Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La vie de Jean de Montagu (5) Le fils et les cadettes

Chronique du Vieux Marcoussy ————————————- _————————— Octobre 2009

Charles de Montagu, fils unique de Jean et Jacqueline de La Grange (Gouache sur parchemin, BnF, Paris, Col. Gaignières).

C. Julien

JP. Dagnot

Cette chronique est le cinquième volet de la vie de Jean de Montagu dans lequel nous rapportons la vie des trois enfants puînés de l'union de Jean avec damoiselle Jacqueline de La Grange (1).

Charles de Montagu

Charles de Montagu, l'unique fils de Jean et de Jacqueline de La Grange doit son prénom au roi Charles VI qui n'avait pas dédaigné d'être le parrain du fils de son grand maître d'hôtel. Né en 1397, le roi donna deux mille livres de vaisselle d'argent doré, en considération du baptême de son filleul, le 27 mars 1398.

Dès la douzième année du jeune garçon, son père envisage un mariage prestigieux et choisit la famille parmi les officiers royaux de haut rang. Il lui faut s'allier avec le plus puissant : « Messire le connestable de France et neveu du Roy » (2). La future épouse, damoiselle Catherine d'Albret, est la fille de Charles 1er du nom, comte de Dreux, vicomte de Tartas, d'Acques et de Bourg, seigneur d'Orval, de Montrond, d'Henrichemont et de la Chapelle d'Angillon et de Marie de Sully, dame de Sully et de Craon. Les grands-parents paternels sont issus de deux grandes familles princières, les Bourbon par Marguerite, sœur de la reine de France et les Albret par Arnaud-Amanieu, descendant d'une des plus anciennes maisons de Guyenne ; ces deux familles donneront des rois à la France à partir d'Henri IV. Ainsi, du chef de sa femme, le grand-oncle de Charles de Montagu était le roi Charles V.

Pijart ajoute dans sa généalogie de Montagu « Et cette Catherine d'Albret estoit sœur de Charles II du nom, sire d'Albret, qui fut marié avec Anne d'Armagnac, fille de Bernard II, comte d'Armagnac, connestable de France et de Bonne de Givry sa femme, sœur de Guillaume d'Albret, seigneur d'Ornal qui fut tué à la bataille de Rouvray en Beausse contre les Anglois, l'an 1429 [dite bataille des Harengs] et de Jeanne d'Albret, femme de Jean prince de Béarn, comte de Foix ».

Monstrelet a écrit à ce propos : « Le pénultiesme jour dudit mois de juillet [1409], furent faictes à Meleun, très solemnellement, les nopces de la fille du seigneur de Labreth, connestable de France, et de l'ainsné fils Montagu grant-maistre d'ostel du Roy. Auxquelles nopces furent présens la royne de France et plusieurs autres grans seigneurs, et furent tous les despens, là, soustenuz et paiez de par le Roy, dont, en continuant, ledit Montagu encouru en grande indignacion et envie de plusieurs princes du sang royal. Item. En ces mesmes jours furent rompues les trêves d'entre les roys de France et d'Angleterre, et se resmut très forte guerre, par mer tant seulement, dont plusieurs marchans desdiz royaumes soustindrent plusieurs dommages ». Le 4 septembre 1409, le roi avait donné mille livres en vaisselle d'argent à Charles de Montagu, fils du grand maître, à l'occasion de son mariage avec la fille du connétable.

Dans « le Songe véritable », un pamphlétaire parisien du XVe siècle criait au scandale à propos du mariage du fils Montagu avec Catherine d'Albret, fille du connétable, de sang royal. Selon Monstrelet, la facture des noces fut réglée par le roi lui-même et par suite « ledit Montagu encouru en grande indignacion et envie de plusieurs princes de sang royal ». Un autre observateur de la vie parisienne, Michel Poitoin, le fameux religieux de Saint-Denis, est sévère « au faiste mesme de cette grandeur, dont il estoit si fier, il apprit à ses dépens qu'il n'y a rien de si élevé qui ne puisse estre abattu » dit-il en parlant de Jean de Montagu. Puis de dire « filiam domini Francie conestabulari Karoli Dalebret, ab utroque parente de regio sanguione procedentem, pro connubio filii sui non crubuit poscere et impetrare », c'est-à-dire que Montagu osa même de demander et obtint pour son fils la main de la fille du connétable qui par son père et sa mère tenait à la famille royale.

