Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Les fils du dernier seigneur de Bellejame

Juin 2008

J.P. Dagnot

Chronique du vieux Marcoussy

Cette chronique prend la suite de celle du dernier seigneur de Bellejame (*). Revenons moins d'un mois avant le décès de Charles Thomas de Bullion. Ce dernier constitue à un dénommé Mallet 6.000 livres de rente représentant un capital de 120.000 livres. Cet emprunt important va bouleverser la vie de la famille.

Fin des Bullion à Bellejame

Le dernier seigneur décède en octobre 1791, seul son troisième fils Jean Charles est présent à l'inhumation. Pierrette Petitjean, sa veuve, se déclarant encore épouse d'un chevalier de l'ordre royal et militaire de St Louis, demeurant ordinairement à Bellejame, et comme jouissant de l'usufruit des terres de Bellejame, nomme Etienne Groulon son concierge et régisseur actuel, procureur général et spécial, pour administrer les terres de Bellejame. L'acte est rédigé au manoir.

La famille possède un appartement à Paris où il est également procédé à un inventaire après décès. Pierrette Petitjean est présente à Paris et certifie qu'elle est tutrice de Claude Edmé Henry, Guy Jacques & Jacques Jean Charles, ses trois enfants mineurs dont ils sont habiles à se dire & porter héritiers chacun pour un tiers. L'acte nous apprend que parmi les dettes, une somme de 100 livres est due à Arrachard, chirurgien oculiste (le dernier seigneur est-il décèdé d'une complication relative à une intervention par un spécialiste de la cataracte). Nous relevons d'après les gages, un personnel au service de la famille composé de six domestiques.

En décembre, un conseil de famille donne son avis au juge de paix de Palaiseau, de la nomination de Pierrette Petitjean, tutrice de ses trois enfants mineurs, seuls & uniques héritiers de mon dit sieur Charles Thomas leur père. Ladite dame de Bullion est également autorisée par un avis de parents pris sous la présidence de monsieur le juge de paix de la section de Grenelle à Paris du 16 décembre, homologué par jugement du tribunal du sixième arrondissement le 21 décembre, à accepter pour ses enfans mais bénéficiairement la succession de leur père & à faire procéder à la vente sur publication des biens immeubles réels ou fictifs dépendant de la succession, notamment des terres de Guillerville, Bellejame et leurs dépendances, pour le produit des ventes être délégué aux créanciers.

L'année 1792, étrange année pour Marcoussis, l'est également pour la famille de Bullion: - En mai, Pierette Petitjean, demeurant à Paris rue de l'Université et encore au château de Bellejame, tutrice de Claude, Guy & Jacques ses enfants mineurs, lesdits mineurs héritiers de leur père Charles Thomas, rachète les droits féodaux du fief de Guillerville, pour la somme de 9.749 livres en assignats. - En juillet, Barré avoué au profit de Dubois, est adjudicataire du domaine de Bellejame et du clos des Célestins, suivant un jugement de l'audience des criées du tribunal du quatrième arrondissement de Paris, rendu sur la poursuite de Madame Pierrette Petitjean, veuve de Monsieur Charles Thomas de Bullion, au nom & comme tutrice pour régler des créanciers. Cette adjudication a été prononcée moyennant le prix principal de 451.000 livres, en sus des charges. A l'article 21 des charges, il a été dit que l'adjudicataire auroit la faculté de payer ce qui resteroit dû lors de l'adjudication aux domaines nationaux sur le prix des biens de l'article 68 (clos des Célestins probablement).

Le premier trimestre 1793, voit le paiement de 120.750 frs pour le remboursement de 6.000 livres de rente. Ce règlement est fait par le nouveau propriétaire de Bellejame, Augustin Dubois et lui permet ainsi de libérer la ferme des prés qui servait d'hypothèque. D'autres créanciers sont également remboursés ainsi que la veuve du seigneur de Bellejame.

En décembre de la même année, le citoyen Dubois et la veuve de Bullion, en son nom personnel et créancière de la succession de son mari avoient été liquidées à la somme de 437.053 livres deux sols un denier, suivant acte passé devant un notaire à Paris et qu'elle étoit à ce titre plus ancienne créancière de ladite succession & venant en ordre utile sur le prix de la terre de Bellejame. Et qu'il demeurait constant d'après les causes des oppositions qui se sont trouvées au sceau des lettres de ratification & dont l'état a été annexé à la minute de la première des quittances sus énoncées, que les créances de Madame de Bullion liquidées comme il vient d'être dit, absorbaient en bien au dela ce qui restait dû sur le prix de l'acquisition en principal & intérêts … de ces considérations Mr Dubois restait débiteur de 249000 frs, laquelle a été payée à Mme de Bullion pour solde. D'où un prix total avec intérêts de 467791 frs.

