Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Le moulin de Grouteau (4) (1758 -1791)

Chronique du Vieux Marcoussy –Marcoussis———— _—- ————————— –Septembre 2009

Extrait du plan de Lormoy dressé le 9 mars 1772.

JP. Dagnot

C. Julien

Nous présentons le quatrième volet de la chronique concernant l'histoire d'un moulin à eau disparu : le moulin de Grotteau (ou Grouteau sur le plan de 1772) à Longpont-sur-Orge. Nous nous étions arrêtés quand Jacques Guignard affermait le moulin au prieur commendataire de Longpont puisque Grotteau était compris dans la mense priorale en même temps que les métairies de Brétigny.

Le moulin de Grotteau dans la mense priorale

Le statut du moulin de Grotteau changeait selon les décisions prises entre le prieur commendataire et la communauté des moines de Longpont. En général, le moulin, comme les métairies, était intégré à la mense priorale, ce qui assurait un revenu stable au chef du prieuré.

Le moulin de Grotteau est baillé à ferme en 1758, par Messire Pierre Joseph Dominge de La Mirandole, prêtre docteur de la faculté de Paris, demeurant ordinairement à Paris rue des Prouvaires, paroisse Saint-Eustache. Le prieur commendataire de N.-D. de Longpont donne et délaisse à titre de ferme et loyer pour neuf années entières à Jean-Jacques Guignard, meusnier et Elisabeth Laval sa femme qu'il autorise à l'effet des présentes, demeurant audit moulin de Grouteau, paroisse de Longpont. « C'est à sçavoir le moulin à eau appelé le moulin de Grouteau, situé en ladite paroisse de Longpont sur la rivière d'Orge dépendant dudit prieuré de Longpont avec les bâtiments en dépendants, maison, grange, écurie, toit à porq et cellier, ledit moulin à moudre de bled farine garny de fer et ustensiles, meules tournants et travaillants, lesquels seront délaissés dans l'état de la prisée qui en a été cy-devant faite au temps du précédent bail et dans laquelle il appartient pour la souche audit sieur Dominge la somme de 895 livres 10 sols ». En outre, le bail contient les articles suivants :

  plus trois quartiers de terre labourables prez ledit moulin,
  plus dix quartiers de terre labourables au terroir de Longpont prez Lormoy,
  plus deux arpents de pré en une pièce derrière la rue du Moulin,
  une pâture entre la rivière et la boelle dudit moulin,
  une petite isle aussy prez ledit moulin entourée de saussaye ainsy que des autres saulx étant dans la pièce de pré donnés à ferme qui ont coutume d'estre émondés tous les trois ans ,
  plus quatre arpents de pré prez ledit moulin tenant d'une part aux prés de l'église de Montlhéry, d'autre à Monsieur d'Harnoncourt,
  plus un demy arpent de pré sis en la prairie de Saint-Michel-sur-Orge, chantier des Sentiers, tenant au seigneur de Launay.

Les termes du bail indiquent que nous sommes au temps des chicanes et des contentieux portés devant les tribunaux puisqu'il est précisé qu'il sera « fait un arpentage incessamment s'il en est nécessaire en bonne forme par experts et arpenteur royal reconnu devant le juge des lieux pour y avoir recours en cas de besoin ». Bien évidemment les frais sont à la charge du meunier locataire. Le bail est accordé moyennant un loyer annuel de 800 livres tournois « que lesdits preneurs promettent et s'obligent solidairement l'un pour l'autre, un d'eux seul pour le tout, en quatre termes de l'an accoutumés… ». Plusieurs clauses spécifiques aux lieux sont «également portées au bail du moulin :

