Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Françoise Gasparri

Recension de l'ouvrage de Martin Schoebel sur les archives de Saint-Victor de Paris (1991)

§ 1

  • Martin Schoebel, Archiv und Besitz der Abtei St. Viktor in Paris, Bonn (Bouvier) 1991, 302 p., 8 pl. (Pariser Historische Studien, 31).

§ 2

  • Voici un ouvrage sur l'abbaye de Saint-Victor de Paris qui ne traite ni d'enseignement ni de manuscrits ni de theologie: une étude sur la puissance temporelle et la gestion économique d'une des plus grandes abbayes du moyen-âge occidental. L'ouvrage se divise en trois parties: 1° histoire des archives, 2° possessions et revenus, 3° biens et exploitations, avec un panorama de conclusion donnant la courbe et expliquant les différentes phases du développement économique, du XIIe au XVIIIe siècle. Dans une introduction, l'auteur décrit la genèse des archives de gestion et de l'histoire des possessions à travers le grand nombre d'originaux conserves, et surtout grâce au grand cartulaire de 1240, situe dans l'arrière plan de la réforme canoniale préconisée par Urbain II, de renonciation aux possessions matérielles et de retour à la vita apostolica. L'auteur présente son étude comme un essai de réponse à la question: comment Saint-Victor a-t-il concilié cet idéal avec la vie économique; le cartulaire de 1240 est une source remarquable pour l'histoire de la gestion des biens de l'abbaye, son organisation et sa constitution économique.

