Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Variétés historiques de Brétigny (Histoire d'un plagiat)

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis————— _——————————_- —- Juin 2009

Carte de la prévôté de Paris (dressée par Jean-Baptiste Nolin en 1698).

C. Julien

Cette chronique présente un texte intitulé « Mémoire historique concernant le village de Brétigni sous Montlhéry » publié dans le journal Mercure de France de janvier 1737 par un auteur identifié seulement par les initiales « M.A.G.B.D.A.A.P. » (1).

Qui se cache derrière ces initiales ? Nulle indication n'est donnée par le journal. Toujours est-il que nous pouvons rapprocher le présent texte avec celui que l'abbé Lebeuf publia 20 ans plus tard. D'ailleurs, l'éminent historien des paroisses du diocèse de Paris donne toujours l'origine de ses sources et, parfois, « Merc. De France, Janvier 1737 ». Alors, selon le vénérable abbé, le sieur M.A.G.B.D.A.A.P. n'est autre que Messire Antoine-Gaspard Bouché d'Argis, Avocat au Parlement de Paris qui avait pris ce pseudo pour écrire dans le Mercure de France (2). Propriétaire à Brétigny du fief de la Fontaine , le parlementaire avait écrit l'histoire du village. Le rapprochement des deux textes est troublant, nous sommes en présence d'un plagiat intégral, avec toutefois, quelques précisions supplémentaires dans celui de Jean Lebeuf.

Compétition ou plagiat ?

Un article signé Paul-L. Jacob, bibliophile, est paru dans le Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire , où l'auteur prend la défense du sieur Boucher d'Argis avec plusieurs démonstrations de plagiat (3). Nous trouvons cet article critique sur l'ouvrage intitulé « Variétés historiques, physiques et littéraires ou Recherches d'un savant, contenant plusieurs pièces curieuses et intéressantes » publié en 1752 à Paris (4). Monsieur Jacob porte une attaque contre l'abbé Lebeuf en concluant « L'abbé Lebeuf s'est servi sans façon de diverses dissertations de Boucher d'Argis, dans l'Histoire du Diocèse de Paris , et notamment dans le chapitre de Brétigny (t. IX, publié en 1757), où il emprunte presque mot à mot le Mémoire historique concernant le village de Brétigny , publié dans le Mercure de 1737. On voit que Boucher d'Argis surveillait du moins le choix des morceaux destinés à entrer dans les Variétés historiques ; car il n'y a point admis les articles qu'il se proposait de placer, avec des augmentations, dans l'Encyclopédie . Enfin, si les Variétés historiques étaient de la main de plusieurs auteurs, on y aurait certainement introduit quelques unes des nombreuses dissertations inédites de l'abbé Lebeuf, l'ami et l'émule de Boucher d'Argis ».

Reprenons intégralement l'article de Paul Jacob « Cet excellent ouvrage devrait avoir sa place dans la bibliothèque de toutes personnes qui s'occupent spécialement de l'histoire de France, et pourtant il se trouve rarement auprès des dissertations de l'abbé Lebeuf, de Gouye de Longuemare, de l'abbé de Longuerue, de Sabathier et de Bullet, quoiqu'il ne leur soit pas inférieur en mérite. On le rencontre peu dans la librairie, soit que les exemplaires aient été détruits par l'éditeur, comme les derniers volumes de l'Histoire du Diocèse de Paris de l'abbé Lebeuf, soit que l'édition n'ait eu qu'un tirage fort borné : je crois que la Bibliothèque du Roi n'a pas même un exemplaire complet et uniforme ».

« Le Dictionnaire des Anonymes » a omis ce recueil, que beaucoup de bibliographes confondent souvent avec l'insipide compilation de Sablier, réimprimée plusieurs fois sous un titre à peu près semblable : Variétés sérieuses et amusantes, ou bien avec d'autres fatras inutiles, intitulés aussi Variétés . Dulaure, dans son Histoire de Paris , cite plusieurs fois les Variétés historiques sans en indiquer l'auteur. La Bibliothèque historique de la France (Ed. de Fevret de Fontette) mentionne ce livre, dans son Supplément, n° 15622, comme un choix d' Extraits de Mercures et autres ouvrages périodiques , après avoir énuméré ailleurs la plupart des pièces qui y sont contenues, et qui avaient paru antérieurement dans le Mercure de France, depuis l'année 1726 jusqu'en 1743 : l'éditeur de la Bibliothèque de la France restitue ces pièces à leur véritable auteur, M. Boucher d'Argis, qui avait toujours gardé l'anonyme ; mais il ne lui attribue pas le recueil anonyme dans lequel ces différents morceaux d'histoire et d'archéologie figurent pour la partie la plus importante ».

