Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Les erreurs historiques sur Marcoussis

Chronique du Vieux Marcoussy —————————– —- _————————— Novembre 2009

Le château féodal de Marcoussis (Coll. École d'horticulture d'Auteuil).

JP. Dagnot

C. Julien

Cette chronique a pour but de relever quelques erreurs que l'on rencontre dans les ouvrages relatant l'Histoire de Marcoussis et notamment celles commises par Malte-Brun et les auteurs qui l'ont plagié ultérieurement (1).

Lors de la publication du livre Histoire de Marcoussis de Malte-Brun, en 1867, plusieurs critiques littéraires donnèrent des avis élogieux. Dans un article publié dans le Bulletin du Bouquiniste C. Hippeau vantait les mérites du géographe en ces termes « voici sans contredit une de plus complètes et des plus intéressantes monographies qu'ait inspirées cette généreuse passion qui tire chaque jour de l'oubli les monuments épars de notre histoire nationale » (2). Le critique littéraire Charles Defrémery félicite également Malte-Brun tout en disant que l'auteur a profité du travail de Perron de Langres et celui de Lucien Merlet (3). Toutefois, le critique signale la belle exécution typographique de l'histoire de Marcoussis, « qui en fait un ouvrage digne des bibliothèques les plus élégantes ».

L'erreur historique

Il convient de débusquer l'erreur historique qui apparaît en de nombreux endroits. Citons un exemple parmi des milliers. Dans le catalogue des grands maîtres, publié par Jean Le Féron, en 1564, nous pouvons lire « Messire Jean de Montaigu, du temps du roy Charles sixiesme, mil quatre cens et cinq, et Charles septiesme, mil quatre cens neuf. Les Chroniques de Bretagne et Cousinot tiennent que le roy de Navarre feit alliance avec le duc de Bourgogne, et qu'ils feirent ès halles de Paris coupper le teste audit Jean de Montaigu ». Le lecteur notera l'erreur flagrante puisque Charles VII ne régna qu'en 1422, treize ans après l'exécution du Grand-maître. Il est triste de voir de telles erreurs reproduites d'auteurs en auteurs sans aucun esprit critique.

Charles Defrémery n'hésite pas à dire que, dans la première partie de son ouvrage, Malte-Brun a profité du travail spécial de Lucien Merlet, publié en 1852 dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes . « Il aurait pu trouver des renseignements curieux sur la mort de Jean de Montagu dans une notice d'Ameilhon sur un ancien manuscrit de la bibliothèque de la ville de Paris, actuellement conservé dans la bibliothèque de l'Institut (Notices et extraits des Mss., t. V, p. 617-619) », précise le critique littéraire.

Plusieurs erreurs typographiques sont faites par Malte-Brun comme la date de janvier-février 1850 au lieu de 1852 pour la biographie de Merlet (p. 401). « C'est sans doute par un lapsus calami qu'à l'avant-dernière ligne de la page 340 et à la ligne 12 de la page suivante, on lit le nom de la belle Arcita, au lieu de celui d'Emilia », nous dit Defrémery qui conclut son article par « On peut seulement regretter que ce volume présente quelques erreurs, la plupart faciles à corriger, ou qui ne sont, à vrai dire, que des fautes d'impression ». Mais, bien que l'édition comportât une douzaine d'errata, il y a plus… C'est ce que nous voulons présenter maintenant.

Le bourdon de Notre-Dame

Nous savons qu'en 1400 Jean de Montagu et son épouse firent un legs à l'église cathédrale de Paris pour acquérir un bourdon qui fut placé dans la tour sud nommée Jacqueline, du nom de la donatrice (4). Malte-Brun a reproduit textuellement (p. 39) une assez singulière erreur de Merlet relativement à la principale cloche de l'église métropolitaine de Paris en écrivant « cette grosse cloche fut refondue aux dépens d'un chapelain de l'église métropolitaine nommé Emmanuel ».