Pijart rapporte les propos d'un certain du Haillan touchant cette alliance que Jean de Montagu « a esté si présomptueux que de faire force par le Roy le sire d'Albret de donner sa fille en mariage à son fils n'a fondement que dans le mespris continuel qu'il fait du dit Montagu, mettant une disproportion imaginaire où il n'y en a point. Il seroit excusable s'il n'avoit jamais veu ny oüi dire que les rois font pour le plus souvent les mariages des grands de leur cour et de leur famille. Les exclusifs en sont trop fréquens tant pour les citer ou pour en douter et on ne peut sans offenser leur bonté attribuer à contrainte ce qu'il font par affection ». Un autre historien qui n'est pas le dernier a avoir la dent dure, Juvénal des Ursins dit avec un certain mépris « qu'il estoit fils d'un secrétaire » et en un autre endroit « fils d'un clerc des comptes et d'une fille d'un advocat de Parlement ».

Ainsi selon Monstrelet, nous savons que le mariage eut lieu à Melun, mais ni à Paris, ni à Marcoussis comme l'a écrit Alboize du Pujol dans son livre Histoire de la Bastille depuis sa fondation jusqu'à sa destruction , publié en 1844 « Les noces furent célébrées dans son château de Marcoussis avec un faste royal ; Montagu y étala avec une vanité insultante ses immenses richesses ». Par contre, cet auteur dévoile la cause de la haine de Pierre des Essarts à l'endroit de Jean de Montagu « Son fils, épris des charmes de la fille du connétable d'Albret qui descendait de la maison royale, avait eu pour rival le fils de Pierre des Essarts ; Montagu racheta l'obscurité de son origine par des sacrifices d'argent, et le vidame de Laonnois fut préféré au fils du prévôt de Paris. C'était se faire un ennemi de des Essarts, mais en même temps un protecteur puissant du connétable ».

Dès le début de l'année 1412, le dauphin Louis duc de Guyenne, avait reçu dans sa maison le jeune Montaigu, bientôt il l'avait considéré pour lui-même, ce jeune homme étant « d'une figure aimable, et doué de mille belles qualités ». Il le fit son chambellan. Les deux jeunes gens avaient le même âge, tous deux nés en 1397, et s'étaient souvent côtoyés au palais de Saint-Paul. De plus, depuis son mariage prestigieux, Charles était devenu le cousin de Louis.

Il ne fut pas difficile à Montaigu, bien fait, assidu, complaisant, d'engager son maître à obtenir du roi la permission de faire ôter ce cadavre de Montfaucon, et de lui faire rendre les honneurs funèbres . La cérémonie s'en fit avec éclat. Le corps fut rejoint à la tête, et porté avec « un grand convoi aux Célestins de Marcoussi, que le défunt avoit fondé en 1404 ». Il y fut enterre honorablement le 28 d'octobre.

Dans son Histoire de Charles VI ( vol. 6, p. 31), Marguerite de Lussan écrivit que « le Dauphin avoit fait mille caresses au sire d'Albret, son cousin germain. Le jeune Montaigu étoit son gendre, et fils du grand maître. Le sire d'Albret supplia le Dauphin de faire céder un scandale qui duroit depuis quatre ans. C'étoit de voir pendu au gibet de Montfaucon, le corps du feu Grand-Maître, dont les crimes étoient fort douteux, et que toute la France croyoit avoir été immolé à la haine du duc de Bourgogne ». Monstrelet précise qu'en 1412 « En lesquels jours aussi le duc d'Aquitaine remit et restitua, en l'office de son chambellan, l'aîné fils de feu Montagu, jadis grand maître d'hôtel du roi ; et à la prière du duc d'Aquitaine lui furent rendues et restituées, de par le roi, toutes ses terres et possessions, qu'il avoit de son patrimoine héréditablement de son père ; et avec ce lui fut rendu le chef de son père, nonobstant quelconques confiscations : et ainsi reçut l'hoirie paternelle de ses père et mère ».

Un autre chroniqueur a confirmé la grande détermination de Charles, animé d'honorer la mémoire de son père « Muni de la sentence de réhabilitation, le jeune Montagu détacha de la potence, où ils étaient demeurés exposés, les restes de son père. Il les transporta au château de Marcoussis, dont il venait d'être remis en possession… »

Le mariage ne fut donc pas consommé puisque le jeune époux n'avait que douze ans. Six ans plus tard, le jeune damoiseau répondit à l'ost du roi pour combattre les Anglais en Artois. Charles fut tué à Azincourt, le vendredi 25 octobre 1415, âgé seulement de dix-huit ans, sans alliance, et le dernier du nom de cette famille. Il avait pris les armes de son père : d'argent à la croix d'azur cantonnée de quatre aiglettes de gueules, qui est Montagu.

