Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La vie de Jean de Montagu (4) Les filles aînées

Chronique du Vieux Marcoussy ————————————- _————————— Octobre 2009

Le Grand maître Jean de Montagu et dame Jacqueline de la Grange (Gouaches sur parchemin, BnF, Paris, Col. Gaignières).

C. Julien

JP. Dagnot

Cette chronique est le quatrième volet de la vie de Jean de Montagu dans lequel nous rapportons la vie des enfants nés du mariage avec damoiselle Jacqueline de La Grange. Nous commençons par les filles aînées du Grand maître qui toutes deux se trouvèrent veuves en 1415 quand leurs maris tombèrent sur le champ de bataille d'Azincourt.

En organisant le mariage de ses enfants, celui de ses filles aînées d'abord, Montagu allait s'assurer des appuis et des alliances solides, des amis intéressés à ce qu'il conservât le pouvoir et l'administration des finances. Il chercha des époux de ses quatre filles parmi les seigneurs riches et considérés, aidé dans cette tache par ses deux frères l'archevêque de Sens et l'évêque de Paris. Le fils unique fut allié à une princesse du sang. Comble de l'ironie, deux des filles furent mariées à des gentilshommes du parti bourguignon, celui même qui conduisit le Grand maître devant le bourreau.

Les enfants de Jean de Montagu

S'il faut en croire Simon de la Motte « Messire Jean de Montagu considérant qu'il avait désormais plus besoin d'amis et d'affidés pour se concilier l'agrément d'un chacun dans l'éminence de cette charge et soutenir cette haute dignité avec un succès qui devait assurer la fortune de sa maison, s'étudia à faire des alliances capables de seconder ses desseins suivant la condition à laquelle il était élevé ». Il faut avouer que le sous-prieur des Célestins est très discret pour donner des détails sur la vie des enfants Montagu. N'avait-il pas bien lu le manuscrit de Guillaume Pijart qu'il copia sans vergogne ? Pour notre part, la transcription des écrits de ce dernier auteur nous a aidé grandement à bâtir cette chronique (1).

En introduction, avant le développement, citons brièvement les enfants qui sont nés dans la maison Montagu-La Grange. Notons que les grossesses se sont suivies à partir de 1394, date qu'il faut peut-être considérer comme celle de la majorité de damoiselle Jacqueline qui semble avoir été bien plus jeune que Jean de Montagu, âgé de 44 ans le jour de la naissance de sa première fille. Voici les cinq enfants :

  Elisabeth ou Bonne-Elisabeth ou Isabelle, née en 1394 qui vécut 36 ans.
  Jacqueline, né en 1395, décédée à l'âge de 42 ans.
  Marie ou Marguerite ou Marie-Marguerite, née en 1396, morte à l'âge de 20 ans.
  Charles, né en 1397, mort à l'âge de 18 ans au combat à Azincourt.
  Jeanne, la cadette, née vers 1398, morte à l'âge de 22 ans.

Pour sa part, le chroniqueur bourguigon Enguerran de Montrelet, toujours aussi peu généreux avec le parti adverse, décrit la famille en ces termes : « Ledit Montagu estoit natif de Paris et paravant avoit esté secrétaire du roy Charles le Riche, derrenier trespassé. Si estoit gentil homme de par sa mère, et avoit marié trois filles légitimes qu'il avoit, dont en avoit l'une, sire Amé de Roussy, la seconde fut mariée à Jehan de Craon, seigneur de Maubuisson, et la tierce estoit fiancée à Jehan de Meleun, filz au seigneur d'Antoing, mais le mariage ne se parfist point. Et son filz, comme dit est, estoit marié à la fille du seigneur d'Albreth, connestable de France et cousin du Roy ».

Dans sa biographie, Lucien Merlet nous dit sur le même thème : « Comprenant parfaitement d'ailleurs que, dans le haut point de faveur et de richesses où il était, ses enfants et ses parents étaient regardés comme les plus grands partis de France, Jean de Montagu n'oublia rien pour leur procurer les plus illustres alliances ». Nous verrons que Jean de Montagu fut un fin tacticien puisqu'il réussit à s'allier, comme nous venons de le dire, par le mariage de deux de ses filles, au parti bourguignon qui avait juré sa ruine.