« Cependant, il me semble incontestable que les Variétés historiques ont été composées par M. Boucher d'Argis , sinon recueillies et publiées par lui. Boucher d'Argis, avocat au parlement de Paris avant de devenir conseiller au Châtelet, était un savant modeste et laborieux, qui se plaisait à rechercher les origines des mots et des choses : ce fut lui qui enrichit les journaux de son temps, et surtout le Mercure (1726 à 1760), de ses précieuses dissertations sur nos antiquités nationales, que l'abbé Lebeuf et ses amis étudiaient alors avec une docte émulation. Le Mercure de cette époque vaut presque les Mémoires de l'académie des Inscriptions et Belles-Lettres . Bien des controverses curieuses s'établissaient entre les antiquaires et les historiens, au sujet d'un nom de ville, d'une inscription, d'un monument ou d'un usage singulier : Sainte-Foix n'a puisé que la pour ses Essais sur Paris ».

« Je crois que, de l'aveu de M. Boucher d'Argis, un éditeur a rassemblé les lettres et les mémoires de ce savant, insérés dans le Mercure, le Journal de Verdun, etc., et les a fait imprimer comme une suite aux Dissertations de l'abbé Lebeuf, qui avaient été réunies dix ans auparavant. Toutes les pièces renfermées dans les Variétés historiques sont, sans contredit, de Boucher d'Argis, quoique la Bibliothèque historique donne à Toussaint-Duplessis la Dissertation sur le Genabum ou le Cenabum des anciens, et quoique l'Ancienne et singulière dévotion de la ville d'Évreux soit dans le Mercure de 1726 avec les initiales de M.L.A.M.A., qu'on peut mettre sur le compte d'une erreur de l'imprimeur ou du rédacteur. Boucher d'Argis ne signait ordinairement d'aucune manière ; mais, néanmoins, la lettre sur le temps où l'on a commencé en France de se servir de carrosse (Merc., sept. 1737) est signée M.A.G.B.D.A.A.P. (M. Antoine-Gaspard Boucher d'Argis, avocat au parlement), et la seconde lettre sur Brétigny (Merc. 1737) est signée seulement M.B.A. (M. Boucher d'Argis) ».

« Ce ne peut être qu'un fondé de pouvoir, sinon l'auteur lui-même, qui aurait pu refaire, développer, modifier les articles, fondre deux ou trois lettres en un seul mémoire, et changer, en général, la forme de chaque pièce. Toutefois, on a lieu de croire que Boucher d'Argis n'a pas présidé en personne à cette impression, a cause des fautes grossières qui la déparent : une foule de noms propres et de noms de lieux sont défigurés. Ainsi, dans les premières pages, on remarque Metula pour Merula, Loris pour Lorris, Tavin pour Favyn, le vicomte Daunay pour d'Aulnay, etc., et il est possible que Boucher d'Argis, chagrin de ces nombreuses altérations de son manuscrit, se soit opposé d'abord à la mise en vente de ce recueil, puisque le privilège est de 1750, et que l'édition porte la date de 1752 : en tout cas, il n'a point revendiqué l'honneur de cette publication ».

Le critique littéraire porte alors l'estocade « On juge, d'après une pièce intitulée de l'État des sciences dans l'étendue de la monarchie française sous Charlemagne (t. II, p. 97), que Boucher d'Argis avait traité cette question pour le concours proposé par l'Académie des Belles-Lettres, en 1737, concours célèbre, où l'abbé Goujet remporta le prix contre l'abbé Lebeuf ».

Il semble qu'il y eut une compétition exacerbée concernant la publication de l'histoire de Brétigny. Dès que l'article de Boucher d'Argis parut dans le Mercure de janvier 1737, l'abbé Lebeuf écrivit un « Supplément au mémoire historique concernant le village de Brétigny-sous-Montlhéry » publié dans ce même journal en mars 1737 (page 472), signé J.L.B.

