Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La cause de frère Houdiart, novice au prieuré de Longpont

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis————— _——————————–Novembre 2008

Gravure d' Antoine Louis Goblain (fin XVIIIe s.).

C. Julien

En “fouinant” dans une bibliothèque parisienne, l'équipe du Vieux Marcoussy a découvert, dans les Œuvres du chancelier d'Aguesseau, publiées “ avec Approbation et Privilège du Roi ”, un des plaidoyers prononcés, à la fin du XVIIe siècle, au Parlement de Paris par le célèbre magistrat (1). C'est la plaidoirie du 7 août 1693 que l'abbé André intitule « Dans la cause de Frère Houdiart, Cordelier, qui s'étoit fait transférer dans l'ordre de S. Benoît, & de Charles du Sault », qui concerne un novice du prieuré Notre-Dame de Longpont ; voilà l'objet de cette chronique.

Le prieuré de Longpont en 1676

Transportons-nous en 1676 puisque les faits dont il est question remontent à cette date. À cette époque, le prieuré de Longpont appartenant à la congrégation de Cluny, est occupé par cinq moines : le prieur claustral Dom Alexis David, le chambrier Dom Claude Rocques, le sacristain Dom Nicolas Lesage, l'aumônier François de la Rossiquibal , et Pierre Say, prêtre religieux. D'après le numéraire de Longpont qui avait été fixé à six moines par le concordat de 1622, il y avait donc vacance depuis le décès, en décembre 1669, de Dom Étienne Rioland, curé de Longpont pendant plus de 45 ans.

On pouvait dire que le prieuré Notre-Dame de Longpont était dans un état pitoyable en cette fin de XVIIe siècle. Pour preuve, le procès-verbal de la visite de Dom Jean Goutelle, supérieur de Saint-Martin-des-Champs, qui dressa un état des lieux le 16 juillet 1700 « les anciens cloîtres sont ruinés, une petite cuisine avec four et cheminée en ruine, un petit lieu dégradé nommé le chapitre, un vaste réfectoire sans vitrages et inutilisable, une ancienne cuisine inutilisable, un grand bûcher en ruine avec un grenier, et un vieux bâtiment écroulé, l'église est également en mauvais état, la voûte est prête à s'effondrer… ». Tel est l'état d'un couvent qui avait accueilli près d'une trentaine de moines au XIIIe siècle.

Depuis 1661, le prieuré de Longpont est placé sous la commende de Pierre du Cambout de Coislin, évêque d'Orléans qui reçut le chapeau de cardinal-prêtre de la Trinité des Monts lors du consistoire du 22 juillet 1697. Ce prélat qui avait donné une relique de saint Mamert à Longpont, gouvernait le couvent par l'intermédiaire d'un homme d'affaire, son fondé de procuration, qui lui-même affermait les revenus du lot de la manse prieurale. Ainsi en décembre 1681, un bail à ferme est passé par messire Louis Gervais de Salvent, fondé de procuration de messire Pierre du Camboust de Coislin, prieur commendataire du prieuré Notre-Dame de Longpont, à messire Jean de La Lande , bourgeois de Paris, y demeurant, rue des Fossés, paroisse Saint-Germain l'Auxerrois d'une grande partie du revenu temporel du prieuré de Longpont « ledit bail pour sept ans, moyennant 1.010 livres aux religieux et 330 livres au prieur par chaque années; et autres charges ».

En fait, le vrai patron à l'échelle locale, était le prieur claustral (2). Le chambrier est le trésorier de la communauté qui était tenu de présenter annuellement ses comptes devant le Chapitre général de Cluny où visiteurs et définiteurs rendaient leurs rapports. À Longpont, Dom Claude Rocques remplissait cet office et était redouté par les fermiers et les censitaires du prieuré. Tout comme le prieur claustral, il pouvait, au nom du couvent, “ ester en justice ”.

Le plaidoyer du chancelier d'Aguesseau

Henri François d'Aguesseau plaida en tant qu'avocat général au Parlement de Paris le 7 août 1693 dans une affaire qui opposait deux religieux, Louis Houdiart désigné comme « l'Intimé », défendu par maître Nouet, contre Charles du Sault (ou Dusault) désigné comme « l'Appelant », défendu par maître Thévart (3). Ces deux ecclésiastiques réclamaient le même bénéfice à la suite de la vacance au prieuré bénédictin de Sainte-Lurine « vaqué par le décès du dernier possesseur de ce Bénéfice ».

Une simple chicane entre deux moines, tournait en une affaire d'état que le grand avocat portait devant ses collègues du Parlement. Le procès consistait à répondre à deux interrogations : 1° Si un Bref du Pape , portant confirmation d'une translation d'un Religieux, déclarée abusive par un arrêt, est abusif ? 2° Si ce bref et des lettres patentes obtenues du Roi pour en donner l'exécution, peuvent avoir effet au préjudice d'un tiers ?