De ces opérations financières, les créances dépassant le prix de l'adjudication, les enfants n'ont rien! La conclusion en fin de chronique donne une explication.

Guy Jacques de Bullion

A la mort de son père Guy n'a que 18 ans et il vit avec sa mère et demeure rue Notre-Dame de Nazareth, division du Temple. Il attendra l'âge de sa majorité pour épouser Agnès de Gourgue. Le mariage est fait en séparation de biens. Notons parmi les présents à la célébration des noces Jacques François Mallet, le prêteur des 120.000 livres et Marie Martineau.

Un héritage permettra à Guy Jacques d'acquérir un ensemble de biens en Eure-et-Loir, représentant 40.000 frs. Dans la foulée il fait donation à son frère Edmé Henry, d'une somme de 10.000 frs sur laquelle il constitue une rente de 500 frs, pour lui permettre des moyens plus faciles d'exister. Cette rente est adossée aux achats réalisés en Eure-et-Loir.

Charles Edmé Henri de Bullion

Comme son père l'aîné est militaire. Prenant peur après les émeutes du printemps 1791, il préfère quitter la France comme bien d'autres nobles de son rang. On le retrouve cité l'année suivante par le comte de la Grandville, officier général des troupes françaises en exil: “Je certifie que monsieur Charles Edmé Henri, comte de Bullion a fait la campagne de 1792 à l'armée que commandait monseigneur le duc de Bourbon, et particulièrement dans les escadrons qui étaient sous mes ordres, avec tout le zèle et la bravoure & la bonne conduite que l'on attend d'un officier tel que lui”.

L'année suivante, le comte de Blangy, général de brigade des chasseurs nobles de plusieurs régiments de cavalerie y réunis, certifions que le comte de Bullion se trouvant dans la ville de Maastrich lorsqu'elle fut assiégée par les Rebelles français a concouru à sa défense avec fidélité & courage, et à une sortie que nous fîment pour repousser l'ennemi, il y a été blessé dangereusement et qu'il est du nombre des nobles et militaires françois à qui l'on a promis la croix de mérite, en foi de quoi, nous lui avons délivré le présent certificat pour lui valoir dans toutes les occasions, et nous l'avons signée… Le lendemain, le bourgmestre et les conseillers jurés de la ville de Maastricht, attestent et certifient que Monsieur le comte de Bullion, capitaine en second dans l'armée de Son Altesse Sérénissime monseigneur le duc de Bourbon, que se trouvant dans cette ville lorsqu'elle fut assiégée y a été blessé grièvement à une sortie commandée par le fils du général Blangy …

En 1795, c'est le tour de Woodford, plénipotentiaire de sa majesté britannique, commissaire général et grand inspecteur des corps français attaché à la solde de l'Angleterre: nous avons trouvé nécessaire de récompenser les officiers blessés qui ont servi à la solde de Sa Majesté britannique avec fidélité & courage, et croyons devoir promettre à Monsieur le comte Henri de Bullion, une pension de 1.000 frs tôt ou tard ayant fait le service comme capitaine en second: 1)° dans l'armée de SAS monseigneur le duc de Bourbon, 2°) ensuite dans un des corps françois attaché à la solde de l'Angleterre, et y rempli les devoirs de capitaine, mais les suites de ses blessures douloureuses ont empêché Mr le Comte de Bullion de continuer son service comme tel….

Sceau anglais Dieu & le roi ,“inspection des corps étrangers”

Les années passent, la France républicaine occupe l'Europe du nord. En 1802, la mère d'Edmé Henry, demeure à Chatenay, arrondissement de Sceaux, chez Guy Jacques de Bullion son second fils. Elle fait une donation de 10.000 frs représentant une rente de 500 frs à son fils exilé. Elle provient de “la succession de Jacques Frecot, mon oncle à la mode de Bretagne” … On retrouve ainsi Henry de Bullion à Aldorf approuvant la donation. Il est toujours émigré dans le pays de Souabe et méfiant ne franchit pas encore la frontière française. On a vu précédemment que son frère a fait également une autre donation de 500 livres.

