Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Le portail de Longpont

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis————— _——————————–Décembre 2008

Le tympan de la basilique de Longpont-sur-Orge (photo de l'auteur).

C. Julien

Cette Chronique a pour centre le XIIIe siècle, puisque le portail occidental de Longpont-sur-Orge, de pur style gothique, est donné pour avoir été achevé au cours de la période 1220-1240. Bénéficiant de nombreuses donations pieuses et de l'élan donné par Guillaume de Milly, l'un des plus brillants prieurs siégeant à Longpont, la construction de l'église se termina par le portail dont l'iconographie du Moyen Âge et les sources d'inspiration relèvent des grandes cathédrales de l'Île-de-France.

Etalée sur deux siècles environ, l'édification de l'église de Longpont témoigne de plusieurs styles. Le plan initial très simple, la croix latine de Cluny II, subsiste encore. Le portail de Longpont est l'achèvement du prieuré qui reçut une des grandeurs de Cluny : l'amour de l'art (1). Il peut être considéré comme la sculpture monumentale aboutie de l'iconographie clunisienne. Il est souvent apparenté au portail vieux de Chartres sculpté aux environs de 1150 et au portail de N.-D. de Paris avec son tympan terminé vers 1225 (2).

L'iconographie du Moyen Âge

Le Moyen Âge a conçu l'art comme un enseignement. Le Moyen Âge eut la passion de l'ordre. Il organisa l'art comme il avait organisé le dogme, le savoir humain et la société. La représentation du sacré devient une science qui trouve son point culminant avec les cathédrales gothiques du XIIIe siècle. C'est à cette époque, le terme de la construction de l'église de Longpont que les artistes achèvent par l'œuvre ultime du portail occidental.

Les vitraux des églises et les statues du porche étaient considérés comme « la Bible des pauvres ». Les gens simples apprenaient par leurs yeux tout ce qu'ils devaient savoir de leur foi. Grâce aux innombrables statues du porche de Longpont disposées dans un ordre savant, les plus hautes conceptions de la théologie arrivent jusqu'aux intelligences les plus humbles. Toutefois, quiconque arrive sans préparation devant le porche de Longpont, ne saurait entrer dans ce monde fermé. Il faut un guide.

La sculpture est une écriture sacrée dont l'artiste a donné les éléments hautement codifiés. En second lieu, l'iconographie doit obéir aux règles d'une mathématique sacrée : la place, l'ordonnance, le nombre, la symétrie y ont une importance extraordinaire. Un troisième caractère procède d'un usage symbolique d'où il résulte une harmonie qui touche au surnaturel.

Dès le XIIe siècle, les moines de Cluny jugèrent sages de prévenir l'hérésie naissante. Dans l'œuvre de leurs sculpteurs, ils imposèrent l'enseignement des deux principaux sacrements de l'Église : Pénitence et Eucharistie. C'est donc l'esprit clunisien qui explique le portail de Longpont selon la formule « Visibus humanis monstratur mistica clavis », l'œil de l'homme peut contempler ici la clef mystique.

La construction de l'église prieurale

Depuis sa fondation en 1031 par Guy 1er de Montlhéry et sa femme Hodierne de Gometz, Longpont a toujours été un sanctuaire sous l'invocation de la sainte Vierge « ecclesie in burgo Longo Ponte dicto sitam et in honore sancte Dei genitricis sundatam et dedicatam » (3). La Vierge Marie est représentée “en majesté”, avec l'enfant Jésus. Elle est entourée d'anges, et pour respecter la tradition, elle est située dans le tronc creux du chêne des druides. Selon la légende, la statue gauloise d'une “ Virgini Pariturae ” aurait été trouvée dans le tronc d'un chêne sur la butte de Longpont.

