Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Antiquités de la Tour de Montlhéry par Millin

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis————— _——————————_—– Mars 2009

La Tour de Montlhéry et le prieuré Saint-Laurent dessiné lors de la visite de Millin en 1790.

C. Julien

JP. Dagnot

Cette chronique donne le texte intégral des antiquités de la Tour de Montlhéry par Aubin-Louis Millin. Il s'agit du chapitre tiré des « Antiquités Nationales ou Recueil de Monuments pour servir à l'Histoire générale et particulière de l'Empire François, tels que Tombeaux, Inscriptions, Statues, Vitraux, Fresques, etc. ; tirès des Abbaïes, Monastères, Châteaux et autres lieux devenus Domaines Nationaux ». L'auteur présenta son travail d'archéologie à l'Assemblée Nationale le 9 décembre 1790 et celui-ci fut « accueilli favorablement par Elle ». L'ouvrage a été publié par l'éditeur Drouin, rue Christine n°2 à Paris « en 1792, l'an IV de la Liberté ».

Le citoyen Millin

Aubin-Louis Millin de Grandmaison aurait pu être un anti-révolutionnaire forcené puisque les évènements de 1789 participèrent à sa ruine financière. Il n'en fut rien. Le citoyen Millin fut un fervent partisan de la Révolution. Fils naturel de Alexandre Millin de Grandmaison et de Noëlle Geslin, né à Paris en juillet 1759, il fit des études au Collège du Plessis, puis, par devoir filial entre au séminaire sans aucune vocation. Érudit dans de nombreux domaines, Millin est désigné comme « dotto archeologo e naturalista », archéologue et numismate, botaniste et minéralogiste. Il s'intéressa également à l'histoire de l'art médiéval et classique.

Avant juillet 1789, Millin était associé à des périodiques savants. Le 24 août 1789, il fonde un quotidien, La Chronique de Paris , et s'engage dans la vie révolutionnaire aux côtés de Noël, Delaunay, Ducos, Méjan, …, et Condorcet. Malheureusement Robespierre voit la Chronique d'un autre œil « Pour faire voir jusqu'où peut aller la perversité des journalistes […], je demande que tous les jours on donne lecture des deux plus mauvais journaux que je connaisse, Le Patriote français et La Chronique de Paris, et surtout l'article de l'Assemblée nationale rédigé par M. Condorcet. Je ne connais rien de plus mauvais et de plus perfide ». La haine des Jacobins et les représailles ne tardèrent pas. Pendant la nuit du 9 au 10 mars 1793, les bureaux du journal sont saccagés et Millin est emprisonné. Après plus d'une année d'incarcération, il fut sauvé par la chute de Robespierre. Il enseigne alors l'histoire à l'Ecole centrale du département de la Seine et, en vendémiaire an III (octobre 1795), entra en fonction à la Bibliothèque nationale où il est conservateur-professeur du département des antiquités.

Millin s'engagea dans l'étude et la protection du patrimoine français dès le début de la Révolution qu'il avait salué avec enthousiasme au point de changer son prénom chrétien en Eleuthérophile « l'Ami de la Liberté ». Son anthologie illustrée des monuments de l'Antiquité et de Moyen Âge parut quelques mois après la mise à disposition de la Nation des biens ecclésiastiques dès lors menacés de destruction. Il s'agit de l'œuvre (5 volumes) publiée en 1790 dont nous venons de citer le titre.

Millin meurt à Paris le 14 août 1818 après avoir publié, en 1806, le Dictionnaire des Beaux-Arts relatant l'esthétisme européen et avoir été directeur du Magasin encyclopédique et avoir participé à d'autres revues scientifiques. Il fut membre d'une infinité de sociétés savantes.

La visite de Montlhéry

Pour rédiger ses « Antiquités Nationales », Millin visita les lieux qu'il décrivit avec précision. Ainsi, il arriva à Montlhéry au début de l'année 1790 peu de temps après la promulgation de la loi sur les Biens nationaux. Il vint à Montlhéry accompagné d'un dessinateur qui produisit la fameuse gravure : celle de la Tour avec l'église Saint-Laurent. Puis s'en alla à Longpont visiter le prieuré clunisien (cf. Chronique).

