Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Voyage du ministre Roland à Longpont

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis————— _———————————- Janvier 2009

C. Julien

Cette chronique relate une excursion à Longpont de Jean-Marie Roland, vicomte de La Platière, futur ministre du gouvernement révolutionnaire (1).

L'excursion à Longpont

La visite se situe à la fin décembre 1769. Nous sommes dans les dernières années du règne de Louis XV. Le Dauphin, Louis de France, père de Louis XVI est mort en 1765, et sa femme Marie-Josèphe de Saxe, morte en 1767. Roland est rentré à Paris pour visiter son ami le sculpteur Coustou « chez qui se commence le tombeau du Dauphin et de la Dauphine ».

Roland est un économiste qui voyage beaucoup pour des missions d'études. Il parcourt toute la France, la Belgique et la Hollande (1768), puis la Suisse (1769), l'Italie, l'Angleterre (1671), etc. Fin 1769, il décide de visiter son frère et passer la fête de Noël à Longpont « Je partis de cette grande ville [Paris] le 23, à 5 heures du matin, dans une pluie à seaux, par une charrette couverte que je fis prendre, au travers des ruisseaux, d'auprès de Saint-Nicolas-des-Champs, au plus haut de la rue Saint-Jacques ; et, passant par Longjumeau, j'arrivai, 6 lieues de là, tout près de Montlhéry, vis-à-vis Longpont ; à trois quarts de lieues dans la traverse, prieuré de Bénédictins, où j'ai un frère, avec lequel j'allais passer les fêtes de Noël ».

Autrement dit, quand Roland quitte la voiture au Pont-au-Pins, il lui reste encore à prendre un chemin de traverse de trois quarts de lieue pour arriver au prieuré de Longpont, où est son frère, Pierre. Tout comme les pèlerins, il arrive à Longpont par la rue des Hôtes pour découvrir au dernier moment “ le paradisius de l'église Sainte-Marie ”. Il resta près de cinq jours à Longpont. « Je les y passai en effet fort agréablement. Ce frère n'a qu'un an de plus que moi ; il a un cœur sensible, mais sans démonstration, plus d'esprit qu'aucun, beaucoup de finesses même, la philosophie de s'accommoder de tout, plus encore même, mais sans que cela paraisse ; on ne peut plus régulier, poli, honnête, et l'annonçant par sa figure et son air. C'est celui pour lequel j'ai toujours conservé le plus tendre, et le seul pour lequel je n'aie rien, absolument rien de caché. Il est tout plein de mes sentiments [d'incrédulité], auxquels il n'acquiesce pas ; mais je puis m'entretenir librement de tout, parce qu'il me tolère tout ».

Puis, il continue en une description des lieux « La maison de Longpont est de six religieux . C'est un bénéfice-cure. Le bâtiment, sans être un des plus grands est un des plus beaux de l'Ordre. Sa situation, sur une grande vallée en prairies arrosées par la rivière d'Orge, et bordée de coteaux, en terres, vignes et beaucoup de bois, est très agréable ; mais malheureusement ce sont toutes maisons ou châteaux appartenant à de grands ou gros seigneurs qui n'y restent qu'une petite partie de l'année, et qui se voient très rarement entre eux, parce que chacun a ses connaissances qui viennent de Paris, de façon qu'un très vaste pays, fort bien cultivé pour les choses d'agrément, est désert les trois quarts de l'année. L'air y est bon, la nourriture saine, et les religieux y ont très bien reçu le frère de leur confrère, qui y vicarie bonnement en attendant la cure ». Ainsi, Pierre Roland, tout en étant moine bénédictin, n'était alors que vicaire de la paroisse saint Barthélemy de Longpont.

