Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La vie de Jean de Montagu (3) Le mariage

Chronique du Vieux Marcoussy ————————————- _————————— Octobre 2009

Le Grand maître Jean de Montagu et dame Jacqueline de la Grange (Gouaches sur parchemin, BnF, Paris, Col. Gaignières).

C. Julien

JP. Dagnot

Cette chronique est le troisième volet de la vie de Jean de Montagu. Cette fois, nous nous intéressons à l'époque où le grand maître convola en justes noces. En s'alliant à un parti avantageux, avec l'une des maisons proches du pouvoir royal, ce mariage provoqua incontestablement le début de son ascension sociale et lui fournit l'occasion d'augmenter la fortune de sa famille.

De la naissance et de l'éducation

Nous trouvons peu de traces de l'éducation de Jean de Montagu. Il parut de bonne heure à la cour de Charles V, travaillant au Louvre aux côtés de son père. Les historiens prétendent que ce prince, soit par amitié pour Girard, son père, soit par amour pour Biotte, sa mère, prit le jeune seigneur en affection, « et le favorisa toute sa vie en le rendant un sujet capable de seconder ses desseins », dit Simon de la Motte. « Formé pour ainsi dire par Charles V, un des plus grands de nos rois ; poussé par son père et sa mère, dont l'ambition croissait sans cesse, Jean de Montagu, d'un esprit d'ailleurs prudent et sage par excellence, ne devait pas manquer d'arriver à la plus haute fortune », écrivit Lucien Merlet.

Le moine célestin continue sa narration par : « Si donc parlant de lui que par sa naissance, son éducation et son bonheur, nous commençons à écrire que haut et puissant seigneur messire Jean, seigneur de Montagu, de Marcoussis et autres lieux, vidame de Laonnais et grand Maître de France, suivit la même condition que son père en la chancellerie de France et sa prudence aussi bien que sa modestie l'ayant rendu considérable auprès du cardinal d'Amiens, ministre d'état ».

Formé au métier de secrétaire et notaire, Jean de Montagu mit en application ce qu'il avait appris en achetant ses premiers biens immobiliers le 31 octobre 1366 alors qu'il venait d'atteindre sa majorité. Il fit l'acquisition d'un quart de l'hôtel de Saudreville de demoiselle Jeanne, veuve de Messire Thomas de Bezuret depuis et en outre le total de ladite seigneurie.

Alors qu'il était encore célibataire, Jean de Montagu commença d'acquérir des biens dans le Hurepoix. Ainsi, nous trouvons le 27 mars 1384, l'achat par Jehan de Montagu d'une maison à Souzy pour 60 livres ; puis le 7 février 1388, l'achat d'un « ostel de Souzy ».

La rencontre des Montagu, père et fils, et des frères La Grange fut décisive. Le clan Cassinel, appartenant au puissant réseau des Italiens, joua également un rôle non négligeable. Le cardinal était devenu surintendant des finances et premier ministre de Charles V, qui, ayant apprécié les qualités du secrétaire du roi, ne dédaigna pas de lui offrir une alliance avec sa famille.

Portrait de Jean de Montagu

Donner le portrait de Jean de Montagu est une entreprise téméraire. Nous ne trouvons aucune trace de son image. Plusieurs représentations du Grand maître ont été faites bien longtemps après son décès. L'une est une gouache sur parchemin qui fut peinte au XVIIe siècle pour entrer dans la collection Gaignières, actuellement conservée à la Bibliothèque nationale à Paris. L'autre est une estampe du XIXe siècle, signé par François-Séraphin Delpech, qui semble avoir été fortement inspirée par l'œuvre précédente. D'autres gravures ont été réalisées au XIXe siècle, époque où l'on fit revivre l'histoire du Moyen Âge avec le goût de l'époque. Ainsi la gravure intitulée « Jean de Montagu conduit au supplice » est une pure fiction comme nous le verrons plus tard.

Les historiens ont tenté de décrire le personnage : « On le faisait passer pour un homme ignorant et sans capacité, ce qui était tout le contraire bien probablement. Il était maigre, de petite taille, avait la barbe clair-semée, et ne pouvait s'exprimer qu'avec une grande difficulté, défauts naturels que les jeunes gens de la cour tournaient en ridicule ».

