Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

Outils pour utilisateurs

Outils du site


hn:hn.jm.alliot.1899a

Table des matières

Jean-Marie Alliot

Histoire de l'abbaye et des religieuses bénédictines de Notre-Dame d'Yerres

  • Réédition numérique en mode texte par Bernard Gineste, 2022.

Titre

HISTOIRE DE L'ABBAYE ET DES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES
DE NOTRE-DAME D'YERRES
(au diocèse actuel de Versailles)

PAR l'ABBÉ J.-M. ALLIOT CURÉ BE BIÈVRES.

PARIS LIBRAIRIE ALPHONSE PICARD 82, RUE BONAPARTE, 82 1899

Dédicace

  • À Madame la Comtesse CAMILLE DU BOURG
  • née MARIE-ALEXANDRINE DE LA MARQUE
  • Madame la Comtesse,
  • Ce petit volume , dont je vous prie d'accepter la Dédicace, se recommande à votre bienveillance et à votre piété.
  • Il sera pour vous, je l'espère, comme un écho de ces entretiens, où, dans des jours déjà lointains, nous repassions ensemble nos vieilles légendes, nous redisions les noms de l'ancienne France, ceux surtout de ces nobles et vénérables dames du Bourg, que la Révolution chassa de leurs vieux cloîtres bretons, sans pouvoir leur arracher l'amour de Dieu, qu'elles servirent si fidèlement jusqu'à l'aurore de notre siècle naissant.
  • Vous trouverez dans ces pages, à côté de quelques traits de la faiblesse humaine, de remarquables |x exemples de vertus pratiquées durant sept siècles par un nombre considérable de femmes, sorties de tous les rangs de la société. Puissent mes récits charmer vos loisirs, animer votre vie de retraite, et donner un aliment à votre piété.
  • Ils vous diront, dans tous les cas, le constant souvenir et le respect grandissant avec les années, dont je vous prie d'agréer, Madame la Comtesse, la nouvelle et très sincère expression.
  • J.-M. ALLIOT. |xi

Préface

  • I
  • L'Histoire de l'Abbaye d'Yerres n'est pas, comme on pourrait le croire, la suite ou la continuation de l'Histoire de l'Abbaye de Gif, publiée par nous en 1892. Les deux récits sont parallèles, mais complètement indépendants l'un de l'autre, quoiqu'ils aient certains points de contact et s'éclairent mutuellement en plus d'un endroit.
  • Trois sources principales de documents, nous ont fourni les matériaux de ce travail: 1° Le Cartulaire de l'Abbaye d'Yerres, déposé aux Archives Nationales; — 2° Les Obituaires du couvent, conservés à la Bibliothèque Nationale; —— 3° Et surtout l'importante Collection des titres monastiques d'Yerres, que possèdent les Archives départementales de Seine-et-Oise.
  • Nous nous contenterons de ces indications sommaires, afin d'éviter la multiplicité des notes au bas des pages. Dans les ouvrages d'histoire, et d'histoire locale surtout, il est cependant devenu de mode aujourd'hui, nous ne l'ignorons pas, de multiplier les annotations et l'indication |xii des sources. Pour beaucoup, c'est la preuve de l'érudition, et un livre, dont toutes les pages sont agrémentées de citations bizarres, est dit fortement documenté . Les archivistes de profession ont généralisé dans maintes publications ce système réputé savant entre tous.
  • Pour les imiter, nous aurions pu dire, en citant le Cartulaire, Ms LL 1599 B des Archives Nationales; ou bien, Voyez Bibl. Nation ., Fonds latin, n° 5258 et n° 5258 A, pour indiquer le double exemplaire de l'Obituaire; — ou bien encore, emprunter des indications fort longues et fort obscures, aux différentes pièces dont nous nous sommes servis pour composer notre récit; — ou enfin reproduire des assemblages de lettres capitales et lettres minuscules, en les entremêlant de chiffres gros ou petits, au hasard des citations. Nous ne l'avons point fait, et cela à dessein, pour bien des motifs, dont il est bon d'indiquer quelques-uns.
  • La multiplicité des notes au bas des pages a toujours le très grave inconvénient de gêner l'attention du lecteur, en l'arrêtant dans la suite du récit. On ne doit en user qu'avec réserve, et uniquement pour éclairer le texte. Or, est-ce le cas de ces annotations composées d'une suite de lettres entremêlées de chiffres, qui n'ont rien d'agréable pour le plaisir des yeux, et n'apportent aucune lumière à l'intelligence? Nous ne le croyons pas. Mais tous les savants, et spécialement tous les archivistes, s'en servent? Soit. Laissons-leur cette méthode; c'est, s'il est permis de s'exprimer de la sorte, leur marque de fabrique; toutefois, nous oserons dire sans détour que si ce mode d'annotations permet aux savants de se reconnaître entre eux, il n'est propre, le plus souvent, qu'à éblouir et à embrouiller leurs lecteurs.
  • D'ailleurs, à qui ces notes servent-elles réellement? Qui, parmi les lecteurs, se reporte aux sources ainsi |xiii indiquées? Très rares sont ceux qui ne s'en rapportent pas à la perspicacité et à l'intelligence de l'auteur; et c'est justice, Car celui-ci a lu, étudié, comparé et analysé les documents: vouloir recommencer après lui, serait refaire tout son livre, ce que ne sauraient entreprendre la très grande majorité de ceux qui lisent. — C'est là une partie des motifs qui nous ont incités à nous en tenir à l'indication des trois principales sources, où nous avons puisé les éléments de notre travail.
  • II.
  • On nous a demandé maintes fois pourquoi nous attacher de préférence à décrire l'histoire de monastères disparus et ruinés, dont il ne reste pas pierre sur pierre? Nous pourrions répondre simplement par la phrase célèbre autrefois, et dire: “Car tel est notre bon plaisir”. La réponse serait prétentieuse et un peu trop sommaire. Aussi est-il bon d'indiquer une partie des raisons qui ont déterminé légitimement notre choix.
  • On n'ignore pas que le nombre des maisons religieuses, existant avant la Révolution de 1789, qui, depuis ont relevé leurs ruines, est fort restreint. Nous n'en connaissons qu'une seule dans tout le diocèse de Versailles, et nous savons par expérience que son histoire n'est pas facile à écrire 1). |xiv
  • Pour écrire l'histoire d'un établissement quelconque, il faut en posséder les archives. Or, c'est précisément parce qu'on a saisi, il y a cent ans, les titres et les papiers de toutes les communautés religieuses, que nous pouvons raconter aujourd'hui leur passé, à l'aide des pièces conservées dans les archives publiques. Quant aux couvents qui ont sauvé leurs titres, on ne peut les consulter, sans leur permission; chacun sait que cette autorisation ne s'obtient pas aisément, et jamais sans une réserve expresse ou tacite. Il en va autrement pour les dépôts publics d'archives anciennes. Là, nulle réserve, nulle considération de personnes, nul besoin de ces ménagements, qui portent toujours une petite atteinte à la vérité; la liberté du narrateur n'est gênée par aucun obstacle, et l'historiographe n'a en face de lui que des documents qu'il traduit en toute liberté de conscience: c'est cette indépendance que nous aimons, et qui nous a séduit.
  • Et puis, quel charme mélancolique, que celui de se promener à travers les ruines de ces établissements anciens! de pénétrer le mystère des vieux cloîtres, où se sont succédées des générations de moines et de moniales, dont l'existence a enfanté tant de légendes tour à tour gracieuses ou terribles, pieuses ou dramatiques! Est-çe que les médecins n'envoient pas leurs malades se promener à l'ombre des vieilles forêts, respirer l'air des grands bois et des chênes séculaires, pour fortifier leurs poumons affaiblis? Ainsi, le voisinage des vieux cloîtres, le parfum des vertus qui y furent pratiquées ne peuvent être que salutaires et bienfaisants, pour le tempérament moral et religieux si anémié de nos contemporains.
  • Mais dira-t-on, ce qu'on reproche à vos histoires monastiques, c'est précisément l'absence de ces pieuses légendes, de ce charme naïf, de cette suave dévotion, |xv qui se rencontrent dans les récits du Moyen-Age. À cela nous sommes forcés de répondre, que nous avons écrit l'histoire avec les documents que nous avions sous la main, et que nous nous sommes efforcés de tirer de l'oubli. Aucun d'eux ne contient de récit légendaire, ou miraculeux. Est-ce à dire qu'il ne se soit jamais produit de miracle à Yerres, par exemple? Nous croyons fermement le contraire. Les annales du couvent ont conservé la trace du passage de Saint-Pierre de Tarentaise; et si elles ne relatent pas le prodige accompli, en présence de la communauté, par le saint prélat, comment nous eut-il été donné de suppléer à leur silence? De même au XVIe siècle, il n'est pas douteux que l'abbesse Marie d'Estouteville ait accompli des prodiges; que des guérisons, de vrais miracles se soient opérés sur son tombeau; et cependant les documents qui nous restent sont muets, ou à peu près, sur la sainteté de cette grande Bénédictine. Pouvions-nous et devions-nous faire des récits imaginaires de ces prodiges authentiques d'ailleurs? Nous ne le pensons pas.
  • III
  • Il nous faut enfin répondre à un dernier reproche, qui nous a été adressé au sujet de notre Histoire de l'Abbaye de Gif. La division de l'ouvrage selon les différents abbatiats, dont plusieurs sont sans grande importance, ou même tout à fait insignifiants, soit à cause du peu de durée de la prélature, soit parce qu'il ne s'est rien fait de considérable sous le gouvernement de telle ou telle abbesse. Une telle méthode coupe le récit, alourdit la narration, et fatigue l'attention en divisant la pensée, tandis que la séparation par période |xvi plus ou moins longue permet de grouper les faits, de les lier plus fortement les uns aux autres, en de petits tableaux, que la plume trace d'une manière plus alerte et plus vivante.
  • Nous avons lu beaucoup d'histoires de communautés, fort bien écrites, les unes divisées par périodes, les autres par prélatures. Ce dernier mode nous a toujours semblé préférable, surtout pour fixer les faits dans la mémoire, aussi bien que pour rendre la vraie physionomie du couvent, de la communauté, ou de l'association aux différentes époques de l'histoire. Qu'on nous permette une comparaison empruntée à la scholastique. De même que l'âme informe le corps, disent les théologiens de cette école, de même c'est le prélat en exercice qui donne sa forme, sa vie propre et particulière à la communauté. L'Abbé ou l'Abbesse sont-ils fervents, zélés, actifs? le couvent sera toujours régulier, discipliné, fidèle aux prescriptions monastiques; au contraire, le supérieur est-il indolent, négligent ou simplement alourdi par l'âge? aussitôt la communauté s'en ira déclinant vers l'abandon de la règle, et tombera bientôt dans la vie facile et le relâchement. C'est le motif qui nous a fait préférer la division par abbatiats à celle des époques ou des périodes.
  • Souhaitons maintenant à ce nouveau volume le même succès qu'à son prédécesseur. Malgré les critiques dont il a été l'objet, nous savons que différentes maisons religieuses n'ont pas hésité à le faire lire à la communauté, pendant le repas. Nous ne demandons pas pour celui-ci d'autre récompense.


HISTOIRE DE L'ABBAYE ET DES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES DE NOTRE-DAME D'YERRES


Chapitre premier. Hildearde de Senlis (1132-1155)

Origine de l'Abbaye. — Eustachie de Corbeil. — Étienne de Senlis. — Hildearde. — La règle. — Les donations. — Le pain du roi. — Les Bienfaiteurs. — La famille d'Eustachie de Corbeil. — Saint-Remi de Senlis. — Le prieuré de Saint-Nicolas. — Mort des premiers fondateurs.

  • Dans la première moitié du XIIIe siècle, vers l'an 1130, des religieuses, sorties de différents monastères, les unes venues de Picardie, les autres des confins de la Champagne, plusieurs de l'abbaye d'Argenteuil 2), après l'expulsion de la fameuse Héloïse, erraient dans les environs de Paris. Ces femmes avaient abandonné leurs cloîtres, poussées par des pensées diverses; car tandis que quelques-unes semblaient n'obéir qu'à l'inconstance naturelle à leur sexe, d'autres incitées par l'exemple et les prédications de saint Bernard, le jeune abbé de Clairvaux, rêvaient de réformes et cherchaient la perfection religieuse. |2
  • Une grande dame de cette époque leur servit de protectrice à toutes. Engagée deux fois dans les liens du mariage, Eustachie de Corbeil 3) résolut de fonder, pour toutes ces filles errantes, un monastère, où elles pourraient mener une vie admirable et quasi-angélique, que ses propres engagements dans le siècle ne lui permettaient pas encore d'imiter, mais seulement d'encourager et de favoriser.
  • Elle possédait une maison et un petit domaine dans la vallée |3 arrosée par la rivière d'Yerres. Le lieu était solitaire, humide et marécageux. Adossé à un coteau couvert de grands bois, il était circonscrit d'un côté par le cours de la rivière, de l'autre par un ruisseau nommé le Révillon , qui descendait des plateaux de la Brie; et, desséché en été, coulait torrentueux en hiver, à travers la forêt: l'espace y était fort restreint, quatre ou cinq arpents, environ deux hectares, situés à mi-chemin entre les deux villages d'Yerres 4) et de Brunoy 5). Ce fut là qu'on jeta les fondements du monastère, qui emprunta son nom à la rivière et au village sur le territoire duquel il était bâti, et qu'on nomme encore aujourd'hui, après la destruction des bâtiments claustraux, l'abbaye d'Yerres.
  • Un petit oratoire indispensable à toute fondation religieuse, et quelques abris en planches furent élevés à la hâte, et servirent d'habitation à la nouvelle communauté. Tout était pauvre et modeste, car la fondatrice aussi bien que les moniales obéissaient à l'inspiration de l'oracle de ce temps-là, de saint Bernard, dont l'austérité séduisait toutes les âmes généreuses à l'aurore du XIIe siècle.
  • Grâce au zèle d'Eustachie et à la bonne volonté de ses protégées, les difficultés de première installation furent bien vite aplanies, et dès le début de l'année 1132, la nouvelle colonie s'établit dans l'asile que lui avait ménagé sa bienfaitrice.
  • Celle-ci avait bien pu donner un abri matériel à ses filles de prédilection; mais pour former un monastère, il a fallu, dans tous les temps, le concours de l'Église, agissant par l'intermédiaire de ses premiers représentants. Par son crédit, Eustachie sut se procurer celui d'Étienne de Senlis, évêque de Paris (1124-1142). Le prélat se montra le protecteur et le bienfaiteur des religieuses à un tel point, que celles-ci, dans leur Obituaire, lui attribuent le titre de fondateur de leur maison. |4
  • Tout d'abord l'évêque donna une tête à la communauté, dans la personne d'Hildearde, qu'il tira de l'abbaye bénédictine du Val-Profond 6), située dans son diocèse. Il l'y avait placée lui-même dans le but de la former aux pratiques de la vie monastique; car elle lui appartenait par les liens du sang, étant comme lui de la famille de Guy de Senlis, seigneur de Chantilly.
  • En fondant ce nouveau monastère, Étienne de Senlis, — c'est lui-même qui le dit, — craignant la fragilité du sexe féminin, imposa une règle que, par les conseils de son frère Guillaume 7), d'Hugues, abbé de Pontigny, et d'Hildearde, il tira, en grande partie, des Constitutions de Cîteaux, tout en laissant aux nouvelles moniales, le nom et la forme de la vie bénédictine, dont elles se réclamèrent toujours dans la suite. Elles portaient néanmoins l'habit blanc, commun à presque toutes les religieuses, nées avec la réforme du XIIe siècle, ce qui les distinguait des anciennes bénédictines, vêtues de noir comme les moines de cet ordre.
  • Un point de la règle sanctionnée par Étienne de Senlis est venu jusqu'à nous. Il voulait qu'à la mort de chaque abbesse, les religieuses appelassent l'évêque de Paris, qui devait se rendre à Yerres pour procéder à l'élection d'une nouvelle titulaire, avec l'abbé de Saint-Victor de Paris, et l'abbé de Notre-Dame du Val 8). Si les abbés ne peuvent venir, le prieur d'Yerres et trois religieuses les remplaceront. |5
  • On voit par là que les moniales n'avaient pas voix élective pour la nomination de leur supérieure; — et en outre, que le dessein du prélat et des fondateurs de l'abbaye était d'y placer un petit prieuré de religieux. Il fut bâti en effet à cent cinquante mètres de l'habitation des sœurs, pourvu d'un oratoire, placé sous le vocable de saint Nicolas, en même temps que la chapelle du monastère était dédiée à la sainte Vierge; d'où est venu le nom d'Abbaye de Notre-Dame d'Yerres
  • Après avoir pourvu au spirituel, l'évêque voulut également se montrer bienfaiteur temporel; c'est pourquoi il ne se borna pas à confirmer la donation d'Eustachie, la fondatrice, mais lui-même octroya des revenus ou des dîmes, dans diverses paroisses, à la communauté naissante.
  • Son exemple eut bientôt de nombreux et puissants imitateurs.
  • Au premier rang nous trouvons le roi Louis VI, qui, dès le mois d'octobre 1132, donna, aux bénédictines d'Yerres, la terre d'Invilliers 9), qu'il avait récemment acquise des chanoines de Notre-Dame de Paris. En retour de cette libéralité, les religieuses étaient tenues de faire participer à leurs suffrages l'âme de Philippe, fils aîné du roi, mort peu de temps auparavant d'un accident vulgaire 10). Louis VII, associé au trône du vivant de son père, se montra, lui aussi, plein de sollicitude pour la nouvelle fondation. En 1138, il affranchit, c'est-à-dire qu'il exempta d'impôts tous les biens que les religieuses tenaient déjà de la piété des fidèles.
  • Peu de temps après (1143), il leur donna la dîme de tout le |6 pain qui serait consommé dans son hôtel durant le séjour de la cour à Paris. Cette libéralité, dont nous retrouverons la trace jusqu'à la destruction de l'abbaye, passa par bien des phases diverses; elle produisit des conséquences que le roi n'avait certainement pas prévues, s'augmenta considérablement, fut vivement attaquée dans les siècles suivants, mais fut toujours acquittée, comme une dette d'État, par les princes, successeurs de Louis le Jeune.
  • Fondée par une pieuse bienfaitrice, encouragée et dotée par les rois, bénie par les évêques et bientôt par les papes, l'abbaye d'Yerres exerça aussitôt une action bienfaisante dans la contrée ou elle était assise, et sur la société qui l'entourait. En lisant les annales de son cloître, nous assisterons au développement d'une grande communauté, à l'activité qui y régnait, et nous pénétrerons pour ainsi dire, au cœur d'une société, il est vrai disparue, mais dont l'évocation, même au XIXe siècle, n'est pas tout à fait sans charme.
  • Hildearde, placée à la tête du nouvel établissement, était une jeune religieuse, âgée d'environ 25 ans, qui mit tout en œuvre pour l'accroissement de sa maison. En y entrant elle se trouva tout à coup la supérieure d'une trentaine de moniales environ. Ce nombre s'augmenta rapidement, et malgré la vie toute de privations, de labeur et de pauvreté des nouvelles bénédictines, le recrutement se fit dans les familles aristocratiques de la contrée. Les filles des seigneurs d'Athis, de Valenton, de Gazeran, de Garlande et une multitude d'autres, vinrent avec enthousiasme peupler le cloître à peine ouvert.
  • Pour faire vivre cette communauté sans cesse grandissante, il fallait des ressources matérielles. L'activité d'Hildearde, l'influence d'Eustachie de Corbeil, et le zèle religieux d'Étienne de Senlis surent en procurer. Des monuments nombreux nous ont conservé les noms des premiers bienfaiteurs du monastère. Ne pouvant les citer tous et dans leur entier, nous, en analyserons au moins quelques-uns des plus importants.
  • Au premier rang dans l'ordre chronologique, nous trouvons Hugues Garnier et sa femme Hadvise, qui, avec leurs deux fils, Frédéric et Anseau de Brunoy, donnent à l'abbaye un muid de blé à prendre dans leur moulin, et quatre charges de bois |7 à tirer de la forêt de Sénard. La pauvreté des religieuses et le désir de participer à leurs prières les ont incités à cette libéralité, qui a pour témoins des clercs de la chapelle d'Étienne de Senlis, des moines de Saint-Victor, des chevaliers et quelques serviteurs de l'abbaye.
  • Non moins généreuse se montra Adeline de Latiniaco — que M. Sainte-Marie Mévil 11) traduit par Adeline de Lagny. — Du consentement de tous les siens 12), cette bienfaitrice fit don de la terre du Plessis, et d'un bois naguères propriété dés moines de Port-Seine (?); Galeran, comte de Meulan et Guillaume de Courtry, seigneurs suzerains des biens donnés, participèrent à cette aumône en ce qui les touchait, Isembard de Miny donna les dîmes de la paroisse de Moisenay 13). Dame Asceline et son fils Téo accordent la dîme de Marbois. Philippe Aniani et sa femme Eremburge viennent d'acheter, d'un certain Richard, des terres à Bouville et au Mesnil-Racoin 14). Ils y bâtissent une petite ferme, y creusent un puits, y élèvent une humble chapelle: c'est l'origine d'une paroisse aujourd'hui supprimée; ils offrent le tout à noire abbaye, qui en fait, avec le temps, un des plus beaux fleurons de sa couronne territoriale.
  • Combien longue serait la liste de tous ceux qui se dépouillèrent de leurs biens en faveur des servantes du Christ, si nous devions la faire complète!
  • Bornons-nous aux offrandes qui ont laissé une trace plus profonde dans l'histoire du monastère. |8
  • Ici la première place appartient sans contredit à Hugues de Valenton et à sa fille Eremburge. Tous deux ils forment le premier anneau de cette longue chaîne qui se déroulera presque sans interruption, à travers les sept siècles de l'abbaye, et où nous verrons toujours le même spectacle: celui d'une famille sacrifiant son enfant, et se dépouillant en même temps de ses biens terrestres.
  • Eremburge de Valenton était arrivée à l'âge nubile; un riche parti s'étant présenté, sa famille projetait pour elle le plus brillant avenir dans le monde. Mais la jeune fille, attirée par la grâce d'en Haut, se jeta au cou de son père, le suppliant de la conduire à Hildearde, et de lui permettre de prendre rang parmi les épouses de Jésus-Christ. Cédant aux instances de sa fille, le pieux chevalier l'amena à Yerres, entouré de ses autres enfants: Hugues et Albéric, frères de la postulante, ainsi que de sa sœur Helvide. Là, il la consacra à Dieu en présence de tous les siens, et d'une quinzaine de chevaliers, ses parents et ses amis qui l'accompagnaient. Pour elle, il dota l'abbaye de dix arpents de terre qu'il possédait à Suci 15) et d'une rente à prélever chaque année sur des prairies sises à Brétigny 16).
  • Cette jeune recrue ne devait pas tarder à s'illustrer dans le cloître; car après y avoir vécu quelque temps et s'y être formée aux pratiques de la vie monastique, ce fut elle qui alla relever les murs croulants de l'abbaye de Gif, et en devint la première abbesse.
  • L'exemple donné par le seigneur de Valenton 17)) fut suivi par une foule d'autres chevaliers du XIIe siècle. Simon de |9 Gazeran, accompagné lui aussi de ses fils, amène l'une de ses filles à l'abbaye, et cède aux religieuses un lieu nommé Pommeraie 18), où nos moniales bâtissent une ferme, et où l'évêque de Chartres, Philippe de Champagne, leur permet d'élever une chapelle, dans laquelle les manants d'alentour apprennent, sous la direction d'un moine, à prier Dieu et peuvent accomplir leurs devoirs religieux.
  • Il en est de même d'Odon Briard qui, suivi de ses trois frères: Josbert, Hugues et Gautier, fait entrer d'un seul coup toutes ses filles au monastère, les confie à l'abbesse, et en retour, lui donne tous les biens qu'il possède à Brie-Comte-Robert 19). Cette donation revêtit une solennité particulière, car elle fut placée dans la propre main d'Hildearde, en présence d'un grand nombre de témoins, au milieu desquels nous voyons figurer Ansolde Corneth et sa femme Alpaïse, eux-mêmes bienfaiteurs du couvent. Elle fut sanctionnée par l'archidiacre de Brie, Bernard, par Guillaume, confesseur des moniales et frère du chancelier de France Algrin, par Adam de Chilly et son fils Thierry, par Hugues d'Yerres, par Gautier de Marolles, et surtout par Eustachie de Corbeil et l'un de ses fils, Frédéric du Donjon.
  • Guy de Garlande, à son tour, présente, non pas sa fille, mais sa sœur, qu'il voue à Dieu, et donne en sa faveur toutes les vignes que lui et sa femme Halvide possèdent à Combs-la-Ville 20).
  • Toutefois aucun des bienfaiteurs de la première heure n'égala en largesses la fondatrice elle-même, encouragée et imitée par les membres de sa famille. En bâtissant le monastère dans son domaine, Eustachie n'avait point épuisé d'un seul coup la mesure de sa générosité. Elle y ajouta dans la suite deux tiers de la dîme de Lieusaint 21), le tiers de celle de Brie, une grange ou métairie à Draveil 22), la terre du |10 Plessis 23), cinq sous de rente sur une maison à Yerres, la moitié de la dîme de Villabé 24) avec le patronage de l'église, et la terre de Chanteloup 25) pour l'entretien de l'infirmerie du couvent: enfin le péage de Champmotteux 26) devait être employé à l'acquisition des vêtements de lin pour certaine catégorie de religieuses. Jean d'Étampes, mari d'Eustachie, Frédéric et Ancel ou Anseau, ses fils, Baudouin de Corbeil, son gendre, et Aveline sa fille, furent présents à ces donations et les approuvèrent.
  • Ils firent plus: eux-mêmes prirent rang parmi les bienfaiteurs du couvent déjà si largement doté par leur mère. Car Ancel abandonna aux religieuses une grande terre qu'il possédait au Ménil-Racoin. Les moniales, on s'en souvient, y avaient déjà un établissement; elles s'y établirent et y bâtirent, sous le vocable de sainte Marie-Madeleine, une chapelle pour suppléer à l'insuffisance de l'oratoire primitif, élevé par Philippe Aniani. — De leur côté. Aveline et Baudouin de Corbeil donnèrent toutes leurs possessions d'Oysonville 27), ce qui fut confirmé par l'évêque de Chartres.
  • Ces pieuses libéralités de la famille d'Eustachie se rapportent à l'année 1138, date de l'organisation définitive de l'abbaye par l'évêque de Paris.
  • Celui-ci, durant les six ans écoulés, depuis la fondation du couvent, avait travaillé avec persévérance à son accroissement. Il y venait quelquefois et s'intéressait vivement à tout ce qui le concernait. Il avait confié aux bénédictines d'Yerres le soin de relever les ruines de l'abbaye de Gif, dont elles ne prirent pourtant possession, ce semble, qu'après sa mort. Il y joignit encore d'autres manques de bienveillance. C'est de lui que l'abbaye tenait toute la partie de la forêt de Sénard, attenant au village de Moissy. Comme ce bien était plutôt |11 la propriété de l'évêché que celle du prélat, il s'entoura pour la circonstance d'une vingtaine de clercs de sa maison épiscopale, — nous dirions de son chapitre, — parmi lesquels il nous faut noter la présence d'un jeune sous-diacre, nommé Maurice, qui avait déjà figuré en qualité de simple clerc dans un acte précédent. Ce témoin succédera un jour à Étienne de Senlis, sur le siège de Saint-Denis, il sera le continuateur de ses œuvres, le protecteur insigne des moniales d'Yerres: c'est Maurice de Sully.
  • Enregistrons encore à l'actif d'Étienne de Senlis une autre marque de sa munificence. Elle porte la date de 1138, et peint trop bien les mœurs de l'époque pour être passée sous silence.
  • Des chevaliers de la région (milites) s'étant faits pillards et voleurs de grand chemin, furent pris de remords et vinrent à résipiscence. Ne sachant à qui restituer, ils résolurent de faire profiter la nouvelle fondation de leur repentir; c'est pourquoi ils s'adressèrent à l'évêque de Paris, qui, en leur nom, donna à l'abbaye les dîmes de dix paroisses, au nombre desquelles nous voyons celles d'Athis, de Lieusaint, de Santeny 28), de Drancy 29), de Chalandray 30), d'Évry 31), de Cramoyelle 32), de Villabé, de Servigny et de Altaribus, lieu tout à fait inconnu, et sur lequel l'abbé Lebeuf et d'autres historiens se sont en vain efforcés de faire la lumière.
  • Ainsi pourvue de biens considérables, l'abbaye d'Yerres occupait déjà une place importante parmi les établissements religieux du XIIe siècle. Sa jeune abbesse était en rapport avec un grand nombre de personnages; ses relations s'étendaient de jour en jour, surtout parmi les membres du haut clergé. Outre l'évêque de Paris, son protecteur naturel, elle est traitée avec bienveillance par Henri Sanglier, archevêque de Sens, par les évêques d'Orléans, de Chartres et de Senlis, qui tous |12 deviennent, pour elle et ses filles, des protecteurs et des bienfaiteurs.
  • Le dernier surtout, Pierre le Boutellier, qui occupa le siège de Senlis de 1134 à 1151, professait pour Hildearde et sa maison une admiration enthousiaste, qu'il traduisit par une marque de confiance, dont les conséquences occupent une place importante dans l'histoire d'Yerres.
  • Une abbaye de bénédictines existait aux portes de la ville de Senlis. Elle était placée sous le vocable de Saint-Rémi. Le prélat, mécontent du relâchement qui y régnait, donna le monastère tout entier avec tous ses biens, à Hildearde, pour en faire un simple prieuré de son abbaye; et l'archevêque de Reims, Sainson de Monvoisin, ratifia cette donation. Cependant la mesure trop radicale, prise par les deux prélats, n'eut pas son entière exécution, et Saint-Rémi de Senlis garda longtemps encore son titre d'abbaye, quoiqu'elle demeurât dans une sorte de dépendance vis-à-vis le monastère d'Yerres. Celui-ci d'ailleurs, lui infusa un sang nouveau, rétablit la discipline et rendit quelqu'éclat à ce vieux couvent prêt de s'en aller en ruines.
  • Tout prospérait à l'abbesse Hildearde. Le roi la protégeait et dotait sa maison; de tous côtés affluaient d'abondantes aumônes, qui lui permettaient non seulement de nourrir les recrues, entrées dans le jeune cloître, mais encore de payer et d'entretenir les ouvriers, employés par elle, à construire et à édifier; les évêques la soutenaient et l'encourageaient; les papes eux-mêmes lui prêtaient leur appui. Dès 1141, Innocent II, à la sollicitation d'Étienne de Senlis, écrit à l'abbesse une longue lettre; il la prend sous sa protection, elle, ses religieuses, son monastère et tous ses biens, concédés par les évêques, les seigneurs et les rois. Cette lettre si précieuse pour nos moniales existe encore. Outre la signature du pape, elle porte celle de dix cardinaux. — Un peu plus tard, en 1147, Eugène III écrit une nouvelle lettre dans laquelle il assure l'abbesse de sa protection. Ce fut un encouragement pour Hildearde, elle en profita pour faire régler, par le pontife, un petit différent qui s'était élevé entre elle et l'abbaye de Saint-Paul de Beauvais. |13
  • Nous venons de dire que les moniales de Saint-Rémi de Senlis avaient été placées sous la dépendance de l'abbaye d'Yerres, par suite de la donation de leur évêque. Les Bénédictines de Saint-Paul de Beauvais eurent peine à se plier à ce nouvel état de choses. Elles avaient des possessions en commun avec Saint-Rémi, et n'acceptaient point la substitution de l'abbesse d'Yerres à celle de Saint-Rémi. Pour le maintien de la paix, Hildearde céda à Massilie, qui portait la crosse à Saint-Paul, toutes les terres et toutes les vignes possédées en commun par les deux monastères; elle ne garda pour elle que les bâtiments claustraux avec leurs dépendances. Mais afin de rendre cet accord plus inattaquable et plus solennel, les deux abbesses se rendirent à Auxerre, où se trouvait le pape Eugène III. Elles déposèrent leur contrat aux pieds du pontife, qui le sanctionna en présence de tous les prélats, parmi lesquels se trouvaient saint Bernard, et Pierre, évêque de Senlis, l'auteur de la donation.
  • C'était au mois de juin 1147. Eugène III était en France pour les besoins de la croisade. On sait que le roi Louis le Jeune prit la croix. Cette expédition fut pour notre abbaye une nouvelle source de prospérité; car plusieurs chevaliers 33), avant de s'embarquer pour la Terre-Sainte, vinrent solliciter les prières de nos moniales, et en retour leur laissèrent des dîmes et autres droits en divers lieux.
  • Ces ressources venaient à point pour aider l'abbesse dans ses nombreuses entreprises. Outre les bâtiments claustraux, sans cesse agrandis, par suite du nombre croissant des postulantes, Hildearde n'avait pas moins de cinq ou six établissements au dehors, qu'il fallait entretenir de toutes les choses indispensables à la vie. De ce nombre était une ferme, donnée par Odon, prieur de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, où nos moniales avaient député une petite colonie de religieuses, qui cultivaient la terre de leurs mains. |14
  • Dans l'aire même du couvent, s'élevait aussi le prieuré de Saint-Nicolas pour les religieux, appelés à rendre d'importants services à la communauté.
  • À sa tête était placé Guillaume d'Étampes, qualifié frère du chancelier de France par plusieurs actes de ce temps-là. Il était aussi frère de Jean d'Étampes et par conséquent beau-frère d'Eustachie, la fondatrice. Lors de la rédaction de la règle, il y prit part comme chanoine de Notre-Dame de Paris; puis en 1138, il renonça à son canonicat pour se faire pauvre du Christ et vivre en religieux à l'abbaye. Il en fut le premier prieur. Sous sa direction, un ou deux prêtres et quelques laïques vinrent se grouper et formèrent une petite assemblée, dont les membres furent chargés, les uns du service divin, les autres des intérêts matériels de la maison.
  • Enfin au fond de l'enclos, sur le Révillon, l'abbesse fit construire un moulin pour subvenir aux besoins de sa communauté, qui, en y comprenant les serviteurs, comptait déjà plus de cent personnes.
  • Au milieu de tous ces travaux et des préoccupations incessantes qui en étaient la suite, Hildearde fut constamment soutenue par la fidèle Eustachie de Corbeil. Celle-ci devint veuve pour la seconde fois vers 1141. Après le décès de Jean d'Étampes, elle s'enferma dans le cloitre avec les religieuses, pour se préparer, dans la retraite et la prière, à une sainte mort. On a même prétendu qu'elle se fit moniale, et vécut plusieurs années en vraie fille de saint Benoît. De ce fait il n'y a pas de preuves dans les annales de l'abbaye; mais il est certain qu'après avoir passé ses dernières années avec nos bénédictines, elle mourut vers 1150, entre leurs bras, et fut ensevelie par elles dans la chapelle abbatiale, où son tombeau demeura visible jusqu'à la fin du XVIe siècle.
  • Elle avait été précédée dans la tombe par son associé dans la fondation du couvent. Étienne de Senlis était mort en 1142, après avoir prodigué à Hildearde et à ses filles une sollicitude vraiment paternelle. Son successeur Thibaut 34) ne fut pas moins bienveillant; il combla l'abbaye de bienfaits; et durant |15 plus d'un siècle, tous les prélats, qui se succédèrent sur le siège de Paris, firent de même, et témoignèrent par des aumônes répétées leur attachement à la communauté d'Yerres.
  • Hildearde, à son tour, sentit ses forces décroître. Encore dans la force de l'âge, mais épuisée avant le temps par les travaux, les soucis, le jeûne et la vie pénitente, elle mourut en 1155, à l'âge de 48 ans. Son gouvernement avait duré 23 ans, à titre de supérieure d'abord, et d'abbesse régulière depuis 1138.
  • Ses filles reconnaissantes couchèrent sa dépouille mortelle près de celle d'Eustachie de Corbeil, sa collaboratrice et son ainie, dans la chapelle du couvent, où toutes deux purent dormir en paix, après avoir accompli une grande œuvre; car dès le milieu du XIIe siècle l'abbaye d'Yerres comptait au nombre des principaux établissements religieux du grand et beau diocèse de Paris.
  • L'un des moines du prieuré de Saint-Nicolas, plaça, pour la postérité, dans les annales du monastère, cet éloge funèbre de la première abbesse, écrit en un langage qui fait honneur au latin si décrié du moyen-âge:
  • Peracto cursu hujus vitœ, migravit ad Christum, Hildeardis, sanctæ recordationis mater, prima Abbatissa Hederensis ecclesiæ, vigesimo quinto anno nativitatis suœ, divina providente clementia, impregnata de sancta Sancti Spiritus gratia, circiter viginti et tres annos elaboravit, parturiendo et enutriendo filias Jerusalem in tabernaculo castitatis, cujus anima, inter angelorum agmina sublevatur et lætatur cum Beatis.

