Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

Outils pour utilisateurs

Outils du site


dagnot:chronique35.06

Page en chantier


La vie de Jean de Montagu (9) L'arrestation et la mort

Chronique du Vieux Marcoussy ————————————- _————————— Octobre 2009

« Jean de Montagu conduit au supplice » et « Le cadavre de Jean de Montagu détaché de la potence par son fils » (dessins du XIXe s.).

JP. Dagnot

C. Julien

Après avoir décrit la vie de Jean de Montagu dans ses moindres détails, nous présentons l'arrestation, l'ignominieuse condamnation et la mise à mort du Grand maître. Ces évènements se passaient au mois d'octobre 1409. La littérature a été submergée par cette mort avec des interprétations diverses, plus ou moins imagées selon l'époque de l'édition. Une analyse complète nécessiterait un volume entier, nous nous contenterons de quelques pages seulement.

Des questions se posent. Y a-t-il des textes issus de témoins oculaires ? Ou bien, possède-t-on des narrations indirectes plus ou moins déformées par la transmission orale ? Toujours est-il que les chroniqueurs du XVe siècle nous rapportent l'arrestation et l'exécution de Jean de Montagu en des termes similaires avec de petites variantes. Nous en donnons, ici, quelques extraits.

Journal d'un bourgeois de Paris

L'auteur anonyme de cette chronique parisienne couvrant la période 1405-1449, celle des règnes de Charles VI et Charles VII serait, selon Tuetey, l'un des clercs attachés à la maison d'Isabeau de Bavière ou bien un haut dignitaire de l'Université de Paris. Voici les chapitres 9 et 10 qui nous donnent la triste fin de Jean de Montagu.

« 9. Item, le lundi VIIe jour d'octobre ensuivant, assavoir mil quatre cent-neuf, fust prins ung nommé Jehan de Montagu, grand maistre d'hostel du roy de Franche, emprès Sainct-Brenetor, et fust mis en petit Chastellet; dont il advint telle esmeutte à Paris à l'eure qu'on le print ; comme se tout Paris fust plain de Sarazins; et si ne sçaroit nul pourquoi ils s'esmouvoient. Et le print ung nommé Pierre des Essarts, qui pour lors estoit prévost de Paris ; et furent les lanternes commandées à allumer, comme autrefois, et de l'eaue à huis, et toutes les nuicts le plus bel guet à pied et à cheval qu'on vist guères oncques à Paris ; et le laisoient les mestiers l'ung après l'autre ».

Notons que l'auteur du Journal parle d'une espèce « d'esmeute à l'eure qu'on le print », signe qu'une pareille arrestation provoqua des émois chez les Parisiens, et non l'inverse comme d'autres historiens le suggère.

« 10. Et le dix-septiesme jour du mois d'octobre jeudi, fust le dessus dit grand maistre d'hostel mis en une charrette, vestu de sa livrée, d'une houpelande de blanc et de rouge, et chaperon de mesme, une chausse rouge et l'autre blanche, ung esperon doré, les mains liées devant, une croix de bois entre ses mains, haut assis en la charrette, deux trompettes devant lui, et en cet estât menées halles. Là on lui couppa la teste ; et après fust porté le corps au gibet de Paris, et pendu au plus haut en chemise à toutes ses chausses et espérons dorés; dont la rumeur dura à aucuns des seigneurs de Franche, comme Berry, Bourbon, Alencon et plusieurs autres ».

Ainsi, la fin tragique de Jean de Montagu, victime de la haine du duc de Bourgogne, souleva une réprobation générale. Comme le dit Juvénal des Ursins, il fut « moult plaint de tout le peuple » et sa condamnation excita partout une profonde commisération, citant un gentilhomme normand « il luy en desplut moult et dist publiquement que c'estoit mal fait, et maudit ceulx qui avoient ce fait, qu'ilz avoient mieulx gaigné à avoir la teste copée que lui ».

Le journal de Pierre de Lestoille

Reproduisons également un extrait du célèbre chroniqueur: « L'an 1409, et le vingt-quatrième du règne de Charles VI, le duc de Bourgongne, en haine du duc d'Orléans, prince dauphin ( tous les serviteurs duquel il hayssoit) , jeta le chat aux jambes, comme il se dict, au seigneur de Montagu, grand-maistre de France et super intendant des finances, se souvenant qu'il avoit conduit ledit sieur à Melun vers la reine, l'accusant de s'estre trop enrichi aux finances. Il le fit emprisonner et le mit es mains de messieurs Pierre des Essarts, lors prevost de Paris, si bien que ce pauvre seigneur estant chargé de concussion, eust la tête tranchée nonobstant les prières des princes du sang ».