Le toponyme de Brétigny

Laissons à l'auteur le soin de nous présenter le toponyme de Brétigny-su-Orge. « Il y a en différentes provinces du royaume plusieurs villages du nom de Brétigni ». Sçavoir : • Brétigni en Bourgogne, diocèse de Langres, parlement, intendance, bailliage, grenier à sel et recette de Dijon. • Brétigni en Franche-Comté , diocèse, parlement et intendance de Besançon , bailliage et recette de Beaune. • Brétigni en Normandie, diocèse de Lizieux, parlement de Rouen, intendance d'Alençon, élection de Bernay. • Brétigni, hameau de la paroisse de Sours , dans le pays Chartrain, diocèse de Chartres, parlement de Paris, intendance d'Orléans, élection de Chartres; dans lequel lieu fut conclue la paix dite de Brétigni en 1360 selon Froissart, Duchesne et les collections du P. Martenne. • Brétigni, prieuré, diocèse de Soissons près d'Averzy-sur-Oise, entre les villes de Chauny et de Noyon. • Brétigni, diocèse de Poitiers. C'est une châtellenie unie au village de la Valette et de S. Léger, situé sur la rivière de Palud, entre Bonnivet et saint Léger. • Brétigni ou S. Martin le Noir, au diocèse de Bourges, dépendant de l'abbaye ruinée de Limeux, incorporée à S. Germain des Prés de Paris. • Enfin le dernier et le plus célèbre de tous est le Brétigni-sous-Montlhéry, capitale du pays de Hurepoix, dans le gouvernement de l'Isle-de-France, diocèse, parlement, intendance et élection de Paris.

Thomas Corneille en son dictionnaire géographique, le nomme en latin Bretiniaca ; dans quelques anciens titres il est nommé Britiniacum . Ce lieu est situé sur la rivière d'Orge, le village est bâti dans un fond arrosé de plusieurs petits ruisseaux et fontaines, et c'est sans doute, de cette disposition naturelle du lieu que s'est formé son nom françois. En effet Brayum , terme de la basse latinité, et Bray ou Bré en vieux Gaulois , signifioient marécage , et on a donné ce nom de Bray à beaucoup de lieux marécageux , ou situés auprès de quelque rivière ou étang, comme Bray, pays situé aux frontières de la Normandie et de la Picardie , Bray- sur-Seine , ville dans la Champagne , Bray dans la Normandie , élection de Gisors, Bray en Bourgogne, à quatre lieues de Mâcon. Le nom de quelques-uns des lieux qui sont ainsi situés, commence par Bray ou Bré , comme la Bretagne , qui est ainsi nommée, parce qu'elle forme une presqu'isle entourée de la mer, la Bretonnière , près Arpajon, Bretteville , sur l'Odon en Normandie, diocèse de Bayeux, etc.

Voilà une description du toponyme que l'abbé Lebeuf n'a pas reprise. L'érudit se contente d'évoquer « un lieu qui appartenoit à une famille dont le surnom ou sobriquet étoit en latin Brito » pour des gens « que l'on connoissoit être venus de la Bretagne ».

L'étang de Brétigny

Cette étymologie du nom de Brétigny est d'autant plus vrai semblable , que suivant la tradition du pays, il y avoit anciennement au-dessous de ce village un assez grand étang , qui depuis a été détruit, et dont le lit est actuellement un pré ; on en voit même encore la chaussée derrière le petit hameau de S. Antoine, dont la fontaine alloit se rendre dans cet étang, c'est de-là que ce pré se nomme encore à présent le Pré de l'Etang ; on trouve une autre preuve qu'il y a eu autrefois un étang en cet endroit , et qu'il étoit renommé pour être très-poissonneux , c'est dans la grande Bible des Noëls , ouvrage fort ancien dans lequel il y a un cantique assez connu , qui commence par ces mots, les bourgeois de Chastres et de Mont-le-héri, dans quelques nouvelles éditions faites depuis 1720, on a mis les Bourgeois d'Arpajon, au lieu des bourgeois de Chastres , à cause que feu M. le Marquis d'Arpajon, qui étoit Seigneur de ce lieu , avoit obtenu des lettres patentes au mois d'octobre 1710 confirmées par d'autres lettres du 3 may 1713 qui ont érigé la ville de Chastres avec quelques terres voisines sous la dénomination de marquisat d'Arpajon ; on a crû devoir en passant, faire remarquer ce petit changement qui se trouve dans les nouvelles éditions du Recueil des Noëls anciens, afin qu'on y reconnoisse le cantique dont il s'agit ici aussi bien que dans les anciennes éditions.