Bien que le manuscrit de Millin comporte quelques erreurs, c'est un élément historique de première importance pour la connaissance de Montlhéry en 1790 alors que le château était en ruine, mais que l'église Saint-Laurent était encore intacte. La description des tombes dans l'église présente également un grand intérêt puisque tous ces éléments ont disparu pendant la Révolution. Toutefois, il semble que Millin se soit fortement inspiré du texte de l'abbé Lebeuf.

Par contre, le dessinateur de Millin aurait commis quelques fantaisies. Sur les dessins du monastère de Longpont, l'auteur avoue « qu'il n'a pas bien observé tous ces détails auxquels j'ai cru devoir suppléer par la description ; l'espace n'est pas assez grand pour les faire sentir; et comme ils sont communs à plusieurs autres portails, je n'ai pas cru les devoir faire graver séparément ».

[Voici le texte de Millin, tel qu'il apparaît au tome premier des « Antiquités nationales : II. La Tour de Montlhéry, département de Seine-et-Oise, district de Corbeil » avec les renvois aux notes données par l'auteur].

La tour des légendes

La tour de Montlhéry est placée sur une éminence près de la ville de ce nom: on l'aperçoit de loin; son air antique et les ruines qui l'environnent, attirent la curiosité du voyageur et commandent son attention.

Cette tour dégradée est tout ce qui reste d'un château très-célèbre dans l'histoire. Comme la plupart des monuments de ce genre, elle a donné lieu à plusieurs fables. L'un prétend que ce château avoit été bâti par Gannes, et que c'étoit une des forteresses où il se retirait (1). Un autre ajoute au même récit qu'il a appartenu à Geoffroi, à qui de vieilles chroniques donnent le titre de roi, et qui obtint la vie de son fils, en offrant ses vœux à la Vierge, sur un autel consacré par les Druides (2).

D'autres, appuyés sur l'étymologie du nom, donnent à Montlhéry pour fondateur Létheric, qu'ils supposent avoir été premier forestier de la forêt de Charbonnière au sixième siècle.

Si cette étymologie étoit véritable, la fondation de Montlhéry serait fort ancienne, car ce Létheri vivait vers l'an 580 ; il étoit fils unique de Salvart, prince de Dijon. Il est vrai qu'il y a eu un autre Létheric ou Lideric II, prince de Buc, à qui on pourrait attribuer la fondation de Montlhéry; mais cette ville serait encore fort ancienne, puisque ce Létheric II étoit grand forestier de France, sous les·règnes de Charlemagne et de Louis le Débonnaire son fils (3).

Mais ces étymologies sont imaginaires : il est plus naturel de tirer celle de Montlhéry du mot celtique Mont-le-Héry : montée rude et difficile (4).

Carloman, roi de Bourgogne et d'Aquitaine fut tué en 884 par un sanglier, sur une montagne que Fontenelle dans sa Chronique nomme Mont-Aericus (5). Ce mot pourroit désigner Monthléry , mais la phrase a été ajourée dans les exemplaires imprimés, et ne se trouve pas dans les manuscrits (6) ; et l'on place avec plus de certitude la mort de ce prince dans la forêt de Baisieu.

Pépin donna en 798 le Mont Aericus au monastère de Saint-Denis; l'archevêque de Paris l'obtint ensuite par échange, et le céda à des chevaliers qui se dirent ses feudataires: voilà sans doute pourquoi ce prélat avait le droit de se faire porter à son intronisation par le seigneur de Montlhéry, qui lui devoit annuellement un cierge de vingt-cinq sous: ces redevances étaient déjà regardées comme très-anciennes au treizième siècle (7).

Cet usage des évêques de se faire porter, dans leurs intronisations, sur les épaules des premiers seigneurs du royaume, auxquels ils inféodaient des terres sous cette expresse condition , étoit alors fort commun. Les nobles se disputoient ce bizarre avantage. Les Bouchard, les Mathieu de Montmorenci, soumis à cette servitude envers l'évêque de Paris, s'en tenoient d'autant plus honorés, qu'ils avoient le premier rang parmi les barons qui le partageoient. C'est de là que vient leur titre de premiers barons de la chrétienté .

