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Sépulture sous roche des Boutards à Saint-Hilaire (Seine-et-Oise), par Maudemain.
“En 1889, M. Capron, entrepreneur de maçonnerie à Châlo-Saint-Mars, acheta un champ dans les roches pour agrandir sa carrière de grès située aux Boutards. Il fit retirer la terre végétale provenant d’éboulis pour exploiter une large roche, et, en effectuant ce travail, on trouva sous la pierre un squelette humain, puis un deuxième, puis un troisième [Note: La découverte a été signalée dans l'Abeille d'Étampes du 17 mai 1889 et dans le Réveil d'Etampes du 18 mai 1889.].
“L'ouvrier alla prévenir M. Capron de sa découverte et le lendemain ils fouillèrent ensemble l'espèce de grotte ménagée sous la pierre, pensant que c’étaient des “Seigneur” qui avaient été enterrés là et qu'ils y trouveraient leurs armes. Ils retirèrent successivement les restes de 15 squelettes, mais pas une arme, aussi leur surprise fut-elle grande. Le seul objet rencontré est un petit vase en terre mal cuite de la forme d'un pot à fleur, qui s'effrita et tomba en fragments dans leurs mains. N'osant pas vider la grotte jusqu'au fond dans la crainte que la pierre ne vienne à se casser et ne les écrase en glissant, ils minèrent la roche et la firent sauter. Les morceaux, en se détachant, tombèrent sur la terre qui n'avait pas été fouillée. De ce fait, les fouilles étaient devenues extrêmement difficiles, aussi furent-elles abandonnées.
“Tous les crânes furent placés en rang devant la grotte. Les fouilleurs avaient remarqué que beaucoup de mâchoires possédaient toutes leurs dents et qu'un crâne avait sur le derrière de la tête un morceau de moins, qui paraissait avoir été coupé.
“Les corps étaient déposés sur deux rangs, assis ou accroupis, les jambes allongées ou plus ou moins entrecroisées.
“M. Capron fit part de sa découverte au Muséum d'histoire |312| naturelle de Paris, qui ne mit pas un très grand empressement à se rendre à son aimable invitation.
“Comme beaucoup de personnes étaient venues voir les ossements exhumés, elles avaient touché les crânes, en avaient retiré les dents et les avaient abîmés, la pluie et le soleil les avaient désagrégés, enfin les enfants les avaient achevés à coups de pierres.
“Aussi, quand les envoyés du Muséum vinrent, une surprise désagréable les attendait: il n'y avait plus que des débris, tout avait été cassé. Le dérangement, l'ennui d'être venus pour rien, les contraria beaucoup.
“M. Capron proposa de retirer les morceaux de roche qui étaient détachés; il estima que ce travail pouvait entraîner une dépense de 25 à 28 francs. Cela aurait obligé les délégués à faire un second voyage, peut-être avec la perspective de ne rien trouver. Ils se concertèrent et décidèrent de ne rien faire, d'abandonner la fouille.
“Je pensais toujours à cette découverte, dont j'avais entendu parler, sans avoir pu obtenir sur elle des détails précis, lorsque, en 1894, j'ai eu l’occasion de voir M. Capron, avec lequel j'ai causé quelques instants. Ce qu'il m'a dit m'a fait supposer qu'il s’agissait d'une sépulture sous roche datant des temps préhistoriques et qu'il devait y avoir là quelque chose d'intéressant.
“En 1895, je suis retourné voir M. Capron, qui m'a fourni tous les renseignements que je donne ci-dessus. Il m'a autorisé à continuer les fouilles à mes frais. Mais la difficulté était très grande, il fallait se glisser entre la roche en place et le morceau éclaté, et se tenir dans une position guère engageante, rendue particulièrement pénible par le peu d'écartement. C'est à peine si l'on pouvait se mouvoir.
“Au bout d'une heure de travail, j'avais fait un trou rond de 45 à 50 centimètres de profondeur, et j'eus le plaisir de découvrir un crâne. Le corps avait été placé accroupi, les jambes, croisées sous lui. Dans la terre que j'avais retirée se trouvait une petite pointe de flèche en silex ayant la forme d'une feuille de laurier, qui m'indemnisa largement de ma peine et me fixa sur l'âge de la sépulture.
“Quand le crâne fut nettoyé, je remarquai qu'il portait un trou dans le frontal, auprès de la suture transversale, trou |313| qui me parut d'autant plus étrange qu'il avait dû exister du vivant de l'individu, puisque l'os s'était reconstitué sur la moitié de son épaisseur. Je ne savais à quoi attribuer l'origine de ce trou, car j'ignorais à ce moment que la trépanation avait été fréquemment pratiquée à l'époque néolithique.
“Un tibia avait reçu une forte blessure de 3 à 4 centimètres de long. Il s'était produit une excroissance osseuse de 7 à 8 millimètres de haut de chaque côté. J'ai malheureusement oublié cet os dans la fouille et je n'ai pu le retrouver plus tard.
“À signaler aussi une grosse molaire de ruminant, probablement une dent de bœuf.