Entré dans l'administration royale comme notaire et secrétaire, Jean de Montagu apparaît comme un garçon doué et apprenant vite. Dès 1383, le roi lui avait confié plusieurs missions qui avaient permis de reconnaître ses talents de financier. Ainsi, le 19 juillet 1383, Charles VI l'avait commis pour percevoir les aides nécessaires à la guerre ; et 1'on peut dire que, parmi les secrétaires du roi, Jean de Montagu « Johannem de Monte Acuto » était chargé de tout ce qui avait trait aux finances. Plus tard, sa place dans le nouveau conseil du roi était donc toute marquée : il reçut la surintendance des finances avec le seigneur Jean de Noviant « personnages pleins d'expérience dans les affaires ». Ce fut l'époque du pouvoir des clercs.

On en peut juger par cette lettre missive signée J. de Montagu : « Au receveur des aides à Mantes. De par le roy. Receveur de Mante, nous te avons mandé par nos autres lettres que, ycelles veues, ou au plus tart et pour touz délaiz dedens le xxij e jour de ce présent mois de juing, tu nous prestasses la somme de deux cens livres tournoiz, et ycelle apportasses ou envoyasses senrement dedens ledict jour à Guillaume du Bazay, receveur des aides de la guerre à Rouen, pour convertir en certain fait hastif touchant le bien et honneur de notre royaume, et pour ce que depuis avons sceu que dommage iréparable se pourroit ensuir à nostre royaume, si faulte avoit an dit fait, se toy et les autres que nous avons requis de nous faire semblables prêts failloient de paier audit jour audit receveur de Rouen ce que requis leur avons pour la dicte cause, nous te mandons que, toutes excusations cessans et sans faillir, tu faces ce que dit est, et tu le reprendras selon le contenu de nos dictes autres lettres sans nul contredit. Saichant que, se faulte y a, nous te ferons monstrer que nous en desplaira. Donné à Paris, le xvij e jour de juing ».

Sans doute grisé par tant d'honneurs, Jean de Montagu amassa des richesses considérables. Homme de son temps, il était devenu un seigneur raffiné aimant le grand luxe. Il faut voir ici l'influence de ses origines italiennes du côté maternel. C'est d'ailleurs le goût d'un luxe trop dévoyé et ostentatoire qui causera sa perte.

Pour compléter le portrait, citons le religieux de Saint-Denis qui mentionne que ses contemporains le dénigraient : « Il venait journellement à la Cour des princes, des gens qui ne se faisaient aucun scrupule de dire que c'était un homme sans instruction [virum illitteratum], et de tourner en ridicule sa maigreur, sa petite taille, sa barbe clair-semée, et le bégaiement dont il était affligé », alors qu'il était pourvu d'une grande agilité d'esprit.

Jean de Montagu avait hérité de ses parents un désir ardent de promotion sociale qui ne manqua pas d'attiser ses qualités intuitives. Certains historiens du XIXe siècle ont donné d'étranges appréciations comme, en 1836, de Lavillegille, auteur d'une notice sur le gibet de Montfaucon, qui écrit « Jean de Montagu, fils d'un bourgeois de Paris, jouissait d'une faveur qui surprenait d'autant plus qu'il n'était doué d'aucun avantage personnel, étant petit, bègue, d'une figure commune et d'une ignorance extrême ». Par contre, Jean-Charles de Sismondi écrivit en 1828 : « … il étoit de petite taille, de pauvre mine, presque dépourvu de barbe, et il ne parloit qu'en bégayant ; toutefois il avoit su gagner l'affection de gens presque toujours séduits par les qualités extérieures » (1).

Un mariage prestigieux

Ce fut dans les premières années du règne de Charles VI que Jean de Montagu se maria avec Jacqueline de la Grange , alliance qui montre combien déjà était grande sa puissance, et qui contribua encore à augmenter son crédit. L'épouse était la nièce du fameux Jean de la Grange , évêque d'Amiens, qui coiffera plus tard le chapeau de cardinal.

Nous ignorons les détails de la cérémonie nuptiale qui eut lieu en 1390. Toutefois Charles VI, de son côté, pour donner à son favori une nouvelle preuve de son amitié, lui fit présent, « en accroissement de son mariage », d'une somme de dix mille francs d'or, le 16 mai 1390. La lettre du roi précise « en considéracion et mémoire les bons, agréables, notables et proufitables services que nostre amé et féal notaire et secrétaire Jehan de Montagu nous a faiz ou temps passé depuiz nostre enfance, faict encore chascun jour… ». Le roi aurait fait confectionner de riches vêtements pour lui-même et son frère le duc d'Orléans afin d'assister aux noces de son secrétaire. Selon le compte de Jean Poulain, trésorier du duc d'Orléans, celui-ci offrit une vaisselle d'argent en cadeau de mariage « pour mectre et emploier ou fait des joustes des noces Montagu ».