  de faire leurs frais à propos du plan d'élévation desdits moulin, maison et bâtiments en dépendants.
  déclarer les terres labourables, pâtures, isle et préz.
  entretenir les bâtiments de menues réparations locatives et toutes les couvertures en chaume.
  entretenir les vannes et chaussées dudit moulin, l'entretien des tournants et travaillants et autres ustensiles d'ycelui en sorte qu'ils fassent de bled farine ainsy qu'il est accoutumé.
  «  Seront pendant le cours du présent bail le preneur tenu de curer la rivière depuis la première arche de la nouvelle chaussée jusqu'à l'étendue de six toises au dessous de la roue dudit moulin et la rendront ainsi curée en fin du présent bail, même seront tenus du curage ordonné par sentence de Messieurs des Eaux et Forêts  ».
  tenir les prés nets et en bonne nature de fauche, abattre, aplanir et répandre les taupinières.
  entretenir les fossés nets et mettre des arbres partout où il en manque.
  soutenir par les preneurs à leurs frais et dépens tous les procès qui pourront naître pour l'exploitation de tout ce qui est cy-dessus mentionné, tant en demandeur qu'en deffendeur devant les premiers juges.

De plus il est mentionné qu'aucune diminution ni rabais des charges et prix du loyer ne sera accordé « pour quelque cause que ce puisse estre, à moins que cette diminution ne soit ordonnée en justice… ».

L'état des revenus des religieux de Longpont mentionne 557 l .t. 10 s. “ le moulin de Grosto pour le bail actuel de 770 livres et attendu la réserve du quart qui se monte à 192 livres 10 sols ”. Puis, dans l'état du temporel du prieuré de Longpont présenté à la diète de Cluny, en septembre 1761, nous trouvons les noms de Guignard “ meunier de Grouteau , qui doit 27 livres tournois pour fourrage ” et Paillard “ ancien meunier de Groutteau qui doit pour arrérages de son bail du tems de la régie du prieuré pour ce 214 livres tournois ”. Marc Samson est employé comme charretier à Grotteau ; c'est lui qui est chargé de “chasser les grains” à La Ville-du -Bois.

De 1759 à 1765, Jean-Jacques Guignard est qualifié de « meusnier à Grouteau » avec son épouse Marie-Elisabeth Laval. Le vieux Guillaume Goix décède à Grotteau le 16 novembre 1769 à l'âge de 71 ans. Un des fils du meunier de Grotteau, prénommé Jean-Baptiste, décédé au moulin à l'âge de 13 ans, est enterré le 30 janvier 1773 dans le cimetière de Longpont. Le vendredi 12 mars 1779, Marie-Elisabeth Guignard tient sa filleule Gabrielle Élisabeth Audouard sur les fonts baptismaux de l'église de Longpont en compagnie du parrain Gabriel Vincent Clozeau, vigneron, demeurant au lieu-dit Guiperreux. En juin 1785, on retrouve Jean-Jacques Guignard, meunier au moulin à vent avec sa femme Marie-Catherine Nizet.

Le 17 juin 1768, le meunier de Grotteau est condamné pour braconnage à « cent livres d'amende et pareille somme en dommage et intérêts envers Françoise Tachereau de Baudry, marquise de Bréhant, qui lui sera fait défense de récidiver à l'avenir sous plus grande peine en conséquence de se servir aux vannes dudit moulin de Grotteau, et d'aucun instrument qui puisse tendre au dépouillement de la rivière ».

La prise d'eau de Grotteau

Un différend commencé au début du XVIIIe siècle avait fait l'objet d'un traité par l'acte du 17 juillet 1720 (1). Le contentieux avait repris dix ans plus tard suivi d'un procès engagé depuis les années 1740 entre l'abbé Pajot, seigneur de Lormoy et l'abbé Bignon, prieur et seigneur de Longpont pour la propriété des eaux qui alimentaient le parc de Lormoy. Le contentieux, qui avait duré près de 20 ans, fut éteint provisoirement par l'arrêt du 13 mars 1747. La chicane reprenait de plus belle entre les religieux de Longpont et la marquise de Bréhant, la nouvelle propriétaire de Lormoy.

Un arrêt rendu à la barre du Parlement le 10 août 1767, porte licitation et adjudication des terres de Saint-Michel et Lormoy au profit de Madame la marquise de Bréhant sur les hoirs Pajot. Une des clauses concerne le moulin de Grotteau « audit Lormoy appartient le droit de prise d'eau au-dessus du moulin de Grouteau, et d'établir une pierrée dans la cour même du moulin pour la conduite des eaux dans le grand canal du parc de Lormoy ; de tierce et prendre perpétuellement les eaux, dans un réservoir établi au dessus du moulin-à-vent au lieu appelé le champtier de Bonne Fontaine, et d'établir une conduite depuis ledit moulin jusqu'au château de Lormoy ».

