Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La charte de donation de l'église de Gometz

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis————— _—————————–___—– Mai 2009

C. Julien

En compulsant de vieux documents relatifs à la famille seigneuriale de Montlhéry et à dame Hodierne en particulier, nous avons relevé une charte datée de 1081, c'est la charte de la donation de l'église de Gometz-le-Châtel à l'abbaye de Saint-Florent de Saumur . Après avoir présenté cette charte, qui fut publiée il y a bien longtemps, en 1857, par Monsieur Jules Etienne Quicherat, chercheur de l'École des Chartes de Paris (1), nous en donnons une critique qui nous amène à des conclusions troublantes.

Gometz-le- Château, Gometz-la-Ville et Saint-Clair

Tout d'abord prenons en considération ce que notre chercheur chartiste dit de Gometz : « Si on se conformait à l'analogie, on écrirait “ Gomay ” et non “ Gometz ” , puisque la forme latine est “ Gometum ” ou “ Gomedus ”. Ce nom est celui de deux villages situés à sept lieues de Paris, sur l'ancienne route de Chartres. L'un est Gometz-le-Château, l'autre Gometz-la-Ville. La Ville est sur le plateau qui précède Limours ; le Château commande un col par où l'on arrive au plateau, au fond de l'un des embranchements de la vallée de Chevreuse. Il n'y a plus de château à Gometz , mais seulement une motte très-bien conservée , qui indique qu'un donjon fut élevé en cet endroit dès les premiers temps de la féodalité. À la situation de l'église, qui est tout près de la motte, on reconnaît qu'elle fut jadis enfermée dans l'enceinte du château. C'est aujourd'hui un pauvre édifice gothique du XVIe siècle, en maçonnerie de meulière avec des membrures de grès. La seule curiosité qu'elle renferme est un reliquaire d'un travail grossier et peu ancien, en forme de chef, dans le socle duquel est enchâssé le crâne de saint Clair, patron du lieu. La relique se voit par une ouverture qui est garnie d'un verre ».

Puisque notre chartiste fait appel au texte de l'abbé Lebeuf, résumons, en quelques lignes la position de celui-ci sur l'église de Gometz (2) . L'érudit cite les noms des seigneurs portant le titre de Gomethiaco ou Gumetho. Mais dit-il « cela ne donne aucune ouverture pour l'étymologie, qui probablement doit se tirer du langage celtique ou du franc ». Aussi dans la plupart des titres latins rédigés au XIIe et XIIIe siècles le nom de ce lieu se trouve laissé en langage vulgaire, Gumet , Gomes , Gomed , ou Gomez . Voici le texte sur l'église : « L'église de Gomets-le-Château est paroissiale et priorale. Elle existoit avant qu'on y appelât des moines, non pas l'édifice qu'on voit aujourd'hui qui n'est pas fort ancien, mais un autre plus peut, tel qu'étoient les églises de campagne dans l'onzième siècle…. Lorsque Guillaume, abbé de saint Florent, eut demandé à Geoffroy, évêque de Paris, vers l'an 1070, quelques églises de son diocèse, le prélat lui accorda les églises de Gomet “Ecclesias ad Castrum de Gomet peninentes, videlicet Ecclesiam S. Germani & Ecclesiam S. Clari”. Calixte II confirmant la possession de ces églises à la même abbaye l'an 1112 marque dans sa bulle “Ecclesiam de Gometio-Villa cum Ecclesia S. Clari” ».

L'éminent chercheur de l'École des Chartes se permet une critique sévère de l'abbé Lebeuf qui « a éclairci, comme il savait le faire, les origines de l'un et de l'autre Gometz ; mais une pièce de première importance lui a manqué. Comme les églises des deux villages appartenaient à Saint-Florent de Saumur, il s'était adressé aux religieux de cette abbaye pour savoir d'eux sur quel titre se fondait leur possession. Ceux-ci ne surent lui fournir autre chose qu'un passage de je ne sais quel de leurs cartulaires, où il était dit que Geoffroi, évêque de Paris, leur avait fait ce don vers l'an 1070. C'est de là que l'ingénieux critique dut prendre son point de départ; mais si la recherche avait été mieux faite, on lui aurait trouvé dans les archives de Saint-Florent le document que je vais faire connaître, et qui lui aurait permis d'introduire dans son récit plusieurs faits intéressants et féconds en conséquence, à la place d'une allégation sèche, qui d'ailleurs n'est vraie qu'à demi ».