Jacqueline de la Grange était la fille unique d'Estienne de la Grange et de Marie Dubois. On n'a pas de trace de l'anoblissement d'Etienne de La Grange. Bien que n'étant pas noble d'origine, il est qualifié de chevalier en 1373. Lui-même et son frère le cardinal Jean de La Grange étaient les fils de Geoffroy de La Grange, notaire dans le Forez dont l'activité se retrouve entre 1326 et 1343. Leur sœur Jeanne avait épousé Jean-Simon de Boissy, sergent d'armes du roi dont il eut trois fils : Imbert, Henri et Jean qui fut successivement clerc, chanoine à Amiens, évêque de Mâcon et évêque d'Amiens. Une seconde sœur avait épousé Guillaume Fillet, seigneur de la Curée. Ces derniers furent les parents de Jean Fillety, mort le 10 juin 1410 après avoir eut une carrière ecclésiastique prestigieuse comme évêque de Carpentras et d'Apt.

Selon Simon de la Motte : « les armes de La Grange sont de gueules au chef d'argent, chargé ou facé de trois molettes de sable, et celle des Dubois de gueules à la croix échiquetée d'argent et de sable de deux rangées cantonnées de quatre lions d'or ».

Étienne de la Grange était docteur en droit. Il devint conseiller lai au Parlement de Paris en 1369. André Duchesne nous dit qu'il fut reçu premier président du parlement le 12 novembre 1373, remplaçant Pierre d'Orgemont (Histoire de la maison de Chastillon-sur-Marne, liv. 6, ch. 1), et qu'il mourut le 16 de novembre 1388. Par contre le P. Ménestrier cite Étienne de la Grange parmi les présidents à mortier sous la date de 1373. Il avait été désigné, par le roi Charles V, parmi ceux chargés d'exécuter ses dernières volontés après avoir participé à la rédaction de l'édit d'août 1374 « par lequel il est ordonné, qu'à l'avenir les rois de France, dès qu'ils entreront dans leur quatorzième année, prendront en main le gouvernement de leur estat ».

Par d'autres lettres patentes datées de Melun au mois d'octobre 1374, le roi avait ordonné « qu'en cas que sa mort arrivât avant que son fils eût treize ans et un jour, la reine seroit sa tutrice et régente du royaume, et auroit pour adjoints le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon, mais qu'en cas qu'elle se remariât, elle perdroit la tutelle et la régence ». Il donnait également la liste des membres du Conseil. Parmi les plus hauts dignitaires du royaume se trouvaient Renaud de Corbie et Étienne de La Grange, présidents au Parlement.

Marie Dubois était la fille de Nicolas Dubois, chevalier, bailly de Rouen et de Gisors. Selon Pijart, ce gentilhomme « avoit donné audit président en considération de son mariage avec sa fille, trois sergenteries relevantes du Roy comme duc de Normandie, celle de Massi, la sergenterie de Cailly et celle de la Ferté en Bray que son père Guillaume Dubois, clerc du Roy nostre sire (c'est ainsy qu'il est qualifié audit acte) avoit achetées l'an mil trois cent quarante de Jean de Launoy, escuyer, seigneur de Bourdiny, son nepveu, un mercredy 27 avril par devant Pierre de Montigny et son confrère, notaires au Chastelet de Paris ». Ces “sergenteries” reviendront, par succession, à Jean de Montagu.

Dans son mémoire sur les « Femmes célèbres de l'ancienne France », Le Roux de Lincy nous dit que ce n'est pas seulement la haute fortune de son mari qui plaça Jacqueline de la Grange parmi les dames illustres de la cour de Charles VI « elle était aussi le descendant unique et l'héritière de deux célèbres conseillers du sage Charles V ». Son père Etienne qui avait été conseiller ordinaire du Trésor était chevalier, « ce qui faisait qu'à la noblesse de robe, il joignit celle de l'épée ». Jacqueline de La Grange apporta la fortune des La Grange dans la communauté de biens avec Jean de Montagu par le double héritage qu'elle avait fait, en 1388 à la mort de son père, et en 1402 à celle de son oncle. « Cette fortune singulière ne dura pas moins de quinze années », nous dit le Religieux de Saint-Denis.

Ecu du couple Montaigu-La Grange (selon Pijart).

