Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La vie de Jean de Montagu (10) Les confiscations

Chronique du Vieux Marcoussy —————————– —- _————————— Novembre 2009

JP. Dagnot

C. Julien

Nous présentons le dixième volet de la vie de Jean de Montagu, seigneur de Marcoussis, qui fut condamné à mort et décapité le jeudi 17 octobre 1409 « sans le sceu et vouloir du roy » dit Dom Jacques Du Breul (1). Évènement dont le révérend père suggère d'abord être, par erreur, le 7 octobre quand il décrit le « service divin deub par les Célestins pour leurs fondateur et fondatrice », en ces termes « seroient tenus iceux Célestins dire par chacun an une messe solemnelle du S. Esprit et les jours de leurs trépas un obit solemnel et messe des trespassez. Ce qu'ils sont : à sçavoir pour ledict fondateur, la veille S. Luc 7 octobre, et pour ladicte fondatrice, le 24 juillet » (2).

Cette chronique couvre l'immédiate époque post mortem de Jean de Montagu, période de confiscation de ses biens par le roi et les princes du sang. Dès le lendemain de la pendaison au gibet de Montfaucon, ce fut la curée pendant que toute la famille était en fuite en Savoie. Le dauphin Louis reçut les seigneuries avec la clause de retour en cas d'absence d'héritier. « Et toutes les autres terres et biens quelzconques dudit Montagu furent aussi mises en la main du Roy au préjudice de ses enfans », dit Monstrelet.

Le duc de Guyenne

Arrêtons quelques instants pour décrire l'action du dauphin Louis , troisième fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière. Né le 22 janvier 1397, il est fait duc de Guyenne en 1401, duché érigé en pairie. Malgré son jeune âge, à cause de la frénésie de son père, il est nommé chef du Conseil du roi le 18 décembre 1409 ; mais sa mère et le duc de Bourgogne deviennent les vrais dirigeants du Conseil. Le jeune prince avait été accordé le 5 mai 1403 et marié le 31 août 1404 avec Marguerite de Bourgogne, fille aînée du duc Jean (3).

Le dauphin a été très sévèrement jugé par ses contemporains. Lourd, gros, d'une intelligence éclairée et cultivée, grand amateur de beaux livres et de bijoux, le duc de Guyenne entra en conflit avec son beau-père et fut obligé de s'appuyer contre lui sur les Armagnacs, tout en menant, cependant, une politique personnelle.

Avec l'aide du chancelier Jean Jouvenel des Ursins, il apparut véritablement sur la scène politique l'année suivante, au moment de la révolte cabochienne. Exerçant nominalement le pouvoir au nom de son père toujours malade, il doit faire face au soulèvement d'une partie des Parisiens menés les bouchers, agents du parti bourguignon. Pendant l'émeute parisienne du 27 avril 1413, la foule vint réclamer au dauphin les têtes des “ traîtres et dilapidateurs ”, en nommant en premier lieu celle de Pierre des Essarts. Répliquant qu'il n'avait pas de traîtres chez lui, le duc de Guyenne dut finalement céder et une liste de cinquante personnes à châtier fut lue sous la pression des émeutiers par son chancelier. Furieux, Louis se plaignit de cet affront au véritable instigateur de cette émeute, son beau-père le duc de Bourgogne. Mais ce dernier étant maître à ce moment de la capitale, le dauphin fut réduit à l'impuissance. Il fut ainsi contraint de s'entourer de conseillers bourguignons et de laisser ceux-ci mener des massacres dans la capitale.

Quelques mois plus tard, le dauphin appuya le retour au pouvoir du parti des Orléanais et Armagnacs. Ces derniers instituèrent une répression féroce à l'égard de tous les sympathisants bourguignons, à tel point que Louis se retrouva à nouveau le jouet des évènements. Considérant qu'il était retenu prisonnier au Louvre, il écrivit à Jean sans Peur à l'hiver 1414 pour lui demander de l'aide mais le duc de Bourgogne ne put rentrer dans la capitale.

Le 11 novembre 1409, la reine Isabelle qui redoutait le fouet du dompteur, accueille favorablement les avances de Jean sans Peur. Les relations entre le duc de Guyenne et son beau-père sont difficiles. On raconte l'altercation en plein Conseil entre le chancelier de France, Arnaud de Corbie et le chancelier de Guyenne, Jean de Nielles, dont tous savent qu'il a été placé auprès du dauphin par le duc de Bourgogne. Monstrelet dit qu'avant la fin de l'année, le dauphin avait son propre gouvernement « Et le jour Saint-Thomas [le 21 décembre] ensuivant, après ce que le Roy eut tenu estat royal oudit palais comme dit est, et festié honnorablement tous les seigneurs dessusdiz, la royne de France, par lui mandée, vint à ce propre jour du Bois de Vinciennes en la ville de Paris. A l'encontre de laquelle et du hault duc d'Acquitaine, son filz, alèrent tous les princes et prélats, acompaignez de très grant chevalerie et grant nombre de bourgeois de Paris, qui tous ensemble les conduirent et compaignèrent jusques au Palais. Et là, rendi ladicte Royne, au Roy, son seigneur, en la présence des ducs et autres princes, son filz dessusdit, lequel paravant avoit esté en son gouvernement, afin qu'il l'aprenist et l'instruisist en armes et autres besongnes neccessaires, pour mieulx savoir en temps avenir gouverner sa seigneurie quant besoing lui en seroit ». Par ses lettres datées du bois de Vincennes, 27 décembre 1409, le roi déclare qu'il n'entend rien changer à l'état de la maison de la Reine , bien qu'elle n'ait plus le gouvernement de son fils.

Le dauphin mourut dans l'indifférence le 18 décembre 1415 à dix-huit ans. Il est resté dans les mémoires comme un prince épris de paix « ce fut grant dommage pour le royaume ; car il avoit grant désir de tenir son peuple en pais », bien que les échevins parisiens aient prétendu que ce prince était obèse et de santé déclinante, signes de sa débauche et ses excès, « son corps estoit en très grand péril et dangier d'entrer et cheoir en débilité et feblesse de maladie ». Son frère cadet Jean, duc de Touraine lui succéda comme prétendant au trône de France.