§ 3

  • La première partie, sans doute la plus directement utile pour le chercheur qui voudrait entreprendre une étude détaillée et ponctuelle sur la gestion par Saint-Victor de ses archives et de son patrimoine, décrit la situation actuelle des archives de l'abbaye conservées pour la plupart aux Archives Nationales, examine les différentes étapes de leur formation, mal connues pour les débuts, en l'absence d'étude spécifique et d'inventaires conserves. Le premier grand inventaire dont nous disposons remonte au milieu du XVe siècle: c'est le grand inventaire de 1447 qui parait englober tous les documents conserves dans l'abbaye à ce moment la. En deçà du XVe s. les témoignages ne peuvent être qu'indirects mais ils existent: les mentions au dos des actes, pour le XIIe s. et les trois cartulaires du XIIIe s. attestent de classements anciens, remontant vraisemblablement au milieu du XIIe s. ou à la décennie qui suivit. Le système de classement de ces époques se reflète fidèlement dans l'inventaire de 1447: les classements médiévaux peuvent donc être étudiés à partir d'un examen approfondi des inventaires et classements postérieurs, du XVe au XVIIIe siècle. Une analyse minutieuse, jusqu'ici jamais faite, de l'inventaire de 1447, conserve dans une copie de la deuxième moitie du XVIIe s., permet de comprendre pourquoi l'abbaye prit soin, à l'issue d'une période de grands |291| troubles, de ses archives, et comment elle les conservait du temps de l'abbé André Barre, de la difficile reconstruction de l'abbaye et de sa réorganisation avec l'aide du roi Charles VII. Cet inventaire est sans nul doute l'œuvre du prieur Jean Lamasse, devenu abbé en 1448 et de son successeur le prieur Guillaume Tuisselet qui alla jusqu'à Marseille copier les anciens documents de l'antique abbaye bénédictine et composa un recueil de textes historiques. C'est donc ce Repertorium chartarum regalis abbatiae Sancti Victoris Parisiensis qui nous fait connaître la disposition des archives de l'abbaye au milieu du XVe s.: 2736 documents couvrant plus de trois siècles; ces documents sont conserves dans soixante quatorze scrinia: on peut interpréter ce mot comme correspondant à des coffres assez petits car ils ne renferment qu'assez peu de documents, de huit à quatre vingt dix neuf, d'une grosseur comparable à nos cartons d'archives; peut-être ont-ils constitue des tiroirs d'une armoire, de sorte que souvent un fonds important devait être distribue en plusieurs coffres. À chaque coffre correspond un chapitre de l'inventaire car le classement est fait suivant les possessions, avec en tête le regroupement de documents royaux, pontificaux, épiscopaux. Chaque coffre portait l'indication du contenu, correspondant aux titres des chapitres de l'inventaire. Une description détaillée du contenu de chaque coffre permet de mesurer l'importance de la documentation pour chaque possession et de voir que cet inventaire est fonde sur une réalité beaucoup plus ancienne, réorganisée après la guerre de Cent Ans. Pour les siècles postérieurs existent des instruments de travail plus nombreux: un cartulaire de documents pontificaux datant de 1545, contenant des documents de 1114 a 1357, le cartulaire de la Chambre, établi après 1476, en onze chapitres classes par lieux de possessions, les deux inventaires de la mensa abbatis constituée en 1545 par l'abbé commandataire: Fun est de 1710 et présenté une combinaison de lettres et de chiffres permettant une subdivision en unités plus petites; le deuxième, de 1764, constitue par le garde des archives, Jacques Griffe de la Genetière, contient tous les documents de la mensa abbatis à partir de 1727. Les inventaires de la mensa conventus ne sont pas conservés. Dans une dernière partie, l'auteur décrit, avec la destruction brutale et radicale de l'abbaye par les Révolutionnaires, la dispersion des fonds de la bibliothèque (5500 f°, 8800 4°, 20.000 8° et 1800 manuscrits) éclatée en plusieurs dépôts et collections privées, et des archives dont on ne sait pas grand chose pour les années 1790-1793; leur dépôt a l'Hôtel Soubise, leur destruction partielle par le décret de la Convention (24 juin 1794), de tout “ce qui était inutile” et leur recomposition artificielle suivant les séries que nous connaissons encore aujourd'hui aux Archives Nationales: H5, K, L, LL, N, S, T, et Z, dont le contenu est précise en quelques mots, de même que quelques fonds isolés. Puis, suivant une division des chapitres quelque peu obscure, l'auteur aborde l'étude des documents et témoignages antérieurs à l'inventaire de 1447: 1° les cartulaires du XIIIe s. et avant tout celui de 1240 (Arch. Nat., LL 1450A). Après une description matérielle très précise, est analyse le contenu du document, divise en trente neuf chapitres aujourd'hui reliés en désordre, mais dont l'auteur rétablit l'ordre originel: chapitres groupés par matière: rapports avec Sainte-Geneviève, possessions en Île de France, prieurés et églises, puis revenus du monastère. Les copies sont transcrites suivant la méthode traditionnelle des inventaires médiévaux, avec suppression des formules, de la date, des listes de témoins etc … Deux autres cartulaires sont signalés pour cette période: le cartulaire du prébendier (office créé dans la deuxième moitie du XIIe s.), dont la première partie est de 1260, la suite allant jusqu'au XVe s., et le cartulaire de l'aumônier, de la fin du XIIIe s. d'une autre main un peu plus tardive. L'office d'aumônier remonte à la fondation de l'abbaye et figure dans le Liber Ordinis; ses biens, surtout en nature, sont situés au sud de Paris, à proximité de l'abbaye. 2° les inscriptions figurant sur les documents eux mêmes et témoignant d'un classement des archives des le XIIe s., probablement dans l'ordre des coffres tel qu'il apparaît dans l'inventaire de 1240 (40 coffres et au moins 1000 documents). Ces mentions portées au dos des documents sont, en l'absence de tout témoignage direct, d'un intérêt tout a fait singulier: elles permettaient en effet d'identifier facilement les documents qui reposaient a plat les uns sur les autres, le dos vers le haut. L'auteur relève une série de mentions (ou analyses) |292| dorsales de la main d'un scribe que nous avons identifie dans nos études sur les écrits de Saint-Victor et la chancellerie royale, et que nous avons appelé “G”, qui travailla comme rédacteur d'actes et “réviseur” de manuscrits entre 1166 et 1187: l'ensemble de nos observations est exposée ici, avec l'identification d'une autre main, des années 1220-1230, qui transcrivit la première rédaction du grand cartulaire de 1240. L'auteur signale rapidement les autres mentions du XVe s., fort nombreuses, à l'encre noire et rouge, et les notes postérieures jusqu'au XIXe s. Grâce à ces mentions on peut étudier l'histoire des archives depuis les débuts jusqu'à la Révolution.

