Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Les expériences scientifiques à Montlhéry sous Louis XV

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis————— _——————————- Décembre 2008

Extrait de la carte montrant les sites de l'expérience de la vitesse du son.

C. Julien

Les expériences continuèrent à la tour Montlhéry, lieu privilégié pour les observations à partir d'autres promontoires de la région parisienne. Il faut dire que le panorama découvert du haut de la tour est exceptionnel. Il permet, par temps clair, des visées à plus de 25 km .

Sous le règne de Louis XV, de nouvelles séries d'expériences et d'observations furent entreprises par le savant Cassini de Thury. En 1738, il détermine la vitesse du son en amenant un canon au pied de la Tour et, en 1740, il reprend les calculs de l'abbé Jean Picard et ceux de son père effectués en 1669 sur la Méridienne de Paris (1).

La vitesse du son

Depuis le développement de l'artillerie, l'art militaire avait montré que le son émis par un canon arrivait longtemps après avoir observé la lumière émise par l'explosion de la poudre. Malgré les nombreux travaux antérieurs, la connaissance de la vitesse du son restait imprécise au XVIIIe siècle.

Dans son rapport « Sur la propagation du son » publié par l'Académie des Sciences en 1738, César-François Cassini de Thury écrivit : « Quoiqu'on ait toûjours remarqué que le Son employait plus ou moins de temps à se transmettre à nous suivant que nous sommes plus ou moins éloignés du lieu où il est produit, cependant il ne paroît pas que l'on ait encore déterminé avec toute la précision l'espace qu'il parcourt dans un temps donné… ». Avec Maraldi, l'abbé de La Caille , ils décidèrent de faire cette mesure avec exactitude « nous choisîmes pour cet effet l'Observatoire, Montmartre, la Tour de Mont-lehery, Dammartin, & divers autres lieux dont les distances étoient connuës exactement par les observations qui y ont été faites ci-devant pour déterminer la Méridienne et le Parallèle de Paris». Toutes les expériences furent faites la nuit pour mieux apercevoir les lumières des canons.

Le 13 mars 1738, deux canons sont prêtés par le prévôt des marchands de Paris. L'un est amené à Montmartre et l'autre « de 8 livres de balle » fut envoyé au pied de la Tour de Montlhéry. Les expériences se déroulèrent comme suit. « On avoit placé le premier jour à Mont-lehéry, à Montmartre, au moulin de Fontenay & à l'Observatoire, deux Observateurs à chacun de ces endroits avec des Pendules & des Montres à secondes, afin de marquer le moment que l'on verroit la lumière du Canon, & compter l'intervalle du temps écoulé entre cette lumière & le Son qui devoit succéder ». Deux coups de canon devaient être tirés à Montlhéry, le premier à 10 h, et le second à 10 h 20. Le vent étant orienté au nord, les deux coups de canon tirés à Montmartre furent entendus 1'22“½ et 1'23” après la lumière. Le son venant de Montlhéry ne fut pas entendu à Montmartre à cause du vent qui soufflait contraire à la propagation.

Le lendemain 14 mars, l'expérience fut répétée à 9 h 30 par une « pluye qui continuoit toûjours, d'une vivacité extraordinaire ». Le premier son arriva avec un délai de 1'25“ après le feu, mais pour le second coup « la grande foule de peuple qui étoit accouruë à Mont-lehery, empêcha d'en faire l'observation exactement ».

Le surlendemain 16 mars, le vent de travers était médiocre, ouest-nord-ouest dans la direction perpendiculaire à celle de Montmartre à Montlhéry et le ciel était serein. Les coups de canon tirés de Montmartre furent entendus à Montlhéry 1'24”½ après la lumière. Finalement l'expérience fut confirmée de nuit entre l'Observatoire et Montlhéry « qui fut trouvé de 1'8“¼ dans cet intervalle, qui est de 11.756 toises à un quart de seconde près de celle qui résultoit de l'observation précédente ».

La discussion de Cassini est la suivante : « partageant 11.756 toises par ce nombre, on aura la vitesse du Son de 172 toises 1 pied ½ en une seconde. Partageant de même la distance de Mont-lehery à Montmartre, qui est de 14.636 par 1'24”½, temps que le Son a employé à parcourir cet intervalle, on aura la vitesse du Son dans une seconde de 173 toises [ou 1038 pieds de Roy], à 4 pieds près de celle qui résulte de l'observation faite entre Mont-lehery & l'Observatoire ».