Le biographe de Jean de Montagu dit que cette cloche, originairement donnée à Notre-Dame de Paris par le fondateur du château de Marcoussis, fut refondue en 1681, comme le témoigne cette inscription : « Vocor a capitule Parisiensi Xua, prius Jacquelina Joannis de Monte-Acuto comitis donum… nunc Emmanuele duplo aucta ». Le mot Xua, dépourvu de toute signification, m'avait d'abord paru pouvoir être lu X na pour Christina ; mais après avoir vu la même inscription rapportée plus exactement dans divers autres ouvrages, notamment dans le Menagiana (édit. de 1715, t. III, p. 138). Il faut se convaincre que le mot en question n'est qu'une mauvaise leçon pour Quœ. Quant au mot Emmanuele, il ne vient qu'après nunc duplo aucta, et sous la forme Emmanuel, comme le premier des noms donnés à la cloche lors de son second baptême. Lucien Merlet n'ayant pas cité son autorité, n'ignore où il a pris la leçon qu'il donne et ce qu'il dit du chanoine Emmanuel, qui n'a peut-être dû l'existence qu'à une inscription mal transcrite comme celle, en 1765, de Gueffier dans la Description historique des curiosités de l'église de Paris .

Le mariage du fils de Montagu

Citons tout d'abord Malte-Brun à propos des noces du fils Montagu « Quelques temps après [1409], Marcoussis fut encore le théâtre de grandes fêtes, à propos de Charles de Montagu, fils du grand maître, avec Catherine, seconde fille du connétable Charles d'Albret », et de préciser dans une note en bas de page que « le mariage fut célébré en grande pompe à Paris le 4 septembre 1409. Charles d'Albret, comte de Dreux, descendait par sa mère Marguerite de Bourbon, du roi Saint-Louis ».

Cette assertion est complètement contradictoire avec ce qu'a écrit Enguerran de Monstrelet (vol. 2, p. 33) : « Item. Le pénultiesme jour dudit mois de juillet, furent faictes à Lmemeun, très solemnellement, les nopces de la fille du seigneur de Labreth, connestable de France, et de l'aisné fils Montagu grand-maistre d'ostel du Roy. Auxquelles nopces furent présens la royne de France et plusieurs grans seigneurs, et furent les despens, là, soustenuz et paiez de par le Roy, dont, en continuant, ledit Montagu encouru en grande indignacion et envie de plusieurs princes du sang royal ».

De nouveau, page 78, Malte-Brun nous parle du mariage de Charles de Montagu, prétendant que le Grand maître avait donné ses biens « en apanage, le 17 janvier 1404, lors de son mariage avec la fille du connétable d'Albret ». Cette assertion est incompréhensible.

La fin de Jean de Montagu

Parmi les épisodes les plus attachants du livre de Malte-Brun, on remarque surtout le récit de la fin tragique de Jean de Montagu. Malheureusement l'auteur a manqué de rigueur. C'est ainsi que dans le court dialogue du prévôt de Paris, Pierre des Essarts, avec Jean de Montagu, on a imprimé vous comparerez (vous paierez, vous serez puni). La leçon exacte, telle qu'elle est donnée par Monstrelet, est « mais durement comparrez les très grans maulx que vous avez commis et prepétrez »

Il est surprenant de lire les quelques lignes narratives de la mort de Jean de Montagu (p. 62) pour laquelle Malte-Brun n'a pas corrigé la coquille pour le jour de l'exécution « le jeudi 18 octobre, il alla signifier au grand maître sa sentence… ». Le religieux de Saint-Denis est précis sur les évènements d'octobre 1409 : « Die igitur decima septima hujus mensis, ad forum rerum venalium … ». Ce qui se traduit par : le 17 de ce mois, il fut conduit aux halles à son de trompe… Pour sa part, l'anonyme bourgeois de Paris écrivit « Et le XVIIe jour dudit moys d'octobre, jeudy, fut le dessusdit grant maistre d'ostel mis en une charrette… ». Enguerran de Monstrelet donne la même date pour la décapitation « le XVIIe jour du mois d'octobre, fist habiller et ordonner le peuple bien armé en la place Maubert et en plusieurs autres quarrefours et lieux, et puis fut mené ledit Montagu, ès halles, et là, lui fist-on trencher la teste… ». Nul ne peut nier que le 18 octobre est une erreur.

À la page 67, on voit une accumulation d'erreurs :

• «…tous les biens de Jean de Montagu furent confisqués, et par lettres patentes, en date du 20 octobre 1409, attribués au dauphin… ». Il faut lire 26 et non 20.