La veuve Montagu

Après la mort de Jean de Montagu, Jacqueline de La Grange épousa, en secondes noces, Pierre Herisson, chevalier, capitaine de Sablé. « Elle mourut le 24 juillet 1422 et ne laissa que les cinq enfants qu'elle avait eus de son premier mariage ; elle fut inhumée dans le cloître des Célestins de Marcoussis » écrivit Simon de la Motte qui semble avec copier l'erreur introduite par R.P. Jacques du Bruel « informé s'est trompé lors qu'il a escrit dans son Théâtre des Antiquités de Paris, qu'elle est morte en 1422 ». En vérifiant les dates dans sa thèse, Guillaume Pijart donne la date du 24 juillet 1436 ; « Elle mourut sans en avoir eu d'enfants, à Sablé où elle a esté inhumée » nous dit-il, contrairement à Ducuns qui prétend « à Montcontour au pays de Poictou » (2).

Le 29 mai1417, Pierre Herisson passe foy et hommage pour les trois seigneuries « à cause de Jacqueline de la Grange sa femme qui n'avoient pas esté confisquées par le Roy non plus que l'autre bien qu'elle avoit apporté en mariage audit Messire Jean de Montagu ». Il obtint du roi souffrance pour le dénombrement et adveu qu'il en fit. Ayant esté pris prisonnier l'an 1424 par les Anglois à la bataille de Verneuil au Perche, il vendit avec Madame Jacqueline de La grange sa femme la terre et seigneurie de Bourdigny, scise en Normandie près Roüen, avec la sergenterie ordinaire faicte de la dite ville de Roüen, de Cailly et de La Ferté-en-Bray, et en outre à toutes et chacune les rentes deubs aux dits époux tant en la ville de Roüen que au dit lieu de Eybray, moyennant le prix et somme de trois mil escus d'or par contrat passé à Angers le 23 février 1427. Ces deniers étaient consacrés « pour payer la rançon et autres debtes ». Le contrat de vente commence ainsi « Scachez tous présens et advenir que en nostre cour à Angiers en droit par devant nous personnellement establis Messire Pierre Herisson, chevalier et dame Jacqueline de la Grange, sa femme, vidasme de Laon, autorisée de son dit mary suffisamment par devant nous quant à cet effet à présens demourant en cette ville d'Angiers soubsmettant, &c, &c ».

Le bourdon Notre-Dame de Paris

Notre-Dame de Paris possédait autrefois une sonnerie assez considérable, et fort estimée pour son harmonie. Dans la tour méridionale, on voyait deux cloches d'une très grande proportion, vulgairement appelées bourdons . La plus grosse, nommée Emmanuel , du poids de trente-deux mille livres, est fort heureusement échappée au creuset révolutionnaire, dans lequel les autres ont été englouties et mises en fusion pour être converties en canons et en sols. Cette cloche fut d'abord donnée à Notre-Dame en 1400, par Jean de Montaigu ; on la nomma Jacqueline , du nom de Jacqueline de La Grange, sou épouse.

« Elle a donné à l'église de Nostre Dame de Paris la seconde de toutes les cloches qui est dans la terre du costé de l'hostel archiépiscopal, comme il paroist par son nom et ses armes qui sont autour. Cette cloche a esté fondue et augmentée d'une fois autant le 31 octobre 1681 », nous dit Pijart. Elle ne pesoit alors que quinze mille livres ; mais, par la suite, s'étant trouvée dissonante des autres cloches, le Chapitre de Notre-Dame la fit refondre et augmenter de poids en 1680. La fonte de cette cloche, entreprise par frère Jean Thiébaut, cordelier, ayant été manquée, le Chapitre la confia à Florentin le Guay, qui la refondit en 1681. La cérémonie de sa bénédiction se fit le 29 avril 1682, par François de Harlay, archevêque de Paris : Louis XIV et Marie-Thérèse d'Autriche, son épouse, d'après l'invitation du Chapitre, imposèrent à la cloche les noms d'Emmanuel-Louise-Thérèse ( Gazette de France du 29 avril 1682).

Cependant, cette cloche ne se trouvant pas d'accord avec les autres, elle fut encore refondue et augmentée de matière en 1685; de sorte qu'elle pèse près de trente-deux mille livres. Pour conserver la mémoire des noms illustres qui lui avoient été imposés en 1682, on ne changea rien à l'inscription, qui est conçue en ces termes :

Quæ Prius Jacquelina, Joannis comitis De Monte Acuto Donum Pond. XV. M. Nunc Duplo Aucta, Emmanuel-Ludovica-TheresiA Vocor a Ludovico Magno ac Maria Theresia ejus conjuge nominata, et a Francisco Harlay primo ex Archiepiscopis Parisiensibus Duce Ac Pari Francis Benedicta. Die XXIX. Aprilis MDCLXXXII.

