Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La vie de Jean de Montagu (7) Le grand maître

Chronique du Vieux Marcoussy ————————————- _————————— Octobre 2009

C. Julien

JP. Dagnot

Nous donnons la septième partie de la chronique consacrée à la vie de Jean de Montagu. Considérant la date du 4 octobre 1401 comme une rupture , jour où Montagu fut pourvu de la charge de « souverain maistre d'ostel du roy », nous abordons une nouvelle page des « honneurs et richesses » du grand maître et de ses activités gouvernementales. « Grand homme d'état en son temps » dit Perron de Langres, l'auteur de l'Anastase de Marcoussis (1).

Le Souverain Maître d'Hôtel du Roi

Une première fois atteint par la chute des Marmousets, auxquels le liaient une incontestable valeur et une communauté d'origine, Montagu plia d'abord, se réfugia à Avignon et revint à Paris pour reconquérir le pouvoir. Au tournant du siècle, il était de nouveau le premier personnage de l'État ayant de nombreux et puissants amis tels que Regnaut d'Angennes, Jeannet d'Estouteville, le sire de Sempy, Oger de Nantouillet, etc.

Au faîte de sa carrière, Jean de Montagu s'enorgueillit de plusieurs titres comme celui de sire de Montagu, « vidame du Laonnois » et « grant maistre d'ostel du Roy » – on disait à cette époque souverain maître d'hôtel du roi, ces deux derniers titres étant les plus courants, sans doute les plus prestigieux pour Montagu. Très rarement, hors les actes notariés, il était qualifié de seigneur de Marcoussis et autres lieux. Notons que Juvénal des Ursins fit une remarque assez singulière ; il dit que le grand maître fut condamné « combien qu'il fût clerc marié, “cum unica virgine”, et avoit été pris en habit, non difforme à clerc ».

Officier et haut dignitaire de la couronne, anciennement « magister officiorum ou comes Palatii » appelé au XIVe siècle Souverain Maître d'Hôtel du Roi , le grand maître d'hôtel est le chef et le surintendant général de la maison de Sa Majesté. Il règle la dépense de bouche de la maison du Roi : son autorité et sa juridiction s'étendent sur les sept offices, et il donne la plupart des charges qui viennent à vaquer. Il reçoit le serment de fidélité du maître de l'Oratoire, du maître de la Chapelle de musique, des six aumôniers de la maison du roi, ou du commun, du premier maître d'hôtel, du maître d'hôtel ordinaire, des douze maîtres d'hôtel de quartier, du grand pannetier, du grand échanson , du grand écuyer-tranchant, des trente-six gentilshommes servants, des maîtres de la chambre aux deniers, des deux contrôleurs généraux, des seize contrôleurs de quartier, du grand maître, du maître et de l'aide des cérémonies, de l'introducteur des ambassadeurs, et du secrétaire à la conduite des ambassadeurs, de l'écuyer ordinaire du Roi, et des vingt écuyers de quartier, des quatre lieutenants des gardes de la porte, des concierges des tentes, &c.

Le Grand maître de la maison du roi « regalis hospicii magistri principalis » porte pour marque de sa dignité, le bâton virolé d'or, que le Roi lui met en main lorsqu'il prête son serment. Faucher est d'opinion que ce bâton est aussi la marque de son ancienne juridiction dans la maison du Roi, où il exerçait autrefois la justice, et le Grand prévôt, qui en est devenu le chef, n'en faisait originairement l'exercice que sous l'autorité du Grand maître.

Aux festins royaux, le Grand maître marche immédiatement devant ceux qui portent la viande, ayant le bâton haut, au lieu que les autres maîtres d'hôtel portent le bâton bas devant lui, pour témoigner leur infériorité et leur dépendance , de la même manière que le chancelier de France fait abaisser les masses de justice qu'il fait porter devant lui aux grandes cérémonies, lorsque le Roi y est présent.

Aux enterrements des Rois, le Grand maître est chef du convoi, et fait les honneurs de la maison royale ; il marche devant l'effigie, il rompt son bâton et le jette dans le cercueil du Roi décédé, en prononçant ces mots : Messieurs , le Roi est mort, vous n'avez plus de charges. Puis reprenant un nouveau bâton, il crie : Messieurs, le Roi vit, & vous redonne vos charges. Après la pompe funèbre, le Grand maître présente au nouveau Roi tous les officiers de sa maison. Le Grand maître, et en son absence le premier maître d'hôtel, présente au Roi au commencement de chaque quartier, tous les officiers qui entrent en service ; ceux qui ne s'y trouvent pas perdent leurs gages, et le Grand maître commet à leur place (2).