• nous lisons quelques lignes plus bas, après l'exécution de Jean de Montagu, « ses hôtels et maisons de Paris et du faubourg Saint-Marcel devinrent la proie de Louis, duc de Bavière et comte de Hainaut, frère de la reine Isabeau, qui s'y installa le lendemain même de l'exécution ». L'auteur fait une confusion entre le duc de Bavière et le comte de Hainaut qui sont deux personnes bien distinctes. L'un est le frère de la reine, et l'autre, issu d'une autre branche de la maison de Bavière, est le beau-frère du duc de Bourgogne, Jean-sans-Peur. Le vrai nom du comte de Hainaut alors régnant est Guillaume IV, ainsi qu'on le voit dans Monstrelet, et ce prince n'était qu'un cousin éloigné de la reine Isabeau. Le lendemain de la disparition de Montagu il vint habiter son hôtel. « Et se loga prestement ledit duc Guillaume oudit hostel », dit Monstrelet qui toutefois devient confus en le qualifiant de duc.

• puis, encore « les charges et offices de Jean de Montagu tombèrent aux mains de Pierre des Essarts ». Cette assertion est imprécise et rejoint celle qui prétend que Pierre des Essarts fut souverain maître d'hôtel du roi, ce qui est faux. Le successeur de Jean de Montagu dans cette charge s'appelle Guischard Daulphin. Par contre, Pierre des Essarts eut les charges de grand bouteiller de France en juillet 1410, de souverain maître des Eaux et Forêts en mars 1411, et surintendant des finances.

Le mariage de Loys de Bavière

Malte-Brun n'a pas manqué de reproduire l'erreur universelle du mariage du duc de Bavière avec la fille du roi Charles de Navarre. Et pour ajouter à notre désespoir, il écrit « son ami et son confident ». Quelle désastreuse assertion !!! Le roi de Navarre n'avait rien d'un ami pour le duc de Bavière, il était confident du parti adverse, celui du duc de Bourgogne. Quant à ce fameux mariage, ce ne fut qu'une proposition perfide du duc de Bourgogne pour rentrer dans les grâces de la famille royale après tant de meurtres commis. La politique de Jean sans Peur échoua lamentablement. « La ficelle était trop grosse » pourrait-on dire pour être trivial.

Veuf d'Anne de Bourbon qui lui avait donné deux enfants, Louis VII de Bavière épousa en secondes noces Catherine d'Alençon, veuve de Pierre de Navarre, mort dans l'expédition de Bourges l'an 1412. « … et brassèrent ung mariaige de la femme au conte de Mortaing, qui mort estoit, au frère de la royne, duc de Bavière, et estoit leur maleureuse intencion de faire leurs nopces loing et de emmener le roy… », dit le bourgeois de Paris. Les noces eurent lieu le 4 mars 1413, et en considération de ce mariage, les époux reçurent le comté de Mortain et la valeur de 2.000 écus en vaisselle d'or offerte par la reine Isabeau. Il semble que le don de la seigneurie de Marcoussis en forme de douaire soit une fable.

Ex libris d'un exemplaire de l'histoire de Marcoussis par V.-A. Malte-Brun.

La mort du duc de Bavière

Guillaume Pijart a entraîné nombre d'auteurs dans l'erreur ; les plagiaires ont été confondus . Louis VII de Bavière, frère de la reine Isabeau n'est pas mort en octobre 1417 ; de nombreux documents le prouvent. La réalité est que Louis le Barbu décéda le 1er mai 1447 au château de Burghausen. Rappelons le texte de Pijart : « J'ay rapporté tout cecy pour prouver que le dit Louis, comte &c., a retenu et jouy de la terre et seigneurie de Marcoussis non obstant le rétablissement de la mémoire de messire Jean de Montagu, jusqu'à sa mort qui est arrivée dans son château de Bouchain ou Bohain en octobre 1417 ».

Simon de La Mothe , sous-prieur de Marcoussis qui espionna et copia Pijart, écrivit : « La reine se maintient dans la jouissance de Tournenfuye jusqu'à sa mort qui arriva en 1435. Le duc Louis Guillaume de Bavière, son frère posséda Marcoussis jusqu'en l'année 1417 qu'il mourut sans enfants de son second mariage, pour lequel il lui était hipotéqué ». Les auteurs ont été abusés, sans doute, par une erreur de transcription entre 1447 et 1417. Mais, cette erreur se propagea sans vérification de la source historique. D'abord par la Biographie de Jean de Montagu de Lucien Merlet : « Quant aux biens de Jean de Montagu, ils furent restitués à ses héritiers, à mesure que les détenteurs moururent. Ainsi, Marcoussis, en octobre 1417, à la mort de Louis de Bavière », puis par Malte-Brun qui a repris ce texte « Le duc de Bavière resta en possession du domaine de Marcoussis jusqu'à sa mort, arrivée en 1417 ». Donc, il faut lire 1447.