« La critique est facile, mais l'art difficile », l'éminent chartiste ne serait-il pas tombé dans un piège, celui préparé de toute pièce par des faussaires du XIVe siècle ? Nous allons essayer de “démêler cette énigme historique”.

La charte de la donation

Voici le texte latin du fameux document publié dans la série de la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes d'après l'original qui est aujourd'hui aux archives du département de Maine-et-Loire, fonds de Saint-Florent de Saumur, dossier des prieurés de Saint-Florent au diocèse de Paris : « Prœsentis subscriptionis vera attestatione sancte Dei Ecclesiae fidelium tam futurorum quam presentium, quibus nosse competit, volumus esse commendatum memorisæ quoniam junior Willelmus, predecessoris sui, eodem vocabulo nuncupati, heres légitime ut filius, eo anno quo de potestate et custodia Hervei de Montemorentiaco, sub cujus bajulatione parvulus fuerat, exiit, et, amicorum consilio auxilioque fultus, paternum honorem regendum honorifice suscepit, cœnobii sancti Florentii abbati ac monachis ecclesiam beati Clari cum omnibus rebus ad eam pertinentibus, sicut tenuerant et tenebant, et a potestate canonicorum, gratuito cum omnibus placito facto, in monachorum potestatem, sub matris suæ libera concessione et episcopi, ad cujus diocesim ecclesia pertinebat, légitima auctoritate et scripto, testibus legitimis roborato, memorante devenerant, in prœsentia virorum legitimorum, quorum subnotantur vocabula, ipse supramemoratus Willelmus pro patris ac matris suique anima libentissime concessit, suasque culturas dominicas, sicut mater sua, nomine Albereda, pro anima patris sui Willelmi ac sua dederat, gratissime dedit et in perpetuum habendas concessit. Et ut hæc donatio ac concessio timore et amore Dei roboraretur firmissimo, altari beati Clari manu propria donum superposuit. Actum apud Gometum Castrum, anno ab incarnatione Domini MLXXXI, xvij kal. junii, dominica die post ascensionem Domini. Testes : Radulfus, Martinus, Goslenus, Balduinus, Aimo, Herveus, monachi. Hugo et Frotmundus, presbiteri. Ex laicis, Sewinus filius Odonis, Goslenus Rufus, Gosfredus Bornius, Ernulfus frater Sevini, Burdinus filius Hungerii, Haimo de Genveriis, Ernulfus Malviel et Fulbertus, frater ejus, et alius Ernulfus, frater eorum senior, Paganus filius Odonis, Garuerius miles Gosleni, Galterius Panulflus, Erveus Pistor » .

Une autre charte de 1150 concerne Saint-Clair, par laquelle Thibaud, évêque de Paris, confirme les donations faites à Saint-Florent par son prédécesseur Geoffroi : « ecclesiam Sancti Desiderii de Brueriis (Bruyères), et capellam castelli, quœ ad eam pertinere dinoscitur; altare etiam Sancti Remigii, quod situm est juxta vicum qui dicitur Cabrosis (Chevreuse) ».

Jules Quicherat nous dit que « ce document est un écrit commémoratif qui concerne seulement la donation de l'église Saint-Clair ». Il s'agit bien du legs de l'église Saint-Clair avec tout ce qui en dépend « ecclesiam beati Clari cum omnibus rebus ad eam pertinentibus », donation faite aux moines et à l'abbé de Saint-Florent « cœnobii sancti Florentii abbati ac monachis ». Plusieurs personnages apparaissent soit nommément soit indirectement.

Les personnages physiquement présents lors de la cérémonie, pendant laquelle le donateur pose l'acte et les mains sur le maître-autel Saint-Clair, sont les suivants : • en premier lieu, le donateur nommé Guillaume le jeune « junior Willelmus » dont la libéralité est faite pour le repos de l'âme de son père Guillaume le Vieux, seigneur de Gometz « patris sui Willelmi ». La donation est faite le jour de l'émancipation du jeune seigneur, le 16 mai 1081, dimanche d'avant la Pentecôte , qui a toujours été l'époque du grand concours des fidèles attirés par la dévotion à saint Clair. • la veuve de Guillaume 1er, nommée Alberède, mère du donateur « mater sua, nomine Albereda ». • Hervé, seigneur de Montmorency, Écouen et Marly, « Hervei de Montemorentiaco » tuteur du jeune Guillaume qui autorise son filleul à ratifier les dispositions prises pendant sa minorité. • de nombreux ecclésiastiques de l'abbaye de Saint-Florent-de-Saumur. Ce sont les moines Radulfus, Martinus, Goslenus, Balduinus, Aimo, Herveus, assistés de deux prêtres nommés Hugo et Frotmundus. • de nombreux laïcs dont Haimo de Genveriis [Aymon de Janvris], le chevalier Guarin, les frères Arnoult et Fulbert Malviel. • le meunier Erveus.