En bon économiste Jean-Marie Roland fait une analyse sur l'état du Hurepoix : « Les campagnes de Paris ici, route d'Orléans, sont également parsemées de châteaux ou maisons de plaisance ; mais pas la moindre habitation d'un petit propriétaire, la moindre chaumière d'un habitant, si ce n'est sur le chemin même, comme à Longjumeau, Linas, Montlhéry et peu d'autres. Encore sont-ce plutôt des artisans que des paysans. On a beaucoup crié, et moi-même, contre les moines, dont les possessions envahissent des pays entiers ; mais que font-ils de pis que ces gens-là ? Ils consomment sur les lieux du moins, au lieu que tout le reste est engouffré dans la capitale ».

Ici, Roland écrit ce que les révolutionnaires évoqueront au moment de la dissolution des couvents en France : l'accaparement de la plupart des terres par les maisons monastiques au fur et à mesure des donations pieuses. Au milieu du XVIIIe siècle, des économistes ont prétendu que plus des trois cinquièmes du territoire appartenaient à l'Église.

Après avoir parcouru les environs de Longpont, il visite la tour de Montlhéry « célèbre par la retraite du hibou qui porta l'effroi dans la Sainte-Chapelle ». Ici Roland fait allusion à un épisode du Lutrin de Boileau (chant III) : « … «Revole vers Paris, et, hâtant son retour, « Déjà de Montlhéry voit la fameuse tour « Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue, « Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue, « … « Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux funèbres, « De ces murs désertés habitent les ténèbres.

Puis, il termine son récit « J'en partis à cheval dans l'après-midi du 28 [décembre 1769], pour revenir à Paris où je restai encore trois jours, à voir et à faire assez peu de choses fort à la hâte, et définitivement j'abandonnai ce pays de chaos le jour de sa plus grande agitation, le 1er janvier ».

Jean-Marie Roland de La Platière

Jean-Marie Roland de La Platière, qui fut ministre de l'Intérieur en 1792, comptait alors 38 ans de services comme inspecteur des Manufactures. Il était entré dans le corps des inspecteurs de cette administration grâce à un cousin par alliance, un nommé Godinot qui était inspecteur principal des manufactures à Rouen. Son activité consistait à rapporter l'état des manufactures royales dont il a rendu compte dans ses Mémoires de services adressés à son protecteur, l'intendant des finances Trudaine de Montigny, chargé de la direction générale des manufactures.

Jean-Marie était le dernier fils du sieur Roland, vicomte de la Platière, conseiller du bailliage, et de Thérèse Bessye de Montozan, née en 1700, mariée en 1720 et veuve en 1747 (2). De ce mariage, étaient nés 5 fils : - Dominique, le fils aîné, né en 1722, devint chanoine-chantre à la cathédrale de Notre-Dame des Maris à Villefranche-sur-Saône, conseiller-clerc au bailliage de Beaujolais. Il fut guillotiné à Lyon le 22 décembre 1793. - Laurent, né en 1728, également prêtre, vivait sans bruit auprès de sa mère et son frère aîné à Villefranche-sur-Saône. Il est mort le 14 septembre 1782. Son frère disait « le second de mes frères, né d'une santé très délicate, une trempe aussi indolente et non moins sensible, tâta de différents états, et se réduisit à n'en prendre aucun ». - Jacques-Marie, né en 1731, était entré comme moine bénédictin dans la congrégation de Cluny. Il est mort en 1807. - Pierre, le fils puîné né en 1732, avait également pris le froc de moine dans la congrégation de Cluny. Il fut curé de Longpont. - Jean-Marie, né le 18 février 1734 à Thizy, fit ses études chez les Jésuites à Roanne. Il est devenu un économiste distingué et réputé, collaborateur de l'Encyclopédie .

Signatures du curé et du maître d'école de Longpont (4 mars 1789).