Pour notre plus grand malheur, aucun document ne renseigne sur la construction de l'église et des bâtiments conventuels. Outre le nombre important des libéralités pieuses inscrit par le cartulaire, deux chartes indiquent d'une manière diffuse la construction de l'église de Longpont. Il s'agit, d'une part, d'une rente cédée en 1136 par Guillaume de Massy « tali condicione quod custos operis, qui annonam habere debet donec opus consummetur, &, constructo opere, sacrista ad quem redditus veniet, si ad terminum non habuerit, tunc hospitem ante se submonebit » ; c'est en qualité de protecteur de l'œuvre que le chevalier donne cette annone qui doit appartenir jusqu'à l'accomplissement de l'ouvrage, et la construction de l'église faite, le couvent rendra le bien (charte XX). D'autre part, quatre ans plus tard, Herbert d'Ablon et Holdéarde, sa femme, donnent une partie de leurs revenus annuels à prendre sur des vignes à Turnell « ad opus ecclesie saciende, omnibus annis, unum quostereth vini de vinea sua de Turnella, que est in terra sancti Nicholai de Givisiaco ». Il s'agit de l'annone et une queue de vin sur la terre de Saint-Nicolas de Juvisy (charte CLXXVI).

Pendant la phase finale de la construction, les moines de Longpont bénéficièrent de l'aide financière des rois et notamment Philippe Auguste qui résidait souvent à Montlhéry. Seigneur haut justicier, il fit publier, en 1181, une ordonnance portant défense aux commandants du château de Montlhéry de laisser couper les herbes dans la prairie d'Orge au profit du couvent de Longpont. Puis, un diplôme daté de 1204 confirmait l'acte d'échange fait entre le chapitre de Paris et les religieux de Longpont par « lequel le dit chapitre cède auxdits religieux de Longpont la dixmes de Marolles; et en contre échange, lesdits religieux cèdent ce qu'ils possèdent à Viry et payent en outre la somme de 70 livres de retour ».

Le portail de Longpont

Il semble que le portail de Longpont ait été inspiré par celui de Senlis, où l'artiste réalisa l'un des joyaux de la sculpture du XIIe siècle. Le portail occidental dédié à Marie représente pour la première fois le thème du Couronnement de la Vierge. La situation est identique à Longpont. Le portail avec son linteau et son tympan du début du XIIIe siècle, en dépit des mutilations dues aux guerres de religion, est tout à fait remarquable par la qualité de ses sculptures et par son thème de la « Glorification de la Vierge Marie ».

Nous retrouvons le même tympan qui représente la Dormition et la glorification à Notre-Dame de Paris, à Chartres, à Sens, à Auxerre et à Senlis. Ces tympans se ressemblent, mais le même thème est traité différemment. Le tympan de Longpont, par le style du sculpteur, est de la même veine que ceux de Paris et de Chartres. La composition bipartite du linteau, identique à Senlis, avec la mise au tombeau et la résurrection.

Le portail de Longpont, en arc brisé, est entièrement consacré à Marie. Achevé au XIIIe siècle, c'est pour les hommes du Moyen Âge, l'entrée du Paradis, la porte du Ciel. Ici, la Vierge Marie fait le lien entre le ciel et la terre. La Vierge couronnée au trumeau, porte l'enfant Jésus. Reine du ciel, elle offre son Fils pour le salut du monde. La Vierge de Longpont est la Nouvelle Eve, celle qui écrase le Mal « [sa descendance] t'écrasera la tête » (Génèse 3, 15). Son pied droit repose sur un reptile à tête de femme, un deuxième dragon se contorsionne sous son pied gauche « Mais le dragon fut vaincu, et ses anges et lui n'eurent plus la possibilité de rester dans le ciel » (Apocalypse 12, 8).

La Vierge à l'enfant située sur le trumeau, décapitée en 1562, a été restaurée en 1850 par le sculpteur Bornardel qui l'a gardé à son emplacement d'origine. La tête de l'enfant a été également vandalisée. À Longpont, le pan du drapé englobe le coude droit de Marie et se tend à la taille avec des plis fins et serrés. L'enfant est statique, la jambe droite pliée s'appuie contre Marie, la jambe gauche est tendue en avant. Enfin, la Vierge porte une broche rectangulaire à décor de cabochons fixée à l'encolure de la robe.