Chapitre II. Clémence Loup (1155-1180)

Clémence Loup ou le Loup. — Construction du cloître. — Les moniales. — Recrutement et organisation. — Vie des religieuses. — La chevecerie de Notre-Dame de Paris. — Nombreuses aumônes. — Privilèges accordés par le pape. — Les familles de Corbeil, Briard et de Garlande. — Hugues le Loup. — Saint-Pierre de Tarentaise. — Maurice de Sully. — Son dévouement à l'abbaye. — Mort de l'abbesse.

  • La succession d'Hildearde échut à l'une des plus jeunes religieuses de la communauté. L'élection eut lieu selon le mode réglé par Étienne de Senlis, vingt ans auparavant, et fut faite, en grande partie, par des personnes étrangères à l'abbaye. Leur choix tomba sur Clémence Leu ou Loup, qui n'était âgée que de dix-neuf ans. Fille de Guillaume le Loup, seigneur de Villepinte, de Drancy et autres lieux35), Clémence avait déjà passé plusieurs années à Yerres. Ses proches étaient au nombre des bienfaiteurs de la maison; elle était parente, nous ne saurions dire à quel degré, de sa devancière, et les influences de famille ne furent certainement pas étrangères à |17 son élévation. D'ailleurs cette enfant était en tout digne de commander.
  • Le couvent devenait chaque jour plus nombreux, et les soins à lui donner plus importants. Eustachie de Corbeil, on s'en souvient, avait ouvert un abri plutôt que bâti un établissement solide à nos bénédictines. Hildearde, durant son abbatiat, s'était efforcée de faire face aux nécessités quotidiennes sans cesse grandissantes autour d'elle; mais de plan régulier, de constructions durables, il n'y en avait point, à part peut-être la chapelle. Le frère de la nouvelle abbesse, nommé Hugues le Loup, commença un édifice solide et régulier. Il fit construire en pierre le cloître où sa sœur présidait à une grande famille monastique, dans l'intérieur de laquelle nous allons pénétrer, et dont il est temps de redire l'organisation et la vie sanctifiée par la pénitence.
  • Au moment où Clémence prit la crosse, l'association comptait cent religieuses ou même davantage. Elles étaient divisées en deux classes: la simple bénédictine: Monialis ou Monacha, et la bénédictine consacrée à Dieu: Monialis Deo sacrata 36), répondant assez bien à la Novice et à la Professe d'aujourd'hui, avec cette différence cependant, que beaucoup d'entre elles restaient simples moniales toute leur vie. Il y avait encore les Moniales ad succurrendum. Celles-ci ne prenaient l'habit qu'a l'heure de la mort pour participer aux suffrages des défunts: c'était une sorte de Tiers-Ordre 37), ou mieux une congrégation de dames pensionnaires vivant à l'abbaye, quelques-unes même en dehors. La catégorie des Postulantes n'existait pas: une famille amenait l'un de ses membres au cloître, on lui donnait l'habit en présence des siens, et cette jeune fille était religieuse, Monialis. Dès l'origine, on trouve la Converse, Conversa; mais sa situation ne semble point inférieure à celle de ses sœurs; elle vit avec elles sur un pied de parfaite égalité.
  • Aucun âge n'est requis pour entrer au monastère, aucun |18 âge n'en est exclus; car on y voit des enfants, des adolescentes, des jeunes filles, des veuves et même des femmes mariées 38). Dans l'admission ou dans l'éloignement des recrues, c'est la prudence qui seule dirige l'abbesse.
  • Celle-ci est aidée dans le gouvernement de la maison par la Prieure, par la Souprieure, et par chacune des moniales préposées aux charges et aux différents Offices de l'intérieur: d'où leur nom d'Officières. Il y a l'Infirmaria, l'infirmière, chargée du soin des malades; la Thesauraria, que nous appellerions l'Économe ou la Caissière; la Pictantiaria, la cuisinière ou mieux la réfectorière; la Cantrix, pour diriger le chant de l'office divin; etc. La charge de Maîtresse des Novices, devenue si importante dans les couvents depuis le XVIe siècle, n'existe pas au XIIe . C'est à l'abbesse qu'incombe le soin de former tout son monde à la vie et aux pratiques monastiques. Selon l'énergique expression du texte déjà cité: Parturit et enutrit filias Jerusalem in tabernaculo castitatis, c'est elle qui engendre et nourrit chacune des vierges de la Jérusalem claustrale.
  • Toutes les religieuses, quelque soit d'ailleurs leur titre, semblent jouir de droits égaux. Elles n'ont point choisi leur supérieure, avons-nous dit, mais elles ont ratifié son élection par un consentement tacite et une sorte d'enthousiasme dans l'obéissance à ses ordres. Du reste, elles prennent peu à peu conscience de leurs droits, et déjà Clémence recueille l'avis de toutes ses filles, quand il s'agit des intérêts de la communauté, des contrats à signer, des délibérations à arrêter. Ne sont-ce pas les institutions trop faibles ou en décadence, qui, sous prétexte de prudence, écartent le plus grand nombre de leurs membres, de tout ce qui touche au gouvernement des monastères? |19
  • La vie des moniales est partagée entre la prière et le travail des mains.
  • Les exercices religieux comprennent: la psalmodie de l'office divin, réglé par le bréviaire parisien du XIIe siècle, avec le chant des matines au milieu de la nuit; la messe tous les jours. La Sainte-Réserve n'est pas conservée dans la chapelle, et l'usage des Sacrements de Pénitence et d'Eucharistie n'est pas fréquent; mais les religieuses font souvent des processions, chantent et récitent chaque jour des litanies, des invocations, des antiennes et des suffrages pour les morts; elles invoquent les saints, et ont de fréquentes réunions devant les reliques, dont le trésor, commencé aux premiers jours de l'abbaye, fut considérablement enrichi par Clémence.
  • Le travail des mains est fort en honneur à l'abbaye. Avec l'entretien d'une maison considérable, sans cesse encombrée d'ouvriers, nos moniales cultivent la terre de leurs bras. Elles labourent et ensemencent, non seulement l'enclos voisin de leur cloître, mais elles ne sont ni recluses, ni cloîtrées; aussi se transportent-elles par petits groupes, qui à Draveil, qui à Lieusaint, qui au Mesnil-Racoin, et jusqu'à Invilliers et au diocèse de Chartres. Toutefois ces déplacements furent bientôt reconnus incompatibles avec les pratiques de la vie monastique, ils cessèrent peu à peu et on n'en trouve pas d'exemple après l'année 1180.
  • Notons encore que la règle empruntée en grande partie à Citeaux était très sévère. Les jeûnes y étaient fréquents; la discipline et les autres mortifications corporelles d'une pratique presque quotidienne; l'usage de la viande en était banni comme dans toute observance monastique de ce temps-là; celui des œufs était également prohibé; mais cette rigueur s'adoucit peu à peu avec le changement des mœurs, et surtout par suite des donations et des fondations, faites dans ce but, par d'innombrables bienfaiteurs.
  • C'est à une communauté ainsi organisée que préside Clémence le Loup. Aidée dans les choses extérieures par son frère Hugues, l'un des familiers de l'abbaye en attendant qu'il s'y fasse religieux, et par le prieur de Saint-Nicolas, frère |20 Isabeau, successeur de Guillaume, la jeune abbesse déploie une activité extraordinaire pour le développement et la prospérité de sa maison. Elle trouve, il est vrai, appui et protection tout autour d'elle.
  • Le roi de France, Louis VII, si bienveillant pour Hildearde, n'est pas moins favorablement disposé pour Clémence. En 1157, à la mort de Thibaut, évêque de Paris, certains revenus de l'évêché lui furent dévolus en vertu du droit de régale.
  • Pour ne pas profiter des biens de l'autel, le monarque donna à Yerres la chevecerie de Notre-Dame de Paris, d'un revenu assez considérable, à chaque vacance du siège épiscopal. Il agrandit le domaine du monastère à Pommeraie, dans la forêt d'Yveline, favorisa des échanges de biens entre les religieuses et les moines de Barbeaux, prêta son concours pour régler une difficulté survenue à Étampes, entre Nicolas Tade et l'abbaye, au sujet des biens que celle-ci tenait de Jean d'Étampes, et jusqu'à la fin, se montra le zélé protecteur du couvent, dont il avait pour ainsi dire jeté les fondements.
  • Clémence trouva aussi un précieux concours parmi les religieux ses contemporains. Nous avons déjà nommé les moines de Saint-Victor, à Paris, ceux de Notre-Dame du Val et ceux de Barbeaux. Les bénédictins de Saint-Maur des Fossés l'aidèrent également dans ses entreprises. Ces moines noirs pardonnaient facilement, semble-t-il, à leurs sœurs d' Yerres, d'avoir pris l'habit blanc et adopté une observance différente de celle des anciennes Bénédictines. D'après certaine tradition, ce fut même dans l'une des possessions de Saint-Maur, située aux environs de Chevry, en un lieu dit les Autels, que les religieuses errantes, recueillies par Étienne de Senlis, avaient trouvé un refuge, avant de s'établir à Yerres. Quoi qu'il en soit, l'abbaye eut un bienfaiteur dans Isembard 39), abbé de Saint-Maur. Il lui céda des biens et des revenus dans la Brie, à Vitri, près Paris, et dans la censive de Saint-Eloi, où |21 nos moniales possédaient déjà une maison, qu'un certain Amaufroy, boulanger, leur avait donné à l'occasion de la prise d'habit de sa sœur. Cette maison, Clémence la vendit, et pour ce faire, elle vint à Paris, accompagnée d'Isabeau de Sanliz sa prieure, et d'une autre moniale nommée Menauz, cellerière du couvent. Toutes trois reçurent l'hospitalité chez Pierre le Loup, archidiacre dê Josas, l'un des frères de l'abbesse.
  • Les évêques n'étaient pas moins dévoués au monastère que les religieux et le roi. L'archevêque de Sens, Hugues de Toucy, comme métropolitain du monastère, s'en montra le bienfaiteur insigne. Son prédécesseur, Henri Sanglier, avait déjà donné des revenus et même des églises à nos moniales; lui, ajouta de nouveaux bienfaits. Entouré de tout son clergé, il confirma d'un trait de plume à Clémence, les dîmes de Barberonville, de Jodenville, d'Ermenenville, d'Audeville, d'Orval, de Noiseville 40), etc., et il encouragea nombre de ses diocésains, à aider de leurs aumônes, les pauvres servantes du Christ. Il en fut de même de Manassé de Garlande, évêque d'Orléans, et de Guillaume de Champagne, évêque de Chartres, dont les noms se retrouvent avec un accent de reconnaissance dans les pièces du Cartulaire.
  • Toutefois une plus haute protection, celle du Souverain Pontife, avait semblé nécessaire à l'abbesse. À peine en possession de la crosse, elle avait demandé au pape Adrien IV, la confirmation de tous Tes biens et de toutes les possessions de son monastère. C'était un usage commun au moyen âge, et ces confirmations souvent répétées, fortifiaient, dans la pensée des anciens, le droit de propriété. Le Pontife s'empressa de répondre à la demande de Clémence, et par une bulle de 1157, où l'on voit, avec la signature du pape, celle de dix cardinaux, il confirme, de son autorité, toutes les donations faites à l'abbaye, et dresse la liste des principaux bienfaiteurs 41). |22
  • Quelques années plus tard, le successeur d'Adrien, Alexandre III, est en France. Au début de l'année 1164 il est l'hôte de l'archevêque de Sens, Hugues de Toucy. Profitant de la bienveillance de son métropolitain, Clémence quitte Yerres et court se jeter aux pieds du Souverain Pontife. Elle profita de l'entrevue qu'elle eût avec le chef de l'Église, pour se placer, elle, sa maison, ses biens, sous l'autorité immédiate du chef de l'Église, sans se soustraire pourtant à la juridiction des évêques de Paris. Le pape accorda différents privilèges à l'abbaye; il régla entre autres choses, qu'aucun homme 42), ni femme, après avoir fait profession à Yerres, ne pourrait, sans la permission de l'abbesse, entrer dans un autre monastère 43).
  • Les noms de tous ces grands personnages ne doivent pas nous faire oublier le rôle moins retentissant, mais non moins efficace, de tous les bienfaiteurs, dont les aumônes contribuèrent au développement et à la prospérité de l'abbaye. Ces donateurs ont droit à une large place dans l'histoire du couvent parce que, contemporains, voisins et amis de nos religieuses, leurs largesses semblent moins une aumône, un don gratuit, qu'une dette d'admiration, payée aux vertus et à l'austérité d'une communauté que chacun s'efforce de rendre florissante. |23
  • C'est d'abord Gilbert, vicomte de Corbeil, qui de l'assentiment de Mabilie, sa femme, et de son frère Ancel, donne une ferme et des dîmes, pour participer aux prières des moniales.
  • Combien elle est admirable cette nombreuse famille de Corbeil!
  • Divisée en plusieurs branches, dont les principales sont celles de Corbeil et celle du Donjon, elle fut, pendant cent cinquante ans, la providence vivante des religieuses d'Yerres, et durant cette longue période, presque tous les actes, rédigés en faveur de nos Bénédictines, portent la signature d'un et même de plusieurs fils de cette pieuse et généreuse race.
  • Ce sont ensuite les noms d'Albert de Pithiviers, de Bouchard du Coudray, de Baudouin d'Orangis, de Thibaut de Viry, d'Aubry de la Ferté et de plus de dix membres de sa famille; d'Hugues Briard 44), de cinq ou six Garlande, que nous rencontrons parmi les bienfaiteurs de l'abbesse Clémence et de ses sœurs. En un mot tous les chevaliers de la contrée ont laissé leur nom dans nos annales, et se sont signalés par quelque bienfait.
  • Si grande que fut sa sollicitude pour les choses temporelles, indispensables à l'entretien de sa populeuse communauté, ces soins n'absorbaient point toute l'activité de Clémence, et les intérêts spirituels de ses filles la préoccupaient bien davantage. Elle s'efforce d'entretenir en elles le feu sacré de l'amour de Dieu par des exercices multipliés; elle demande des reliques à différents prélats et principalement en Italie; elle contracte des associations de prières, notamment avec Saint-Victor et Sainte-Geneviève de Paris, et multiplie les suffrages pour les défunts. Ces chartes nous apprennent que pour chaque décès de religieuse, outre l'office des obsèques, on célébrait encore un service le septième et le trentième jour après la mort; de |24 plus, on récitait le psautier et toutes les moniales prenaient la discipline. Enfin, bien que ses filles soient généralement peu instruites, l'abbesse leur procure des livres, et estime ceux-ci à un si haut prix, qu'elle s'engage à faire jouir de tous les suffrages accordés à une religieuse professe décédée, certain frère Guillaume, parce qu'il a fait don des épîtres de saint Paul, à l'abbaye d'Yerres. Cet acte, écrit un peu après 1170, est le premier qui applique le titre de professe à une moniale de l'abbaye 45).
  • Le zèle déployé par Clémence fut récompensé par les faveurs du ciel. D'abord elle eut la consolation de voir son frère Hugues quitter le siècle, où il était engagé dans les liens du mariage, et embrasser la vie religieuse 46). En ce faisant, il comble sa sœur de, nouveaux bienfaits. Il lui donne notamment une rente annuelle de cent sous à prendre sur le change de Paris. Cette somme sera affectée aux usages personnels de l'abbesse, tant qu'elle vivra, et après son décès, elle tombera dans le trésor de la communauté. Les filles et les gendres du donateur, ainsi que l'un de ses frères, Guy le Loup, grand Bouteiller du roi Louis VII, ratifièrent cette donation, qui prouve que le XIIe siècle avait des idées tout à fait différentes des nôtres, sur la pratique du vœu de pauvreté, et sur la manière d'entendre le dépouillement religieux. Elles ne sont point rares, en effet, ces donations faites à des religieuses; les moniales, après leur entrée au cloître et même après leur profession, gardaient, ce semble, la libre disposition de leurs biens temporels.
  • Hugues le Loup fit encore d'autres dons au couvent bâti de ses deniers et par ses siens. Il légua à l'abbaye un vase pour porter le corps du Christ, ad portandum corpus Christi. Nos religieuses auraient-elles eu, avant le XIIIe siècle, des |25 démonstrations extérieures en l'honneur de la sainte Eucharistie, qui, nous l'avons fait remarquer, n'était pas conservée au milieu d'elles; ou bien ne faut-il voir dans ce vase, qu'un Saint Ciboire, destiné à porter la communion aux religieuses malades, retenues à l'infirmerie?
  • L'un des plus notables évènements de l'abbatiat de Clémence fut la présence, à Yerres, de saint Pierre, évêque de Tarentaise. On ne saurait dire par quel concours de circonstances il fut attiré au monastère; mais le nom de plusieurs des siens a été inscrit dans l'Obituaire du couvent. Le pieux prélat était au milieu de nos moniales, dans les premiers mois de l'année 1173. Sa réputation de sainteté fit qu'on lui amena deux sourds qu'il guérit à la prière de l'abbesse. Il toucha également un paralytique et lui rendit l'usage de ses membres, en présence des moniales stupéfaites et émues d'enthousiasme. Ce sont les seuls faits miraculeux, authentiquement établis, mentionnés dans les annales de l'abbaye. Le saint évêque mourut peu de temps après; nos religieuses inscrivirent son nom parmi ceux de leurs bienfaiteurs, et le firent suivre des noms de son père, de sa mère, appelée Sainteburge, de ses deux frères Lambert et Guillaume.
  • Mais personne n'a droit à plus de gratitude et de reconnaissance de la part des Bénédictines d' Yerres, que Maurice de Sully, la gloire de l'Église de Paris au XIIe siècle. Jeune clerc, ce grand évêque, avait déjà accompagné Étienne de Senlis à l'abbaye, et il en avait emporté bon souvenir. Devenu, en 1160, le troisième successeur d'Étienne, il témoigna bientôt à nos moniales là même bienveillance que son prédécesseur et son maître.
  • Cependant les premiers rapports du nouvel évêque avec le monastère furent empreints d'une certaine réserve, même de Quelque froideur. Une double cause avait produit ce malaise. Les droits de chevecerie exercés par l'abbesse à la mort de Pierre Lombard, prédécesseur de Maurice de Sully, amenèrent des tiraillements avec le chapitre de Notre-Dame, dont Maurice faisait partie. De plus, la persistance de Clémence à se placer sous la protection du pape, à réclamer en toute circonstance son appui, portait quelqu'ombrage à la chancellerie 26 épiscopale. Mais bientôt l'esprit large du saint prélat, admirateur sincère de la piété et de la ferveur des sœurs d'Yerres, fit cesser tout malentendu: Clémence et ses filles devinrent l'objet de sa plus tendre sollicitude.
  • Dès le début de son épiscopat, il montra un zèle éclairé pour l'augmentation des biens du monastère. Le moulin de Mézières, situé à quelques pas des murs du cloître, sur le cours de l'Yerre, occupe une assez grande place dans les annales du couvent, pour que nous fassions connaître comment il devint peu à peu le moulin de l'abbaye.
  • Hugues de la Force (de Robore) possédait la moitié de ce moulin, qu'il donna au monastère, de l'aveu d'Estienne Flaminge, son frère, sur le conseil de l'évêque de Paris; et le prélat persuada encore aux moines de Chaumes 47), possesseurs de l'autre moitié, de la céder à l'abbesse Clémence, qui leur donna, en retour, tous ses droits, sur une ferme voisine de leur cloître et une prairie à Yarennes.
  • Même intervention bienveillante de la part de Maurice de Sully, pour concilier un différend, survenu entre l'un de ses clercs et l'abbaye, touchant des biens sis à Drancy 48), et pour faciliter un échange entre Yerres et les religieux de Saint-Victor. Par cet acte, conclu sous la signature de Jean de Corbeil et de Frédéric du Donjon, deux amis de l'abbaye, celle-ci devint propriétaire de la ferme de Sénart, en cédant à Saint-Victor de menus biens à Villiers 49) en Beauce, à Athis et ailleurs.
  • Maurice de Sully eut bientôt une autre occasion de rendre un signalé service à sa chère abbaye d'Yerres. Au nombre des premiers bienfaiteurs avait pris place la puissante famille de Chevreuse; mais le temps qui modifie tout avait changé le |27 cœur et les sentiments des descendants. Un membre de cette famille, nommé Albert de Chevreuse (de Capra aurea) était en discussion violente avec l'abbaye, à cause du bois et de la terre du Plessis (de Plassiaco). Comme il remplissait certaines charges auprès de l'évêque, le prélat s'efforça de l'amener à composition, car il causait de graves ennuis et de grands dommages aux infortunées religieuses. Clémence lui pardonna tous ses torts, et lui versa en outre vingt-cinq livres, somme considérable pour l'époque. De son côté Albert de Chevreuse 50) promit de ne plus troubler le monastère dans sa jouissance, et de faire agréer cet arrangement par ses sœurs. Cet acte, daté de 1169, fut signé au palais épiscopal, à Paris, par vingt-deux témoins, au nombre desquels nous remarquons les oncles et le beau-frère d'Albert de Chevreuse; un certain Pierre l'Ermite, archidiacre de Soissons; Jean, le neveu de Maurice de Sully; puis deux religieuses d'Yerres, Isabelle, la prieure, et Rosceline, la portière; enfin les frères Oger et Odon, signataires de presque tous les actes intéressant le temporel de l'abbaye.
  • Nous sommes loin d'avoir épuisé la nomenclature des actes de bienfaisance, aidés ou provoqués par Maurice de Sully, car il nous faudrait nommer encore les donations d'Adam et de Godefroy Piper, qui lèguent des biens à Chanteloup, sous la signature de Thierry, premier curé d'Yerres connu, très en faveur auprès des moniales ses paroissiennes; — celle de Galeran de Vie, qui donne quelques biens à Lieusaint; — celle de Mathieu d'Athis, qui donne des rentes à Clamart; — celles de Guy et de Milon d'Attilly. Le premier donne quarante arpents de bois à Chalandrey; le second du blé à prendre chaque année à Cocigny ou Cossigny, à l'occasion de l'entrée de ses deux filles en religion; l'une prend le voile |28 immédiatement; l'autre ne le prendra que dans cinq ans, parce qu'elle est trop jeune; — celle de Manassès d'Évry, qui donne deux septiers de blé à prélever annuellement, sur sa terre d'Évry; — celle d'Hecelin de la Porte et de Guillaume Fuselier, qui lèguent aux moniales leurs biens sis à Charonne; — celle de Béatrix de Pierrefonds et de sa fille Agathe, qui donnent tout ce qu'elles possèdent à Bagneux; — celle de Gilbert du Perray et de sa femme Ivise, qui donnent un muid de blé, à l'occasion de la prise de voile de leur fille 51).
  • Ce ne sont pas seulement les donations qui attirent l'attention et la bienveillance du prélat, ce sont encore les transactions et les accords, pour le maintien de la paix entre l'abbaye et les étrangers. Tel est le but de son intervention entre les religieux de Saint-Magloire et Clémence. Pour régler ce différend, l'abbesse vint à Paris, accompagnée des sœurs Adeline et Pétronille, religieuses à Yerres. Il s'agissait, pour les deux monastères, d'intérêts communs, dans un moulin sur la Seine, légué à l'abbaye par une bienfaitrice nommée Genta; — entre les Hospitaliers de Corbeil et la maison d'Yerres touchant des biens à Draveil 52). L'évêque, cette fois, est aidé dans sa mission conciliatrice par Jean de Corbeil et sa fille Eustachie; — enfin entre Pierre de Chanteloup et la maison d' Yerres, au sujet de la dîme des bois de l'abbesse.
  • Maurice de Sully ne se contente pas d'assister de loin ses chères filles d'Yerres; il vient parfois les visiter, et le Cartulaire a gardé la trace d'un pittoresque voyage que le prélat |29 fit en 1173. Sans doute, il visitait alors son diocèse, car il arrive au cloître, entouré de toute sa maison épiscopale: vingt-cinq personnes au moins, toutes à cheval, font invasion au monastère. On y voit Gautier, le chapelain du prélat; Guibert, son écuyer; son cuisinier; son boulanger ou pâtissier; son maréchal; puis des prêtres, des diacres, des sous-diacres, des moines, des chevaliers, comme Guillaume de Courtry, Baudouin d'Orangis, et beaucoup d'autres, et alii quam plures. Tout ce monde entre au chapitre, où la communauté est réunie, pour entendre l'exhortation faite par l'évêque à toutes les moniales. On couche à l'abbaye, et le lendemain nouvelle réunion au chapitre, où les étrangers sont introduits; parmi les hôtes nous remarquons Asseline, vicomtesse de Corbeil, qui profite de la circonstance, pour faire à la communauté, une large aumône en grains, à prélever chaque année, sur sa ferme de Maisse 53).
  • L'évêque de Paris n'était pas seul à témoigner une grande bienveillance aux Bénédictines d'Verres. Son métropolitain lui en donnait l'exemple. Guy des Noyers continuait à Sens les traditions de ses prédécesseurs. Ayant appris que le sceau d'une des chartes d'Hugues de Toucy s'était rompu, il s'empressa de faire rédiger un nouveau document, où il nous apprend que la dîme d'Amerbois (Amaro basco) était tenue par Téo de Buno; que la dîme de Chosel avait été donnée par André de la Ferté; celles de Neuville et des Portes par Adam de Challey. Cet acte fut signé à Paris en 1177, dans le palais épiscopal, où l'archevêque recevait l'hospitalité de son suffragant.
  • Clémence était l'âme de toutes ces donations et de tous ces contrats. Elle devait s'occuper en outre du gouvernement intérieur de sa maison et du recrutement de sa communauté. Nous ne connaissons d'une manière certaine qu'un petit nombre des religieuses entrées à l'abbaye pendant le XIIe siècle; mais il est incontestable que le personnel y était fort nombreux et se renouvelait souvent, car les pauvres moniales n'y atteignaient qu'exceptionnellement la vieillesse. Usées par |30 les travaux, les austérités, les privations d'une vie rude et pénitente, elles affichaient encore le mépris complet des règles les plus élémentaires de l'hygiène. Passant leur vie dans une vallée humide, au milieu de brouillards presque continuels, elles étaient encore mal nourries, mal vêtues, et entassées plutôt que logées, entre des murs nouvellement bâtis, où elles manquaient des soins les plus indispensables à la santé. Aussi, en consultant avec attention le nécrologe, on est en droit d'affirmer que chez elles la moyenne de la vie n'atteignait pas cinquante ans.
  • L'abbesse Clémence le Loup fut victime de cette organisation plus que défectueuse. Elle s'éteignit prématurément, en 1180 54), à l'âge de quarante-cinq ans, après avoir gouverné l'abbaye pendant vingt-six ans environ. Avec elle finit l'âge héroïque du monastère.
  • En descendant au tombeau, si elle put jeter un regard en arrière et contempler son œuvre, elle dut être satisfaite, car elle laissait sa famille monastique dans une situation prospère. L'excellente réputation de l'abbaye s'étendait au loin; ses moniales, pieuses et régulières, se conciliaient les sympathies de toutes les âmes ferventes et généreuses. En un demi-siècle, elles avaient obtenu le patronage de cinq ou six églises, avaient relevé de leurs ruines deux monastères: celui de Gif, et celui de Saint-Remi de Senlis ; malgré cela leur nombre s'était encore accru, elles pouvaient envisager l'avenir avec confiance.
  • Hugues le Loup, le frère et le plus actif collaborateur de Clémence, l'avait précédée dans la tombe de quelques années; et le roi Louis VII, autre bienfaiteur insigne de nos moniales, mourut presqu'en même temps que la seconde abbesse d'Yerres.