Les suites de l'exécution

Bien qu'ayant eu de nombreux amis et alliés, le destin de Jean de Montagu ne résista pas à la haine du duc de Bourgogne et à son allié le roi de Navarre (4). « Dum celebrarentur consilia, ab amicis, id presagientes… », ses amis lui avaient conseillé de s'éloigner avec tous ses biens pour échapper à leur vengeance, dit le religieux de Saint-Denis. L'arrestation et la mort de Montagu s'apparentent à un coup d'état de Jean sans Peur , qui profitant du désarroi de la reine et ses conseillers devant la maladie incurable du roi, prit les rênes du gouvernement en éliminant le grand maître et ses amis.

Dès que sa tête tomba sur le billot du bourreau, les biens du grand maître furent mis sous séquestre et le patrimoine bientôt dépouillé. Trois jours après l'exécution de Montagu, le conseil du roi rendit une ordonnance, dans laquelle, après avoir récapitulé tous les désordres des finances, avoir accusé tous ceux qui les avoient administrées d'avoir malversé, « tous ceux qui approchoient le roi d'avoir obtenu de lui des grâces excessives », le conseil nommait les trois comtes de la Marche , de Vendôme et de Saint-Pol, avec un grand nombre d'officiers subalternes, pour revoir tous les comptes, et recouvrer tout ce qui avait été indûment dissipé.

Les commissaires aux comptes, les officiers du roi et les agents de princes se précipitèrent à Marcoussis « pour se partager le thrésor ». Le grand conseil prit des dispositions au nom du roi pour faire cesser « le grand désordre de sa maison et les pilleries et les larcins qui s'estoient commis en ses finances par ses officiers depuis son advènement à la couronne », dit Pijart. Malgré ce nouveau crime, les évènements tournèrent au profit du parti bourguignon, dont Monstrelet dit : « Les gens de guerre qui avoient esté mandez à venir autour de Paris, tant par le duc de Bourgongne comme par les autres seigneurs, furent licenciez et retournèrent chascun ès lieux dont ilz estoient venus, en mengant le povre peuple selon 1a coustume de adonc. Messire Guischard Daulphin fut par lesdiz princes constitué et ordonné à estre souverain maistre d'ostel du Roy ou lieu du défunct Montagu ».

Il faut dire le cynisme des princes du sang en citant le Religieux de Saint-Denis qui termine son récit par ces détails lugubres : « Nec silendum existimo quod duces prenominati sollempnes decuriones miserant, ut referrent ejus verba novissima ; qui mesti et lacrimosi redierunt, et multis sciscitantibus cur scelera tanti viri non fuerant publicata, retulerunt eum cunctis assistentibus affirmasse quod tormentorum violencia, qua et manus delocatas et se ruptum circa pudenda monstrabat, illa confessus fuerat, nec in aliquo culpabilem ducem Aurelianensem nec se eciam reddebat, nisi in peccuniarum regiarum nimia consumpcione ». C'est-à-dire : je ne peux omettre que lesdits ducs avaient député des seigneurs de la cour pour recueillir les dernières paroles du condamné ; ces seigneurs revinrent mornes et abattus. Comme on leur demandait pourquoi les crimes d'un si puissant personnage n'avaient pas été publiés, ils répondirent qu'il avait déclaré à la multitude, en montrant ses mains disloquées et son bas-ventre déchiré, que la violence des tourments lui avait seule arraché les aveux, et que le duc d'Orléans et lui n'étaient coupables que d'avoir trop prodigué l'argent du roi.

Dans la chronique anonyme picarde, nous lisons « De celle mort [de Jean de Montagu] fu le duc d'Orléans moult courouchiés, et ossy furent ceulx de son aliance, et par espécial le duc de Berry. Et ne demoura mie longuement que il ne monstrassent leurs corages et que il ne comenchassent la guerre. Et lors estaient à Paris le roy de Navare et le duc de Bourgoigne, qui gouvernaient le Roy et les grandes besoignes de son royaume. Dont les autres seigneurs avoient grande envie, et firent alliance les plusieurs contre ledit duc de Bourgoigne pour le, du tout, débouter du dit gouvernement de France. En ces alliances qui furent faictes à Gyen-sur-Loirre, auquel lieu furent tous les princes contraires audit duc de Bourgoigne ».

Selon un contemporain, trois jours après l'exécution de Montagu « la chambre des comptes fut suspendue pour laisser un pouvoir plus absolu à ces commissaires ; ils en profitèrent pour dépouiller tous ceux qui avoient eu part à la précédente administration, pour ôter leurs offices à tous ceux qui tenoient à la maison d'Orléans, et les donner aux partisans de la maison de Bourgogne. Les prisons étoient remplies d'employés destitués, auxquels on ne rendoit leur liberté qu'autant qu'ils déboursoient de grandes sommes d'argent. Le foible duc de Berri entroit en partage de cet argent, quoiqu'il fût arraché principalement à ses créatures. La reine, quoique en retour pour la concession de Marcoussis elle donnât son approbation à tout ce qui se faisoit, refusa de quitter Melun, où elle se fortifioit, et de revenir à Paris jusqu'à ce que le roi eût recouvré un peu de raison ». Le duc de Bourgogne engagea ensuite le roi à convoquer, pour les fêtes de Noël suivantes, une assemblée des États, ou peut-être seulement de la noblesse. On y compta huit ducs ou princes, dix-neuf comtes, et plus de dix-huit cents chevaliers ; mais les princes d'Orléans ne s'y trouvèrent point, non plus que le duc de Bretagne…

Un conseil fut tenu le 1er décembre 1409 au sujet du gouvernement du royaume. « Le roi étant revenu à la santé, les princes vinrent le féliciter, et l'étonnèrent fort en lui apprenant que le grand maître de sa maison, messire Jean de Montagu, qu'il avait toujours regardé comme le plus fidèle de ses serviteurs [quem semper fidelissimum reputaverat servitorem], avait été décapité en punition de tous ses méfaits » ; dit le Religieux de Saint-Denis.