La chronique de Saint-Denis

Rédigée en latin par un moine bénédictin qui serait Michel Pintoin (1350-1421), chantre et chroniqueur de Saint-Denis, cette histoire évoque surtout le règne de Charles VI. C'est aussi une compilation qui « sait se faire l'ennemi des factions, le défenseur de la couronne, même si le souci des événements n'en demeure pas moins primordial » (1). Au début du chapitre XIV « De morte domini Johannis de Monte Acuto, regalis hospicii magistri principalis », l'auteur donne des considérations sur la fortune de Montagu « jamais la fortune n'entraîna personne vers sa ruine avec plus de rapidité … Mais souvent la prospérité nous aveugle, et la fortune est changeante. Au faîte même de cette grandeur, dont il était si fier, il apprit à ses dépens qu'il n'y a rien de si élevé qui ne puisse être abattu, et que telle est la triste condition des mortels, qu'ils sont toujours exposés à tomber sous les coups du mépris ou de l'envie ».

C'est au début d'octobre 1409 que les ennemis de Montagu se réunissent autour du roi de Navarre et du duc de Bourgogne. « Quibus odiosus erat, famam ejus denigrantes sibique prodicionum infames obicientes titulos, dicebant eumdem regis infirmitatem procurasse, scisma quoque super omnes fovisse Ecclesie et quod discordias seminaverat et hucusque seminabat inter dominos, thesaurosque regis ad usum convertens proprium , eciam multipliciter contra ipsum fuerat infidelis », ce qui traduit par : ils lui imputaient d'infâmes trahisons et l'accusaient d'avoir contribué à la maladie du roi, d'avoir plus que tout autre entretenu le schisme de l'Église, d'avoir semé et de semer encore la discorde entre les princes, de détourner à son profit les trésors du roi et de commettre envers lui toutes sortes d'infidélités. Une assemblée délibérante fut tenue à l'abbaye Saint-Victor « in ecclesia Sancti Victoris prope Parisius colloquia deliberatoria » dit Michel Poitoin, alors que Monstrelet prétend que les princes étaient réunis dans la grande salle de l'hôtel Saint-Paul.

Les amis du sire de Montaigu soupçonnaient ce qui se passait, l'avertirent que le duc de Bourgogne, animé contre lui d'une haine implacable, en dépit des promesses qui lui avaient été faites, machinait quelque complot pour le perdre et avait juré sa mort. Ils lui conseillaient donc de s'éloigner avec tous ses biens pour échapper à leur vengeance. Mais, soit le grand maître fût trop frivole, soit qu'il comptât trop sur l'amitié du roi, de la reine et du duc de Berri, comme il l'apprit bientôt à ses dépens.

Le lundi 7 octobre 1409 fut le jour de l'arrestation par le prévôt de Paris, Pierre des Essarts. Deux versions diffèrent à ce propos sur le lieu de l'arrestation :

• La chronique de Saint-Denis dit : comme il retournait seul, selon son habitude, et sans défiance à sa maison de Saint-Victor « nilque sibi timens ad domum suam de Sancto Victore rediret » , il fut tout à coup saisi et fait prisonnier dans la rue par le prévôt de Paris, Pierre des Essarts, et par les sergents armés qui l'accompagnaient. Le prévôt lui dit : “ Je vous arrête, traître infâme ”, et, quoiqu'il appelât au Parlement, le fit traîner ignominieusement au petit Châtelet. Là, il fut jeté au fond d'un cachot et remis à la garde du sire de Heilly, conformément aux ordres du duc de Bourgogne.

• La chronique de Monstrelet dit : il fut ordonné qu'on le prinst et meist en prison en Chastellet, avec plusieurs autres. Et pour faire ceste exécucion, fut commis messire Pierre des Essars, prévost de Paris, garny de grant partie de ses sergens. Et pour l'acompaigner, lui furent baillez de par le duc de Bourgongue, le seigneur de Heilli et de Roubaix, et messire Roland de Hutequerque, lesquelz, tous ensemble, par un certain jour trouvèrent ledit Montagu et avecques lui maistre Martin Gouge, évesque de Chartres, tous deux alans au moustier Saint-Victor pour oyr la messe.

Tous les narrateurs confirment que l'on emprisonna en même temps Monseigneur Martin Gouge, l'évêque de Chartres (2), et maître Pierre de l'Esclat, principaux conseillers de la reine et du duc de Berri, et plusieurs autres notables personnages. La ville fut mise en émoi par ces arrestations, et le peuple prit les armes. Mais le prévôt de Paris, Pierre des Essarts, parcourut les rues avec ses gens, en criant qu'il avait mis la main sur ceux qui trahissaient le roi, et qu'il les tiendrait sous bonne garde. Il parvint ainsi à calmer l'émeute, et persuada aux habitants de retourner à leurs métiers et à leurs affaires.