Chapitre III. Ève (1180-1210)

Élection et bénédiction de l'abbesse. — Bulle d'Alexandre III. — Yerres et Gif séparent leurs intérêts. — Les acquisitions. — Nouveaux bienfaiteurs. — Changements dans l'ordinaire des moniales. — Suppression des groupes isolés. — Les traditions bénédictines. — Les arts à l'abbaye. — Les évêques de Paris et les archevêques de Sens. — Prospérité. — Querelles et difficultés. — Les défrichements. — Efforts faits pour limiter le recrutement. — Jean de Corbeil; sa postérité; ses aumônes. — Mort de l'abbesse.

  • La succession de Clémence le Loup échut à une religieuse nommée Ève, professe à l'abbaye depuis un certain nombre d'années et âgée de trente-quatre ans. Elle était alliée à la famille de ses deux devancières; car, comme nous l'avons dit, Hugues le Loup, frère de Clémence, avait épousé une femme nommée Adeline 55). Ève était sœur d'Adeline, et par conséquent belle-sœur d'Hugues le Loup; en sorte que là encore les influences de famille ne furent sans doute pas tout |32 à fait étrangères au choix de la nouvelle titulaire. Cependant celle-ci dut en grande partie l'honneur de porter la crosse aux suffrages de ses sœurs. À cette occasion, le règlement, prescrit cinquante ans auparavant par Étienne de Senlis, fut profondément modifié; et au lieu d'appeler les abbés de Saint-Victor et de Notre-Dame du Val, désignés par les statuts, mais sans connaissance aucune des besoins de la maison, on fit voter les religieuses, sous la direction de Maurice de Sully, qui, aussitôt après l'élection, donna la bénédiction à la nouvelle abbesse.
  • Celle-ci prit immédiatement en mains la direction de la communauté. L'œuvre qu'elle y devait accomplir était assez complexe; car malgré l'activité déployée par Hildearde et Clémence, il restait beaucoup à faire, pour asseoir d'une manière stable et définitive la fondation d'Eustachie de Corbeil.
  • Ève s'empressa d'informer le pape Alexandre III de son élévation au siège abbatial et de lui demander la confirmation des biens et privilèges de l'abbaye. Le souverain Pontife lui répondit en lui accordant toutes ses demandes: Ce document, daté de Tusculum, est de l'année 1181. Il a causé une certaine confusion dans la chronologie des abbesses; car presque tous les chroniqueurs l'ont cru de 1178, et comme il est adressé à Ève, tous se sont efforcés de faire remonter sa prise de possession jusqu'à cette année-là 56).
  • Entre autres choses, la bulle pontificale nous apprend que les deux abbayes d'Yerres et de Gif se séparèrent alors d'intérêts. Pour lui permettre de vivre plus facilement, Gif reçut la ferme d'Invilliers et d'autres biens; et désormais Yerres n'aura plus besoin d'envoyer au monastère restauré, ni jeunes moniales, ni secours d'aucune nature.
  • Notre abbaye n'est donc plus dans la pénurie, puisqu'elle peut abandonner une partie de ses biens à la maison relevée par ses soins? Non; et c'est un des caractères distinctifs du gouvernement de l'abbesse Ève, qu'elle agrandit le domaine monastique autant par acquisitions que par donations. Sous sa prélature, l'aisance succède à la disette, et fasse le ciel qu'à |33 l'extrême pauvreté et au dénûment, elle n'ait pas introduit l'abondance et le bien-être, les deux hôtes les plus dangereux à introduire sous les cloîtres.
  • La nouvelle abbesse avait des ressources personnelles dont elle usa pour accroître le domaine de son monastère. En 1182, nous la voyons acheter, de ses propres deniers, une maison sise à la porte de Paris, et dont les revenus seront consacrés à acheter des pelisses pour ses sœurs 57). Déjà, tout à fait à l'origine, Jean d'Étampes avait pourvu les premières compagnes d'Hildearde, de ce manteau si précieux pour les religieuses, pendant les rigueurs de l'hiver et dans une maison entourée de perpétuels brouillards.
  • En même temps que cette acquisition, l'abbaye en fit alors une multitude d'autres, signe certain de l'aisance et de la prospérité, dont commençait à jouir la communauté.
  • Nous pouvons enregistrer la vente faite par Hugues Buisnel, chanoine de Saint-Spire à Corbeil, qui, du consentement de son frère Pierre, céda, pour 80 livres parisis, aux religieuses, tout ce qu'il possédait à Lieusaint. — Colle de trois muids de blé, à prendre chaque année à Brie-Comte-Robert, faite pour 48 livres, par Milon de Servon, qui s'entoura, pour la circonstance, des membres de sa famille et d'un grand nombre de chevaliers, ses amis et ses pleiges, parmi lesquels nous distinguons Jean et Ligier de Corbeil, André d'Ormoy, Guillaume Pasté et Arnoul, maire de Santeny. — Celle d'Hugues Courtecol, qui vendit aux religieuses toute sa terre de Chêne Coupé, contiguë aux biens que l'abbaye possédait déjà à Marbois 58). — Celle des dîmes de Mardilly, faite par Hugues d'Évry 59), et beaucoup d'autres. Toutes ces acquisitions |34 payées à beaux deniers comptants, prouvent que le monastère était alors en mesure de disposer d'une certaine quantité de numéraire.
  • Il n'y a point à s'en étonner d'ailleurs, car l'abbesse Ève connut d'aussi nombreux et d'aussi riches bienfaiteurs que ses deux devancières. Ces âmes généreuses sont légions à la fin du XIIe siècle.
  • Bornons-nous à rappeler quelques noms seulement: Guibaud de Drancy, en mettant au couvent sa fille Havise, avait donné toute sa terre aux moniales, à la réserve d'une certaine partie; ses frères, au nombre de quatre ou cinq, aussi bien que son beau-frère, ses neveux et ses nièces, ratifièrent cette donation devant l'abbesse, qui était probablement leur parente. — Élisabeth de Chevreuse, femme d'Anseau de Paris, est gravement malade; elle a deux de ses filles religieuses à l'abbaye. Pour obtenir les suffrages de la communauté après sa mort, elle lui lègue 60 sols de rente annuelle à prendre sur la prévôté de Chevreuse. Ses deux frères, Simon et Amaury, Guillaume Ferdane, Anseau de Saint-Rémi et plusieurs autres de ses parents assistent à ce testament et le ratifient 60). — Milon de Fontenay vient de consacrer à Dieu sa fille parmi les moniales, in sanctimoniales, et pour cela il leur donne sa dîme de Puiselet 61), en présence d'une douzaine de chevaliers, au nombre desquels nous voyons Godefroy et Philippe Briard. — Ce dernier ne vécut pas longtemps après cette donation, datée de 1186; car en 1190, Jameline, sa veuve, fait à l'abbaye une aumône de 60 sols de rente à prendre à Étampes, pour obtenir les suffrages des religieuses en faveur de l'âme de son mari défunt. — Un peu plus tard, Josbert Briard et sa femme, nommée Voisine, donnent aussi des dîmes à Évry, à Mardilly, et du blé à recueillir près de Chaintreau 62). — Simon de Gragi et Reine, sa femme, |35 abandonnent d'un seul coup, entre les mains d'Ève, toutes les dîmes de Gragi. — Parmi toutes les donations de ce temps-là, la plus curieuse, non à cause de son importance, mais par le nombre et la qualité des témoins, est celle de Philippe de Saint-Vrain, de sa femme Alpaïs et de leur fils Hugues, contenue dans le même acte qu'une autre d'Adam Hérons. Les uns donnent 60 sols de rente à Saint-Vrain 63), et l'autre douze deniers et tous ses droits sur une maison de Corbeil. Cette charte renferme les noms de trente à quarante témoins, parmi lesquels nous rencontrons cinq religieuses de l'abbaye: Aveline, la prieure; Rohës, la souprieure; Gibeline, la trésorière; Adeline, chantre du couvent; et deux Agnès, filles, l'une de Baudouin, et l'autre de Jean de Corbeil, la tante et la nièce, continuatrices à Yerres de l'œuvre d'Eustachie, leur ancêtre. Cette charte, datée de Paris, l'an de grâce 1189, est la première, croyons-nous, qui parle de droits de justice conférés à l'abbaye.
  • Une même préoccupation semble animer tous les bienfaiteurs de cette époque: celle d'améliorer la nourriture des religieuses et de rendre leur vie plus confortable. Aussi grand nombre d'actes exigent-ils en termes exprès, que l'aumône faite soit employée à la nourriture des sœurs, ad communem sororum refectionem, et demeure la propriété exclusive du réfectoire.
  • C'est pourquoi le bon Maurice de Sully, qui contresigne d'ordinaire tous ces actes de bienfaisance, menace des foudres de l'excommunication les audacieux et les audacieuses, coupables de détourner pour d'autres usages, les revenus de ces pieuses fondations. Si un pareil crime était commis, ajoute-t-il, l'église abbatiale cesserait à l'instant de sonner ses cloches, et on n'y pourrait plus célébrer l'office divin. C'est que la tentation était grande, en effet, surtout pour l'abbesse, de détourner une partie des revenus de la bienfaisance, afin de les employer aux besoins divers de la communauté, qu'il fallait non seulement nourrir, mais aussi vêtir, loger et abriter. Ève les connut, ces difficultés, car ce fut de son temps, et justement vers 1190, que l'abbaye compta le |36 plus grand nombre de membres. Si au chiffre des moniales du cloître on ajoute celui des religieux du prieuré, la communauté se composait d'au moins de cent cinquante personnes, sans parler des serviteurs alors assez nombreux.
  • Cette augmentation provenait en partie du système adopté par l'abbesse. Ennemie de la dissémination par petits groupes, elle avait fait rentrer au monastère les religieuses répandues dans les fermes de l'abbaye. L'accroissement de population qui en résulta la contraignit à bâtir de nouveau, et à employer en constructions presque toutes les ressources du couvent; de là les prohibitions inscrites dans les actes, touchant les aumônes destinées à la nourriture de ses religieuses.
  • Une autre conséquence de la concentration de toutes les moniales au cloître fut un changement dans la direction générale de l'abbaye.
  • Fondées sous l'empire des idées de Saint-Bernard, adonnées aux travaux agricoles, vêtues de l'habit blanc, nos religieuses seraient infailliblement, même sans le vouloir, devenues Cisterciennes ou Bernardines. Les mesures prises par l'abbesse Eve les ramenèrent à la vie et aux traditions bénédictines.
  • Les travaux agricoles leur devinrent à peu près totalement étrangers, excepté pour les terres attenant au couvent et comprises dans leur enclos; encore, même pour celles-là et pour les défrichements faits par elles dans le voisinage, un fermier, nommé Thierry, les remplaça en devenant l'hôte du cloître.
  • Cependant il fallait occuper ce nombre considérable de moniales; c'est pourquoi on multiplia les longs offices religieux, les fêtes 64), les services funéraires pour les religieuses |37 et les bienfaiteurs défunts. On s'appliqua également à développer, parmi les moniales, le goût des arts, de l'enluminure des manuscrits et de la calligraphie. Elles copièrent des bréviaires et des missels, les épitres de saint Paul et le texte de l'Évangile, dans des manuscrits splendides, qui font aujourd'hui l'ornementation de nos musées et de nos bibliothèques. Le nom de la première maîtresse ès-arts de l'abbaye d'Yerres, nous a même été conservé: elle se nommait Odeline. Elle remplit la charge de prieure au commencement du XIIIe siècle, vécut de longues années sous le cloître, ne mourut qu'à l'âge de quatre-vingts ans, après avoir illustré beaucoup de livres; et elle laissa parmi ses sœurs une mémoire justement vénérée 65).
  • La vie régulière et édifiante de nos religieuses continuait de leur attirer les sympathies tj'un grand nombre de puissants protecteurs et bienfaiteurs, parmi lesquels Maurice de Sully tient toujours la première place. Durant les trente-six ans de son long et glorieux épiscopat, le grand évêque ne cessa de témoigner une bienveillance soutenue à l'abbaye d'Yerres, dont, tout jeune clerc, il avait vu les origines. Monté sur le siège de saint Denis, après avoir assisté à son développement, il la favorisa sans cesse de sa protection éclairée, aida à son recrutement et à sa prospérité, la défendit avec persévérance dans ses difficultés, et n'écrivit pas moins de cent vingt lettres en sa faveur 66). Aussi Ève et ses filles le pleurèrent-elles, lorsque sa mort arriva le 11 septembre 1196. Le pieux prélat, de son côté, se souvînt jusqu'à la fin du cher monastère, et lui légua 40 livres parisis par son testament.
  • Eudes de Sully, son successeur, continua ses traditions de bienveillance et de protection. Comme Maurice, il favorisa les |38 donations, les aumônes, les transactions, et dans ses lettres, il appelle l'abbesse Eve, du nom à la fois si doux et si chrétien de chère fille dans le Christ.
  • Même appui et mêmes sentiments à la métropole de Sens, Michel et Pierre de Corbeil, qui s y succédèrent, se devaient à eux-mêmes, à leurs souvenirs de famille et à toute leur parenté d'être les protecteurs de l'abbaye d'Yerres, fondée par leurs ancêtres, et dont le cloître abritait plus de vingt moniales de leur sang. Ils n'y faillirent pas, et de 1194 à 1222, ils signèrent plus de cinquante lettres favorables aux intérêts du couvent.
  • Le roi, de son côté, demeurait fidèle aux traditions de son père et de son aïeul. Philippe-Auguste, comme ses deux prédécesseurs, fut l'un des bienfaiteurs d'Yerres. Il donna aux religieuses la dîme de Carbouville 67), en 1190; du blé à prendre chaque année à Chilly; fit, à Saint-Germain-en-Laye, une reconnaissance et une confirmation de leurs biens en présence de toute sa cour, et aplanit, par son autorité, plusieurs difficultés qui leur étaient suscitées. Sa mère, Adèle de Champagne, l'encourageait dans cette voie; car, ayant été appelée à gouverner le royaume, pendant les guerres entreprises contre le roi d'Angleterre, elle favorisa de tout son pouvoir les pauvres moniales d'Yerres, et donna deux où trois chartes pour défendre leurs intérêts.
  • Ceux-ci étaient toujours l'objet des préoccupations de l'abbesse. Les rentes et le domaine du couvent s'accroissaient de jour en jour. En 1194, Pierre Varlet, chevalier, seigneur de Puiselet, donne à l'abbaye toute la dîme de la paroisse. — En 1197, Godefroy d'Auvers donne celle de Valpuiseaux 68), ainsi que des droits bizarres, dont l'acquittement se faisait à des jours déterminés, par exemple: le troisième agneau des dîmes se prélevait dans la Semaine Sainte; le troisième pain, le lundi de Pâques; le troisième œuf, aux Rogations, etc. Ce fut Michel de Corbeil qui sanctionna ces deux donations.
  • Mais les années 1206 et 1207 furent plus particulièrement heureuses pour le monastère. Ève acheta de Godefroy de |39 Villepreux et de Foulques Carrels, un important et productif péage à Brunoy. Un peu plus tard, Arnoul Sarrazin et sa femme Marguerite lui vendirent vingt-trois arpents de bois à Puiselet. — Aveline de Chevannes lui légua dix-huit septiers de blé à prendre sur sa paroisse 69). — Jean de Montchevreux et Biaise de Longuesse, sa femme, lui confirmèrent 40 sols parisis de rente annuelle, légués jadis par Béatrice de Longuesse, mère de Biaise. — Enfin Simon de Montfort, du consentement d'Adelaïde, sa femme, de ses deux fils, Amaury et Guy, lui donna 60 sols parisis de rente annuelle, sur la terre de Gometz, en échange de la maison de Pommeraie avec toutes ses dépendances.
  • La possession des biens de ce monde va rarement sans amener des difficultés et des querelles. Aussi l'abbesse Ève les connût-elle les difficultés inhérentes à la fortune et aux grandes possessions. Guillaume des Barres contestait violemment à l'abbaye le bois mort, qu'elle prenait pour elle et ses fermiers, à Retolu et à Marbois, ainsi que des droits sur un moulin et une maison revendiqués par Guillaume; mais la puissante intervention de Philippe-Auguste calma la colère du chevalier et maintint les moniales dans leur jouissance.
  • Une querelle beaucoup plus grave éclata entre Ève et Ysembard, curé de Villiers-en-Beauce. Cette église avait été donnée à l'abbaye, probablement au temps de l'abbesse Clémence, par un des membres de la famille de Bouville, ou par Hugues de Toucy. L'acte de concession manquait-il de clarté? Peut-être. Toujours est-il qu'Ysembard était parvenu à se faire donner la cure par Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, l'un des amis de l'abbaye; et cela malgré les réclamations d'Eve, qui de son côté nomma un autre curé, appelé Gilon. De là procès entre les deux titulaires. Le pape Innocent III, pour juger le différend, nomma des délégués. Ceux-ci, après avoir mûrement examiné l'affaire, maintinrent l'abbesse dans son droit de nomination à la cure. Néanmoins, comme la bonne foi de l'archevêque fut reconnue, Ysembard demeura en possession sa vie durant, et l'abbesse et son candidat durent faire |40 cesser les tracasseries journalières qu'ils suscitaient, paraît-il, au curé; des deux côtés on fut condamné à garder le silence sur le passé et à cesser les récriminations pour le présent.
  • Thibault, curé de Valpuiseaux, s'opposait à ce que le monastère prélevât tout ou partie des dîmes de sa paroisse. — Son voisin, André, curé de Puiselet-le-Marais, agissait de même. Les deux affaires furent portées presque simultanément au pied du souverain Pontife. De nouveau Innocent III nomma des arbitres, et dans les deux cas, ceux-ci décidèrent en faveur de l'abbaye, après avoir examiné les titres versés aux débats par certain frère Hugues, qualifié de procureur du monastère.
  • Toutes ces difficultés n'empêchaient point Ève de veiller avec une sollicitude admirable au gouvernement de sa fortune territoriale déjà considérable. Il nous reste dans cet ordre d'idées une pièce fort curieuse, parce qu'elle montre le soin apporté par les monastères, même par ceux de femmes, à la mise en valeur du territoire français.
  • L'abbaye possédait à Bonlieu, non loin de Pithiviers, des terrains en friches. Ève résolut de les mettre en valeur; mais comme sa maison était pauvre, disait-elle, elle ne pouvait y faire la dépense nécessaire. Pour tourner la difficulté, elle concéda ces biens à des censitaires, au nombre de vingt-trois, nommés dans la charte. Ceux-ci devaient s'engager à construire une petite maison, et à cultiver une certaine mesure de terre autour de leur habitation; ou bien planter de la vigne. Les cultivateurs paieront à l'abbaye deux sous de cens annuel par arpent, plus la dîme; et les vignerons, six sous de cens par arpent, les trois premières années, et douze sous, les années suivantes, plus la dîme. Si les censitaires le désirent, ils seront libres de transmettre leur culture à leurs héritiers sous les mêmes conditions.
  • Tout devait prospérer, ce semble, avec une aussi habile direction, et pourtant on se plaignait encore de la pauvreté. Les guerres de Philippe-Auguste avaient fait un grand nombre de veuves et d'orphelines; beaucoup allaient chercher un refuge dans les cloîtres. Celui d'Yerres était littéralement envahi. Les filles des Corbeil, des Garlande, des Chevreuse, des Briard, des le Loup y coudoyaient en grand nombre les filles |41 de tous les chevaliers de la contrée, et celles aussi de la bourgeoisie de Paris et des environs. Cette affluence inspira à l'abbesse Eve une mesure d'une très grave conséquence, elle résolut d'arrêter le recrutement dans le présent et de le limiter dans l'avenir. À sa demande, Philippe Auguste rendit une ordonnance, bientôt soumise au pape Innocent III et approuvée par lui, pour ramener les moniales au nombre de quatre-vingts. Tant que la mort ne les aurait pas réduites à ce chiffre, elles ne devaient recevoir personne au cloitre pour y prendre l'habit; et, dans la suite, elles ne pourraient pas dépasser ce nombre. Heureux temps que ceux-là! où l'on était contraint de limiter le chiffre des vocations religieuses! Mais mesure d'une gravité exceptionnelle, que celle prise par Eve; car vouloir arrêter le progrès dans les œuvres religieuses — comme dans toutes les œuvres d'ailleurs — c'est presque les forcer à décroître, c'est les acheminer à la décadence. Heureusement que, malgré toutes les sanctions dont cette ordonnance était revêtue, on n'en tînt qu'imparfaitement compte, et que, pendant presque toute la durée du XIIIe siècle, elle ne sortit jamais son effet.
  • Cette mesure fut un des derniers actes de l'administration de l'abbesse Ève, car l'ordonnance de Philippe-Auguste porte la date de 1207 et l'approbation du Pape celle de 1209.
  • Entre temps, le monastère avait reçu le testament de Jean de Corbeil 70) et sans doute recueilli sa succession. Le pieux chevalier avait sous le voile, quatre de ses filles et une de ses petites-filles, nommée Emeline. En 1208, du consentement de sa femme, Carcassone, de ses deux fils Baudouin et Milon, de ses deux filles demeurées dans le siècle. Aveline et Hélisande, il donne à l'abbaye, pour le salut de son âme, 10 livres parisis, qui devront être employées, partie pour la chapelle Saint-Nicolas, partie pour la nourriture des religieuses; plus un pressoir avec tous ses droits à Saintry 71), et 60 sols |42 de cens annuel, à prélever à Pucei (?); 60 sols de même cens à prélever à Champcueil 72) ; 60 sols à Draveil, et 20 sols à Saint-Ferréol (?). Sur cette somme considérable, on devra prendre: 20 sols pour le luminaire de la chapelle Saint-Nicolas, 20 sols pour chacune de ses filles, tant qu'elles vivront; 40 sols pour Émeline de Luny, sa petite-fille; 40 sols seront consacrés à la confection des hosties eucharistiques; et enfin on donnera un setier de blé et un muid de vin au chapelain que l'abbaye entretient à Draveil. Cette donation fut ratifiée par Pierre de Nemours, successeur d'Eudes de Sully à l'évêché de Paris. Le rigide prélat inaugurait ainsi un épiscopat qui ne devait pas être moins bienveillant pour la maison d'Yerres que celui de tous ses prédécesseurs.
  • On ne trouve plus, sous la signature d'Ève, que quelques actes moins importants, notamment un bail du moulin de Gaseran, dans lequel intervient Simon de Montfort, qualifié d'homme illustre, vir illustris; — et une donation de 15 sols de rente à prendre à Mitry, faite par Amicie, femme de Jean Briard, qui demande l'entretien d'une lampe à la chapelle Saint-Jean, l'une de celles de l'église, abbatiale.
  • Ève mourut le 13 mars 1210, et non pas 1212, comme le dit M. Mévil. Elle était âgée de 64 ans et avait porté la crosse à Yerres pendant 30 ans. Son gouvernement fut un des plus féconds et des plus importants de tous ceux qui se succédèrent à l'abbaye. Elle constitua définitivement la communauté et lui donna une personnalité. Jusqu'à elle, les religieuses avaient surtout agi par leur abbesse, et pour un certain nombre d'actes extérieurs, par les moines de Saint-Nicolas. Désormais l'association des moniales a conscience de sa force, elle use de ses droits et jouit de tous les privilèges que lui confère le droit canonique, tant pour sa vie intérieure que pour les actes du dehors. Si les religieux la représentent encore quelquefois, ce n'est plus en leur nom propre et comme faisant partie de la communauté, mais bien comme simples délégués des religieuses, comme leurs procureurs dûment autorisés. |43
  • Par son autorité, l'abbesse ramena sa maison à l'esprit et aux traditions de la vie bénédictine, en écartant les usages et les occupations de la vie cistercienne, vers laquelle les premières moniales d'Yerres inclinaient à leur insu peut-être. À partir de l'abbatiat d'Ève, la séparation entre les converses et les religieuses de chœur est sensible. Celles-ci ont des privilèges et des droits dont ne jouissent pas celles-la; l'austérité de la vie est légèrement adoucie, sans toutefois donner lieu au relâchement; le cloître est encore agrandi, le nombre des moniales augmenté et le domaine territorial considérablement accru; la régularité est plus parfaite; l'office divin est plus solennel et plus complet; les, œuvres de piété brillent de tout leur éclat; le travail des mains est toujours en honneur, bien qu'il ait un peu changé d'objet.
  • Ève se coucha dans le tombeau avant d'avoir connu la décrépitude, qui reçoit les honneurs du pouvoir sans en exercer la charge, diminue l'autorité, favorise les coteries et les injustices, et gâte en peu de temps le bien que la supérieure a fait aux jours de sa force et de sa jeunesse.
  • Les religieuses lui firent de solennelles obsèques et réglèrent qu'on célébrerait chaque année son anniversaire. Après l'office des morts, chanté en entier, on servait un repas un peu plus abondant, pour lequel la cellerière prélevait 40 sols sur les revenus du couvent.