Les confiscations

Moins de dix jours après l'exécution les biens sont confisqués par le pouvoir royal le 26 octobre 1409 . Plusieurs actes décrivent le transport de ces biens dans les mains du dauphin Louis. Dans son Histoire de Charles VI, publié en 1695, l'abbé de Choisy écrivit « Tous ses biens furent confisquez et donnez au Daufin, à condition d'être réunis à la couronne s'il venoit à mourir sans enfans ; mais le Roi lui permit par un brevet particulier de donner à la reine la terre de Tournenfuye prés de Melun, et celle de Marcoussy au duc Louis de Bavière. Le duc de Bourgogne croyoit la regagner par là. Le comte de Hainaut eut la maison de Paris, et la princesse Marie, fille du Roi, qui étoit religieuse à Poissy, obtint pour son monastère une petite terre voisine qui valoir quarante livres parisis de rente ».

Monstrelet dit que, le lendemain de l'exécution, le duc Guillaume, comte de Hainaut, qui auparavant avait été mandé par le duc de Bourgogne, vint à Paris et s'appropria l'hôtel Saint-Marcel de Jean de Montagu. « Et à sa venue, lui fut donné et octroié l'ostel dudit Montagu qu'il avoit dedens Paris, comme confisqué, avec tous les biens meubles estans dedens … Et se loga prestement ledit duc Guillaunme oudit hostel ». Rappelons que Guillaume IV de Hainaut était le beau-frère de Jean sans Peur.

Pijart nous donne la lettre du don fait au profit de Louis, duc de Guyenne et dauphin de Viennois, touchant la confiscation. « Charles par la grâce de Dieu, Roy de France, sçavoir faisons à tous présens et advenir, comme feu Jehan, seigneur de Montagu et de Marcoussis, chevalier, vidame de Laonnoys et grand maistre de nostre hostel ait naguerres esté exécuté en nostre ville de Paris pour certains grands cas de crimes de lèze majesté et autres par luy commis et perpétrés pour lesquels tous ses biens… nous sont forfaits, acquis et confisqués et venus et appliqués à nostre domaine. Nous considérant la grande affection et amour naturel qu'avons à nostre très cher et très amé aisné fils Louis duc de Guienne et Dauphin de Viennois qui aussi de droit naturel et devant tous autres doit servir et servira au plaisir de nous roy à la couronne de France et afin que dez maintenant il joüisse des villes, chastiaux et terre… Nous a iceluy nostre fils avons donné et transporté et baillé, donnons et transportons et baillons par ces présentes de grant spécial lesdites terres, chastiaux… si donnons en mandement à … et afin que ce soit ferme chose et stable à toujours nous avons faict mettre nostre scel à ces lettres, &c. Donné à Paris le vingt six octobre l'an de grâce mil CCCC et IX et de nostre règne le XXVème ainsi signé par le Roy, le comte de Mortaing et de Nevers, messire Jacques de Bourbon, le maître des arbalétriers, le sire de Boissy, le sire de Savoisy et autres présens ont signé par le chancelier ».

Le dauphin ne garde pas les terres et seigneuries confisquées au nom du roi. Le 2 décembre 1409, le roi donne pouvoir à son fils Louis de France, duc de Guyenne et dauphin de Viennois , de transporter et donner à Monseigneur Louis de Bavière, son oncle, le chastel et appartenances de Marcoussis par lettres extraites comme dessus dont la teneur suit. « Charles, par la grâce de Dieu roy de France, sçavoir faisons à tous présents et avenir comme par nos autres lettres… nous avons donné entre autres choses à nostre très cher et très amé ainsné fils Louis duc de Guienne daulphin de Viennois les chastellenie et seigneuries de Marcoussis avec tous les revenus…. Et il soit ainsi que nostre dit fils considérant le singulier amour que nostre très cher et très amé frère Louis duc de Bavière, a toujours et a monstré avoir à nous, à nostre très cher et très saincte compaigne la royne et à luy la proximité du lignage en quoy il luy atteint comme son oncle et aussi… et afin aussi qu'il ait aucune terre et domaine en nostre royaume à cause de laquelle luy et ses successeurs soient hommes vassaux et subjets de nous et de nos successeurs troys de France, iceluy nostre fils luy donneroit, transporteroit et delaisseroit volontiers les dites terres, chastel appartenances et appendances de Marcoussis. Au cas qu'il nous plairoit sur ce le auctorise et luy en donne congé et comme entendu avons sçavoir faisonsque nous en faveur de nostre dite compaigne de nostre dit ainsné et de et nostre dit frère de Bavière ; avons de nostre pleine puissance et authorité royalle, authorise et authorisons et par ces présentes luy donnons congé et pouvoir et authorise de pouvoir bailler, transporter et donner à nostre dit frère de Bavière son oncle et à ses hoirs masles présents et advenir nés et procréés de son corps en loyal mariage… les dites terres, châtel et châtellenie de Marcoussis avec toutes les adjonctions… si donnons en mandement à …. Et afin que ce soit faict choses stable à toujours nous avons fait mettres nostre scel à les présentes, &c. Donné à Paris le troisième jour de décembre 1409, et de nostre règne le trentième… et nous à ce présent transcript avons mis le scel de la dite présente, l'an et jour dessus, ainsi signé Paris ». Cette lettre fut vidimée le 31 août 1413 par Robert de la Heuze dit le Borgne, chevalier seigneur des villes de Châtillon, de Bellecombes, conseiller, chambellan du Roy et commis à la garde de la prévosté de Paris.

Arrêtons nous un instant pour signaler les erreurs d'auteurs. Monstrelet, André du Chesne et Malingre ( Antiquités de Paris , liv. 6, ch. 1), se trompent en attribuant le prénom de Guillaume au duc de Bavière. Ajoutons qu'à cause de ce don, Monstrelet l'appelle aussi duc de Marcoussy (liv. 1, ch. 88). En outre, Simon de la Mothe donne la date du 20 octobre pour la publication des lettres patentes « de Charles VI adjugeant toutes les confiscations dudit Montagu à son fils aîné Monseigneur le duc de Guyenne, dauphin de Viennois ». Il est surprenant que Malte-Brun introduise les mêmes erreurs dans son Histoire de Marcoussis .