Le mercredi 9 octobre , le Parlement nomma des commissaires pour examiner l'affaire et pour entendre les dépositions des dénonciateurs et des accusateurs. Le sire de Montaigu fut interrogé sur les griefs ci-dessus mentionnés et sur d'autres plus graves encore, et, comme il persistait à tout nier, on résolut de le mettre à la torture pour lui arracher des aveux. Cependant l'évêque de Paris, ses amis et ses parents, qui savaient que le duc de Bourgogne était son plus grand ennemi, allèrent le trouver à plusieurs reprises, se jetèrent à ses pieds et lui demandèrent vainement, dans les termes les plus humbles et avec les plus vives instances, la grâce du sire de Montaigu. Ils adressèrent les mêmes supplications au roi de Navarre, qui se contenta de leur répondre : « Ne craignez rien, on lui fera bonne justice ». La reine et le duc de Berri, cédant aux prières de ses amis, avaient aussi intercédé en sa faveur au commencement du procès; mais leurs démarches ne purent changer sa destinée. Le sire de Montaigu, vaincu par les douleurs de la torture, avoua les crimes qu'on lui imputait et signa de sa main cet aveu. Le Parlement prononça alors contre lui une sentence capitale, et le condamna à subir sa peine dans cette même ville de Paris « in eum finalem sentenciam, capitale supplicium adjudicatus est subire in urbe Parisiensi », qui avait été naguère le théâtre de sa splendeur.

« De même que les pêcheurs suspendent à l'hameçon l'appât auquel vient imprudemment se prendre le poisson affamé, de même le démon, pour mieux tromper les hommes auxquels il tend sans cesse des pièges, déguise ses perfides desseins sous l'amorce séduisante des jouissances d'ici-bas ». Il étale à leurs yeux les richesses, leur promet les honneurs, et leur laisse entrevoir les charmes d'une vie tranquille et agréable passée au sein du repos et du plaisir. Entraînés par ces apparences trompeuses, ils se jettent avec avidité sur l'amorce qui leur est offerte, et dans leur imprévoyance ils ne s'aperçoivent de la trahison, que lorsque leur perte est inévitable, et que, sentant toute l'amertume de l'appât, ils se voient pris en quelque sorte à l'hameçon et traînés sur le rivage où ils doivent mourir. Le sire de Montaigu ne l'apprit que trop à ses dépens.

Le gibet de Montfaucon, fourches patibulaires de la Grande justice (d'après Violet-le-Duc).

Le jeudi 17 octobre 1409 (3), veille de Saint-Luc, Montagu fut conduit aux halles à son de trompe et au milieu d'une nombreuse escorte de bourgeois en armes; il tenait à la main une croix de bois, qu'il baisait souvent pour se fortifier contre la mort, et il donnait tant de témoignages de dévotion, qu'il arracha des larmes même à ceux qui le haïssaient auparavant. Le bourreau le frappa de sa hache, sans donner, suivant l'usage, lecture de la sentence, et lui ayant tranché la tête d'un seul coup, il la mit au bout d'une lance et pendit le corps au gibet. Je crois devoir mentionner ici que lesdits ducs avaient député des seigneurs de la cour pour recueillir les dernières paroles du condamné. Ces seigneurs revinrent mornes et abattus. Comme on leur demandait pourquoi les crimes d'un si puissant personnage n'avaient pas été publiés, ils répondirent qu'il avait déclaré à la multitude, en montrant ses mains disloquées et son bas-ventre déchiré, que la violence des tourments lui avait seule arraché des aveux, et que le duc d'Orléans et lui n'étaient coupables « nisi in peccuniarum regiarum nimia consumpcione » que d'avoir trop prodigué l'argent du roi.

La chronique d'Enguerran de Monstrelet

Enguerran de Monstrelet, chroniqueur au service du parti bourguignon donne une description plus détaillée des évènements (4). D'abord, il nous explique « Comment les seigneurs de sang royal voulurent réformer ceulx qui avoient gouverné les finances du Roy. Et de 1a mort de Montagu, grant-maistre d'ostel ». Les princes du sang « bien informez que le roy Charles de France estait tout apovry de ses finances par ses officiers et gouverneurs, et mesme et que sa vaisselle et la plus grant partie de ses joyaulx estoient tous engagez, exposèrent à un certain jour à la personne du Roy, l'estat et gouvernement meschant et povre qui estoit en son hostel ». Et pour y mieulx besongner et entendre, grant partie des seigneurs dessusdiz laissèrent leurs propres hostelz et s'en alèrent loger en l'ostel du Roy à Saint-Pol, dedens lequel, par le conseil l'aucuns des seigneurs de Parlement et de l'Université, continuèrent par plusieurs jours à ladicte réformacion.