Les turbulents sires de Montlhéry

Montlhéry avait été jusqu'en 1015, couvert de bois: le château ne fut bâti qu'à cette époque, et autour de ce château, qui dominoit tout le voisinage et en faisoit la sûreté, une ville s'est insensiblement formée.

Cependant, il se pourroit que la ville eût été bâtie avant le château, et que même elle fût assez considérable, puisqu'en donnant alors à Thibaud File-Etoupes la qualité de seigneur de Montlhéry, il est même à présumer qu'il ne fit construire le château que pour protéger la ville, et pour y attirer les gens et les effets du plat pays (8). On attribue la fondation du château à ce Thibaud File-Etoupes (9), forestier du roi Robert. Il en avait obtenu la permission de ce prince, qui estimoit sa probité et son courage.

La situation avantageuse de cette place, la solidité de ses murs et la hauteur de ses tours, la rendirent une des plus importantes qu'il y eût alors en France; et bientôt les rois se repentirent d'avoir consenti à sa construction, Gui 1er, fils de Thibaud File-Etoupes, jouit d'une grande réputation de valeur et de probité sous les règnes de Henri 1er et de Philippe son fils : il vivoit encore en 1071 , et laissa la seigneurie de Montlhéry à Milon ou Miles de Brai (10).

Ce Milon fut surnommé le Grand, à cause de sa puissance et de sa valeur, plutôt que pour l'usage qu'il en faisoit. Il avoit épousé, en 1070, Lithuise, vicomtesse héréditaire de Troyes.

Suger représente ce Milon comme un séditieux. Du haut de ses tours, inexpugnables alors, il tyrannisoit tout le canton: son château étoit le foyer de toutes les cabales qui se formoient contre Philippe ler, et l'asile de tous les rebelles. Ce petit tyran partit enfin pour la croisade, et mourut dans les fers à Ascalon (11).

Le château de Montlhéry avoit donné tant d'alarme à Philippe 1er qu'il désiroit ardemment de l'avoir en sa puissance. Ce prince se disoit vieilli des inquiétudes et des maux qu'il lui avoit causés. En effet, Gui Troussel, fils et successeur de Milon, avoit hérité de l'orgueil de son père; mais il lui manquoit la même valeur et la même audace pour le soutenir: on l'accusoit d'avoir fui lâchement à la prise d'Antioche.

Philippe 1er lui avoit d'abord donné la charge de sénéchal de France, il la lui avoit ensuite ôtée. Ce prince vouloit encore lui enlever Montlhéry. Il employa tout pour s'en rendre maître, sans pouvoir y parvenir: enfin, lorsqu'il y pensoit le moins. Il en trouva une occasion favorable en mariant son fils Philippe de Mantes à Elisabeth, fille de Gui Troussel. Le roi. pour consentir à cette union, exigea la cession de Montlhéri, et il donna en échange Mehun sur Loire en 1104.

Philippe devenu maître du château de Montlhéri, ne put contenir sa joie ; il dit à Louis: « Mon fils (12), garde bien cette tour qui tant de fois m'a travaillé, et que je me suis presque tout envieilli à combattre et assaillir, par la déloyauté de laquelle je ne pouvois jamais avoir bonne paix et bonne sûreté, dont la déloyauté faisoit des prud'hommes et des loyaux, des traîtres et des déloyaux; dans laquelle s'attroupoient et de près et de loin, et le traître et le déloyal; il ne se faisoit dans tout le royaume aucun mal, aucune trahison sans leur consentement et sans leur aide; tellement que depuis le château de Corbeil, qui est à moitié chemin de Montlhéry, à droite jusqu'à Château-Fort, la terre était si entourée, et il y en avoit si grande confusion entre ceux de Paris et ceux d'Orléans, que l'un ne pouvoit aller en la terre de l'autre, pour une marchandise ni pour autre chose, sans la volonté de ces traîtres, à moins qu'on ne fût en grand nombre ».

La circulation entre Orléans et Paris ne fut plus interrompue : la garde du château fut confiée aux fils du roi. Philippe 1er y fit quelque temps sa résidence.