Pour résumer brièvement, les parlementaires étaient appelés à défendre l'Eglise de France ou “ gallicane ” , en confirmant que les brefs issus de la Curie romaine n'avaient aucune valeur juridique dans le royaume, et qu'à cause de cela, les lettres patentes du roi étaient réduites à néant.

Voici l'introduction du plaidoyer du célèbre parlementaire. « La Contestation sur laquelle vous avez à prononcer, est une de ces questions célèbres dont la décision intéresse encore plus le Public que les Parties mêmes , qui attendent de votre Jugement la confirmation de leur état; puisque l'Arrêt que vous allez rendre, doit fixer les véritables limites de l'autorité Royale et Ecclésiastique, et concilier les intérêts de l'une et de l'autre puissances , qui ne parurent jamais plus opposés que dans l'espèce de cette cause. Le fait qui lui sert de fondement, est aussi certain que les questions qu'elle renferme sont douteuses et difficiles à décider ».

Revenons, au commencement de cette affaire qui, rappelons-le, dura 17 ans.

Frère Houdiart, novice à Longpont

Frère Louis Houdiart, qui prend aujourd'hui la qualité de Religieux du grand Ordre de Saint- Benoît, a fait autrefois profession de la vie religieuse dans l'Ordre des Cordeliers. Il est demeuré, pendant plusieurs années, dans cette observance. Il prétend que ses infirmités l'ont obligé à changer d'état, et à chercher dans l'Ordre des Bénédictins un genre de vie aussi régulier mais moins austère que celle des religieux de Saint-François.

Dans cette vue, le moine s'adressa à la Pénitencerie apostolique , l'un des trois tribunaux de l'Eglise catholique romaine, exposant qu'ayant l'accord de ses supérieurs pour quitter les Cordeliers, il serait reçu à l'abbaye de Fontgombault, dans l'ordre des Bénédictins (4). Il obtint un Bref de Pénitencerie le 28 octobre 1675, qui contient la clause d'accord entre les parties « in utroque foro » et exécute ce bref. Il se présente à l'abbé de Fontgombault, son supérieur bénévole, qui, après lui avoir donné l'habit de son Ordre, l'envoie dans le prieuré de Longpont, de la congrégation de Cluny , pour y passer une année de probation, et y faire ses vœux.

Après six mois de noviciat à Longpont, le pape accorda au frère Houdiart une dispense des six autres. Il fait enfin sa profession dans laquelle il promet stabilité dans l'abbaye de Fontgombault. Bien qu'il ait changé d'état, il était dans l'incapacité de posséder un bénéfice ecclésiastique car il n'avait pas effacé son vœu de pauvreté contracté lors de son entrée dans une “ Religion de Mendiants ” (les Cordeliers). Un autre bref du pape lève cet obstacle en 1676 suivi par des lettres patentes enregistrées au Grand Conseil (5).

L'avocat général remarque alors « l'état d'Houdiart sembloit entièrement affermi, lorsque l'ambition qu'il eut de parvenir aux Bénéfices de son Ordre, lui fit perdre même la qualité de Religieux de cet Ordre ». En cette année 1676, une place monacale est toujours vacante au prieuré de Longpont, celle qui avait été possédée par Dom Étienne Rioland. Postulant à ce siège, frère Houdiart s'adresse au chapitre général de Cluny et obtient un décret qui le transfère dans cette congrégation et lui accorde la place vacante.

C'est alors que la contestation s'éleva de plusieurs parties, et entre autre par frère Claude Rocques, religieux, curé et chambrier du prieuré de Longpont (6). Celui-ci défendait les intérêts de la petite communauté et estimait que les revenus de la mense des moines, le tiers-lot du concordat de 1621, seraient amputés par l'arrivée d'un sixième frère. En fait, Dom Rocques possédait deux bénéfices à Longpont : celui de chambrier et celui de curé depuis la mort de Dom Rioland. Cet homme était redoutable. Non content de s'attaquer au décret du chapitre général de Cluny, le chambrier « voulut donner atteinte à l'état d'Houdiart » et porta le différend devant les tribunaux du royaume. Il interjeta appel comme d'abus de l'exécution des brefs pontificaux obtenus en “Cour de Rome” et forma opposition à l'arrêt d'enregistrement des lettres patentes que le roi avait accordées.

Le succès de ce contentieux fut malheureux pour frère Houdiart. Un arrêt fut rendu en 1678. Après une longue plaidoirie, le Grand Conseil reçut Claude Rocques opposant à l'arrêt d'enregistrement, déclara qu'il y avait abus dans l'exécution des brefs, et dans le décret du chapitre général de la congrégation de Cluny, maintient Claude Rocques dans la possession de la place monacale, enjoignit à Houdiart de se retirer incessamment dans l'ordre des Cordeliers.