Elisabeth ou Bonne-Elisabeth

Le premier nourrisson qui égaya la maison du Grand maître fut Elisabeth, souvent appelée Bonne-Elisabeth ou Isabelle ; née en 1394. Dès 1398, la fille aînée, Bonne-Élisabeth, avait été alliée à Jean VI du Moulin ou de Pierrepont, comte de Roucy et de Braine. Cette maison de Roucy reconnaissait par auteur Ingobrand, sire de Pierrepont, en 1090, au cinquième descendant duquel, Robert de Pierrepont, parvint le comté de Roucy par son mariage avec Eustachie, comtesse et héritière de Roucy, morte en 1221 (2). Tombée un moment dans les mains du duc d'Anjou, le comté était revenu à Simon de Pierrepont après un procès de 20 ans pour droit de forlignage. Jean fut le dernier représentant de la maison de Pierrepont, et de la seconde race des comtes de Roucy. Il fut reconnu à Azincourt parmi les morts à une ancienne blessure qui lui avait rendu le bras gauche plus court que l'autre (3).

Voici ce que dit Pijart « Messire Dumoulin du nom, fils de Hugues, comte de Roucy et de Braine, mort le 25 octobre 1395, qui estoit fils de Simon, et de Blanche de Coucy, morte le 24 de février 1438 selon son traité de mariage (en non pas Hugues comme écrit de Mézeray dans Charles VI, après Monstrelet, liv. ch. 57 qui le fait aussi comte de Boissi au lieu de Roucy, ou Anthoine comme ont escrit de certains), comte de Roucy et de Braine, nepveu de Jean de Roucy le 64e évesque de Laon, duc et pair de France, appelé communément le bon évesque, lequel est mort l'an 1419 et inhumé dans la chapelle de Saint-Denys de l'église de Braine. C'est ce Jean, qui en qualité d'évesque de Laon, a rendu à foy et hommage Louis aisné de France, duc de Guienne et dauphin de Viennois pour le vidamé de Laonnois en suitte du don que luy en avoit faict Charles VI, roy de France après l'exécution de Jean de Montagu, grand maistre d'hostel du roy. C'est luy qui atraicté pour le mariage de Jean de Roucy, son nepveu avec Elisabeth de Montagu duquel contract puisqu'il est tombé entre mes mains, je désire rapporter icy ce qui me semble de plus remarquable ».