“Il ne m'a été possible de reprendre les fouilles qu'au printemps de 1896. J'ai alors trouvé une seconde pointe de flèche, puis le crâne d'un enfant de 12 à 14 ans, placé au milieu et au fond de la grotte, le corps allongé, les jambes repliées. À côté du crâne, de la clavicule gauche, j'ai retiré une lame en silex ayant de l'usage. Le crâne a pu être extrait presque tout entier; en vidant la terre qui remplissait l'intérieur, j'ai trouvé un second silex, une scie toute neuve, n'ayant jamais servi comme on peut le constater par l'arête vive du tranchant dentelé. L'enfant avait reçu une blessure à un bras.
“J'ai en outre récolté des fragments de mâchoire ayant appartenu à un enfant de 8 à 10 ans, un morceau de crâne d'un enfant d'un an à peu près, la moitié d'une mâchoire inférieure de renard soudée à un os humain, et dans le coin à droite, sous une large pierre, encore un crâne, très bien conservé, mais sans silex.
“À l’entrée du caveau, on avait remarqué un peu de terre noire, sans doute les restes d'un foyer. Des fragments d'os humains brûlés étaient du reste répandus dans toute la terre qui enveloppait les ossements des corps inhumés.
“Des débris humains, dont un fragment de mâchoire avec quelques dents, ont dû appartenir, vu le peu d'usure de celles-ci, et l'épaisseur du crâne, à un jeune individu d'environ 20 ans.
“Sur le côté gauche, au fond, j'ai trouvé le squelette d'un vieillard: le crâne en bien mauvais état, un humérus, un fémur, les deux tibias et un péroné. De chaque côté de la tête étaient deux silex taillés. Un silex ayant subi l'action, du feu et une belle lame en silex lui touchaient les pieds. |314|
“À 10 centimètres environ du crâne et en face de lui, une partie de mâchoire inférieure de renard, complétant celle déjà recueillie, une tête entière de blaireau, une autre de renard, des morceaux de poterie, des os calcinés, des os percés et un gros percuteur.
“Contrairement à ceux déjà mentionnés, ce dernier corps était couché, les jambes légèrement repliées. La tête reposait sur une pierre plate, au-dessous d'une partie de la roche formant voûte.
“D'autres pierres plates, de dimensions différentes, étaient posées assez irrégulièrement de chaque côté du corps; les pieds étaient pris, au-dessus et au-dessous, entre des pierres semblables.
“Le crâne, auquel il manque beaucoup de fragments, est plus gros que ceux précédemment mis au jour. Il présente les mêmes caractères, mais plus accentués. L'os est épais, les sutures sont simples et très oblitérées, le front est très fuyant avec des bosses frontales effacées, la calotte crânienne est volumineuse et élargie à sa partie postérieure, l'occipital est rejeté en arrière, les apophyses zygomatiques sont très grosses et forment des arcades proéminentes. Ces caractères, joints au développement des sinus frontaux et à celui des arcades sourcilières, donnent à l'ensemble de la tête un aspect féroce.
“Une blessure qui se voit sur le haut du crâne a conservé la forme du silex qui l'a faite.
“La longueur des tibias est de 39 centimètres; ils sont aplatis, de forme platycnémique ou en lame de sabre. Le cubitus, très fort et arqué, indique une grande puissance. Le fémur a une ligne âpre très marquée. Le péroné, long de 375 millimètres, présente un sillon longitudinal profond en forme de gouttière.
“Les têtes d’animaux semblent avoir été placées intentionnellement dans la position où elles ont été trouvées. L'absence complète d'autres ossements appartenant aux animaux cités paraît indiquer que les têtes seules ont été déposées dans la sépulture, probablement dans l'intention d'honorer, suivant une coutume de l'époque, quelque grand chasseur.
“Bien que commencées beaucoup trop tardivement, alors que la plus grande partie de la couche archéologique avait |315| déjà été détruite, les recherches que j'ai effectuées aux Boutards n'ont donc pas été absolument stériles. Elles m'ont notamment permis de fixer avec certitude la date de la sépulture. Ainsi que je l'avais pensé dès le début, c'est pendant la période néolithique qu'ont vécu les nombreux individus de tout âge dont elle a livré les restes.
“Cette sépulture n'est, à proprement parler, ni une grotte, ni un dolmen. Elle constitue un type spécial, un type mixte, consistant en une excavation creusée au-dessous d'un énorme bloc en place.
“Le caveau funéraire des Boutards, qui n'est plus guère reconnaissable aujourd'hui, est situé à quelques centaines de mètres au nord-ouest d'Obterre, hameau dépendant de la commune de
Saint-Hilaire, canton et arrondissement d'
Étampes. Avant qu'on le brise, le bloc qui recouvrait les squelettes formait une légère saillie presque au sommet du coteau au bas duquel passe la ligne récente du chemin de fer d'
Étampes à Chartres et il présentait l'aspect d'un cintre très ouvert.
“Au cours d’une excursion géologique qu'il fit dans la région peu de temps après la découverte de la sépulture, M. le professeur Stanislas Meunier y conduisit ses élèves, qui emportèrent quelques ossements et des dents.
“Le 24 octobre 1909, la Société d'Excursions scientifiques visita à son tour ce qu'il en restait, sous la conduite de MM. A. de Mortillet et G. Courty, et les personnes présentes purent encore recueillir des fragments d'os et quelques morceaux de poterie très grossière.”