages, porter du blé au moulin pour mouldre et qu'il y avoit grand danger de perdre les conducteurs du convoi et les convois mesme ». Tous craignaient les mauvaises rencontres car le pays était infesté de brigands et de “puissants partis”.

On formait des convois de six ou huit charrettes montées de quatre et cinq chevaux chacune des meilleurs « qui fussent icy car il y en avoit à choisir », que cinquante ou soixante fusiliers escortaient entre lesquels il y avait toujours huit ou dix Religieux qui n'étaient pas les moindres pour défendre le convoi. Un tel convoi fut organisé pour aller au moulin le plus proche « en estant de mouldre que celui de Launay au dessus d'Orsay » et où on put mieux tenir fort en cas d'attaque parce que l'on y demeurait que deux et trois jours de suite.

Dès que le temps des récoltes fut venu, tous les moines et leurs serviteurs se mirent en marche pour « faire les foins, l'aoust et vendanges comme ces choses estoient de la dernière importance et d'un extrême hazard, il fallut apporter une extrême prudence et un courage tout extraordinaire pour s'exposer ainsi plus de deux mois sans crainte car comme faucher, faner, charger sur charrettes dans les prairies de Chastres et Longpont, passer dans Lynois, sur le grand chemin d'Orléans ou on ne voioit ny roulliers, ny carrosses, ny coches, comme csier les bléz, les lier, charger, comme cueillir les raisins, aux grainiers de Linois, Villiers, Todins et Ville du Bois avec 40 personnes, tant hosteux que vendangeurs, disant en plein champ et arrivant tout dans la maison sans aucun accident. Ils pouvoient bien s'imaginer que leur vie estoit aussi en danger que celle de celle de ceux qu'ils attaquoient et que la vie d'un seul de leurs hommes ne pouvoit pas esté assez empesché par tout le butin qu'ils pouvoient faire, que des Religieux ne se metttroient pas d'une partie si pareille pour lascher le pied ». Il faut croire que le nombre des gens et les armes dissuadèrent les attaques « ainsi bien loing d'estre attaquez quoy que les parties vinssent les reconnoistre, ils estoient si civiles qu'ils salüoient et prioient mesme quoy les laissa passer en paix, ce qu'on peur accordoit pourvu qu'ils n'approchassent pas à la porte du fusil ». Il faut dire que les moines avaient pris de l'assurance et que les brigands « estoient surpris de la contenance, de la fermeté et de l'ordre des convois ». Bien évidemment notre narrateur attribue la protection toute particulière de Dieu « qui considère ceux qui mettent leur espérance en luy ».

L'attaque de la ferme du Grand Viviers

La ferme de Grand Viviers « appartenoit aux Religieux Célestins de Marcoussis estoit cy sa saine garde ». Les moines décidèrent d'y aller chercher du blé car elle était, disaient-ils « assez à nostre bienséant et de grande conséquence pour tenter ce qui se pourroit faire ». Il était décidé que pour cette année, le fermier paierait son bail en nature. On prélèverait une quantité de blé sur sa récolte et le reste serait son bénéfice « l'on pris résolution d'y servir les bléz que le fermier nous abandonnoit en déduction de nostre dire sauf à luy tenir compte du surplus ». L'affaire devient d'autant plus difficile puisqu'il y avait une bande de brigands qui s'était mise en garnison dans la ferme « qui commandoit à scier les bléz, à les battre sur le champ et à les enlever ». Après discussions, on pria les bandits de se retirer et de ne point toucher « aux bléz ny autres appartenances ». Voyant qu'ils n'étaient pas en nombre pour résister « on alloit quérir du monde suffisamment pour les faire sortir de force » et ils l'acceptèrent enfin et partirent avec tous leurs ustensiles.

Le fermier s'apercevant que les moines s'étaient rendus maîtres de la ferme se résolut d'y retourner avec toute sa famille, ses chevaux et troupeaux pour « faire l'oust ». À peine la moisson finie et mettant le fer à la grand'porte, les brigands reviennent entourant la ferme aussitôt et escaladant avec des échelles qu'ils avaient apportées de Courtabeuf. L'assaut dura quatre à cinq heures. Les gens de Marcoussis étaient seulement cinq en nombre « sçavoir deux Religieux prestres, un frère oblat, un chartier, et un bège, le fermier estant monté avec sa femme et ses enfants dans la volière sur la porte de la grange, commençoient à se lasser parce que les Religieux estoient encore à jeun, et qu'il restoit fort peu de pouldre, il falloit la mesnager, et tascher de faire quelque coup qui termina le combat ».

L'occasion d'en terminer arriva. Ayant observé par un trou que l'on avait fait au toit du grenier, on commandait un peu sur la grand'porte « un certain qui avoit grand'mine pour estre le commandant, qui icy donnant par ordre pour le feu que l'on avoit mis, tantost s'avance hors d'un gros horme prochain, tantost se retire derrière, l'on crut qu'avec un peu de patience on pourroit le prendre à découvert et l'abbatre ». Le charretier commis pour cette affaire le tira si juste dans le moment qu'il se détournait qu'il lui perça le cœur de deux balles « dont l'une demeura dans le corps et l'autre passa jusqu'à la peau du dos et s'y arrêta ».