Chapitre IV. Eustachie Dulers (1210-1226)

La communauté est gouvernée par le chapitre. — Pierre de Nemours. — Les donateurs. — Noms de quelques religieuses du XIIIe siècle. — Les aumôniers ou chapelains. — Les seigneurs d'Yerres. — Mouvement religieux. — Yerres envoie une abbesse à Saint-Remi de Senlis. — Nombreux chevaliers bienfaiteurs du monastère. — Acquisitions. — Transactions. — Le chapelain Guillaume se fait Frère-Prêcheur.

  • Pour porter la crosse tombée des mains de l'abbesse Ève, les religieuses firent choix d'une des plus anciennes moniales du cloître, à qui les actes donnent fréquemment le nom de Vénérable. Elle s'appelait Eustachie Dulers, dit l'un des obituaires du couvent. Devant l'autorité de ce manuscrit, force est de nous incliner, autrement nous l'eussions crue volontiers fille de Jean ou de Baudouin de Corbeil; et même, malgré l'appellation si nette du nécrologe, il nous reste certains doutes à ce sujet. Les actes, cependant assez nombreux, passés sous son gouvernement sont fort sobres de détails biographiques et restent tout à fait muets sur sa parenté.
  • En montant au siège abbatial, elle se trouvait à la tête d'une importante communauté, dont elle était l'âme assurément, mais qui en dehors d'elle avait déjà ses lois, ses usages, ses traditions, ses organes, en un mot tout son gouvernement. Tandis que les premières abbesses semblaient absorber la communauté tout entière, c'est maintenant le chapitre qui a une tendance à tout absorber, en sorte que dans les actes, l'abbesse occupe toujours bien la première place, néanmoins |45 on sent qu'elle est un peu reléguée au second plan. Désormais, c'est le chapitre qui reçoit, vend, achète, transige, en un mot représente les intérêts majeurs de l'association.
  • Ce fut lui notamment qui, au mois de février 1211, sans même le concours de l'abbesse, conclut un arrangement avec l'archidiacre Adam Maunouri, suzerain de Drancy, où nos religieuses possédaient une ferme importante et des biens considérables. L'archidiacre, du consentement de sa mère, de son beau-père et de sa sœur, nommée Eustachie, comme notre abbesse, faisait don d'un septier de blé à prendre sur sa terre, et priait son évêque de sanctionner son bienfait de l'autorité épiscopale. Pierre de Nemours se prêta volontiers au désir de son archidiacre. Il favorisa même d'autres donations et scella grand nombre de contrats pour venir en aide à l'abbaye.
  • De ce nombre, sont la donation de quatre arpents de terre à Lieusaint, faite par Pierre Paner et Jean, son fils, sanctionnée par Payen, vicomte de Corbeil 73); — celle de Foulques Carrels et d'Aalie, son épouse, relative au péage de Broui, affirmée par Guillaume de La Ferté; — celle d'une vigne à Étiolles, donnée par Thibaut, fils de Fanie, et consentie par Gilon d'Étiolles; — celle de Renaud de Champs, qui donna par testament tout son fief du Plessis, ainsi que les bois du même lieu: cet acte fut confirmé dans le palais même de l'évêque, par Agnès, veuve du donateur; — celle d'une dîme, sise à Varennes, donnée à Agnès de Pontoise, religieuse de l'abbaye; — celle de Thierry, fils d'Hugues de Chantelou, entré dans la cléricature, qui légua par moitié à l'abbaye et au curé d'Évry, la dîme des novales 74) sur les terres d'Éremburge et d'Adeline de Poligny, parentes du donateur et toutes deux moniales à Yerres.
  • Pierre de Nemours prêta encore son concours a un contrat important, par lequel Guérin d'Igny 75), et sa femme Béatrice vendirent à l'abbaye, pour la somme énorme de 126 livres parisis, la dîme de Trembleceau, en la paroisse d'Évry. Ce contrat |46 avait une importance considérable, car il fut appuyé par deux chevaliers, Guillaume Chéronne d'Évry et Guy de Gercy, sanctionné par, Renaud et Pierre d'Egreneul, ainsi que par Jean et Guy de Garlande comme suzerains, en présence de l'Official de Paris.
  • Malgré les preuves réitérées de bienveillance données par Pierre de Nemours, on est en droit de se demander s'il conserva jusqu'à la fin son affection au couvent d'Yerres, car, dans le partage de ses biens et de ses ornements, fait en 1218, avant son départ pour la croisade, où il mourut devant Damiette, il laisse un souvenir à presque tous les monastères du diocèse de Paris, tandis qu'il ne nomme pas même les Bénédictines d'Yerres.
  • Dans les premières années de l'abbatiat d'Eustachie, le monastère reçut de Roger la Pie, sept livres de rente à prendre chaque année sur le port de Conflans 76); et cette libéralité nous met au courant des modifications apportées par le temps au prieuré de Saint-Nicolas. L'œuvre de Guillaume d'Étampes n'avait pas subsisté plus de 70 ans, sans subir un changement notable. On se souvient que le prieuré se composait de religieux prêtres pour le service de la chapelle, et de frères, pour l'administration du temporel de la communauté. Avant 1210, il n'y avait plus de prêtres faisant partie de l'association; seuls des frères laïques, mais portant l'habit bénédictin, continuaient l'œuvre des premiers moines, et l'un d'eux, frère Hugues, remplit pendant plus de 30 ans, les fonctions de procureur de l'abbaye, avec zèle et autorité. Dès lors néanmoins, les religieuses et les frères formaient deux associations bien distinctes, ayant des intérêts différents et parfois contradictoires. L'abbesse avait toujours, il est vrai, la haute main sur la chapelle Saint-Nicolas, renfermée dans son enclos, mais on sent qu'elle était parfois obligée de compter avec les hôtes de son prieuré.
  • Cependant, comme il fallait des prêtres pour l'administration des sacrements et les soins spirituels du monastère, nos Bénédictines eurent dès lors des chapelains, hôtes, eux aussi, |47 du prieuré, mais auquel ils n'étaient point attachés par des vœux, et par conséquent plus libres et plus indépendants. Ces chapelains étaient au nombre de trois , quand Eustachie prit la crosse; la donation de Roger la Pie porta leur nombre à quatre; et le donateur statua que ce quatrième prêtre dirait chaque jour la messe pour le repos de l'âme d'Adeline de Villepinte, sa femme, de l'abbesse Ève, sa belle-sœur, et de lui-même, après son décès.
  • Autour du couvent, il s'opérait aussi des changements qui devaient avoir leur répercussion dans les annales du cloître. Lors de la fondation de l'abbaye, c'est-à-dire vers 1130, la seigneurie d'Yerres était possédée par des chevaliers que nous avons rencontrés sous les noms de Guillaume, d'Hugues et de Thierry d'Yerres. Un peu plus tard, la famille du Donjon posséda le domaine seigneurial en partie et conjointement avec les représentants de l'ancienne famille. En 1203, par suite d'une alliance avec les du Donjon, Jean de Courtenay, sixième fils de Pierre de Courtenay, devint seigneur d'Yerres en partie, et dès lors les représentants de cette branche de l'illustre maison de Courtenay se trouveront en rapports constants avec notre monastère, et joueront un certain rôle dans son histoire 77).
  • Enfin, l'abbaye n'était pas étrangère au grand mouvement religieux du XIIIe siècle. Le célèbre décret du concile de Latran, tenu en 1215, ordonnait à chaque fidèle d'accomplir le devoir pascal dans sa paroisse. Il eut un grand retentissement dans la chrétienté tout entière, et partout on fit des efforts pour favoriser son exécution. Pour leur part, nos religieuses en encouragèrent l'application dans toutes les paroisses soumises à leur abbaye. Elles donnèrent quatre septiers de blé à l'église paroissiale d'Yerres, pour faire des petits pains et de la soupe à distribuer le Jeudi-Saint, après l'office. |48 Même distribution faite aux paschalisants d'Évry, le jour de Pâques, et à ceux de Lieusaint le mercredi suivant. Cette aumône se nommait la Done; elle était l'occasion d'une véritable fête paroissiale, que l'abbesse elle-même ou la prieure allait presque toujours présider.
  • Les décisions du concile de Latran eurent également pour résultat de développer parmi nos Bénédictines le culte du Saint-Sacrement, et c'est à partir de cette époque que la divine Eucharistie fut conservée d'une manière permanente dans l'église abbatiale, servant de nouvel aliment à la piété de nos moniales.
  • Durant l'abbatiat d'Eustachie, les religieuses de Saint-Remi de Senlis eurent recours à l'abbaye d'Yerres pour lui fournir une abbesse. N'ayant pu s'accorder pour élire l'une d'entre elles, elles demandèrent, par l'entremise de Garin leur évêque, à Eustachie de leur envoyer une supérieure. La maison d'Yerres s'empressa d'accéder au désir exprimé par les sœurs de Saint-Remi; mais nous n'avons pu apprendre le nom de cette Titulaire, qui emmena avec elle deux ou trois moniales, pour l'accompagner dans son nouveau cloître 78).
  • Yerres, d'ailleurs, pouvait sans inconvénient, fournir des sujets aux maisons de son ordre, car les moniales affluaient toujours dans ses murs. Malgré les prescriptions de Philippe-Auguste, on avait continué à donner le voile à de jeunes recrues, bien avant que le nombre des religieuses fut ramené à 80; et cela avec l'autorisation de Pierre de Nemours, ce rigoureux observateur de toutes les lois.
  • Dès 1213, Agnès de Garlande, femme d'Aubert d'Andresel, avait amené au couvent sa fille Eustachie, ou nous la retrouverons plus tard. Pour dot, elle lui donna 60 sols parisis de rente à prendre sur son domaine de Combs-la-Ville; et en |49 1223 ses deux fils, Jean et Aubert d'Andresel 79), et son neveu Anseau de Garlande confirmèrent cette libéralité. — Le même Anseau approuva également l'abandon de douze arpents de terre à Attilly, fait par Adeline de Seure, à l'occasion de la prise de voile de sa fille. — Pierre Bore consacre aussi à Dieu sa fille Aveline, et à cette occasion il donne à l'abbaye un muid de blé à prendre chaque année sur le moulin de Vaux, ce qui est approuvé par Simon et Henri de Vaux, les deux seigneurs suzerains du moulin. — Les trois sœurs de l'évêque d'Orléans, Agathe, Agnès et Alix de Jouy entrent toutes trois à l'abbaye et reçoivent de leur père, Guy de Jouy, 60 sols de rente, à prendre à Monthaudier, à condition qu'une partie de cette rente reviendra à la famille après le décès de la dernière des trois sœurs. — Bouchard du Coudray, pour favoriser l'entrée de sa sœur en religion, donne à l'abbaye la grande et la petite dîme du Coudray, et par le même acte se porte pleine pour une redevance due par Yves d'Yvry. Ce dernier acte fut passé au monastère, en présence de Barthélemy, évêque de Paris (1223-1227), et de plusieurs officiers de la maison épiscopale, dont Bouchard lui-même faisait partie.
  • Ce n'était pas seulement par des apports dotaux que le monastère voyait sa fortune s'accroître chaque jour en rentes et en terres. Sans cesse des bienfaiteurs anciens et nouveaux s'intéressaient à sa prospérité et réclamaient ses prières.
  • Dès le temps de l'abbesse Clémence, Thierry de Bouville avait donné au monastère des droits et des cens sur huit ou dix terres. En 1213, l'un de ses descendants, Thomas de Bouville et Ifémie, son épouse, donnent aux moniales, avec l'approbation d'Hugues de Bouville et de Guillaume le Grifons, leurs suzerains, tout ce qui leur restait de l'ancienne dîme de Bouville. — Milon de Lieusaint, accorde trois arpents de terre à Savigny. — En 1219, Amicie de Breteuil, veuve de Baudouin du Donjon, dame d'Yerres, fait don de la moitié du moulin de Pont, dont la bizarre propriété totale appartenait à quatre ou cinq particuliers. — Adam du Bois et sa femme Héloïse donnent en pure aumône 90 livres de rente à Chevry. |50 L'abbaye reçoit également, en pure et perpétuelle aumône, 17 sols 3 deniers de cens à Corbeil, légués par Ferry de Gazeran, allié à la famille de Corbeil, c'est pourquoi Pierre du Donjon et Meunier de Gazeran contresignent cet acte. — La comtesse de Crosne donne un muid de blé, à prendre chaque année, sur le moulin de Crosne, acte approuvé par Milon de Cussy, son suzerain.
  • Beaucoup d'autres donations ou confirmations de biens viennent encore consolider la fortune du couvent. — En 1225, Aveline de Corbeil, épouse en premières noces de Guy III de Chevreuse, et en secondes de Pierre de Richebourg, confirme à l'abbaye les 40 sols de rente, à prendre sur la prévôté de Chevreuse, donnés jadis à l'abbaye en faveur d'Agnès de Chevreuse, sa fille, l'une des anciennes moniales du cloître. Milon, Hervé, Adeline et Cécile de Chevreuse, frères et sœurs de la religieuse, souscrivent à cet acte; et il est remarquable que leur mère, malgré son second mariage, y prend encore le nom de dame de Chevreuse. — C'était l'époque des nouvelles libéralités de la famille de Corbeil. Renaud du Donjon, appuyé par ses frères Baudouin et Renard, par sa belle-sœur Agnès, par ses cousins Pierre et Jean de Corbeil, fonde l'anniversaire de son père et de sa mère. Pour cela, il donne 20 sols de rente à Saintry, trois muids de vin, trois setiers d'huile et trois setiers de froment; une partie de ces redevances devra être employée à donner un repas un peu plus copieux à la communauté après la messe des trépassés, et l'autre partie paiera le luminaire de l'église. — Hugues le Loup, IIe du nom, fonde lui aussi un anniversaire pour le repos de l'âme de Jeanne, sa seconde femme, dont le récent décès lui laisse au cœur une émotion si poignante, qu'elle se ressent encore après sept siècles, à la simple lecture de sa lettre. Il donne pour cela 60 sols de rente, à prendre à Saint-Gratien et à Saint-Denys.
  • Une partie de cette somme paiera le luminaire pour le service; une autre partie, le repas de la communauté, la pitance des moniales, pitancia monialium; enfin, on donnera sur le tout, 10 sols, sa vie durant, à l'une des moniales du cloître, appelée Marie, sa cousine.
  • Toutes ces largesses apportaient de l'aisance au monastère et |51 lui permettaient d'acquérir à son tour. Aussi le voyons-nous acheter, en 1219, d'importants revenus à Chaintreau, qu'il paye 38 livres parisis. Cette acquisition fut faite sur Henri de Moissy et sa femme, approuvée par Henri et Jeanne, leur fils et leur fille, et contresignée par Godefroy de Livry et Ferry Briard.
  • Toutefois, il ne suffisait pas d'avoir de grands biens, il fallait savoir les conserver et les administrer, et au XIIIe siècle comme de nos jours, c'était chose difficile. En ces temps de législation mal assise, de droits de propriété bizarres et compliqués, de contrats anciens et de donations souvent mal définies, un grand propriétaire terrien — et tous les couvents étaient dans ce cas-là, — ne pouvait éviter les difficultés et les nombreuses contestations. Heureusement on avait plus souvent recours aux transactions par arbitrage qu'aux procès.
  • L'abbesse Eustachie en fit d'assez nombreuses, et leur trace se retrouve dans les actes de son temps. La première en date est de 1213. Elle est conclue par Jean, abbé de Saint-Germain-des-Prés, en faveur de Roger de Villeneuve-Saint-Georges et de Jean Pontonoir, ses vassaux ; elle a trait au port de Villeneuve, et elle sanctionne pour les religieuses le libre droit de passage dans la Seine.
  • Puis viennent les nombreuses difficultés avec les curés relativement aux dîmes des paroisses. — Au XIIIe siècle comme aujourd'hui, Puiselet-le-Marais, même augmenté de Bois-Herpin, était un modeste bénéfice; mais Tyon, le curé du lieu, avait l'âme combative et faisait une guerre persévérante à l'abbesse. Il avait porté sa cause jusque devant le Souverain Pontife, qui n'entendit jamais tant parler de cette obscure paroisse de la Beauce. Par deux fois, Innocent III nomma des arbitres, pris les uns à Meaux et les autres à Chartres, pour dirimer ce grand débat. Les religieuses furent maintenues dans la possession de la grande dîme, et le bouillant curé, condamné à garder le silence. — Plus conciliants étaient Hugues, curé de Gazeran, et Girbert, curé de Rambouillet, qui voulurent bien reconnaître, devant l'official de Sens, qu'ils n'avaient aucun droit sur la dîme de Pommeraie-en-Yveline. Il est vrai que pour les encourager à bien faire, Amaury de Montfort, occupé au siège de Toulouse, in obsidione |52 Tolose, avait trouvé le temps d'écrire à ses baillis de Montfort et d'Épernon, pour leur recommander les intérêts des moniales d'Yerres, et faire savoir ses désirs aux deux curés. — Le curé de Servy (Serviaco?) concluait aussi un arrangement touchant le dîmage du vin de sa paroisse. — Celui de Chermont, un autre pour les dîmes de Jodainville, Hermainville, etc. — Et enfin celui de Chevannes, un également pour la dîme de quelques arpents de terre, assis au lieu dit la Croix; dans sa paroisse.
  • Un dernier arrangement fut fait, en avril 1225, entre l'abbaye et une famille de chevaliers croisés. Cristat de Chevry et sa femme Aalès réclamaient un petit taillis nommé le Bois-Girard, que les moniales prétendaient leur appartenir. Grâce à une haute intervention, les Chevry firent aumône de leurs droits à l'abbaye, et leurs deux fils, Gilot et Gilbert, souscrivirent à cet acte qu'on promit de faire ratifier à deux autres fils, Regnaud et Guarin, partis pour Jérusalem où ils faisaient campagne.
  • Dans plusieurs de ces accords, l'abbesse intervint en personne, mais dans quelques-uns elle agit par l'entremise de frère Hugues, son dévoué procureur, moine laïque de Saint-Nicolas. Pour les conclure on eut parfois recours à des arbitres, choisis et désignés par une intervention étrangère à l'abbaye; le plus souvent, cependant, ce furent les protecteurs-nés du monastère qui les firent accepter après les avoir discutés. Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, Guillaume de Seignelay, qui ne fit que passer sur le siège de Paris, et l'évêque Barthélémy, son successeur, remplirent tour à tour ce rôle bienfaisant.
  • Durant l'abbatiat d'Eustachie, saint Dominique vint à Paris établir l'ordre célèbre qui porte son nom. Certaines circonstances encore mal éclairées 80) l'amenèrent dans le voisinage de notre monastère, et il est fort probable qu'il le |53 visita. Dans tous les cas, l'un des chapelains d'Yerres, nommé Guillaume, quitta le prieuré de Saint-Nicolas, pour se donner au nouvel ordre des Frères-Prêcheurs. Tels sont les premiers rapports entre la maison d'Yerres et les fils de saint Dominique. Ceux-ci, en prenant une de leurs premières recrues dans les murs de l'abbaye, étaient engagés d'honneur à lui donner des compensations. La suite de notre récit nous les montrera acquittant largement leur dette.
  • Après avoir gouverné l'abbaye environ dix-sept ans, Eustachie Dulers mourut le 28 février 1226. Elle brilla à l'aurore de ce magnifique XIIIe siècle, si fécond en œuvres religieuses, et elle fut digne de son temps. Son abbatiat doit être rangé au nombre des plus brillants de tous ceux que vit passer le monastère. Elle travailla avec zèle à la formation monastique de ses filles, veilla avec soin à l'observation du bon ordre et de la régularité dans le cloître et développa la pompe du culte, par l'établissement de nouveaux offices en l'honneur du Saint-Sacrement. Ses filles décidèrent qu'on célébrerait chaque année son anniversaire dans le cloître, et votèrent 40 sols pour augmenter la pitance ce jour-là.