Frère Houdiart avait tout perdu. Il remonte au pape, qui, pour ne pas le laisser dans un état incertain, déclare valable et légitime la translation et possession de frère Louis Houdiart « translationem dicti Petri Ludovici, et successive emissam Professionem Regularem, indeque legetime secuta quoecumque valida esse declaramus,…, autoritate Apostolica approbamus et confirmamus… ». Ce bref n'a été suivi ni d'un nouveau noviciat, ni d'une seconde profession, Houdiart porte l'habit de Saint-Benoît et le roi lui accorde une place dans sa chapelle.

Trois personnages acteurs dans l'affaire du frère Houdiard : le chancelier d'Aguesseau, le cardinal de Coislin, prieur de Longpont et le cardinal de Bouillon, abbé de Cluny.

Les nouvelles ambitions de frère Houdiart

Nous arrivons en l'année 1690, quand le prieuré bénédictin de Saint-Lurine devient vacant. C'est alors que l'abbé de Saint-Sauveur de Charousse, collateur ordinaire, confère ledit prieuré à frère Houdiart le 15 juillet 1690. Quatre jours après, Messire Charles du Sault obtient en Cour de Rome des provisions en commende du même prieuré. « …l'un et l'autre pourvus ont différé pendant long-temps de prendre possession du bénéfice contentieux ».

À ce moment, le contentieux est porté devant le roi et les plus hautes instances judiciaires du royaume. Dans un premier temps, frère Houdiart expose au roi la nullité de sa première translation et obtient que le bref de 1678 « n'est pas contraire aux libertés de l'Eglise gallicane ». Il obtient de nouvelles lettres patentes adressées au Grand Conseil et prend possession du prieuré.

C'est une déclaration de guerre contre le sieur Du Sault . Nous assistons à un conflit de juridiction, renvoi en requêtes, sentence par défaut, appel simple de cette sentence, appel comme d'abus de provisions, et appel comme d'abus de l'exécution du bref de 1678. Il s'agit donc « à savoir si frère Houdiart est considéré comme religieux de l'Ordre de Saint-Benoît, ou comme Cordelier et s'il est capable ou incapable d'être revêtu d'un titre de bénéfice ».

C'est alors que s'adressant aux Parlementaires, l'avocat général proclame « C'est à vous, Messieurs, à prononcer sur la force et la validité des moyens, …, que la Puissance Ecclésiastique ait entrepris de détruire l'ouvrage de la Puissance séculière… ». Et de questionner si la congrégation de Cluny peut être considérée comme entièrement séparée du grand ordre de Saint-Benoît ou si les religieux clunisien ont les mêmes droits et privilèges que les religieux bénédictins. Et de faire les remarques suivantes : • quoique frère Louis Houdiart ait fait sa profession au prieuré de Longpont, il n'a contracté aucun engagement avec Cluny, • il a promis sa stabilité à l'abbaye de Fontgombault, • s'il a été transféré par le pape dans le grand ordre de Saint-Benoît, on ne peut lui opposer l'entrée dans un bénéfice de l'ordre dont il est religieux, • il a été déclaré incapable par l'arrêt du Grand Conseil, et par conséquent l'unique fondement de la translation dans la congrégation de Cluny est totalement détruit.

Puis, l'avocat rappelle aux parlementaires que leurs arrêts ont toujours déclaré que « les Brefs [pontificaux] de la qualité de celui dont il se servoit d'abord, sont nuls et abusifs, et contraires aux Libertés de l'Église Gallicane ». C'est alors que le sieur d'Aguesseau prend quelques précautions oratoires. « Nous reconnaissons l'autorité du Saint-Siège et la puissance du Pape, du Chef de l'Église, du Père commun de tous les Chrétiens…mais nous ne reconnoissons ni l'autorité, ni la juridiction en Cour de Rome ». Il y a deux points constants et dans les faits et en droit 1° Que jamais Houdiart ne peut être considéré comme Religieux de la congrégation de Cluny, 2° Que la translation est vicieuse par sa nature, et abusive dans son principe.

Dans sa thèse, le magistrat explique les principes généraux des confirmations accordées par le supérieur, et surtout par le pape. La nature de la confirmation n'est pas d'introduire un droit nouveau, mais au contraire d'approuver un droit ancien, de fortifier un titre précédent. C'est le jugement que les papes eux-mêmes ont porté de leur autorité « Qui confirmat nihil dat ». La confirmation ne peut jamais avoir un effet rétroactif, tel est le principe des Canonistes et le droit de la Coutume de Paris .

