Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Marguerite (?-1274)

Notule

  • Marguerite, religieuse de l'abbaye Notre-Dame d'Yerres, en fut la neuvième abbesse de 1267 à 1274.

Notice de l'abbé Alliot

  • Chapitre VII. — Eustachie d'Andresel (1255-1261) — Isabelle (1261-1267) — Marguerite (1267-1274) — Jeanne (1274-1280).
    • Origine d'Eustachie d'Andresel. — Acquisitions faites par elle. — Son administration. — Isabelle lui succède. — Renaud de Corbeil. — L'Hôtel-Dieu de Corbeil. — Les procès. — Marguerite Ire. — Raoul de Chevry et Guillaume des Grez. — Histoire de l'abbaye d'après M. Mévil. — Marguerite, neuvième abbesse d'Yerres. — Abbatiat de Jeanne P*. — Le curé d'Yerres procureur des moniales. — Richesse des religieuses.
  • Eustachie d'Andresel succéda à Ermengarde dans le gouvernement de l'abbaye. Elle porte dans les catalogues le nom d'Eustachie II. Fille d'Albert d'Andresel et d'Agnès de Garlande, sa famille tenait un rang distingué parmi les bienfaiteurs du couvent; elle était entrée à Yerres en 1213, et comptait par conséquent plus de quarante ans de vie religieuse, dans cette maison, où elle avait rempli divers offices, notamment la charge de prieure, ce qui lui avait donné une parfaite connaissance de toutes les affaires et des traditions de la communauté.
  • Au jour de sa prise d'habit, sa mère avait fait une riche aumône au monastère; dix ans plus tard, en 1224, elle l'avait doublée, en présence de Jean et d'Aubert d'Andresel, ses fils, frères d'Eustachie, et d'Ansel de Garlande, son neveu, cousin de la jeune moniale. C'était là des titres à la reconnaissance des religieuses; mais donnaient-ils à leur élue |74 toutes les qualités d'une parfaite abbesse? Il serait téméraire de l'affirmer.
  • Eustachie avait la soixantaine ou environ, quand elle prit la crosse; c'était un âge avancé, pour gouverner une maison, où la presque totalité des religieuses mouraient avant d'avoir atteint soixante-dix ans. De plus, la nouvelle titulaire était souvent malade, et quand sa santé le lui permettait, les nombreuses affaires du monastère l'appelaient au dehors, en sorte qu'elle ne présida que bien peu aux exercices du cloître, dont elle avait assumé la direction. — Aussi, est-ce à partir de cette époque qu'un notable changement s'opéra dans la vie intérieure du couvent. La situation est prospère, et les moniales ne connaissent plus la pénurie ni la disette dont elles ont souffert si longtemps. Les fermes et les revenus du couvent sont habilement administrés par un procureur, connu dans les actes sous le nom de frère Jean; des fondations nombreuses, dues à la munificence des seigneurs et des simples bourgeois du voisinage, témoins fidèles et admirateurs de la régularité et de la ferveur des filles de Saint-Benoît, alimentent la caisse de la communauté; en sorte que celle-ci participe à la prospérité qui règne dans toute la France, et surtout aux environs de Paris, sous le règne de saint Louis.
  • En 1256, le fonds de réserve de l'abbaye d'Yerres était déjà riche en numéraire. Eustachie y puisa pour faire des acquisitions utiles et bien entendues.
  • Afin de favoriser deux de ses diocésains dans le besoin, Henri Cornu, archevêque de Sens, permit à Thibault de Nangeville et à sa femme Marguerite, de vendre à l'abbesse des terres et menus cens, situés à Guillerval et à Souplainville. Guillaume Roynart, écuyer, Guillaume de Nangeville, chanoine de Pithiviers, et Guillaume de Mauchecourt donnèrent la main à cette acquisition, à cause de leurs droits féodaux sur les biens vendus, et Philippe, doyen de la chrétienté d'Etampes, ratifia le tout au nom d'Ysabelle, femme de Guillaume de Mauchecourt. L'abbesse versa séance tenante, aux vendeurs, 110 livres parisis, somme considérable pour l'époque. |75
  • Un peu plus tard, la division des terres de Tremblay, près Gonesse, fut favorable aux intérêts de l'abbaye. Deux frères, Adam et Jean de la Ferté (de Firmitate), possédaient 65 arpents de terre labourable dans le voisinage de la ferme de nos moniales. Pour obéir à des nécessités de circonstance, ils font une séparation de ces biens, que les religieuses surveillent avec le plus grand soin, car elle leur est favorable pour l'agrandissement de leur domaine. Cet acte nous montre un certain Guillaume le Loup, l'un des descendants des premiers bienfaiteurs d'Yerres, vivant au Tremblay en 1260. Dans cette paroisse, le monastère trouvait aussi des recrues, car une moniale d'Yerres nommée Hermende, née au Tremblay, y était à la même époque propriétaire d'assez grands biens.