Chapitre V. Aveline (1226-1244)

Dix religieuses nommées Aveline. — L'abbaye à son apogée sous tous les rapports. — Périmètre de ses biens. — Les reliques. — L'humble abbesse. — Affaires diverses. — Guillaume d'Auvergne. — Les arbitres. — L'Official. — Les délégués du Pape. — Donation de livres. — Mort d' Aveline.

  • Pour recueillir la succession d'Eustachie Dulers, les religieuses firent choix de l'une d'entre elles, appelée Aveline. À ce moment-là l'abbaye ne contenait pas moins de dix moniales portant ce nom; on y trouvait Aveline de Corbeil, Aveline de Garlande, Aveline de Chevreuse, Aveline Briard et plusieurs autres. Toutefois il est probable, pour ne pas dire certain, que nous sommes en présence d'Aveline de Corbeil, fille de Jean de Corbeil et de Carcassonne. L'abbesse avait une sœur nommée Aveline, comme elle, qui avait épousé, avant 1196, Guy III, seigneur de Chevreuse. Certains indices porteraient même à croire que notre abbesse était fille de ces derniers, et petite-fille de Jean de Corbeil. Les rédacteurs du nécrologe, venus assez peu de temps après la mort de cette abbesse, ont fortement hésité sur son nom, et leurs hésitations se sont traduites dans la rédaction de son obit; ils n'ont indiqué ni son âge, ni les années de son gouvernement. Cependant une chose est certaine, c'est qu'elle fut élue par les suffrages de ses sœurs, sans la participation d'aucune personne étrangère; le règlement élaboré par Étienne de Senlis à l'origine, était complètement oublié: la nouvelle titulaire se contenta de demander à l'évêque de Paris de la bénir. |55
  • Au moment où Aveline prit la crosse, l'abbaye était à son apogée sous tous les rapports: le nombre de ses religieuses était toujours considérable; il dépassait encore le chiffre de 80, fixé par les ordonnances du roi et du pape. On s'en plaindra bientôt de nouveau. Sa fortune était considérable; pas une paroisse dans les environs du monastère, où celui-ci n'eût des biens et des redevances. De plus son action s'étendait dans un immense cercle, dont les rayons allaient toucher jusqu'à Melun, Pithiviers, Étampes et au-delà dans la plaine de Beauce, pour passer ensuite par Rambouillet, Meulan, Conflans-Sainte-Honorine et revenir par Villepinte, Mitry, Lagny, Brie-Comte-Robert et Combs-la-Ville. Sur plus de cent cinquante fermes, granges, vignes, forêts, péages, ponts, moulins, clochers, situés dans cette grande circonférence, notre monastère prélevait des droits de toute nature, pour alimenter sa caisse et subvenir aux besoins de la communauté.
  • Elle était belle et bien réglée cette communauté dont la vie offrait à tous un sujet d'édification. Le culte y était célébré avec pompe et magnificence; les fêtes religieuses fort nombreuses et les exercices du chœur très multipliés. Deux causes avaient surtout contribué à ce développement: les anniversaires des morts, dont la multiplicité allait bientôt amener des inconvénients, et la dévotion des reliques81). Des esprits forts ne manqueront pas de sourire au sujet |56 de l'authenticité de quelques-unes des reliques vénérées à Yerres. Les incrédules auront tort; car les religieuses savaient que, dans plusieurs cas, elles n'avaient qu'un symbole; mais ce symbole, comme les reliques véritables, était l'objet d'une fête particulière, accompagnée d'une instruction, faite par l'abbesse ou par l'un des chapelains; en sorte que ces moniales, dont les critiques modernes s'efforceront de railler l'ignorance et la crédulité, étaient fort instruites sur les choses religieuses, seule science qui leur importât.
  • Pieuses et dévotes, les sœurs d'Aveline avaient aussi une vie très austère et gardaient une observance régulière parfaite. Celle-ci cependant commençait à fléchir et l'austérité à s'adoucir un peu. Les dernières donations, ayant pour but la célébration des services anniversaires à l'abbaye, portent presque toutes qu'un certain prélèvement sera fait, sur les revenus légués, afin d'offrir aux religieuses un repas un peu plus somptueux après la fatigue de l'Office des morts. Comme ces anniversaires se multiplièrent rapidement, on eut bientôt de ces petites fêtes tous les jours; car les ressources de la communauté augmentant sans cesse, les moniales elles-mêmes votèrent, sur leurs revenus, de semblables prélèvements, même pour les anniversaires de leurs abbesses, et de quelques-unes de leurs compagnes, qui en fondèrent également. Puis, ce sont les amis plus zélés qu'intelligents du monastère, qui donnent, donnent et donnent encore, pour améliorer la pitance, c'est-à-dire la nourriture des religieuses. Si légitimes que fussent à l'origine ces actes de bienfaisance, ils amenèrent peu à peu le bien-être au cloître; et avec le bien-être et les repas somptueux, la violation du silence, le besoin des récréations prolongées et du repos, puis l'inobservation de la règle, enfin tous les vices destructeurs de la vie religieuse se glissèrent par là dans le monastère, comme les serpents à travers les lézardes des vieux murs.
  • Mais au début de l'abbatiat d'Aveline, il n'en n'était pas encore ainsi. La nouvelle titulaire était d'une douceur angélique, et aussi d'une piété forte, capable de la préserver des dangers du relâchement. Vraie fille de Saint-Benoît, elle était d'une humilité remarquable, qui se traduisit pour la |57 première fois, dans les actes publics concernant l'administration de sa maison. Avelina, humilis de Edera abbatissa, totiusque ejusdem loci conventus, salutem in vero Salvatori; telle est la formule employée par l'abbesse; c'est la constatation authentique des vertus privées de la Supérieure, et en même temps de la part que les religieuses prennent à la gestion des affaires de la communauté 82).
  • Comme sous les abbatiats précédents, elles furent nombreuses et compliquées les affaires concernant l'administration du couvent. Les donations gratuites y occupent toujours une large place. Gilbert, vicomte de Corbeil, assisté de son frère Ansel et de sa femme, nommée Amable, donne par testament à l'abbaye tout ce qu'il possédait à Silviniacum? Il loue en même temps une libéralité faite aux religieuses par Simon Strabon, habitant de Corbeil. — Jean d'Aubervilliers, Julienne, son épouse, Henri, son frère 83), et Drouin de Brie, arrondirent le domaine déjà considérable du monastère au nord de Paris, en lui léguant vingt arpents de bois dans la forêt de Bondy. — Puis ce sont les donations de rentes en nature, qui pourvoient à la nourriture des religieuses. — Évrard de Chevry, son fils Milon, déjà chevalier comme son père, sont des amis dévoués de la maison; ils lui donnent un muid de blé, à prendre tous les ans, sur la dîme de Brie. — Le moulin d'Athis fournira également un muid de blé, donné par Philippe de Mons, qui favorise encore la donation d'un arpent de vigne, faite par Thomas de Vignoles, dont il est le |58 suzerain. — Jean de Thiais et sa femme Aveline offrent tout ce qu'ils possèdent à Villeneuve 84). Ce contrat nomme un certain Robert d'Yerres, tombé dans le dénuement et la pauvreté. — Une autre Villeneuve, située dans la paroisse d'Angerville-la-Gaste, devra fournir à nos religieuses un muid de blé, servi par le prieur de Notre-Dame-du-Pré, près Étampes. — Noble dame Ermengarde Borée donne aussi un muid de blé à prendre chaque année sur le moulin de Vaux, ce qui est ratifié par Simon de Vaux. — Philippe de Brunoy et sa femme Élisabeth offrent 12 deniers de cens annuel, au mois de mai 1234. — Mais c'est toujours la famille le Loup qui tient la tête dans la liste des bienfaiteurs de la maison. En 1227, Hugues le Loup, chevalier et seigneur de Villepinte, passe un titre nouvel de 60 sols de rente, légués jadis à l'abbaye en pure aumône par Eustachie de Villepinte. — En 1233, Adeline ou Adelvie de Villepinte donne aux moniales deux muids de blé et 40 sols à prendre sur son domaine. Ses deux fils, Hugues et Guy le Loup, s'associent à la libéralité de leur mère, et leur sœur Aveline entre comme novice au monastère, où elle perpétuera, sous tous les rapports, les grandes traditions de vertus et de bienfaisance de sa famille.
  • Cependant l'abbesse n'eut pas qu'à recevoir des libéralités et des aumônes pour lesquelles on est toujours d'accord; elle connut les épines et les difficultés inhérentes au gouvernement d'un vaste domaine territorial. Acquérir de nouveaux droits et de nouvelles propriétés était bien; mais il importait aussi de conserver avec soin les possessions anciennes. Or, un certain nombre de titres commençaient à vieillir, et les changements apportés par un siècle, dans les choses humaines; sont nombreux. L'abbesse Aveline eut la première, ce semble, l'idée ou du moins la charge de faire passer des titres nouvels. Elle en réclama surtout des descendants d'anciens bienfaiteurs. Hugues Loup, IIIe du nom, lui en fit quelques-uns. Elle en demanda également aux Briard, et Guy Briard, dès 1227, fit avec empressement droit à sa demande. |59
  • Plus difficiles furent les reconnaissances d'autres droits modifiés par le temps. La première moitié du XIIIe siècle vit de nombreux défrichements dans le voisinage de Paris. Ces terres, mises en valeur, durent payer certaines dîmes qu'on n'avait pu imposer à des terrains incultes. Ces dîmes furent appelées Novales; dénomination également appliquée aux nouvelles cultures. Aveline eut beaucoup de peine à percevoir ces nouveaux droits. Il fallut lutter, ici, avec des chevaliers, suzerains du territoire; là, avec des fermiers avides, désireux de jouir des avantages créés par leurs mains laborieuses, qui refusaient le paiement des droits nouveaux; partout, avec les curés des paroisses, qui voulaient garder pour eux seuls les dîmes novales.
  • Au milieu de ces embarras, l'abbaye trouva un puissant protecteur et un habile conseiller en la personne de Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris. Ce prélat, monté au trône épiscopal en 1228, reprit en faveur d'Aveline et de ses filles, les grandes traditions de ses illustres prédécesseurs, Étienne de Senlis et Maurice de Sully. En maintes circonstances, il prêta son concours à l'abbesse, pour l'aider à sortir de ses difficultés.
  • Au mois d'août 1228, Guillaume nomma trois chanoines de Paris pour conclure un arbitrage entre Aveline et le curé de Drancy. Dans cette paroisse, l'abbaye possédait l'un de ses plus anciens domaines. Il s'étendait jusqu'à la forêt de Groslay, qui fut défrichée dans ce temps-là. Le curé, nommé Nicolas, prétendait avoir la dîme des novales que l'abbesse lui contestait. Il produisit au débat un titre, passé près de quarante ans auparavant, entre le couvent et l'un de ses prédécesseurs, nommé Raoul, ce qui fit condamner les religieuses à lui payer chaque année un muid de blé sur leur dîme. D'ailleurs, les arbitres réduisirent considérablement les prétentions du curé, et leur sentence mit pour un temps fin à la dispute qui devait pourtant renaître. — Même difficulté entre Guillaume, curé de Brunoy, et l'abbaye, touchant la dîme de certaine maison sise à la limite de la paroisse, et donnée, au dire de l'abbesse, à son monastère par Philippe de Brunoy. Pierre de Bourges, chanoine de Paris, vient à Yerres, convoque les parties dans |60 l'église abbatiale, et là, invoquant le bien de la paix plutôt que le droit, appuyé sur la volonté formelle de l'évêque de Paris, il adjuge un tiers de la dîme contestée à l'abbesse présente, un tiers au curé de Brunoy, l'autre tiers demeurant en litige entre le prieur de Marolles et le susdit curé. Cet arbitrage fut prononcé le jeudi avant le dimanche Lætare, au mois de mars 1233. — En 1236, il en fallut un également, pour régler un désaccord, né aux portes mêmes de l'abbaye, entre le monastère et Guérin, curé de la paroisse d'Yerres. Il s'agissait de la dîme des novales et de celle d'une maison récemment construite par Jean d'Yerres. L'abbé d'Yvernaux et Thomas, curé de Chevreuse, furent désignés comme arbitres. Ils accordèrent un demi-muid de blé au curé, à prendre chaque année, dans la ferme des religieuses, le jour Saint-Martin; ils dirent doucement à l'abbesse qu'elle était un peu trop exigeante, mais la maintinrent néanmoins dans tous ses droits et privilèges sur la cure. Le curé de Chevreuse mourut sur ces entrefaites, mais Guillaume d'Auvergne promulgua la sentence arbitrale au mois d'août 1237. — Le même prélat imposa de son chef et sans l'intermédiaire d'arbitres, au mois d'avril 1241, un autre arrangement entre Aveline et Pierre, curé d'Évry. Celui-ci, comme tous ses confrères de l'époque, voulait percevoir pour lui seul la dîme des novales et certains autres droits. L'évêque lui accorda la petite dîme de sa paroisse, perçue autrefois par le couvent, mais il donna les novales au monastère; qui reçut en outre, au mois d'août de la même année, tous les biens que Jeubert, prédécesseur de Pierre à la cure d'Évry, possédait à Gercy.
  • Ce n'était pas seulement auprès des prêtres de paroisse, placés directement dans sa sphère d'action, que Guillaume d'Auvergne exerçait son influence, pour augmenter la prospérité du couvent, il agissait aussi près des laïques ses diocésains. Sous son contrôle bienveillant, une pieuse femme, dame Éremburge du Chêne, donna en partie et vendit en partie une rente de 30 sols parisis, assise à Brevannes 85). Les |61 quatre enfants d'Éremburge, ses trois fils et sa fille souscrivirent à ce bizarre contrat, que ratifia également Héron d'Étiolles, au mois de juin 1228. Quelques années plus tard, au mois de mai 1234, un certain Adam du Bois, sa femme Héloïse et ses fils, signèrent un arrangement absolument semblable pour un cinquième de la dîme de Chevry, c'est-à-dire qu'ils en donnèrent une partie et vendirent l'autre. Il est probable que ces contrats avaient pour but de déguiser, à une législation déjà tracassière, soit une libéralité, soit une vente pure et simple.
  • Jean, seigneur d'Yerres 86), et Clémence, sa femme, reconnaissent devant le prélat, que l'abbaye a droit au quart des moutures sur le moulin du Pont, situé entre le couvent et le village d'Yerres. Toutefois le blé du châtelain ne sera soumis à aucune retenue; il gardera en outre les droits de justice et de pêche 87) ainsi que le choix du meunier; celui-ci pourtant devra rendre hommage aux religieuses. — Le même jour, Jean et Clémence sanctionnèrent encore le prélèvement de 25 sols de rente, donnés à l'abbaye, par Hugues de Limeil, sur une maison de Brunoy et occupée par Aveline, veuve de Jean l'Apostole. Les frères et les fils du donateur souscrivent à cette libéralité.
  • Quand l'évêque n'agissait pas en personne, il était suppléé par un clerc de sa chancellerie, l'Official, personnage remplissant des fonctions juridiques, et dont l'importance grandit considérablement au début du XIIIe siècle. Il remplaça souvent le prélat. Ce fut lui qui, au mois d'avril 1235, notifia la donation assez importante, faite à l'abbaye, par Jean de Villepetite. Celui-ci léguait, en pure aumône, 45 sols parisis de rente, à prendre sur des biens nouvellement acquis de Pierre le Lico et de sa femme Aveline. — Dans le même temps, Odon Briard reconnaît devant l'official, que feu Gilbert de Villecresnes a donné en aumône des masures, dont les religieuses peuvent jouir sans opposition du suzerain. — En 1237, Herbert de Brie |62 lègue à l'abbaye sous le sceau de l'officialité, quatre arpents de terre à Herces, placés sous la suzeraineté de Guillaume, damoiseau de Combs-la-Ville. C'est l'origine de la ferme de Herces, qui, agrandie successivement par des dons et des acquisitions, devint l'un des plus beaux biens du monastère.
  • L'intervention pacifique de l'évêque de Paris ou de son official ne suffisait pas toujours àh régler les difficultés de jour en jour plus, nombreuses créées à l'abbaye; il fallut, à maintes reprises, recourir à la justice du roi. En 1233, deux baillis royaux, Nicolas de Hautvilliers et Galeran de Crosnes durent intervenir pour régler le différend, survenu entre l'abbesse Aveline et les quatre frères: Guy, Milon, Giles et Robert de Linas, au sujet de 20 sols de rente, que ces chevaliers refusaient de payer aux moniales. Un accord fut conclu, et douze ans plus tard, en 1245, Guy de Linas étant mort, son fils Philippe reconnut qu'il devait, pour sa part, 10 sols de rente à l'abbaye. — Pour régler un certain nombre de ces difficultés et afin d'éviter des déplacements trop fréquents, l'abbesse n'intervenait pas toujours elle-même, elle se faisait remplacer par un procureur, comme il arriva en 1240, lors d'un grand procès au sujet de la ferme de Brie-Comte-Robert. Dans ce procès, la communauté se trouva forcée de plaider contre les curés et le seigneur de Brie, le monastère de Saint-Victor de Paris, et le prieur de Marolles. Pour ces litiges, un frère convers de Saint-Nicolas était presque toujours chargé de représenter les intérêts de l'abbaye. Une fois cependant, nous voyons ces fonctions remplies par un certain Garnier, dit le diacre, lequel ne vivait pas dans les murs du monastère.
  • Comme la maison d'Yerres avait été placée sous la protection du Pape, à plusieurs reprises, des délégués de l'autorité pontificale intervinrent dans la direction de ses intérêts temporels. Par deux fois, durant l'abbatiat d'Aveline, cette intervention se manifesta. D'abord, afin de faire cesser la querelle entre l'abbesse et Hugues de Puiselet, pauvre écuyer, auquel il semblait dur de payer à Yerres les redevances prélevées sur une grande partie de son domaine, principalement sur des vignes, plantées quarante ans auparavant, |63 et jusque sur son propre jardin. — En second lieu, contre Guérin de Bouclainval, pour le forcer à payer 30 sols de rente à l'abbaye, à cause de certaines terres sises à Saint-Prix, dans le diocèse de Chartres. Depuis lors on ne vit plus l'autorité papale, appelée au secours de l'abbaye, dans le domaine des choses temporelles.
  • Le gouvernement d'Aveline se poursuivit et se termina au milieu d'une prospérité croissante. En 1241, l'abbesse, toujours appuyée de l'autorité épiscopale, écrivit une lettre pour maintenir les droits de sa maison, sur des biens à Gercy, qu'un basochien, Pierre de Gercy et sa femme Édeline, aidés de Gilbert, curé du Lys, s'efforçaient de soustraire aux charges contractées envers l'abbaye. — L'année suivante elle recueillit la riche offrande, faite à son monastère, par le damoiseau Philippe de Noyen en Gâtinais, qui donna 100 sols parisis, à prendre chaque année, sur le moulin de Noyen (de Noemio). Ce legs était fait en faveur de sa sœur Élisabeth, religieuse du cloître, et il devait être réduit à 40 sols après le décès de la moniale, morte d'ailleurs peu de temps après son frère. Jean de Noyen, fils de Philippe, fit réduire cette rente à 30 sols en 1271; mais par contre, il se montra encore plus libéral que son père, car il donna aux religieuses 10 livres pour leur nourriture, 20 livres pour leur église et 20 livres pour les besoins du couvent.
  • Les annales d'Yerres nous montrent encore Aveline recevant de Simon, curé des Portes, des volumes intitulés Bibliothèque des Pères; et d'un chevalier nommé Guy, un Graduel. — Elle vendit en 1243, au chapitre de Meung-sur-Loire, une maison qu'elle possédait dans le cloître même des chanoines; — loua au chapelain de Pommeraie les dîmes du lieu, ce qui lui valut l'honneur de recevoir une lettre d'Amaury de Monfort. — Enfin, au mois de mai 1244, elle obtint de Mathilde, veuve de Ferry de Cramoyelle, la reconnaissance de la dette souscrite par son mari. Un certain Jean de Sarriis, sans doute fils de Mathilde, promit de tenir cet engagement.
  • C'est le dernier acte connu de l'administration d'Aveline, qui porta la crosse pendant 18 ans, et mourut au mois d'octobre |64 1244, et non pas 1248, comme le disent les Bénédictins copiés par Mévil. Les religieuses l'ensevelirent dans le chœur de leur église; et selon la coutume, dès lors établie, votèrent 40 sols parisis, pour chanter chaque année son anniversaire. Pendant son abbatiat, elle dût faire au cloître d'importants travaux de consolidation, rendus nécessaires par les remaniements incessants qu'on faisait subir à l'édifice monacal.

Chapitre VI. Ermengarde (1245-1254)

Modifications importantes: les anciennes religieuses gouvernent la communauté. — Atténuation de l'austérité. — L'usage des œufs. — Actes de l'abbatiat d'Ermengarde. — Querelle au sujet des bois de Sénard. — Fin des longs abbatiats.