L'avocat reprenait la même procédure en demandant la destruction du grand canal de Lormoy dont l'alimentation en eau avait créé « des servitudes ruineuses qui en dégradent les héritages ». La dame prétendait « qu'une ancienne concession des religieux de Long-Pont, qui moyennant un écu de redevance, lui ont permis de tirer de l'eau de la rivière, cinq à six toises au-dessus du moulin de Grotteau, pour la conduire dans son canal, d'où l'eau se distribuait dans les différens canaux et étangs du prieuré de Long-Pont ». Cette conduite était réputée ne faire aucun tort au moulin de Grotteau, qui, quoiqu'inférieur a de l'eau par-dessus les vannes, avant qu'il en entre une ligne dans la conduite de Lormoy, « aussi ce moulin loin de chaumer, ou de fournir le moindre prétexte de plainte aux meuniers, a toujours augmenté de prix, loué huit à neuf cents livres, il y a trente ans ; il produit aujourd'hui 1.400 livres à Monsieur le prieur commendataire ».

Gestion des eaux de l'Orge

L'engorgement, ou plutôt l'ensablement de l'Orge a été de tous temps un souci constant pour l'exploitation des moulins. Nous avons déjà évoqué ce problème dans la Chronique du moulin de la Chaussée (2). Ce moulin construit au XIIIe siècle était situé dans la prairie de Longpont, à petite distance de Grotteau qui, par suite, le pénalisait à cause du faible dénivellement de la chute d'eau et de l'ensablement constant de la rivière à cet endroit.

Conformément à plusieurs sentences de la Maîtrise des Eaux et Forêts de Paris, le curage de la rivière d'Orge est déclaré exécutoire le 6 octobre 1775. Les avertissements sont envoyés le 16 avril 1776, aux « propriétaires, possesseurs et détempteurs d'héritages riverains médiats et immédiats de la rivière d'Orge, tenus, chacun en droit foi, de contribuer au payement de l'Entrepreneur adjudicataire du Curage général de ladite Rivière, mortes rivières, grandes et petites boelles, fossés et ruisseaux y affluans ». La dépense totale se monte à la somme 80.922 livres 10 sols 10 deniers dont 68.194 livres pour le montant de l'adjudication du curage. Le curage a été entrepris à la requête du sieur Louis-François Mainfroy, meunier du moulin de Serre-pied et ses supérieurs, directeurs et prêtres du séminaire d'Orléans qui en avaient également réclamé un « arpentage et toisé général des héritages ». Le sieur Romain Paillard, garde général du département de Paris, est « employé au payement dudit Nicolas Gilleron, dans les termes portés au cahier des charges de l'adjudication » auprès des meuniers et propriétaires plus une taxe de 3 sols 8 deniers 5/6 pour livre.

Le 14 août 1776, le syndic conventuel et procureur du prieuré de Longpont, Dom Claude Tonneau, dépose deux actes dont un avec la dame de Lormoy. Dans sa requête la dame prétend que « la cour et le terrain du moulin seroient sur un passage public ». Madame la marquise de Bréhant est une dame procédurière et reprend l'offensive pour s'opposer aux prétentions des religieux du prieuré sur la servitude de la prise d'eau en amont du moulin de Grotteau pour le canal du parc de Lormoy « il est faux que jamais le moulin de Grotteau ait souffert un moment de la conduite d'eau de la rivière…, il n'y a dans le pays mémoire d'homme qui l'ait vû travailler avant la concession de l'eau pour un écu, et on les défie de prouver que jamais meunier ait demandé de diminution sur ce motif ».

Le 6 octobre 1776, une descente de la maîtrise des Eaux et Forêts a lieu aux moulins de Grotteau et Basset en vue de l'exécution de la sentence du 19 aoust. Il s'agit encore une fois de la contestation sur la hauteur des déversoirs respectifs et de la chute d'eau du moulin . La dame de Lormoy se plaint que la chute d'eau de Basset est très faible à cause d'une construction en aval au moulin de Grotteau.

Essai de représentation du moulin de Grotteau (dessin par C. Julien).

