Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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L'église Sainte-Marie-Madeleine de Marcoussis (2) (Structure de l'édifice)

Chronique du Vieux Marcoussy —————————– —- _————————— Décembre 2009

Église Sainte Marie-Madeleine de Marcoussis – Vues du chevet et de la façade occidentale.

JP. Dagnot

C. Julien

Cette chronique est la seconde partie de l'histoire de l'église Sainte Marie-Madeleine de Marcoussis. L'histoire de ce monument est complexe et pose encore certaines questions non résolues auxquelles nous essaierons modestement de répondre. Cette fois nous abordons l'étude des éléments d'architecture en nous appuyant sur ce que nous connaissons précisément, c'est-à-dire la construction du chœur par Jean de Montagu au début du XVe siècle (1).

L'œuvre du Grand-maître

Il faut comprendre que Jean de Montagu, devenu le puissant argentier du roi Charles VI et voulant organiser sa seigneurie de Marcoussis, ne pouvait pas laisser l'église paroissiale en ruines. Bien qu'ayant fondé le couvent des Célestins pour y installer la sépulture seigneuriale de sa famille, le Grand-maître voulait affirmer sa puissance par la construction d'une chapelle dans l'église paroissiale pour y installer son banc seigneurial et y faire prévaloir ses droits de seigneur haut-justicier.

Pour satisfaire son ambition démesurée, certains disent sa générosité, il proposa de reconstruire l'église de La Magdelaine de fond en comble commençant par le chœur et y adjoignant un croisillon dans lequel il pouvait établir la chapelle seigneuriale.

Voici ce que dit Perron de Langres dans l' Anastase en 1694 «… voulant laisser en l'étendue de cette seigneurie des marques authentiques de sa munificence et grandeur, [Jean de Montagu] commença à faire relever les fondements de l'ancienne église, et à construire les gros murs du chœur en la forme qu'on les voit aujourd'huy, dans le dessein de continuer la nef d'une même structure, les religieux ne purent souffrir qu'il achevast ce qu'il avoit si pieusement commencé, de crainte que cela ne portast quelques préjudice à leurs droits de patronage, que les anciens seigneurs leurs avoient toujours contesté ».

L'édification nécessitait l'accord du prieur de Saint-Vandrille, patron de l'église. Jean de Montagu ne réclama ni de changement juridique, ni de nouveau droit honorifique autre que celui de posséder une chapelle en tant que seigneur haut justicier. Les travaux commencèrent rapidement…

L'auteur de l'Anastase cite (p. 57) : « Le sire de Montagu ne commença d'exécuter ce qu'il avoit projetté qu'enbviron l'année 1403 ou 4 mais il y fit travailler avec une telle diligence durant l'espace de trois ans qu'il fit élever le château de Marcoussy, bâtir le chœur de l'église parochiale, et le monastère des Célestins… ». Il est probable que Jean de Montagu ne disputa pas le titre de Patron au prieuré de Saint-Vandrille puisque qu'il fut reconnu comme « Fondateur d'un monastère de Religieux qui fussent vrayement religieux et fidelles observateurs de leurs vœux et de leur règle : il fit choix des Célestins… », nous dit Perron de Langres (p. 69). D'ailleurs, le couvent devint la sépulture seigneuriale des Montagu et de leurs successeurs à Marcoussis, alors que le chœur de l'église paroissiale ne le fut pas.

Figure 1. Plan de masse de l'église Sainte-Marie-Madeleine de Marcoussis (photos CVM).

Le patronage et les droits honorifiques

Avant d'analyser en détail les phases d'architecture de l'église Sainte-Marie-Madeleine de Marcoussis, parlons des droits jalousement gardés par le prieur. Le point d'achoppement de l'état actuel de l'église Sainte Marie-Madeleine est sans aucun doute, la situation juridique de l'édifice au XVe siècle, issue de la présence d'un prieur et d'un curé qui se partageaient le même sanctuaire. C'est la qualité de patron dont il s'agit. Ce titre confère un droit honorifique, le patronage , qui est supérieur à celui du seigneur haut-justicier.