Le père était mort en 1747, laissant une succession obérée que le chanoine Dominique, le fils aîné héritier principal et exécuteur testamentaire, n'a acceptée que sous bénéfice d'inventaire, et qu'il a dû liquider en vendant le manoir patrimonial de la Platière, à Thizy, pour ne conserver que la maison de Villefranche et le Clos. Jean-Marie considère que son frère usurpa l'héritage « il se trouve chanoine, conseiller et héritier de mon père, était déjà grand à sa mort lorsque nous étions encore petits. Trop jeune néanmoins pour régir sagement, et ne pas abuser de la position où l'âge, la fortune et les circonstances le plaçaient au-dessus des autres… »

Il semble qu'aucun arrangement de famille ne fût intervenu, et le chanoine, vivant avec sa mère, qui jouissait de ses reprises matrimoniales, administrait tant bien que mal les restes de l'héritage paternel. Laurent, demeurait avec lui. Jacques-Marie et Pierre, entrés dans la vie monastique, avaient dû faire cession de leurs droits. Restait Jean-Marie, qui venait faire valoir les siens qui étaient réels. Le Beaujolais était un pays de droit écrit , c'est-à-dire de droit romain , plus équitable que ces pays coutumiers du nord de la France, qui réservaient presque tout au fils aîné ne laissant aux autres qu'un maigre « légitime ». Le droit romain permettait à l'aîné, même s'il est fait héritier testamentaire de prélever à ce titre que la moitié de la succession (outre sa part du reste) ; ce qui laisse encore aux autres une part moins restreinte. Roland était d'ailleurs, de tous ses frères, le seul qui pût réclamer le bénéfice de la loi : ses deux frères moines avaient dû y renoncer, et don frère Laurent semblait se contenter de vivre auprès des siens.

Pierre Roland de La Platière

Dom Pierre Roland avait fait ses études de théologie à la faculté de Paris d'où il était bachelier. En 1770, il était sacristain et vicaire au prieuré Notre-Dame de Longpont. Quelques années après, nous le trouvons transféré à Paris, en qualité de prieur du collège de Cluny. Il l'était déjà en 1776. Mais en 1778, il obtint de retourner à son cher Longpont avec le titre de curé, et, selon Marion, prieur en 1782.

Le prieur commendataire de Longpont était, en 1788, Nicolas Aimé de Saint-Vincent qui avait été pendant 38 ans procureur de l'Ordre des bénédictins réformés de l'Etroite Observance, ce qui lui valait une pension de 1.200 livres par an. Il conserva le bénéfice de Longpont jusqu'à la disparition du couvent en 1791. A cette époque les six pensionnaires de Longpont étaient : Dom François Boisset, procureur, Dom Pierre Roland, Dom Pierre Auguste Junot, Dom Pommelet, Dom Henry Perret et Dom Jean-Baptiste Angras, sous-prieur.

Un évènement, qui se révéla capital par la suite, allait pourtant redonner à chacun d'espérer. Le dimanche 15 février, au prône de la messe dominicale, le curé Pierre Roland lut l'ordonnance royale du 24 janvier qui annonçait officiellement la convocation des États Généraux. À l'instar de tous les paroissiens de France, les habitants de Longpont se réunirent le mardi 14 avril 1789 en assemblée générale pour dresser leur Cahier de Doléances et Remontrances qui allaient être adressés aux États Généraux convoqués par Louis XVI à Versailles le 1er mai 1789.

Depuis 1781, Dom Pierre Auguste Junot était le vicaire du curé Dom Pierre Roland de la Platière qui mourut à Longpont le 23 novembre 1789. Il fut inhumé dans l'église « entre les bancs et la balustrade du sanctuaire de la paroisse, à droite ». Les obsèques furent célébrées par Dom Pommelet, prieur claustral de Longpont, et par Dom Pierre Auguste Junot, vicaire, en présence des curés des environs : Héolin, curé de Montlhéry, Gremered, curé de Ballainvilliers, Pussuri, curé de Longjumeau, Pouvrin, curé de Saint-Philibert de Brétigny, Niélon, curé du Plessis-Sebeville, Grandjean, curé de Saint-Pierre de Montlhéry, Lhuillier, curé de Linas, Varin, curé de Saint-Michel-sur-Orge, Brille, curé de Nozay et La Ville-du-Bois, Gaultry, chirugien, et Berglé.