Mais cette paix fut bientôt troublée. Milon II se plaignit de cette aliénation, il attaqua Montlhéry: la ville ouvrit ses portes, la garnison se retira dans la grosse tour qui fut bientôt percée en divers endroits. Suger parvint à mettre la désunion dans le parti de Milon, en offrant le pardon aux coupables. Le prince Louis arrivoit ne respirant que la vengeance, mais trouvant le traité conclu, il fut forcé de le ratifier. Cependant, pour mettre fin aux inquiétudes que cette place lui avoit causées ainsi qu'à ses ancêtres, il prit le parti de la faire raser, à l'exception de la grosse tour, en 1106.

La possession de ce fief devint bientôt le sujet des plus violentes dissentions et de divers combats. Hugues de Créci s'étoit retranché dans le château de Montlhéry, tout démantelé qu'il émit. Louis le rendit à Milon II, qu'il présenta aux habitans comme leur seigneur: ils se tournèrent à l'instant contre Hugues de Créci.

Milon ne répondit à ce bienfait que par une noire ingratitude, il entra dans le parti de Thibaud, comte de Champagne. Après la défaite de ce rebelle, il rentra en grâce avec le roi, qu'il servit depuis avec une fidélité constante : cependant la rage de Hugues de Créci n'étoit pas calmée; il surprit Milon près de Rochefort, il le fit prisonnier; et après l'avoir promené de châteaux en châteaux, ne sachant où le garder sûrement, et n'osant le mettre en liberté crainte de sa vengeance, il le fit étrangler à Gommets. Quelques historiens prétendent que le crime fut commis par Hugues de Créci lui-même. Le corps fut jeté par la fenêtre, pour faire croire que Milon s'étoit tué de sa propre main; le crime fut découvert. Hugues appelé en champ clos n'eut pas le courage d'y paroître ; il demanda au roi son pardon et l'obtint : il remit sa terre à ce prince et entra dans l'ordre de Cluni. Ce pardon est si incroyable, que nous devons penser que cette cession en étoit la condition tacite. Milon de Brai fut enterré dans le prieuré de Long-Pont; et comme il ne laissait pas d'enfans, son domaine fut réuni à la couronne (13).

Le domaine royal de Montlhéry

Le roi établit alors des prévôts et des gardes du château: un nommé Durand en était prévôt en 1140. Les feudataires de la châtellenie de Montlhéry étoient appelés Milites de fisco montis Letherici chevaliers de Montlhéry. La plupart y devoient la garde pendant deux mois chaque année; d'autres des chevauchées pour la recherche des dettes des juifs. Le Bœuf a donné plusieurs listes des noms de ces chevaliers (14).

Nos rois vinrent quelquefois alors faire leur résidence à. Montlhéry: Louis le jeune y donna, en 1144, une charte en faveur de l'abbaye de Saint-Denis. Philippe Auguste son fils y étoit si souvent, que la dixième partie du pain et du vin qui s'y consommait ,devint l'objet d'une aumône dont il gratifioit l'abbaye de Malnone. Cette terre rendait au domaine, sous ce règne, plus de deux cents livres de rente, somme considérable alors (15).

Le château de Montlhéry devint l'asile de Saint-Louis, lorsque les princes conspirèrent contre lui en 1227 : les Parisiens coururent à· son secours, et le ramenèrent dans le centre de leurs bataillons en criant que Dieu lui donnât bonne vie (16). On regardait alors Montlhéry comme situé au cœur du royaume (17). Le parlement donna sous ce prince, en 1264, un grand exemple de justice. Barthélemi Tristan, sergent du roi, prétendoit que les fausses mesures de blé qui se trouveraient à Montlhéry lui appartenoient: le bailli d'Orléans soutenoit qu'elles étoient dues au roi : le parlement de la Chandeleur adjugea ce droit au sergent (18).

Ainsi que tous les châteaux fortifiés, la tour de Montlhéry vit gémir sous ses voûtes d'illustres prisonniers. Le comte de Hainaut, qui s'était révolté contre Philippe IV, y fut enfermé en 1292 (19). Le même roi y fit détenir en 1311 le fils aîné du comte Robert, Louis, comte de Flandres, son plus mortel ennemi (20).