D'autres documents valident la date de 1447 pour la mort de Louis de Bavière :

• selon l'auteur anonyme du Journal d'un Bourgeois de Paris , après la prise de Melun, le duc Rouge [Louis de Bavière, dit le Barbu, frère de la reine Isabeau] fit son entrée à Paris avec le roi, la reine et d'autres seigneurs, le 1er décembre 1420, « jour de Sainct Eloy qui fust à ung dimenche ».

• en 1429, Louis le Barbu commanda un projet de relief funéraire, couvercle de sarcophage, à Hans Multscher, artiste demeurant à Ulm.

• le duc, ayant approuvé le projet, en demanda l'exécution en 1438 et fit venir à cette fin, d'Ingolstadt, une grande plaque de marbre rouge.

• en 1434, Louis de Bavière, duc d'Ingolstadt, obtient sa grâce en donnant de l'argent à Sigismond après avoir été est mis au ban de l'empire à cause de la tyrannie exercée sur ses vassaux.

• en 1435, le duc Louis VII de Bavière-Ingolstadt employa Ulrich Riederer comme procureur auprès de la Curie romaine, chargé de défendre les droits du Bavarois.

La thèse du décès en 1417 est ainsi battue en brèche !!!

Les observations vétilleuses

Parmi les observations bien vétilleuses, comme les nomme Defrémery, nous pouvons citer :

• à la page 17, on lit le bourg de Montlhéry fut entouré de murailles en 1540, sous le règne de Henri II. Par malchance pour l'auteur, c'est le roi François 1er , qui signa les lettres patentes du 9 juillet 1540 ; il régna jusqu'à sa mort le 31 mars 1547.

• Malte-Brun nous dit (p. 43) « Jean de Montagu aurait obtenu du duc de Berry, son suzerain, de faire rapporter à Marcoussis tous les fiefs qu'il possédait dans l'étendu de la châtellenie de Montlhéry ». C'est une erreur, car le duc de Berry n'était pas le suzerain à Montlhéry qui était une châtellenie royale depuis 1118 et avait été engagée au profit du connétable Olivier de Clisson en 1382.

• à la page 46, on lit à propos de l'église paroissiale reconstruite par Jean de Montagu « l'église ou plutôt l'antique chapelle du prieuré de Saint-Vandrille… ». Il y a uns confusion tout au long des chapitres à ce propos. Au début du XVe siècle, l'église n'était pas une chapelle, mais un vaisseau semblable au sanctuaire définitif (cf. les chroniques “L'église Sainte Marie-Madeleine de Marcoussis”).

• à la page 84 on lit que Jean Malet, IVe du nom et septième sire de Graville, avait fait partie, en 1407, de l'ambassade envoyée en Angleterre pour négocier le mariage d'Elisabeth de France avec Richard II. Mais il doit y avoir ici une erreur de date, car le mariage de Richard II avec Isabelle de France fut conclu en 1396.

• deux pages plus loin (p. 86, ligne 23) le nom de Jacqueline de la Grange a été substitué par inadvertance à celui de sa fille, Jacqueline de Montagu.

• François 1er , avant son avènement au trône, n'avait pas le titre de duc (p. 97), mais seulement celui de comte d'Angoulême, ainsi qu'il est appelé exactement plus loin (p. 103).

• à la page 141, le nom de Marie de Médicis a été remplacé fautivement par celui de Catherine.

• dans la note de la page 250 une légère faute d'impression a substitué au nom de « de Lessart », ancien ministre de l'intérieur (et des affaires étrangères), le nom plus connu de Delessert.

• enfin, il n'est pas très-exact de dire (p. 226) que la mort de la comtesse d'Esclignac, dans les premiers jours de février 1790, eut lieu au moment où l'assemblée nationale allait décréter l'abolition des titres et des privilèges. En effet, ainsi que chacun le sait, cette abolition fut prononcée dans la nuit du 4 août 1789, c'est-à-dire six mois avant l'époque indiquée.