Azincourt et la famille Montagu

C'est Pierre de Fenin, écuyer et panetier de Charles VI qui donne le ton dans ses Mémoires, sur la bataille : « En cette journée, qui fut entre Maisoncelle et Azincour au comté de Sainct-Paul (et l'appelle-on vulgairement la bataille d'Azincourt), y mourut quantité de noble sang de France… Et encor la dissension qui continoit entre ledit Jean de Bourgongne et les seigneurs du sang royal acheva de gaster tout… ». Juvenal des Ursins dit que le roi d'Angleterre donna à dîner aux princes et seigneurs français. Il leur dit « qu'ils ne s'emerveillassent pas s'il avoit eu la victoire contre eux, de laquelle il ne s'attribuoit aucune gloire : car c'estoit œuvre de Dieu, qui leur étoit adversaire pour leurs péchés ; et que c'estoit grande merveille que piéça ne leur estoit méchu, car il n'estoit mal ne péché à quoi ils ne se fussent abandonnés ».

L'entourage de Jean de Montagu paya également son tribu au cours de cette terrible journée du 25 octobre 1415 où la noblesse française fut décimée (3). Voici ceux qui périrent à Azincourt :

• Charles de Montagu, fils unique de la maison Montagu, âgé de 18 ans,

• Jean VI de Roucy, comte de Roucy et de Braisne-sur-Vesle, beau-frère de Charles de Montagu, époux d'Isabelle (Bonne-Elisabeth),

• Jean de Craon, vicomte de Châteaudun, seigneur de Montbazon, grand échanson de France depuis 1413, beau-frère de Charles, époux de Jacqueline de Montagu. La famille de Craon fut également endeuillée par 1° Simon de Craon, seigneur de Domart et de Clacy, cousin de Jean, 2° Antoine de Craon, seigneur de Beauverger, grand panetier du roi, oncle de Simon.

• Charles d'Albret, connétable de France, beau-père de Charles de Montagu. « Ce chef de toute l'armée, fut tué l'un des premiers à la tête de l'avant-garde ; il combattit plutôt en aventurier qu'en Général, qui doit tout conduire de l'œil… ».

• Jean III de Montagu, archevêque de Sens. Monstrelet écrit sur l'oncle de Charles : « portoit le haubert dont il estoit vestu, pour chasuble plates d'acier, et en lieu de croce portoit une hache » ; et Juvénal des Ursins : « fut peu plaint pour ce que ce n'estoit pas son office ».

• Henry de Boissy, seigneur de Chaulnes en Picardie, conseiller du roi, cousin issu de germain de Charles, par sa mère Jacqueline de La Grange [appellé parfois « Henriet de Boisse » et que Monstrelet qualifie de « seigneur de Chaule »]. Il était l'époux de Marguerite de Mailly-Lorsignol de laquelle il n'eut qu'une fille Marie de Boissy alliée à Jean de Brimeu. Cette veuve épousa en secondes noces Gilles III de Soyecourt.

• Charles de Châtillon, seigneur de Marigny et de Survilliers, fils de Gaucher II et de Jeanne Cassinel, fille de Guillaume II, seigneur de Romainville et d'Isabelle de la Charte-sur -Loire. Ainsi, Charles de Châtillon, époux de Marie des Essarts d'Ambleville, était le cousin au quatrième degré de Charles de Montagu en tant que fils de sa cousine germaine.

• Jean de Brimeu, bailli d'Amiens, époux de Marie de Boissy, la fille d'Henry cité précédemment. Ce Jean de Brimeu était donc le cousin par alliance de Charles de Montagu.

• Louis de Bourbon-Préaux, frère des gendres de Jean de Montagu : Pierre de Bourbon, seigneur de Préaux et Jacques de Bourbon, seigneur de Thury. Louis était le neveu du comte de Vendôme.

• Gui Malet , sire de Graville , père de Jean Malet IV du nom, et futur beau-père de Jacqueline de Montagu, sœur de Charles. Ce chevalier, descendant de l'illustre maison normande avait servi dans les guerres de Flandres, en novembre 1382, au siège de Bourbourg en 1383. Il fut l'un des survivants de la bataille d'Azincourt, mais trouva la mort en 1424 à la bataille de Verneuil.