Sonne la retraite et de monte à cheval; l'on enterra le corps dans le fossé du clos. La nouvelle de ce combat ne vint que sur les 2 ou 3 heures après-midi, après que tout fut passé, par un homme de Marcoussis, qui ayant vu roder les brigands le matin et presque surpris de crainte d'un mauvais traitement, était monté sur un pommier du clos de la ferme, d'où il avait vu toute la scène.

Le narrateur de Marcoussis mentionne pareille attaque d'une ferme que les Célestins possèdent en Brie proche de Nangis. Cette ferme, appelée la Mantresse, attaquée et l'objet de pillage de la part de Lorrains « campéz asses prèz que l'on sçait n'avoir espargné dans ce mesme temps ». Deux hommes et une femme étaient assiégés. Les attaquants mirent le feu à la grand'porte « et tandis que l'homme tiroit les fusils, la femme en chargeoit d'autre, elle faisoit encore boüillir des chaudonnets d'iau cette iau sçavoir et pour esteindre le feu et pour eschauder les Lorrains ». Finalement les assiégeants furent contraints de se retirer.

Pour finir, notre moine nous dit « tous les troubles civils finis, nous tombassent dans les troubles domestiques bien plus fascheux que sont les suites des premiers. Car après toutes les veilles, les fatigues, les soins, les despenses pour la continuation de nos fermiers, et nos parties particulières l'on vouloit non seulement nous faire porter les pleurs mais mesme leur rendre ce temps de guerre plus avantageux que celuy de paix. Nous avions de nous mesmes assez de compassion de leur misère et de justice pour traiter avec les raisonnables il fallut nonobstant nous défendre par la justice de ceux qui ne l'estoient pas ». En un mot, pour défendre leurs intérêts les moines retournaient vers les hommes de loi et aux procès.

La nuit du 24 mai 1656, à l'heure de vigile de l'Ascension, la grille de fer de la Chapelle de Sainte Barbe fut brisée, les voleurs n'emportèrent que dix nappes « qui estoient sur les cinq autels et ne passèrent oultre ». L'on présenta requête au Bailly de Marcoussis qui se transporta sur les lieux et s'y fit un verbal.

Pour conclure, nous dirons que la région parisienne fut, au cours de cette guerre civile, à nouveau ravagée, par les armées tant royales que rebelles et par une épidémie de typhoïde répandue par les soldats, dans un été torride, qui entraîna au moins 20 pour 1000 de pertes dans la population. Le roi rentra à Paris sous les acclamations le 21 octobre 1652 et s'installa au Louvre, puis plus tard, Mazarin revint aux affaires (7).

à suivre…

Notes

(1) Louis XIV garda toute sa vie deux affreux souvenirs de la Fronde. D'abord la fuite brusque de la Cour, de Paris pour le château de Saint-Germain, dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649. Puis, dans la nuit du 9 au 10 février 1651, le roi (12 ans) et sa mère sont retenus prisonniers au Palais-Royal et pour preuve qu'ils ne se sont pas enfuis, Louis XIV est exhibé en train de dormir devant la foule.

(2) Au lendemain de l'arrestation du conseiller Broussel, un des chefs de la Fronde parlementaire, Paris se couvre de 1.260 barricades autour du Palais-Royal, les 26-27 août 1648.

(3) Dans sa lettre du 7 septembre, Gaston d'Orléans donne ses consignes à Gui de Bar pour les mesures à prendre « pour empescher que ceux qui gardent mes dits Cousins, ne puissent avoir veüe ni communication avec ceux de vostre Régiment, ny autres personnes par les fenestres… ». Les princes furent logés dans les anciens appartements de l'amiral de Graville et la garde consistait en 7 hommes.

(4) Bléneau, ch.-l. cant., départ. Yonne.

(5) Charles de Monchy, marquis d'Hocquincourt (1599-1658) est un militaire d'origine picarde qui, sous Louis XIII, se distingua dans les différentes campagnes contre les Espagnols. Commandant l'aile gauche de l'armée royale à la bataille de Rethel, il reçut le bâton de Maréchal de France en 1651. Il fut tué en défendant Dunkerque le 13 juin 1658.

(6) Avant l'organisation d'une armée permanente par Le Tellier et son fils Louvois, le métier des armes est resté l'affaire des mercenaires et de quelques ambitieux. Mal ou pas payés, les mercenaires vivaient de butin pris dans les contrées traversées. Ici ce sont les armées royales qui pillent, alors qu'on s'attendait aux rebelles. (7) Ayant brisé toutes les oppositions, dirigeant le pays en véritable monarque absolu, Mazarin est resté premier ministre jusqu'à sa mort au château de Vincennes, le 9 mars 1661 des suites d'une longue maladie. Le prince de Condé continue de vivre en exil pendant 7 ans, puis recouvre ses biens grâce au traité des Pyrénées. Le prince de Conti est dépouillé de ses bénéfices ecclésiastiques mais épouse Anne-Marie Martinozzi, la nièce de Mazarin. La duchesse de Longueville ne connaît pas de disgrâce.

dagnot/chronique15.01.txt · Dernière modification: 2020/11/11 20:54 de bg