Traité de mariage de Jean de Roucy et d'Elizabeth de Montagu : « A tous ceux que ces présentes lettres verront, Jean seigneur de Folleville, chevalier, conseiller du roy nostre sire, garde de la prévosté de Paris, salut. Sçavoir faisons que pardevant Vincent Chaon de Jivry notaire juré nostre dit seigneur de par luy establie en son Chastelet de Paris fut présent Révérend père en Dieu Monseigneur Jean de Roucy, évesque de Laon, oncle de noble et puissant seigneur Monseigneur Charles d'Albret, Monseigneur Vualleran de Luxembourg, Monseigneur Jean de Sancerre, Monseigneur Louis de Sancerre son frère, connétable de France, Monseigneur Guillaume vicomte de Melun, Monseigneur Charles vicomte et baron d'Ivry et Monseigneur Bauchel de Chastillon, seigneur de Croissy, tous parents et amis de Jean de Roucy, le comte de Braine d'une part. [André Duchesne, Hist. de la maison de Chastillon, liv. 8, ch. 4 qualifie un Charles Senlende, baron d'Ivry où il paroist qu'il n'a pas bien leü ce contract de mariage, ny quand il passe beaucoup d'autres tesmoins assez remarquables ou quand il y inserre un Simon de Roucy, qui n'y a point signé]. Et Jean seigneur de Montagu et de Marcoussis, vidame de Laonnois, père, ledit Monsieur le comte de Saint-Pol, Monsieur Jean de Boissy, évesque de Chartres [erreur, il est évêque d'Apt], Monseigneur Guy seigneur de Cousant, grand maître d'hostel du roy nostre sire, Monseigneur Besque du Fayel, vicomte de Breteil, Monseigneur Guillaume le Boutellie seigneur de Saint-Chartie, Monseigneur Jean seigneur de Croy, Monseigneur Guillaume Cassinel seigneur de Romainville, Monseigneur Jean seigneur de Roussay, Messire Gagnan seigneur de Hagueronville, messire Raoul de Cheneville seigneur de La Gonesse , chevalier, Maistre Girard de Montagu conseiller du roy nostre sire et archidiacre de Cambari, Jean seigneur de Cheneron et Bernard de Thiencourt, tous parens et amys de damoiselle Elizabeth fille dudit seigneur de Montagu et de demoiselle Jacqueline de La Grange , sa femme, d'autre part. Lesquels dessus nommés ledit Monseigneur évesque de Laon et seigneur de Montagu par conseil et advis des autres cy dessus, reconnaissent et confessent de leur bonne volonté qu'un traicté de mariage entre eux pourparlé et qui, au plaisir de Dieu, s'il a faict dudit comte de Braine et de la dite damoiselle Elizabeth, tous deux mineurs d'ans. Ils avoient faict et par la présente fois entre eux et d'un commun accord et consentement leur promesse convention et accord qui s'ensuivent. C'es à sçavoir ledit Monsigneur l'évesque, oncle de par père et les autres en tesmoing de ce, noue à la relation desdits notaires jurés, avant midi le scel de la dite prévosté de Paris à ces présentes lettres qui furent passées et accordées le samedy sixième jour du mois de may l'an de grâce mil trois cent quatre vingt dix huict, ainsi signé Jean Clasies et Vinvent Chaon ». Notons que Pijart fait une erreur en qualifiant Jean de Boissy, évêque de Chartres, alors qu'il était évêque d'Apt. Monseigneur Vualleran de Luxembourg est Waléran II de Luxembourg, comte de Saint-Pol et de Ligny, fils de Mahaut de Châtillon, comtesse de Saint-Pol et de Guy de Luxembourg, comte de Ligny.

De cette union, est venue une seule fille nommée Jeanne du Moulin, comtesse de Roucy et de Braine, laquelle épousa Robert de Sarrebruche, seigneur de Commercy, fils d'Amé de Sarrebruche, seigneur de Commercy et de Marie de Chastiauvillain duquel elle eut deux fils, sçavoir Amé de Sarrebruche, comte de Braine et Jean de Sarrebruche, comte de Roucy, lequel épousa Catherine d'Orléans fille de Jean comte de Dunois dont un fils. Et une fille qui fut donnée en mariage au sieur d'Antoin. « Le susdit Jean du Moulin fut tué à la bataille d'Azincourt, gist à Braine en la chapelle de Roucy avec ses ancêtres ». Écusson de Jean comte de Roucy « porté d'or au lion d'azur » ; de Sarrebruche « d'azur au lyon d'argent ». Jeanne de Roucy est décédée en 1459.

Devenue veuve suite au désastre de la funeste bataille d'Azincourt, Elizabeth épousa, en 1417, en secondes noces, Pierre de Bourbon, seigneur de Préaux, Combles et Ville-en-Tardenois, vicomte de Lavedan, un des trente-six princes du sang qui vivaient au début du XVe siècle. Ce chevalier fut commandant et « capitaine des chastiaux de Roüen » en 1416, capitaine du château de Neauphle en 1422, mort en 1422 sans postérité de son alliance avec Elisabeth de Montagu. Pierre de Bourbon, appartenait à la maison de Bourbon-La Marche issue de Jacques 1er, comte de La Marche , fils cadet du duc de Bourbon, Louis 1er le Grand (4).

