Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Gabriel Barrière

Le parler rural contemporain dans la région d’Étampes

1978


Bulletin de la Société historique et archéologique de Corbeil d'Étampes et du Hurepoix 48 (1978) 65-72.


Un peu plus de trente ans de fréquentation pour motif professionnel des milieux ruraux de la région d’Étampes m’avait permis de relever un certain nombre de prononciations, de termes et d’expressions propres auxquels mon oreille était spécialement sensible car habituée au langage folklorique de ma région natale stéphanoise.

J’ai récemment entrepris de les collationner, espérant retrouver dans ma mémoire des mots et formules pittoresques que l’on entend plus maintenant, l’éducation, les échanges plus nombreux, la radio et la télévision uniformisant rapidement le langage dans notre hexagone français.

Les “mass media” n’expliquent pas seuls le phénomène. Il est, en effet, remarquable de constater quelle évolution s’est produite dans nos campagnes d’Île-de-France en l’espace d’une trentaine d’années.

En 1945, toute ferme était traditionnelle, comportant une vaste écurie où s’alignaient les chevaux qui avaient en charge tous les travaux des champs, une plus ou moins grande étable dont le laitier ponctuel collectait chaque matin la production laitière, une bergerie où se pressaient de trente à trois cent moutons, une porcherie de quelques dizaines d’hôtes, un clapier, une basse-cour… Dans un coin de grange, le cabriolet était empoussiéré, mais le cas échéant, attelé, aurait rendu service. Le maréchal forgeait encore des fers. Le charron cerclait encore des roues. Le bourrelier réparait encore des colliers et le cordier vendait des liures et des longes.

Aujourd’hui, la ferme est muette de tous ces cris d’animaux, nette comme une épure avec ses pelouses de gazon tondu cerné de macadam rouge qui conduit au parc motorisé des voitures particulières et des engins agricoles sophistiqués. Le village a perdu depuis longtemps son “bouchon” où venaient boire les employés agricoles et les “gars de batterie”. La petite épicerie a succombé, dérisoire qu’elle était à dix kilomètres d’une “grande surface”. le village n’est plus qu’un quartier sans commerces éloigné de la ville, colonisé par les migrants des villes qui ont construit leur pavillon dans ses “ouches”. Par-dessus le village, un ciel qu’on interroge plus sur le temps qu’il réserve pour le lendemain; un speaker connu de tous les Français dira, ce soir, qu’un vent de Nord-Ouest amènera un peu de pluie, le grand-père qui regarde un Western à la télé aurait prédit, dans sa jeunesse, des “galarniaux” amenant de la nuisance.

Honorer le passé n’est pas que sauver de belles pierres ennoblies par le talent et la sueur des hommes. C’est aussi témoigner de la vie d’autrefois et, par exemple, du langage qui changeait selon le pays traversé par le voyageur, de la même façon que le vin qu’il buvait dans les auberges.

C’est donc avec joie, et même enthousiasme, que j’ai recherché ce folklore du langage populaire étampois dont j’ai vécu l’expression agonisante.

Mais tout n’est-il pas écrit? Madame le directeur des Archives Départementales a bien voulu m’indiquer les études existantes sur la question. Albert Maugarny 1) en 1936, Raymond Devevey 2) en 1965, enfin Claire Fondet 3) en 1976 semblent avoir à eux trois épuisé le sujet. Devevey, dans un livre manuscrit ne se trouvant probablement qu’aux Archives Départementales, fait un inventaire riche et précis du parler paysan du sud de l’Hurepoix 4). Claire Fondet, dans une thèse généreuse de quelque sept cents pages, traite le même sujet scientifiquement et d’une manière plus complète encore.

Ces auteurs m’ont permis de retrouver bien des termes que j’oubliais. Du coup, une note de ma main est-elle toujours utile? Peut-être, dans la mesure où, puisant dans ces fontaines d’abondance, je sélectionnerais mots et expressions qui avaient cours dans un rayon de quelques vingt kilomètres autour d’Étampes dans les trente années passées, sont encore dans le souvenir de beaucoup et peuvent être encore occasionnellement employés.

La mention (G.B.) indiquera ma très modeste contribution.

Gabriel Barrière.