Les transports du Dauphin

Suite au pouvoir ci-dessus, le duc de Guyenne transporte les « chastiau, terre et dépendances de Marcoussis à Louis comte palatin du Rhin, duc de Bavière » par lettre extraite du même registre. Les lettres commencent par rappeler le don que le Roi, son père, lui a fait des biens confisqués sur Jean de Montagu, en date du 26 octobre 1409. Le Dauphin donna la terre de Marcoussis , qui faisait la portion importante de cette confiscation, à « son très cher et très amé oncle, Loys, conte Palatin du Rhin, et duc en Bavière, frère germain de Madame », c'est-à-dire la Reine , par lettres du mois de décembre 1409.

« Louis, aisné fils du roy de France duc de Guienne et daulphin de Viennois, sçavoir fesons à tous présents et advenir que comme par certain juste tiltre et don de Monseigneur, nous soit naguerre venus et entre autres choses et nous competer et appartiendre les chatel, chastellenie, terre, seigneurie de Marcoussis, fiefs… nous considérant les très grands, notables et loyaux et agréables services que nostre très cher et très amé oncle Louis comte palatin du Rhin, duc de Bavière, frère germain de ma Dame… et pour plusieurs autres justes causes et considérations à ce nous moyennant et par tiltre des lettres du pouvoir authorité, congé et licence à nous donné par mon dit Seigneur desquelles la teneur s'ensuit Charles par la grâce, &c., cy dessus iceluy nostre oncle pour luy et ses hoirs masles présents et advenir nés et procréés de son corps en loyal mariage et aux hoirs masles par l'ordonnance de bouche de mon dit seigneur en la présence et du consentement de ma dite dame et par l'advis, conseil et murie délibération de nos très chers et très amés oncles et cousins de père, le roy de Navarre, les ducs de Berry et Bourgogne… avons donné, octroyé, baillé et délaissé et transporté et par les présentes de nostre grâce espéciale, donnons, octroyons, baillons et délaissons, cédons et transportons à toujours mais perpétuellement les dites terres, chastel et chastellenie de Marcoussis avec toutes les adjonctions et acquisitions… resibués à mon dit seigneur et à ses successeurs, les foys et hommages souveraineté et ressortis deübs et accoutumés dudit chastel terre et seigneurie de Marcoussis, et des choses dessus dites et le retour d'icelles à venir à nous ou à nos hoirs au cas déclaré et d'iceux chastel, terre et seigneurie de Marcoussis ses adjonctions et autres choses dessus dites. Nous desaississons, devestons et délimitons au profit de nostre oncle et l'en revestons et saississons par le bail à tradition de ces présentes, par la manière dessus dite voulant et consentant qu'il en soit mis et reste en bonne possession et saisine, foy et hommage ou il appartient, donnant en mandement, &c. Donné au bois de Vincennes au mois de décembre l'an 1409, ainsi signé par mon dit seigneur le duc et dauphin, le roy de Navarre, Messeigneurs les ducs de Berry et de Bourgogne, les comtes de Hainaut et de La Marche et plusieurs autres présents ».

Un autre don est fait le 11 décembre 1409, par le dauphin Louis à sa sœur Marie de France, religieuse à Poissy, du fief de Montagu , patrimoine familial du grand maître. « Loys ainsné fils du roy de France duc de Guienne et Dauphin de Viennois, etc… Laquelle confiscacion Monseigneur nous a donnée, nous considérant la très grant affeccion et amour naturelle que nous avons et devons avoir à nostre très chière et très amée suer, Marie de France, religieuse de Poissy, et que entre autres choses ledit feu Jehan de Montagu avoit un hostel nommé l'ostel de Montagu, avecques un petit fief nommé le fief d'Aumont, avecques deux arpens de vingue, six arpens de prez, un pou de terres labourables, et les bois appartenans audit hostel, séans à demie lieue ou environ dudit lieu de Poissy ; lequel hostel, fief, appartenances et appendances dessus dictes pevent valoir chascun au quarante livres parisis ou environ. Et lequel hostel, fief, appartenances et appendances dessus déclairées seroient bien propices à nostre dicte suer pour y faire de la nourriture pour le gouvernement de ses gens et serviteurs. Actendu regart à ce, et afin que nostre dicte suer ait mieulx et plus honnestement son estat et provision en ladice religion, à icellle suer avons donné, etc… Donné à Melun le onzième jour de décembre l'an de grâce M°CCCC° & neuf ».

Pijart nous dit que les religieux Célestins de Marcoussis pensèrent à faire échoir le procès de Jean de Montagu « ils poussèrent cette affaire si vivement que son innocence estant reconnüe sa mémoire fut restablie, ses biens restitués petit à petit, je crois à mesure que les détempteurs mouroient car Tournenfuy a demeuré à la Reyne jusqu'à sa mort , Marcoussis au duc de Bavière jusqu'en 1417 comme nous avons vû pour Marcoussis, mais non pas encore les dames religieuse de Poissy ont conservé le fief de Montagu jusqu'à nostre temps [XVIIe siècle] et ne l'ont rendu que depuis peu ».

Relevons une erreur de Guillaume Pijart. « J'ay rapporté tout cecy pour prouver que le dit Louis, comte, &c., a retenu et jouy de la terre et seigneurie de Marcoussis non obstant le rétablissement de la mémoire de Messire Jean de Montagu, jusqu'à sa mort qui est arrivée dans son château de Bouchain ou Bohain en octobre 1417 ». Malte-Brun reprit, sans la vérifier, cette assertion en faisant mourir le duc de Bavière en 1417 alors que celui-ci vécut encore une trentaine d'années (5).

Le 25 janvier 1410, Louis, aisné de France, duc de Guienne, daulphin de Viennois donne pouvoir à Regnault d'Angennes de faire à l'évesque et duc de Laon tel devoir de reconnaissance qu'il appartient et est tenu de faire à cause du vidamé de Laonnois comme il appert par une lettre de récépissé tirée comme ce ainsi Jean de Roucy, par la grâce de Dieu, évesque et duc de Laon, &c.