Le coup d'État était principalement dirigé contre le grand maître « … espécial Montagu, qui avoit esté ung des principaulx des gouverneurs; qui fut fort questionné, et tellement qu'il fut ordonné qu'on le prinst et meist en prison en Chastellet, avec plusieurs autres. Et pour faire ceste exécucion, fut commis messire Pierre des Essars, prévost de Paris, garny de grant partie de ses sergens. Et pour l'acompaigner, lui furent baillez de par le duc de Bourgongue, le seigneur de Heilli et de Roubaix, et messire Roland de Hutequerque… ».

Le dialogue entre le prévôt et le grand maître est célébrissime. Voici la version de Monstrelet selon l'édition de 1858 « Lequel prévost, acompaigné des dessusdiz, quant il le rencontra, mist la main à lui et audit évesque, en leur disant : “ Je mets la main à vous de par l'auctorité roya1e à moy commise en ceste partie ”. Et adonc, icellui Montagu, oyant les paroles dudit prévost, fut fort esmerveillé et eut très grant fraieur. Mais tantost que le cuer lui fut revenu, il dist audit prévost : “ Et tu, ribault traistre, comment es tu si hardi de moy oser toucher! ”. Lequel prévost lui dist : “ Il n'en yra pas ainsi que vous cuidcz. Mais durement comparrez les très grans maulx que vous avez commis et perpétrez ”. Et lors ledit Montagu, non puissant de résister audit prévost ne aux siens, fut lyé et mené moult destroictement ou Chastellet de Paris, et avecques lui l'évesque de Chartres, qui estoit président en la chambre aux généraulx ».

Duquel lieu par plusieurs fois ledit Montagu fut mis en gegehainne et tant, que lui doubtant sa fin, demanda à ung sien confesseur moult diligemment quelle chose il avoit à faire, et il respondi : « Je n'y voy autre remède, fors que vous appellez du prévost de Paris », et ainsi en fist-il. Pour quoy ledit prévost ala devers lesdiz seigneurs qui avoient ordonné de le prendre et leur compta l'estat de ladicte appellacion, et tantost lesdiz seigneurs à ceste cause convoquèrent le parlement pour discuter et examiner ceste besongne. Et en la fin fut déclairé par les seigneurs dudit parlement, que ladicte appellacion estoit de nulle valeur. Et pourtant lesdiz seigneurs voians ledit fait estre arresté et adjugié, dirent audit prévost: « Va, et sans demeure, toy bien acompaigné du peuple de Paris bien armé, prens ton prisonnier et expédie la besongne selon justice, et lui fais trencher la teste d'une dolouere, et puis la fais ficher ès hales sur une lance ». Après lesquelles paroles, prestement en acomplissant leur commandement, le XVIIe jour du mois d'octobre, fist habiller et ordonner le peuple bien armé en la place Maubert et en plusieurs autres quarrefours et lieux , et puis fut mené ledit Montagu, ès hales où estoit moult grant peuple, et là, lui fist-on trencher la teste et la mectre, comme dit est, sur le bout d'une lance, et le corps fut pendu par dessoubz les aisselles au gibet de Montfaucon, droit au plus haut estage.

En après ces besongnes passées, par le dessus dit prévost de Paris furent prins plusieurs gens du Roy, et espécialement ceulx qui estoient ordonnez sur les tribus et revenues, et mesment tous les généraulx, comme les seigneurs de la chambre des généraulx et les présideus et les seigneurs de la chambre des comptes, Perrin Pilot, marchant, et autres, lesquelz furent emprisonnez ou chastel du Louvre et ailleurs. Et quant Le Borgne de Souchal, escuyer du Roy et garde de sa finance, oy dire que le grant-maistre d'ostel estoit prins et mis en prison, il fut grandement esmerveillé et moult fut troublé et esmeu, pour quoy il se partit en habit desguisé, secrètement, sur ung moult léger cheval. Dont il fut en graut souspeçon des seigneurs.