Ce cantique où règne une pieuse naïveté, paroît avoir été compose par quelque ecclésiastique des environs de Brétigni, qui par zèle pour l'honneur du pays, sans s'embarrasser de l'ordre des temps et des lieux, a crû pouvoir introduire à la crèche les habitants de Brétigni, de Chastres, de Montlhéri, de S. Yon et autres lieux des environs il fait a porter à chacun des pèlerins leur offrande, et dit dans une des strophes :

Vous eussiez vu venir tous ceux de S. Yon, Et ceux de Brétigni, apportant du Poisson, Les Barbeaux et Gardons, Anguilles et Carpettes, Étoient à bon marché, voyez A cette journée là, la la, Et aussi les Perchettes.

Ce qui suppose que l'étang de Brétigni subsistoit encore lorsque l'auteur de ce cantique écrivoit qu'il étoit renommé pour être fort poissonneux et sur tout abondant en barbeaux, gardons, anguilles, carpes et perches ; puisque le poète en fait apporter par les habitants de Brétigni pour leur offrande, comme quelque chose qui venoit particulièrement du lieu de leur demeure. Indépendamment de ce grand étang, Brétigni étoit autrefois un lieu considérable, comme il est facile d'en juger par les deux églises paroissiales, qui sont toutes deux hors du village, l'une dédiée à S. Pierre, éloignée de 3 ou 4 cent pas et bâtie sur le haut d'une butté, l'autre dédiée à S. Philibert, bâtie au-dessous de cette butte. Il y a dans ces deux paroisses plus de 400 habitants.

Citant Boucher d'Argis, l'abbé Lebeuf reprend l'existence d'un étang dans l'ancien Noël où les habitants de Brétigny font leurs offrandes à l'étable de Bethléem. Mais d'ajouter « Si ce Noël n'a que deux cents ans d'ancienneté, c'est une preuve que les gens de Brétigny étoient alors communément des pêcheurs, et cela laisse à penser que l'étang subsistoit encore alors ».

Il faut également remarquer l'existence d'autres étangs à Brétigny-sur-Orge. Vers 1100, le prieuré de Longpont reçoit la terre de Marchescue de dame Hersende, sœur du prieur Henri Brito. Marchestue , Marchescue ou Marcaistué , qu'il faut traduire en marais tari ou desséché, est le nom primitif du hameau de Fresnes.

La seigneurie de Brétigny

La seigneurie de Brétigny a haute, moyenne et basse justice, avec titre de châtellenie. Cette justice ressortissoit autrefois à la prévôté royale de Montlhéry, suivant le procès verbal de réformation de la coutume de Paris en 1580 ; mais depuis, le prévôt de Corbeil ayant prétendu que cette justice étoit dans son ressort, il a été ordonné que par provision elle ressortiroit au Châtelet de Paris, ce qui est encore actuellement en cet état, la contestation d'entre le prévôt de Corbeil et celui de Montlhéry n'ayant point été jugée.

Le village de Brétigny a été anciennement fermé de murailles ; on en voit encore des vestiges du côté du nouveau château, où à l'entrée du village il y a deux piliers d'une porte ronde , donc le cintre n'est tombé que depuis 4 ou 5 ans ; il y a aussi quelques restes de deux tours rondes, qui défendoient cette porte. La maison nommée le château des Alliés , qui est au bout du village , étoit anciennement le château de Brétigni qui étoit aussi fortifié à la manière de ce temps-là , comme on en peut juger par une vieille tour qui est au milieu et par les fossés dont il étoit entouré, qui subsistent encore ; il falloit que l'enceinte de ce château fût assez grande; puisque suivant la tradition du pays, le principal corps de logis de la maison voisine,qu'on nomme le Pavillon n'étoit qu'un pavillon de ce château , du moins un pavillon bâti au bout du jardin, tel qu'on en voit aux encoigneures de certains parcs ; il ne reste plus dans l'emplacement de cet ancien château , qu'un logement de paysan ; les seigneurs de Brétigni se sont fait bâtir un autre château au-dessus du village dans une plus belle exposition.

Quoiqu'on n'aie point d'époque certaine du temps auquel les murs de Brétigni et le château des Alliés furent bâtis, on pourroit croire qu'ils le furent sous Louis XI à l'occasion de la Ligue des Princes, dite du Bien public ; en effet ce pays fut alors le théâtre de la guerre, puisqu'on 1465 se donna la fameuse bataille de Montlhéry , entre Louis XI et le comte de Charolois , qui commandoit l'armée du duc de Bourgogne son père ; il se pourroit même faire que le surnom des alliés donné à l'ancien château de Brétigni, eût tiré son origine de cette Ligue, et que ce sont les princes alliés qui ont fait bâtir ce château et fermer Brétigni de murailles, pour s'y retirer dans l'occasion, ou pour mettre à couvert ceux de leur parti.