Le 26 janvier 1410, des lettres de récépissé sont données à Monseigneur d'Orléans pour partie de la terre de Germanie, pour Monseigneur de Guienne. « Jehan le Jay escuier bailly de monseigneur d'Orléans, en ses terres de Champagne et de Brie à tous ceux que ces présentes lettres verront, salut. Sçavoir faisons nous avoir aujourd'huy receu par la main d'Arnaud d'Orléans, foy défaut, procureur de Monseigneur de Guienne et dauphin de Viennois, les lettres patentes faites et distribuées du scel et contre-scel de Monseigneur de Guienne dont la teneur s'ensuit. Sçavoir faisons que comme Monseigneur nous a naguères donné pour nous et nos hoirs à toujours la consignation des terres à luy assignées et advenues par crime de léze majesté dont a esté rendu Messire Jehan de Montagu, autres terres et possessions et certaines parties et portions de la terre de Germanie, mouvant et tenant en fief de nostre très cher et très amé frère le duc d'Orléans… ».

Sur une lettre donnée à Paris le 5 mars 1410 le duc de Guienne et dauphin de Viennois, faict don à Elizabeth de Bavière, royne de France, sa mère, durant sa vie seule, du chastel et appartenances de Tournenfuye, scise près Melun. « Loys, ainsné filz du Roy de France, duc de Guienne et Daulphin de Viennois. A tous ceulx qui ces présentes lettres verront, salut. Comme par la forfaicture de feu Jehan de Montagu, en son vivant chevalier, qui nagaires pour certains grans cas par lui commis et perpétrez a esté exécuté, le chastel de Tournenfuye et ses appartenances, avec tous les autres héritages et biens quelxconques d'icellui Montagu, aient esté acquis et confisquez à nostre très redoubté seigneur et père, qui icelle confiscacion nous a donnée, Savoir Faisons, que nous considérant la très grant affection et amour naturelle que nous avons et devons tousjours avoir à nostre très redoubtée dame et mère, et que ledit chastel de Tournenfuye, qui aux causes dessus dictes nous appartient, est des fiefz des chastel et ville de Meleun que nostre dicte dame et mère par le don et octroy de nostre dit seigneur et père tient à sa vie. Par quoy icellui chastel de Tournenfuye et ses dictes appartenances lui sont bien duysans et convenables à tenir avec les diz chastel et ville de Meleun, mesmement qu'elle a grant plaisir de aller et fréquenter souvent audit lieu de Meleun pour soy y esbatre. Et voulans tousjours complaire à nostre povoir à icelle nostre dame et mère, et pour certaine science et grace espécial avons donné et octroyé, et par ces présentes donnons et ocytroyons ledit chastel de Tournenfuye avec tous les fiefs, justices, cens, rentres, terres, bois, garennes, vignes, prez, estangs et autres revenues quelxconques à icellui chastel appartenans et appendans, ensemble la plaine disposicion et institucion des officiers d'iceulx lieux, à avoir, tenir et posséder par icelle nostre dame et mère sa vie durant tant seulement. Si donnons en mandement à noz gens des comptes et trésoriers et à tous noz autres officiers et à leurs lieuxtenants et à chascun d'eulx, si comme à lui appartiendra, que notre dicte dame et mère, ou ses gens et officiers pour elle, sueffrent et laissent joir et user plainement et paisiblement sa dicte vie durant des choses dessus dictes sans lui mectre ou souffrir estre mis ledit temps durant aucun empeschement ou destourbier en quelque manière que ce soit. En tesmoing de ce, nous avons fait mectre nostre séel à ces présentes, sauf en autres choses le droit de nostre dit seigneur et père, de Lois, et l'autruy en toutes. Donné à Paris le IIIIe jour de mars, l'an de grâce mil quatre cens et neuf ».

Le trésor et les manuscrits précieux du grand maître

En même temps que ses biens étaient confisqués, ses joyaux, pierreries et autres meubles précieux furent transportés au Louvre, par ordre du duc de Guyenne, Louis, dauphin et chef du conseil de régence. Au reste, chacun profita un peu des dépouilles du grand maître. Ceux qui ne purent avoir une portion de ses terres se contentèrent de quelque meuble ou de quelque bijou. Et quand Charles VI, l'année suivante, dans un intervalle de raison, se plaignit amèrement de la mort violente de son plus cher et peut-être plus fidèle conseiller, le duc de Bourgogne lui mit devant les yeux la vaisselle de l'ancien grand maître, dans laquelle il était facile de reconnaître plusieurs pièces qui avoient appartenu à la couronne et que l'on avait dû fondre pour subvenir aux dépenses de la guerre. À ce sujet Paul Paulin-Paris écrivit en 1838 « Mais Jean de Montaigu , en préservant tant de pièces curieuses de la destruction, ne croyait-il pas mieux répondre aux intentions du roi qu'en suivant rigoureusement la lettre de ses ordonnances ? On comprend difficilement, en effet, que le grand maître eût pu jamais songer à faire considérer comme sa propriété des vases du plus grand prix, connus et inventoriés depuis un temps immémorial parmi les joyaux de la couronne » (6).

Les historiens ont reconstitué la liste de quelques 25 volumes ayant appartenu à Jean de Montagu ; Parmi les manuscrits français de la bibliothèque du roi, un volume intitulé « La cité de Dieu » traduite par Raoul de Praelles porte la référence n° 6838, décrit par « volume in-folio maximo, vélin, deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales du commencement du XVe siècle, relié en maroquin rouge, aux armes de France sur les plats ». Le grand maître fut le destinataire probable d'un exemplaire des Grandes Chroniques de France , ouvrage enluminé par l'artiste Philippe de Mézières, qui porte les armes de Jean de Montagu.