Au bas de la cloche on lit : Florentin Le Gvay, Natif Et Maistre De Paris, M'a Faicte. Et de l'autre côté : N. Chapelle. J. GlLLOT. F. MOREAU M'ONT FAICT EN 1685.

Le diamètre de cette cloche et de huit pieds, sa hauteur de même, et son épaisseur, au gros bord, est de huit pouces quatre lignes ; le battant, refait à neuf eu 1804, pèse neuf cent soixante-seize livres. Sa basse articule le ton de fa dièse de ravalement. Le son de cette cloche est mélodieux et majestueux tout à la fois ; l'habile fondeur qui l'a faite est parvenu, par le moyen de la division exacte des diverses épaisseurs et par des fournitures bien dispensées, à lui donner une résonance qui répète l'accord parfait. On chercherait en vain, parmi toutes les cloches, une vibration aussi heureuse : ce beau corps sonore a été considéré jusqu'à présent comme le chef-d'œuvre de l'art campanaire.

Le critique littéraire Charles Defrémery montré que M. Malte-Brun a reproduit textuellement (p. 39) une assez singulière erreur de M. Merlet, relativement à la principale cloche de l'église métropolitaine de Paris. Le biographe de Jean de Montagu dit que cette cloche fut refondue en 1681, aux dépens d'un chapelain de cette église, nommé Emmanuel, comme le témoigne cette inscription : « Vocor a capitule Parisiensi Xua, prius Jacquelina Joannis de Monte-Acuto comitis donum… nunc Emmanuele duplo aucta » . Le mot Xua, dépourvu de toute signification, m'avait d'abord paru pouvoir être lu X na pour Christiana ; mais après avoir vu la même inscription rapportée plus exactement dans divers autres ouvrages, notamment dans le Menagiana (édit. de 1715, t. III, p. 138). Le mot en question n'était qu'une mauvaise leçon pour Quœ. Quant au mot Emmanuele, il ne vient qu'après nunc duplo aucta, et sous la forme Emmanuel, comme le premier des noms donnés à la cloche lors de son second baptême. M. Merlet n'ayant pas cité son autorité, n'ignore où il a pris la leçon qu'il donne et ce qu'il dit du chanoine Emmanuel, qui n'a peut-être dû l'existence qu'à une inscription mal transcrite (3).

Notons que Monstrelet a commis une erreur en écrivant « Et entre les autres biens qu'il fit quand il vivoit, il [Montagu] donna à l'église de Notre-Dame de Paris celle grande cloche, laquelle il fit nommer Catherine, comme il appert par ses armes et son timbre, qui sont autour d'icelle ».

L'oncle Jean

Parlons brièvement de l'oncle Jean de La Grange, le fameux cardinal, qui passait pour un homme dur et intransigeant, et fut un temps percepteur des enfants royaux et pour lequel le dauphin Charles désirait être « délivré de la tyrannie de ce capelan ». Jean de La Grange fut un prélat et homme politique qui joua un rôle important sous le règne de Charles V.

Né vers 1325, originaire du Beaujolais, il fit certainement ses études à Ambierle dans le prieuré clunisien qui s'y trouvait. Il rejoignit l'université d'Avignon où il fut reçut docteur en décret avant de commencer sa carrière ecclésiastique comme simple moine profès en prenant les habits bénédictins dans l'Ordre de Cluny. Il devint successivement prieur à Elincourt au diocèse de Beauvais en 1350, prieur à Gigny, en Franche-Comté, de 1354 jusqu'à 1357 quand il prit la tête de l'abbaye de la Trinité de Fécamp. Enfin, il fut procureur de l'ordre clunisien. Pendant son abbatiat à Fécamp en 1358, il participa à la politique après avoir été admis dans l'entourage de Charles le Mauvais, roi de Navarre.

Il entra au service de Charles V qui le combla d'honneurs et de récompenses alors qu'il avait rejoint le Conseil du roi où il prend en charge les affaires ecclésiastiques tout en intervenant dans les affaires financières et fiscales. On lui reprocha sa rigueur excessive dans ses emplois.

Écu du cardinal Jean de La Grange (selon Pijart).