La chronique de Cousinot

Guillaume Cousinot qui fut chancelier du duc d'Orléans rédigea vers 1429 une chronique médiévale dont le titre est la Geste des Nobles François. Voici les textes qui concernent Montagu, dans la langue de ce temps (5). Au chapitre CIV, intitulé « De la prinse du grant maistre ». L'auteur parle principalement des aventures de l'archevêque de Sens : « Cellui an [1409], envoya le roy en la cité d'Amiens l'arcevesque de Sens, le seigneur de Dampierre et le seigneur de Tignonville, ses conseillers, par devers les messages du roy d'Angleterre, qui là estoient venuz pour traitier de longues trêves en espérance de paix. Et les dits conseillers estans à Amiens, par le commandement du roy de Navarre et du duc de Bourgoingne, à ung lundi matin , près de porte Saint Victor fut en aguet Messire Pierre des Essars, prévost de Paris, qui accompaingné fut de plusieurs sergens armez; et là prinst M. Jehan de Montagu grant maistre d'ostel du roy, M. Martin Gouge, évesque de Chartres et Maistre Pierre de Lesclat chancellier de la royne, qui ou Chastellet de Petit-Pont furent menez et mis en prisons diverses. Et à ceste prinse fut présent l'évesque de Paris, qui en leur compaingnie aloit par devers le duc de Berry qui adonc fut à Wicestre. Si fist le dit évesque de Paris aussi tost partir l'un de ses gens, lequel ala à Amiens ceste prinse anoncier à l'arcevesque de Sens, son frère, qui pour ce parti d'Amiens, et tenant son chemin droit à Paris, le rancontra à Clermont en Beauvoisis ung sergent d'armes qui par vertu des lettres du roy de Navarre et du duc de Bourgoingne s'efforça le faire prandre par le prévost et les sergents du dit Clermont qui obéissance lui refusèrent, et ceste chose firent savoir à l'Arcevesque, qui celle nuit se depparti et délaissant le grant chemin de Paris ala passer au pont de Poissy. Si vint à reffuy à Blois au duc d'Orléans, qui secrètement l'envoya en l'un des chasteaulx de sa conté d'Angoulesme, où longtemps fut soubz la garde de M. Arnauton des Bordes, chevalier de renom ».

Puis, nous trouvons, « Proposition contre le grant maistre et comment il fut décappité » est le titre du chapitre suivant. « Contre le grant maistre d'ostel firent composer le roy de Navarre et le duc de Bourgoingne plusieurs articles crimineux contre la majesté royal, sur lesquieulx il requist justice lui estre faicte par la court du parlement, sans grâce ne miséricorde, lui ouy en ses responses, sanz conseil nul. Mais à ce ne vouldrent le roy de Navarre et le dit duc de Bourgoingne entendre ainçoirs lui baillèrent juges extraordinaires de tirannies plains, c'est assavoir, Messire Pierre des Essars, Messire Rusto, M. Gaucher de Ruppes et le seigneur de Helly, qui tant le gehannièrent que tous les membres lui desrompirent et par violence le contraignirent à recongnoistre tout ce qu'ilz vouldrent, et de sa main lui firent sa confession signer dont décappiter le firent ès hales et son corps pandre au gibet de Paris ou mois d'octobre 1409, dont aux ducs de Berry et de Bourbon desplut et aux plus notables hommes du conseil du roy. Après la mort duquel le dit des Essars entra ou gouvernement des finances par la voulenté du roy de Navarre et du duc de Bourgoingne, qui l'évesque de Chartres délivrèrent et Maistre Pierre des Essart, et adonc fut fait chancellier de Guienne Messire Jehan de Melles ».

Le tombeau de Jean de Montagu était placé dans le chœur de l'église du couvent des Célestins de Marcoussis.

Le Journal de Paris de 1729

Le Journal de Paris, édition de 1729 (pp. 2-3) donne des détails curieux sur la mort de l'infortuné ministre, Messire Jean de Montagu , grand maistre d'hostel du Roy, qui eut la teste couppée à Paris (6). Ce fut par le conseil du duc Jean : si disoit-on qu'il avoit desrobé le Roy de grand trésor. Il avoit fait faire le chasteau de Marcoucy prés Mont-le-Hery. « Le lundi 7 octobre ensuivant, c'est à sçavoir 1409, fust prins un nommé Jehan de Montagu , grand maistre d'ostel du roy de France, emprès Saint Brenetor, et fust mis en petit chastelet ; dont il avint telle émeute à Paris à l'eurre qu'on le print , comme se tout Paris fust plain de sarrazins : et si ne scavoit nul pourquoy ils s'enfuioient. Et le prinst un nommé Pierre des Essars, qui pour lors estoit prévost de Paris ; et furent les lanternes commandées à allumer comme autrefois, et de l'eaue à huis, et toutes les nuits le plus bel guet à pié et à cheval qu'on ne vit gueres oncques à Paris ; et le faisoient les mestiers l'un après l'autre. Et le dix-septiesme jour du mois d'octobre jeudi, fust le dessus dit grand maistre d'ostel mis en une charette , vestu de sa livrée d'une houpelande de blanc et de rouge, et chaperons de mesme, une chauce rouge et l'autre blanche, ungs esperons dorés , les mains liées devant une croix de boys entre ses mains, hault assis en la charette, deux trompettes devant lui. En cel état mené es halles, là on lui coupa la tête, et après fust porté le corps au gibet de Paris. Pour éviter le supplice, Montagu avoit fait valoir son titre de clerc marié “ cum unicâ virgine ” . Le peuple parut s'émouvoir en sa faveur ; mais Pierre des Essarts le contint par les mesures qu'on vient de voir ».