Les personnages que l'on peut considérer comme étant absents lors de la cérémonie sont les suivants : • l'évêque de Paris [Geoffroy de Boulogne] dont le rôle est réduit à celui de diocésain ayant autorisé l'introduction de desservants étrangers dans un lieu soumis à son pouvoir spirituel. • l'archidiacre de Josas [Josselin] qui aurait pu représenter la cour épiscopale (3). • les membres de la famille du donateur, qui du côté paternel sont installés dans les puissantes seigneuries de Montlhéry, Rochefort et Chevreuse.

Ainsi, la charte de Saint-Clair est un écrit commémoratif qui concerne seulement la donation de l'église et l'autel Saint-Clair. Comme auparavant cette église était desservie par un collège de chanoines, la transmission aux religieux de Saint-Florent de Saumur avait été précédée d'arrangements avec les anciens possesseurs. Il avait été entendu que, lorsque le jeune Guillaume accéderait au gouvernement de la seigneurie, on lui ferait ratifier les dispositions prises pendant sa minorité.

Ce qui est considéré comme établi

Dans la charte XII du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, datée de Paris, le 29 mai 1067, le roi Philippe 1er , après avoir achevé la reconstruction de l'église commencée par le roi Henri, et fait procéder à sa dédicace, la confirme dans la possession des biens à elle octroyés par son père, et lui donne, en outre, l'abbaye de Saint-Samson d'Orléans et la moitié du marché annuel que le roi établit dans le territoire du monastère le 1er novembre. De nombreux témoins de marques sont présents à la cérémonie : prélats, officiers royaux et seigneurs dont Gaufridus Parisiacus episcopus , Geoffroy l'évêque de Paris, Guido de Monte Letheri, Simon de Monte Forti, Thetbaldus de Monte Morenciaco, Amalricus de Castello-forti , Fredericus de Curbuilo , Willelmus de Gomethiaco , Hugo de Novo-Castello , etc. Dans « Guido de Monte Letheri » nous reconnaissons soit Gui le Grand de Montlhéry (v.1009-v.1090), soit son fils Gui le Rouge (v. 1037-1108), seigneur de Rochefort et Gometz (4). Gui le Grand assistait Henri 1er en 1059 lorsqu'il dota solennellement la collégiale de Saint-Martin-des- Champs et Philippe 1er lorsqu'en 1067 il en confirma l'établissement. Nous retrouvons les mêmes personnages lors de la charte de concession de l'église Saint-Spire de Corbeil par le comte Bouchard « Corboliensium comes » en 1071. Ce sont « Guidonis de Monte Lehari, Hervei de Marliaco, Theolbaldi de Monte Morenci, Simonis de Monte Forti, Guillelmi de Gurneto, Guillelmi de Feritate, Almarici de Castro Forti ».

Dans ces chartes, nous remarquons la présence de « Thetbaldus de Monte Morenciaco » , Thibaud de Montmorency, connétable de France, fils de Bouchard II. L'ordre d'apparition dans la charte de 1067 paraît respecter l'étiquette. Puis, plus loin est « Willelmus de Gomethiaco » Guillaume de Gometz. Qui est ce seigneur ? Il semble peu probable qu'il s'agisse de Guillaume le Vieux, sénéchal de France, père d'Hodierne, dont la mort vers 1060 est donnée par de nombreux historiens. Pour notre part, nous admettons l'intervalle 1060-1071. Notre hypothèse est d'ailleurs bien vérifiée par la liste des sénéchaux après Guillaume : Raoul vers 1065-1067, Frédéric vers 1075, puis Robert en 1079 (5). Ce Guillaume cité dans le diplôme de Saint-Clair est un seigneur de second rang puisqu'il ne vient qu'en dernière position dans l'ordre des témoins de la charte. Il est tout à fait plausible qu'en 1067 Guillaume soit le fils de Guy 1er et d'Hodierne, frère cadet du comte de Rochefort, qui avait reçu de sa mère la seigneurie de Gometz. Nous remarquons également un Guillaume de la Ferté « Guillelmi de Feritate » dans la charte Saint-Spire. Ne serait-ce pas le même seigneur ?