Les voussures qui surmontent cet ensemble sont décorées par des anges, des Vierges folles et des Vierges sages qui apparaissent, tenant chacune une lampe « Alors le Royaume des cieux rassemblera à l'histoire de dix jeunes filles qui prirent leurs lampes et sortirent pour aller à la rencontre du marié. Cinq d'entre elles étaient imprévoyantes et cinq étaient raisonnables … » (Mathieu. 25, 1-13). Les anges portant alternativement coupe, encensoir ou cierge situent la scène principale dans le domaine céleste. Dans les voussures, on remarque une série de volutes végétales. Il s'agit de l'Arbre de Jessé, représentant les ascendants du Christ.

Le langage symbolique

Un des caractères de l'art du Moyen Âge est d'être un langage symbolique. L'art chrétien parle par figures. Il nous montre une chose, et il nous invite à en voir une autre. L'artiste doit imiter Dieu « qui a caché un sens profond sous la lettre de l'Ecriture, et qui a voulu que la nature elle-même fût un enseignement ». Il y a donc, dans l'art du Moyen Âge, des intentions qu'il faut savoir comprendre.

À Longpont, lorsque nous voyons les Vierges folles et les Vierges sages, nous devons entendre qu'elles sont là pour symboliser les réprouvés et les élus . Tous les commentateurs du Nouveau Testament, nous l'apprennent, et ils nous l'expliquent en nous disant que les cinq Vierges folles figurent la concupiscence des cinq sens, et les cinq Vierges sages les cinq formes de la contemplation intérieure.

Aucun des personnages du Nouveau Testament ne doit plus à la légende que la Vierge. Dans nos églises, les récits apocryphes de la vie et la mort de Marie se voient partout. C'est un fait curieux qu'au XIIIe siècle, la légende (ou l'histoire de la Vierge) soit sculptée aux portails de toutes les cathédrales. La Vierge a une place d'honneur à Chartres, Senlis, Amiens et Notre-Dame de Paris, mais aussi à Longpont. Ainsi, les clunisiens avaient introduit le culte de Marie dès le XIe siècle « De Laudibus beate Mariæ », à la Gloire de la Vierge. Elle se montrait au pêcheur miséricordieuse, souriante et était proche des fidèles qui lui attribuaient tant de miracles, tant d'apparitions. C'est ainsi que les artistes conçurent une Vierge rayonnante d'orgueil maternel au portail ouest de Longpont.

La Jérusalem Céleste , la Jérusalem terrestre, l'arbre à fruits et l'arbre sec à la cognée.

À partir du XIIe siècle, Marie sort dans la lumière de l'Évangile, par l'Annonciation et la Visitation. La légende réapparaît aux derniers moments de la Vierge : l'histoire de sa mort, de son ascension (Assomption) et son Couronnement est tout entière apocryphe. Les églises qui sont consacrées à la Vierge montrent presque toujours son Couronnement dans un tympan, dans un pignon, dans un gâble de la façade (4). C'est le thème central du tympan du portail de Longpont. Aucun sujet ne fut donc plus populaire. Aussi l'Église ne voulut-elle pas enlever aux fidèles la joie de croire au merveilleux récit de la Mort et de l'Assomption de Marie. C'est Grégoire de Tours qui fit connaître la légende dans son « De Gloria martyrum ».

La Mort de la Vierge n'apparaît pas dans l'art monumental avant la fin du XIIe siècle. On la voit pour la première fois, vers 1185 au linteau du portail de Senlis. Au portail de Chartres, qui date des premières années du XIIIe siècle, la scène est mieux conservée. C'est alors que commencent les funérailles de la Vierge. À Longpont, les deux scènes du linteau représentent la Dormition de la Vierge : la Mise au Tombeau , son ensevelissement par les apôtres dans la moitié nord ; la Résurrection , la scène du réveil, dans la partie sud. Ici, les crucifères représentent la divinité.

Les apôtres mettent eux-mêmes le corps de la Vierge au tombeau. C'est une scène qui est souvent confondue avec la Mort de la Vierge. On peut remarquer que la Vierge n'est pas étendue sur un lit, mais suspendue au-dessus du tombeau où elle va disparaître, pendant que les apôtres, soutenant le linceul, contemplent encore un instant la Mère du Seigneur. Dans la scène de la Résurrection , deux anges tremblants de respect, enlèvent la Vierge du Tombeau. Ils la portent doucement sur un long voile, car ils n'osent toucher son corps sacré. Des apôtres pensifs méditent sur ce mystère. Après la résurrection a lieu l'Assomption.