Mais on estime plus communément que ces murailles et ce château ne furent bâtis que sous Charles IX ou Henry III à l'occasion des ravages que firent alors les Religionnaires en sorte que leur fondation ne sçauroit être que depuis 1560 jusqu'à 1589 aussi est-ce à peu près dans ce temps là que furent fortifiées la plupart des petites villes et bourgades qui n'étoient point auparavant fermées de murailles.

L'origine du château des Alliés est si peu vraisemblable que l'abbé Lebeuf ne s'aventure pas dans cette version. D'ailleurs l'érudit mentionne « Quand le château dit des Halliers subsistoit, il étoit compris pareillement dans la paroisse de saint-Filbert. Il en reste une vieille tour et des fossés… le tout est dans un fond derrière la chaussée du vieux étang ». Et plus loin « plus, le fief des Halliers et la cense de Rosières relevant du fief des Carneaux, paroisse de Lices ».

La paix honteuse de 1360

Les restes des murailles et de l'ancien château de Brétigny sont peut-être ce qui a induit quelques historiens à attribuer à ce Brétigny le traité de paix fait sous le Roy Jean, entre la France et l'Angleterre ; le 8 may 1360 connu communément sous le nom de traité de Brétigni . Corneille, en son dictionnaire géographique, au mot Brétigni, est un de ceux qui ont donné dans cette erreur, et elle a été suivie dans les Mémoires de Trévoux de l'année 1706, page 1311.

Mais dans les mémoires de la même année , p. 2104 et suivantes, il y a une savante dissertation qui établit que c'est à Brétigny près Chartres, que fut conclu le traité de paix du 8 may 1360, ce qui est conforme au témoignage de Froissart, de Duchesne, et aux collections du P. Martenne. Et dans le Mercure de France du mois de may 1735, p. 917 et suivantes, il y a une lettre de M. Maillart , célèbre avocat, écrite à M. de la Roque , où il confirme que ce n'est point à Brétigni sous Montlhéry qu'il faut rapporter le traité de paix de 1360 que c'est au hameau de Brétigni près Chartres où s'est conclue cette paix ; il détermine en même temps la position de ce Brétigni qui est dans la paroisse de Sours, et rapporte la tradition du pays sur ce sujet.

Quand on parle de Brétigni devant certains rieurs, ils ne manquent pas de dire, sans sçavoir pourquoi, que le vin de ce lieu fait danser les chèvres , plaisanterie qui est sans fondement, ou qui doit être appliquée à quelqu'un des autres Brétigni, car pour celui de Montlhéry, il n'y a proprement ni vin, ni chèvres, on ne voit auprès que quelques arpents de vigne qui y ont été plantés depuis peu d'années ; on sçait d'ailleurs que la plaisanterie ne doit pas être prise à la lettre ; on dit en effet dans le pays qu'un habitant de Brétigni nommé Chèvre , quand il avoir un peu trop bu, faisait danser sa femme et ses filles; que c'étoit-là sa folie ordinaire, et que c'est ce qui fit dire en riant que le vin de Brétigni faisoit danser les Chèvres.

La paroisse du Plessis-Paté

« La baronnie du Plessis-Paté, qui n'est qu'à un quart de lieue ou environ de l'église de S. Pierre de Brétigni, étoit anciennement de cette paroisse ; les seigneurs du Plessis se prétendoient même seigneurs du terrain sur lequel elle est bâtie, et jouissoient en cette qualité de tous les droits honorifiques, entre autres du droit de banc et de sépulture dans la première place du chœur du côté de l'Evangile ; ils se fondoient pour cela sur ce que les armoiries d'un seigneur du Plessis se trouvent sur la clef de la principale voûte du chœur et sut les cloches, et ils soutenoient que les seigneurs de Brétigni n'étaient que seigneurs de fief ».

Mais par arrêt du 18 janvier 1603 rapporté par Maréchal, en son Traité des Droits honorifiques, rendu entre François Martel, chevalier, sieur de Fontaine-Martel, seigneur de Brétigny et des fiefs de S. Pierre et de S. Philibert dudit lieu, et Louis de Montbron, seigneur de Fontaine-Challendray et du Plessis-Pâté. « La Cour adjugea au sieur Martel les premiers rangs et honneurs dans les églises de S. Pierre et de S. Philibert de Brétigni, et particulièrement es prières qui se font en icelles, fit inhibitions et défenses audit Montbron de le troubler et empêcher en la jouissance desdits rangs et honneurs, et le condamna es dépens de l'instance, sans autres dépens, dommages et intérêts ».