Généalogie simplifiée des familles Montlhéry-Gometz-Montmorency

Pour le père Anselme, généalogiste du XVIIe siècle, Guillaume, seigneur de Gometz fut sénéchal de France au temps du roi Philippe 1er ; il autorisa de son seing la charte de la fondation du prieuré Saint-Martin-des-Champs à Paris en 1060. Pour l'abbé Lebeuf, le chevalier Geoffroi de Gomet n'est pas en famille avec ceux de Gometz-le-Château mais vient de Gomet , proche Houdan, dit aujourd'hui Gambais. L'un de ces deux seigneurs aurait eu une sœur, Bertrade de Gometz, née vers 1001, mariée à Amaury 1er de Montfort vers 1019, dont le fils Simon 1er le Vieux fut le chef de la maison de Montfort (6).

Pour Jules Lair, après la défaite d'Hugues de Crécy, fils de Guy le Rouge, seigneur de Rochefort, le domaine de Gometz et ses dépendances retourna aux héritiers de dame Hodierne de Montlhéry : une de ses petites-filles porta la seigneurie de Gometz dans la famille de Garlande, puis dans celle de Montfort, tandis que la seigneurie voisine de Bures fut dévolue à une seconde petite-fille, Isabeau, fille de Milon 1er, mariée à Thibaud de Dampierre.

Enfin, précisons qu'Hodierne de Gometz, née vers 1014-1015, épousa vers l'âge de 16 ans, Gui 1er, seigneur de Montlhéry. C'était en 1031, peu avant la mort de son beau-père Thibault File-Etoupe. C'est également en cette même année que les jeunes époux fondèrent l'église Sainte-Marie de Longpont, en action de grâce pour le repos de leur âme et celle de leurs ancêtres. Un premier héritier prénommé Milon naquit en 1035. La date de la mort de la comtesse de Montlhéry est attestée par une charte du prieuré de Longpont et par le nécrologe de cette église : le 12 juillet 1074.

Ce qui est contestable

Outre une discussion plus ou moins utile sur les faits et la correction de l'article écrit par l'abbé Lebeuf, Monsieur Quicherat insère les commentaires bien troublants que voici : « L'abbé Lebeuf croyait qu'il n'y avait eu qu'un seigneur de Gometz du nom de Guillaume, au onzième siècle. Il est établi à présent qu'il y en a deux : Guillaume le Vieux, auquel se rapportent les mentions alléguées dans l'Histoire du diocèse de Paris, et qui ont été tirées de diverses chartes entre 1043 et 1071 ; puis Guillaume le Jeune, émancipé en 1081. Par là encore, il faudra voir une fille de Guillaume II, et non de Guillaume 1er , dans cette Hodierne dont le mariage réunit les terres de Gometz à la seigneurie de Montlhéry, au commencement du douzième siècle ».

C'est ici que le doute s'installe fortement car Hodierne n'a jamais vécu au XIIe siècle . Guillaume II, si tant il exista, n'en fut jamais le père après 1081, puisque cette dame était déjà au tombeau depuis sept ans.

Notre chartiste continue en écrivant ce que nous pouvons admettre aisément « la tutelle exercée par Hervé de Montmorenci pendant la minorité de Guillaume II donne lieu de croire que la mère du jeune seigneur était elle-même de la famille de Montmorenci, probablement la sœur d'Hervé. C'est Hervé qui aura donné l'idée d'appeler des moines angevins à Gometz. Son affection pour Saint-Florent nous est connue par les chartes qui nous restent de lui. Il donna à cette abbaye les églises de Deuil, de Gonesse, de Verneuil, et encore la paroisse de Saint-Marcel, dans la ville de Saint-Denis ».