L'auteur de ce billet fait valoir l'état de clerc de Montagu qui demandait la juridiction ecclésiastique, pour ce mettre à couvert de la procédure criminelle par les privilèges de la cléricature. Il prétendait « qu'il avait été tonsuré et qu'il avait été pris en habit clérical » dit Merlet. Il fit également appel à son confesseur, un père cordelier dont nous ignorons le nom.

Chronique anonyme picarde

L'assassinat du duc d'Orléans fut le début des ennuis qui allaient survenir au Grand-maître lequel avait perdu son protecteur. Toutefois le chroniqueur nous dit : « de celle mort fut commun peuple moult joieulx, car ledit duc d'Orléans leur faisoit souffrir moult de maux par les grandes tailles et aides que il faisoit souvent ceuillir et mectre sus… ». Le roi Charles VI produisit des lettres sur le fait du pardon de la mort de son frère « que Dieu absoille nostre très chier et très amé cousin le duc de Bourgogne doubtant que par le rapport d'aucuns ses malcueillans nous euissons prins aucune desplaisance de à l'encontre de luy… ». La lettre écrite à Paris le 9 mars 1409 fut signée par les seigneurs de la cour dont les trois frères Montagu « l'archevesque de Sens, l'évesque de Poictiers et le Grant maistre d'ostel ».

L'an mil IIIIc IX, par jugement du grant conseil du roy de France, fu Montagu, grant-maistre d'ostel d'iceluy roy, décolés et exécutés ès halles de Paris, la teste mise sur le bout d'une lance esdites halles et le corps pendu par les espaulles au hault estage de Montfaucon, pour plusieurs criesmes et malifices à lui imposés, tant de la maladie du roy, et autres. Et estoit lors prévost de Paris messire Pierre des Essars. Et estoient à ce tamps dedens Paris, le roy de Navare, les ducqs de Berry, de Bourgoigne et de Bourbon, et aultres.

L'arrestation et l'exécution selon Pijart

Certains chroniqueurs sont très laconiques, comme le Sieur de Saint-Rémy qui ne donnent que cinq lignes dans ses Mémoires « En icelle année fut accusé Montagu d'avoir mal gouvernez les finances du roy, et qu'il s'en estoit fort enrichy, et, par le conseil du roy, fut prins par le provost de Paris et jehiné [mis à la question] et puis son procès faict, et enfin fut condempné à morir et avoir la teste coppée, et son corps pendu au gibet ». Pijart décrit les évènements qui suivirent l'arrestation et notament l'audition de Montagu devant ses juges, leur disant que « les sommes qu'il avoit reçues sous le bon plaisir du roi, dès l'an 1382, il l'avoit employée au bastimen d'un monastère pour les Célestins à Marcoussis, que c'estoit tous les thrésors et n'y avoit d'autres ».

Pour être complet, il convient de préciser des lacunes. Lors de l'arrestation, Pierre des Essarts était suivi de ses sergents et accompagné des seigneurs de Heilly, Gaucher des Ruppes, et de messire Roland de Viguier, qui lui furent adjoints par le duc de Bourgogne, avec messire Rusto, de la part du roi de Navarre. Bien que certains historiens aient dit que les Parisiens détestaient Montagu, il est prouvé à plusieurs endroits que « laville était en émoi », et « comme se tout Paris fust plain de Sarrazins », reprend le Journal de Paris.

Deux jours après, le mercredi 9 octobre , de concert avec le prévôt, on nomma des commissaires de la cour du parlement . Ces juges étaient ceux-là mêmes qui avaient aidé le prévôt dans l'arrestation de Montagu : les sieurs de Heilly, Gaucher des Ruppes, Roland de Viguier et Rusto ; lesquels, séant dans la chambre, citent devant eux Jean de Montagu, et lui demandent où sont les trésors qu'il avait dérobés au roi. Il leur répond qu'il n'a jamais abusé des deniers du roi, qu'il est vrai qu'ayant été employé à faire certain accord avec les Flamands, il avait reçu de ceux-ci une somme de deniers, pour récompense du service qu'il leur avait rendu, somme qu'il avait reçue sous le bon plaisir de Charles dès l'année 1382, et qu'au reste il avait employée à faire bâtir le monastère des Célestins de Marcoussis ; et que c'étaient là tous ses trésors, et qu'il n'en avait point d'autres. On abandonna cette accusation, que sans doute les juges eux-mêmes ne trouvaient pas sérieuse : mais on produisit contre le grand maître d'autres témoins qui l'accusèrent d'avoir été le complice du duc d'Orléans pour envoûter le roi et ensorceler le dauphin.