§ 4

  • Dans une deuxième partie plus ample, l'auteur entreprend l'étude des possessions et revenus de l'abbaye: travail original très fouille, faisant apparaitre la répartition des biens dans le Gâtinais (Puiseaux, Amponville), dans la forêt d'Orléans (Bucy-le-Roi, Ambert, Chanteau), dans le pays de Bière (Ury, Faronville, Fleury), dans le Sénonais (Montbeon, Saint-Donain), en Hurepoix (Saint-Paul-les-Aulnois), en bordure de Seine en amont de Paris (Saint-Germain de Corbeil, Saint-Denis d'Athis, Villeneuve-le-Roi, la foret de Sénart), en Brie (Combs, Beaurose, Grosbois), à Paris et alentour (Vincennes, Billancourt), en Ile-de-France (Vaujours, Villiers-le-Bel, Bois-Saint-Père), en Normandie (Amblainville, Saint-Loup de Boubiers, Saint-Pierre de Gacé). Pour chaque possession l'auteur donne un aperçu historique antérieur à l'acquisition, les conditions de l'acquisition et son destin, ce qui permet de tracer à grandes lignes la politique économique de l'abbaye, sa stratégie (souvent procédurière!) d'acquisition, de récupération et surtout d'accroissement des biens et des droits, considérables jusqu'au milieu du XIIIe s., plus modestes ensuite. Les deux principaux prieurés de Saint-Victor furent Notre-Dame de Puiseaux en Notre-Dame d'Amponville, deux églises et terres royales offertes par le roi Louis VI lors de la fondation de l'abbaye et qui resteront sa principale base économique. Les prieures de Bucy-le-Roi, Ambert et Chanteau furent de moindre importance, ces deux derniers vendus au roi en 1300, qui y fonda une communauté de Célestins. Le prieuré de Saint-Paul-les-Aulnois bénéficia de nombreuses donations par Simon de Montfort et son frère Gui, par les trois frères Gautier, Guillaume et Guérin de Coubertin. L'église Saint-Guenaud de Corbeil fut donnée elle aussi à Saint-Victor par Louis VI en 1134. C'est entre Athis et Corbeil que se trouve la plus grande quantité des biens de l'abbaye: Villeneuve-le-Roi, Vigneux et Draveil. L'église de Combs-la-Ville, remontant au moins au VIIe s. (à Dagobert, en 638), fut offerte en 1142 à Saint-Victor par Baudouin de Corbeil quand il entra au monastère et elle devint un prieure; quant a la grange de Beaurose et la possession de Grosbois, elles furent le résultat de grands travaux de défrichement. Ces trois biens, situés en Brie, tombèrent en 1545 entre les mains de l'abbé commandataire. Quant aux possessions sises à Paris, elles connurent des fortunes diverses: la grange de Vincennes, acquise de Louis VI en 1113 avec des terres à Fontenay et Montreuil, fut échangée par Philippe Auguste contre des terres à Grosbois, ce qui lui permit d'ériger le château que l'on sait. La donation de Billancourt, quant à elle, doit beaucoup à l'évêque de Paris Maurice de Sully. À Paris même Saint-Victor possédait des moulins et une grande quantité de maisons, dans le quartier de Notre-Dame et de Saint-Julien principalement, et sur la montagne Sainte-Geneviève. Autour du monastère il y avait fort peu d'unités économiques foncières et l'abbaye y concentra son capital en immeubles. En Île-de-France, les plus grands propriétaires fonciers étaient l'abbaye bénédictine de Saint-Denis, celle de Saint-Martin de Pontoise, de Saint-Martin des Champs, les cisterciens de Notre-Dame-du-Val et, au sud-est, Sainte-Geneviève. La donation de Vaujour, en 1139, assura a l'abbaye une importante base économique en rentes et granges, mais elle fut ensuite moins prospère que les prieurés de Bois-Saint-Père et Saint-Didier de Villiers le Bel. Après 1250 la politique d'accroissement de Saint-Victor en Île-de-France diminue. Les possessions en Normandie sont dues à la famille de Vallangougeard, de Fay, de Sandricourt et de Coudray (Amblainville). Saint-Loup de Boubiers fut donné par l'archevêque de Rouen et Saint-Pierre de Gacé par l'évêque de Lisieux, en 1170.