  • Pendant l'abbatiat d'Eustachie, la prieure de la communauté voit encore son pouvoir grandir et s'étendra; elle a maintenant un sceau particulier et donne des ordres écrits et scellés, au lieu et place de l'abbesse, empêchée ou absente; on en trouve la preuve en 1258, dans un acte autorisant frère Jean, le procureur, à poursuivre en justice Guiard Charme, parce qu'il se refusait à payer les dîmes de Mardilly, possédées en commun par les religieuses et Jean de Villepetite, chantre de l'église de Meaux.
  • Deux ou trois autres actes moins importants, accomplis pour faire reconnaître les droits du monastère, notamment à Villecresnes et à Corbeil, sont les seuls souvenirs qui nous restent du gouvernement d'Eustachie d'Andresel. Elle mourut en 1261, après avoir porté la crosse cinq ans, sans gloire et sans grandeur. Elle laissa se modifier profondément le régime intérieur de la maison, où un certain bien-être prit la place de l'austérité, pratiquée naguère avec tant d'enthousiasme et de sévérité.
  • Isabelle qui lui succéda comme abbesse, continua les pratiques et les usages de sa devancière. Chaque jour, grâce à la prospérité croissante du monastère, la vie intérieure et le système alimentaire s'y modifiaient sensiblement. C'est de cette époque en effet, et non pas du XIVe siècle seulement, comme le dit Mévil, que date l'introduction du poisson dans la nourriture des religieuses. On ne saurait dire si cette mesure |76 doit être attribuée à Eustachie d'Andresel, ou bien à Isabelle. Dans tous les cas, celle-ci, dont la personnalité et les antécédents sont fort peu connus, laissa s'introduire des habitudes qui, sans être le relâchement de l'austérité et de la pénitence, en étaient comme les pierres d'attente et les avant-coureurs.
  • Plus active toutefois que sa devancière, elle prit une part plus personnelle à l'administration des affaires de sa communauté. Dès son entrée en charge, elle fit un traité de paix avec les hommes de son église, c'est-à-dire avec certains fermiers de l'abbaye, au sujet des redevances dues aux moniales. — À sa prière, Renaud de Corbeil, évêque de Paris, amortit 40 sols parisis de rente, à Chevreuse, dans le fief épiscopal. Ce don leur avait été fait en 1225, à l'occasion de l'entrée au cloître d'Agnès de Chevreuse, morte en 1264. Cette mort contraignait l'abbaye à payer certains droits de succession, dont le prélat l'exempta, intuitu pietatis, dit-il. Un peu plus tard, le même évêque devait encore donner au monastère un témoignage de sa bienveillante sympathie, car par son testament il lui légua un magnifique calice d'argent, plus 40 livres parisis, pour la nourriture des religieuses. — De son côté, Guillaume de Bois-Herpin donna, en pure aumône, 40 sols parisis de rente, à prendre chaque année le jour saint Denis, à Gragi, dans la vicomté de Melun. La donation et la ratification de cette libéralité sont libellées en français du XIIIe siècle: ce sont les premiers et presque les seuls actes écrits en langue vulgaire, dans le cartulaire.
  • Tout en favorisant les dons et les aumônes, Isabelle s'occupait activement d'acquisitions. Au mois de juillet 1264, elle achète de Guillaume Pannier, pour la somme de 8 livres parisis, payées immédiatement, une maison à Villecresnes, qu'elle cède à Ferri dit Bertran, et à Renaud Grisi, pour un loyer annuel de 25 sols parisis. Si l'on s'en tenait aux termes de l'acte, on serait tenté de croire que cette acquisition était de mince importance, car ce n'était qu'une masure avec son pourpris, dit la charte; mais cette chaumière était néanmoins propre à abriter deux ménages, et les locataires s'obligeaient |77 solidairement avec leurs femmes, à faire aussitôt pour 100 sols tournois de réparations à l'habitation.