La première miniature mérite d'être regardée un instant. On lit à la fin du texte ces mots qui vont reporter notre attention sur le fait historique qui nous préoccupe : « Des livres de Marcoussy, pour Monsieur de Guyenne, mis au Louvre en garde ». Quoi qu'il en soit, le volume dont nous parlons, transporté de Marcoussy au Louvre, le 7 janvier 1410, par le secrétaire du duc de Guyenne, provenait certainement de la librairie de Jean de Montagu. On lit à la suite du catalogue du roi Charles V : « Ce sont les livres que noble et puissant prince monseigneur le duc de Guyenne, ainsné fils du roy Charles le sixième de ce nom roy de France, a envoiés en la librairie du roy nostre dit seigneur au Louvre, par Messire Jean d'Arsonval, confesseur et maistre d'escolle de mondit seigneur de Guienne. Et lesquels ont été receus et mis en ladite librairie par moy Giles Malet , maistre d'ostel du roy, nostre dit seigneur , et garde de la dicte librairie , le VII de janvier mil IIII cent et neuf » (7) . À peine entré dans la librairie du roi, on donna à l'exemplaire de la Cité de Dieu une autre couverture. C'est ce qu'atteste l'inventaire d'Antoine des Essars, terminé le 11 mars 1412.

Dès le 26 octobre 1409, le duc Jean de Berry, grand amateur d'art, ne perdit point de temps en envoyant son homme d'affaire à Marcoussis où les livres et les reliquaires étaient d'ailleurs la part qu'il avait acceptée dans les dépouilles de Jean de Montagu « bien qu'il eût été de ses meilleurs amis, et que sa mort lui eût causé beaucoup de déplaisir ». Le duc ne laissa pas de profiter de ses dépouilles, au moins indirectement, car il reçut des mains de Robert d'Étampes divers joyaux précieux.

Dans un inventaire de la librairie de Jean duc de Berry au château de Mehun-sur-Yevre dressé en 1416, nous lisons « Article XI. Un livre, ouquel est contenu tout le Psaultier et plusieurs autres oraisons parmi ledit Psaultier, et au commencement du second fueillet a escript : Saint Offerez; et couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers d'argent doré, esmailliés aux armes de feu messire Jean de Montaigu ; lequel livre fut dudit defunct, et l'envoya querir mondit seigneur après sa mort chez Fremin de Revelle, escrivain, demeurant à Paris, le xxvj e jour d'octobre 1409. Estimé 25 livres ».

Cependant, malgré cette espèce d'amende honorable faite à la mémoire de Montagu, plusieurs des objets précieux qui lui avoient appartenu demeurèrent longtemps encore entre les mains de ceux qui avoient profité de leur confiscation. En 1416 , le volume étoit encore à la librairie du roi, comme l'atteste l'inventaire dressé par Garnier de Saint-Yon, le 10 janvier 1416 [supplément françois, n° 178 (32) f° 63]. Vers la même époque, Jean de Berry, recommandait à ses héritiers, dans son testament du 17 juin, de restituer un joyau précieux qu'il avait mis dans ses coffres, et qui provenait de feu Jehan de Montagu . Témoignage irrécusable de l'opinion que le prince avait gardée de l'innocence du grand-maître. Mais, comme ce joyau du duc de Berry, les historiens pensent qu'enfin la Cité de Dieu aura été restituée à la veuve ou bien au fils de Montaigu. Ce qu'il y a de certain du moins, c'est que le volume a fait une longue absence de la librairie royale ; c'est que, transporté en Flandres, il devint la propriété du célèbre Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse , d'où il revint une seconde fois dans le cabinet du roi, à Blois, à Fontainebleau, et à Paris, rue La Harpe , rue Vivienne et enfin rue Richelieu. On voit que si l'expérience servait à quelque chose, le n° 6838 serait un monument fort respectable.

Ardent défenseur de Montagu, Lucien Merlet écrivit « Mais comment croire sérieusement·qu'il eût jamais pu songer à faire considérer comme sa propriété des vases d'un grand prix, connus et inventoriés depuis un temps immémorial parmi les joyaux de la couronne ? Et ne devrait-on pas, au contraire, le louer d'avoir prêté lui-même au roi sur ces gages précieux l'argent nécessaire à la guerre, plutôt que de souffrir que ces objets d'art passassent en des mains étrangères ? ». Thème que reprend Malte-Brun en insinuant que Montagu avait sauvé des pièces d'art « plutôt que de les livrer aux Juifs ou aux Lombards qui auraient pu les détruire ».

Monstrelet nous parle d'un banquet organisé en décembre 1409 par les princes en l'honneur du roi qui venait de recouvrer ses esprits. On y vit les vaisselles prises à Marcoussis. « Et là furent apportez grant nombre de vaisseaulx d'or et d'argent, en quoy autre foiz on avoit acoustymé de servir le Roy aux baultes festes. Lesquelz vaisseaulx long temps paravant n'avoient esté veuz, pour tant qu'ilz avoient esté engaigez pardevers Montagu, et les avoit en retrouvez après sa mort ou chastel de Marcoussis et ailleurs, où il les avoit fait mectre, et par l'ordonnance des princes du sang royal avoient esté raportez et remis en l'ostel du Roy, comme dit est ».

Les difficultés des Célestins

Le monastère des Célestins avait été élevé sur les neuf ou dix arpents distraits du domaine féodal de Marcoussis ; toutefois, le fondateur, Jean de Montagu, n'avait pas amorti ce bien-fonds. Aussi, à peine fut-il mort, que le monastère fut saisi en même temps que le château et les autres biens du Grand-maître comme dépendant de sa succession. À leur désespoir, les moines blancs regrettèrent alors vivement de ne l'avoir pas fait comprendre dans l'acte même de fondation avec l'amortissement de 600 livres parisis de rente. Les commissaires de la Chambre des comptes leur réclamaient les richesses que l'infortuné Grand-maître avait avoué « sous la question et la gehenne » être cachées à Marcoussis. Le religieux engagèrent des démarches et distribuèrent des présents, pour finalement obtenir, au mois d'août 1410, par lettre du roi Charles VI, que le couvent et ses dépendances ne seraient pas compris dans les biens saisis sur Jean de Montagu, et que les biens-fonds seraient amortis en leur faveur.