Selon Rey, l'une des causes du déficit des finances de Charles VI est la dépense absorbée par les hôtels prélevée sur le produit des aides indirectes : 200.000 francs pour l'hôtel du roi, 230.000 pour celui de la reine Isabeau, 200.000 pour celui du dauphin et 500.000, en toute sorte de libéralités pour les gens de la cour (3). Dès qu'il entra en fonction; Jean de Montagu, souverain maître des hôtels de 1401 à 1409, introduit des réformes : les hôtels ne furent alimentés qu par des allocations exceptionnelles , grossies en cours d'exercice, et par des ponctions de toutes sortes, y compris sur les caisses des trésoriers des guerres.

Depuis octobre 1401, le crédit de Montagu ne cessa de s'accroître. Le grand maître « magistrum hospicii regii dominum Johannem de Monte Acuto » comme il est écrit dans la chronique du Religieux de Saint-Denis, s'approcha de la cour et de son mentor, le duc d'Orléans, en acquérant plusieurs hôtels près du palais royal de Saint-Paul, allant jusqu'à céder l'un d'eux à la reine Isabeau de Bavière. À cette époque, Jean de Montagu possédait deux résidences princières à Paris, faisait construire le château de Marcoussis « trestout est bien tallé de grez », bâtir un monastère « où Célestins font servise » pour y installer une sépulture lignagière et édifier le chœur de l'église paroissiale Sainte-Madeleine.

Notons que, selon Froissard, dans une charte de 1397, il s'intitule : Jean de Montaigu , seigneur de Marcoussis, conseiller et général gouverneur sur le fait de la dépense de l'hôtel du roi. D'ailleurs, Plagnieux explique que, vers 1387, le paraphe de Montagu figure au bas de nombreuses cédules pour l'achat ou des dons de chevaux, alors qu'il s'occupait des comptes de l'écurie du roi.

Avec quelques hauts dignitaires dont les princes du sang et le connétable, Jean de Montagu, grand maître de la maison du roi « conestabulario ac Johanne de Monte Acuto presentibus » assiste, le 25 mai 1403, à l'audience quasi secrète du roi qui recevait les envoyés du pape Benoît sur ce qui s'était passé à Avignon pour la rentrée du royaume sous l'obédience du pape « in regno pappe Benedicto restituta est obediencia ».

Quant à la magnificence déployée par Jean de Montagu, Ernest Renan n'hésita pas à dire : « Mais, de tous les enrichis de ce siècle, Jean de Montaigu fut celui qui montra le plus de luxe et de goût. Ici nous trouvons encore une influence italienne. Sa mère, Biette Cassinel, d'une famille de Lucques, était une de ces femmes italiennes, cupides, raffinées, souvent perverses, qu'on trouve sur tous les trônes et dans toutes les cours de l'Europe du XIVe au XVIIe siècle. L'énorme fortune de Montaigu, qui rendait souvent le roi et les princes du sang ses débiteurs, laissa des traces durables. Son château de Marcoussis, bâti en deux ans et demi, dans les premières années du XVe siècle, fut peut-être la construction où les architectes de ce temps firent preuve de plus de science et de recherche. La charmante architecture qui devait couvrir plusieurs provinces, et en particulier les bords de la Loire , d'édifices empreints d'un caractère si profondément national, était déjà là tout entière. La chapelle à deux étages du château, le beau monastère de Célestins qui y tenait, l'église paroissiale, furent autant d'ouvrages excellents que le gendre de Montaigu acheva après sa mort. Les dons de Montaigu aux paroisses de Paris attestent aussi son goût pour les arts. Ses quatre hôtels (hôtel Barbette, du Porc-Epic, la grande et la petite Savoie, du faubourg Saint-Victor) étaient magnifiques » (4).

Les ambassades auprès des Anglais

Le 31 mai 1400, Jean III de Montagu, évêque de Chartres, frère du grand maître, reçoit les pouvoirs d'ambassadeur en même temps que le chambellan Jehan de Hangest, sire de Heugueville, Pierre Blanchet maître des requêtes et Gontier Col, secrétaire du roi, pour réclamer la reine Isabelle « sur le fait du retour et restitucion de nostre très chière ettrès amée fille la royne d'Engleterre,.., rendue et restituée franche et desliée de tous liens et empeschemens de mariage et d'autres obligacions… » et pour traiter des trêves avec le roi d'Angleterre « et subgiez d'autre part, à durer jusques à vint huit ans lors ensuivans et l'observance… ».