Pierre des Essarts, se voyant arrêté par cet appel qui suspendait la condamnation du grand maître, en fit le rapport aux seigneurs qui lui avaient enjoint d'arrêter Montagu. Ceux-ci, s'il faut en croire Monstrelet, convoquèrent le parlement qui examina cet appel et le déclara vain et de nulle valeur (7).

C'est le biographe de Montagu qui donne les précisions de l'exécution. Le même jour [17 octobre], Jean de Montagu fut conduit aux halles de Paris en une charrette, vêtu de sa livrée, d'une houppelande de blanc et de rouge, chaperon de même, une chausse rouge et l'autre blanche, des éperons dorés, les mains liées; deux trompettes devant lui , afin d'assembler tout le peuple. « En chemin, Montagu protesta, en montrant ses mains disloquées et son bas-ventre rompu par une hernie ». Il passa au milieu d'un grand nombre de bourgeois qu'on avait mis sous les armes, tenant une croix de bois qu'il baisait souvent ; et la dévotion qu'il montra toucha tellement tous les cœurs, que ceux mêmes qui le haïssaient auparavant ne purent refuser des larmes à une si étrange disgrâce. « Il étoit moult plaint de tout le peuple », dit Juvénal des Ursins, « et doutoit fort ledict des Esssarts qu'il ne fùt rescous, et pour ce, il disoit en allant qu'il étoit traître et coupable de la maladie du roy, et qu'il déroboit l'argent des tailles et aydes ». L'exécuteur, le bourreau Pierre du Préau lui trancha la tête du premier coup de hache et la mit aussitôt au bout d'une lance ; de la, il alla pendre le tronc par les aisselles au gibet de Montfaucon : mais il ne fit aucune mention des causes de la condamnation, comme c'est la coutume.

Revenons une nouvelle fois sur le portrait de Montagu, celui fait par Pijart mérite d'être cité : « Celui cy qui ne voïoit rien au dessus de luy, apprit aux dépens de sa teste qu'il n'y a rien de si haut qu'on ne puisse ravaller, et qu'il est dangereux d'occuper une place exposée à l'envie, et dans laquelle on donne sujet de faire blasmer sa conduite, quelque crédit qu'il eut, on ne se lachoit point de dire tous les jours de luy, dans les cours des princes, qui estoit un homme sans lettres et sans mérite. On railloit mesme de la faiblesse du sujet d'une si estrange fortune, comme estant sans aucune majesté de mine et de corps, pour estre de petite taille, pour n'avoir qu'une barbe clair-semée, pour estre bègue, et enfin pour n'avoir aucune bonne qualité qui pût réparer le moindre de ses défaux, ny qui respondit à un employ qui demandoit une personne accomplie de tous points ».

En 1656, Pijart, en tant que religieux fidèle au fondateur du couvent de Marcoussis, reprend de parti de défense de Montagu. Voici son texte « Le duc de Bourgogne luy nomme des commissaires apostez qui, avec ledit des Essarts, non pour faire justice mais le condamner et faire mourir, qui furent les sieurs Heilly, Gaucher des Ruppes et Roland de Viguier avec Messire Rusto de la part du roy de Navarre, tous affidés au duc de Bourgongne par l'espérance des charges qu'ils en attendoient, lequels séans dans la chambre mandant Montagu, espluchèrent tellement sa vie, ses actions, ses biens qu'ils fesoient aeez cognoistre qu'ils le voulurent envoyer à la mort. Ils luy demandèrent où sont les thrésors qu'il avoit dérobé au Roy. Il leur respondu qu'il n'avoit jamlais abusé des deniers du Roy, qu'il est vray qu'ayant esté employé à faire certain accord entre les Flamands et le roy, il avoit eu certaine somme de deniers des Flamands pour rescompense du service qu'il leur auroit rendu, qu'il avoit reçu sous le bon plaisir du roy dès l'an 1382, laquelle somme il avoit employée au bastimen d'un monastère pour les Célestins à Marcoussis, que c'estoit tous les thrésors et n'y avoit d'autres. Les juges d'iniquité irrités de cette response ordonnèrent qu'il soit appliqué à la question laquelle il souffrit par trois fois, et si long temps, qu'aymant mieux mourir que tant souffrir, il confessa ce qu'ils voulurent, et il signa quoy que contre la vérité, comme en effet il le rétracta à la mort ».