  • C'était là de l'administration intelligente. Non moins habile fut la transaction conclue par frère Jean, au nom et comme commissaire du couvent, avec l'Hôtel-Dieu de Corbeil. Cette maison hospitalière avait droit de prélever une certaine quantité de bois, pour ses malades, sur chacune des voitures chargées, lorsqu'elles passaient dans la ville. Nos religieuses se prétendaient exemptes de cette redevance, en vertu d'anciens privilèges; mais toutes les fois que leurs domestiques traversaient la ville avec des chariots, les serviteurs de l'Hotel-Dieu s'en donnaient à cœur-joie, prenaient un malin plaisir à tourmenter les gens des nonnes; il les maltraitaient, les battaient même, et leur enlevaient une partie de leur charge. De là, des protestations véhémentes et des appels réitérés à la justice. Grâce au bon vouloir de Renaud de Corbeil, un véritable protecteur de nos moniales, on ménagea une transaction, L'évêque écrivit à ce sujet deux longues lettres, et l'accord fut rétabli entre les deux maisons, au courant de l'année 1265.
  • D'ailleurs, si les religieuses étaient en butte à des tracasseries dans Corbeil, elles y comptaient aussi de vives sympathies. Elles y étaient grandes propriétaires de dîmes, de droits divers, de maisons de rapport qui leur constituaient un assez riche revenu. Nous voyons Isabelle louer une de ces maisons à Guillaume de Paris, bourgeois de Corbeil, et à sa femme Aveline, pour 7 livres parisis de fermage. Le contrat nous donne les tenants et les aboutissants de cet hôtel, avec une si grande précision, qu'il serait encore facile, croyons-nous, de le retrouver aujourd'hui, malgré les changements apportés par le temps.
  • Isabelle sut ménager une faveur toute particulière à sa communauté. Les procès étaient déjà fort nombreux au XIIIe siècle; et comme le domaine monastique était très étendu, il fallait se défendre devant plusieurs juridictions en même temps; de là des déplacements fréquents, et des dépenses considérables. Comme le monastère était toujours sous la protection spéciale du Saint-Siège, l'abbesse demanda et obtint |78 du pape Clément IV un important privilège pour sa maison. Dans une bulle datée de Pérouse, la première année de son pontificat (1265), le pape déclare que nul ne pourra appeler l'abbaye en justice, à une distance supérieure à deux journées de chemin, et cette faveur s'étendait non seulement aux moniales elles-mêmes, mais encore à tous les serviteurs et à toute personne habitant dans les murs du couvent. Cet acte pontifical fut rappelé bien souvent dans la suite; les Bénédictines le citaient avec complaisance comme un argument en faveur de leur droit de justice, tel qu'elles l'entendirent plus tard; en fait il ne leur accordait nullement le droit d'exercer la justice chez elles ou sur leurs terres; il établissait plutôt une présomption défavorable à leurs prétentions, et nous ne croyons pas qu'au temps de saint Louis, l'abbaye d'Yerres ait eu quelque part des officiers pour exercer la justice au nom de l'abbesse, comme cela eut lieu au XVe et au XVIe siècle.
  • Le pape Clément IV, Guy Foulquois, originaire de Saint-Gilles en Languedoc, avait été marié avant de monter aux sièges épiscopaux du Puy et de Narbonne, ensuite sur celui de saint Pierre. Il avait deux filles, et l'une d'elles fut religieuse à Yerres; c'est cette circonstance qui valut à notre abbaye les faveurs pontificales.
  • Isabelle, après avoir gouverné environ six années avec une activité digne d'éloges, mourut le 19 ou le 20 avril 1267.
  • Sa succession fut recueillie par une religieuse inscrite dans les catalogues sous le nom de Marguerite Ire . Sa personnalité, ses antécédents sont aussi peu connus que ceux de sa devancière. Toutefois on est en droit d'affirmer qu'elle avait passé de longues années dans le cloître avant d'être appelée à le gouverner. Quelques donations et de rares contrats, échappés comme par hasard à l'injure du temps, sont les seuls témoins de son administration.