En droit féodal, l'amortissement était un droit que les mainmortables devaient au roi lorsqu'ils devenaient propriétaires par héritages ou succession. Nous croyons devoir expliquer la nature de ce droit. Les gens de mainmorte ne pouvaient pas vendre ce qu'ils avaient acquis ; le roi se trouvait ainsi frustré des droits de vente, comme seigneur suzerain, et l'amortissement servait à le dédommager. Il y avait trois sortes d'amortissements, le général, le particulier et le mixte. Le premier était accordé par le roi à tous les habitants d'une province, à tout le clergé d'un diocèse, à un prieuré ou chapitre, sans qu'on entrât dans le détail des biens. Le second était spécial et décrivait les confins de la propriété amortie. Le troisième ne permettait d'acquérir que jusqu'à la concurrence d'une certaine somme.

L'amortissement produisait plusieurs effets, entre autres celui de rendre les biens allodiaux, et exemptait les mainmortables de la taxe du ban et de l'arrière-ban. On comprenait sous le nom de mainmortables, les ecclésiastiques individuellement pour le temporel de leurs bénéfices; les communautés religieuses, les communautés d'habitants, les corps de marchands, les hôpitaux et les collèges. Le droit d'amortissement était ordinairement le cinquième du fief et le sixième du bien de roture; il ne se prescrivait pas, et était regardé comme un droit de la couronne , jus coronœ (8).

Le droit d'indemnité, qui était le même que l'amortissement , se payait au seigneur dans la mouvance duquel se trouvait l'héritage ; il se prescrivait par un laps de temps fixé différemment, suivant les coutumes (9).

Les dégâts collatéraux

Le duc de Bourgogne n'avait pas seulement imaginé la mort du grand maître, mais voulait également éliminer ses frères et ses proches amis. « En ce temps, l'arcevesque de Sens, frère audit grant maistre d'ostel, Guischard Daulphin et Guillaume, chevaliers, et maistre Gaulthier Col, secrétaire du Roy, par commandement du Roy furent envoiez à Amiens à rencontre des légaulx du roy d'Angleterre. Lequel arcevesque, assez tost aiant congnoissance de la prinse et emprisonnement de son dit frère, print congié à ses compaignons, si se parti d'Amiens ». Ainsi Jean III de Montagu réussit à s'échapper des griffes du Bourguignon et se réfugia à Blois chez le duc d'Orléans.

Guillaume, le seigneur de Tignonville, qui était du nombre des seigneurs de la chambre des comptes, fut arrêté audit lieu d'Amiens par le bailli d'icelle ville, « du commandement des princes dessus diz, et fut emprisonné eu l'ostel d'icellui bailli. Mais après ce, quant aux dessus diz évesque de Chartres et tous autres prisonniers à Paris, suspens et privez de leurs offices, furent caucionnez et eurent grace d'aler à Paris et ailleurs ». Perrin Pilot, marchant, et autres amis de Montagu, furent emprisonnés au Louvre et ailleurs. Quant à Le Borgne de Souchal, escuyer du Roy et garde de sa finance, « oy dire que le grant-maistre d'ostel estoit prins et mis en prison, il fut grandement esmerveillé et moult fut troublé et esmeu, pour quoy il se partit en habit desguisé, secrètement, sur ung moult léger cheval ».

Puis le chroniqueur continue de nous narrer les aventures de l'évêque de Paris « Messire Guischard Daulphin dessus nommé, fut par lesdiz princes constitué et ordonné à estre souverain maistre d'ostel du Roy ou lieu du défunct Montagu. Lequel Roy a donc estoit malade de sa maladie acoustumée. Et lors, l'évesque de Paris demanda et requist ausdiz seigneurs que par miséricorde en lui laissast oster le corps de son frère du gibet, suppliant et priant piteusement qu'il le peust ensevelir et enterrer. Mais ceste prière et supplicacion ne lui fut point accordée par lesdiz princes. Lequel évesque, oiant ladicte response, se rempli de grande vergongne pour la honteuse mort de son frère et pour la fuite de son autre frère arceveque de Sens, assez tost après se parti de son siège épiscopal, ayecques lui sa belle seur, femme d'icellui Montagu, et aucuns de ses enfans. Car le duc de Berry avoit pourveu d'un autre chevalier en l'office de sa chancelerie. Et ala en la terre de sa belle fille, assise en Savoie. Laquelle estait fille de sire Estienne de La Granche , jadis président en parlement, et frère au cardinal d'Amiens ».

Non content d'avoir éliminer son rival le duc de Bourgogne continua son œuvre néfaste pour le royaume, entraînant de nombreux princes du sang. « Après, pour ce que Le Borgne Foucault, qui fut appelé aux drois du Roy, ne vint ne comparu, il fut banny par les carrefours de Paris hors du royaume de France, au son de la trompète. Et pareillement fut banny l'archevesque de Sens, qui s'estoit rendu fugitif ; et plusieurs autres. En oultre, le roy de Navarre, les ducs de Berry, de Bourgongne et de Holande, les contes de La Marche et de Vendosme, frères, et plusieurs autres grans seigneurs, alèrent vers la royne de France et le duc d'Acquitaine, son filz, et leur remonstrèrent la cause pour quoy Montagu ayoit esté exécuté, et aussi quelle chose estoit à faire des inquisicions des arrestz et de la condempnacion des péchans et déclinans, et avec ce, de toute la réformacion du royaume. Laquelle Royne, en fin, fut assez contente que iceulx seigneurs poursuissent ce qu'ilz avoient encommencé, non obstant qu'elle n'estoit pas bien du tout contente de son beau cousin le duc de Bourgongne, lequel avoit si grant gouvernement et puissance ou royaume, et le doubtoit plus que tous les autres, jà soit qu'elle lui moustrast assez bon semblant par paroles ».

Le nouveau propriétaire de l'hôtel parisien du grand maître agit de même « Ouquel temps, le duc Guillaume, conte de Haynau, ala devers la royne de France, à laquelle il estoit prouchain parent, et qui se tenoit à Meleun, et tant traicta avec elle, qu'elle fut assez contente dudit duc de Bourgongne, lequel elle n'avoit pas bien, paravant, en sa grace ; et avoit paravant, fort soustenu sa partie adverse, c'est assavoir la partie d'Orléans ».