En 1370, Jean de La Grange est nommé président de la Cour des aides par le roi, surintendant des finances premier ministre. Trois ans plus tard, pressentit pour l'évêché de Laon, il coiffa finalement la mitre d'évêque d'Amiens où son séjour n'excéda pas trois ans. A cette époque, les évêques d'Amiens avaient le droit exorbitant de réclamer certaines choses à la mort des particuliers, comme « tout ce qui se trouve sur le lit du mort appartient à la personne chargée de l'ensevelir ». Cette redevance fut rachetée par le corps de ville en 1391, moyennant une rente annuelle de 15 livres parisis.

Il fut chargé alors de missions diplomatiques de la plus haute importance en assistant, en 1374 à la conférence de Bruges pour le rétablissement de la paix. Nommé cardinal-évêque au titre de Saint-Marcel le 20 décembre 1375, il part pour Avignon où il devient conseiller du pape Grégoire XI. Il arrive à Rome en 1378 alors que le pape Urbain VI vient d'être élu. Il prit part aux conflits du grand schisme d'Occident en participant au conclave de Fondi qui élit le premier antipape Clément VII.

Sa disgrâce après la mort du roi en 1380 n'engendra pas pour lui de situation tragique. En 1394, il est nommé cardinal-évêque de Frascati. Il fut écarté par le successeur de Clément VII, Benoît XIII, lequel avait perdu le soutien du parti français. Jean de La Grange fut de ceux qui organisèrent le soustraction d'obédience en 1398 (4). Le cardinal Jean de La Grange était en conflit avec Louis d'Orléans, mais mourut le 21 avril 1402 à Avignon, avant la fin de la procédure avec le frère du roi.

Jean de La Grange légua son immense fortune à sa nièce Jacqueline qui en fut son héritière universelle. Il choisit sa sépulture dans la cathédrale d'Amiens où il avait fait construire un tombeau dans l'une des chapelles fondée sous le nom « chapelle de la Grange ». Jean de La Grange avait d'autres neveux : l'un, Jean IV de Boissy (1349-1410) fut aussi son successeur à l'évêché d'Amiens (5) ; son frère Imbert de Boissy fut président au Parlement de Paris et conseiller du roi ; un autre neveu Jean Fillety était « docteur ès-loix », évêque de Carpentras puis d'Apt. Neveux pour lesquels, le cardinal écrit dans son testament daté du 12 avril 1402 « mes neveux, qui me doivent leur éducation et leur avancement, parce que je les ai toujours traités et chéris comme des fils… ».

Jean de La Grange fut soupçonné « d'avoir amasser des richesses considérables, en dirigeant les affaires du royaume », accusation qui fut portée à presque tous les surintendants de finances sous l'Ancien régime. Mais l'oncle n'eut pas le sort de son neveu, car il s'était exilé hors du royaume, à Avignon.

À suivre …

Notes

(1) A. de Lavillegille, Les Fourches Patibulaires de Montfaucon (Libr. Techener, Paris, 1836) – Jean-Charles de Sismondi, Histoire des Français , tome XII (chez Treutrel & Würtz, Strasbourg, 1828).

(2) G. Pijart, Généalogie de ma maison de Montagu , mss. 1657 – S. de la Motte - Du Breul, Théâtre des Antiquités de la ville de Paris, édition de 1639, in-4°, p. 955.

(3) Cf. Bibl. de l'Ecole des Chartes, loc. laud., p. 272, n. 2 – Cf. la Description historique des curiosités de l'église de Paris, par M. C. P. G. (Gueffier), Paris, C. P. Gueffier, 1765, in-4°, p. 38; et la Descript. hist. de la basilique métropolitaine de Paris, par Gilbert, Paris, A. Leclère, 1821, in-8°, p. 146.

(4) Afin de mettre fin au Grand schisme, le Conseil du roi eut recours, suite à l'assemblée des prélats du 22 mai 1398, à une procédure appelée « soustraction d'obédience », autrement dit l'Eglise de France se gouverne elle-même en retirant au pape les bénéfices et les taxes ecclésiastiques.

5) Jean de Boissy aurait occupé un poste ecclésiastique à la Cour pontificale d'Avignon, puis occupait une prébende de chanoine à Amiens, avant d'être nommé évêque de Mâcon le 24 octobre 1380. Le 22 mai 1382, il fit son entrée solennelle dans sa ville épiscopale. Il fut transféré à l'évêché d'Amiens en 1389. Ce prélat entra en conflit avec le Chapitre cathédral pour avoir fait enlever le reliquaire pour se l'approprier au détriment de la Trésorerie. Il meurt le 4 septembre 1410.

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