Le Couronnement de la Vierge

Le couronnement de la Vierge est intimement lié à son Assomption. Emile Mâle écrit : “ Le miracle pour célébrer la Vierge au XIIe siècle fut celui de Théophile. Mais un miracle pour honorer la Vierge , ce n'était pas assez. Dans la deuxième moitié du XIIe, c'est la mort, la résurrection et l'assomption de la Vierge qui vont commencer à emplir les portails ”. Il semblerait que Suger soit à l'origine du développement iconographique du couronnement de la Vierge. Puis , le thème fut repris par l'abbaye de Cluny et par son abbé Pierre le Vénérable pour combattre l'hérésie. « Ad mensam Domini peccator quando propinquat expedit ut fraudes ex toto corde relinquat », quand le pêcheur s'approche de la table du Seigneur, il faut qu'il demande de tout son cœur le pardon de ses fautes.

La Vierge , tournée vers les “pauvres pêcheurs”, est couronnée par un ange en intercédant et priant son Fils.

Quand Marie est arrivée au ciel, portée par les anges, Jésus la fait asseoir à sa droite sur son trône en un vêtement d'or « Astitit regina adextris ejus, in vestitu deaurato ». Un ange sorti du ciel place une couronne sur son front. C'est le Couronnement de la Vierge sur le tympan du portail de Longpont identique à celui du tympan de Notre-Dame de Paris qui a été mis en place vers 1220 (5). La formule nouvelle du Couronnement de la Vierge qu'il inaugurait a régné pendant plus d'un quart de siècle. Marie couronnée est bénie par le Christ et « les chœurs des Bienheureux, remplis de joie, l'accompagnèrent dans le Ciel, où elle s'assit sur le trône de la Gloire , à la droite de son Fils ». Au cours du XIIIe siècle, cette scène du Couronnement de la Vierge se présente à Longpont comme une imitation de celui de Senlis : la Vierge est assise à la droite du Christ et deux anges agenouillés portent des flambeaux. Ce qu'il y a de remarquable ici, c'est que la sainte Vierge est couronnée par un ange et que son Fils se contente de lever la main droite pour la bénir. Le Couronnement vient donc d'avoir lieu, et la Vierge a pris possession du trône pour l'éternité. On notera également les crucifères sur le trône.

Pour certains aspects, l'artiste du Couronnement de la Vierge de Longpont a emprunté des détails de celui de Notre-Dame de Paris. Il n'y a rien de plus chaste et de plus grave dans cette représentation où la Vierge tourne vers son Fils son pur visage et le contemple en joignant les mains. Le geste de la Vierge exprime à la fois la reconnaissance et la modestie. Nous ignorons si ce groupe était polychrome, toutefois, le soleil couchant, les soirs d'été, lui rend son antique parure dorée.

La première grande fête du cycle des saints est la Nativité de la Bienheureuse Marie, célébrée le 8 septembre. Saint Boniface introduisit la fête de la Nativité de la Vierge en Allemagne où elle fut prescrite au concile de Salzbourg en 799. L'Évangile lu aux matines du 8 septembre (Luc 1 : 39-49, 56) décrit la visite faite par Marie à Élisabeth. Et il y a cette phrase dite par Élisabeth à Marie : “ Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni ”. La fête de la nativité de Marie est en quelque sorte prolongée le lendemain (9 septembre) par la fête de Saint Joachim et Sainte Anne dont une tradition incertaine a fait les parents de la Vierge.

À Longpont, la fête de la Nativité de la Vierge a été exaltée par la fondation, par le roi Louis VII, d'une foire accordée au couvent et à son prieur Pierre. « Quorum peticionem misericorditer amplectantes, ecclesie sancte Marie Longi Pontis nundinas, a vigilia nativitatis beate Marie que colitur in septembri usque ad octobas continue perdurantes, concessimus », depuis la veille de la Nativité de la Vierge , du 7 au 15 septembre de chaque année. Le droit de tenir une foire est concédé avec tous les privilèges afférents. « omnes justicias & consuetudines ad easdem ferias pertinentes, pedagio & conductu nostro excepto », c'est-à-dire que les voyageurs et les commerçants de la foire de Longpont bénéficiaient du conduit royal ou seigneurial à l'aller et au retour. Ils étaient donc exemptés du droit de tonlieu. L'acte fut rédigé à Étampes, en 1142 (après le 1er août, selon Ulysse Chevalier), en présence de Machaire, abbé de Morigny (charte III).