Au cours du « grant conseil du Roy » du 22 juillet 1400, le vidame de Laon, en compagnie des ducs d'Orléans et de Bourgogne, le chancelier de France, l'archevêque d'Aix, le maréchal de Boucicaut et de nombreux autres dont Pierre de La Trémoille et Jehan Chanteprime, écoute le message des ambassadeurs et donne son avis sur les demandes des plénipotentiaires anglais sur la cédule du douaire de la reine Isabelle (5).

Le 29 novembre 1401, les ambassadeurs français dont l'amiral Jean de Vienne et l'évêque de Chartres Jean III de Montagu, reçoivent les instructions pour les négociations avec les Anglais. Plusieurs articles sont présentés dont : la trêve prise avec le roi Richard, la composition pour les contributions de guerre qui doivent être faites en Guyenne, la liberté du commerce par terre et par mer, la somme de 200.000 francs qui doit être restituée à la reine Isabelle d'Angleterre, fille de Charles VI, l'extinction de la rançon du roi Jean. A cette époque le frère du Grand maître est engagé dans plusieurs missions diplomatiques, comme l'arbitrage entre le duc d'Orléans et le duc de Berry pour la garde du pape à Avignon.

La tenue des grands jours de Troyes du mercredi 29 août 1403 est empêchée par les malheurs du temps « Cedit jour est alé par le commandement des présidens, au Louvre, le graphier, pour savoir si les seigneurs qui devoient aller tenir les grans jours à Troyes, iroient ou non. Et a reouvé devers le chancellier et messire Jehan de Montagu, grant maistre d'ostel, que par la Royne avoit esté dit et respondu, que ceste année ne se povoient tenir iceulx grans jours, et que nul des présidens ne des seigneurs ne se partist de Paris, et pour cause ».

Finalement, la fille « chérie du roi », veuve de Richard II d'Angleterre revient en France pour épouser Charles d'Orléans, fils aîné du duc Louis et neveu du roi. La cérémonie a lieu à Compiègne le 29 juin 1406. Le contrat de mariage avait été passé le 5 juin 1404 en présence des trois frères Montagu « les évesques de Chartres et de Poictiers et le grant maistre d'ostel ».

L'homme du parti Armagnac

Dans son Histoire de Charles VI publiée en 1695, l'abbé de Choisy cite Jean de Montagu, grand maître de la maison du Roi, vidame de Laon comme étant l'un de ses principaux ministres du roi. C'est aussi ce que laisse entendre à plusieurs reprises le chroniqueur Enguerran de Monstrelet (6). Parmi toutes les missions confiées à Montagu, nous trouvons celles se rapportant à un homme du parti Armagnac, au service du duc d'Orléans.

Les princes que servit Jean de Montagu. De gauche à droite : Louis 1er d'Orléans, le duc Jean de Berry et le duc Louis II de Bourbon.

La situation politique de l'an 1405 devient conflictuelle suite aux obstacles mis par le duc d'Orléans aux desseins du duc de Bourgogne sur Calais, accroissant la haine de ce dernier. En août 1405, « le duc Jehan de Bourgongne ala à Paris et fist retourner la Royne et le Daulphin que le duc d'Orléans emmenoit ». Né le 22 janvier 1397, le dauphin Louis est un enfant de huit ans, huitième enfant et troisième des fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière. Souvent appelé « duc de Guienne » par les chroniqueurs, il est aussi nommé « duc d'Aquitaine » par Monstrelet. La reine avait ordonné à son frère Louis de Bavière, au grand maître de l'hôtel Jean de Montagu, et au maréchal de Boucicaut, de lui ramener à Melun le Dauphin « dominum ducem Guienne Dalfinum et fratres ejus » avec ses autres enfants. Monstrelet nous dit « icelui duc de Bourgogne chevaucha très fort tant que son cheval povoit troter, et suivy ledit daulphin, lequel il raconsuivy près de Corbueil. En laquelle ville de Corbueil l'actendoient ladicte Royne et le duc d'Orléans, au disner, et avecques ladicte Royne, le marquis de Pont, le conte de Dampmartin, Montagu le grant maistre d'hostel du Roy, avecques lui la dame de Préaulx ».

La rencontre eut lieu « entre la Villejuive et Corbueil » met Vérard. Pour d'autres, c'est à Juvisy que le duc de Bourgogne arrêta la litière du dauphin « lui fist très grant honneur et révérence, et lui supplia qu'il voulsist retourner et demourer à Paris, disant que là seroit il mieulx que en quelconque autre lieu du royaume ». Bien que le duc Loys de Bavière « défendi de par le Roy à tous ceulx qui là estoient, que nul ne mist la main à la litière » Jean de Bourgogne enleva le dauphin « oultre son gré dedens le Louvre, en la chambre Saint-Loys ». Monstrelet précise que Jean de Montagu était à Corbeil « avecques lui la dame de Préaulx, femme de monseigneur Jaques de Bourbon », c'est-à-dire sa sœur Jeanne de Montagu.