Autrefois, en matière bénéficiale, le patron d'une l'église était celui qui avait bâti, fondé ou doté le sanctuaire. Le droit de patronage était laïc, ecclésiastique ou mixte. Pour être réputé patron, il ne suffit pas d'avoir donné le fonds ou sol sur lequel l'église est bâtie, ou de l'avoir construite, il faut encore l'avoir dotée. Rappelons que les droits honorifiques dans l'église étaient de deux sortes, les droits majeurs (droit de présentation à la cure, les prières nominales, droit d'être nourri des biens de l'église, droit de litre « listræ » ou de ceinture funèbre, le pas à la procession, l'encens « thus », droit de sépulture et de banc dans le chœur «sepultura et sedes in choro» ) et les droits mineurs, pain bénit « panis benedictus », offrande, baiser de Paix « osculum Pacis », eau bénite « aqua benedicta », banc et sépulture dans la nef « sedes in honoratione loco navis ecclesia ») (2).

D'autre part, il est important de noter que la présentation de l'église de Marcoussis appartenait au prieur de Saint-Vandrille. Selon Perron de Langres, un ancien aveu et dénombrement baillé à la Chambre des Comptes de Paris, le 11 octobre 1510, mentionne : « À Marcoussy près Mont-le-Héry, avons et nous appartient un prieuré auquel il y a manoir, maisons, vignes, terres, jardins dixmes, oblations, revenus, noblesses de fief, cour et usage en haute, basse et moyenne justice, avec le patronnage de l'église , droiture ès bois dudit Marcoussy, et plusieurs autres franchises… ».

Selon la coutume de Paris, le chœur appartient au patron et gros décimateur, le prieuré de Saint-Vandrille, alors que la nef est dans les mains du curé et de la fabrique dont les paroissiens ont la charge. On conçoit alors que la nef de Marcoussis soit d'une facture différente, voire plus simple, plus modeste que le chœur. Cette assertion peut être vérifiée, de nos jours, la richesse du chœur dans presque toutes les églises du diocèse, le passage entre les deux parties de l'église étant matérialisé par un arc triomphal .

Analysons le cas de l'église de Marcoussis au temps de Montagu. Dom Jacques du Breul fut sans doute le premier historien qui s'intéressa à l'histoire de Marcoussis. Résumons ce que l'éminent bénédictin écrivit en 1614 : « Noble et puissant seigneur Monsieur Jean de Montagu fit édifier et bâtir le chœur de l'église Monsieur Sainct Vandrille, paroisse dudit Marcoussis, à présent la Magdeleine ; voulant pour lors faire bâtir la nef d'icelle église comme le chœur. Mais le prieur dudict Sainct-Vandrille ne le voulut permettre, doubtant qu'on ne print sur luy en son droit, auctorité à son préjudice et dommage ».

Des assertions contestables

Le Révérend Père Jacques Du Breul est le premier historien qui, dans Le théâtre des antiquitez de Paris, publié en 1614 (p. 1276), évoqua la reconstruction de l'église paroissiale de Marcoussis par Jean de Montagu. Nous citons littéralement : « durant l'espace de trois ans seulement, [il] fit édifier et bastir entièrement iceluy monastère, le chasteau et le chœur de l'église Monsieur sainct Vandrille, paroisse dudit Marcoussis, à présent dicte la Magdeleine, voulant pour lors faire bastir la nef d'icelle église comme le chœur. Mais le prieur dudict sainct Vandrille ne le voulut permettre, doubtant qu'on ne print sur luy en son droit, auctorité à son préjudice et dommage… ». Ajoutons que le seigneur consacra une grande partie de sa fortune à l'édification et, il se donna les moyens en utilisant, à plein temps, sept forges pour réparer les instruments des ouvriers.