Pierre de Bourbon était fils de Jacques II, seigneur d'Argiès et de Préaulx et de Marguerite de Préaux, dame de Dangu. Pijart lui donne pour armes « porté d'azur aux fleurs de lis d'or sans nombre au baston de gueulle pry en bande à la bordure de gueulle ». Privé de ses biens patrimoniaux, ce prince du sang avait reçu du roi la charge de capitaine du château de Marcoussis. Il mourut accidentellement à La Rochelle en 1422.

Table généalogique simplifiée des princes de Bourbon-Préaux.

Elisabeth n'eut aucun enfant de Pierre, et s'étant retirée à Lyon « à cause des guerres qui estoient en France à l'occasion des Anglois », y mourut le 24 d'octobre 1429 après avoir constitué son héritière universelle Jeanne du Moulin sa fille « et les enfants qui en proviendroient et s'il arrivoit qu'elle n'en eut point, qu'ils vinrent à mourir, elle luy substitua pour héritière, Jacqueline de Montagu, sa sœur, dame de Graville et ses enfants, par son testament escrit en latin fait à Lyon le 16 octobre 1429 par devant Guillaume Garboti notaire ». Il faut exclure Valère en Touraine comme certains auteurs le prétendent. Son corps fut déposé dans l'église des Célestins de Lyon jusqu'après les guerres, qu'il a été apporté dans celle des Célestins de Marcoussis en 1470.

Pijart donne des actes notariés en complément à son article sur Elisabeth de Montagu que nous donnons dans les termes de l'époque, tels que nous les avons transcrits.

Elizabeth de Montagu, dame du vidamé de Laonnois et dépendances, de Marcoussis, Boissy-sous-St Yon, Eglis, Chastres sous Montlhéry, Bryères, Blanchefouasse, Souzi, Saudreville, S. Arnould, Vilconin, Mauchamp, Villejust, Guillerville, Chalou, La Grange Potiron , La Briche , Migaudon et appartenances qui furent aux hoirs madame de Bouville, La Grange S. Eloy, Chouanville, le Moulin Neuf, Vauxilas, &c. Item du chastel, terres et appartenances du Bois-Malesherbes, Nantiau sur Essonne, Maugeron, &c. dame douairière des chastiaux, terres et seigneuries et appartenances de Montagu en Laonnois, de Montmirail en Brie, et luy appartiendroit de son chef la terre et seigneurie de Pontarcy, la chastellenie de Gometz, de Tournenfuie, de Hangest et de Quinquampoix, estoit dame de Birinaine (dont elle en a fait foy et hommage à Bonne de Bar comtesse de Linsy et de Saint-Pol, dame de Nanteuil en l'an 1398 à cause dudit chastiau de Nanteuil. [André du Chesne, Hist de la maison de Chastillon, liv. 10. ch.8] et de plusieurs autres terres et seigneuries. Ainsi elle pouvoit bien léguer aux Célestins de Marcoussis la somme de 3.000 livres d'or par testament sans faire tort à Jeanne sa fille et à Robert de Sarrebruche son gendre, lesquels quoy que seuls héritiers ont fait cassé son testament et n'a de lire extrait de ce qu'ont allégué les Célestins contre les dits Sarrebruche et Jeanne son espouse pour faire substituer ledit testament. En septembre 1408, le comte de Braine emporte par un arrest la possession par luy prétendu de la comté de Roucy comme légitime et plus proche héritier, et le roi Louis de Sicile, qui jusques alors en avoit joüy par droit de l'acquisition faite par son père, en fut débouté. [Dernouciaux, Hist. Charles VI, traduite et imprimé par J. le Laboureur, livre 28, ch. 9].