Nous pouvons alors émettre deux hypothèses pour reconnaître ce Guillaume II de Gometz : • soit le donateur est le fils que Guillaume 1er le Vieux aurait eu dans sa vieillesse avec sa seconde épouse nommée Alberède. Guillaume serait ainsi le demi-frère d'Hodierne, femme de Gui 1er de Montlhéry. Dans ce cas, Guillaume le jeune, né vers 1061 serait âgé de 17 à 20 ans; son émancipation intervient puisque selon la coutume « la pleine capacité civile n'était atteinte qu'à 25 ans ». • soit le donateur n'est autre que Guillaume de Montlhéry, troisième fils de Gui et d'Hodierne, petit-fils de Guillaume 1er le Vieux, devenu seigneur de Gometz par la dot de sa mère. Se pose alors l'identité de dame Alberède, qui dans ce cas, en tant que seconde épouse du grand-père maternel, est chargée de la ratification des dispositions prises pendant la minorité de Guillaume. Une question vient de suite : pour quelle raison le scribe n'a pas cité le père du donateur, moine bénédictin à Longpont en 1081 ?

Les faux en écriture

Suite à l'analyse qui vient d'être faite, nous ne pouvons pas échapper à l'idée que nous pourrions être en présence d'une fausse charte, écrite pour « la gloire de Dieu et envers les intérêts éminents de l'abbaye de Saint-Florent ». Les indices déjà cités et l'inscription de la date précise de la donation convergent vers cette hypothèse. En effet, rares sont, au XIe siècle, les chartes qui portent la date de leur rédaction.

Les faux se rencontrent constamment dans les cartulaires. En 1825, l'historien Dulaure est catégorique « les fausses chartes, les fausses légendes, et le désir d'illustrer le passé au dépens de la vérité, ont répandu beaucoup de confusion et d'erreurs sur notre pauvre histoire » (7). Les exemples se comptent par milliers. Ils furent l'objet de contentieux et procès, le plus souvent à l'intérieur du clergé entre les réguliers et les séculiers. Dans ses œuvres complètes, Henri Cochin, avocat au Parlement de Paris, rapporte une instance au Conseil entre les dames abbesse et religieuses de l'abbaye royale du Val-de-Grâce et l'évêque de Soissons concernant la juridiction de l'abbaye Saint-Corneille sur le prieuré de Saint-Nicolas-du-Pont et autres églises de Compiègne. L'entreprise de la puissance épiscopale démontre que toutes les bulles et chartes de l'abbaye Saint-Corneille sont des faux notoires fabriqués vraisemblablement au XIIIe siècle (8).

Laissons Alain Nicolas décrire la situation sur les faux en écriture religieuse « Rappelons-nous que l'origine des faux documents remonte à la nuit des temps. Les monastères, foyers de la culture furent aussi dès le IXe siècle au moins de véritables ateliers de fabrication de fausses chartes. Il convient de dire à la décharge des moines que les conceptions de l'honnêteté et de la fraude étaient assez différentes de celles d'aujourd'hui : était louable toute action tendant à accroître la gloire et la puissance de l'abbaye. On pouvait fabriquer des reliques et inventer des miracles pour l'édification des fidèles. Replacée dans cette atmosphère la fabrication de fausses chartes par les moines n'a pas lieu de nous surprendre. C'est sans doute l'abbaye de Saint-Vincent et Sainte-Croix, la future abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui vient en tête par le nombre et l'ancienneté des fausses chartes. Un moine fabriqua ainsi un faux dip1ôme de Dagobert accordant l'immunité à l'abbaye de Saint-Denis » (9).

D'autres indices sont en défaveur de l'authenticité du diplôme de Saint-Clair : • aucun membre de la famille du donateur autre que sa mère n'est témoin. Nous ne trouvons ni Guy de Montlhéry, mort à Longpont vers 1090, ni l'un des enfants de Montlhéry, alors que ces chevaliers étaient tous de puissants seigneurs dans la région. • aucun membre de l'épiscopat parisien qui, dans ce legs, abandonne tout son pouvoir spirituel sur l'église de Saint-Clair. • les généalogistes n'ont jamais donné de sœur à Hervé de Montmorency. • le texte latin paraît avoir une structure plus tardive que celle de 1081. • la datation très précise des chartes n'avait que rarement cours à la fin du XIe siècle. Par contre, la présence d'Hervé de Montmorency n'est pas surprenante car il était le cousin germain des Montlhéry par son grand-père Bouchard le Barbu. Il était connétable de France et mourut quelques années plus tard vers 1090.