  • Après la mort d'Aveline, le gouvernement de l'abbaye devint de plus en plus impersonnel. Comme par le passé, le monastère continue d'avoir à sa tête une abbesse; mais à celle-ci on peut appliquer une formule moderne et célèbre, et dire qu'elle règne, mais ne gouverne pas. Désormais le conseil de la communauté ou le chapitre substitue peu à peu son autorité à celle de l'abbesse. C'est le temps où le pouvoir de la prieure grandit considérablement, et où de profondes modifications sont introduites dans tout le régime de la maison.
  • Les anciennes religieuses, par des règlements successifs, tirent peu à peu à elles toute l'autorité, à l'exclusion des jeunes moniales et des converses, qui n'ont plus voix délibérative au chapitre. Aussi l'abbesse est-elle exclusivement prise parmi les anciennes; les jeunes ne sauraient désormais prétendre à cette charge. La direction y gagnera peut-être en prudence et en sagesse, mais adieu les grandes entreprises, les fondations nouvelles, les coups d'audace, apanage ordinaire de la jeunesse, de la force et de l'activité.
  • Du statut d'Étienne de Senlis, qui appelle des étrangers au cloître, pour l'élection de la Supérieure, il ne reste plus rien. On n'a garde d'appeler l'abbé de Saint-Victor, avec lequel on est souvent en discussion et en procès; nul souci non plus de |66 celui de Notre-Dame-du-Val, car il appartient à une famille religieuse étrangère, rivale et presque hostile; il est bernardin et la maison d'Yerres est bénédictine. Il n'y a plus de prieur de Saint-Nicolas. Pour le service religieux et l'administration des sacrements, on a de simples chapelains; et si la coule monastique est encore portée par quelques hommes, ce sont de simples frères convers, préposés aux intérêts matériels et temporels du couvent, mais tous sont sans autorité sur le gouvernement général de la communauté. Seul, l'évêque de Paris a gardé quelque influence dans le cloître, encore cette influence dépend-elle du plus ou moins de sympathie que la personne du prélat inspire à nos religieuses. Aussi après la mort de Guillaume d'Auvergne, prélat plein de sollicitude pour l'abbaye, on sera plus de deux siècles sans voir les évêques de Paris intervenir personnellement dans les affaires de l'abbaye, et cela à deux ou trois exceptions près.
  • L'austérité s'atténue peu à peu. C'est à partir de 1250 environ, et non pas du milieu du XIVe siècle, comme le dit Mévil, que les œufs furent introduits dans le régime alimentaire de nos moniales, qui reçurent, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, un nombre considérable de donations pour la pitance des œufs.
  • Ermengarde fut élevée au siège abbatial dans les premiers jours de l'année 1245; car il dut s'écouler, on ne sait pourquoi, deux ou trois mois, entre le décès d'Aveline et l'élection d'Ermengarde. De celle-ci on ne peut dire que fort peu de chose; c'est la moins connue de toutes les abbesses qui ont porté jusqu'ici la crosse à Yerres. De son origine, de sa famille, de son âge, de son passé, on ne sait absolument rien. Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est qu'elle fut certainement choisie parmi les anciennes du cloître, où elle avait passé de longues années, et à la tête duquel elle demeura onze ans, comme en témoigne l'obituaire, dont les rédacteurs furent ses contemporains.
  • Toutefois, il est excessif de laisser entendre, à la suite des Bénédictins, qu'on ne connaît aucun acte de son gouvernement. À son entrée en charge, ni la vie, ni l'activité de |67 sa maison ne furent suspendues; elles fonctionnèrent au contraire comme par le passé, et nombreux sont les actes de cette période, au moyen desquels nous voyons ce grand monastère de cent religieuses, exercer autour de lui une influence salutaire et bienfaisante pour toute la contrée.
  • Au mois de juillet 1243, Roger de Sèvres et sa femme Aveline firent à l'abbaye un titre nouvel pour douze arpents de terre situés à Attilly, et donnés jadis aux moniales par Édeline de Sèvres, mère de Roger. — Dans le même mois, Jean, vicomte de Méréville, affirme que les religieuses ont droit de prendre chaque année un muid de blé sur son moulin de Glaise, mis en mouvement par la rivière d'Étampes. — Au mois de novembre suivant, Guy Briard et sa femme Aveline, bienfaiteurs déjà rencontrés, abandonnèrent aux moniales des droits importants sur le vieux marché de Corbeil. Trois chevaliers: Guillaume et Adam Pannier, Guillaume d'Ormoy, ainsi que leurs trois femmes souscrivirent à cette donation. — Un peu plus tard, en 1230, Milon de Lieusaint donna, en pure et perpétuelle aumône, à nos Bénédictines, trois arpents de terre labourable, pour arrondir leur domaine dans sa paroisse. — Jean du Donjon, toujours possesseur d'une partie de la seigneurie d'Yerres, de concert avec sa femme Clémence, acheta des religieux de Sainte-Geneviève, le bois dit de Cornouaille, et en fit cadeau à l'abbesse, afin de participer aux suffrages de la communauté.
  • Dans ce beau milieu du XIIIe siècle, aux donations s'entremêlent les transactions, les accords, les achats, les procès. Notons les plus importants.
  • Étienne, cardinal prêtre du titre de Sainte-Marie au delà du Tibre, était chanoine de Chartres et prévôt d'Auvers-Saint-Georges. Comme tel, il réclamait des droits importants sur la terre de Mesnil-Racoin; l'abbaye se refusait à les acquitter: de là un procès terminé au mois de septembre 1233, par un accord, conclu sous les auspices de différents personnages ecclésiastiques de l'époque. Quelques livres parisis, concédées par l'abbaye, calmèrent les réclamations de cet avide prince de l'Église. — Agnès, abbesse cistercienne de Villiers, près la Ferté, possédait une vigne et des jardins, |68 au faubourg de Bédégon à Étampes. Ce bien lui avait été donné par Pétronille, fille de feu Anseau Chantel, il était situé dans la censive de nos religieuses; comme les Cisterciennes se refusaient à pyer le cens, l'abbé de Prouy (Proilliaco), proviseur de la maison de Villiers, intervint et fit droit à la demande des sœurs d'Yerres. — Plus délicate était la querelle survenue entre la maison d'Ermengarde et les habitants de Moissy-l'Evêque, au sujet des droits de pâture, sur les terres et les prés de la ferme de Chanteloup, l'une des plus belles possessions de l'abbaye. Pour apaiser ce différend, Renaud de Corbeil, évêque de Paris, ami du monastère, mais très favorable aux gens de Moissy, dont il était seigneur, fit nommer deux arbitres, Albéric de Brie, pour les religieuses, et Thierry de la Porte, pour ses hommes de Moissy 88), qui réglèrent le procès à l'amiable et à la satisfaction des deux partis. — Enfin un accord survenu au sujet d'une maison à Paris. Le roi saint Louis eut besoin de cette maison, pour l'agrandissement de son palais; de là certains tiraillements entre les Bénédictines et le roi. Cet acte, assez obscur d'ailleurs, serait de nature à faire croire que le pieux monarque était peu favorable à l'abbaye, si nous ne le voyions, presque en même, temps, délivrer bénévolement à Ermengarde 40 livres parisis, léguées à sa maison par le testament de Blanche de Castille.
  • Les autres contrats de l'époque nous montrent l'abbaye louant les terres dépendant de l'église de Lieusaint. Dans l'intérêt de la paroisse, Guillaume, curé du dit lieu, Milon de Lieusaint et Guyard Brun afferment, pour trois ans aux religieuses, les biens de la fabrique. — Puis, c'est Philippe de Soisy qui vend quelques arpents de terre, voisins de la ferme des Bordes; — Mathieu Poitrine, habitant d'Yerres, aliène, pour 18 livres parisis, une vigne contiguë au rû de Révillon; — et Adam Foë, seigneur de la Ferté, d'accord |69 avec Éremburge, sa femme, cèdent, pour 16 livres parisis, quatre arpents de terre situés à Marbois. Ce dernier acte ne se trouve ni au cartulaire, ni dans les archives de l'abbaye; mais M. Mévil, certifie l'avoir vu et assure qu'il portait le nom de l'abbesse Ermengarde.
  • L'évènement le plus considérable de ce temps-là fut la querelle entre le monastère et certains seigneurs du voisinage. — On n'a pas oublié sans doute le droit déjà séculaire, que l'abbaye avait d'aller chercher, pour son usage, du bois dans la forêt de Sénart. Cette concession, faite aux premières moniales d'Yerres, n'avait pas tardé à amener des difficultés, que de nombreux règlements n'empêchaient pas de voir renaître tous les dix ans, si ce n'est plus souvent.
  • Les religieuses pouvaient envoyer quérir, tous les jours de l'année, quatre charges de bois dans la forêt. Il est à croire qu'au début les moniales usaient de ce droit avec modération, et n'allaient que de temps à autre prélever cette redevance; mais leur communauté ayant grandi sans cesse, et par conséquent leurs besoins, elles s'étaient mises peu à peu à exercer leur droit tous les jours, sans en excepter les jours fériés. La charge paraissait exorbitante aux propriétaires. De plus, les hommes de peine du monastère coupaient dans toutes les parties de la forêt, et n'importe quel bois à leur convenance. Les dégâts produits par ces coupes quotidiennes et inintelligentes étaient considérables. Enfin, le gibier effrayé fuyait des taillis si sauvent tourmentés, sans compter que les domestiques du couvent ne se privaient sans doute guère de faire un peu de braconnage.
  • D'autre part, après un siècle, les héritiers des premiers donateurs n'avaient pas les mêmes sentiments que leurs ancêtres pour l'abbaye, et plusieurs d'entre eux subissaient avec peine une redevance devenue odieuse par sa continuité. En outre, leurs gardes forestiers, témoins des sentiments de leurs maîtres, prenaient plaisir à molester les domestiques des religieuses, et s'opposaient, par tous les moyens, à l'exercice de ce que les Bénédictines appelaient leurs droits. De là, une situation fort tendue et d'interminables procès.
  • Au mois de février 1248, grâce à de puissantes influences, |70 notamment à celle du pape Innocent IV, on essaya d'un règlement destiné à calmer des disputes quotidiennes et scandaleuses. On n'osait pas s'opposer tout à fait au prélèvement exercé par les religieuses; leur droit était fondé sur des textes écrits, sur un usage séculaire et public, et, de plus, il avait un caractère religieux. Deux écuyers, Baudouin de Villecresnes, Marguerite sa femme, et Robert de Mandres avec Marie sa femme, étaient propriétaires des bois; ils convinrent, sous le patronage de l'official de Paris, de l'arrangement suivant. Les deux seigneurs auront à Brunoy un représentant, nommé chaque année le second dimanche de juin, et signifié aux religieuses à l'heure de la messe. Celui-ci désignera une partie de bois à abattre, suffisante pour l'usage de la communauté. La veille de la coupe, le monastère enverra un serviteur prévenir le représentant des propriétaires, qui devra se mettre à la disposition des bûcherons, faute de quoi ceux-ci entreront dans le bois, et couperont le taillis où bon leur semblera. Les ânes du monastère circuleront librement dans la forêt, afin d'enlever le bois coupé et de le transporter à l'abbaye.
  • Cet accord fut souscrit et juré par les parties intéressées, auxquelles vinrent s'adjoindre Jean de Brunoy, Mathilde sa femme et sa sœur Clémence, Jean du Saussay, Guyard de Brunoy et Isabelle de Brunoy, sans doute leur mère, tous copropriétaires de la forât, à titres divers.
  • Les signataires étaient-ils de bonne foi? Il est permis d'en douter. Toujours est-il que l'arrangement, conclu au mois de février, ratifié en juin, était violé au mois d'août. À cette date, Robert de Villecresnes fit arrêter les ânes du monastère qui s'en allaient tranquillement en forêt sous la garde de leurs conducteurs, saisit le bois qu'on rapportait au couvent, fit battre les pauvres bêtes, ainsi que les domestiques, injuria ceux-ci, les accabla de mauvais traitements, les enferma pendant deux jours, et les traita comme s'ils eussent été des brigands.
  • Comme bien on pense, les religieuses jetèrent les hauts cris, réclamèrent huit charges de bois et 40 livres parisis de dommages-intérêts. Ermengarde, cette fois, se chargea personnellement |71 de ces revendications. Elle demandait des juges et criait vengeance contre un acte de déloyauté et de félonie; elle affirmait les droits de sa maison et demandait pour chaque jour de l'année, quatre charges de bois, les dimanches et les fêtes solennelles exceptés, mais élevait la prétention de prélever double charge la yeille ou le lendemain des jours empêchés.
  • Baudoin de Villecresnes fut condamné, moins sévèrement toutefois qu'on ne pourrait le croire. Il dut rendre le bois confisqué; pour l'indemnité, les religieuses furent déboutées, et, pour les frais du procès, la question fut réservée. Cette sentence, d'une bénignité extraordinaire, n'était pas faite pour décourager ceux qui dans l'avenir entreprendraient contre le monastère. Aussi, les propriétaires de la forêt ne s'en privèrent guère.
  • Heureusement, tous les descendants des premiers bienfaiteurs de l'abbaye n'avaient pas contre le monastère la même rancœur; il s'en trouvait et beaucoup, qui témoignaient à nos moniales la même bienveillance que leurs aïeux. De ce nombre furent Manessier de Garlande, chanoine de Chartres, et Guillaume de Garlande, son frère, qui, en mai 1248, passèrent un titre nouvel à l'abbaye pour reconnaître ses droits à Oysonville; ils en profitèrent pour augmenter les revenus des religieuses et les exempter de certains impôts.
  • C'est tout ce que nous avons pu recueillir touchant l'abbatiat d'Ermengarde. Elle mourut le 4 avril 1254 ou 1255. Le nécrologe fait d'elle l'éloge accoutumé: augmentation des revenus du couvent, restauration des bâtiments claustraux, direction sage et pieuse de ses religieuses dans les sentiers qui conduisent à la Jérusalem céleste.
  • Nous n'avons point à nous inscrire en faux contre ce témoignage, d'autant plus respectable qu'il a été rédigé après décès par des contemporains: cependant, il est permis de dire, sans manquer de respect à l'abbesse défunte, qu'entre ses mains le pouvoir personnel de l'abbesse fléchit notablement; que la prospérité croissante de la maison, donna peu à peu passage au bien-être, cet introducteur de la décadence et de la ruine. |72
  • Avec Ermengarde finirent, au moins pour une notable période, ce que nous pourrions nommer les longs abbatiats. La maison d'Yerres existe depuis cent vingt-cinq ans, elle n'a eu que six abbesses; c'est une moyenne de plus de vingt ans pour chaque supérieure. Le siècle suivant en verra douze ou quinze, et l'histoire va nous dire, si le relâchement de la discipline, l'inobservance des règles, l'oubli de la pénitence et de l'austérité sont des fruits mauvais, produits par les longs abbatiats, comme quelques-uns le prétendent.

Chapitre VII. Eustachie d'Andresel (1255-1261), Isabelle (1261-1267), Marguerite (1267-1274), Jeanne (1274-1280).

Origine d'Eustachie d'Andresel. — Acquisitions faites par elle. — Son administration. — Isabelle lui succède. — Renaud de Corbeil. — L'Hôtel-Dieu de Corbeil. — Les procès. — Marguerite Ire. — Raoul de Chevry et Guillaume des Grez. — Histoire de l'abbaye d'après M. Mévil. — Marguerite, neuvième abbesse d'Yerres. — Abbatiat de Jeanne P*. — Le curé d'Yerres procureur des moniales. — Richesse des religieuses.

  • Eustachie d'Andresel succéda à Ermengarde dans le gouvernement de l'abbaye. Elle porte dans les catalogues le nom d'Eustachie II. Fille d'Albert d'Andresel et d'Agnès de Garlande, sa famille tenait un rang distingué parmi les bienfaiteurs du couvent; elle était entrée à Yerres en 1213, et comptait par conséquent plus de quarante ans de vie religieuse, dans cette maison, où elle avait rempli divers offices, notamment la charge de prieure, ce qui lui avait donné une parfaite connaissance de toutes les affaires et des traditions de la communauté.
  • Au jour de sa prise d'habit, sa mère avait fait une riche aumône au monastère; dix ans plus tard, en 1224, elle l'avait doublée, en présence de Jean et d'Aubert d'Andresel, ses fils, frères d'Eustachie, et d'Ansel de Garlande, son neveu, cousin de la jeune moniale. C'était là des titres à la reconnaissance des religieuses; mais donnaient-ils à leur élue |74 toutes les qualités d'une parfaite abbesse? Il serait téméraire de l'affirmer.
  • Eustachie avait la soixantaine ou environ, quand elle prit la crosse; c'était un âge avancé, pour gouverner une maison, où la presque totalité des religieuses mouraient avant d'avoir atteint soixante-dix ans. De plus, la nouvelle titulaire était souvent malade, et quand sa santé le lui permettait, les nombreuses affaires du monastère l'appelaient au dehors, en sorte qu'elle ne présida que bien peu aux exercices du cloître, dont elle avait assumé la direction. — Aussi, est-ce à partir de cette époque qu'un notable changement s'opéra dans la vie intérieure du couvent. La situation est prospère, et les moniales ne connaissent plus la pénurie ni la disette dont elles ont souffert si longtemps. Les fermes et les revenus du couvent sont habilement administrés par un procureur, connu dans les actes sous le nom de frère Jean; des fondations nombreuses, dues à la munificence des seigneurs et des simples bourgeois du voisinage, témoins fidèles et admirateurs de la régularité et de la ferveur des filles de Saint-Benoît, alimentent la caisse de la communauté; en sorte que celle-ci participe à la prospérité qui règne dans toute la France, et surtout aux environs de Paris, sous le règne de saint Louis.
  • En 1256, le fonds de réserve de l'abbaye d'Yerres était déjà riche en numéraire. Eustachie y puisa pour faire des acquisitions utiles et bien entendues.
  • Afin de favoriser deux de ses diocésains dans le besoin, Henri Cornu, archevêque de Sens, permit à Thibault de Nangeville et à sa femme Marguerite, de vendre à l'abbesse des terres et menus cens, situés à Guillerval et à Souplainville. Guillaume Roynart, écuyer, Guillaume de Nangeville, chanoine de Pithiviers, et Guillaume de Mauchecourt donnèrent la main à cette acquisition, à cause de leurs droits féodaux sur les biens vendus, et Philippe, doyen de la chrétienté d'Etampes, ratifia le tout au nom d'Ysabelle, femme de Guillaume de Mauchecourt. L'abbesse versa séance tenante, aux vendeurs, 110 livres parisis, somme considérable pour l'époque. |75
  • Un peu plus tard, la division des terres de Tremblay, près Gonesse, fut favorable aux intérêts de l'abbaye. Deux frères, Adam et Jean de la Ferté (de Firmitate), possédaient 65 arpents de terre labourable dans le voisinage de la ferme de nos moniales. Pour obéir à des nécessités de circonstance, ils font une séparation de ces biens, que les religieuses surveillent avec le plus grand soin, car elle leur est favorable pour l'agrandissement de leur domaine. Cet acte nous montre un certain Guillaume le Loup, l'un des descendants des premiers bienfaiteurs d'Yerres, vivant au Tremblay en 1260. Dans cette paroisse, le monastère trouvait aussi des recrues, car une moniale d'Yerres nommée Hermende, née au Tremblay, y était à la même époque propriétaire d'assez grands biens.
  • Pendant l'abbatiat d'Eustachie, la prieure de la communauté voit encore son pouvoir grandir et s'étendra; elle a maintenant un sceau particulier et donne des ordres écrits et scellés, au lieu et place de l'abbesse, empêchée ou absente; on en trouve la preuve en 1258, dans un acte autorisant frère Jean, le procureur, à poursuivre en justice Guiard Charme, parce qu'il se refusait à payer les dîmes de Mardilly, possédées en commun par les religieuses et Jean de Villepetite, chantre de l'église de Meaux.
  • Deux ou trois autres actes moins importants, accomplis pour faire reconnaître les droits du monastère, notamment à Villecresnes et à Corbeil, sont les seuls souvenirs qui nous restent du gouvernement d'Eustachie d'Andresel. Elle mourut en 1261, après avoir porté la crosse cinq ans, sans gloire et sans grandeur. Elle laissa se modifier profondément le régime intérieur de la maison, où un certain bien-être prit la place de l'austérité, pratiquée naguère avec tant d'enthousiasme et de sévérité.
  • Isabelle qui lui succéda comme abbesse, continua les pratiques et les usages de sa devancière. Chaque jour, grâce à la prospérité croissante du monastère, la vie intérieure et le système alimentaire s'y modifiaient sensiblement. C'est de cette époque en effet, et non pas du XIVe siècle seulement, comme le dit Mévil, que date l'introduction du poisson dans la nourriture des religieuses. On ne saurait dire si cette mesure |76 doit être attribuée à Eustachie d'Andresel, ou bien à Isabelle. Dans tous les cas, celle-ci, dont la personnalité et les antécédents sont fort peu connus, laissa s'introduire des habitudes qui, sans être le relâchement de l'austérité et de la pénitence, en étaient comme les pierres d'attente et les avant-coureurs.
  • Plus active toutefois que sa devancière, elle prit une part plus personnelle à l'administration des affaires de sa communauté. Dès son entrée en charge, elle fit un traité de paix avec les hommes de son église, c'est-à-dire avec certains fermiers de l'abbaye, au sujet des redevances dues aux moniales. — À sa prière, Renaud de Corbeil, évêque de Paris, amortit 40 sols parisis de rente, à Chevreuse, dans le fief épiscopal. Ce don leur avait été fait en 1225, à l'occasion de l'entrée au cloître d'Agnès de Chevreuse, morte en 1264. Cette mort contraignait l'abbaye à payer certains droits de succession, dont le prélat l'exempta, intuitu pietatis, dit-il. Un peu plus tard, le même évêque devait encore donner au monastère un témoignage de sa bienveillante sympathie, car par son testament il lui légua un magnifique calice d'argent, plus 40 livres parisis, pour la nourriture des religieuses. — De son côté, Guillaume de Bois-Herpin donna, en pure aumône, 40 sols parisis de rente, à prendre chaque année le jour saint Denis, à Gragi, dans la vicomté de Melun. La donation et la ratification de cette libéralité sont libellées en français du XIIIe siècle: ce sont les premiers et presque les seuls actes écrits en langue vulgaire, dans le cartulaire.
  • Tout en favorisant les dons et les aumônes, Isabelle s'occupait activement d'acquisitions. Au mois de juillet 1264, elle achète de Guillaume Pannier, pour la somme de 8 livres parisis, payées immédiatement, une maison à Villecresnes, qu'elle cède à Ferri dit Bertran, et à Renaud Grisi, pour un loyer annuel de 25 sols parisis. Si l'on s'en tenait aux termes de l'acte, on serait tenté de croire que cette acquisition était de mince importance, car ce n'était qu'une masure avec son pourpris, dit la charte; mais cette chaumière était néanmoins propre à abriter deux ménages, et les locataires s'obligeaient |77 solidairement avec leurs femmes, à faire aussitôt pour 100 sols tournois de réparations à l'habitation.
  • C'était là de l'administration intelligente. Non moins habile fut la transaction conclue par frère Jean, au nom et comme commissaire du couvent, avec l'Hôtel-Dieu de Corbeil. Cette maison hospitalière avait droit de prélever une certaine quantité de bois, pour ses malades, sur chacune des voitures chargées, lorsqu'elles passaient dans la ville. Nos religieuses se prétendaient exemptes de cette redevance, en vertu d'anciens privilèges; mais toutes les fois que leurs domestiques traversaient la ville avec des chariots, les serviteurs de l'Hotel-Dieu s'en donnaient à cœur-joie, prenaient un malin plaisir à tourmenter les gens des nonnes; il les maltraitaient, les battaient même, et leur enlevaient une partie de leur charge. De là, des protestations véhémentes et des appels réitérés à la justice. Grâce au bon vouloir de Renaud de Corbeil, un véritable protecteur de nos moniales, on ménagea une transaction, L'évêque écrivit à ce sujet deux longues lettres, et l'accord fut rétabli entre les deux maisons, au courant de l'année 1265.
  • D'ailleurs, si les religieuses étaient en butte à des tracasseries dans Corbeil, elles y comptaient aussi de vives sympathies. Elles y étaient grandes propriétaires de dîmes, de droits divers, de maisons de rapport qui leur constituaient un assez riche revenu. Nous voyons Isabelle louer une de ces maisons à Guillaume de Paris, bourgeois de Corbeil, et à sa femme Aveline, pour 7 livres parisis de fermage. Le contrat nous donne les tenants et les aboutissants de cet hôtel, avec une si grande précision, qu'il serait encore facile, croyons-nous, de le retrouver aujourd'hui, malgré les changements apportés par le temps.
  • Isabelle sut ménager une faveur toute particulière à sa communauté. Les procès étaient déjà fort nombreux au XIIIe siècle; et comme le domaine monastique était très étendu, il fallait se défendre devant plusieurs juridictions en même temps; de là des déplacements fréquents, et des dépenses considérables. Comme le monastère était toujours sous la protection spéciale du Saint-Siège, l'abbesse demanda et obtint |78 du pape Clément IV un important privilège pour sa maison. Dans une bulle datée de Pérouse, la première année de son pontificat (1265), le pape déclare que nul ne pourra appeler l'abbaye en justice, à une distance supérieure à deux journées de chemin, et cette faveur s'étendait non seulement aux moniales elles-mêmes, mais encore à tous les serviteurs et à toute personne habitant dans les murs du couvent. Cet acte pontifical fut rappelé bien souvent dans la suite; les Bénédictines le citaient avec complaisance comme un argument en faveur de leur droit de justice, tel qu'elles l'entendirent plus tard; en fait il ne leur accordait nullement le droit d'exercer la justice chez elles ou sur leurs terres; il établissait plutôt une présomption défavorable à leurs prétentions, et nous ne croyons pas qu'au temps de saint Louis, l'abbaye d'Yerres ait eu quelque part des officiers pour exercer la justice au nom de l'abbesse, comme cela eut lieu au XVe et au XVIe siècle.
  • Le pape Clément IV, Guy Foulquois, originaire de Saint-Gilles en Languedoc, avait été marié avant de monter aux sièges épiscopaux du Puy et de Narbonne, ensuite sur celui de saint Pierre. Il avait deux filles, et l'une d'elles fut religieuse à Yerres; c'est cette circonstance qui valut à notre abbaye les faveurs pontificales.
  • Isabelle, après avoir gouverné environ six années avec une activité digne d'éloges, mourut le 19 ou le 20 avril 1267.
  • Sa succession fut recueillie par une religieuse inscrite dans les catalogues sous le nom de Marguerite Ire . Sa personnalité, ses antécédents sont aussi peu connus que ceux de sa devancière. Toutefois on est en droit d'affirmer qu'elle avait passé de longues années dans le cloître avant d'être appelée à le gouverner. Quelques donations et de rares contrats, échappés comme par hasard à l'injure du temps, sont les seuls témoins de son administration.
  • Elle loua à Godefroy Normant et à sa femme Pétronille, une maison et des terres à Gercy, pour 20 sols de rente, sous le sceau de l'Official de Paris. — Raoul de Chevry, évêque d'Évreux, sortait d'une famille de bienfaiteurs d'Yerres. À sa mort, arrivée en 1269, il légua à l'abbaye 48 livres parisis, |79 dont le couvent se servit pour acheter des rentes à Saint-Prix. Cette donation n'était pas la seule du prélat défunt, il avait fait des legs à l'abbaye de Malnoue et aux chanoines de Paris, ses anciens confrères: tous ces légataires devaient prélever leurs héritages sur des biens sis à Brie-Comte-Robert, ou nos moniales avaient elles-mêmes un assez vaste domaine et des droits nombreux. Ce voisinage amena des contestations, toutes réglées pacifiquement, entre les sœurs de Malnoue, le chapitre de Notre-Dame à Paris, les deux curés de Brie et la communauté d'Yerres. Par cet accord, Jean et Guillaume, curés de Brie, abandonnent à l'abbesse la douzième partie de leur dime, sous certaines réserves, faites tout exprès, ce semble, pour faire naître dans la suite de nombreux et interminables procès, — Un autre prélat contemporain, Guillaume des Grez, évêque de Beauvais, donna 40 livres parisis à l'abbaye, où l'une de ses nièces, originaire comme lui de la maison de Corbeil, était religieuse.
  • Les donations en terres, en dîmes, en farine, en grain, en redevances, en numéraire, abondent dans cette seconde moitié du XIIIe siècle. Elles ont pour but de pourvoir à des besoins divers: amélioration de la nourriture des moniales, reconstruction de l'abbaye, entretien et développement des pompes du culte; elles sont faites, tantôt à la communauté, tantôt à l'église ou à la sacristie, tantôt à la trésorerie, et surtout à la pitancerie, c'est-à-dire à la cuisine, plus rarement à l'abbesse ou à l'une des moniales, ce qui arrive néanmoins de temps à autre.
  • C'est ainsi que Marguerite reçut le jour des Cendres 1272, la donation de Nicole, dame de Crosne, qui lui léguait quatre muids et trois setiers de blé, à prendre à Combs-la-Ville. Hélisende, fille de Nicole et religieuse du couvent, devait recevoir là-dessus deux muids de blé, sa vie durant, par la main de l'abbesse. — Elle recueillit également 10 livres pour la pitancerie, 20 livres pour l'église et 20 livres pour le couvent, de Jean de Noyen, qui confirma par le même acte la donation faite jadis par son père.
  • Tout l'abbatiat de Marguerite s'écoula au milieu de cette prospérité croissante et débordante, sans cependant que la |80 titulaire ait laissé une trace bien profonde et personnelle dans les annales de la communauté. Elle mourut le 3 mars de Tannée 1274 après avoir porté la crosse pendant sept ans.
  • C'est à cette abbesse que M. Sainte-Marie Mévil, fatigué ou satisfait des trente pages écrites sur l'abbaye, termine l'histoire de cette grande maison. Sautant à pieds-joints sur les trente dernières années du XIIIe siècle, il dit textuellement: “L'histoire d'Yerres s'arrête à l'an 1300. L'abbaye, fondée par Eustachie de Corbeil, devenue pendant les deux siècles que nous avons parcouru, riche et puissante, n'a plus désormais d'autres soins que de passer des baux à ses fermiers, ou de se défendre en justice contre les envahissements de ses voisins et contre la mauvaise foi de ses débiteurs; et rien de curieux n'apparaît dans ces volumineuses procédures, conservées avec grand soin dans les archives de l'abbaye.” C'est ce que nous verrons bien.
  • Après cette hautaine déclaration, M. Mévil nomme néanmoins quelques abbesses des siècles suivants, cite certains faits et termine par cette ineffable liste des abbesses, copiée aveuglément sur celle du Gallia. Il ne remarque pas qu'elle contredit son récit à tout instant, et lui-même en augmente encore les erreurs comme à plaisir 89).
  • En inscrivant la mort de Marguerite, l'obituaire dit qu'elle était la huitième abbesse d'Yerres; erreur fort explicable de la part de l'auteur du manuscrit. Cette religieuse en effet avait omis le nom d'Eustachie d'Andresel, inscrit plus tard en tête du cahier mortuaire. On y lit qu'Eustachie fut la septième abbesse, et comme entre elle et Marguerite, il y eut Isabelle, il s'en suit que Marguerite est non pas la huitième, mais la |81 neuvième abbesse, remarque déjà faite par les Bénédictins du Gallia.
  • Marguerite était morte le 3 mars, et dès le 18 du même mois, Jeanne lui avait succédé depuis plusieurs jours; c'est dire que les élections se faisaient sans aucun laps de temps, ni concours étranger. Quand la nouvelle titulaire avait recueilli les suffrages de ses sœurs, elle se bornait à en prévenir l'évêque de Paris, et le priait de lui donner la bénédiction. Aucun prélat d'ailleurs ne semble avoir protesté contre cet état de choses et réclamé une part dans les élections. Leur bienveillance tacite demeure acquise à la communauté; mais les évêques de Paris, tout en conservant à nos religieuses leur paternelle tendresse, ont cessé de prendre part à leurs affaires et abandonné, en quelque sorte, leur direction. Étienne Tempier, contemporain de l'abbesse Jeanne, lui lègue par testament 30 livres parisis, pour célébrer son anniversaire et ceux de son père et de sa mère, morts à Orléans, témoignage suprême de sa confiance dans les suffrages de l'abbaye.
  • Elle eut encore à recueillir d'autres donations parmi lesquelles il faut noter celle d'Isabelle de Pomponne, veuve de Guy de Villepinte. D'accord avec son beau-frère, Hugues le Loup, aussi seigneur de Villepinte, ils confirmèrent ensemble les donations de Marie et d'Adeline leurs ancêtres, en y ajoutant de nouveaux bienfaits. Cette terre de Villepinte était toujours favorable au monastère: non seulement il y voyait son domaine grandir et ses droits s'accroître, mais il s'y recrutait toujours; et parmi les moniales du cloître, à la fin du XIIIe siècle, on en comptait au moins deux originaires de la petite paroisse, qui avait fourni à l'abbaye sa seconde abbesse, et un si grand nombre d'insignes bienfaiteurs.
  • De nombreux arrangements furent conclus par Jeanne, et tous furent favorables à la fortune territoriale et mobilière du couvent. Une veuve, nommée Anceline la Dalbonne et son fils Guillaume vendent une maison à un clerc, appelé Jean Chevalot. Dans quelques années ce petit domaine deviendra propriété du couvent, et arrondira ses possessions à Brie-Comte-Robert. — En 1278, sous le sceau de l'official de Paris, Gilbert de Servigny achète de Jean de Servigny, son parent, |82 une terre à Lieusaint: celle-ci entrera tout à l'heure dans le grand et très ancien domaine des moniales. — Il en sera de même encore pour une petite terre assise à Périgny; acquise par le curé, en son nom propre, elle ne tardera guère à être englobée dans le domaine monastique.
  • Le nom de ce curé de Périgny mérite d'être retenu dans les annales du Cloître, car il marque une nouvelle étape dans les transformations accomplies au cours du XIIIe siècle. Jusqu'à l'abbatiat de Jeanne, les religieuses avaient employé comme procureur, un régulier, habitant tout près d'elles dans les restes du prieuré de Saint-Nicolas. Frère Jean fut le dernier à remplir cette charge; étant mort presque en même temps que l'abbesse Marguerite, il eut pour successeur un séculier, Thomas, curé de Périgny. À partir de 1275, celui-ci géra les affaires litigieuses de nos moniales, avec une dextérité digne d'éloges; il fut le bras droit de Jeanne qui se déchargea sur lui de presque toute l'administration du temporel, si lourde à cette époque.
  • Son abbatiat ne fut d'ailleurs pas de longue durée. Entrée en charge à un âge assez avancé, Jeanne mourut, après six ans et deux mois de gouvernement, le 18 avril 1280. Elle laissait l'abbaye au point culminant de sa prospérité.
  • Toutes les terres, prés, maisons, granges, en un mot le domaine utile du monastère est en parfait état; le revenu en est considérable et admirablement administré par un procureur habile. Les donations sont toujours nombreuses et produisent des sommes difficiles à évaluer en monnaie moderne, mais très importantes. À la distance de plus de six siècles, les chiffres sont de nature à nous faire illusion; car, si nous lisons que Jean de Corbeil a donné 12 livres de revenu annuel, et que Baudouin, son frère, a légué un muid de blé à prendre sur telle terre; ou bien qu'Émeline a donné 40 livres pour célébrer son anniversaire, et Jean, curé de Grosbois, 60 sols pour la pitance, nous sommes portés à regarder ces aumônes comme peu importantes; nous ne devons pas oublier cependant que la livre parisis de la fin du XIIIe siècle, équivaut, d'après les estimations les plus sérieuses, à 100 ou 120 francs de notre monnaie; et que le simple sol répond à environ 20 francs. On |83 peut juger par là du numéraire réuni chaque année dans la caisse du couvent, et dont on faisait le plus noble usage.
  • À ce domaine, à ces aumônes et donations il faut joindre les dîmes, menus cens et autres droits innombrables, apportés à l'abbaye, par les amis de la maison, les âmes pieuses et les religieuses elles-mêmes. En entrant au cloître, la moniale n'a pas besoin d'une dot, ce semble; toutefois les familles des novices offrent d'ordinaire un petit pécule, ou bien en mourant la religieuse laisse, comme souvenir, un lambeau de patrimoine à ses sœurs du cloître.
  • Elles sont toujours fort nombreuses à Yerres les filles de Saint-Benoît; toutefois leur nombre ne s'est pas accru depuis cinquante ans, il a plutôt diminué, et l'exécution du règlement, fixant leur chiffre à 80, n'a plus besoin d'être pressée: en 1280, elles ne dépassent pas ce nombre, si même elles l'atteignent; car la plénitude des biens de la terre, au lieu d'attirer les âmes généreuses et avides de sacrifices, les éloigne ou du moins les tient à distance.
  • Cependant la communauté offrait un spectacle doux à contempler: les offices religieux s'y faisaient avec régularité et exactitude, voire avec pompe; les vertus claustrales d'humilité et d'obéissance à la discipline monastique y étaient pratiquées; tout marchait à souhait dans les voies d'une perfection relative, douce et tranquille: suprême aspiration pour beaucoup de supérieures de communautés religieuses, aux différentes époques de l'histoire.
  • Depuis quarante ans environ, les abbesses d'Yerres ont atteint la maturité des années, quand elles ont été mises en possession de la crosse; ce qui les dispose moins aux entreprises, aux fondations, à l'enthousiasme, à l'héroïsme; mais ce qui assure la sagesse et la prudence dans le gouvernement. Les quatre dernières titulaires ne sont pas aussi connues que leurs devancières; leur pouvoir est moins personnel; cela tient aux modifications apportées par le temps, surtout à l'extension des pouvoirs de la prieure et des autres officières de la maison; et si les trois dernières, Isabelle, Marguerite et Jeanne, nous semblent moins dignes d'admiration que les abbesses du XIIe siècle, c'est peut-être qu'elles nous sont presque |84 inconnues, le temps ayant détruit les monuments élevés par elles, et le plus grand nombre des actes de leur administration.
  • Au moment où Jeanne descendit dans la tombe, elle laissait sa maison prospère et bien réglée, pourvue d'un essaim de Bénédictines pieuses, parmi lesquelles il y avait des artistes, dont nous allons étudier les œuvres. Presque en même temps que l'abbesse, mourut la prieure, nommée Élisabeth: c'était une fille simple, de modeste origine; elle avait vécu 59 ans sous le cloître, et avait exercé la charge de prieure pendant 42 ans, édifiant toutes ses sœurs par sa patience et sa longanimité dans les souffrances, leur laissant pour héritage, non pas les biens de la terre, mais une vie exemplaire, terminée par une sainte mort. Au mois de novembre 1280, mourut aussi la comtesse de Limeuil (de Limonio), qui, après avoir été battue par les épreuves et les orages de la vie, vint passer ses dernières années sous la bure des filles de Saint-Benoît.