Le Louvre fut placé « en la garde de noble homme messire Renault d'Anghiennes qui paravant y estoit commis de par le Roy ». La Bastille Saint-Anthoine fut mise en la garde de Montagu, grant maistre d'hostel du Roy . Il jura « et fist serement qu'il ne mettroit homme dedens ». Le religieux de Saint-Denis prétend que le gouvernement de la Bastille avait été ôté à Montagu et donné au seigneur de Saint-George, mais il semble que Monstrelet ait rapporté la réalité. Dans une entrevue qui eut lieu à Vincennes, le 17 octobre 1407, les princes se donnèrent l'accolade en signe de réconciliation. Au printemps suivant, pour récompenser le grand maître des services qu'il lui avait rendus dans cette négociation, le duc d'Orléans lui donna, avec l'amiral Pierre de Bréban la conduite des troupes qu'on envoya au secours du duc de Bar contre le duc de Lorraine (7). Mais la réconciliation ne pouvait pas être de longue durée : le 23 novembre 1407, le duc d'Orléans était assassiné par les spadassins du duc de Bourgogne.

En 1406, Montagu accompagne le duc d'Orléans dans son expédition en Guienne pour « faire la guerre aux Engloix » et « emmena grant nombre de gens d'armes et d'archers jusques à 6.000 combatans. Si se mirent avec lui, messire Charles de Labreth, connestable de France, le marquis de Pont, filz au duc de Bar, le conte de Clermont, Montagu, grant maistre d'ostel du roy et plusieurs autres grans seigneurs… ». En juillet de la même année, une expédition dirigée contre le duc Charles II de Lorraine est placée sous les ordres de Montagu de Clignet de Brébant. Il s'agissait de rendre justice aux officiers royaux qui possédaient des fiefs enclavés dans le duché et de défendre les droits du duc d'Orléans.

Suite à l'assassinat de Louis d'Orléans, le 23 novembre 1407, dans la rue Vieille du Temple à Paris, la rivalité est de plus en plus exacerbée entre les Armagnacs et les Bourguignons. Le 8 mars 1408, une étrange prédication fut prononcée par le théologien Jean Petit pour excuser Jean sans Peur ; le dimanche 18 mars « fu journée prise à asembler tout le grant conseil de France à Meleum, le Dalphin, le roy Loys [duc d'Anjou, roi de Sicile], Berry, le duc de Bretaigne, le compte de Tanquarville et Montagu avec plusieuyrs autres. Ainz M. de Bourgongne demoura à Paris, car il avoit en ladicte assemblée plus ses ennemis que de ses amis. Si leur manda qu'il ramenassent le Dalphin, ou il lui yrroit querre. Si n'en firent rien pour son mandement… »

Alors que la reine Isabeau de Bavière penche du côté du camp des Orléanistes, et que le roi avait quitté Paris pour « le chité de Tours », ville où il voulait faire sa capitale, « le grant mestre d'ostel » fut envoyé vers le duc de Bourgogne en novembre 1408 suite à « plusieurs offres et traictiez eurent esté mis avant devers le grant conseil du roy, finalement fut ordonné que le roy envoieroit certains ambassadeurs à Paris, instruis de sa voulonté, pour parler à icelui le duc de Bourgongne et lui dire la fin par laquelle il povoit retourner en la grace du Roy ». Le duc de Bavière et Jean de Montagu furent commis comme « expers conseillers ». Et pour ce que du tout ne furent point agréables, et que le duc de Bourgogne avait en suspicion ledit Jean de Montagu « ne fu point content par la manière qu'ilz lui avoient esté envoiez ». Montagu reçut une pluie de reproches et d'injures, « lequel les receut assez paciemment, en soy excusant ».

La duchesse d'Orléans mourut le 4 décembre 1408 laissant quatre orphelins et avant d'avoir obtenu justice pour la mort de son mari. Charles VI et son Grand Conseil avaient imaginé une réconciliation entre les enfants d'Orléans et le duc de Bourgogne (8). La rencontre eut lieu à Chartres, le 9 mars 1409, en présence de la reine, le dauphin et sa femme, les rois de Sicile et de Navarre, le cardinal de Bar et Gérard de Montagu, archevêque de Sens, frère du Grand-maître. Entre les deux parties, qui jurèrent sur un missel, un traité fut signé, un mariage fut conclu.