La parabole des Vierges sages et des Vierges folles

Quatre paraboles seulement ont été représentées dans nos cathédrales à l'exclusion des autres : l'histoire du bon Samaritain, celle de l'Enfant prodigue, celle du Mauvais Riche et celle des Vierges sages et des Vierges folles . C'est cette dernière qui est évoquée sur le portail de Longpont. Il faut avouer que ce symbolisme est l'un des plus dramatiques, le plus touchant et le plus vraiment populaire de l'Évangile.

L'histoire de Vierges sages et des Vierges folles est la parabole qui a rencontré le plus de ferveur au XIIIe siècle, l'Évangile de Mathieu. Suivant les théologiens, elles sont elles-mêmes la figure symbolique des réprouvés et des élus . Leur histoire mystérieuse et terrible est celle du dernier soir de l'humanité. Jamais un nombre n'est mis au hasard dans l'Ecriture. Le Vierges sages sont au nombre de cinq parce qu'elles figurent les cinq formes de la contemplation intérieure, qui sont comme les cinq sens de l'âme. Elles sont donc l'image parfaite de l'âme chrétienne tournée vers Dieu. L'huile qui brûle dans leur lampe est la vertu suprême : la Charité . Quant aux cinq Vierges folles, elles symbolisent les cinq formes de la concupiscence charnelle, les joies des cinq sens, qui font que l'âme oublie toute pensée divine et laisse s'éteindre en elle la flamme de l'amour.

L'époux que les Vierges attendent à la porte de la maison nuptiale, est Jésus-Christ. Elles attendent longtemps, si longtemps qu'elles s'endorment ; et leur sommeil lui-même est symbolique : il figure l'attente des générations humaines qui se sont endormies du sommeil de la mort, et qui, après de longs siècles, se réveilleront à l'heure du second avènement de Jésus-Christ « Soudain, un cri fut poussé au milieu de la nuit » (Mathieu. 25, 6). C'est l'effrayant cri nocturne de l'archange, la trompette de Dieu, au moment où nul ne s'y attendra : car « vous ne savez ni l'heure ni le jour » (Mathieu. 25, 13). Les Vierges se lèvent et celles qui viennent avec la lampe où brûle l'amour de Dieu entrent avec l'époux ; les autres restent derrière la porte fermée, et l'époux leur dit « « Je vous le déclare, c'est la vérité : je ne vous connais pas » (Mathieu 25, 12).

On comprend maintenant pourquoi, au XIIIe siècle, la parabole des Vierges sages et des Vierges folles est toujours associée au Jugement dernier. Leur présence donne à cette scène terrible la garantie de la parole divine ; elle rappelle au chrétien que Jésus-Christ, lui-même, l'a prédite dans tous ses détails sous le voile transparent du symbole. Le Moyen Âge n'a pas manqué à la hiérarchie, mettant les Vierges sages à droite du Christ et les Vierges folles à sa gauche. C'est bien l'agencement que l'on retrouve à Longpont.

Le Jugement dernier à Longpont

Le portail de Longpont ne donne pas directement la lecture du Jugement dernier. Nous venons de voir que celui-ci est implicitement inscrit dans la parabole des Vierges sages et des Vierges folles. Mais il y a d'autres éléments qui nous l'explicitent. Un arbre chargé de fruit (à l'allure d'un chou), arbre du cycle de la Création, se montre à la droite du Christ, et un arbre sec, entamé par la cognée, se voit à la gauche. Le sens n'en saurait être douteux : l'allusion aux peines et aux récompenses est évidente « Tout arbre qui ne portera pas un bon fruit sera coupé et jeté au feu », c'est là, semble-t-il, la hache et le feu dont il est parlé dans l'Évangile. La hache symbolise, comme il se doit, la séparation des damnés qui seront, en ce jour du Jugement dernier, retranchés de l' Église triomphante.