Les corps des chevaliers tués à la bataille d'Azincourt furent enterrés par les habitants, qui creusèrent de larges fosses. On en ouvrit une très-profonde dans un champ nommé « la Gacogne », et qui porte encore le même nom : il touchait les bois de Tramecourt et comportait plus d'un arpent; il appartenait, en 1415, à la famille d'Azincourt. Ce terrain, dans lequel on enterra 5.800 morts, fut bénit le lendemain par le coadjuteur de l'évêque de Théronane, assisté du prieur de Ruissauville. Ce lieu fut entouré de haies vives, et devint l'objet d'un respect religieux.

Marie ou Marguerite de Montagu

Marie ou Marguerite, ou bien Marie-Marguerite de Montagu, était la troisième fille de Jean de Montagu, né vers 1395. Elle avait épousé le 30 octobre 1409 messire David de Brimeu, chevalier picard, sieur de Humbercourt, fils de Jean 1er et de Jeanne Fretel, qui était de la faction du duc de Bourgogne. Ainsi le mariage de Marguerite et de David eut lieu à peine deux semaines après l'exécution du vidame de Laon, sans doute organisé par son oncle, l'évêque de Paris qui avait un certain crédit auprès de Bourguignons. Pour ses noces, le roi accorda 2.000 écus d'or à David à prendre sur la succession de son beau-père.

Marie-Marguerite est morte sans enfants en 1415 à l'âge de 20 ans. Sa succession revenant à ses sœurs, il y eut un conflit familial. Pijart, bien averti par cette histoire nous dit qu'un traité passé « de Jean de Graville avec Jean de Mazis sieur de Bailly, capitaine d'Estampes pour les droits et devoirs des terres et seigneuries de la granche de Villeconnin (4)et Blanchifouasse par devant Oudinet Félix tabellion à Estampes en 1449, est inscrit dans un certain livre fol. 241. Item un autre accord entre le dit Jean de Graville et les héritiers dudit Mazis du 5 fevrier 1476 par lequel le dit de Graville rentre dans la terre de la granche de Villeconnin vendüe audit de Mazis pour le prix et somme de cinq cents écus d'or par ledit de Brimeu à cause qu'elle estoit provenue des deniers de la dite dame Marie-Marguerite morte sans enfants, qui luy devoit appartenir conformément au contrat de mariage comme y ayant droit à cause de Jacqueline de Montagu sa mère et son héritière ».

David de Brimeu devient gouverneur d'Arras en 1430. La même année, il est un des premiers chevaliers, avec son frère Jacques, à recevoir le collier de chevalier de la toison d'or (brevet n°7). En 1435, un procès contre son cousin Florimond de Brimeu lui interdit de porter les pleines armes de Brimeu « Ecartelé aux 1 et 4, d'argent a trois aigles de gueules becquées et membrées d'azur, aux 2 et 3 d'argent a la bande de gueules ». Il meurt en 1448.

David de Brimeu appartenait à une importante famille bourguignonne de sympathies, et originaire d'Artois. On le trouve, dès le 31 mai 1401, comme attaché à la cour du duc de Bourgogne ; en 1410, il était seigneur d'Humbercourt et de Ligny-sur-Canche et le 24 septembre de cette année il recevait du roi 400 livres d'indemnité d'avoir été, devant Marck, pris et rançonné par les Anglais. « Tenant son party dans Arras, il fut pris prisonnier devant la dite ville par les gardes du roy en 1414 », nous dit Pijart.

Écusson du ménage Brimeu-Montagu (selon Pijart).

Conseiller et chambellan du duc de Bourgogne, il devint bailli d'Hesdin et maréchal de son hôtel en mai 1412, au moment de la campagne de Bourges. En 1415, il était attaché au duc de Guienne, dont il était conseiller et chambellan; il épousa en secondes noces, le dimanche 9 juin de cette année. Marie de Montauban, fille d'Olivier V, seigneur de Montauban en Bretagne, et Isabeau de Bavière lui fit à cette occasion don de vaisselle d'une valeur de 500 francs. Conseiller du roi, et victime en 1414 de la réaction des Armagnacs, il prit part au triomphe des Bourguignons; en juillet 1418, on lui donnait les biens confisqués sur un partisan de Bernard d'Armagnac. Son zèle bourguignon fut récompensé, et en 1419 il reçut en don le château de Bruyères (5).