Au printemps 1409, alors que le roi Charles VI était « moult oppressé de sa maladie acoustumée », plusieurs affaires occupèrent les seigneurs de la cour. « Le 9 avril le duc de Bougogne s'en ala aux nopces de Phelippe… Durant lequel temps, le duc Louis II de Bourbon fut défié de sire Amé de Viry, savoyen, lequel estoit ung povre chevalier au regard dudit duc ». Jean de Montagu était du parti du duc de Bourbon qui envoya en pays de Beaujolais un très grand nombre de gens d'armes pour punir le sire de Viry, commandés par son fils Jean, comte de Clermont accompagné de Jacques II de Bourbon, comte de la Marche et Vendôme, le connétable d'Albret, et « Loys de Bavière, frère de la royne de France, Montagu, grand-maistre d'ostel du Roy et plusieurs autres grans seigneurs ». Il s'agissait de foy et hommage que le duc de savoie prétendait recevoir du duc de Bourbon « à cause de sa terre de Beaujolais, laquel chose il ne vouloit point faire ».

Dans l'Histoire de la fonction publique en France, Marcel Pinet dit « La roue de la fortune éleva très haut Jean de Montagu », puis donne un portrait du personnage qui mérite d'être cité « C'était un petit homme maigre, le visage garni d'une médiocre barbiche, peu orateur, un peu bègue, mais for intelligent. Expert notamment en finances. Peu à peu il était arrivé à diriger toutes les finances royales… ».

La paix de Chartres

Depuis le meurtre du duc Louis d'Orléans, frère du roi, par les sbires du duc de Bourgogne, il n'était question que de vengeance, assassinat et guerre civile, entre les Armagnacs et les Bourguignons. Les trois fils du duc réclamaient justice ; c'étaient Charles d'Orléans, aïeul de Louis XII et François 1er, qui avait de 17 à 18 ans à la mort de son père, Philippe comte de Vertu et Jean comte d'Angoulême.

Jean de Montagu fut chargé par le roi de conduire une ambassade auprès du duc de Bourgogne « pour ne pas faire parler les armes ». Rejoignant le duc à Paris, Jean de Montagu traita avec la parti bourguignon « qui tant fist que pour les débaz appaisier fut le grant maistre d'ostel envoyé en sa compaignie à Paris par devers le duc de Bourgoingne qui manière de bienveillance lui demonstra, et tant traicta que à Chartres octroya venir par devers le roy et son conseil … Et ce fait vint le roy à Chartres en février, en cellui an, où plusieurs conseils furent tenuz sur la manière de traiter paix entre les enffans le duc d'Orléans et le dit duc de Bourgoingne ».

Ainsi par plusieurs fois y eut grandes assemblées, autour de Paris, tant des gens du duc Jean de Bourgongne que du duc Charles d'Orléans : et toujours depuis commença la chose à s'enfler entre lesdits deux ducs, se retirant ledit duc Jean avec ses alliés en son pays de Flandre et d'Artois. Y eut grandes assemblées : ce fut alors que se fit la paix de Chartres, où les princes d'Orléans eurent l'air de pardonner au duc de Bourgogne. Juvenal des Ursins, en parlant de cette paix, raconte une anecdote fort piquante. « Ce faict, le duc de Bourgogne, sans boire ny manger en la ville, monta à cheval et s'en partit ; et avoit un tres-bon fol en sa compagnée, qu'on disoit estre fol-sage, lequel tantost alla acheter une paix d'Eglise, et la fit fourrer, et disoit que c'estoit une paix fourrée ».

La paix fut signée le 9 mars 1409. Le “ Le traitié juré à Chartres présens les princes ” comme le dit le chancelier Cousinot comportait vingt et un articles rédigés par Jean de Montagu.dont l'aveu du meurtre du duc d'Orléans par Jean sans Peur et le pardon donné par les enfants d'Orléans en larmes. Tous prêtèrent serment sur les Evangiles de respecter la paix.