Une quatrième campagne de mesures fut entreprise le 19 mars, puis le 21 mars « à 6 h après-midi, un peu avant le coucher du Soleil ». Le 24 mars, le vent soufflait du nord qui empêcha d'entendre le canon. Les observations météorologiques furent les suivantes : « la hauteur du thermomètre a toujours été entre le 4 & le 6 ème degré au dessus de la congélation. A l'égard du baromètre, sa plus grande variation a été observée de 8 lignes ¾, le Mercure étant le 16 mars à la hauteur de 27 pouces 11 lignes & le 21 du même mois à celle de 27 pouces 2 lignes ¼ ».

Et de conclure que la vitesse du son est de 173 toises par seconde .

La triangulation de Cassini

Depuis Newton, un grand débat agitait le monde scientifique : la mesure de la Terre (2). La mesure du degré terrestre fut entreprise une nouvelle fois en 1738 par César-François Cassini III de Thury en compagnie de son père Jacques dit Cassini II. Le mémoire « Pour en déduire la vraye grandeur des degrés de la Terre » présenté en 1740 à l'Académie des Sciences, fut publié chez les frères Guérin en 1744 « avec approbation et privilège du Roi ». Dans son introduction Cassini écrit « l'Académie ayant approuvé ce projet, je partis pour l'exécuter avec l'abbé de la Caille au mois de Mai de l'année 1739. Nous avions pour nous aider MM. Saunac & Le Gros, exercés depuis long-tems à ces sortes d'Observations ; & M. Le Monnier, le Médecin, se joignit à nous pour faire la recherche des Plantes & des curiosités naturelles, qui pourroient se trouver dans le pays que nous devions parcourir » (3).

Tableau donnant les différentes mesures du degré terrestre.

La mission de Cassini s'effectua en quatre temps. Dès 1738, il fit construire des instruments plus précis : deux règles en fer de quinze pieds de long rendues inflexibles (4), un secteur de 6 pieds de rayon qui comprend plus de 50 degrés, un quart-de-cercle de 2 pieds de rayon garni de deux micromètres. La seconde étape était la construction de la base géodésique par la mesure d'une distance entre deux points séparés d'au moins 3 lieues. La troisième étape était la triangulation à partir de la base. Celle-ci se fit en s'appuyant sur les mesures faites à Montlhéry. Enfin, la triangulation entre Dunkerque et Perpignan assura le succès de la mission.

Construction d'une base géodésique. La base de l'abbé Picard fut reprise en juin, juillet et août 1740. C'est celle de la route de Fontainebleau (de nos jours RN7) entre Villejuif et Juvisy. Deux pyramides furent construites « pour servir de monuments plus durables que n'étoient les termes de M. Picard » (5). Les mesures furent faites par Cassini père avec d'infinies précautions. Par exemple, des clous de charrette furent fichés en terre toutes les 1.000 toises afin d'éviter des mécomptes dans la mesure totale et la mesure de la température des toises permettant le contrôle une éventuelle dilatation. Après cinq mesures, la base de 5.729 toises fut retenue.

Première triangulation . Des problèmes de visées se posent par rapport aux mesures de l'abbé Picard : « les arbres & les avenues qu'on a plantés aux environs de Villejuive & de Juvisy, ne permettent plus de voir la Tour de Montlhéry du terme septentrional de notre base, ni le clocher de Brie du terme méridional ». Le moulin de Fontenay fut donc utilisé comme un autre sommet de triangulation sur la base géodésique de Villejuif-Juvisy. Le calcul fait sur les triangles donne la distance de Brie à Montlhéry de 13.108,32 toises.

Construction de la base Brie-Montlhéry . Prenant la base géodésique et les visées sur le moulin de Fontenay, la distance de Montlhéry à Brie-Comte-Robert déterminée de 13.108,32 toises est la base de toutes les triangulations de la Méridienne. Ce sont les clochers, les moulins ou des monuments élevés, où sont installés les instruments, qui sont utilisés comme lieux des visées.

Deuxième triangulation . Un grand voyage conduisit les académiciens de Montlhéry à Perpignan en passant par Orléans, Bourges, Rodez. On trouve Cassini à Sète à la mi-décembre 1739 et l'abbé de La Caille en Auvergne pendant « le fort de l'hyver de l'année 1740, dans le tems que toute la Terre étoit couverte de neige, & que les chemins étoient presque impraticables ».