Il n'y a pas trace du Purgatoire dans le portail du XIIIe siècle, car seuls le Paradis et l'Enfer sont éternels. C'est alors qu'au bas des voussures on aperçoit la Jérusalem terrestre et la Jérusalem céleste qui sont encore une fois le symbole du Jugement dernier « …et l'ange me transporta au sommet d'une très haute montagne. Il me montra la ville sainte, Jérusalem… ».

La Jérusalem Céleste est constamment décrite par le Cercle, forme géométrique “achevée”, qui permet aussi de représenter le royaume de Dieu. Ce cercle devient par analogie la Cité idéale divine, mais également la connaissance, ici la Vérité absolue enfin donnée aux hommes. Le nombre 12 est aussi associé à la Jérusalem Céleste , c'est le symbole des douze tribus d'Israël, des douze apôtres et l'idée même de la perfection.

La Jérusalem terrestre, la ville sainte symbolise l'Église « Et je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui descendait du ciel, envoyée par Dieu, prête comme une épouse qui s'est faite belle pour aller à la rencontre de son mari » (Apocalypse 21, 2).

Les grandes statues du portail

Dans les ébrasements du portail (côtés latéraux) se trouvent deux groupes de deux statues-colonnes qui ont été mutilées aux têtes et aux mains par les Huguenots de Condé en 1562. Elles encadrent la Vierge à l'enfant située au trumeau. De ce fait les statues sont difficilement identifiables.

Selon la tradition clunisienne, il devrait s'agir de saint Paul et saint Pierre de chaque côté de la porte, et sur le côté extérieur de saint Étienne à gauche et de saint Marcel à droite. Cette tradition se perpétuait encore au XIIIe siècle. Au portail du prieuré de Charlieu, on reconnaît le Christ entre saint Pierre et saint Paul, les deux patrons de Cluny. C'est une sorte d'hommage du prieuré à l'abbaye-mère.

La façade de l'église de Longpont, dessin de juin 1792.

À Longpont, les deux apôtres sont reconnaissables à leurs pieds nus. Saint Paul tient un objet, sans doute une épée sortie du fourreau. Ce n'est pas un instrument de martyr mais une arme spirituelle qui symbolise « … et l'épée de l'Esprit, qui est la parole de Dieu » (les épîtres de saint Paul, Ephésiens 6,17). Les attributs de saint Pierre, la croix dont une trace reste sur la poitrine et les clefs dans la main droite, sont présents à Longpont. La croix symbolise le christianisme que saint Pierre, dépositaire de la doctrine, est chargé d'enseigner au monde. Selon la tradition du XIIe siècle saint Paul et saint Pierre occupent respectivement les places « à dextre et à senestre ».

Les deux autres statues représentent des saints martyrs : un diacre et un évêque. Il s'agit très probablement de saint Etienne et de saint Denis, évangélisateur de la « civitas parisiensis » selon la légende. Son disciple saint Yon aurait évangélisé Longpont au IIIe siècle, celui même, dit Michel Réale « qui aurait édifié un sanctuaire sur la butte de Longpont et y aurait déposé le morceau de voile de la Vierge ».

Quand l'abbé Louis Millin visita Longpont en juin 1792, il fit l'historique de l'église en s'appuyant sur les travaux de l'abbé Lebeuf. Il reprocha à son dessinateur d'avoir mal observé les détails de la façade. La statue située du côté méridionale de la Vierge du trumeau lui parut être de saint Barthélemy alors qu'il s'agit de saint Pierre. Il faut voir dans cette attribution, le fait que la paroisse de Longpont avait été placée sous le vocable de ce saint alors que l'église prieurale était sous l'invocation de sainte Marie. Depuis, certains auteurs ont décrit que les apôtres et les saints figurant de part et d'autre des ébrasements de Longpont sont : saint Jean, saint Barthélemy, saint Etienne et saint Denis. Il faut donc voir ici une erreur notable d'appréciation.