§ 5

  • Dans une troisième partie, que l'on aurait vu volontiers fusionner avec la deuxième pour |293| éviter les redites, sont analysées les différentes sortes de biens et unités d'exploitation: 1° anciens domaines fonciers (ville), donnés pour l'essentiel par Louis VI à l'abbaye, avec leurs hommes ou hospites, leurs hostises et leurs moulins; 2° les granges: granges à dimes ou à exploitation, à l'exemple des granges cisterciennes (curtes ad agriculturam exercendam); 3° les églises paroissiales: églises anciennes ou construction et fondation de nouvelles paroisses; 4° les prieurés, dont la fonction économique était énorme; 5° annates et prébendes, situees dans les chapitres cathédraux et collégiaux: à Notre-Dame, Saint-Marcel, Saint-Germain l'Auxerrois, Saint-Cloud, Saint-Martin de Champeaux, Sainte-Geneviève; à Montmorency, Montlhéry, Saint-Spire de Corbeil. Annates et prébendes furent une très grande source de revenus pour l'abbaye, jusqu'à la Révolution. Ici aussi l'auteur consacre à chaque bien un aperçu historique, une analyse du mode de fonctionnement des revenus et un récit des péripéties.

§ 6

  • En conclusion, l'auteur analyse les quatre phases du développement économique de Saint-Victor: la première correspond aux premières donations de Louis VI lors de la fondation; l'abbaye se pose le problème de l'organisation de sa gestion (1113-1124). Suit une période de crise entre Saint-Victor et Notre-Dame, avec la coalition autour d'Étienne de Garlande: le roi ne fait plus aucune donation à Saint-Victor jusqu'en 1134. C'est alors la deuxième phase, où les donations royales recommencent à affluer. Cette période de prospérité se poursuit sous l'abbatiat d'Ernis, mais se termine, à cause de sa mauvaise gestion, par une banqueroute (1172). La troisième phase est marquée par l'abbatiat de Guérin qui réussit a assainir et améliorer la situation économique de l'abbaye. Le XIIIe s. marque la fin des grandes donations: c'est la quatrième phase. L'abbaye n'avait pas suivi les Conseils d'Urbain II de retour à la vita apostolica. Elle accumula les biens, terres, granges, églises, prieurés, moulins, pressoirs, maisons, annates et prébendes, et avait suivi un idéal de développement économique sans doute nécessite par sa situation intellectuelle, attirant à elle un nombre toujours plus grand d'étudiants. Après la guerre de Cent Ans son économie se tourna davantage vers la location de ses biens et la recherche de revenus plus faciles tels qu'annates et rentes.

§ 7

  • C'est donc une étude fort sérieuse que nous offre ici M. Schoebel, une analyse très approfondie de l'histoire et des mécanismes économiques qui ont fait la fortune de Saint-Victor. Peut-être sera-t-elle un jour complétée par les travaux non encore édités de Jean Châtillon. On peut regretter que l'auteur se soit peu attarde sur les premiers classements d'archives au XIIe s., et notamment sur les mentions dorsales de cette époque: la lecture de notre article sur ce sujet (dans Scriptorium XLIV, 1990, p. 69-78) lui aurait permis de compléter ses observations. On aurait souhaite aussi une étude plus approfondie des mentions dorsales postérieures, jusqu'au XVe s., car elles sont nombreuses et peuvent être regroupées en plusieurs étapes de classement. Mais un tel travail ne peut être effectue que sur place et les conditions de consultation des archives, aujourd'hui, ne permettent plus un tel examen, qui exigerait par nature le regroupement de documents disperses dans un grand nombre de cartons. N'en faisons donc pas grief à l'auteur et reconnaissons que nous avons la un beau travail, très éclairant sur un aspect fort peu connu de l'activité d'une des plus grandes abbayes de l'occident médiéval.
  • Franchise Gasparri, Paris

Bibliographie

  • Martin Schoebel, Archiv und Besitz der Abtei St. Viktor in Paris (302 p., 8 planches), Bonn, Bouvier (“Pariser Historische Studien” 31), 1991.
  • Françoise Gasparri, “Martin Schoebel, Archiv und Besitz der Abtei St. Viktor in Paris, Bonn (Bouvier) 1991, 302 p., 8 pl. (Pariser Historische Studien, 31)”, Francia. Forschungen zur westeuropäischen Geschichte 20/1 (1993) 290-293.
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