Le même chancelier narre cette conférence de paix de la façon suivante : « En cellui an ou mois de mars vindrent au mandement du roy, le duc de Bourgoigne d'une part et le duc d'Orléans ; avec lui le conte de Vertuz son frère. D'autre si vindrent illec les rois de Sécile et de Navarre, les ducs de Guienne, de Berry, de Bourbon, et de Hollande, les contes d'Alencon et d'Eu, le connestable, le chancellicr et les mareschaulx de France, la court de parlement, le prévost des marchans et des bourgeois de Paris en bien grant nombre. Si vint le roy en la grant église de Chartres et là traita de paix entre les ducs d'Orléans et de Bourgoigne, et par ceste paix faisant voult le roy et par commandement exprès, que pour révérence de Dieu et le bien du royaume le duc d'Orléans et le conte de Vertus, son frère, pardonnassent au dit duc de Bourgoigne la mort du duc leur père, et que pour fermeté de paix le dit conte de Vertuz eust à femme l'une des filles d'icellui duc. Auquel commandement fut le duc Charles d'Orléans obéissant, et partant jurèrent illec la paix les diz seigneurs devant le roy ès mains du cardinal de Bar et sur les sains canons et euvangiles, et ce fait retournèrent à Blois le duc d'Orléans et son frère, et à Paris retourna le duc de Bourgoingne ».

Le même chroniqueur continue en nommant les seigneurs qui siégeaient au conseil du roi au printemps 1409 ; celui-ci ayant accordé le gouvernement au duc de Berry, son oncle. « Après le traitié fait à Chartres, furent le roy, la royne et leurs enffans menez à Paris… envers le dit duc de Berry furent plus enclins les seigneurs du grant conseil et en espécial Messire Jehan de Montagu, chevalier, vidame de Laonnois, maistre d'ostel souverain du roy, Monseigneur Jehan, son frère, arcevesque de Sens, chancellier de Guienne, et Monseigneur Girart leur frère, évesque de Paris, chancellier du duc de Berry ; tous lesquieulx frère furent conseillers du roy… ». C'est de ce jour, que le duc de Bourgogne accusant les frères Montagu de lui avoir voler le gouvernement « pour ce, marchanda la mort dudit vidame et de l'arcevesque son frère ».

Simon de la Mothe dit que fut le duc de Bourgogne non seulement l'agréa et le ratifia mais aussi, loua hautement Montagu pour « l'adresse et la conduite d'un si bon négociateur. Il lui en témoigna même sa reconnaissance et si ce fut une témérité ou une feinte, il lui fit offre de son amitié ».

L'inimitié bourguignonne

Le grand-maître de France eut le malheur de déplaire aux ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi, oncle du roi, puis son fils Jean sans Peur qui furent ses ennemis les plus acharnés. Étant associés au le roi de Navarre, ils détenaient une grande partie des fiefs de France et faisaient jeu égal avec le roi. La haine du parti bourguignon envers Montagu commença dès 1388 quand Charles VI, renvoyant ses oncles, forma le gouvernement des Marmousets.

Cette haine transpire chez le chroniqueur Enguerran de Monstrelet qui, se montrant très partial vis-à-vis de Montagu, était un chaud partisan et homme-lige du duc de Bourgogne. Étant à Abbeville au cours de la mi-juin 1393, le roi fut pris d'une crise de démence. On accusa sa belle-sœur Valentine de Visconti. Les soupçons, que rien ne semble justifier, étaient fondés sur ce que, dans la Lombardie , qui était la patrie de la duchesse, on faisait plus qu'en tout autre pays usage de poisons et de sortilèges. La fatale et déplorable maladie dura jusqu'au mois de janvier suivant sans que les médecins puissent y apporter remède. C'est également ce genre de crime qui fut aussi adressé par les commissaires à Jean de Montagu, après son arrestation en octobre 1409. On le soupçonnait de connaître la science du poison que lui aurait donnée sa famille maternelle, les Cassinel, également native de Lombardie.

Michel Poitoin, religieux de Saint-Denis fustige également l'ascension sociale et l'enrichissement de Montagu, en écrivant qu'au faîte même de cette grandeur, dont il était fier, il apprit à ses dépens qu'il n'y a rien de si élevé qui ne puisse être abattu et « mortalium laboriosam condicionem semper dispositam vel contemptui vel invidie subjecere », et que telle est la triste condition des mortels, qu'ils sont toujours exposés à tomber sous les coups du mépris ou de l'envie. C'est ce type de « fulgurante ascension » dont parle Philippe Plagieux (9) en écrivant « Jean de Montaigu, le parangon même du favori devenu victime expiatoire de cette folle surenchère » pour décrire les possibilités infinies qu'offrait le détournement du trésor royal.