Par contre, la lecture de nombreux textes plus récents ne semblent pas être fondés sur des documents pertinents. N'ayant pas l'intention d'introduire une polémique, nous exposons toutefois des assertions assez troublantes qui vont nous permettre de faire une description détaillée de l'église de Marcoussis. Souvent, les auteurs redonnent le texte de Du Breul, mais décrivent des travaux imaginaires ultérieurs « L'église comporte une façade flamboyante. La nef, qui comprend trois travées, est bâtie par Jeanne d'Amboise, fille de l'amiral de Graville, dans la première moitié du XVIe siècle . Sur un mur latéral, une amorce de piliers indique le projet, inabouti, de construction des bas-côtés. La clef de la croisée centrale est ornée des armes de l'amiral de Graville. La baie est dotée d'une verrière représentant Jésus chez Marthe et Marie ».

En consacrant quelques passages à l'église paroissiale, Malte-Brun n'a jamais donné ce genre de fantaisie. Voici les trois passages du Chapitre V, qui nous concernent :

- (page 92). [l'Amiral de Graville] fit commencer les travaux de restauration de la nef, du portail et du clocher de l'église du Prieuré, ou de la Magdeleine , réparations qui furent achevées, après sa mort, par l'ordre de Louise de Graville, dame d'Amboise, sa fille [ erreur typographique, il faut lire Jeanne au lieu de Louise ]. Aujourd'hui on peut voir aux clefs de la voûte de la nef de l'église communale de Marcoussis, les armes des Graville avec les formaux et l'ancre symbolique de la dignité d'amiral. Ces mêmes armes sont encore conservées dans un des rinceaux du haut de l'ogive de la grande verrière située au-dessus de la porte d'entrée.

- (page 110). La nef de l'église du prieuré ou de la Magdeleine menaçait ruine ; c'est [Jeanne de Graville] qui la fit réparer à ses frais et donna l'ordre que l'on terminât les travaux que son père y avait fait commencer quelque temps avant sa mort. Elle songeait à augmenter l'église de chapelles latérales et d'un bas côté vers le nord ; mais la susceptibilité du prieur de Saint-Vandrille l'en empêcha. Aujourd'hui encore on voit, en dehors de l'église et dépassant le mur latéral donnant sur la place, du côté du nord, les fondations et les amorces de deux des piliers de cette construction inachevée (3).

- (page 272). La nef est encore telle que l'ont laissé les Graville et les d'Entragues, dont on aperçoit les armes à la croisée des arceaux des voûtes; au sommet de la grande fenêtre ogivale, qui est au-dessus de l'entrée principale, un fragment de vitrail montre encore l'ancre symbolique de la haute dignité de l'amiral de Graville. À l'extérieur, du côté du nord, on voit les attaches des piliers du bas-côté ou des chapelles que voulaient faire construire l'Amiral et sa fille, la dame d'Amboise, lorsque le prieur de Saint-Vandrille interposa son veto.

Il n'est pas question de reconstruction de la nef, mais seulement réparation et restauration, nous dit Malte-Brun. Certains auteurs ont introduit le venin de l'erreur que d'aucuns s'empressent de transmettre, allant jusqu'à écrire dans un mémoire d'érudition « Le prieur de St Wandrille ayant refusé la reconstruction de la nef, celle-ci sera reconstruite au début du XVIe siècle par la seconde fille de l'amiral de Graville » ; sur Internet « La nef à trois travées fut bâtie au milieu du XVIe siècle par Jeanne d'Amboise, fille de l'amiral de Graville dont les armoiries ornent la clef de la croisée centrale » ; ou encore « le clocheton au dessus de la porte d'entrée date de la construction de la nef ». Osons le dire : c'est du n'importe quoi !!!

Mentionnons toutefois que Malte-Brun pourrait donner, si l'on n'y prend garde, motif à interprétation ambiguë (p. 110) quand il évoque « les amorces de deux des piliers de cette construction inachevée ». Il est bien évident que ladite construction date du XIIe siècle, puisqu'il n'a pas été possible de fléchir le prieur du XVIe siècle.