  • Elle loua à Godefroy Normant et à sa femme Pétronille, une maison et des terres à Gercy, pour 20 sols de rente, sous le sceau de l'Official de Paris. — Raoul de Chevry, évêque d'Évreux, sortait d'une famille de bienfaiteurs d'Yerres. À sa mort, arrivée en 1269, il légua à l'abbaye 48 livres parisis, |79 dont le couvent se servit pour acheter des rentes à Saint-Prix. Cette donation n'était pas la seule du prélat défunt, il avait fait des legs à l'abbaye de Malnoue et aux chanoines de Paris, ses anciens confrères: tous ces légataires devaient prélever leurs héritages sur des biens sis à Brie-Comte-Robert, ou nos moniales avaient elles-mêmes un assez vaste domaine et des droits nombreux. Ce voisinage amena des contestations, toutes réglées pacifiquement, entre les sœurs de Malnoue, le chapitre de Notre-Dame à Paris, les deux curés de Brie et la communauté d'Yerres. Par cet accord, Jean et Guillaume, curés de Brie, abandonnent à l'abbesse la douzième partie de leur dime, sous certaines réserves, faites tout exprès, ce semble, pour faire naître dans la suite de nombreux et interminables procès, — Un autre prélat contemporain, Guillaume des Grez, évêque de Beauvais, donna 40 livres parisis à l'abbaye, où l'une de ses nièces, originaire comme lui de la maison de Corbeil, était religieuse.
  • Les donations en terres, en dîmes, en farine, en grain, en redevances, en numéraire, abondent dans cette seconde moitié du XIIIe siècle. Elles ont pour but de pourvoir à des besoins divers: amélioration de la nourriture des moniales, reconstruction de l'abbaye, entretien et développement des pompes du culte; elles sont faites, tantôt à la communauté, tantôt à l'église ou à la sacristie, tantôt à la trésorerie, et surtout à la pitancerie, c'est-à-dire à la cuisine, plus rarement à l'abbesse ou à l'une des moniales, ce qui arrive néanmoins de temps à autre.
  • C'est ainsi que Marguerite reçut le jour des Cendres 1272, la donation de Nicole, dame de Crosne, qui lui léguait quatre muids et trois setiers de blé, à prendre à Combs-la-Ville. Hélisende, fille de Nicole et religieuse du couvent, devait recevoir là-dessus deux muids de blé, sa vie durant, par la main de l'abbesse. — Elle recueillit également 10 livres pour la pitancerie, 20 livres pour l'église et 20 livres pour le couvent, de Jean de Noyen, qui confirma par le même acte la donation faite jadis par son père.
  • Tout l'abbatiat de Marguerite s'écoula au milieu de cette prospérité croissante et débordante, sans cependant que la |80 titulaire ait laissé une trace bien profonde et personnelle dans les annales de la communauté. Elle mourut le 3 mars de Tannée 1274 après avoir porté la crosse pendant sept ans.
  • C'est à cette abbesse que M. Sainte-Marie Mévil, fatigué ou satisfait des trente pages écrites sur l'abbaye, termine l'histoire de cette grande maison. Sautant à pieds-joints sur les trente dernières années du XIIIe siècle, il dit textuellement: “L'histoire d'Yerres s'arrête à l'an 1300. L'abbaye, fondée par Eustachie de Corbeil, devenue pendant les deux siècles que nous avons parcouru, riche et puissante, n'a plus désormais d'autres soins que de passer des baux à ses fermiers, ou de se défendre en justice contre les envahissements de ses voisins et contre la mauvaise foi de ses débiteurs; et rien de curieux n'apparaît dans ces volumineuses procédures, conservées avec grand soin dans les archives de l'abbaye.” C'est ce que nous verrons bien.
  • Après cette hautaine déclaration, M. Mévil nomme néanmoins quelques abbesses des siècles suivants, cite certains faits et termine par cette ineffable liste des abbesses, copiée aveuglément sur celle du Gallia. Il ne remarque pas qu'elle contredit son récit à tout instant, et lui-même en augmente encore les erreurs comme à plaisir 1).
  • En inscrivant la mort de Marguerite, l'obituaire dit qu'elle était la huitième abbesse d'Yerres; erreur fort explicable de la part de l'auteur du manuscrit. Cette religieuse en effet avait omis le nom d'Eustachie d'Andresel, inscrit plus tard en tête du cahier mortuaire. On y lit qu'Eustachie fut la septième abbesse, et comme entre elle et Marguerite, il y eut Isabelle, il s'en suit que Marguerite est non pas la huitième, mais la |81 neuvième abbesse, remarque déjà faite par les Bénédictins du Gallia.