Conclusions et épilogue

Le plaidoyer mentionne clairement que « le Bref est directement contraire à l'Arrêt ». Le magistrat considère, dans un grand élan diplomatique, que l'on a surpris le Pape et que l'on ne lui a pas clairement expliqué la décision du Grand Conseil. « On lui a dissimulé l'Arrêt du Grand Conseil ». Le souverain pontife aurait été trompé, car il est difficilement concevable de voir les papes « réformer les ouvrages de la Justice Souveraine du Roi ».

L'intérêt public demande que l'on s'oppose à la voie que frère Houdiart a recherchée pour éluder la force de la justice. « De quel ordre il étoit dans l'intervalle de tems qui s'est écoulé entre l'Arrêt du Grand Conseil , et le nouveau Bref de Cour de Rome ? »: • s'il prétend être Bénédictin, on lui opposera ce même arrêt qui déclare sa translation nulle, • s'il prétend être Cordelier, il ne peut rapporter les preuves d'un second noviciat, d'une nouvelle profession.

Le Bref accordé à frère Houdiart est abusif dans son obtention quant à la translation, abusif dans son exécution pour le transfert d'un religieux sans le secours d'une nouvelle profession. Les lettres patentes non vérifiées en la Cour ne peuvent servir à frère Houdiart pour le passé et sont incapables de nuire à un tiers.

Ainsi, faisant droit sur les appellations comme d'abus, dire qu'il y a abus dans l'obtention et dans l'exécution du Bref et des Provisions. Sur l'appel simple, l'appellation et ce dont est appel au néant, émendant, maintenir Du Sault dans la possession du bénéfice du prieuré de Saint-Lurine.

En ce qui concerne le prieuré de Longpont, Dom Claude Rocques avait été démis de ses fonctions de chambrier par un arrêt du Grand Conseil en septembre 1686. Sa gestion hasardeuse lui fut reprochée. Il est resté curé de Longpont pendant dix-neuf ans. Le prieur claustral Dom Alexis David exerça les fonctions de curé à partir de juillet 1687 et mourut en mars de l'année suivante. Dom Jean Beaulaigne lui succéda comme curé.

La réforme de l'Étroite Observance de Saint-Maur n'arriva à Longpont qu'en 1700. Mais, ceci est un autre chapitre de l'Histoire.

Notes

(1) Œuvres de M. le Chancelier d'Aguesseau, tome II (chez les Libraires Associés, Paris, 1761).

(2) À la mort du cardinal Renaud d'Este, les religieux réformés de Cluny tiennent des assemblées générales et, en 1672, élisent le nouvel abbé Henri Bertrand de Beuvron. Ceci n'étant pas du goût du roi, deux arrêts du Conseil d'Etat cassent l'élection, et défendent aux réformés de tenir leurs assemblées. Pendant onze années, l'abbaye reste vacante, et les lettres royales nomment Paul Pélisson, maître des requêtes, administrateur général de l'ordre de Cluny, au temporel. « On n'avait guère souci du spirituel, dès-lors abandonné aux officiers de l'abbaye, qui, sous le nom de Conseil de la voûte , avaient coutume de gouverner, dans le cas de vacance ou absence de l'abbé ».

(3) Henri François d'Aguesseau , seigneur de Fresnes (1668-1751), est un magistrat français qui fit une brillante carrière au service de la royauté. D'abord avocat au Châtelet (1689), il est nommé, en 1691, avocat général au Parlement de Paris où il devient procureur général le 24 septembre 1700. Il prit la défense des libertés de l'Eglise gallicane et, en 1713, prit position contre la promulgation de la bulle Unigenitus qui condamnait le jansénisme très bien implanté dans le milieu parlementaire. Nommé chancelier et garde des sceaux en février 1717, il s'opposa au Régent dans l'affaire du système de Law, l'obligeant à l'exil l'année suivante. Rappelé aux affaires parlementaires en juin 1720, il fut renvoyé le 1er mars 1722 à l'arrivée du cardinal Dubois comme premier ministre.

(4) L'abbaye bénédictine de Fontgombault (dans le pays de Brenne, départ. Indre) fut fondée en 1091 par Pierre de l'Etoile et connut, au XIIIe siècle, un développement considérable en devenant chef de réseau d'une vingtaine de prieurés. Le texte d'Aguesseau utilise l'orthographe « Fontcombaut ».

(5) Créé par un édit d'août 1497 par Charles VIII, le Grand Conseil était devenu une juridiction d'exception chargée du contentieux des bénéfices ecclésiastiques.

(6) Dom Claude Rocques est appelé à tort Claude Roch par le chancelier d'Aguesseau. On trouve également Roquez par Millin.

dagnot/chronique22.06.txt · Dernière modification: 2020/11/12 01:19 de bg