En 1321, on accusa les Mesiaux , c'étoit ainsi qu'on nommait 1es Lépreux, d'avoir empoisonné les puits du château de Montlhéry. Charles de Gienville, gouverneur de la vicomté de Paris fut chargé de les faire nettoyer (21).

En 1356, le duc de Normandie, Charles V, régent pour le roi Jean son père, ayant rompu l'assemblée des états le 2 novembre, alla le lendemain à Montlhéry; il y donna une ordonnance datée du même mois, concernant les immunités de la ville de Tournay (12). Les Anglois qui faisoient des courses dans le royaume, vinrent aussi à Montlhéry en 1358 (13).

Olivier de Clisson, obtint en 1482 la châtellenie de Montlhéri, il jura le 14 mars de cette année, à la chambre des comptes, de la remettre au roi quand il en seroit requis (24). Pendant les troubles qui désolèrent la France sous le règne de Charles VI, et les funestes dissentions des maisons de Bourgogne et d'Orléans, Isabeau de Bavière tint dans le château de Montlhéry diverses conférences (25). Le duc de Bourgogne s'en rendit maître en 1417 (26). Tannegui du Châtel le reprit par traité d'argent ou par composition (27). Le duc de Bourgogne étant entré à Paris en 1418, envoya à. son tour six mille hommes à Montlhéry à la faveur d'une émeute populaire (28).

La bataille de Montlhéry

Nous voici parvenu à l'époque la plus mémorable du château de Montlhéry, c'est celle de la. sanglante bataille livrée le mardi 16 juillet 1465 (29), dans le temps de la fameuse guerre dite du bien public, et qui ne rendit le peuple que plus malheureux. Cette bataille se donna dans une petite plaine qui est entre Montlhéry et Long-pont, et qu'on appelle encore chantier de la Bataille . D'autres prétendent que ce fut dans la plaine, vers le grand chemin de Paris (30).

Du sang inutilement versé fut, tout le fruit de cette bataille, la victoire demeura indécise entre les deux partis, et tous deux, suivant l'usage, s'en attribuèrent la gloire. L'artificieux Louis XI, seul en tira avantage: il avoit reçu une légère blessure, il exagéra ses dangers, et le peuple fut séduit par sa feinte popularité. Cette ligue fut dissoute, parce que les confédérés demandoient tout pour eux, rien pour le peuple: que sous le nom de bien public ils cachoient leurs intérêts particuliers. La circonstance étoit favorable s'ils avoient réellement été les amis du bien public. À l'exemple des barons d'Angleterre, ils auroient forcé le roi a signer une grande charte, une déclaration des droits des citoyens ; et ils auroient posé les bases d'une bonne constitution (31).

La bataille fut très-sanglante, mais le nombre des morts fut plus considérable du côté des Bourguignons : on les enterra dans un champ qui est demeuré inculte jusqu'en 1740 : il est appelé Cimetière des Bourguignons . Il est au haut du cimetière de la ville (32). On croit que les François furent inhumés dans ce dernier (33).

Les temps modernes

François 1er donna en 1529 la terre de Montlhéry à François d'Escars, en échange d'autres terres qu'il lui avoit cédées (34).

Pendant les guerres de religion en 1562, Montlhéry fut pris par le prince de Condé, qui commandoit l'armée des protestants. Cette ville rentra peu de temps après sous la domination de nos rois: elle y est toujours demeurée depuis; il y a seulement eu en différens temps des seigneurs engagistes.

Cette seigneurie fut aliénée, avec titre de Comté, en faveur du cardinal de Richelieu. Louis XIII la retira ensuite pour l'unir au duché de Chartres qu'il avoit donné en apanage à Gaston, son frère. Le domaine de Montlhéry fut depuis engagé à M. Phelipeaux, conseiller d'état, le 18 juillet 1696. En dernier lieu il a été réuni au comté d'Arpajon, auquel M. de Mouchi cherchoit à réunir toutes les terres adjacentes, dans l'espoir d'en composer un duché.