C'est ce qui engagea Geoffroy de Laigue, conseiller d'État, seigneur du Plessis-Pâté, à fonder dans ce lieu une paroisse, laquelle y fut érigée par un décret du 16 juillet 1657 à la charge que ce serait sans diminution au curé de Brétigny, ses successeurs et autres décimateurs de ladite paroisse, « de leurs dixmes et autres revenus », et que pour reconnaissance de la distraction et séparation du Plessis d'avec la paroisse S. Pierre de Brétigny, les curés, habitants,et paroissiens de la nouvelle église du Plessis-Pâté iront tous les ans en procession le jour de S. Pierre, au mois de juin, dans l'église de Brétigny et assisteront à la grande messe , qui sera dite et célébrée par le curé ou son vicaire , et qu'il sera payé par chacun an au curé de Brétigny et ses successeurs vingt livres tournois , et à l'oeuvre et fabrique douze livres aussi tournois, par les marguilliers de la nouvelle paroisse du Plessis-Pâté , lesquelles charges s'acquittent encore actuellement.

Dame Anne de Berthevin

Le rédacteur de l'article du Mercure de France continue son récit par « Il reste à parler ici d'un fait singulier; par rapport à notre Brétigny, sçavoir d'une dame inhumée dans l'église de S. Pierre de Brétigni, dont le corps a été trouvé entier et sans corruption 123 ans après sa mort ». Ce texte a été repris in extenso par l'abbé Lebeuf.

Le père Anselme, en ses généalogies des maisons de France, nomme cette dame Anne de S. Berthevin. Dans le pays, on ne la nomme, suivant la tradition, qu'Anne de Berthevin. Elle vivoit dans le courant du seizième siècle ; ses parents ne sont pas connus (5). On pourroit seulement conjecturer que le nom de S. Berthevin qu'elle portoit, étoit le nom de quelque terre qui lui appartenoit, ou à sa famille, parce qu'il y a deux bourgs de ce nom dans le Maine au diocèse du Mans, l'un à une lieue de Laval, l'autre dans l'élection de Maïenne (L'abbé Lebeuf dit le doyenné d'Ernée ). Elle épousa Jean Blosset, seigneur, baron de Torcy-le-Grand et Torcy-le-Petit ; du Plessis-Pâté, etc., conseiller d'État, capitaine de cent hommes d'armes des Ordonnances du Roy. Ce Jean Blosset fut aussi lieutenant général au gouvernement de Paris et de l'Isle-de-France, suivant des lettres du 16 août 1577 et il fut fait chevalier des Ordres du Roi le 31 décembre 1578 par Henry III lors de la première promotion qu'il fit des chevaliers du S. Esprit ; dont il venoit d'instituer l'Ordre. Il étoit fils de Jean Blosset, baron de Torcy, et d'Anne de Cugnac ; il épousa en premières noces Anne de Berthevin , avec laquelle il venoit de temps en temps à sa terre du Plessis-Pâté.

La tradition du lieu porte que cette dame étoit fort pieuse, qu'elle pansoit elle-même les malades, et faisoit beaucoup de bien aux pauvres relie fut marraine d'une des cloches de l'église de S. Pierre de Brétigni, sa Paroisse, où elle et son mari jouissoient de tous les droits honorifiques, parce que c'étoit avant l'arrêt de 1603 rapporté par Maréchal , qui a jugé que les honneurs de cette Eglise appartiennent aux seigneurs de Brétigny.

La date de la Bénédiction , le nom du parrain et celui de la marraine sont gravés sur cette cloche, qui subsiste encore et que l'on nomme Anne, du nom de sa marraine, ce qui constate d'une manière authentique le temps auquel vivait cette dame.

Elle mourut sans enfants l'an 1587, son corps fut mis dans un cercueil de plomb, et placé dans un caveau construit dans le chœur de S. Pierre de Brétigni, du côté de l'Evangile, près le banc du seigneur. Son mari se remaria quelque temps après avec Marie de Riants, fille de Denis de Riants, seigneur de Villeray au Perche, président à mortier au parlement de Paris, et de Gabrielle Sapin : elle étoit alors veuve des seigneurs du Plessis-Marolles et de Vou-de-Bures : il n'eut pas non plus d'enfants de cette seconde femme , et mourut le 26 novembre 1592 ; son corps fut enterré à Brétigni, auprès de la première, dans un cercueil de plomb, et son cœur fut mis dans la chapelle de Riants aux grands Cordeliers de Paris, où il y a deux épitaphes, l'une pour lui, l'autre pour Marie de Riants et sa famille, dans lesquelles il est nommé Jean du Blosset ; il eut pour héritières ses deux sœurs, Claude Blosset dame de Torcy, femme de Louis de Montberon, seigneur de Fontaine-Challendray et Françoise Blosset, mère de François d'Orléans, bâtard de Longueville, marquis de Rothelin, et femme de Jean de Briqueville , seigneur de Colombières.