On le trouve David de Brimeu, le 22. mai 1420, au nombre des officiers de Philippe le Bon. Devenu veuf de Marie de Montauban, en troisièmes noces, il a épousé Marie de Montmor et, le 24 janvier 1422, Charles VI loi confirma la possession de Bruyères, confisquée sur Thomas de Voisins, chevalier, en “recompensation” des terres de Martonville, de Gamaches, de Villiers-en-Vexin, de Thieville-aux-Maillets et Sainte-Colombe-en-Caux, dont le roi d'Angleterre avait disposé. Deux ans plus tard, Henri VI eut égard à ses services, lui faisant don de la terre de Drucat-les-Abbeville, confisquée sur le sire de Rambures, jusqu'à la valeur de 450 l .t. de rente ; il paraît encore à la cour du duc de Bourgogne en 1428 et 1429. David de Brimeu serait mort en mai-juin 1448

Jeanne de Montagu

La fille cadette de Jean et de Jacqueline de La Grange est née en 1398. Elle fut fiancée (et non pas mariée comme l'a écrit de Mézeray dans Histoire de Charles VI) du vivant de son père à Jean de Melun. Selon Pijart, le prétendant était « chevalier seigneur d'Antoing, de Carmie et d'Espinoy, connestable de Flandres, conseiller et chambellan du duc de Bourgogne, fils de Hugues de Melun et de Béatrix de Beaussart » (6).

Le moine Célestin précise que le mariage ne s'ensuivit à cause de la disgrâce de son père, « mais leurs affaires ayant esté restablies, elle fut mariée par l'entremise de Girard de Montagu, son oncle et evesque de Paris, plus avantageusement à Jacques de Bourbon, seigneur et baron de Thury en Normandie, troisième fils de Jacques de Bourbon, 1er du nom et de Marguerite de Préaulx en Normandie, de Dangu et de Thury, frère de Louis qui mourut à la bataille d'Azincourt et de Pierre. Et comme il paroist encore par une lettre de vidimus d'une transaction dont je rapporteray la teneur pour ce qu'elle prouve fort bien la double alliance de Bourbon au dit Montagu et comment la baronnie de Thury luy est eschue ».

Revenons un moment sur l'épisode du mariage avorté avec Jean de Melun à cause d'une affaire de dot. Pijart présente « une lettre par laquelle Jean de Montagu, chevalier, vidame de Laonnois, &c, &c, et madame Jacqueline de La Grange donnent à Hugues de Melun, chevalier, seigneur d'Antoin sur les deniers qu'il avoit promis donner à damoiselle Jeanne, leur fille, à l'égard de son mariage avec Jean de Melun, fils dudit Hugues de Melun et de Béatrix de Beaussart, sa femme, de 6.000 escus de 18 sols parisis chacun pour faire 900 livres de rente à ladite Jeanne leur fille, par devant Jean Closis et Andry le Preux notaires au Chastelet de Paris le mercredy dernier jour du mois de juin 1406 ».

Dans une autre lettre, lesdits Hugues de Melun et Béatrix de Beaussart : « retoindre du comte de Tancarville et de l'archevesque de Sens, la somme de seize mil escus d'or restant de vingt deux mil qu'ils avoient en leur garde pour le futur mariage de la dite Jeanne de Montagu avec ledit Jean de Melun, dont ils acquittent lesdits et constituent à la dite Jeanne de Montagu la somme de mil escus de rente annuelle et perpétuelle à prendre sur la terre et seigneurie d'Espinoy et de Carmis à eux appartenant par devant Regnault le Ramcinal et Jean du Floe auditeurs du Roy nostre sire, mis et establis de par Monsieur le baillif d'Amiens au nom du Roy nostre dit seigneur. Et passé, fait et reconnu le 9ième jour de juillet l'an 1407 et ainsi signé. P. Dupré ».

Puis, Jean de Montagu, chevalier, vidame de Laonnois, etc., « fait descrit les terre et seigneurie et dépandances d'Espinpoy et de Carmis relevant du comte de Saint-Pol, tant en son nom que comme ayant le gouvernement de damoiselle Jeanne, sa fille ,sur Hugues de Melun et Beatrix de Biaussart, sa femme, à la conciliation de y prendre et avoir la somme de mil escus de rente aux termes des obligations cy dessus par lettres données à Amiens, le 23 janvier 1407, ainsi signé P. Daissile ». Valéran de Luxembourg, comte de Ligny et de Saint-Pol, seigneur de Firmère ( ?) a receü la désaisine et démission de Hugues de Melun et sa femme pour la somme de mil couronnes d'or de rente au profit dudit Jean de Montagu et de Jeanne, sa fille, par lettre du 29 de septembre 1407, expédiée soubz son scel.