Extrait du vidimus d'une lettre contenant la vente que font le vendredi 27 avril 1419, étant en leur chastel de Marcoussis, Pierre de Bourbon seigneur de Préaulx, Dangu, Marcoussis et autres lieux et dame Elizabeth de Montagu sa femme, vendent une rente de 100 livres parisis annuelle et perpétuelle aux Célestins de S. Antoine d'Amiens et de la déclaration que font les dits Célestins qu'ils ont achetés la dite rente des deniers des Célestins de Paris. Ladite rente sur la forest d'Ailly sur la terre seigneurie et droits quelconques de la ville et appartenances d'Argiès en Picardie que ledit messire Pierre de Bourbon se disoit avoir et à luy appartenir de son propre héritage. Le susdit Pierre de Bourbon a signé l'amortissement de nos dix arpents de Mocquit où il se qualifie prince, et cependant dans la lettre de vente rapportée cy dessus du 26 avril 1419, il ne se qualifie que chevalier, seigneur de Préaux, &c. Jacques de Bourbon comte de La Marche , depuis roi de Sicile fut héritier dudit Pierre et Jacques de Bourbon ses cousins, estant morts sans enfants pour la seigneurie de Vilaines comme on voit par un arrest de la cour de parlement du 2 mars 1440, qui eut procès avec Louis de Bourbon, comte de Vendosme, son frère puisné pour raison de cette seigneurie de S. Marthe. [Hist. généalogique de la maison de France, liv. 24, tom. 2, p. 128].

Jacqueline de Montagu

Jacqueline de Montagu, né en 1394, fille cadette porta le prénom de sa mère. Elle est qualifiée de dame de Marcoussis, Nozay et La Ville-du-Bois à la mort de son frère Charles. Comme tous les autres enfants, elle fut mariée alors qu'elle était en bas-âge, le 7 novembre 1399, « en premières nopces à Georges de Craon, seigneur de Montbazon » dit Pijart qui précise que Monstrelet l'appelle Jean de Craon (liv. 2 ch. 57 p. 149) et que de Mazéray (Hist. de Charles VI) escrit aussi qu'il estoit fils de Pierre de Craon qui assassina Olivier de Clisson, connestable de France. Il semble que Pijart fasse une erreur sur le prénom, d'ailleurs quelques pages plus loin il se reprend et écrit « Georges ou Jean ».

Jean de Craon, né cers 1380, seigneur de Montbazon, vicomte de Chateaudun était le fils de Guillaume de Craon et de Jeanne Savary de Montbazon. Il fut d'abord chambellan du duc d'Orléans, qu'en 1403, il accompagna en Lombardie. Il était en 1405, chambellan de Charles VI et touchait sur les coffres du roi une pension annuelle de 600 livres tournois. En 1413, il devient grand échanson en remplacement de Charles de Savoisy. Enfin, on constate qu'il était aussi bailli de Touraine. Il périt à Azincourt sans avoir laissé d'enfants. Ses biens ont été répartis entre ses sœurs Marie et Marguerite et son oncle Pierre. Marguerite hérita de Montbazon, Sainte Maure et Nouatre qui passèrent ainsi à la maison de La Rochefoucauld. Marie et son mari Louis Chabot obtiennent la seigneurie de Montsoreau (5).

Écus des maisons de Jacqueline de Montagu avec Jean de Craon et avec Jean V Malet de Graville, après son veuvage. (selon Pijart).

Avec l'appui de son frère Charles et du dauphin Louis, Jacqueline œuvra à la réhabilitation de son père et l'obtint par un arrêt du grand Conseil dont le mémoire fut publié le 12 septembre 1412. Dans un moment de lucidité, Charles VI déclara que « la mort de Jean de Montagu lui avait fort déplu, et que cela avait été un jugement trop soudain et mal fait, venant de haine et de volonté plus que de raison, et non pas de justice ». Des obsèques furent célébrées solennellement dans l'église de Marcoussis où l'on éleva un riche tombeau à Jean de Montagu. Après avoir été confisquée pendant plus de douze années, la seigneurie de Marcoussis revint enfin dans les mains de Jacqueline de Montagu en 1422.