La magnifique façade de Longpont avait été également conçue pour attirer les pèlerins, ceux qui vénéraient le morceau du voile de Marie , mais aussi ceux qui, passant à Longpont, se rendaient à Saint-Jacques de Compostelle. Cette façade est flanquée au nord d'une tour carrée à un étage montée sur un soubassement massif, avec à l'angle nord-ouest une tourelle d'escalier polygonale. Les deux niches vides situées de chaque côté du tympan étaient autrefois occupées par deux statues représentant Anne de Bretagne et Charles VIII, surmontées par un écu aux armes de France et de Bretagne et un K stylisé. Elles ont été retirées à la Révolution, avant le passage de l'abbé Millin en juin 1792 (6).

Le devis adressé le 26 avril 1763 par l'architecte expert Payen à l'attention du Grand Conseil concerne les réparations à faire dans l'église de Longpont « L'assise de pierre au haut du meneau servant de butement à la grande porte à deux ventaux est cassée, ainsi que le linteau de pierre portant dessus et scellé dans les deux piédroits. Pour prévenir les suites que la chute prochaine de ce linteau pourrait occasionner et qui seraient fort dispendieuses et dangereuses, il faut étayer ce linteau pour desceller et supprimer le sommier de pierre au dessus dudit meneau ; en fournir un autre de pierre la plus dure et de la meilleure qualité portant encorbellement à chaque bout, le sceller ; supprimer la saillie au dessus de la figure de la Sainte Vierge. C'est une grosse réparation occasionnée par vétusté, et nous l'estimons d'après nos mesures et détail valoir cinquante livres » (7).

L'église de Longpont fut classée en 1848 par la Commission des Monuments Historiques « à cause de son beau portail ». Le 2 août 1848, M. Lenormant entretient la Commission de l'église de Longpont, « seule partie de l'abbaye de ce nom qui n'ait pas été détruite ». Il exprime le regret que ce monument n'ait pas été classé, « car il le mérite à juste titre, surtout par les belles sculptures qui décorent la façade ». Selon son rapport du 13 octobre 1848, l'architecte Garry se rend à Longpont et fait remettre en place la tête de la Vierge « qui était sur ses bras et servait de but aux pierres des enfants de la commune ».

Dans son étude, Iliana Kasarska nous donne les clefs pour la construction du portail de Longpont en proposant une datation aux environs de 1235. Notre-Dame de Paris est la référence incontournable de l'iconographie de Longpont qui peut résulter de l'exigence du commanditaire. Par contre, la similitude d'exécution avec Chartres donne des indices sur le maître de Longpont qui aurait pu provenir du même atelier d'artistes.

Si l'artiste est resté anonyme, le commanditaire serait le fameux Guillaume de Milly, prieur de Longpont et de Saint-Martin-des-Champs, puis abbé de Cluny, que nous avons rencontré récemment.

Notes

(1) E. Mâle, L'art religieux au XIIIe siècle en France (Armand Coli, Paris 1923).

(2) I. Kasarska, Entre Notre-Dame de Paris et Chartres : le Portail de Longont-sur-Orge, vers 1235 , dans Bull. Monum. 160 (2002) 331. [Cet excellent article comporte des erreurs que le lecteur pourra corriger en lisant la chronique “ Les Erreurs historiques sur Longpont ”]

(3) Plusieurs auteurs citent « à l'emplacement d'une chapelle mariale, élevée probablement dès le IIIe siècle sur un lieu de culte druidique ». Ce serait cette chapelle que le seigneur de Montlhéry se serait proposé de relever pour en fonder une véritable église en 1031.

(4) On retrouve le Couronnement de la Vierge à Senlis (tympan du portail), Chartres (tympan de la porte centrale, façade du nord), Reims, gâble du portail central), Laon (portail central), Sens (à droite du portail central), Paris (façade, tympan de la porte de gauche), etc.

(5) Le couronnement de la Vierge se présente sous trois aspects : à Senlis et à Laon, la Vierge assise sur le trône de l'éternité est déjà couronnée ; à Longpont comme à Paris un ange sorti du ciel couronne la Vierge ; à Auxerre, Sens et Reims, la couronne est posée par Jésus-Christ lui-même.

(6) L'église de Longpont a été profanée à deux époques différentes. En 1562 pour les statues des ébrasements et celles du tympan et, en 1792, pour les statues de Charles VIII et Anne de Bretagne.

(7) Ce devis fait une description très précise de l'église et des lieux réguliers de Longpont.

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