En revanche, Jean de Montagu essaya sans cesse de concilier sa politique avec celle du duc de Bourgogne, allant même marier deux de ces filles avec de fidèles vassaux du duc. La situation bascula une première fois pendant l'été 1392, quand le roi décida de soumettre par la force des armes le duc de Bretagne (10). Traversant le pays manceau, une maladie étrange et jusqu'alors inconnue arrêta le roi dans ses projets « statum sane incolumitatis regis ignorabant » ; dès les premiers jours d'août, le roi avait commencé à donner des signes de démence. Revenus à Paris, les oncles du roi reprennent la direction des affaires ; ils poursuivent le connétable et ses amis (11). Messire Bureau de la Rivière , le sire de Noviant et Lebègue de Villaines, conseillers de Charles VI apprirent leur disgrâce et se retirèrent dans leurs domaines. Ils furent arrêtés et jetés en prison où ils retèrent pendant six mois. Craignant subir le même sort Messire Olivier de Clisson « dominus Oliverus, conestabularius Francie » se réfugia d'abord dans son château de Montlhéry, mais ayanr appris qu'on avait donné l'ordre de l'y arrêter, il s'enfuit dans ses domaines en Bretagne. Montagu se mit en sûreté à Avignon auprès de son oncle, le cardinal de La Grange.

À propos des évènements de 1409, l'historien Sismondi a écrit en 1828 : « Mais, parmi ses amis, Montagu ne comptoit pas le duc de Bourgogne. Sa liaison passée avec le duc d'Orléans, et l'alliance qu'il venoit de contracter avec la maison d'Albret, le faisoient considérer par ce duc comme appartenant au parti de ses ennemis ».

Jean de Montagu, sachant la haine mortelle que Jean sans Peur lui portait, avait presque désespéré de la réussite de ses affaires, et s'était ménagé une retraite pour se mettre à couvert avec toute sa famille. C'était une place inexpugnable et presque inaccessible dans les montagnes d'Auvergne, nommée Monet, qu'il devait échanger avec le duc de Berry contre Châteauneuf, Marcoussis et toutes ses dépendances . Mais, après la conférence de Chartres, croyant sa paix faite en faisant celle de la cour, il retourna joyeusement à Tours, où se trouvait alors la reine avec les enfants du duc d'Orléans, et fit si bien qu'il obtint tout ce que le duc demandait. Le chancelier rapporte cet épisode : « et quant le peuple de Paris sourent que l'acort estoit fait et que le roy et touz nos seigneurs de Frence venoient, crièrent Noel et les feulz comme à la Sainct Jehan , et démenèrent grant joye ».

Depuis la paix de Chartres, malgré la misère du peuple et l'épuisement du trésor, Paris était encore la ville de l'Europe où l'on s'occupait le plus de plaisir, et où l'on étalait le plus de luxe. Les fêtes et les divertissements de la cour s'y succédaient sans interruption et aucune ne fut plus brillante que celle que donna, le 22 septembre 1409. C'est sans doute ce jour que Jean sans Terre décida d'éliminer Jean de Montagu quand celui-ci et le nouvel évêque de Paris avaient traité chez eux le roi Charles VI, celui de Navarre, et les ducs de Berry, de Bourbon et de Bourgogne, avec plusieurs autres prélats et seigneurs pour lors à Paris. Ce fut le luxe déployé dans la réception qui devait perdre le grand maître.

Terminons ce chapitre par la citation du chancelier Cousinot tirée de la Geste des Nobles François : « En icelui temps règnoit en Franche un chevalier nommé Messire Jehan Montagu, grant mestre d'ostel du roy, lequel gouverna le royaume par l'espasse de vingt anz et de plus. Il fist en son temps un chastel nommé Marcoussi, lequel cousta à faire plus de chinc chenz milles livres et si fist deux frères qu'il avoit, l'un archevesque de Senz en Bourgogne et l'austre évesque de Paris ou temps du bon pappe Alexandre Sixte, lequel pappe ne vesqui que neuf mois pappe et trespassa en moy l'an 1410, et fu celui de cui l'union fu en l'église du cisme qui avoit duré trentre-trois anz. Et fist le dit mestre d'ostel à son frère évesque de Paris faire la plus noble et plentureuse feste qui eusté faite à Paris puiz lonc temps et out en la dicte feste le roy et tout le noble estat de France. Et y out plus de 1.800 plas de viande à ladicte feste, laquelle lui fu trop grevable et voult le conseil du roy qui rendist compte du gouvernement de tout son temps, et Fortune lui couru sus. Si fu prins et emprisonné, et examiné que le 17e jour d'octobre l'an 1409 out le col tranché et mené le corps au gibet. Ainsi fu poié de ses gages… ».

Montagu, qui voulait être l'ami de tout le monde, avait complètement failli dans son dessein… « Il fut immolé pour l'honnêteté même de sa conduite ou de ses résistances », concluait l'historien Valet de Viriville.