Chapitre VIII. Agnès de Brétigny (1280-1299)

Charité de l'abbaye. — Reconstruction du monastère. — Hôtel à Paris. — Le Cartulaire, les Obituaires. — Date de la composition de ces manuscrits. — Leur contenu. — Origine d'Agnès de Brétigny. — Elle reçoit une moniale envoyée par l'évêque de Paris. — Exemption de la juridiction épiscopale. — Les dons en argent. — Le moulin de Mazières. — La justice. — Le tribunal. — Madame l'Abbesse. — Legs faits par Agnès de Brétigny. — Sa tombe.

  • Quel usage nos moniales faisaient-elles des grands biens et des richesses dont elles jouissaient à la fin du XIIIe siècle? Semblables à des avares, prenaient-elles un plaisir vulgaire et coupable à contempler des trésors entassés dans leurs coffres? Nullement; car une large part de leurs revenus était employée à faire l'aumône aux pauvres de toutes les paroisses où le monastère possédait des biens. Notre époque, si fière de ses sociétés et de ses bureaux de bienfaisance, de ses fourneaux économiques, ignore généralement que le siècle de saint Louis avait un grand nombre d'institutions similaires. Chaque jour à la porte de l'abbaye d'Yerres on faisait de larges distributions d'aliments aux pauvres de la contrée, et l'une des moniales était préposée à cet office. Son grand fourneau, établi près de l'entrée principale du monastère, donnait sans distinction et sans enquête, un potage réconfortant, à tous les malheureux contraints de demander l'aumône. Ces distributions, l'abbesse les faisait faire non seulement à Yerres, mais ailleurs, par les soins des curés des paroisses, si bien que des sommes considérables, dont il nous est impossible de fixer le |86 chiffre, étaient consacrées tous les ans à l'exercice de la charité.
  • Venaient ensuite les travaux utiles. Le monastère fut presque tout entier rebâti entre les années 1270 et 1280. L'œuvre de Hugues le Loup et des abbesses du XIIe siècle avait cent ans environ d'existence; elle était disparate et ne répondait plus au goût de l'époque. Dans les dernières années du règne de saint Louis on rebâtit un monastère nouveau, dans le style du temps; nombre d'aumônes et de donations, inscrites dans les manuscrits de l'abbaye, mentionnent ces constructions, que nous ne pouvons décrire, car le temps n'en a rien laissé subsister. On peut cependant affirmer qu'elles englobèrent et détruisirent l'ancien prieuré de Saint-Nicolas, à l'exception de la chapelle ou oratoire, qui servait encore de temps en temps aux prêtres desservant le monastère, et dont l'un était toujours nommé l'abbé, bien qu'il n'y eut plus de communauté ecclésiastique.
  • En même temps qu'elles bâtissaient, nos moniales faisaient çà et là d'assez nombreuses acquisitions. L'un de ces achats devait les rendre célèbres et populaires, en transmettant leur nom à la postérité. Jusque dans la seconde moitié du XIIIe siècle, l'abbaye, propriétaire à Paris d'immeubles et de droits divers, principalement sur la rive gauche de la Seine, n'avait cependant point encore de maison spécialement affectée au logement de ses religieuses de passage dans la ville, et obligées d'y résider pour les intérêts de la communauté. Ce fut vers 1280, qu'on acheta sur la rive gauche du fleuve un grand terrain, où fut bâti une sorte d'hôtel, propre à héberger les moniales, que les affaires du couvent appelaient dans la capitale, en les forçant parfois à y faire un séjour assez long. Cette maison, appelée l'hôtel d'Yerres, donna son nom à la rue voisine, nommée rue des Nonnains d'Yerres, et plus tard par corruption, des Nonnandières, pour revenir de nos jours à sa première appellation, Rue des Nonnains d'Hyères.
  • Aux grands et utiles travaux, nos Bénédictines savaient joindre les arts d'agrément. Déjà nous avons constaté la présence d'artistes calligraphes et décorateurs dans les murs de la vieille abbaye. La culture des arts s'était conservée et développée parmi nos religieuses, depuis le commencement du |87 siècle. Nous n'avons plus, il est vrai, leurs missels et leurs bréviaires, pour nous permettre de juger de leur goût, et du développement artistique atteint par elles. Néanmoins il nous reste trois manuscrits exécutés à l'abbaye au temps où nous sommes arrivés: ce sont le Cartulaire, et les Obituaires, où nous avons déjà puisé une multitude de renseignements, et d'où nous tirerons encore force détails pour les années qui vont suivre; c'est pourquoi il nous paraît bon de faire connaître ces manuscrits un peu plus en détail.
  • Le Cartulaire, comme son nom l'indique, est un recueil de titres écrits ou d'actes concernant les intérêts de la communauté. Ces actes ou Chartes, du latin Carta, ont donné leur nom au Cartulaire. Celui d'Yerres est composé de deux cents pièces, toutes antérieures à la fin du XIIIe siècle, à l'exception des deux dernières. On peut affirmer d'une manière à peu près certaine, qu'il fut écrit entre 1270 et 1280. Trois ou quatre pièces y furent ajoutées dans les années suivantes: l'une d'elles fait connaître une convention conclue par l'abbesse Agnès, dont nous allons parler; l'autre porte la date du 14 mars 1326, Vendredi avant les Rameaux; enfin une main du XIVe ou même du XVe siècle y a joint une petite liste des fiefs possédés par l'abbesse à Combs-la-Ville.
  • Le Cartulaire d'Yerres, comme presque tous ceux du moyen âge, avait uniquement pour but de sauvegarder les intérêts matériels du couvent; ou mieux, il offrait un recueil facile à consulter dans les contestations que le monastère avait avec des tiers; en un mot c'était le recueil des titres de propriété, des droits, des privilèges possédés par l'abbaye. Non pas que tous les titres fussent insérés dans ce manuscrit, car on en trouve un grand nombre, même aujourd'hui, dans les archives de l'abbaye, qui n'ont pas trouvé place dans le Cartulaire, sans parler de ceux que le temps a détruits ou dispersés. Il est à croire qu'on y inscrivait seulement ceux pour lesquels on avait, ou on redoutait soit des contestations, soit des revendications dans l'avenir.
  • C'est donc un but utilitaire et nullement historique, comme certains l'ont cru, qui a présidé à l'exécution de ces recueils de pièces. À première vue, on pourrait croire que nul ordre |88 n'a été observé dans l'insertion des chartes, tant le pêle-mêle des documents y est complet, et tant l'ordre chronologique y est méconnu. Toutefois en y regardant d'un peu près, on s'aperçoit que l'auteur s'est efforcé de classer tout d'abord les lettres des rois, puis celles des papes et des évêques, pour les faire suivre des donations, inscrites, tantôt d'après l'ordre chronologique, tantôt d'après l'importance du donateur ou de la chose donnée ; enfin des décisions de justices, soit ecclésiastique, soit séculière, puis des accords et des transactions, conclues ou imposées, le plus souvent par les juridictions ecclésiastiques et prononcées par l'Official.
  • Tel quel, le Cartulaire d'Yerres offre un document très important pour l'histoire de l'abbaye durant les deux premiers siècles de son existence. Ce fut le jugement qu'en porta le docte Mabillon, au commencement du XVIIIe siècle, et il le consigna dans une lettre retrouvée dans les papiers du couvent et placée maintenant en tête de notre manuscrit. Plus important encore s'il est possible, est l'Obituaire, écrit par les religieuses un peu après le Cartulaire.
  • “On appelle Obituaires ou Nécrologes, dit M. Molinier 90), des registres sur lesquels les communautés religieuses du moyen âge, inscrivaient les noms de leurs membres, de leurs confrères ou associés spirituels et de leurs principaux bienfaiteurs.”
  • Il ne faudrait pas identifier l'Obituaire à notre Registre de l'État-civil, car tandis que celui-ci inscrit tous les décès d'une circonscription, celui-là n'inscrivait qu'une certaine catégorie de défunts, ceux pour lesquels la communauté devait acquitter chaque année, certains offices religieux et certaines prières; aussi donnerait-on une idée plus exacte de l'obituaire en l'appelant Livre des fondations ou des recommandations 91). |89
  • Nous voudrions maintenant déterminer, aussi exactement que possible, la date de la composition du Nécrologe d'Yerres. M. Molinier, dans l'ouvrage déjà cité, l'a fixée vers 1230: c'est trop l'avancer. Pour s'en convaincre il suffit de se reporter à l'article nécrologique d'Eustachie d'Andresel, décédée en 1261. Cet acte fut omis dans le corps du recueil, et placé par l'auteur à la tête de son manuscrit, qui n'existait pas encore en 1261. La notice consacrée à Ermengarde, devancière d'Eustachie, morte en 1236, confirme cette observation. Elle débute ainsi: Obiit, peracto cursu hujus vite , migravit Emengardis quondam abbatissa nostra….. À lui seul le mot quondam démontre bien que l'abbesse Ermengarde avait cessé de vivre depuis un certain nombra d'années déjà, lorsque fut rédigée sa notice, laquelle est à n'en pas douter de la première rédaction. En disant première rédaction, nous ne prétendons pas cependant que toutes les notices aient été intégralement rédigées lors de la composition du recueil; loin de là: plusieurs d'entre elles remontaient certainement à une époque antérieure; il est même certain que celles des abbesses du XIIe siècle étaient déjà rédigées, qu'elles entrèrent toutes faites dans le manuscrit, qu'elles servirent de modèle aux autres, et qu'on calqua sur elles les notices des âges subséquents.
  • Pour serrer de plus près l'âge exact d'un manuscrit de cette nature, on a recours d'ordinaire à la différence des écritures, et on distingue la première, la deuxième et la troisième main. Sans nul doute, on écrivit dans l'Obituaire à différentes époques; des additions y furent faites au XIVe, au XVe et même au XVIIIe siècle. Toutefois il faut bien prendre garde de s'appuyer uniquement sur la différence des écritures pour déterminer une date exacte. Outre que des défunts du XIIe et du XIIIe siècle n'ont trouvé place à l'Obituaire qu'au XIVe , au XVe siècle et même plus tard, il est assez difficile de dire quelles notices sont de la première main, quelles, de la deuxième ou de la troisième? La science des graphologues est sans doute respectable, comme toute science, mais elle n'est pas infaillible. Le changement d'encre, d'instrument pour écrire, ou même la simple interruption de quelques semaines dans la transcription |90 d'un manuscrit, sont des causes suffisantes pour donner à l'écriture un aspect différent, et capable de faire attribuer à deux scribes ce qui est l'œuvre d'un seul. Nos religieuses, qui avaient pour elles la tradition de leur maison, considéraient leur Obituaire comme une œuvre du XIVe siècle, et ne voulaient voir la seconde main qu'à partir de 1360; c'était évidemment descendre trop bas. On ne saurait nier, croyons-nous, que l'obit de l'abbesse Agnès dont nous allons nous occuper soit de la seconde main. Comme celle-ci mourut en 1299, il s'ensuit que le recueil existait déjà à cette date et depuis plusieurs années. Par ailleurs, on peut se convaincre qu'il n'était pas encore écrit au temps de l'abbesse Marguerite, morte en 1274. Ce fut donc entre cette dernière date et l'an 1300 qu'il fut composé, c'est-à-dire aux environs de l'année 1280, qui vit la mort de l'abbesse Jeanne, dont fut témoin l'auteur de notre manuscrit, comme cela ressort de la rédaction de son article nécrologique.
  • Après avoir déterminé aussi exactement que possible l'âge de l'Obituaire, il serait intéressant d'en connaître l'auteur. Mais là, les conjectures elles-mêmes nous sont interdites. Le parchemin fut donné à nos religieuses par Guillaume de Saint-Victor, ami de la maison, religieux du grand monastère dont il porte le nom, qui remplissait peut-être, au moins de temps en temps, les fonctions de confesseur à l'abbaye. On peut affirmer également ce que furent nos Bénédictines qui transcrivirent elles-mêmes leur nécrologe, comme en témoignent presque toutes les pages du livre. Parmi elles, il se trouvait un petit nombre d'artistes décorateurs et calligraphes, élèves de cette Odeline déjà citée, morte prieure de la maison, dans un âge fort avancé, après avoir enluminé des bréviaires et des missels pour ses sœurs, et formé des continuatrices au nombre desquelles se trouve sans doute l'auteur de l'Obituaire, sans qu'il nous soit possible de dire son nom, car, à l'imitation de beaucoup de ses contemporains, elle n'a pas signé son œuvre.
  • Tel que nous l'avons, l'Obituaire est une œuvre fort composite. Il comprend: un calendrier; — une table de comput; — un martyrologe; — la liste des fêtes solennisées à l'abbaye; — celle des reliques possédées par le monastère; — la règle |91 de saint Benoit; — deux ou trois actes concernant des associations de prières; — enfin l'Obituaire lui-même, disposé en forme de calendrier, avec un certain nombre de noms de religieuses d'Yerres et d'ailleurs, de religieux, d'évêques, de prêtres, de bienfaiteurs et de bienfaitrices, placés sous chacun des jours de l'année. Il existe en double exemplaire, sans doute parce qu'il devait être lu en même temps, dans deux endroits différents; dans le réfectoire des religieuses et peut-être dans celui des prêtres, chapelains de l'abbaye. Les deux manuscrits sont d'ailleurs de la même époque, et les premières additions paraissent de la même main, quoiqu'on puisse relever entre les deux textes un certain nombre de variantes 92).
  • La liste des noms cités est considérable: 250 environ pour chaque mois, ce qui donne un total de 3000 noms; malheureusement il est impossible d'identifier la plupart d'entre eux, car ils sont jetés pêle-mêle, sans indication de temps ni d'époque. Pris au hasard dans les papiers du monastère, ils ont été insérés sans contrôle et souvent sans indications capables de les faire reconnaître; l'auteur l'avoue lui-même, en inscrivant en marge de ses nomenclatures, cette note significative: Leçon de çà et de là.
  • Si incomplètes à certains points de vue que soient les indications fournies par l'Obituaire, il n'en offre pas moins un intérêt fort considérable pour l'histoire de l'abbaye. Par lui, nous apprenons les charges de la communauté envers les trépassés. Elles sont nombreuses et variées: aux uns on doit une simple mention; aux autres, un souvenir plus particulier; ils sont dits: ad succurrendum; pour d'autres, on récite une prière: Subvenite ou Libera me; pour les abbesses et pour les principaux bienfaiteurs, on doit un service solennel, parfois précédé la veille du chant de l'office des morts, avec trois ou neuf leçons; c'est le grand anniversaire avec vigile simple ou double.
  • Et dans les froides nomenclatures du Nécrologe, que de renseignements précieux! Ici, nous voyons les industries de |92 la charité, s'ingéniant de mille façons, pour venir au secours des servantes de Jésus-Christ, et diminuer leurs privations et leur pauvreté, au risque, il faut le dire, d'amoindrir leur vie pénitente et leurs mérites. Les bienfaiteurs donnent à l'infirmerie, à la trésorerie, au cellier, au réfectoire, au cloître, à l'œuvre du monastère, ou bien à celle de l'église abbatiale. Chaque partie, nous allions dire chaque pierre du couvent, prend une sorte de personnalité pour recevoir les aumônes et les bienfaits, apportés par la piété et l'admiration des fidèles.
  • Là, c'est l'inventaire des joyaux, du mobilier artistique et religieux de la communauté, la liste des calices, des vases sacrés, des reliquaires, des croix, des pierres précieuses, des ornements d'autel, des bréviaires, de l'argenterie, d'une foule d'autres objets précieux, offerts aux moniales, le long des siècles. À la différence du Cartulaire, qui nous entretient surtout des possessions, des terres, des choses extérieures, des amis, des bienfaiteurs placés en dehors du cloître; le Nécrologe, au contraire, nous introduit à l'intérieur de la maison. Avec lui, nous sentons pour ainsi dire, palpiter l'âme de la communauté, nous vivons avec elle, nous respirons le parfum de ses prières et de toutes les vertus claustrales, en honneur chez nos Bénédictines, comme dans tous les cloîtres du XIIIe siècle.
  • Pendant que les artistes calligraphes écrivaient les annales du couvent, la crosse passa aux mains d'Agnès, élevée à la dignité abbatiale, au milieu de l'année 1280. Jusqu'ici les origines de cette abbesse ont été mal éclairées; mais aujourd'hui, il demeure constant qu'elle se nommait Agnès de Brétigny 93), était fille d'une dame nommée Agnès aussi, qui, devenue veuve, se retira à Yerres, y prit le voile et y vécut sous la direction de sa propre fille. La nouvelle titulaire tirait son origine d'une famille riche et puissante, dont plusieurs membres avaient occupé des charges importantes dans l'église, |93 et comptait depuis longtemps au nombre des principaux bienfaiteurs de l'abbaye.
  • À peine eut-elle reçu la bénédiction que, le 23 août 1280, elle réclama du Chapitre de Notre-Dame, une décharge de toute l'argenterie et des ornements dont sa maison avait eu la garde après la mort d'Étienne Tempier, à cause du droit de chevecerie. Le 1er décembre suivant, le nouveau titulaire du siège de Paris, Ranufle d'Homblières lui écrivit, pour la prévenir de l'arrivée à son monastère, d'une jeune parisienne, nommée Flore, fille d'Homand le Matin. C'était un recrue placée là par l'évêque, pour succéder à la comtesse de Limeuil, envoyée par ses prédécesseurs et morte récemment. De tous les droits exercés jadis à l'abbaye par les successeurs d'Étienne de Senlis, celui d'y avoir toujours une religieuse de leur choix, était à peu près le seul qui subsistât. Peu à peu nos moniales avaient échappé à la juridiction épiscopale, en se réclamant de la protection du Pape. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, on voit, en effet, des agents du Souverain Pontife apparaître de temps en temps à Yerres. Ils apportent toujours de petits privilèges, quelques exemptions, force faveurs, payées d'ailleurs à beaux deniers comptants par les moniales, qui de plus font fête à ces clercs italiens. La surveillance du Pontife romain, étant plus éloignée, semblait plus commode et moins étroite à nos Bénédictines; mais nous ne tarderons pas à voir cette substitution tourner à la ruine de la discipline et à la décadence des institutions monastiques.
  • Comme toutes ses devancières, Agnès de Brétigny eut à recueillir une grande quantité de donations et d'aumônes, parmi lesquelles nous remarquons celle de Nicolas d'Auteuil, évêque d'Évreux, qui donna 30 sols tournois pour son anniversaire; et celle de Jean de Chevry, évêque de Carcassonne, dont la sœur, moniale d'Yerres, vivait au milieu de nos Bénédictines. Les donations de cette fin du XIIIe siècle affectent une forme particulière; au lieu de terres, de maisons et de dîmes, d'aumônes en nature, les bienfaiteurs apportent du numéraire. Dans l'Obituaire, le seul mois d'avril offre une liste de soixante donateurs, dont la plupart sont de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe siècle; presque tous |94 font leur offrande en argent monnayé. Ce n'est pas à dire toutefois qu'on ne rencontre plus aucune donation en terre; car ce fut Agnès qui reçut d'un clerc, nommé Pierre Béraud, une vigne, située sur la hauteur en face du couvent, premier fondement de ce qu'on nommera plus tard le fief, puis la ferme des Godeaux. En 1289, Jean Chevalet, prêtre, et sa domestique Éremburge donnent à l'abbesse leur maison de Brie, bientôt amortie en faveur du couvent, par Jeanne d'Alençon et de Blois, dame de Brie, très favorable à la maison d'Yerres.
  • Puis ce sont les transactions, nombreuses à toutes les époques, qui remplissent la vie d'Agnès de Brétigny. Au mois d'octobre 1285, elle traite avec Raimond, abbé de Saint-Germain-des-Prés à Paris, au sujet de la succession de Pierre de Cocigny. Raimond remet à sa sœur d'Yerres un engagement écrit, qui permet à celle-ci et à sa communauté de prélever 42 livres parisis de rente annuelle, sur des biens sis à Valenton et à Villeneuve-Saint-Georges. — En 1288, Agnès vend à Guillaume, curé de Combs-la-Ville, les dîmes et tous les droits possédés par les religieuses, dans sa paroisse, contrat ratifié par Ranulfe d'Homblières. Cinq ans plus tard, en janvier 1293, l'abbesse vend à un certain Lubin, secrétaire du roi Philippe-le-Bel, tout ce que possédait sa maison à Gazeran, pour 40 livres tournois de fermage annuel. Gazeran, on s'en souvient, était un des plus anciens biens du couvent; les moniales l'avaient cultivé de leurs mains; elles possédaient dans la paroisse des rentes et des droits importants, ainsi que dans les paroisses limitrophes de Gallardon et Saint-Prest. Lubin eut les biens sa vie durant, mais à sa mort, ces biens, conservés en bon état, devaient faire retour au monastère; jamais cependant les religieuses ne purent rentrer en paisible jouissance de cet héritage; elles conservèrent néanmoins 20 sols de cens annuel sur le château de Gazeran.
  • Agnès de Brétigny aimait à gérer les affaires temporelles; aussi prit-elle une part beaucoup plus personnelle que ses quatre ou cinq devancières à celles de sa communauté. C'est elle qui conclut un arrangement bizarre et minutieux au sujet du moulin de Mazières, voisin des bâtiments claustraux. |95 Les religieuses avaient laissé tomber en ruines un petit moulin, bâti dans les premières années de l'abbaye sur le Révillon; c'est pourquoi la possession de celui de Mazières leur tenait fort à cœur, et elles avaient tout mis en œuvre pour en devenir les seules propriétaires. Ce but n'était pas encore atteint en 1295. L'abbaye en possédait les trois quarts, mais une dame, nommée Agnès comme l'abbesse, détenait le dernier quart. De là, des discussions fréquentes entre les copropriétaires. Pour les éviter on fit un règlement: l'abbesse désormais participera pour les trois quarts à l'entretien du moulin, elle aura aussi les trois quarts du revenu et même du poisson. Chaque année le jour saint Jean-Baptiste, dame Agnès présentera à l'abbesse trois gardes-moulin, parmi lesquels celle-ci fera un choix: viennent ensuite des détails méticuleux sur les charpentiers, le fer, le bois à employer pour le bon fonctionnement de l'importante usine. Hélas! toute cette règlementation ne put empêcher les procès interminables et les nombreuses tracasseries, fruits inévitables d'une si bizarre propriété.
  • Agnès de Brétigny, nous le savons, était de haut lignage; elle avait apporté au cloître, un peu par l'influence de sa mère peut-être, les idées et les mœurs puisées à son berceau; sous la bure bénédictine ce fut une véritable baronne féodale. Par elle s'introduisit à l'abbaye un droit nouveau: celui de rendre la justice. L'abbesse eut un procureur, des sergents, et Agnès fit construire une geôle, c'est-à-dire une prison. Ces innovations sont-elles dignes de louange ou de blâme?
  • Avoir le droit de rendre la justice, ou simplement avoir la justice, comme on disait au moyen âge, constituait un privilège fort important pour l'aristocratie féodale. À l'origine nos religieuses n'en jouirent en aucune manière; plus tard, une bulle papale les exempta elles et leurs gens, de se rendre à certains tribunaux éloignés de leur monastère; c'était un premier pas; cet embryon se développa surtout par les conseils et avis des agents pontificaux; si bien qu'à la fin du XIIIe siècle, non seulement nos moniales ne se rendaient plus aux citations des baillis et autres officiers de justice, mais elles eurent elles-mêmes un tribunal constitué à la porte de leur |96 monastère. Nous sommes mis au courant de ces faits et gestes par un curieux procès, porté devant le prévôt de Paris, Guillaume de Hangest, au cours de l'année 1295.
  • Le tribunal du monastère est ainsi composé: le procureur se nomme Arnoul, les sergents s'appellent Jehan de la Ville-aux-Asnes, et Robin Beslart. De leur côté, les Courtenay, seigneurs temporels d'Yerres, ont un prévôt nommé Jehan Nivart. Celui-ci, en bon courtisan, s'efforçait de faire du zèle. Un jour les sergents du monastère se promenaient près du moulin, en devisant gaiement, durant les longs loisirs que leur laissait leur charge. Nivart, sans l'ombre d'un prétexte, sans aucune raison, fait arrêter les deux sergents de l'abbaye, tout simplement, dit-il, pour affirmer le droit de justice de son maître. On devine les protestations de l'abbesse. L'affaire fut portée devant le prévôt de Corbeil, qui ne put la mener à bien; puis devant celui de Paris, qui ordonna une expertise; et finalement condamna Nivart à une forte amende envers l'abbesse, et Arnoul, son procureur. L'expertise amena à Yerres une assemblée assez considérable: Jean de Marines, abbé de Saint-Maur-des-Fossés et plusieurs de ses religieux; Colin de Gironville et Renaud de Yreigny, écuyers de l'abbé; Eudes des Gréz; Renaud du Tremblay, tous deux prêtres à l'abbaye. Deux religieuses du monastère se présentèrent pour témoigner en faveur de leur supérieure: Aveline d'Étioles, prieure, et Marie de Saint-Marcel, sous-prieure de la communauté.
  • Avec ses hautes prétentions on devine bien qu'Agnès ne fut pas tout à fait une abbesse semblable à ses devancières; aussi la première abandonne-t-elle le titre d'humble abbesse pour prendre celui de Madame l'Abbesse (Domina Abbatissa). Et qu'on n'aille pas croire que c'est là un détail sans importance; les noms signifient les choses, et il y avait assurément une très grande différence entre la manière d'être, de faire et d'agir de Madame l'Abbesse Agnès de Brétigny, et des humbles abbesses: Hildearde de Senlis et Clémence le Loup. En se plaçant simplement au point de vue religieux et monastique, nous croyons que l'avantage est pour ces dernières. |97
  • L'abbatiat d'Agnès de Brétigny compte toutefois au nombre des plus brillants et des plus prospères. Le couvent est toujours peuplé d'un grand nombre de moniales, recrutées pour la plupart dans les rangs de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Combien de filles de chevaliers et de seigneurs de paroisses vinrent se consacrer à Dieu? nous ne le saurons jamais; mais à l'aide des monuments qui nous restent, nous pouvons affirmer que pendant toute la durée du XIIIe siècle et les débuts du XIVe, leur nombre fut considérable.
  • Le collège des prêtres affectés au service religieux de l'église abbatiale était assez important. Sans être astreint à la règle bénédictine, ils formaient une communauté, et le premier d'entre eux portait encore le titre d'abbé. Ce fut sans doute pour cette association sacerdotale que fut écrit le second exemplaire de l'Obituaire, comme nous l'avons dit. Dès cette époque aussi, des prêtres fatigués du ministère, venaient se retirer à l'abbaye, pour finir leurs jours dans le silence et la piété, à l'ombre d'un cloître. De temps en temps les moniales faisaient appel à leur expérience pour diriger leurs affaires temporelles, les représenter dans les procès ou conclure des transactions.
  • Agnès de Brétigny, supérieure de cette grande et belle communauté, mourut le 22 avril de l'année 1299 ou 1300, après un abbatiat de 19 ans. Elle légua à ses sœurs des terres situées au Plessis-Paté; une partie de leur revenu dut être employée à l'acquisition de deux cierges pour éclairer le réfectoire, et d'une lampe qui devait brûler toute la nuit dans le monastère. Elle donna en outre deux sous et deux œufs à chacune des sœurs; un cierge à chaque prêtre, le jour de son anniversaire, plus une chasuble à l'abbé, une dalmatique, une tunique, un calice et d'autres ornements à la chapelle. C'est la première fois que nous avons une donation aussi détaillée. Elle nous montre jusqu'à l'évidence qu'on n'attendit pas le milieu du XIVe siècle pour faire entrer les œufs dans la nourriture des moniales; nous apprenons aussi par elle, que le pécule et la vie privée s'introduisaient peu à peu sous le cloître.
  • Pinard, dans son Histoire du canton de Longjumeau, dit qu'Agnès de Brétigny ne fut pas enterrée à Yerres, et qu'on |98 transporta sa dépouille mortelle dans l'église des Bénédictins de Longpont: nous avons peine à le croire; c'était trop contraire aux traditions d'Yerres, et de plus l'Obituaire l'eût sans doute dit; car, comme il est facile de s'en rendre compte, la moniale, auteur de son article nécrologique, était présente à sa mort, et elle assista à sa sépulture. La tombe d'Agnès de Brétigny, placée dans l'église de Longpont, était, non pas celle de notre abbesse, mais bien celle de sa mère, appelée Agnès comme sa fille, qui fut à l'exemple de presque tous les membres de sa famille, une insigne bienfaitrice du célèbre prieuré bénédictin, fondé au XIe siècle, par Guy Ier, seigneur de Montlhéry.
  • Est-il nécessaire de relever maintenant les autres erreurs des historiographes touchant l'abbesse Agnès? Fisquet la fait mourir, on ne sait pourquoi, le 24 avril 1286; Mévil lui fait porter la crosse pendant 29 ans; les Bénédictins du Gallia, citant un de leurs auteurs et appuyés sur le Cartulaire de Saint-Denis, voient à Yerres en 1291, une abbesse à laquelle ils donnent le nom de Marguerite II. Ils ne s'aperçoivent pas que le contrat cité n'est pas de 1291, mais bien de 1271, époque où l'abbaye d'Yerres était en effet gouvernée par Marguerite Ire; ils n'ont d'ailleurs pas grande confiance dans leur propre assertion; car plus tard ils donneront le nom de Marguerite III, à une abbesse qu'ils devraient appeler Marguerite IV, si la maison d'Yerres avait été gouvernée par une abbesse du nom de Marguerite en 1291. Inutile d'ajouter que cette erreur a été religieusement copiée par Fisquet aussi bien que par M. Mévil.