Acte de sépulture de Dom Pierre Roland, curé de Longpont.

Le ministre de la République

Jean-Marie Roland rencontre, en 1776, la jeune Marie Jeanne Phlipon, dite Manon, âgée de seize ans qui l'a séduit (3). Le mariage toutefois n'a lieu que le 4 février 1780, après de multiples discussions avec Monsieur Phlipon qui refusait son autorisation. De ce mariage naquit leur fille Eudora.

Nommé ministre de l'Intérieur le 23 mars 1792, Roland est renvoyé le 13 juin par Louis XVI qui refusait de revenir sur son veto . Roland revient aux affaires après la journée du 10 août. Mais alors, sous l'influence de sa femme, devenue girondine dans l'âme, il perdra progressivement sa popularité « Nous avons besoin de ministres qui voient par d'autres yeux que ceux de leur femme ». Les Conventionnels l'accusaient de « s'être distingué par son inertie » lors des massacres de septembre. Puis, il fut mêlé au scandale de l'armoire de fer pour avoir trié lui-même les documents découverts aux Tuileries.

Le samedi soir 22 septembre 1792, deux jours après la victoire de Valmy, il prononce un discours, devenu célèbre, devant la Convention « [ les Français] ont en horreur les crimes des nobles, l'hypocrisie des prêtres, la tyrannie des rois. Des rois ! Ils n'en veulent plus. Ils savent que hors de la République, il n'est point de liberté… La France ne sera plus la propriété d'un individu, la proie des courtisans; la classe nombreuse de ses habitants industrieux ne baissera plus un front humilié devant l'idole de ses mains… ».

Le dimanche 30 septembre 1792, Jean-Marie Roland, ministre de l'Intérieur, adresse une lettre a l'Assemblée, suite à la demande qui lui a été faite de ne pas quitter son poste (il voulait en fait démissionner du ministère pour prendre sa place de député, puisqu'il venait d'être élu à ce titre par le département de la Somme). Il en profite pour s'exprimer contre ceux qui le calomnient. Membre du parti des Girondins il écrivit : « C'est pour cela qu'il faut à la Convention une force armée qui n'appartienne ni à Paris, ni à telle autre ville, mais à toute la république; car la Convention est le corps représentatif de la république entière, et ne peut être sans monstruosité, sans inconvénients, sans malheurs incalculables, assujettie à aucune de ses parties… », qui semble s'adresser aux Montagnards qui voulaient confisquer le pouvoir. Ses attaques contre Robespierre et les Montagnards et surtout son attitude dans le procès de Louis XVI achèveront de le perdre. Suite aux attaques et à l'infidélité de sa femme, Roland démissionne du poste ministériel le 23 janvier 1793.

Notes

(1) J.-M. Roland de La Platière, Voyage en France, 1769 (Impr. Auray et Deschizeaux, Villefranche 1913).

(2) La famille des Roland était originaire du Beaujolais, leur domaine rural était sur la paroisse de Theizé. La maison s'appelle Le Clos ; c'est abusivement qu'on lui donne le nom de La Platière vendu par les Roland en 1752.

(3) Fille de Gratien Phlipon, maître graveur à Paris, née le 17 mars 1754, Manon est devenue une figure de la Révolution française sous le nom de « Madame Roland » qui n'oubliera jamais le mépris dans lequel la noblesse tenait la bourgeoisie. Elle se jette dans la politique aux côtés des Girondins dont elle est l'égérie. Elle fut guillotinée le 8 novembre 1793 à Paris en proclamant « Ô Liberté, que de crimes on commet en ton nom !! ». Deux jours plus tard apprenant la mort tragique de sa femme, Jean-Marie Roland se suicida près de Rouen.

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