APour Elle
À matinCe matin
À bados, à badousSur le dos (surtout pour désigner une façon de porter un enfant)
AccouterAttendre
Acôté…Appuyé sur…
AffaîterRemplir jusqu’au faîte
AffutiauxParures d’une femme
AgravéBlessé par des graviers (surtout en parlant d’un chien)
AhottéEnlisé dans une ornière
AlordéÉtourdi par du bruit ou du mouvement
À lure lureRapidement
AméchantiRendu méchant
AmiteuxAffectueux
ArgotPour ergot
Attigner (G.B.)Agacer. Un enfant “attigne” un chien en le provoquant derrière le grillage
Aucunes fois (d’)Quelquefois
Autant comme autantBeaucoup
Avre, avrementGoulu, goulument
BanauTaureau
BastillerPasser le tambour pour avertir la population
Belle de (avoir)Être favorisé pour
BedonJeune bovin qui n’est plus un veau
Berbis, berouette, berouinePour brebis, brouette, bruine…
Bessons, bessonnésJumeaux
Bon d’la, bon d’la, bon d’la!Juron
BerchuPartiellement édenté
BoubicHermaphrodite. En fait, à la fois bouc et bique.
BouchonL’arbre qu’on accrochait au dessus de la porte du bistrot et le bistrot lui-même.
Bouchonné (G.B.)L’animal dit “bouchonné” était celui qui ne pouvait évacuer ses excréments.
Bourrer des calots à quelqu’unRegarder quelqu’un méchamment
Bourse (ça le) (G.B.)Le sommeil ou l’ivresse le font chanceler; il dort debout.
BouteilleEaux fœtales. Une vache qui “jette la bouteille” va bientôt vêler.
BringeléePour bringée. Couleur de la robe d’une vache normande (mélange de blanc, jaune et noir)
BrisaqueBrise-tout. Jamais entendu sauf en tant que nom donné à des chiens par de vieux bergers, ce qui doit être un souvenir de l’usage du mot. (G.B.)
BroquerManier des gerbes avec le broc, fourche à trois dents
CaboinPetit local servant de débarras
CacherPour couvrir
CailleCouleur de la robe d’une vache normande, synonyme de bringée
CalotNoix (ou yeux dans l’expression: “bourrer des calots”)
CâlusDurillon
Caniquet (G.B.)Lapin domestique
CâpiTapis, caché
CaquésiauMoustique
CarnatTrèfle incarnat
CatinPoupée
Châbler, châblerGauler des noix, ou corriger, correction
Chambranle (être)Être peu solide sur ses jambes, être chancelant
Chambriller (G.B.)Chanceler, être ébrieux
ChevauPour cheval
Chique (G.B.)Fluxion dentaire
CleyauPartie mobile qui ferme la partie arrière d’un tombereau
Clos-culLe benjamin des enfants ou d’une portée d’animaux. Le terme est péjoratif et signifie le plus petit, le malvenu.
ClosserEntendu seulement dans l’expression “un fer qui closse”. Un cheval perd son fer et fait en marchant un bruit qui indique qu’on doit le ferrer à nouveau.
ClousserGloussement spécial de la poule qui veut couver
Pour coq
ColasCorbeau ou corneille
CorePour Encore
CorneExtrémité d’un bois, d’un champ
Cornet (G.B.)Le vagin d’une vache. Une vache qui “pousse le cornet”, fait un prolapsus vaginal.
CossaCosses. Du “cossa d’haricot”.
CoupePour couple. Offrir une “coupe” de perdreaux à quelqu’un
CourcailletC’est l’épillet d’orge sauvage qui, en raison de sa forme acérée et de ses poils microscopiques, pénètre fréquemment sous les paupières ou dans les oreilles des animaux.
Courser (G.B.)Poursuivre en courant
Coyable, probabe…Croyable, Probable…
DahuAnimal imaginaire, objet de farces
Décacher (G.B.)Découvrir. Un enfant qui se “décache” dans son lit.
Déchipioter (G.B.)Déchiqueter
DéhotterDécamper
DélugerAbîmer, détériorer
DétourerPréparer un champ pour la moisson en fauchant les côtés.
DoutancesDoutes, soupçons
EnflumeEnflure, inflammation
Ennouer (s’)Avaler “de travers”
EroncePour Ronce
Feurre, feurrierPaille, tas de paille (pratiquement plus utilisé depuis deux générations)
Fin (à toute fin)Vouloir “à toute fin”, c’est s’obstiner
FlonŒdème des mamelles des vaches au moment du vêlage
ForgerUn cheval “forgeait” lorsque les fers des membres postérieurs heurtaient les fers des antérieurs.
FormeGîte de lièvre. Un lièvre “en forme”
Fouère, Vouère…Foire, voir…
GabiaGauche, maladroit. Un cheval “gabia” labourait mal.
Galargne, galerne, galergniauxVents de nord-ouest
GandinMouton de l’année
GargotTablier
GargotterBarbotter, jouer avec l’eau
Gars de batterieEmployé agricole occasionnel