En fin d'année, la politique de la France permet aux émigrés de rentrer en France. Ainsi un document faite le 30 messidor an 10 devant le commissaire délégué à Strasbourg, par Henri Bullion âgé de 29 ans, né à Marcoussis, de laquelle il résulte que: - le déclarant ne jouit d'aucuns titres, places, décorations, traitement, ni pension, de puissance étrangère, - vu le serment qu'il a fait d'être fidèle au gouvernement établi par la constitution, et de n'entretenir aucune liaison avec les ennemis de l'Etat, arrête ce qui suit: - amnistie est accordée pour fait d'émigration à Henri Bullion, - il rentrera en conséquence dans la jouissance de ceux de ses biens qui n'ont été, ni vendus ni exceptés par l'article 17 du sénatus-consulte. Ce document provenant du grand juge & ministre de la justice, préfecture de Seine & Oise.

Cependant l'exil du militaire blessé continue. Sa mère rédige, en 1809, son testament: elle lègue à Henry son fils ainé, tout ce que la loi lui permet de disposer le jour de son décès.

Deux ans passent, Pierrette Petitjean décède à Paris. Un inventaire fait à la demande du notaire exécuteur testamentaire, et de ses deux fils, frères germains, héritiers chacun par moitié du reste de ce que laissera la loi du préciput légué à Henry. Ce dernier reste néanmoins au Wurtemberg comme sujet de sa majesté le roi de Wurtemberg à Altdorf en Souabe et mandate un procureur. Le partage s'effectue ainsi: - Guy Jacques de Bullion, reçoit un tiers, - Marie Martineau, banquier, représentant Henry, deux tiers, dont une part comme légataire universel.

Nous arrivons en 1815, Louis baron de Welden, chambellan du roi de Wurtemberg, certifie que le marquis de Bullion a rempli les formalités voulues par la commission nommée par Sa Majesté le roi Louis XVIII et a constaté de ses blessures comme il suit: - il a requis deux chirurgiens, à l'effet de visiter & constater lesdites blessures , … reçues au siège de Maastricht en Hollande: il a été blessé au côté droit par une pointe de bayonnette qui lui a fait cracher le sang très long-tems, sa seconde blessure est au pouce droit par un coup de sabre qui lui a coupé les nerfs près de la jointure, a été déboité, & à peine peut-il se servir de ce pouce par la raideur qu'il a conservé après la guérison,… ces inconvénients prouvent malheureusement que Mr le marquis de Bullion n'est plus à même de resservir dans le métier militaire, puisqu'il est estropié.

Afin de compléter son dossier militaire Henri de Bullion se rend à Strasbourg où il fait confirmer par le comte de Penthièvre, préfet du Bas-Rhin, son acte de bravoure de 1793. Trois mois après, le ministère de la guerre, via le bureau des soldes de retraite, accorde avec effet rétroactif au premier octobre 1814, une retraite de 600 frs. Le courrier est adressé au 13 rue Chapon au Marais à Paris.

Un dernier document de 1817, où Henri de Bullion demande à recevoir sa solde de retraite à Altorf. Au verso est un questionnaire qui par ses réponses résume l'état d'esprit de notre ancien militaire où l'on apprend: - son grade, capitaine de cavalerie - qu'il réside à Altdorf, depuis 22 ans soit à partir de 1795 , - qu'il a pris des habitudes dans ce pays, par les suites de ces malheurs & de ceux de la France, - qu'il désire toujours retourner en France quand son existence pourra y être assurée, - et qu'il n'a pas perdu la nationalité de François par la naturalisation qu'il a acquise en pays étranger.

Pour conclure, après avoir connu la situation d'Henri, on peut raisonner de la manière suivante: - le marquis Charles Thomas, sentant sa mort prochaine, est conscient que son fils est considéré comme émigré, et que sa part d'héritage reviendra à la Nation, - un mois avant son décès, il constitue une rente lui permettant d'obtenir une somme importante en liquide, 120.000 livres, et qui représente une créance sur sa future succession, - l'estimation des biens échus aux enfants, compte tenu de cette somme, conclut à un énorme passif si l'on intègre également les créances de sa femme. Par ces subterfuges, la Nation ne touchera rien et la fortune de famille sera préservée . La ci-devant marquise appliquera ce plan, et, à la fin de sa vie, elle pourra assurer des rentes à son fils exilé.

dagnot/chronique15.02.txt · Dernière modification: 2020/11/11 20:55 de bg