Dès 1406, Montagu était la cible de pamphlet politique, comme celui publié sous le titre « Le Songe Véritable », tellement sa fortune paraissait inespérée (12). Trois ans avant l'heure, le rimeur parisien lui prédit déjà un avenir funeste, comparable à Enguerrand de Marigny :

« Et orgueil qui vint de nouveau,

« Ly fit commencier un chasteau,

« Ouquel il a tant despendu

« Qu'il en sera encor pendu

« Au gibet de Paris ou d'Enfer…..

À suivre…

Notes

(1) À ce propos, “le premier prix de l'erreur historique” doit être décerné à Jacques Dulaure qui a écrit « Vers la fin du XIVe siècle, elle [la terre de Marcoussy] échut à Jean de Montaigu que l'on présume avoir été fils naturel de Charles VI, lequel fit rebâtir le château… ». Oui, cher lecteur, vous avez bien lu Charles VI !! Et de récidiver la ligne suivante « Jean de Montaigu, vidame de Laonnois, grand-maître de France, et surintendant des finances, paya cher la haute faveur dont il jouit à la cour de son père ». [ Histoire des Environs de Paris , t. VI, ch. 5, p. 116].

(2) Le grand vocabulaire françois , tome XII (chez Panckoucke, Paris 1770) p. 361.

(3) M. Rey, Les finances sous Charles VI. Les causes du déficit, 1388-1413 (Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1965).

(4) Ernest Renan, Discours sur l'Etat des Beaux-arts au XIVe siècle (Libr. Michel Lévy, Paris 1865) p. 199

(5) Isabelle de France, seconde fille de Charles VI et d'Isabeau de Bavière, avait épousé Richard II roi d'Angleterre. Veuve après quatre ans de mariage, elle épousa en secondes noces son cousin Charles d'Orléans. Isabelle mourut en couches le 13 septembre 1409.

(6) La Chronique d'Enguerran de Monstrelet, publiée par L. Douët d'Arcq. T. II, p. 43. Monstrelet fut créé grand prévôt de Cambray et bailli de Wallincourt. Il fut inhumé aux Cordeliers de Cambray en l'an 1444. Ainsi, la célèbre chronique couvre la période 1400-1444.

(7) Robert, duc de Bar, n'était en cette occasion que le prête-nom du duc d'Orléans, lui-même. Celui-ci, engagiste du duché de Luxembourg par le don que lui en avait fait en 1402, Josse de Moravie, mit en mouvement de grandes forces pour s'opposer aux tentatives que faisait sur son duché Charles II le Hardi, duc de Lorraine. Mais ce fut en vain qu'il s'appuya des secours des ducs de Bar, de Juliers et de Berg, les comtes de Nassau, de Salm, de Saarwerden et de Saarbrück. L'année 1406 se passa sans résultats importants, et, en 1407, le duc de Lorraine remporta sur les troupes confédérées une grande victoire entre Champigneulles et Nancy.

(8) Le dauphin, Louis de France, duc de Guienne avait été accordé le 5 mai 1403 et marié le 31 août 1404 avec Marguerite de Bourgogne, fille du duc Jean sans Peur.

(9) P. Plagnieux, Jean de Montaigu ou la résistible ascension d'un parvenu à la lumière des arts , dans La création artistique en France autour de 1400 publié sous la direction de Elisabeth Taburet-Delahaye (Ecole du Louvre, Paris, 2006) p. 103-118.

(10) À la même époque, dans sa chronique, du religieux de Saint-Denys décrit une météorologie catastrophique « les plus grands fleuves de France, s'étant trouvés à sec, ne purent servir au transport des marchandises… On souffrait beaucoup de cette sècheresse, non-seulement il ne tomba point de pluie, mais la terre, desséchée jusque dans ses entrailles, fournit à peine l'au nécessaire aux sources. Dans certains lieux, cette disette d'eau [deffectus alibi aquarum] fit de grands ravages parmi les troupeaux, qui mouraient de soif sur le bord des fontaines et des ruisseaux, ou succombaient à des maladies contagieuses ».

(11) Le jour de ce coup d'état, le duc de Bourgogne répondit brutalement au connétable : « Clisson, vous n'avez que faire de vous embesoigner de l'estat du royaume. À la male heure tant vous en estes vous meslé. Où diable avez-vous assemblé tant de finances ? Le roir monseigneur, ni beau-frère de Berri, ni moi, n'en pourrions tant mettre esemble. Partez de ma chambre et issez de ma présence, et faites que plus ne vous voie… ».

(12) H. Moranvillé, Le Songe Véritable, pamphlet politique d'un parisien du XVe siècle (Centre d'histoire de Paris, 1891).

dagnot/chronique35.04.txt · Dernière modification: 2020/11/12 04:28 de bg