• une observation moins vétilleuse que les précédentes concerne la filiation de Jean V Malet, époux de Jacqueline de Montagu (p. 85). Son père ne fut pas Jean IV Malet, mort avant 1380, avec qui s'éteignit la branche aînée, mais Guy Malet, mort à la bataille de Verneuil en 1424, fils de Robert Malet , seigneur d'Ambouville qui a eu des démêlés avec le pouvoir royal à cause de sa fidélité au roi de Navarre.

• l'erreur sur Pierre des Essarts commise par Simon de la Motte est reprise page 77. En effet, Pierre des Essarts avait été nommé prévôt de Paris le 30 avril 1408 au lieu et place de Guillaume de Tignonville et prêta serment en séance de Parlement. Il fut déposé le samedi 8 novembre 1410 par le roi au profit de Bruneau de Saint-Clair qui remplit les fonctions de prévôt jusqu'au 12 septembre 1411. Revenu aux affaires, Pierre des Essarts resta prévôt jusqu'au jeudi 16 mars 1412. Robert de La Heuze , dit Le Borgne, fut nommé ensuite prévôt de Paris.

Enfin nous donnons la dernière objection du critique littéraire. On fera bien de rapprocher de la portion de l'ouvrage de Malte-Brun relative à l'amiral de Graville et à sa famille, un chapitre intéressant de M. Le Roux de Lincy, dans sa Vie de la reine Anne de Bretagne, Paris, L. Curmer, 1860, in-8°, t. II, p. 114 à 141. L'historien de Marcoussis ne parait pas avoir eu connaissance de cette belle publication, où il aurait trouvé, entre autres détails curieux, la relation du procès soutenu devant le parlement par Jeanne de Graville contre son second mari, René de Milly, seigneur d'Illiers (ibid., p. 124, 125). Malte-Brun n'a mentionné ce procès que pour dire (p. 109) que l'on n'en connaissait pas les résultats; assertion contredite par les registres du conseil, cités par M. Le Roux de Lincy.

Notre-Dame de Grâce

Le chef d'œuvre de Marcoussis est sans contestation, la magnifique statue de la Vierge à l'Enfant attribuée à Jean de Cambrai que l'on peut admirer aujourd'hui dans l'église paroissiale Sainte Marie-Madeleine. Cette Madone a été décrite initialement par Simon de la Motte (chap. IX). C'est la narration de la bénédiction du couvent des Célestins de Marcoussis par l'évêque de Poitiers, frère du fondateur Jean de Montagu, le 17 avril 1408. Ce texte fut repris in-extenso par Malte-Brun « Et ainsi l'église étant pourvue… d'une image de Notre-Dame de marbre en albâtre blanc de 6 pieds de haut, d'une autre image de Notre Dame de Pitié, des bienfaits du duc de Berry » (p. 54). La présence du duc de Berry à Marcoussis n'est pas un hasard. Nous savons les liens étroits qui unissaient le grand-maître à l'oncle du roi. Depuis 1401, ces personnages siégeaient au conseil du roi ; Jean de Berry était un homme paisible et avait une sensibilité orléaniste ; avant d'être nommé évêque de Paris en 1409, Gérard de Montagu avait été également le chambellan du duc. Après l'assassinat du duc d'Orléans Jean de Montagu s'était même mis sous la protection du duc qui lui avait proposé d'échanger Marcoussis contre une place inexpugnable dans ses terres d'Auvergne.

Il est curieux que Malte-Brun ait repris les paroles de Simon de la Motte “pour argent comptant” sans aucune critique de sa part. La Vierge de Marcoussis mesure 1m75 qui font 5 pieds 1/3 et non 6 pieds de haut. D'autre part, qu'est-ce que cette « autre image de Notre Dame de Pitié » ? Mais il y a pire.

À la page 169, nous lisons à propos des profanations de 1562 « Nous citerons plus particulièrement une belle statue de Notre-Dame-de-Grâce donnée aux Célestins sans doute par la dame d'Amboise ; en 1536, les soldats huguenots qui la cherchaient, fouillèrent la terre assez près d'elle pour casser un doigt et l'enfant Jésus ; néanmoins ils ne la découvrirent pas; ce qui fut considéré comme un miracle ». Il s'agit bien de la même statue, celle qui est actuellement conservée en l'église de Marcoussis : Notre-Dame-de-Grâce qui présente bien la particularité de l'enfant Jésus au doigt cassé . Outre ces erreurs de la donatrice et de la date de 1536 (il faudrait que le point-virgule soit placé après cette date), le célèbre géographe ajoute une erreur supplémentaire, suite logique de la précédente en prétendant que la Vierge de Marcoussis « est en marbre blanc et le style accuse le commencement de la Renaissance … ». Certes la sculpture a été créée avant la Renaissance , avant 1408, qui n'est pas à proprement parler le commencement de la Renaissance française.