Après la mort du vieux duc de Bourbon en septembre 1410, les hostilités reprirent entre les Bourguigons et les Orléanais (ou Armagnacs). « Et est vérité que lors vint si grant nombre de gens d'armes au mandement du roy, environ Paris, et du duc de Bourgongne, qu'il n'estoit mémoire que de long temps paravant eus testé veue si grant armée… Et quant est à parler des maulx qui se faisoient par icelles gens de guerre, tant d'un parti comme d'autre, ilz ne se pourroient au long escripre. Mais pour vérité les églises et les personnes d'église, avec le povre peuple, furent pour ce temps fort oppressez ». Puis, les armées des Orléanais vinrent du dit lieu de Chartres jusqu'à Montlhéry pour se loger« à tout leur puissance en gastant fort le pays ». Le conseil du roi envoya la reine Isabeau de Bavière pour offrir ses bons offices dans l'établissement de la paix. « la Royne , par les devant ditz ducs et contes feust honnorablement receue, toutesfoiz elle ne demoura pas en leur exercice et assemblée, ains s'en ala au chastel de Marcoussis, qui n'est guères loing de Montlehéry, où elle fut avecques ses gens par moult de jours, à traicter avecques eulx ».

Après plusieurs jours, la reine « qui ne peut riens besongner en ladicte ambaxade » retourna auprès du roi. Et le lendemain les seigneurs quittèrent Montlhéry. Le duc de Berry alla en son hôtel de Vicestre [Bicêtre], le duc d'Orléans se logea à Gentilly en « l'ostel de l'évesque » et le comte d'Armagnac à Vitry.

Par ces confiscations, la veuve et les enfants de Jean de Montagu se trouvèrent presque sans ressources et dans l'impossibilité de poursuivre sa réhabilitation. Heureusement pour eux, les Célestins de Marcoussis se souvinrent des bienfaits de leur fondateur, et consacrèrent à soutenir l'honneur de sa famille les trésors qu'il leur avait autrefois donnés. Ainsi, ils vendirent deux statues, l'une de saint Jean-Baptiste, l'autre de saint Antoine, pesant ensemble dix x sept marcs et quinze esterlins d'or, avec les sous-pieds d'argent doré valant dix x sept marcs cinq onces, et une statue de sainte Anne pesant treize marcs d'argent.

À suivre

Notes

(1) Dans son Histoire de Marcoussis , Malte-Brun a introduit plusieurs erreurs. Il se trompe en donnant « le jeudi 18 octobre le prévôt alla signifier au grand maître sa sentence » pour le jour de la mort de Montagu (p. 62) ; puis « le duc de Bavière et comte de Hainaut, frère de la reine Isabeau », ce sont deux personnes distinctes. Guillaume IV de Hainaut, fils d'Albert 1er, duc de Bavière-Straubing était le beau-frère du duc Jean sans Peur (p. 67) ; « la mort du duc de Bavière arrivée en 1417 » alors que de nombreux actes donnent sa mort en 1447 (p. 75) ; etc.

(2) J. Du Breul, Le Théâtre des Antiquitez de Paris (chez Claude de La Tour , Paris, 1612) p. 1276.

(3) Monstrelet cite parmi les invités lors « des nopces du duc Anthoine de Brabant » en 1409, cite « les deux frères dudit duc, c'est assavoir le duc de Bourgongne et le comte de Nevers, et leur seur, femme du duc Guillaume, conte de Haynau, le conte de Charrolois et la contesse de Clèves, enfans dudit duc de Bourgongne ». Jean sans Peur, duc de Bourgogne depuis 1404, avait épousé, à Cambrai, en 1385, Marguerite de Bavière-Straubing, fille d'Albert 1er et de Marguerite de Silésie. Ils eurent un fils unique, Philippe III le Bon et sept filles dont Marie, comtesse de Clèves. Marguerite de Bourgogne, sœur de Jean avait épousé Guillaume IV comte de Hainaut, frère de Marguerite de Bavière. Né en 1396, Philippe III le Bon fut marié en 1409, à l'âge de 13 ans, à Michelle de Valois, âgée de 14 ans, fille du roi Charles VI, dont il eut une fille Agnès de Bourgogne.

(4) Le roi de Navarre était un prince capétien dont l'aïeule avait été écartée du trône par la loi salique. Charles III de Navarre, dit le Noble (1361-1425), était le fils de Charles II le Mauvais et de Jeanne de Valois (fille du roi Jean II le Bon). Il était le petit-fils de Philippe III d'Évreux, dit le Bon, roi de Navarre, fils de Louis d'Evreux (1276-1319), frère puîné de Philippe IV le Bel, et de Marguerite d'Artois. Philippe était à la fois le cousin du roi Louis X le Hutin et l'époux de sa fille Jeanne II.

(5) Le duc Louis VII de Bavière (von Bayern-Ingolstadt) était né le 28 décembre 1365, fils d'Etienne III de Wittelsbach et de Thaddia Visconti. Il mourut le 1er mai 1447 (et non en 1417 pour certains auteurs). En premières noces, il épousa, le 10 octobre 1402, Anne de Bourbon (1380-1408), fille de Jean 1er de Bourbon, comte de la Marche et de Catherine de Vendôme, veuve de Jean II de Berry comte de Montpensier, cousin germain de Charles VI. En secondes noces, il épousa, le 10 octobre 1413, Catherine de Valois ou d'Alençon (1395-1462), veuve de Pierre d'Evreux, infant de Navarre et comte de Mortain.

(6) Paul Paulin-Paris, Les manuscrits françois de la bibliothèque du roi , vol. 2 (Techener, Paris, 1838) p. 47 – Alfred Hiver de Beauvoir, La librairie de Jean duc de Berry au château de Mehun-sur-Yevre, 1416 (chez Aug. Aubry, Paris, 1855).

(7) Il faut entendre 1410, l 'année commençant à Pâques.

(8) A.P. Barginet, Histoire du gouvernement féodal (chez Raymond, Paris, 1825).

(9) Les gens de mainmorte étant ordinairement exemptés de l'hommage, ils faisaient rendre leurs droits de vassaux, par un laïque, que l'on appelait homme vivant et mourant.

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