Mentionnons enfin que, dès 1100, la seigneurie de Gometz passa dans les mains de la famille Montlhéry-Rochefort. Du chef de sa mère Hodierne, Gui 1er le Rouge devint châtelain de Gometz ; son fils Gui II, puis sa fille Béatrice lui succédèrent. Cette dernière mariée à Anseau de Garlande laissa Gometz à sa fille unique mariée en 1120 à Amaury de Montfort. Cette Agnès de Garlande apporta Gometz, Rochefort et Gournay-sur-Marne en dot à la maison de Montfort.

Gageons que d'autres éléments historiques apporteront prochainement un éclairage nouveau sur la filiation des seigneurs de Gometz-le-Châtel, ce qui ne semble pas avoir été fait par la charte de Saint-Clair.

Notes

(1) J. Quicherat, Choix de pièces inédites , in Bibliothèque de l'Ecole des Chartes , sér. 4, tome III (chez Dumoulin, Paris, 1857), p. 354.

(2) J. Lebeuf, Histoire du diocèse de Paris contenant la suite des paroisses du doyenné de Châteaufort , tome VIII (chez Prault, quay de Gêvres à Paris, 1757).

(3) Josselin était archidiacre de Paris en 1063, lorsqu'il se fit élire évêque de Soissons. Il fut dénoncé au pape Alexandre II, qui cette même année écrivit aux prélats comprovinciaux pour empêcher qu'on ne le consacrât jusqu'à ce qu'il se fût justifié devant le Saint-Siège, en personne ou par un envoyé. Les lettres du Souverain Pontife visent “ Ioscelinum qui, et archidiaconatum Parisiensem non modo pecunia sed etiam homicidio, et episcopatum Suessionensem simoniace, invaserat ”. Ces imputations ne pouvaient être fondées, car Josselin n'aurait pas, si la preuve en eût été faite, conservé pendant 34 ans l'archidiaconé de Josas. Mais il renonça à l'évêché de Soissons, dont Alard était titulaire en 1064. Josselin est cité dans les actes épiscopaux en qualité d'archidiacre de l'église de Paris, de 1067 à 1096. Il mourut donc le 3 novembre 1096. Son obit est mentionné au 3 novembre au nécrologe de Saint-Martin-des-Champs en ces termes : “ Obiit Joscelinus archidiaconus. Officium fiat, cappa, in choro. Refectionem debet camerarius de terra Pentini, quam ipse emit ”.

(4) Guy le Rouge, seigneur de Rochefort, intervint fréquemment pour faciliter et approuver les donations de ses vassaux au prieuré clunisien de Saint-Martin des Champs. On le rencontre avec le titre de comte, accompagné parfois du surnom de Rochefort : “ Wido comes ” ou “ Wido comes de Rupeforti ” dont il devint seigneur par son premier mariage avec Elisabeth. Né vers 1037, il mourut en 1108. Élisabeth, sa seconde femme, s'identifie avec “ Isabeldis , comitissa de Creciaco castro ” qui, veuve de Bouchard II de Corbeil, assista à la première messe célébrée par saint Gautier, abbé-fondateur de Saint-Martin-de-Pontoise, sur l'autel de Saint-Nicolas de Morcerf.

(5) Guy de Rochefort fut sénéchal de France de 1093-1095, résilia sa charge pour partir à la Croisade et reprit son service dès son retour de 1100. Il abandonna, par dépit, sa charge au profit de son fils Hugues quand le mariage de sa fille Lucienne de Rochefort avec Louis VI le Gros fut cassé au concile de Troyes le 23 mai 1107.

(6) Sur un site généalogique de la maison de Gometz, Bertrade apparaît comme la fille de Guillaume le Vieux, la sœur d'Hodierne. Cette description est impossible puisque les dates de naissance font intervenir une paternité à l'âge de huit ans. Bertrade ne peut-être que la sœur de Guillaume.

(7) J.A. Dulaure, Histoire civile, physique et morale de Paris , tome I (chez Beaudouin frères, Paris, 1824) p. 539.

(8) H. Cochin, Œuvres complètes, plaidoyers relatifs au droit ecclésiastique , tome VII (chez Fantin, rue de Seine, Paris, 1822) p. 250.

(9) A. Nicolas, Les autographes (Maisonneuve et Larose, Paris, 1998) p. 153.

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