Veuve, elle se remaria en secondes noces à Jean V Malet (6). Né en 1390, ce gentilhomme était qualifié seigneur de Graville, de Malesherbes, de Marcoussis, Montaigu, Montcontour, de Marnes, etc. Successivement grand fauconnier par lettre du roy du 18 janvier 1425, grand maître des arbalétriers de France le 1er août 1425 (7), grand panetier de France au lieu d'Antoine de Craon ; par lettre du roy données l'an 1423, conseiller, chambellan du roy, il fut gouverneur du Pont de l'Arche, puis de Meulan. De sa première femme Jeanne de Belingues, veuve de Renaud de Trie, Jean V Malet n'eut qu'une fille Marie Malet, dame de Longuay mariée à Gérard d'Harcourt, baron de Bonnétable. Notons que Pijart ne lui attribue pas d'hoirs de ce mariage. « Il a espousé en premières nopces Jeanne de Bellengues, veufe de Renaut de Trie, admiral de France de laquelle il n'a point eu d'enfants », dit-il.

Malet vient de “ Malleus, quia hostes in praelio contunderet ut malleo ”. Issu de la race des Malet, seigneurs de Gueraville ou par abrégé Graville, les plus anciens seigneurs de Normandie et qui se sont toujours vantés « d'avoir esté sire de Graville, premier que Roy en France », et à juste titre puisque l'un d'eux, ayant assemblé tous ses vassaux, tint tête à Jules César à empêcher qu'il ne passât sur ses terres « en quoy il merita ce surnom de sire par-dessus tous les autres gentilshommes qui s'étoient joints à luy pour s'estre comporté en cette occasion aussi courageusement que l'on pouvoit attendre d'un très grand capitaine tel qu'il estoit ».

Le propos de cette chronique n'étant pas de développer la généalogie de la maison normande des Malet de Graville, nous ne mentionnerons que quelques personnages important et les ancêtres proches du mari de Jacqueline de Montagu. Parmi cette famille on peut citer : Guillaume qui combattit à Hastings en 1066, Robert qui fut grand chambrier du roi Henri 1er d'Angleterre, Guillaume II qui participa à la première croisade, Robert II qui participa à la bataille de Bouvines, Jean 1er qui prit part à la dernière croisade de Saint-Louis. Les armes des Malet sont « de gueules à trois fermeaux ou fermalets d'or de deux et un » et leur devise « Ma force d'en haut » (8).

Au XIIIe siècle, Robert Malet, sire de Graville, fils de Ernest Malet, épousa Philippe d'Alençon (ou Alix selon André du Chesne) fille de Robert comte d'Alençon et de Sées, et de Jeanne de La Guierche et sœur de Jean d'Alençon lequel mourut sans enfants quoy qu'il ait espousé Alix de Roye, et de Mathilde d'Alençon mariée à Thibault comte de Blois, lesdits Robert et Philippe d'Alençon ont eut Robert II seigneur de Graville, selon Duschesne, qui vivoit en 1235. La dite dame Philippe d'Alençon fonda l'an 1214, le prieuré de la Sable en sa terre de la Brizette , en Basse Normandie, en l'évesché de Coutances, comme membre dépendant de leur prieuré de Graville fondé par Guillaume Malet en 1200.

Jean Malet , IV du nom, sire de Graville , s'attacha au Roi de Navarre, ce qui lui fut funeste, et il eut la tête tranchée à Rouen. Il avait épousé Eléonore de Châtillon , fille de Guy , comte de Saint-Pol, grand bouteiller de France, et de Marie de Bretagne. De cette alliance vinrent : — 1° Jean, sire de Graville, rétabli dans tous les biens de son père au mois de janvier 1361, avec pouvoir de succéder à ceux de ses prédécesseurs. Il servit en qualité d'écuyer, en 1369, avec quatre chevaliers et cinq écuyers sous le maréchal de Blainville, continua les années suivantes jusqu'en 1580, étant alors chevalier-banneret. C'est tout ce qu'on sait de lui — 2° Robert, qui fuit, grand-père de Jean IV — et 3. Isabelle, mariée successivement à Guillaume de Trie et à Louis, baron de Creuilly.

Robert Malet, sire de Graville , vivait en 1380, suivant le Cartulaire de Sainte-Honorine. On lui donne pour enfants — Gui, qui suit ; — et trois autres fils, tués à la bataille de Verneuil en 1424.