Dans l'ancienne géographie, Montlhéry étoit la capitale du Hurepoix, petit pays compris dans le gouvernement de l'Ile-de-France, et des diocèse, parlement, intendance, élection, banlieue et, vicomté de Paris: aujourd'hui c'est un canton du district de Corbeil, dans le département de la Seine et de l'Oise.

La ville de Montlhéry offre quelques tours et quelques pans de muraille, vestiges de ses anciennes fortifications. Ses vignes étoient célèbres dans le douzième siècle. Plusieurs hommes qui ont joui de quelque·célébrité, ont porté le nom de Montlhéry, parce qu'ils étoient nés dans cette ville: tels ont été, Geoffroy de Montlhéry, chanoine de Saint- Etienne de Troyes, clerc du roi de Navarre, et son procureur en 1269. Jean de Montlhéry, dominicain, fameux sermonneur en 1270. Jean de Montlhéry, maître des requêtes sous le roi Jean en 1358. Bernard de Montlhéry, trésorier général de Charles V (35).

Description de la tour de Montlhéry

Cette tour, seul vestige de l'ancien château, est posée sur une montagne en pain de sucre; et elle est elle-même si haute, qu'on l'aperçoit de sept lieues. On y arrive et par la ville de Montlhéry, et par la grande route entre Arpajon et Linas. Dès qu'on est parvenu au sommet, son élévation, sa dégradation, les ruines qui l'entourent, la petite chapelle qui l'avoisine, et la vue superbe dont on y jouit, offrent un aspect vraiment romantique.

Les bords de l'autre côté de la montagne, sont encore revêtus dans certains endroits de murs et de tours. Parvenu au sommet, quelques pans des anciennes murailles offrent la trace de l'ancien château, dont on distingue parfaitement l'enceinte. Ces murs avoient six pieds d'épaisseur : leurs vestiges, leurs énormes crevasses, sont très-pittoresques.

On entre dans la tour par une très-petite porte : elle est actuellement sans toiture, et on distingue les restes des planchers qui formaient les divers étages : l'escalier étoit pratiqué dans l'intérieur du mur, mais il est dégradé, et arrivé au premier étage, on n'y trouve plus de marches.

Auprès de la grosse tour, est une tourelle qui lui est réunie par une petite muraille. On prendrait cette tourelle pour l'escalier, mais j'ai déjà dit où il étoit pris. Dans cette tourelle étoient pratiqué à chaque étage un cabinet qui servoit de dégagement à la pièce principale.

La tour entière offre des preuves non équivoques des outrages du temps; mais le sommet sur-tout est dans un état de vétusté qui effraie: les pierres paroissent posées en équilibre, il semble qu'un souffle va les abattre et qu'elles écraseront l'audacieux qui osera les approcher. On distingue le jour entre chaque pierre: cependant ce faîte si foiblement suspendu résiste à l'impétuosité du vent, qui souffle constamment sur cette hauteur. En entrant dans cette tour sans couverture, dont l'intérieur ressemble parfaitement à celle dans laquelle on représente, au théâtre italien, Raoul de Créqui; on entend les cris lugubres des chouettes, des fresaies et des autres oiseaux nocturnes. Aussi Boileau en a-t-il fait sortir le hibou qui, à la faveur de la nuit vint se placer dans le lutrin de la Sainte-Chapelle.

Mais la nuit aussitôt, de ses ailes affreuses, Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses, Revole vers Paris, et hâtant son retour, Déjà de Montlhéry voie la fameuse tour. Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue, Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue, Et présentant de loin leur objet ennuyeux, Du passant qui le fuit semble suivre les yeux. Mille oiseaux effrayans, mille corbeaux funèbres, De ces murs désertés habitent les ténèbres. Là depuis trente hivers un hibou retiré, Trouvoit contre le jour un refuge assuré. Des désastres fameux ce messager fidelle Sait toujours des malheurs la première nouvelle; Et tout prêt d'en semer le présage odieux, Il attendoit la nuit dans ces sauvages lieux (36).

En face de la porte de la tour, à la distance de deux toises, au milieu de l'enceinte que devoit avoir le château, est l'entrée d'un souterrain qu'il est encore aisé de distinguer, quoiqu'on en ait bouché l'ouverture. Ce fut dans ce souterrain que l'on fit cacher, Saint-Louis pour le soustraire aux rebelles, dont les troupes, placées à Etampes et à Corbeil, cherchoient à l'envelopper (37).