  • Marguerite était morte le 3 mars, et dès le 18 du même mois, Jeanne lui avait succédé depuis plusieurs jours; c'est dire que les élections se faisaient sans aucun laps de temps, ni concours étranger. Quand la nouvelle titulaire avait recueilli les suffrages de ses sœurs, elle se bornait à en prévenir l'évêque de Paris, et le priait de lui donner la bénédiction. Aucun prélat d'ailleurs ne semble avoir protesté contre cet état de choses et réclamé une part dans les élections. Leur bienveillance tacite demeure acquise à la communauté; mais les évêques de Paris, tout en conservant à nos religieuses leur paternelle tendresse, ont cessé de prendre part à leurs affaires et abandonné, en quelque sorte, leur direction. Étienne Tempier, contemporain de l'abbesse Jeanne, lui lègue par testament 30 livres parisis, pour célébrer son anniversaire et ceux de son père et de sa mère, morts à Orléans, témoignage suprême de sa confiance dans les suffrages de l'abbaye.
  • Elle eut encore à recueillir d'autres donations parmi lesquelles il faut noter celle d'Isabelle de Pomponne, veuve de Guy de Villepinte. D'accord avec son beau-frère, Hugues le Loup, aussi seigneur de Villepinte, ils confirmèrent ensemble les donations de Marie et d'Adeline leurs ancêtres, en y ajoutant de nouveaux bienfaits. Cette terre de Villepinte était toujours favorable au monastère: non seulement il y voyait son domaine grandir et ses droits s'accroître, mais il s'y recrutait toujours; et parmi les moniales du cloître, à la fin du XIIIe siècle, on en comptait au moins deux originaires de la petite paroisse, qui avait fourni à l'abbaye sa seconde abbesse, et un si grand nombre d'insignes bienfaiteurs.
  • De nombreux arrangements furent conclus par Jeanne, et tous furent favorables à la fortune territoriale et mobilière du couvent. Une veuve, nommée Anceline la Dalbonne et son fils Guillaume vendent une maison à un clerc, appelé Jean Chevalot. Dans quelques années ce petit domaine deviendra propriété du couvent, et arrondira ses possessions à Brie-Comte-Robert. — En 1278, sous le sceau de l'official de Paris, Gilbert de Servigny achète de Jean de Servigny, son parent, |82 une terre à Lieusaint: celle-ci entrera tout à l'heure dans le grand et très ancien domaine des moniales. — Il en sera de même encore pour une petite terre assise à Périgny; acquise par le curé, en son nom propre, elle ne tardera guère à être englobée dans le domaine monastique.
  • Le nom de ce curé de Périgny mérite d'être retenu dans les annales du Cloître, car il marque une nouvelle étape dans les transformations accomplies au cours du XIIIe siècle. Jusqu'à l'abbatiat de Jeanne, les religieuses avaient employé comme procureur, un régulier, habitant tout près d'elles dans les restes du prieuré de Saint-Nicolas. Frère Jean fut le dernier à remplir cette charge; étant mort presque en même temps que l'abbesse Marguerite, il eut pour successeur un séculier, Thomas, curé de Périgny. À partir de 1275, celui-ci géra les affaires litigieuses de nos moniales, avec une dextérité digne d'éloges; il fut le bras droit de Jeanne qui se déchargea sur lui de presque toute l'administration du temporel, si lourde à cette époque.
  • Son abbatiat ne fut d'ailleurs pas de longue durée. Entrée en charge à un âge assez avancé, Jeanne mourut, après six ans et deux mois de gouvernement, le 18 avril 1280. Elle laissait l'abbaye au point culminant de sa prospérité.
  • Toutes les terres, prés, maisons, granges, en un mot le domaine utile du monastère est en parfait état; le revenu en est considérable et admirablement administré par un procureur habile. Les donations sont toujours nombreuses et produisent des sommes difficiles à évaluer en monnaie moderne, mais très importantes. À la distance de plus de six siècles, les chiffres sont de nature à nous faire illusion; car, si nous lisons que Jean de Corbeil a donné 12 livres de revenu annuel, et que Baudouin, son frère, a légué un muid de blé à prendre sur telle terre; ou bien qu'Émeline a donné 40 livres pour célébrer son anniversaire, et Jean, curé de Grosbois, 60 sols pour la pitance, nous sommes portés à regarder ces aumônes comme peu importantes; nous ne devons pas oublier cependant que la livre parisis de la fin du XIIIe siècle, équivaut, d'après les estimations les plus sérieuses, à 100 ou 120 francs de notre monnaie; et que le simple sol répond à environ 20 francs. On |83 peut juger par là du numéraire réuni chaque année dans la caisse du couvent, et dont on faisait le plus noble usage.