Le dit Valéran de Luxembourg déclare par autre lettre dudit 29 septembre 1407, soubz son scel, que ledit Jean de Montagu est entré en la faculté pour et au nom de Jeanne, sa fille, pour la somme de 1.000 couronnes d'or de rente rachetable qu'ils ont acquis sur les terres d'Espinoy et de Carmis, sauf tous droits. Suit la quittance dudit Valéran de Luxembourg pour les susdits droits. « Nous Valléran de Luxembourg…. Sçavoir faisons à tous comme nostre très cher et amé cousin le vidame de Laonnois, chevalier et souverain maistre d'hostel du Roy mon seigneur a acheté par et au nom de Jeanne sa fille nostre cousine, à nostre très cher et amé cousin le seigneur d'Antoing, mil courionnes d'or du Roy mondit seigneur de rente rachetable à prendre icelle rente sur toute la terre d'Espinoy et Carmis en Carambaut, et sur le prix et somme de 16.000 couronnes. Nous considérant les grands et notables plaisirs qui nous a fait et espérance qui nous fait nostre dit cousin le vidame à iceluy avoir quitté les droits seigneuriaux qui sur le dite rente et achat lui appartenir par le somme de huict cents couronnes. Et rend de notre dit cousin le vidame de laquelle somme lesdits droits seigneuriaux qui par ladite cause …et tout autre à qui quittance en appartient en témoin de ce nous avons fait mettre nostre scel à Rethel donné le dernier de septembre 1407 ».

Finalement, Hugues de Melun a rompu l'accord de Jean, son fils, avec Jeanne de Montagu, « lequel Jean de Montagu croyant comme indissoluble avoit fait mettre les armes de cette alliance dans une des vitres de nostre église qui se voit encore présentement sous l'image de saint Hugues, archevesque de Rouen, et de sainte Anne. – Ecusson – Au 1.4.4 d'azur aux bizans d'or, 3.3.1. au chef de meson qui est de Melun, au 2.4 au 3. d'argent au lion jadis de gueuelles ou selon d'autres de sable qui sont d'Espinoy en Flandres et sur le tout d'azur au cœur d'argent nauré d'or qui estoient les rames de la famille d'Antoing ». Pijart nous donne ainsi la raison pour laquelle certains ont pensé que le mariage avait eut lieu.

Dans son manuscrit, Pijart rapporte plusieurs lettres, passées par devant les notaires de la prévôté d'Orléans, relatives aux affaires patrimoniales de Jacques de Bourbon-Préaux, époux de damoiselle Jeanne de Montagu. Le 19 août 1450, Jean de Retouin, notaire juré de Chastelet d'Orléans, donne un vidimus de la transaction faite entre les frères Jacques et Pierre de Bourbon-Préaux à propos de la succession de leur père « lettres passées et faites triples le 16 du mois de septembre l'an de grâce 1417 ». Il s'agit du partage des terres et seigneuries de Jacques II de Bourbon-Préaux. « … fut présent en sa personne noble homme Monseigneur Pierre de Bourbon, chevalier seigneur de Préaulx disant et affirmant pour vérité comme au traité de mariage qui naguerre a esté faict en solennité en face de la saincte Eglise entre noble homme Jacques de Bourbon son frère d'une part, de damoiselle Jeanne de Montagu à présent sa femme d'autre part. Il a promis bailler et deslivrer audit Jacques son frère tant pour tout tel droit, partie et portion comme il luy estoit eschu et eschera à qu'il pourroit debvoir avoir à demander prétendre et réclamer en toutes les terres seigneuries héritages et possessions immeubles quelconques demourés des ditz de feu puissant Jacques de Bourbon en son vivant seigneur de Préaulx et de madame Marguerite de Préaulx jadis sa femme, ses père et mère et aussi de feu messire Louis de Bourbon son frère comme pour donner de son bien estre à mariage la terre, héritage et possessions cy après déclarées ».