Toute cette construction avoit été faite avec des pierres meulières et des grès, dont le pays est formé ; ces pierres étoient réunies par un ciment d'une excessive dureté. Les pierres provenant des débris des sept autres tours du château, ont été employées à bâtir la chapelle Notre-Dame, près la porte de Paris, et à d'autres constructions.

Montlhéry vu du côté de la grande route, a été représenté par Georges Brawn, dans son Théâtre des villes, en 1582. (38). Claude Châtillon, l'a aussi figuré dans sa topographie en 1610 (39). Ces figures sont détestables et absolument idéales.

Commentaires

Millin évoque les légendes et vieilles traditions dont celle du chef gaulois nommé Geoffroy « Gaufredus » que certains nomment sous un nom plus germanique « Godfried » où se mélange la croyance et les enseignements des druides et la présente d'une déesse assimilée à la Vierge. Cette légende fut vraisemblablement introduite par le moine bénédictin Dom Rouillard qui vivait au cours du premier tiers du XVIIe siècle. Noue retrouvons la même légende à Longpont où, d'après les auteurs du XIXe siècle comme les chanoines Nicolas et Arthaud, le sanctuaire marial aurait une origine druidique. Une statue de bois d'une femme tenant un enfant dans ses bras aurait été trouvée avec l'inscription “Virgini Pariturae “à la Vierge qui enfantera”.

Cette légende a été contestée sous prétexte que les Gaulois ne fabriquaient pas de statues avant la conquête romaine, et n'acceptaient pas facilement de divinités étrangères. Des historiens de Chartres estiment que la légende de la “Vierge qui enfantera” prit naissance entre le XIe et le XIVe siècle.

Quelques erreurs sont introduites dans le texte de Millin, soit par inadvertance soit par erreur typographique. Ainsi « Pépin donna en 798 le Mont Aericus au monastère de Saint-Denis ; l'archevêque de Paris l'obtint ensuite par échange », il faut comprendre l'évêque de Paris car jusqu'en 1622 le diocèse Paris n'était qu'un évêché dans la province de l'archevêché de Sens. « Olivier de Clisson, obtint en 1482 la châtellenie de Montlhéri », il faut lire 1382 puisque c'est sous le règne de Charles VI que Clisson, craignant la colère du duc de Bourgogne, venait souvent se réfugier à Montlhéry.

Que dire de la gravure de la Tour de Montlhéry exécutée par le dessinateur venu avec Millin ? En comparant, les gravures précédentes on peut s'apercevoir de grands changement dans l'environnement de la Tour. Mais Millin ajoute à la fin de sa notice « Ces figures sont détestables et absolument idéales ». Cela voudrait dire qu'il ne rejette pas le dessin de son collaborateur, dessin qu'il juge être fidèle à la réalité puisque aucune critique n'est formulé de sa part, de la manière qu'il lui a prodiguée à Longpont.

L'ouverture bouchée du souterrain aura été l'objet de nombreuses reprises en oubliant le terme bouché et alimentant les fantasmes les plus divers.

Enfin il semble que le prieuré Saint-Laurent existait encore en 1790 puisque le dessinateur la représente dans son intégralité et que Millin dit « la petite chapelle qui l'avoisine ».

Notes de Millin

(1) Challine, panégyr. de Charr. 1642, in-4°., page 30.

(2) Histoire du Gâtinois, page 478.

(3) Mémoire historique sur la ville, comté, prévôté et châtellenie de Montlhéry, par M. Boucher d'Argis, avocat au Parlement. Mercure de France de 1737, mois de juillet et août. L'auteur de ce mémoire, fort bien fait, est le père du M. Boucher d'Argis, ci-devant conseiller au Châtelet.