Chronologie de la construction

L'église Sainte-Marie-Madeleine de Marcoussis laisse au visiteur une première impression d'un édifice bâti au cours de deux périodes bien distinctes en comparant la facture du chevet et du chœur avec celle de la nef. Mais, par une observation plus attentive, on remarque différentes modifications qui rendent l'attribution beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. L'appareillage des murs, la forme du clocher, les ouvertures pratiquées dans la nef et le pignon occidental, le portail principal doivent être distingués séparément.

En relisant Jacques Du Breul ( Le théâtre des Antiquitez de Paris , 1614), il est bien perçu que Montagu essaya de reconstruire la nef comme le chœur. Comme le seigneur de Marcoussis ne construisit que le chœur et le croisillon, voilà une première évidence que la nef est restée primitive. C'est ce que nous allons démontrer.

Pour être plus précis, nous définissons quatre phases d'édification du monument que nous pouvons encore admirer de nos jours. Les phases montrées sur la Figure 1 (du plan de masse) sont rapportées aux époques qui suivent :

  XIIe s. La base et le premier étage du clocher sont les vestiges de l'église primitive sans contestation. On peut considérer que le prieuré de Saint-Vandrille fut transféré depuis Bution au lieu-dit Burgo Medio vers 1140.
  fin XIIe s. La nef avec un appareillage voisin de celui de la base du clocher est la même époque. Cette partie est décrite dans la suite.
  début XVe s. (époque Montagu). Le chœur et les croisillons sud et nord où se trouve la chapelle seigneuriale, une ouverture a été pratiquée dans la nef, mise en place d'une charpente monumentale remarquable.
  fin XVe s. (époque Graville). C'est l'époque gothique flamboyant avec la restauration de la nef, le percement de nouvelles ouvertures, la mise en place du portail et de la verrière occidentale. Le clocheton au dessus de la porte d'entrée daterait de cette époque. Mais il n'est pas question de reconstruction de la nef .

Les éléments du monument

Au XIIe siècle, l'église de Marcoussis avait été édifiée avec des pierres de petites dimensions matériaux hétérogènes tirés des carrières du pays : meulières, grès gris et même des silex. Ce mélange hétéroclite forme un appareil irrégulier. En architecture, le mot appareil , ou « opus » en latin, désigne la forme et la disposition des pierres brutes ou taillées, ou des briques assemblées dans la maçonnerie. Ainsi les spécialistes parlent d'appareil irrégulier ou d'appareil régulier de grand appareil , quand les pierres ont plus de 30 cm et de petit appareil , quand les moellons ont une dimension inférieure (4).

Le clocher (cf. Figure 2). Pendant la première période, celle de la construction du clocher, les maçons ont utilisé des moellons de pierres meulières taillées de moyennes dimensions pour monter les contreforts et un petit appareil irrégulier pour les murs. Les intérieurs sont remplis en blocage. Le clocher, un beffroi, tour carrée relativement élancée, a été accolé au bâtiment. Il faut voir, dans ce clocher primitif, une marque de la puissance féodale et de la richesse du couvent bénédictin de Fontenelle. Pour le prieuré de Saint-Vandrille, nouvellement déplacé, l'érection d'un clocher devenait une marque d'amour propre, il était hors de question d'édifier un simple campanile.

Le premier étage ajouré possède des ouvertures en plein cintre de grande hauteur pour garder un effet acoustique important car le clocher pouvait abriter, dans un premier temps, de petites cloches. Il est probable que, primitivement, le clocher se caractérisait par un couronnement aigu, pyramidal, en pierre, servant de toit. Habituellement au XIIe siècle, la pyramide en pierre qui couronne la tour est elle-même à base carrée, avec ou sans nerf sur les arêtiers. On note la présence de petites baies dans l'un des contreforts méridionaux du clocher (cf. Figure 4). C'est dans cette partie plus large que les autres que l'escalier à vis permet d'accéder au premier étage du clocher. Le second étage peut être atteint par une échelle.

Figure 2. Clocher de l'église Sainte-Marie-Madeleine de Marcoussis (photos CVM).