Gui Malet , sire de Graville , servit dans les guerres de Flandres, se trouva à la bataille de Rosebecq le 17 novembre 1382, au siège de Bourbourg en 1383, acquit en 1410, du sire de Bréauté, un fief dans la paroisse de Gonneville, et eut pour enfants : — 1. Jean V, l'époux de Jacqueline de Montagu ; — 2. Catherine, mariée, 1° à Helin, seigneur de Vaisieres ; et 2° à Olivier, Seigneur d'Escannevelle, avec lequel elle vivait en 1412 ; — 3. & Anne, femme de Louis, sire de Loigny, maréchal de France. Pijart précise que Guy Malet « a esté tué à la bataille d'Azincourt a laissé d'Antoinette de Chastillon un fils appelé Jean, Guillemette et Marie ». Il semble qu'il y ait une erreur sur les noms de cette fratrie.

Jean Malet suivit très tôt le parti du dauphin, alors que ses terres de Normandie étaient confisquées par le roi d'Angleterre. Il défendit vigoureusement la ville de Montargis, assiégée par les Anglois en 1416, servit au ravitaillement de la ville d'Orléans, au recouvrement de celles d'Yenville, de Gergeau et de Baugenci. En cette même année, il avait négocié le mariage de Charles VII avec Marie d'Anjou. Il semble qu'il avait un caractère batailleur, combattant les injustices ; Alain Chartier raconte qu'il avait eu, en 1406, « une querelle avec Jean le Meingre dit Boucicault, fils du maréchal en la rue Saint-Merry à Paris pour une demoiselle de l'hôtel du Roi ».

Charles VII lui donna 200 livres par mois pour 150 hommes d'armes et 133 hommes de trait de suite ; avec ces hommes, il surprit le château de Meulan et passa la garnison anglaise au fil de l'épée en 1423. Mais il rendit la place faute de secours. Bien que la piétaille fut tenue pour négligeable par la chevalerie française, la charge de Grand-maître des arbalétriers, créée par Saint Louis, était assez considérable. Sous Dunois, bâtard d'Orléans, compagnon de Jeanne d'Arc, il prit Montargis en 1426. En 1429, il combattit aux côtés de Jeanne d'Arc à la prise de la bastille de Saint-Loup et au fort des Tournelles où la pucelle fut blessée d'une flèche. Puis au combat de Crespy contre le duc de Bedford ; puis Jargeau et Beaugency et la bataille de Patay. Au sacre de Charles VII, à Reims le 17 juillet 1429, il fut “ otage de la Sainte Ampoule ” avec Gilles de Laval, baron de Raiz, le maréchal Jean de Brosse et l'amiral Louis de Culant (9). Quand Charles VII fit son entrée à Paris en 1437 Jean Malet ouvrait la marche devant huit cent archers.

Selon Pijart, il se montra si rude à la lance a un tournoy que fit Charles VII à Rouen qu'il brisoit tout et rencontroit par terre homme à cheval de sorte que le roy luy deffendit la jouste, et pour l'estime qu'il fesoit de sa personne, il luy donna la charge de grand maistre des arbalestriers de France. Ledit seigneur pris cette qualité dans une réception de foy et hommage de la seigneurie de Mesnil Fruger, le 19 février 1436.

Pour ses services éminents de Jean de Graville auprès de Charles VII, celui-ci exempta les chevaliers de Marcoussis de guet et de garde au château de Montlhéry par ses lettres patentes du 4 juin 1449. On se souvient que la garde du château avait été instituée du temps de Louis VI le Gros, en 1118, et organisée par Philippe Auguste. Elle concernait tous les détenteurs de fiefs mouvants du roi. Certains auteurs ont écrit que « Jean Malet céda, vers 1452, une partie de sa terre de Nozay aux Célestins de Marcoussis en leur vendant la terre et la ferme du Ménil-Frogier ou Mesnil-Forget ». C'est une erreur grossière puisque ce fief était dans les mains de « noble hôme Estienne Arrachenesse, capitaine de Chailly-lez-Lonjumel » qui, par l'acte signé le 4 janvier 1464 vendit le Mesnil Forget aux Célestins de Marcoussis.