Denis Metayer, conseiller du roi, lieutenant de la maîtrise est assisté de Pierre Debeaujeu, commis pour greffier dûment assermenté an l'absence du sieur Agier, greffier ordinaire. Arrivés le dimanche 6 octobre, les deux hommes sont descendus à Linas « en l'hostellerie où pend pour enseigne la fontaine ». Le lendemain à dix heures du matin le lieutenant et le greffier s'annoncent au moulin de Basset où était Pierre Antoine Rivière, arpenteur, requis pour les opérations ordonnées et jugées nécessaires. « Est comparu Messire René Chaillou, prêtre et avocat en la cour lequel a dit en l'absence de Messire Bigot de la Boissière, procureur en la cour et de dame Françoise Jeanne de Baudry, marquise de Bréhant, dame de Lormoy, de Launay et de Saint-Michel, patronne honoraire dudit ».

Le 26 juin 1786, le maître particulier de la Maîtrise des Eaux et Forest de la vicomté de Paris se transporte au moulin de Basset, appartenant à la marquise de Bréhant, et y retrouve le représentant du prieuré de Longpont, pour le moulin de Grotteau (3). Les experts vont jusqu'au moulin du Breuil à l'effet de faire faire le nivellement de la rivière d'Orge afin de définir le lieu et l'origine de l'engorgement qui empêche « les usines de tourner »… Un plan de la partie hydraulique de chaque moulin est annexé au procès-verbal.

Guillaume Gillet, meunier à Grotteau

Un an avant les évènements qui allaient faire basculer l'Ancien régime, au début mai 1788, le prieur commendataire Dom Nicolas Aimé de Saint-Vincent, passe un bail au meunier Guillaume Gillet « demeurant audit moulin de Grouteau moyennant 1.200 livres , 24 chappons, 12 douzaines d'oeufs, six paires de pigeonneaux et six anguilles ». Guillaume Gillet et sa femme Marie-Françoise Rousseau sont les derniers meuniers du moulin de Grotteau au temps du prieuré et le prieur n'aura jamais été aussi gourmand!

Le couple Gillet-Rousseau reste comme locataire des religieux de Longpont jusqu'à la vente du moulin comme bien national. Nous trouvons, à plusieurs reprises le nom de Marie-Françoise Rousseau sur le registre paroissial de Longpont en tant que marraine mais aussi comme mère d'enfants nés au moulin de Grotteau :

  Louis François, baptisé le 21 août 1785 en présence du parrain Louis Josse, maître boulanger résidant à Linas, et la marraine Aimée Angot, épouse de Pierre Chevance, maître boucher résidant à Montlhéry,
  Jacques Gilbert, baptisé le 8 octobre 1787 en présence du parrain Cosme Roux, aubergiste résidant à Longpont, et la marraine Marie Élisabeth Rousseau, résidant à Chilly,
  Francois Denis, baptisé le 27 juin 1790 en présence du parrain Denys Hardy, maire de Longpont, et la marraine Bonne Francoise Moze, épouse du sieur Jean Degournay résidant à Longpont.

L'épouse du meunier de Grotteau était souvent sollicitée pour être marraine des bébés de Longpont. Ainsi, nous la trouvons comme marraine de :

  Pierre Côme, baptisé le 6 septembre 1786, fils de Côme Roux, aubergiste et de Anne Catherine Dugornay,
  Jean François, né le 15 mars 1788, fils de Côme Roux, aubergiste et de Anne Catherine Dugornay, fils de Denis Fiacre Frémont, vigneron et de Élisabeth Bargault,
  Julien François, baptisé le 7 août 1788, fils de Jean-Louis Lemerle, vigneron et de Marie Françoise Caille,
  Marie-Anne, baptisée le 23 décembre 1788, fille de Pierre Simon Martin, dit Greillot, vigneron et de Anne Gouffier
  Jean Antoine, né 7 mars 1791, fils légitime de Jean Charles Laisné, vigneron et de Françoise Friconnet

Pour rester dans le carnet rose de Longpont, signalons la naissance de Dominique Hector Dufossé le 1er pluviôse an III , fils légitime de Charles Dufossé, meunier à Grotteau et de Marie Anne Louise Gallié dont le parrain est Jean Baptiste Bournizien, 47 ans, régisseur du domaine de Lormoy, et la marraine est Marie Anne Fénot, 58 ans, résidant à Étampes, tante du nouveau-né.