GélauderGeler blanc
GougniafierSaboteur, maladroit
GoulafeGoulu, goinfre
GoudiflotGourde, niais
GourganetGosier
GricherPour grincer. Un animal qui “griche” des dents
GromelotsPour grumeaux. Une vache qui a des “gromelots” dans son lait
GrimaudMaussade, mal en train
GrouillerBouger, remuer
GrugerAbîmer, détériorer
IeuvrePour lièvre
Journées (à) faites (G.B.)Toute la journée
JubineJument
LaitièreBoîte à lait
LicherPour Lécher
LicocheLimace
MagnantPour Maniable
Main (à mon)Pour “à ma main”. “Vous n’êtes pas à vot’à main”.
MairerieMairie
MalenvieuxTriste, maladif
ManquetteEst dite “manquette” une vache dont un ou plusieurs trayons ne donnent pas de lait.
Marcher sur sa longe (G.B.)Expression signifiant: Se dédire, faire machine arrière.
Mener au fumierCharrier le fumier
MenteriesMensonges
Menue pailleBalle de blé ou d’avoine que l’on mélangeait aux betteraves hachées pour nourrir vaches et moutons.
MogneauMoineau
Moindrement que…
Montoir (G.B.)Chemin permettant d’accéder, depuis la vallée, aux champs de la plaine
MusserSentir, flairer
Naissance (G.B.)Vulve des animaux femelles
NineNaine dans l’expression “une poule nine”
NuisancePluie fine plus désagréable qu’utile
Nu pieds nu pattesTout nu
ŒufPrononciation: on dit “un eu” et “des œuffs”
OuétineVieille brebis
Ostiné (être)Pour “être obstiné”. On dit parfois “ochtiné”.
OucheTerrain attenant à la maison de l’autre côté de la rue, côté des champs
OuvrageuxNécessitant du travail
Passée d’AoûtLa “Passée d’Août”, dernier jour de la moisson, était l’occasion de réjouissances.
PéchardAubère. Couleur de robe du cheval (blanc et rouge mélangés)
PerroquetAssemblage de bois permettant de faire sécher dans le champ le fourrage mouillé
PétésiauRejet d’arbre ou d’arbuste
PifMonorchide, n’ayant qu’un seul testicule descendu
PignerSe plaindre (en parlant d’un chien)
Pire (plus, moins)Plus pire: pire. Moins pire: mieux
Plumicher (G.B.)On dit que “se plumiche” un oiseau qui lustre son plumage avec son bec.
PlurerEplucher
RabâcherFaire du bruit. Tonner. “Ça a rabâché toute la nuit”.
RabotVagin d’une vache. “Pousser le rabot”.
RâcheMaladie de peau. Eczéma sec des chiens (G.B.)
RacoinRecoin
Raide de maigueDans un état squelettique
RassoitiUn plat “rassoitti” a été chauffé trop longtemps.
Rechanger (se)Changer de vêtements
RepoussisRepousses végétales
Requinqué
RouquiouPetit, malingre
SensémentEn fait, en réalité (G.B.)
SouvenanceSouvenir. “Je n’en ai pas souvenance”.
Souventes foisSouvent
SurcouerCouper la queue d’un cheval pour l’atteler plus aisément.
TandisPendant. “Tandis midi”“ = Pendant l’heure du déjeuner (G.B.)
Tarde (il) que d’arriver (G.B.)Pour “il ne va pas tarder à arriver”.
Taure Génisse, comme “génisson” signifie “jeune taureau”.
TaurasseUne vache “taurasse” est une vache nymphomane, qui, toujours en rut, chevauche ses congénères comme un taureau.
TiedPour tiède
TontineDispositif exécuté dans les champs pour faire sécher les haricots sous de la paille pour qu’ils restent verts
Topognaud (G.B.)Pas dégourdi, hésitant, tatillon
TorgnièreBout du champ où les chevaux tournent
Tout partoutPléonasme pour “partout”
Tranchées (G.B.)Coliques violentes, en particulier de chevaux
TrapigneuseBatterie mue par un cheval qui marchait pendant des heures sur un tapis roulant
TroupePour troupeau, en particulier de moutons
VerruresPour verrues
VientureVieillesse

Saisie de Jacques Corbel, originellement pour le Corpus Étampois (2004)


1)
Glossaire de la banlieue sud de Paris, Le Puy en Velay, Imp. La Haute-Loire, 1936, In-8°, 64 pages.
2)
“Parler paysan du Hurepoix-Sud”, dans Bulletin Folklorique d’Île-de-France, de 1963 à 1965.
3)
Dialectologie de l’Essonne et de ses environs immédiats. Thèse dirigée par Robert Loriot de l’Université de Dijon, s.d. (1976), in-4°, 683 p. ronéo. Voir le compte-rendu de ce travail, publié dans le bulletin de notre société, n°47, 1977 (1978), p. 39-40.
4)
Le parler paysan du Hurepoix-Sud, Aubervilliers, chez l’auteur, 1974, 2 vol. in-8°, 737 p. man.
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