Figure 3. Intérieur du clocher de Marcoussis. 1. Vue sur le clocheton. 2. Plancher du second étage. 3. Baie nord donnant accès aux combles (photos CVM).

Quelle était la place du clocher dans l'église primitive ? La période romane plantait souvent ses clochers d'abord sur la rencontre du transept avec la nef. Il est probable que ce fut le cas à Marcoussis. En effet, une chapelle voûtée d'arêtes sous le clocher roman s'ouvre à droite sur la nef. À proprement parler, le clocher ne commençait qu'au-dessus de l'étage, qui participaient du vaisseau intérieur.

Les deux périodes de construction du clocher de Marcoussis se distinguent par les ouvertures. Le clocher du XIIe siècle possédait quatre grandes baies abat-son ( 3 m de haut par 80 cm de large) dont deux sont encore visibles. La troisième, à l'intérieur de l'édifice à la suite de la construction du XVe siècle permet l'accès aux combles, la dernière a été obstruée par le croisillon méridional de l'époque Montagu (cf. Figure 3).

Aujourd'hui la tour du clocher est à deux étages, en retrait l'un sur l'autre et s'appuie sur le croisillon sud depuis la construction du XVe siècle. Une importante transformation eut lieu pendant la période des Graville, à la fin du XVe siècle. La lanterne du clocher fut édifiée, construite en meulière. De forme octogonale, elle participe au changement de symétrie par rapport à la tour, passant de 4 à 8 côtés ; elle abrite les cloches et comprend des ouvertures en plein cintre supportant les abat-son ; elle porte un toit octogonal. L'escalier d'accès au clocher est construit dans l'œuvre du XIIe siècle.

La nef. Les murs de la nef de Marcoussis montrent clairement un appareil irrégulier fait de pierres disposées en une structure en arête de poisson « opus piscatum » (cf. Figure 4). C'est une blocaille (bloquaille ou blocaux) faite de pierres sans forme précise de format moyen, trop petites pour être assisées en parement mais utilisées en blocage (noyées dans un bain de mortier entre deux parois appareillées). L'appareil en arête de poisson est réalisé en disposant des pierres plates inclinées à environ 45°, en changeant de sens à chaque strate successive sur un lit horizontal, de manière à donner cet aspect caractéristique (5). On le trouve également ce type d'appareil dans les murs de la même époque des églises alentour et plus particulièrement à Longpont.

On observe trois variétés de contreforts soutenant l'édifice ; on les distingue par leur hauteur, leur forme et les matériaux de construction employés (cf. Figure 4). Les contreforts élevés au XIIe siècle sont visibles sur le clocher et le mur goutterau méridional. En Île-de-France, ces contreforts rectangulaires primitifs, peu saillants sur les murs, sont empattés et couronnés. Quelquefois, des fenêtres éclairant les intérieurs sont percées dans l'axe même du contrefort comme c'est le cas pour ceux qui épaulent la tour du clocher primitif de Marcoussis.

Les contreforts à ressaut élevés au XVe siècle présentent la caractéristique d'appareillage régulier de pierre de grès identique à celui du chevet et du chœur. Ces éléments mis en place au droit des charges ou de poussées sur les murs de la nef plus anciens de la nouvelle charpente de Montagu. Les contreforts les plus anciens, sans doute du XIIe siècle sont de faible élévation, témoignage d'une nef plus basse à l'origine. Un observateur attentif notera un cadran solaire placé sur le contrefort le plus à l'ouest de la nef.

Figure 4. Appareil en arête de poisson des murs méridionaux (Photos CVM).

Figure 5. Les différents contreforts de l'église de Marcoussis (Photo CVM).

Figure 6. Détail des murs de l'église de Marcoussis (Photos CVM).

Outre l'appareil en arête de poisson, de nombreux détails architecturaux convergent pour attribuer la construction de la nef au XIIe siècle (cf. Figure 7). Ne serait-ce que les ouvertures romanes, plus ou moins obturées de nos jours, que l'on observe sur le mur gouttereau nord. Les arcs sont employés dans les petites portées, parce que les linteaux exigent des pierres d'une forte dimension, et lourdes par conséquent.