Trois enfants sont nés de l'union de Jean V Malet et Jacqueline de Montagu : 1° Jean VI Malet ou Jean II Malet, seigneur de Marcoussis ; 2° Charles, curé de Montfort et de Beaufou ; 3° Louise Malet . Il eut encore un fils naturel, nommé Jean, marié à Guillemette , dame d'Estelan , dont il était séparé en 1463. Jacqueline de Montagu est morte à Moncontour en Poitou l'an 1436 et inhumé là-même.

Guillaume Pijart semble avoir fait une erreur en attribuant un troisième ménage à Jean V Malet avec Marie de Montbron, dame de Chef-Boutonne, fille de François, sire de Montberon et de Maulévrier, vicomte d'Aunay époux en 1403 de Louise de Clermont, citant un contrat de mariage du 22 janvier 1439. Cette dame vivait en 1468 quand elle partagea la succession de ses parents avec ses frères. L'erreur provient de la confusion avec le prénom du père et du fils. Marie de Montbron épousa Jean VI Malet à qui elle donna trois filles : Marie Malet, héritière de Montbron, femme de Louis de Clermont ; Renée Malet femme de Jean Martel, seigneur de Bacquemont et Jeanne Malet épouse de François d'Alègre. Ces trois demoiselles étaient les demi-sœurs de Louis Malet de Graville, amiral de France.

À suivre …

Notes

(1) G. Pijart, Généalogie de ma maison de Montagu , mss. 1657 – S. de la Motte - Du Breul, Théâtre des Antiquités de la ville de Paris, édition de 1639, in-4°, p. 955.

(2) Roucy est une ville de Champagne qui a toujours porté le titre de comté, et a été une des sept pairies de cette province. Elle a donné son nom à une maison des plus anciennes du royaume. Le comté de Roucy a passé par alliance dans celle de la Rochefoucauld. (Notice de La Chesnaye des Bois, Dict. de la Noblesse ).

(3) R. de Belleval, Azincourt (Libr. Dumoulin, Paris, 1865).

(4) La maison de Bourbon-Préaux est une branche de la famille de Bourbon qui a pour auteur Jacques II, fils de Jacques 1 er de Bourbon, comte de La Marche , ce dernier étant frère du duc Pierre 1er et oncle du roi Charles VI. Marié à Marguerite de Préaux en 1397, Jacques II eut sept enfants : 1° Louis de Bourbon, tué à Azincourt — 2° Pierre de Bourbon, mari d'Elisabeth de Montagu — 3° Jacques de Bourbon, époux de Jeanne de Montagu — 4° Charles de Bourbon, archidiacre de Sens — 5° Jean de Bourbon, mort en bas âge — 6° Jean de Bourbon, chevalier, seigneur de Préaux, mort célibataire — 7° Marie de Bourbon, morte fille, légua tous ses biens à sa tante Yolande de Préaux.

(5) Pour certains auteurs le mariage eut lieu le 7 septembre 1399, « et c'est à l'occasion de cette alliance, si brillante pour Montagu, que le nom de Jean de Craon figure dans le Songe véritable ».

(6) Le père Anselme donne une numération plus faible pour les Jean Malet.

(7) Pijart précise que cette charge avait été créée récemment « il n'y a guère plus de deux ans que cet office a esté institué et n'y a point fait mention plus ancien que sous Charles VII ».

(8) Le lecteur pourra consulter : Julien de Courcelles, Le Dictionnaire Universel de la Noblesse en 5 tomes, (1820-1822) - André Borel d'Hauterive, Notice Historique et Généalogique sur la maison de Malet de Graville (1841) avec les branches de La Jorie , de Breveaux et du Bois, de Coupigny, de Cramesnil et de Drubec dans la Revue Historique de la Noblesse , tome II p. 375-453 et tome IV p. 350-352.

(9) On appelle « otages de la Sainte Ampoule », les quatre seigneurs chargés d'escorter la Sainte Ampoule depuis l'abbaye Saint-Rémi où elle est conservée jusqu'à la cathédrale de Reims pour la cérémonie du sacre du roide France.

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