(4) Montlhéry est appelé en latin Mons Lethericus . Morigni et Suger dans leur Chronique l'appellent Mons Lihericus , Mons Leherii . Pépin, dans une charte de 798, le nomma Mons Aetricus , d'où il aura été facile de faire Mont li Airy , Mont l'Airy , puis Mont-l'Hairy , enfin Montlhéry . Voyez le Bœuf, Histoire du diocèse de Paris , Tome X, page 155. L'étymologie ne peut donc conduire ici à découvrir le véritable fondateur de cette tour. Il est même plus naturel de penser que ce nom vient du celtique Mont-le-Héry , montée rude, difficile. Art de vérifier les dates , Tome II, page 658.

(5) Chron. Fontcnelle Spicil. in-folio, Tome II, page 264.

(6) Le Bœuf, Hist. du dioc. de Paris. Tome X, page155.

(7) Dubreuil, Ant. de Paris, page 33. Le Bœuf, Hist. du dioc. de Paris, Tome X, page 156.

(8) Mémoire de M. Boucher d'Argis, page 1497.

(9) Quelques historiens prétendent que ce Thibaud étoit de la maison de Montmorenci, mais selon Duchêne lui-même, ce n'est qu'une conjecture; il croit qu'il étoit le second fils de Bouchard II. Voyez Duchesne, Histoire de la maison de Montmorenci , page 687. Ce Thibaud étoit nommé File-Etoupes, Filans Stupas , parce qu'il avoit les cheveux blonds. Aimoin , L. V, cap. 46.

(10) Groslei, Mémoires sur l'histoire de Troyes, page 430, le dit comte de Corbeil : il se trompe. Art de vérifier les dates , Tome II, page 638.

(11) Idem.

(12) Biau fiuz Locis, garde bien cele tor qui tantes fois m'a travalié, et en cui escombattre et asalir ge me sui presque toz envesliz, et par cui desloiauté ge ne poi ainques avoir bonne pais ne bonne seurté ; la cui desloiauté faisoit des prodomes et des loyaux traistres et desloiaux ; et laienz s'atropelloient et de près et de loin, ruit li traitor et li deloial ; ne en tot le roiaume n'estoit mauz faiz ne traisons sanz lor asent et sanz lor aide : si que dou chastel de Corbuel, qui est mivoie de Montleheri à destre, jusques à Chastiau-Fort, estoit la terre si accinte, et si grant confusion entre cex de Paris et cex d'Orliens, que li un ne pooient aler en la terre de l'autre por marchaudisse ne por autre chose sens la volonté à ces traitors, si ce n'estoit de grant force de gent. Chronique de Saint-Denis.

(13) Art de vérifier les dates , Tome II, page 660.

(14) Histoire du diocèse de Paris , Tome X, page 161 et 163.

(15) Deux cents livres de ce temps, en supposant que l'argent monnoyé fut alors sans aloi, font 80 marcs ; et à raison de 53 livres 9 sous 2 deniers le marc, ils produiroient aujourd'hui 4.276 livres 13 sous 4 deniers. Art de vérifier les dates , Tome II, page 660.

(16) Vita sancti Ludovici ad. ann. 1227, Joinville, Histoire de Saint-Louis , page 15 et 16.

(17) Idem, page 10.

(18) Registres du parlement.

(19) Registres du trésor des chartes.

(10) Extrait des régimes des comptes.

(21) Extrait de la chambre des comptes.

(22) Chronique de Saint-Denis, page 70.

(23) Idem, tabula, page 96.

(24) Mémoires de la chambre des comptes.

(25) Ibid.

(26) Monstrelet, chap. 177.

(27) Journal de Charles VI, page 35.

(28) Histoire chronologique de Charles VI, page 434.

(29) Monstrelet, chap. 198.

(30) Le Bœuf, Histoire du diocèse de Paris , Tome X, page 169.

(31) Brizard, Mémoire historique sur le caractère et la politique de Louis XI , Paris 1790, in-8°, page 43.

(32) Le Bœuf, Histoire du diocèse de Paris, page 169.

(33) Histoire du Gâtinois, page 479.

(34) Table de Blanchard, Tome I, page 482.

(35) Le Bœuf, Histoire du diocèse de Paris , Tome X, page 184.

(36) Boileau, Lutrin , Chant III, vers 1 et suiv.

(37) Supra, page 7.

(38) Theatrum Urbium , Tome III, ann. 1582.

(39) Topographie, fol. 12 et 22.

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