La mémoire de la dame de Berthevin étoit toujours en grande vénération quoiqu'il n'y eut plus personne de sa famille, ni de celle de son mari, dans le pays ; on n'avoit pas oublié qu'elle avoit été inhumée à S. Pierre de Brétigni, mais on ne se souvenoit plus en quel endroit de l'église c'étoit ; on retrouva par hazard le lieu de sa sépulture plus d'un siècle après, et voici comment.

Charles Martel, comte de Fontaine-Martel, seigneur de Brétigny, chevalier des Ordres du Roi, et lieutenant général de ses armées, étant décédé au mois d'avril 1706, le sieur Ducarouge qui étoit alors curé de S. Pierre de Brétigni fit fouiller dans le chœur de l'église, à côté du banc du seigneur, pour y faire construire un caveau, et y mettre le cercueil du comte de Fontaine-Martel.

À peine les ouvriers eurent-ils commencé à travailler qu'ils trouvèrent une voûte, et l'entrée d'un caveau que l'on, ne connoissoit point ; ils l'ouvrirent, et trouvèrent deux cercueils de plomb qui étoient ceux du sieur Blosset et de la dame de Berthevin, son épouse ; leurs noms et qualités étoient gravés sur ces cercueils ; sur celui de la femme il y avoit : « cy gist Anne de Berthevin, Dame vertueuse de ce lieu , décédée l'an 1587, & c ». Plusieurs personnes vinrent voir ce caveau et les deux cercueils que l'on venoit de découvrir ; en soulevant ces cercueils pour les ranger, on fut étonne d'en trouver un beaucoup plus pesant que l'autre ; c'étoit celui de la dame de Berthevin. La curiosité porta les assistants à ouvrir ces deux cercueils pour voir d'où pouvoit venir une différence si considérable entre leur pesanteur ; ils le firent sur le champ même sans en avertir le sieur Ducarouge, curé. Un d'eux alla prendre chez lui un grand couteau de cuisine, avec lequel il dessouda les deux cercueils, ils ne trouvèrent dans celui du sieur Blosset qu'un peu de cendres humides.

Dans celui de la dame de Berthevin, ils trouvèrent son corps sain et entier, sans aucune corruption, sa chair étoit fraîche et vermeille, comme si elle eue été vivante ; on tira un de ses bras qui étoit flexible, en un mot, elle ne paraissoit que comme endormie : le ruban qui lioit ses cheveux avoit encore conservé sa couleur, et n'étoit point gâté ; son linceul étoit un peu roux m ais du reste il étoit propre, et entier ; on remarqua seulement que la deffunte avoit le bout du nez un peu noir, comme s'il eut été meurtri , ce que l'on attribua à quelques coups que l'on avoit peut-être donné sur son cercueil en voulant l'ouvrir.

Les miracles de dame Berthevin

On peut aisément juger quelle fut la surprise des assistants de trouver ainsi ce corps sain et entier 123 ans après qu'il avoir été inhumé ; le bruit s'en étant répandu, il accourut aussi tôt une grande foule de peuple, tant du lieu, que des environs, qui fut témoin de ce fait extraordinaire, le Peuple avoit même tiré le cercueil hors du caveau et avoit exposé dans l'église le corps de la dame de Berthevin à visage découvert, ce qui resta dans cet état pendant plus de 15 jours, sans que le corps de la dame de Berthevin s'altérât aucunement.

Le sieur Ducarouge, curé, qui s'étoit opposé à tout cela inutilement, prit le sage parti d'en donner avis au cardinal de Noailles, son supérieur ; ce prélat ordonna aussitôt de remettre le corps de la dame de Berthevin dans son cercueil, et de le renfermer dans le caveau où on l'avoit trouvé ; ce qui fut exécuté sur le champ et le cercueil du comte de Fontaine-Martel fut placé entre celui de la dame de Berthevin, et celui de son mari.