Figure 7. Ouvertures pratiquées dans le mur nord de la nef de Marcoussis (Photos CVM).

La nef de Marcoussis au XVe siècle

Dans cette partie, nous développons les arguments qui convergent pour dire que la « nef n'a pas été reconstruire par Jeanne de Graville au XVIe siècle ». Cette fable doit cesser !!

Afin de contrecarrer cette question capitale, nous avançons les arguments suivants :

  l'appareil de la nef que nous venons de décrire est celui du XIIe siècle,
  la présence de contreforts, d'une facture antérieure au XVe siècle, sont présents de part et d'autre de la nef. De basse élévation, ils démontrent une nef de moindre hauteur avant la modification de Montagu,
  des ouvertures romanes avaient été pratiquées sur les murs gouttereaux tant nord que sud, nous avons des traces probantes en de nombreux endroits,
  il est difficile d'imaginer de reconstruire un bâtiment en laissant la même charpente. Lors de la construction du chœur sous Montagu, vers 1402-1404, plusieurs problèmes architecturaux se sont posés au maître d'œuvre, dont celui d'unifier l'ensemble de l'édifice pour le rendre homogène sous le même toit.
  de nombreuses traces de surélévation de la nef pour la rendre compatible avec le chœur sont visibles : différentes couleurs des mortiers (cf. Figure 8), fissures au niveau de la surélévation (cf. Figure 6).
  les fenêtres à remplage de la nef sur le mur méridional ont été ouvertes après le XIVe siècle. Ce sont des baies ogivales avec meneaux attachés par un réseau d'entrelacs de nervures et rinceaux.
  la présence d'un ancien contrefort au bas de la fenêtre de la seconde travée, en position décentrée, démontre un percement postérieur.
  les piliers sud de la nef présente avec un dessin des nervures jusqu'au sol sont différents des piliers nord avec un base plus large a dessin très abouti.

Figure 8. Détails du mur méridional avec ses baies ogivales (Photos CVM).

Il y a donc eu une légère modification de la nef, surélévation par Montagu. Le témoignage le plus probant est le chaînage continu entre le chœur et la nef réalisé en moellons réguliers et taillés sur le mur gouttereau. D'autre part, afin de supporter la nouvelle charpente en forme de coque de navire renversé, donc plus pesante que la charpente rustique primitive, il a fallu consolider les murs par des renforts rectangulaires peu saillants. Les renforts de la nef sont de même facture que ceux du chevet et datent de 1403-1405, environ (cf. Figures 9 et 10) .

La nef couverte d'une voûte d'ogives à clefs comprend trois travées. La clef de la croisée centrale est ornée des armes de l'amiral Louis de Graville. Il est certain que des travaux d'entretien et de rénovation furent entrepris sous le règne de ce puissant et riche seigneur. En tant que seigneur haut-justicier, il voulut avoir ses armes dans l'église paroissiale. Ne pouvant éliminer celles du Grand-maître son aïeul, il fit intervenir les sculpteurs sur les clefs de voûte que l'on réparait.

Figure 9. Partie septentrionale de la nef de l'église de Marcoussis (photo CVM).

Figure 10. Détail du mur gouttereau septentrional de la nef de Marcoussis (photo CVM).

Sur le mur gouttereau nord, sont des amorces de piliers, visibles de l'extérieur, qui indiquent un projet inabouti, de construction des bas-côtés. C'est ce qui fait dire à certains que la fille de l'amiral est intervenue pour « reconstruire la nef ». Ce qui est totalement improbable. Par contre la famille de Graville apporta une contribution importante à l'église de Marcoussis en modifiant la façade occidentale dans le style gothique flamboyant, caractéristique des éléments d'architecture identiques à ceux de Blois sous le règne de Louis XII.

Notons enfin qu'il n'y a ni portique, ni narthex à Marcoussis. On rentre de plein pied dans la nef par une seule porte monumentale, de grandeur moyenne, à deux battants. Nous avons l'arrangement typique d'une église rurale.