La démolition du château de Marcoussis

Pour comprendre la situation du château de Marcoussis et celle du couvent des Célestins pendant la révolution, nous devons évoquer le nommé Jean Dioudonnat, « entrepreneur de ponts et chaussées », qui au début de la Révolution demeurait à Longjumeau (cf. la chronique “Les Dioudonnat”). Cet homme fut un des “ vandales du patrimoine français ” que généra la Première République, mais peut-on lui en vouloir, puisque le gouvernement de l'époque voulait la destruction de tous les biens qui rappelaient l'Ancien régime (5).

Au chapitre IX « La Révolution à Marcoussis » (p. 243), Malte-Brun nous explique que le marquis Armand-Marc-Jacques Chastenet de Puységur, militaire et disciple convaincu de Mesner sut ce montrer également philanthrope. « C'est lui qui fit abattre le vieux château de Mrcoussis », dit le géographe en commettant une nouvelle erreur. Erreur reproduite à l'infini par de nombreux “historiens en herbe” « Armand de Puységur fit abattre vers 1805 le vieux château de Montagu, pour éviter, semble-t-il, sa transformation en prison d'Etat ».

Il semble que cette dernière fable fut introduite par l'instituteur dans sa monographie « en 1804, le marquis Armand de Puységur, propriétaire de la forteresse, ayant appris qu'on en voulait faire une prison d'État, la fit raser !!! ». On ne peut que louer une telle intention humaniste, mais, semble-t-il, la réalité est beaucoup plus mercantile. La démolition des bâtiments féodaux était d'un rapport très lucratif. De plus, les récupérateurs de matériaux satisfaisaient les obligations du gouvernement. On se souvient que le 29 vendémiaire an 2 (20 octobre 1793) qu'une lettre adressée par le citoyen procureur syndic du district de Versailles transmettant les dispositions « d'un arrêté pris par le Comité de Salut Public de la Convention Nationale le 26 aoust dernier pour faire assembler dans le plus court délai tous les fers provenant des édifices nationaux ainsi que tous les autres fers inutiles au service du citoyen, en conséquence il autorise à prendre toutes les grilles des maisons nationales ainsi que toute autre sorte de fer qui sont inutiles, les grilles des églises, celles des cimetières, et celles qui pourraient se trouver dans les anciennes maisons religieuses, les grilles des maisons et jardins des citoyens ainsi que les ferrailles qui leur sont inutiles et enfin tout le fer qu'il sera possible de rassembler, la même lettre charge également de rassembler tous les cuivres qui sont dans les maisons des émigrés et de faire parvenir le tout transporté à Versailles pour être réuni à sa destination ».

Nous avons vu (cf. la chronique “ La fin du château de Marcoussis ”) que sous la Révolution les administrateurs district de Versailles avaient confisqué le domaine de Marcoussis pour le diviser en cinq lots dont trois demeurent dans les mains de la Nation. Depuis 1792, le château avait été pillé, au début du XIXe siècle, les Domaines estimaient qu'il n'a plus de valeur locative « les parquets et boiseries ont disparu » . En 1801, un des lots restants est attribué à Antoine-Hyacinthe Chastenay Puységur , officier de marine, revenu d'immigration en 1802 (6).

À cette époque, Antoine-Hyacinthe rencontre Jean Dioudonnat, entrepreneur des routes nationales qui demeure à Marcoussis. Les deux hommes font des affaires, Puységur a besion d'argent, Dioudonnat est un marchand qui dépouille tous les domaines de la région, activité encouragée par les gouvernements depuis 1791. Dans un premier, nous assistons à la vente de treize hectares de bois, friches et roches, dits des bois de Monsieur, moyennant 5.000 francs, puis nous arrivons au temps de la démolition du château.

Nous sommes alors sous le premier Empire, Dioudonnat est très actif à la démolition des bâtiments des Célestins ; il est raisonnable de penser qu'une transaction sous seing privé fut passée entre les deux hommes pour la démolition du château de Marcoussis, pour en faire une carrière de matériaux de construction. Cette opération commença plusieurs mois avant le décès d'Antoine-Hyacinthe qui survint en 1809.