Troisième triangulation . L'autre portion de la Méridienne , la partie septentrionale jusqu'à Dunkerque fut étudiée au courant de l'automne 1740. Les observations célestes « dont nous devions nous servir principalement pour déterminer l'arc du Méridien entre Paris & Dunkerque » furent achevées le 31 juillet à Paris et commencées le 11 août à Dunkerque. Près de 60 observations furent faites vers les étoiles “béta” et “gamma” du Dragon, de la Queue du Cygne, de la Claire de Persée, de la Chèvre , & de la Lyre. Une telle précision donne l'arc du méridien entre Paris et Dunkerque de 2°11'56“.

Triangulation sur la carte de Sanson et la pyramide de Juvisy construite en 1740.

Finalement, une discussion fut établie sur la position des points de triangulation par rapport à la Méridienne (celle qui passe au monument de l'Observatoire du Parc Montsouris à Paris). « on trouva par le calcul de plusieurs observations, que la Tour de Montlhéry en declinoit de 11°58'28” au sud-ouest, & la Pyramide de Montmartre, de 12“ au nord-est ». Ce sont les angles que l'on peut observer sur la carte de triangulation.

Carte de la vicomté de Paris montrant la nouvelle triangulation de Cassini.

De la mesure de la Terre au système métrique

La Révolution a introduit le système métrique qui consiste déjà à emprunter les unités à la nature ; mais évidemment, à l'époque, ces unités naturelles devaient être recherchées ailleurs. Et c'est ainsi que sera impliquée dans cette question, à partir de 1791 , la mesure de la Terre. Le 19 mars 1791, le rapport préconise l'adoption comme unité de mesure ou mètre de la dix-millionième partie du quart d'un méridien terrestre. A la suite de cette proposition, il y eut un nouveau décret de l'assemblée, le 26 mars 1791 pour mesurer la différence de latitude entre Dunkerque et Barcelone, et pour la mesure des triangles par Cassini , Méchain et Legendre . Finalement le décret du 18 germinal an III, fixa définitivement les diverses parties du système métrique.

Notes

(1) César-François Cassini III dit Cassini de Thury, second fils de Jacques Cassini et de Suzanne-Françoise Charpentier de Charmois, est né à Thury (Oise) le 17 juin 1714. Élevé par son grand-oncle Jacques-Philippe Maraldi, il étudie en famille à l'Observatoire de Paris et montre très tôt des dons pour l'astronomie. Sa carrière scientifique débute au moment où le débat qui oppose cartésiens et newtoniens sur la forme de la Terre atteint en France son sommet. Il participe aux opérations géodésiques de 1733-1734 entreprises par son père. L'Académie l'admet comme assistant « surnuméraire » en 1735. Il devient assistant régulier en 1741, associé dans la section de mécanique, puis membre pensionné dans la section d'astronomie en 1745. En 1771, il reçut le titre de Directeur général de l'Observatoire. Les travaux astronomiques de Cassini III ne sont pas très remarquables, ce fut surtout un grand géodésien et un cartographe de talent ; la grandeur et la qualité du travail que fut la première carte moderne de France éclipse ses autres travaux. Il meurt le 4 septembre 1784 de la petite vérole (Extrait de la notice de l'Observatoire de Paris).

(2) En 1736, Maupertuis et trois autres académiciens partirent pour le cercle polaire, où ils trouvèrent le degré de 57.422 toises plus grand de 353 toises que le degré de Paris 57.069 toises. Cette augmentation du degré forma une démonstration complète de l'aplatissement de la terre vers les pôles. Ce qui fit dire à Voltaire : « ainsi Newton avait raison contre Cassini, qu'il fallait remercier Maupertuis d'avoir aplati la Terre et les Cassini » .

(3) Nicolas-Louis de La Caille (1713-1762), diacre du diocèse de Reims, professeur de mathématiques au collège Mazarin (1739), était membre des Académies des Sciences de Paris (1741), de Londres, de Berlin, de Petersbourg, de Stockholm, de Bologne et de Göttingen. Il nomma 14 constellations célestes proches de la Croix-du -Sud.

(4) Sous l'Ancien régime l'étalon de longueur était la toise déposée au pied de l'escalier du Châtelet de Paris.

(5) Pour marquer cet événement, on éleva en 1740, un monument en forme de pyramide à la limite de la commune de Juvisy, près de l'entrée du parc du château où fut effectué le détournement du pavé royal.

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