Le chœur et le chevet

Le chœur et le croisillon reconstruits à l'époque de Montagu ont une architecture homogène avec un grand appareil régulier constitué par de grands blocs de pierre de grès gris. Les moellons de grès sont assemblés par des joints de mortier. Selon les historiens qui ont parlé de Marcoussis, le grès était tirée de la carrière dite les Magdeleines , du coteau septentrional de la vallée de Marcoussis, bordant la route de Nozay sur la droite et en dessous du chemin du Moulin… (peu probable, voir chronique à venir sur les carrières).

Avec le chœur, le Grand-maître se réserva, dans le croisillon nord, l'espace d'une chapelle seigneuriale. La sacristie a été aménagée dans le croisillon méridional, la chapelle de la Vierge est placée sous le clocher roman. La nef est séparée du chœur par un arc triomphal où une poutre supporte un Christ en croix. Cet arc triomphal support le mur de refend en travers pour la reprise des charges et le raidissement de la structure des combles.

On note les contreforts puissants d'appareil régulier sur les constructions du début XVe siècle tant ceux du chevet et des croisillons que ceux maintenant les murs de la nef. Chacun des six contreforts du chœur et des croisillons est surmonté par un chapiteau (au dessus du ressaut au niveau de la sablière) qui donne un aspect élancé à l édifice. Pour terminer, nous pouvons évoquer la reconstruction du chœur par Jean de Montagu qui permettait d'éteindre la lutte entamée au XIIIe siècle entre le pouvoir monastique et le pouvoir épiscopal. Toutefois, comme le prieur de Saint-Vandrille voulait garder le droit de patronage, il ne permit ni au seigneur de Marcoussis, ni à ses successeurs, ni à l'évêque d'étendre les travaux de reconstruction. Il est évident que l'institut prieural voulait conserver les bénéfices attachés à son propre avantage en ce qui concerne le chœur. Quant à la nef, l'évêché de Paris ayant son mot à dire, seuls des travaux de consolidation furent autorisés.

À suivre…

Notes

(1) Dans cette étude, nous citons quelques auteurs anciens : Guillaume Pijart, Mss. de 1656 – Simon de la Mothe , Mss. de 1682 , transcrit par D. Legendre (1841) - Perron de Langres, Anastase de Marcoussis (Paris, 1694) – Abbé J. Lebeuf, Histoire du diocèse de Paris (Paris, 1757) - L. Merlet, Biographie de Jean de Montagu (Paris, 1852) – V.A. Malte-Brun, Histoire de Marcoussis (Paris, 1867). Par contre, nous n'avons pas eu accès aux récentes études (Mémoires de maîtrise, Université Paris IV, de M. Ferrazi) sur l'église de Marcoussis.

(2) G.-A. Guyot, Observations sur le Droit des Patrons et Seigneurs de Paroisse aux Honneurs dans l'Église , tome VII (chez Saugrain fils, Paris, 1758).

(3) Jeanne de Graville, fille cadette et héritière de l'amiral de Graville avait reçu la seigneurie de Marcoussis. Épouse de Charles d'Amboise, elle avait eu un fils unique, Georges, tué à la bataille de Pavie (1525). Remariée avec René d'Illiers, elle mourut à Marcoussis en 1540, sans postérité, laissant la seigneurie de Marcoussis à son neveu Guillaume de Balsac.

(4) Deux gisements de pierres sont employés dans les églises de la région : la meulière et le grès qui sont des roches sédimentaire siliceuses. La meulière est souvent caverneuse qui lui donne un pouvoir d'isolation avantageux. Le grès est également issu de la sédimentation d'un gel siliceux avec un ciment calcaire. À Marcoussis, les bancs de grès de bonne qualité (gris à grain fin) avaient une épaisseur assez considérable pour être exploités pendant plusieurs siècles.

(5) J.-M. Pérouse de Montclos, Principes d'analyse scientifique. Architecture. Vocabulaire , Imprimerie Nationale, Paris, 1993, p. 57, fig. 72.

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