Nous pouvons conclure qu'il n'y a aucune ambiguïté, Armand Chastenet de Puységur ne fut jamais le propriétaire du château de Marcoussis, mais Antoine, son frère . Finalement, la destruction de la forteresse de Montagu ne fut pas totale. Nous ignorons la cause de la cession des travaux ; pour le plus grand bonheur des archéologues, quelques vestiges subsistent dont une des tours orientales et le socle du château avec les éléments de la Motte de Marcoussis.

La profanation des sépultures

La crise économique et l'effort de guerre obligèrent le gouvernement révolutionnaire à organiser la récupération des métaux de toutes sortes. Dès le 24 juin 1791, un décret est publié pour résoudre la crise de la petite monnaie « Il sera incessamment fait une même monnaie en sous et demi-sous, coulée avec le métal des cloches étant à la disposition de la Nation et le comité des Monnaies est chargé de présenter les moyens d'exécuter le présent décret ». L'armée réclame des métaux de toutes sortes ; on a besoin de métal pour les canons, du plomb pour fabriquer les balles, du fer pour les fusils, etc. Et l'on chantait :

Cousons, filons, forgeons bien…

Soldats de la République,

Vous n'manquerez de rien.

Au mois de juin 1792, la municipalité de Marcoussis entreprend de dresser l'inventaire du couvent des Célestins. Le monastère resta la propriété de l'Etat comme le montre la lettre, datée du 7 septembre suivant, du ministre de la Guerre qui propose d'y établir un dépôt de chevaux destinés à la remonte de l'armée.

Après les évènements parisiens du 10 août 1792, le démantèlement du couvent des Célestins de Marcoussis est organisé par la municipalité, encouragée par un décret du gouvernement ayant octroyé aux municipalités un seizième des fonds pris sur la vente des biens nationaux. C'est alors que la profanation des sépultures seigneuriales commença. Afin d'assurer le “transport de matériaux” , de la fin septembre à la mi-décembre 1792, le maire de Marcoussis encourage un certain nombre de personnes en offrant des pintes et chopines de vin, et du pain. Le chaudronnier du village est rétribué pour la fonte de plomb, et deux autres personnes sont payées « pour avoir vidé tous les cercueils, également des chopines pour ceux qui ont vidé les os » .

Le 11 décembre suivant, la municipalité de Marcoussis organise une “ vente aux enchères du plomb lui appartenant ”. Le métal est pesé le 19 du même mois. On récolta 3.124 livres de plomb qui furent adjugées pour 871 livres tournois. Le site était désormais “nettoyé” prélude à la vente du monastère qui interviendra quelques années plus tard.

Malte-Brun commet également une erreur à propos de la profanation des sépultures du couvent quand il dit : « Plus tard, lorsque les bâtiments du couvent eurent été évacués, ils furent acquis comme bien national par Dioudonnat, de Versailles, qui les fit démolir. Le fer et les plombs furent vendus à un marchand de ferraille de Montlhéry nommé Guillaume ; ce fut lui qui acheva la profanation du monastère… ». Et de donner un témoignage oral d'un ancien de Marcoussis qui lui aurait préciser l'ouverture des cercueils de plomb « Aidé de quatre ou cinq hommes, le sieur Guillaume les faisait ouvrir… ». “Cerise sur le gâteau”, le célèbre géographe ajoute alors une information surprenante : « Ce que le sieur Guillaume retira de plomb dans cette sacrilège spéculation paya bien au-delà le prix d'acquisition du couvent et de ses dépendances ». Ceci est ridicule quand on sait que le domaine fut adjugé en 1798, pour 1.170.200 francs. Il aurait fallu vendre des milliers de tonnes de plomb pour atteindre cette somme (7).

De nouveau, nous devons conclure qu'il n'y a aucune ambiguïté. La profanation des sépultures ne fut pas effectuée par Dioudonnat et son complice Guillaume, mais organisée en 1792 par la municipalité de Marcoussis . Il a y a une impossibilité flagrante puisque le monastère des Célestins, déclaré propriété nationale, fut mis en vente le 28 prairial an VI (17 juin 1798). Déjà les ornements et les objets de prix demeurés dans l'église avaient été transférés à Versailles.