Le mari de Jeanne de Montagu avait reçu « les chastel, terre, seigneurie et baronnie de Thury et le fief de Constantin avec tous les droits, prouffits, revenus appartenances et appendances quelconques à icelle terre et fief de Genallende, toutes les autres terres du pays d'environ. Item la terre et seigneurie de Combles et de Puisieux, assise au pays d'Artois, avec toutes leurs appartenances et appendances quelconques avec la rente que ledit Monseigneur Pierre de Bourbon a à prendre chacun an sur la terre et seigneurie de Buquoy et Carency, de la terre et seigneurie de Vilaines avec ses appartenances et appendances quelconques pour de tout ce jouir estre à exploiter par ledit Jacques de Bourbon, ses hoirs et ayant causes à toujours si comme tout ne le dit Monseigneur présidoit et affermoit ».

Dans d'autres lettres, on pu juger en quelle extrémité les Anglais avaient réduit la France puisque le régent est obligé de donner pension à Jacques de Bourbon pour subvenir à ses nécessités. Cela se voit par le compte de Guillaume Charrier, receveur général de toutes finances fini le dernier de décembre 1419. « A Messire Jacques de Bourbon, chevalier, seigneur de Thury, lequel Monseigneur le Régent a retenu de son hostel pour estre en la compagnie et en son service, à cause que les Anglois luy occupent au pays de Normandie la plus part de ses terres, luy a donné la somme de cent livres par mois, 1419. Au mesme pour supporter son estat par lettres de Monsieur le régent du 25 avril 1419, cinquante livres. Au mesme, cinquante livres, pour luy aider à acheter un haubergion, 1419. »

Selon Pijart qui se réfère à un acte notarié du 16 février 1462 par devant Quatrelivres et Jacquet, notaires à Paris, Jeanne de Montagu sans avoir eu aucun enfant mourut âgé de vingt-trois ans en un lieu appelé Valère-en-Touraine, le 30 septembre 1420 « auquel lieu elle estoit retirée, à cause des guerres, avec Girard de Montagu, son oncle qui mourut au mesme lieu cinq jours avant elle ». Les corps des défunts ont esté depuis inhumés avec celuy de Jean de Montagu aux Célestins de Marcoussis. La dame de Valère avait fait ses héritiers par son testament comme suit. - Item pour ce que mon très honoré seigneur et oncle Messire Girard de Montagu en son vivant evesque de Paris qui m'a toujours à son pouvoir secourü en mes fortunes et adversités lequel m'a chargée seulle pour le tout de son exécution et pour ce que je sçay que ses biens ne suffisent pour mit à point ses debtes, lesquelles s'il a n'estoient à la très grande charge et péril de son âme - Je Jeanne de Montagu dessus nommée voulant à mon pouvoir, pourvoir au bien et salut de son âme ainsi que tenue u suis, laissé et donné perpétuellement au couvent des célestins de Marcoussis tous les biens quelconques, meubles et immeubles soit argent ou rentes ou arrérages d'icelles ou quelque autre chose que ce soit et par espécial mil escus d'or de rente perpétuelle, lesquels mil escus d'or de rente perpétuelle et autres biens meubles et immeubles ainsi que dessus est dit le sieur d'Antoing me doit et a ce payer est obligé pour argent qu'il a receü tant à cause de certain traicté de mariage jadis faict entre luy et moy. Ledit sieur d'Antouin n'a jamais voulu rien payer de cette rente et d'une autre de 900 livres tournois disant contre vérité qu'elle estoit confisquée au Roy par l'exécution dudit fondateur, la confiscation duquel ledit roy Charles avoit octroyé audit sieur dont depuis leur est mal prins d'un vieil manuscrit] comme autrement en quelque manière que ce soit ainsi que peut apparoir par lettres sur ce faictes et passées ce don de laiz faict par ainsi que le dit couvent sera tenu paier et acquitter les debtes que iceluy Monseigneur et oncle devoit. Laquelle soit continue en la cédule escrite de sa main qui est attachée à ce présent testament soubs le scel de lettre paroisse (lesquelles montent à treize mil soixante et une livres) et ainsi s'il tient iceluy couvent paier les debtes de Monseigneur mon mari et les miennes. - Item j'ordonne que le résidu des debtes de mon dit seigneur et oncle par luy deübes soit paié des viens tant meubles que immeubles qui en son vivant luy appartenoient et saisissoit que aucun ou aucun aller au temps advenir de ce présent testament. Je veux qu'il ou elle soit privé ou privera de la succession ou participation des biens tant meubles que immeubles déclarés ou continuels en celuy et pour accomplir les choses dessus dites, je ordonne mes exécuteurs Monseigneur mon mari, messire Jacques de Bourbon, maistre Robert de Fauxbuisson, chanoine de Paris, et Guillaume le Jeune. Ce fut fait à Valère au diocèse de Tours soubs les sciaulx de cette paroisse et le midy le cinquième jour de septembre mil quatre cent vingt [il y a toute apparence d'erreur dans cette date, il faudrait qu'il y eut 25 pour ce que le dénommé Girard de Montagu n'est mort que ce jour là], présent Monseigneur mon mari dessus nommé, de son consentement, ledit maistre Robert de Guillebant, messire Guillaume Beraule, curé dudit lieu de Valère, frère Jean Pasquevil augustin , de Jean le Rasse, de plusieurs autres. Il n'a eu son effet que pour les debtes que les Célestins ont payées comme il se prouve.