  • À ce domaine, à ces aumônes et donations il faut joindre les dîmes, menus cens et autres droits innombrables, apportés à l'abbaye, par les amis de la maison, les âmes pieuses et les religieuses elles-mêmes. En entrant au cloître, la moniale n'a pas besoin d'une dot, ce semble; toutefois les familles des novices offrent d'ordinaire un petit pécule, ou bien en mourant la religieuse laisse, comme souvenir, un lambeau de patrimoine à ses sœurs du cloître.
  • Elles sont toujours fort nombreuses à Yerres les filles de Saint-Benoît; toutefois leur nombre ne s'est pas accru depuis cinquante ans, il a plutôt diminué, et l'exécution du règlement, fixant leur chiffre à 80, n'a plus besoin d'être pressée: en 1280, elles ne dépassent pas ce nombre, si même elles l'atteignent; car la plénitude des biens de la terre, au lieu d'attirer les âmes généreuses et avides de sacrifices, les éloigne ou du moins les tient à distance.
  • Cependant la communauté offrait un spectacle doux à contempler: les offices religieux s'y faisaient avec régularité et exactitude, voire avec pompe; les vertus claustrales d'humilité et d'obéissance à la discipline monastique y étaient pratiquées; tout marchait à souhait dans les voies d'une perfection relative, douce et tranquille: suprême aspiration pour beaucoup de supérieures de communautés religieuses, aux différentes époques de l'histoire.
  • Depuis quarante ans environ, les abbesses d'Yerres ont atteint la maturité des années, quand elles ont été mises en possession de la crosse; ce qui les dispose moins aux entreprises, aux fondations, à l'enthousiasme, à l'héroïsme; mais ce qui assure la sagesse et la prudence dans le gouvernement. Les quatre dernières titulaires ne sont pas aussi connues que leurs devancières; leur pouvoir est moins personnel; cela tient aux modifications apportées par le temps, surtout à l'extension des pouvoirs de la prieure et des autres officières de la maison; et si les trois dernières, Isabelle, Marguerite et Jeanne, nous semblent moins dignes d'admiration que les abbesses du XIIe siècle, c'est peut-être qu'elles nous sont presque |84 inconnues, le temps ayant détruit les monuments élevés par elles, et le plus grand nombre des actes de leur administration.
  • Au moment où Jeanne descendit dans la tombe, elle laissait sa maison prospère et bien réglée, pourvue d'un essaim de Bénédictines pieuses, parmi lesquelles il y avait des artistes, dont nous allons étudier les œuvres. Presque en même temps que l'abbesse, mourut la prieure, nommée Élisabeth: c'était une fille simple, de modeste origine; elle avait vécu 59 ans sous le cloître, et avait exercé la charge de prieure pendant 42 ans, édifiant toutes ses sœurs par sa patience et sa longanimité dans les souffrances, leur laissant pour héritage, non pas les biens de la terre, mais une vie exemplaire, terminée par une sainte mort. Au mois de novembre 1280, mourut aussi la comtesse de Limeuil (de Limonio), qui, après avoir été battue par les épreuves et les orages de la vie, vint passer ses dernières années sous la bure des filles de Saint-Benoît.

Documents

Sources

Bibliographie

Notes

1)
Note d'Alliot. — L'explication suivante de la brochure, à la fois très fautive et très incomplète de M. Sainte-Marie Mévil, nous a été donnée et nous la livrons telle quelle. —— Ce travail parut d'abord dans l'annuaire départemental de 186.. Il fut demandé en fin d'année, pour compléter le volume, en manière de remplissage. Rédigé à la hâte, il ne saurait donner une idée juste de la valeur du savant archiviste. Soit, mais il demeure toujours vrai qu'avant de faire un tirage à part d'une œuvre répandue à un grand nombre d'exemplaires, M. Mévil se serait honoré en puisant dans le riche trésor placé sous sa garde, pour rectifier les innombrables erreurs dont sa brochure fourmille.
marguerite01.dyerres.1658343013.txt.gz · Dernière modification: 2022/07/20 20:50 de bg