L'arrestation et l'exécution selon Simon de la Mothe

Nous donnons succintement les commentaires du sous-prieur des Célestins de Marcoussis (Mss. du XVIIe s.). « Ces messieurs les princes désirant avoir son trésor et le jeter du gouvernement de l'état, ordonnèrent à Messire Pierre des Essarts, prévôt de Paris de se saisir et s'assurer de sa personne de la conduire en prison au Châtelet et de leur en répondre jusqu'à nouvel ordre. Des Essarts qui ne se permettait pas moins que de remplir sa place en qualité de Grand Maître suivi de ses sergents et accompagné des seigneurs de Heilly, de Robais ou Ruppes et de Messire Roland de Vequergue qui lui furent adjoints par le duc de Bourgogne avec messire Basto de la part du roi de Navarre, aborda Montagu assisté de l'évêque de Chartres qui s'en allait entendre la messe à Saint Victor, et l'ayant envisionné de ses sergents tous en armes lui parla en les temps ».

Dans la suite de son texte, Simon de la Mothe reprend mot à mot ce qui avait été publié précédemment, s'inspirant du texte de Pijart. Le dialogue entre des Essarts et Montagu est repris. « La ville s'étant soulevée au bruit de cette surprise, se mit sous les armes, ce qui obligea le prévôt de monter promptement à cheval et de courir avec sa milice par les rues afin d'arrêter l'émotion en disant qu'il tenait celui qui trahissait le roi, qu'il en rendait bon compte en priant un chacun de s'en retourner chez soi à son logis ».

Le document officiel

La justice expéditive est confirmée par l'acte expédié par Pierre des Essarts pour notifier la mort de Jean de Montagu : « A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Pierre des Essars, chevalier, conseiller et maistre de l'hostel du roy nostre sire et garde de la prévosté de Paris, salut: Sçavoir faisons que l'an de grâce 1409, le lundi septiesme jour d'octobre, fut pris et emprisonné ès prisons du·dict seigneur au Petit Châtelet de Paris, messire Jehan, sire de Montagu, de son vivant chevalier, vidame de Laonnois, grand maistre d'hostel dudict seigneur, et “illec à cause de plusieurs crimes de lèse·majesté, délicts et autres maléfices par lui commis et perpétrés” : lui étant ès quelles prisons, il fut atteinct et convaincu d'aucuns d'iceux crimes de lèse-majesté comme autres, et pour ce fut condamné par sentence et jugements définitifs contre lui donnés et prononcés de nous par délibération du conseil, le jeudi dix-septiesme jour dudict mois d'octobre, à estre décapité ès halles de Paris, son corps estre mis et pendu au gibet, et tous ses biens, terres, seigneuries et possessions quelconques estant au royaume, adjugés et déclarés forfaits, acquis et confisqués au roy nostre sire. Et ce mesme jour de jeudy fust icelui jugement mis à exécution. En témoing de ce, nous avons fait mettre à ces lettres le scel de la prévosté de Paris. Ce fut fait le jour et an dessus dict. Ainsi signé : Choart, procureur ».

Trois jours après la mort du grand maître, le 20 octobre 1409 , les princes obtinrent du roi aliéné la signature d'une ordonnance contre les financiers, destinée à justifier leur conduite ; ordonnance un reste rédigée avec une profonde habileté, et bien propre à détruire dans l'esprit du peuple l'intérêt qu'avaient pu y faire naître les dernières paroles de Jean de Montagu. La continuation de l'histoire de Jean de Montagu nous en donnera la teneur.

À suivre…

Notes

(1) La Chronique du religieux de Saint-Denys: contenant le règne de Charles VI a été transcrite par Louis-François Bellaguet (Impr. De Crapelet, Paris, 1842). La partie consacrée à l'arrestation et la mise à mort de Montagu se trouve au tome IV, liv. XXX, ch. 14, p.267 et suivantes.

(2) Martin Gouges de Charpaignes, évêque de Chartres depuis 1406; et non pas Pierre V d'Ailly, cardinal-évêque de Cambrai, comme le prétendent quelques auteurs. On lit dans le Gallia Christiana à l'article de Martin Gouges : « captus est 1409 mense octobri cum Johanne Montagu et in cancerem detrusus, à qua paulo post, datà pecunià, exiit ».

(3) Malte-Brun fait une erreur (p. 62) en prenant le jeudi pour le 18 octobre 1409.

(4) La Chronique d'Enguerran de Monstrelet , tome II, publiée par L. Douët-d'Arcq (chez Mme veuve Jules Renouard, Paris, 1858).

(5) M. Vallet de Viriville, Chronique de la Pucelle par Guillaume Cousinot (Libr. Delahays, Paris, 1859), ch. CIV et CV, p. 127-128.

(6) Claude Bernard Petitot, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France , tome VII (Libr. Foucault, Paris, 1825), p. 247.

(7) C'est encore là sans doute une de ces erreurs volontaires que commet souvent l'historien bourguignon. Jamais, en effet, ni le duc d'Orléans, ni les enfants de Montagu, n'ont adressé au parlement le reproche d'avoir participé au meurtre de leur père.

dagnot/chronique35.06.txt · Dernière modification: 2020/11/12 04:31 de bg