De son côté, dès 1422, Jacques de Bourbon « quitta le monde » après son veuvage, en entrant au couvent des Célestins d'Ambert dans la forêt d'Orléans « où ayant que de fait profession après la mort de sa femme ». Il laissa tous ses biens meubles par pur don aux religieux d'Ambert comme l'on peut voir par la lettre de Guillaume Charrier, receveur général de toutes finances « À frère Jacques de Bourbon de l'ordre des Célestins vingt escus d'or que le roy luy a donnés pour luy aider à vivre et avoir ses nécessités, au voyage qu'il faisoit lors de Lyon sur le Rosne en Avignon pour voir et visiter les prieurés dudit ordre estant des dits lieux 1422 ».

Jeanne de Montagu et Jacques de Bourbon-Préaux (aquarelle, BnF, Coll. Gaignières).

Les pères Célestins de Notre Dame d'Ambert achetèrent du susdit Jacques de Bourbon par contrat du 11 de novembre 1421, la baronnie de Thury, dépandances et le reste donné dans le contrat de vente que lesdits Célestins. « Il faut remarquer que lesdits Célestins avoient déjà ventiver de la dite baronnie par le contrat du 5 de novembre descrit cy dessus », nous dit Pijart. Jacques de Bourbon mourut assassiné en 1429 au retour d'un voyage à Rome

À suivre …

Notes

(1) G. Pijart, Généalogie de ma maison de Montagu , mss. 1657 – S. de la Motte - Du Breul, Théâtre des Antiquités de la ville de Paris, édition de 1639, in-4°, p. 955.

(2) Il fut nommé connétable par lettres données à Paris le 5 février 1402 et en fit foy et hommage au Roy le 21 du même mois. Le connétable est le premier officier de la couronne, il est, après le roi, chef souverain des armées de France ; il tient rang immédiatement après les princes du sang. Il a juridiction à la table de marbre à Paris qu'on appelle la « connestablie ». Aux entrées des rois, il marche le premier devant le roi à main droite…

(3) R. de Belleval, Azincourt (Libr. Dumoulin, Paris, 1865).

(4) Chronique à venir ..

(5) voir chronique sur les seigneurs de Bruyères.

(6) Dame Isabelle d'Antoing, fille unique de Hugues VI, dernière héritière de la seigneurie d'Antoing, d'Epinoy, prévôté de Douai, châtelaine de Gand et dame de Sotteghem épousa, en 1327, en secondes noces Jean II, vicomte de Melun, comte de Tancarville qui eut pour enfants : 1° Isabelle de Melun née vers 1325, dame de Houdain, épousa en 1343 le comte Pierre 1er de Dreux, puis, en 1352 Jean d'Artois, comte d'Eu - 2° Hugues de Melun, seigneur d'Antoing, d'Épinoy, né vers 1330, chevalier banneret, alla s'établir aux Pays-Bas où étaient situés les grands biens d'Isabelle d'Antoing sa mère, et fut la tige des seigneurs d'Antoing, comtes et princes d'Épinoy, duc de Joyeuse. Il épousa Marguerite de Pecquigny qui lui donna deux fils et une fille Isabelle mariée à Robert de Namur, puis en secondes noces à Béatrix de Beaussart, dame de Croisilles, Wingles et Sauty qui lui donna six enfants dont Jean IV de Melun, connétable de Flandres, chambellan de Bourgogne, chevalier de la toison d'or. – 2° Marie de Melun, morte après 1365 – 4° Charles de Melun.

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