Le phénomène extraordinaire d'Anne de Berthevin fut très vite considéré comme un fait miraculeux d'ordre surnaturel. Les habitants de Brétigny et des environs ont vu l'intervention directe de la puissance de Dieu et beaucoup d'entre eux venaient prier sur la tombe de la dame. Ainsi, une femme de Leuville ayant un enfant tout couvert de lèpre se rendit en procession à l'église Saint-Pierre de Brétigny pour une action de grâce. La légende populaire dit qu'un miracle se produisit quand elle appliqua sur le berceau du bébé le linge qu'elle avait ramené de son pèlerinage à Brétigny. L'enfant fut guéri.

Boucher d'Argis écrivit « En 1732, la comtesse de Fontaine-Marcel, dame de Brétigny, étant décédée à Paris, et son corps ayant été apporté à S. Pierre de Brétigny dans un cercueil de plomb, on fit faire pour elle un caveau à côté de celui de la dame de Berthevin, de manière que le mur de l'ancien caveau est mitoyen avec le nouveau ; le jour qu'on devoit inhumer la dame de Fontaine-Martel, il accourut beaucoup de peuple tant du lieu, que des environs, dans l'espérance qu'on ouvriroit le caveau de la dame de Berthevin, mais on n'y toucha point ».

La marquise d'Estaing, dame de Brétigny, après la dame de Fontaine-Martel, sa mère, étant aussi décédée en 1732, elle fut inhumée à Paris, dans l'église de S. Paul, sa paroisse ; en sorte que depuis 1706 jusqu'à présent, on n'a point ouvert le caveau de la dame de Berthevin. On a seulement fait poser au dessus de ce caveau une pierre quarrée sur laquelle est gravée cette inscription « cy gist Anne de Berthevin, Dame vertueuse de ce lieu, décédée l'an 1587 et trouvée entière et sans corruption le 30 A v ril 1706 ». C'est à présent M. le marquis de Languetot, chef d'escadre des vaisseaux du Roi, qui est seigneur de Brétigny, comme héritier de la marquise d'Estaing. Quoique l'incorruptibilité du corps dont il est parlé dans cette lettre ait de quoi surprendre, on ne peut que louer la conduite du curé de Brétigny, et sa prompte obéissance aux ordres de son supérieur. C'est le moyen le plus assuré d'écarter l'illusion, et de donner des bornes à la crédulité populaire. Nous exhortons de lire sur ce sujet, la dissertation de M. Capperon, imprimée dans le Mercure d'août 1728. p. 1758.

Notes

(1) Le Mercure de France , initialement appelé « Mercure Galant », fut fondé en 1672 par le sieur Visé, puis publié sous la direction d'Antoine de La Roque , écuyer et chevalier de l'Ordre royal de Saint-Louis. La publication était règlementée par l'édit de librairie du 10 avril 1725 et placée sous l'autorité du Garde des Sceaux de France qui se réservait le droit de censure avant l'impression du journal.

(2) Antoine-Gaspard Boucher d'Argis (1708-1780), jurisconsulte, fut avocat au Parlement et conseiller au Châtelet de Paris. Boucher d'Argis a laissé un grand nombre de traités : « Code rural ou Maximes et règlements concernant les biens de campagne », Paris, 1749 ; « Traité des gains nuptiaux et de survie », Lyon, 1738 ; « Principes sur la nullité du mariage, pour cause d'impuissance », Londres, 1756 ; « Histoire abrégée de l'ordre des avocats », etc. Il contribua à l'entreprise encyclopédique de Diderot.

(3) Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire , publié par Techner sous la direction de MM. Ch. Nodier et Paulin-Paris, IIe série, 1836-1837, (Impr. Bouchard-Huzard, rue de l'Éperon à Paris).

(4) Il s'agit de l'article intitulé « Mémoire historique concernant le village de Brétigni sous Montlhéry ; où on fixe la véritable situation du lieu de Brétigni, si renommé par le Traité de Paix qui y fut fait en 1360 entre le Roi de France Jean II & Edouard Roi d'Angleterre III du nom » publié dans Variétés historiques, physiques et littéraires ou Recherches d'un savant, contenant plusieurs pièces curieuses et intéressantes , tome premier (chez Nyon fils, Paris, 1752).

(5) L'abbé Lebeuf ajoute « Elle pouvoit être sœur ou fille de Fiacre de Saint-Berthevin, seigneur de Ponthus, qui eut aussi la seigneurie de Fleury-Meraugis par son mariage avec Anne de Fleury, fille de Jacques de Fleury, dont il fit offre d'hommage le 24 mars 1557 ».

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