Vente de Grotteau comme bien national

Dès le commencement de la Révolution, toutes les propriétés du clergé furent déclarées bien national de première catégorie par le décret du 2 novembre 1789 pour être mis à la disposition de la Nation (4). Le moulin de Grotteau n'échappa pas à la règle. Il fut distrait de l'ensemble immobilier des religieux de Longpont et constitua un lot à part qui fut vendu le premier. Les administrateurs du district ne pouvaient pas prendre le risque d'un cafouillage économique, car les moulins du sud parisien assuraient l'alimentation de base de la capitale.

Une affiche de la première publication de la vente du moulin apparaît le 9 février 1791, avec l'isle mise à prix 26.400 livres.

Partie de l'affiche concernant le moulin.

Mis à prix à 40.000 livres , le moulin fut adjugé à Bonfils, secrétaire du Roi demeurant à Paris, pour la somme de 61.600 livres . L'acte de vente le décrit comme « un moulin à eau dit moulin de Grouteau et bâtiments occupant 9 arpents 75 perches de terre et de prés, avec isle et pâture, le tout situé commune de Longpont sur la rivière d'Orge et prairie de Saint-Michel ».

Une première vente du moulin appartenant aux religieux de Longpont a lieu le 24 février 1791. Grotteau avait été visité par des experts désignés par le district de Corbeil et estimé 26.400 livres. Aussi comme bien souvent en ces temps incertains, le montage financier ou juridique pour l'achat de Grotteau s'avère complexe. Deux procurations sont faites le 3 mars 1791, une de Bonfils à Tournant et une autre de Bonfils à Leblanc. Il est clair que le sieur Bonfils, qualifié de « cy-devant secrétaire du Roi » ne pouvait pas agir au « grand jour » sans être taxé d'ennemi à la Révolution. Il lui fallait des prête-noms.

Le 10 mars 1791, Adrien Philippe Tournant, avoué, et Pierre Leblanc commis de l'administration, l'un et l'autre fondés de procuration de Nicolas Delfieux, bourgeois de Paris demeurant rue de Grenelle, paroisse st Eustache, agissant pour Pierre Bonfils cy-devant secrétaire du roi demeurant à Paris, place Louis XIV, paroisse Saint-Eustache. Ledit Tournant déclare que l'adjudication faite à Delfieux pour 61 600 livres est au profit du sieur Bonfils.

Le même jour, le citoyen Tournant, avoué, et le citoyen Leblanc, commis au tribunal, fondés de procuration de Delfieux, bourgeois de Paris, et de Bonfils cy-devant secrétaire du roy, achètent le moulin pour 61.600 livres. C'est Delfieux qui est présent le jour des enchères et qui signe. La mise à prix avait été faite à 40.000 livres. D'autres sources donnent l'adjudication du moulin par le directoire du district de Corbeil par Tournant via Nicolas Delfieux, Leblanc et Bonfils. Ou encore : le sieur Bonfils, cydevant secrétaire du roy demeurant à Paris place Louis XIV, paroisse Saint-Eustache, achète le moulin « dépendant du cy-devant prieuré de Longpont avec neuf arpents moyennant 61.600 livres ».

C'est alors « qu'un jeu de chaises musicales », si l'on ose dire, s'organise autour de la possession du moulin. Le 28 avril 1791, la vente du moulin est faite par le citoyen Bonfils à Jean-Baptiste Gallié, bourgeois de la ville d'Etampes et à Charles Dufossé, son gendre. La vente est réalisée sans plus-value à raison de 61.000 livres. « Pierre Bonfils, cy-devant conseiller secrétaire du roy, maison Couronne de France et de ses finances, demeurant à Paris rue des Victoires, paroisse Saint-Augustin, lequel a cédé et délaissé avec la simple garantie de son fait personnel, au sieur Jean-Baptiste Gallié, bourgeois de la ville d'Etampes et au sieur Charles Dufossé, marchand de farine en la même ville et à demoiselle Marie-Anne Gallié, son épouse, ses gendre et fille, demeurant ainsi que le sieur Gallié en la ville d'Etampes », les biens cy après désignés : - un moulin à eau appelé le moulin de Grouteau, consistant en les tournans, moulans et travaillans et en logement du meunier pour l'exploitation du moulin, - dix quartiers de terre tenant au sieur Desromonts…. - une petite isle près le moulin, le tout loué à Guillaume Gillet par bail passé devant Lemaire à Paris…., la vente est faite moyennant 61.000 livres en assignats.