La commanderie du Déluge

Une des erreurs les plus répandues concerne le Déluge. Un certain nombre d'auteurs ayant traité le sujet ont déclaré cette commanderie comme “Templière” . Malte-Brun n'a pas été le dernier pour colporter que le Déluge avait été démembré de la paroisse de Marcoussis. Nous lisons, page 29 « le Déluge avait appartenu d'abord aux Templiers, puis octroyé en 1311 aux Hospitaliers après suppression de l'ordre rival ». Puis, page 301 et suivante : « Il est probable qu'un des anciens seigneurs du Déluge l'abandonna aux Templiers », dit-il. On remarque que l'auteur doute d'abord, mais est très affirmatif par la suite « Les Templiers y entretenaient un maire ou major principal officier de l'Ordre, auquel on assignait ce domaine pour retraite », et encore « Ce sont les Templiers qui élevèrent la chapelle qui sert aujourd'hui de grange à la ferme… »..

Un auteur plagiaire est même allé jusqu'à narrer l'arrestation, par des officiers royaux, des prétendus Templiers du Déluge, le fameux jour du 13 octobre 1307 ! Du roman et encore du roman… bien loin de la réalité historique !!!

Nous ne reviendons pas sur l'histoire du Déluge qui a été traité précédemment (cf. la chronique “ Les frères hospitaliers du Déluge ”). Toutefois, signalons que les frères de l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem avaient de nombreux biens dans la région. Nous les trouvons en 1303 lors de l'achat d'une partie de la seigneurie de Linas. Dans un acte latin, daté de 1232, il est fait mention de “ magister de Diluvio ordinis Hospitalis Jerosolimitani” soit maître du Déluge de l'Ordre hospitalier de Jérusalem. Vers 1242, un second document latin nous apprend que Guillaume (d'Upton) est commandeur du Déluge, de l'ordre de l'hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, et accepte l'amodiation (bail à ferme) faite par l'abbaye de Saint-Magloire de la moitié des dîmes du Déluge et autres lieux, moyennant une rente annuelle de 29 setiers de grain, sur la grange dîmeresse de Briis.

Espérons que ces erreurs sur Marcoussis cesseront d'être propagées…

Notes

(1) V.-A. Malte-Brun, Histoire de Marcoussis, de ses Seigneurs et de son Monastère (Aug. Aubry, Paris, 1867) Petit in-8°, xij-418 pages et 3 planches. – Nous tairons les noms des plagiaires, ce serait leur faire trop d'honneur en les citant.

(2) C. Hippeau, Bulletin du Bouquiniste , n°251 du 1er juin 1867 (chez Aubry, Paris, 1867) - Ch. Defrémery, Revue Critique d'Histoire et de Littérature , n° 20 du 18 mai 1867, publiée sous la direction de P. Meyer (Libr. A. Franck, Paris) p. 307.

(3) Perron de Langres, L'Anastase de Marcoussis (Paris, 1694) – L. Merlet, Biographie de Jean de Montagu , publié dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. III, 3 e série, 1852.

(4) Le bourdon de Notre-Dame, du nom d'Emmanuel, se trouve dans la tour sud. Il pèse 13 tonnes, le battant pèse 500 kilos. Installé en 1686, il remplaçait l'ancien bourdon Jacqueline. Le bourdon sonne en fa dièse ainsi qu'en atteste le récit d'Ernest Laut (extrait du Petit Journal Illustré du 19 avril 1908).

(5) Il faut toutefois distinguer les destructions à proprement parler révolutionnaires et celles qui ont eu lieu sous la Révolution. Dès 1790 avait été mise en place une commission des monuments historiques pour éviter les déprédations, ce qui a été assez peu efficace ; la commission a été suspendue en 1793, en partie parce qu'elle avait déconseillé la destruction des sépultures royales de Saint-Denis.

(6) Une loi d'amnistie avait été votée sous le Consulat au profit des émigrés. Un arrêté du 3 floréal an XI (23 avril 1803) émanant « du gouvernement de la République rend aux parens républicoles, à compter du 1er messidor prochain, les successions, tant directes que collatérales, qui s'ouvriront en leur faveur ».

(7) Dans une précédente chronique, nous avons estimé que dix kilogrammes environs de plomb avaient été retirés de chaque cercueil.

dagnot/chronique37.01.txt · Dernière modification: 2020/11/12 04:46 de bg