Que s'était-il passé ? Nous ignorons la cause de cette revente aussi subite. Le premier acquéreur n'a pas fait de plus-value, il aurait même perdu dans cette affaire : d'une part les 600 livres de rabais, d'autre part les frais de l'adjudication au district de Corbeil. Y avait-il un vice caché découvert au dernier moment par le citoyen Bonfils, ou bien l'acquéreur pensait-il, dans un premier temps se débarrasser du locataire qui était resté dans les lieux ? Ce qui ne s'est pas fait.

D'autre part, on remarque que le « cy-devant secrétaire du Roi », paya en assignats. Il n'avait pas le choix, car « toute personne qui désire acheter des biens nationaux doit le faire avec des assignats », confiance trompée par la rapide dépréciation de cette monnaie (5).

Sous l'Ancien régime, la réglementation sur les moulins était considérable (6). Au temps de la Révolution, le législateur reprend les ordonnances des Eaux et Forêts sur la gestion des cours d'eaux et l'organisation des usines sur ceux-ci. Outre les articles du Code civil de nombreux décrets et lois furent publiés :

  la loi du 6 octobre 1791 (sur la police rurale) attribue à l'autorité administrative le droit de régler les eaux des moulins et usines, en les fixant à une hauteur qui ne nuise à personne.
  par décret du 16 frimaire an 11, la responsabilité est imposée aux particuliers, par l'art. 16 de la loi du 6 octobre 1791, s'étend au Domaine et communes : d'où il suit qu'on ne saurait regarder comme opérations administratives les ouvrages qu'ils font, ou omettent de faire, pour les moulins qu'ils possèdent, comme les possèderaient de simples particuliers.
  le décret du 17 germinal an 13 désigne le juge de paix compétent pour condamner un propriétaire d'usine pour chômage causé aux usines-inférieures par la retenue d'un plus grand volume d'eau que celui que donne l'acte d'adjudication.
  etc.

À suivre …

Notes

(1) Le projet de traité de 1720 avait été dressé par Dom Louis François Carpentier de Machy, prieur claustral de Longpont et procureur de l'Ordre de Cluny. Au lieu d'être ratifié par le Diète de Cluny de la Pentecôte 1721, le projet avait reçu l'approbation du conseil de la Voulte de Cluny.

(2) Le moulin de la Chaussée (au Bas-de-Longpont) était situé sur une dérivation de l'Orge en aval du moulin de Grotteau. En effet, aux XVIIe et XVIIIe siècles, la Chaussée de Longpont est la route qui menait au Perray et qui avait donné son nom au village “ longus pons ”.

(3) Marie Angélique Charlotte Tachereau de Baudry, marquise de Bréhant, avait acquis la seigneurie de Lormoy par l'adjudication du 26 septembre 1768, bien que les religieux de Longpont soient venus faire opposition par la même argumentation que celle du conflit avec l'abbé Pajot, propriétaire précédent : la possession de la seigneurie directe de Saint-Michel-sur-Orge.

(4) À partir du 30 mars 1792, la notion de bien national a été étendue aux biens des émigrés (biens de 2ème catégorie) et des suspects, qui sont confisqués, puis vendus après le décret du 27 juillet.

(5) Les assignats deviennent une monnaie en 1791, garantie sur les biens nationaux. La dépréciation réside d'une part dans la surproduction des billets avec une circulation de près de 45 milliards de livres en 1796, et d'autre part les « faux assignats » émis à l'étranger avec la complicité du gouvernement britannique.

(6) Voir par exemple : M. Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence , tome XI (chez Roret, Paris, 1827), pp. 321-350.

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