Chapitre IX. Élisabeth (1300-1311), Marguerite de Courtenay (1311-1312), Agnès de Brie (1312-1317)

La justice. — Abbatiat d'Élisabeth. — Services funèbres, — Donations d'Aveline Loup et de Pierre de Cossigny. — Marguerite de Courtenay. — Sa famille est enterrée à Yerres. — Maladie épidémique. — Agnès de Brie. — Les procureurs. — Les confesseurs. — Affaiblissement de l'austérité. — Influence des religieux de Cluny. — Le chant des Offices supprimé. — Le Ferculum. — Le pécule et la vie privée. — Omissions de l'Obituaire.

  • Les débuts du XIVe siècle furent remplis par la continuation de la lutte engagée pour les droits de justice. En 1301, Pierre de Courtenay, seigneur d'Yerres 94) fit un accord qui concéda aux religieuses le droit de rendre la justice dans leur enclos, pourvu toutefois que l'amende ne s'élevât pas au-dessus de 60 sous parisis, et qu'il ne s'agît pas de crime, autrement les causes devraient être portées devant la justice seigneuriale; en outre le monastère obtint le droit d'avoir de véritables sergents, car jusque-là ceux qu'il employait étaient considérés comme de simples gardes-chasse. Cet arrangement, d'une application difficile sans doute, fut renouvelé en 1307.
  • Pendant ce temps la succession d'Agnès de Brétigny avait |100 été recueillie par une religieuse nommée Élisabeth dans les catalogues et Ysabelle dans d'autres documents. De son passé, de sa famille, d'elle-même on ne sait rien. Différents catalogues nous ont appris qu'elle fut à la tête de la maison d'Yerres pendant onze ans, et ce chiffre concorde avec la chronologie générale du monastère.
  • Son gouvernement fut des plus impersonnels: aucune pièce signée de son nom ne nous est parvenue, aucun document conservé dans le chartrier de sa maison ne la nomme; elle est toujours désignée sous ce terme: l'abbesse d'Yerres.
  • Ce n'est pas à dire cependant que toute activité eut cessé au monastère durant ces onze ans; loin de là, cette période est riche de petits faits, dignes d'être enregistrés par l'histoire.
  • Au mois d'avril 1305, une imposante cérémonie eut lieu dans l'église abbatiale. Jeanne de Navarre, femme de Philippe-le-Bel mourut. Comme elle laissait une petite somme à la maison d'Yerres, le roi, qui avait alors de grands démêlés dans son royaume, cherchait à reconquérir les bonnes grâces d'une partie du clergé et des maisons religieuses; c'est pourquoi il demanda un service solennel pour la reine défunte dans un grand nombre de monastères, parmi lesquels se trouva notre abbaye. La cérémonie eut lieu, et amena un nombre considérable de clercs et de personnes étrangères dans la chapelle, éclairée de milliers de cierges et décorée avec une pompe extraordinaire.
  • Cette cérémonie funèbre ne fut pas la seule de ce temps-là; elle avait été précédée d'une autre faite pour l'évêque de Paris, Simon Matifas de Bucy, qui avait légué vingt sols tournois de rente annuelle à nos religieuses pour faire chaque année son anniversaire.
  • Dans le même temps, ou peut-être dans les dernières années du XIIIe siècle, l'abbaye eut à recueillir d'assez nombreuses successions. Nous en rapportons deux seulement, tant à cause de la place méritée par les défunts, insignes bienfaiteurs de la maison, qu'à cause des objets laissés par eux au monastère.
  • La première fut celle d'Aveline Loup de Villepinte. On se souvient de ce vieux nom, qui rappelle les plus anciens bienfaiteurs |101 du monastère; saluons-le une dernière fois, car il ne se rencontrera plus dans nos annales. Aveline Loup, après de longues années passées à l'abbaye, mourut aux environs de 1300 dans un âge avancé. Elle laissa à l'église abbatiale trois statues d'argent doré; l'une de sainte Catherine, l'autre de sainte Marguerite et la troisième de sainte Agnès. De plus elle donna 100 livres pour les réparations à faire dans la chapelle; une rente annuelle de huit sols, pour acheter un cierge et le faire brûler tous les ans, le Samedi Saint, devant le tombeau du Christ; une autre rente pour l'achat des œufs destinés à la nourriture des moniales; deux sous parisis à chacun des chapelains pour la célébration de son anniversaire; et enfin, 130 livres de rente pour les différents besoins de la communauté 95).
  • Un des contemporains d'Aveline, Pierre de Cossigny, trésorier de Charles de France, roi de Jérusalem et de Sicile et chanoine d'Aire-en-Artois, fit de son côté une donation d'œuvres d'art à l'abbaye d'Yerres. Il offrit à nos moniales une magnifique statue de la Sainte-Vierge en ivoire sculpté, une croix d'argent avec son pied, un reliquaire de sainte Marie-Madeleine en forme de tombeau, un calice d'argent avec sa patène, des ornements en grand nombre: chasuble, tunique, dalmatique, chappe, aube, garnitures d'autel, deux bannières en soie rouge, une bible et des rentes à prendre à Villeneuve-Saint-Georges avec une infinité d'autres biens (alia bona quam plurima). On voit par là avec quel zèle on s'occupait d'orner l'église abbatiale rebâtie sous les dernières abbesses.
  • Pierre de Cossigny, compatriote et peut-être parent d'Agnès de Brétigny, avait parmi les moniales de l'abbaye, deux nièces ou deux sœurs, l'une nommée Jeanne et l'autre Marguerite de Cossigny.
  • À côté de ces opulentes donations nous pourrions en inscrire |102 d'autres moins importantes, mais il faut se borner et apprendre par ces exemples de quelle sympathie les moniales d'Yerres étaient l'objet à cette époque, où la régularité et la piété demeuraient en honneur dans leur monastère.
  • L'abbatiat d'Élisabeth vit s'apaiser pour un temps les querelles au sujet de la justice, ainsi que d'autres difficultés, notamment celle que nos Bénédictines avaient avec leurs frères de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Là il y eut procès, et l'abbaye parisienne fut contrainte de payer, et de souscrire un contrat de 12 livres parisis de rente, aux sœurs d'Yerres.
  • On doit aussi inscrire à l'actif d'Élisabeth quelques actes d'administration de biens temporels: — en 1302, un bail d'une vigne à Corbeil; — une déclaration de maison à Brie-Comte-Robert; — et la donation de 8 livres de rente faite par Jean de Morvilliers et Jeanne sa femme, à prendre sur des biens situés aussi à Brie.
  • Tels sont les actes concernant l'abbatiat d'Élisabeth. Celle-ci selon toutes les probabilités, ne mourut pas à l'abbaye; car son nom n'a pas été inscrit dans l'Obituaire 96). Nous ne serions pas surpris, qu'après certaines difficultés intérieures, plus faciles à pressentir qu'à définir, d'après la lecture des archives conventuelles, elle n'ait quitté Yerres, pour s'en aller porter la crosse ailleurs, peut-être à Saint-Remi de Senlis. Elle n'eut pas du reste été la seule à sortir de son cloître pour aller gouverner une autre maison; car nous trouvons, vers 1310, une autre religieuse d'Yerres, nommée Agnès, appelée à gouverner l'abbaye de Saint-Paul de Beauvais.
  • Quoi qu'il en soit, l'abbatiat d'Élisabeth à Yerres prit certainement fin dans les derniers jours de l'année 1310, ou bien tout au commencement de l'an 1311; puisque le 1er mars de cette année, Marguerite de Courtenay fut placée à la tête de notre abbaye. La nouvelle titulaire était fille de Jean II de Courtenay, seigneur d'Yerres, et d'Isabelle de Corbeil. Les |103 discussions au sujet de la justice, entre le monastère et les seigneurs, n'avaient point empêché ceux-ci de confier aux moniales la garde et l'éducation de leurs filles. Marguerite avait été élevée à l'abbaye et y avait passé toute sa vie. Elle était à la fleur de l'âge, lorsqu'elle fut appelée à y porter la crosse. Ce n'était qu'une enfant d'à peine vingt ans; et il est probable que son élection fut le résultat des influences de famille, une sorte de transaction entre les religieuses et le seigneur du lieu. Hélas! malgré sa jeunesse, Marguerite ne gouverna pas longtemps; car elle mourut le 7 juin 1312, après un abbatiat de quinze mois, sans qu'il soit resté la moindre trace de son gouvernement. Sa mémoire avait si bien péri dans le souvenir de ses sœurs, que celles-ci, ayant négligé pendant un certain nombre d'années, de tenir leur Obituaire au courant, le nom de Marguerite de Courtenay, fille du seigneur de la paroisse et abbesse de la maison, n'y a pas été inscrit, à moins qu'on ne veuille la reconnaître dans cette Marguerite d'Yerres, inscrite le 15 avril, après avoir légué dix sols, à prendre sur le moulin de Mazières, possédé en partie par les Courtenay. Cet oubli est d'autant plus extraordinaire, que sa tombe se voyait encore dans l'église abbatiale au XVIIIe siècle, témoin irrécusable de sa sépulture au milieu des religieuses dont elle avait été la supérieure. Elle y était d'ailleurs fort à sa place, entre les tombes de sa double famille, religieuse et naturelle; car, comme l'a établi du Bouchet, l'historien des Courtenay, l'abbaye d'Yerres servait de nécropole à la branche de cette illustre famille, qui posséda pendant deux siècles environ, la seigneurie d'Yerres 97). Toutefois |104 il est à noter que du Bouchet lui-même n'a pas rangé l'abbesse Marguerite parmi les Courtenay ensevelis sous les voûtes de l'église abbatiale.
  • À relever maintenant les erreurs des historiographes touchant Marguerite de Courtenay. L'un la fait gouverner l'abbaye à la fin du XIIIe siècle; l'autre lui laisse la crosse en main pendant plus de douze ans; un autre lui attribue un très grand nombre de contrats, tous passés par ses devancières.
  • Marguerite de Courtenay avait été emportée par une maladie épidémique, qui fit un grand nombre de victimes à l'abbaye et dans les environs. Agnès de Brie, sa remplaçante, fut également moissonnée par ce même fléau. En l'absence de documents péremptoires, nous n'oserions affirmer qu'elle appartenait à cette famille Briard, l'une des anciennes et des plus généreuses bienfaitrices du monastère. Il est certain toutefois qu'elle était de haute naissance et tirait son origine de Brie-Comte-Robert. Jeune, active, entreprenante, elle prit pendant son court abbatiat des mesures importantes.
  • Le 9 février 1313, elle nomme des procureurs séculiers pour gérer les affaires temporelles de la communauté, et notamment pour toucher la dîme du pain, accordée par le roi dès l'origine de l'abbaye.
  • Elle prend également une décision plus importante encore relativement au confesseur de sa maison. Depuis la disparition du prieuré de Saint-Nicolas, ou mieux depuis sa transformation, le service religieux de la maison était fait par des prêtres séculiers, désignés par l'autorité épiscopale, ou plutôt attirés par leur goût et par l'amour de la retraite à l'ombre du cloître abbatial. Ces prêtres toutefois n'accomplissaient pas, ou que bien rarement, l'une des fonctions les plus délicates du ministère ecclésiastique: celui de confesseurs de la communauté. Pour cette charge, on avait recours, tantôt à l'abbaye de Saint-Victor de |105 Paris, et tantôt à celle de Saint-Maur-les-Fossés, qui députaient un de leurs moines, pour entendre les confessions de nos moniales, celui-ci demeurait temporairement à Yerres.
  • La question des confesseurs de religieuses avait attiré l'attention du chef de l'Église dès le moyen âge. On trouve, dans les archives de l'abbaye, une bulle pontificale, trop mutilée pour en permettre l'analyse et en extraire le règlement. Néanmoins son existence prouve l'importance que Rome attachait à cette fonction. Ce fut peut-être la lecture de ce document, dont l'écriture se rapporte au commencement du XIVe siècle, qui détermina Agnès de Brie à choisir, pour confesseur de sa maison, un religieux de Cluny.
  • L'arrivée de ce moine bénédictin amena une assez notable transformation dans la vie intérieure de nos moniales. Celles-ci, avons-nous dit, étaient alors visitées par un terrible fléau, une épidémie, qui fit parmi elles de nombreuses victimes. Nos moniales, apeurées par la maladie, décimées par la mort, et occupées à soigner leurs agonisantes, commencèrent à sentir vivement le poids écrasant de leurs longs offices, et de l'austérité de leur vie.
  • À Cluny, paraît-il, la règle bénédictine permettait aux religieux de manger des poulets, des canards, de la volaille, sans enfreindre l'abstinence commandée par la législation monastique. En venant à Yerres, les Clunisiens y apportèrent ces doctrines, et nos moniales, malgré leurs traditions d'austérité, poussées par les souffrances, conseillées par leur confesseur et aussi peut-être par leur médecin, adoptèrent les pratiques de Cluny. De cette époque et non pas du milieu du XVe siècle, comme on l'a dit, date l'introduction de la viande dans la nourriture de nos Bénédictines.
  • Durant les quarante premières années du XIVe siècle, les religieuses d'Yerres n'écrivirent pas un mot dans leur Obituaire; elles tentèrent bien plus tard de réparer ces lacunes, néanmoins il est impossible de savoir à combien s'éleva le chiffre des morts de cette période, mais il est certain que le nombre de nos moniales, autrefois si considérable, s'abaissa bientôt à cinquante et même au-dessous. |106
  • Plusieurs des valides étaient occupées à soigner leurs sœurs malades et infirmes, et cependant il fallait satisfaire à l'obligation de l'office, devenu en peu d'années, très long et fort compliqué. Outre les Heures canoniales, l'église d'Yerres, transformée en une sorte de nécropole, devait célébrer à peu près chacun des jours de l'année, l'anniversaire de quelques-unes de ses religieuses ou de l'un de ses bienfaiteurs défunts. Ces anniversaires avaient comporté jusque-là le chant de l'Office des morts. Avec des religieuses fatiguées et réduites à un petit nombre, il ne fut bientôt plus possible de satisfaire à cette obligation; c'est pourquoi on se contenta de réciter ces offices au lieu de les chanter, et on les réduisit le plus possible.
  • Mais ce que l'on conserva avec le plus grand soin ce furent les repas, d'anniversaires. L'usage de ces repas plus copieux, à l'occasion d'un service mortuaire, remontait très loin dans les monastères, au moins jusqu'au Xe siècle et sans doute au-delà; dès lors il était composé de quatre plats ou mets différents. Ce nombre ne diminua pas avec le temps. Nous avons -déjà mentionné la fondation à Yerres d'un assez grand nombre de ces anniversaires, et des sommes léguées pour le repas qui suivait l'office. Dans le langage du moyen âge, ce repas était souvent appelé: Ferculum; il donna lieu à des abus, et c'est par lui que l'abondance, la vie facile, et le relâchement s'introduisirent dans certains monastères. À Yerres, il n'avait pas encore produit tous ces abus au commencement du XIVe siècle, mais déjà il était une cause d'affaiblissement de la discipline, car à la suite des longs repas, il fallait du repos et des récréations prolongées, et il en fut ainsi dans notre monastère au temps d'Agnès de Brie.
  • Celle-ci laissa également se développer parmi ses sœurs une autre pratique fort dangereuse. On a déjà pu remarquer que le moyen âge n'entendait pas tout à fait, comme les temps modernes, la vie commune, et surtout la pratique du vœu de pauvreté. Les religieuses d'alors, toutes ou presque toutes, sorties de familles aisées, gardaient la propriété et même l'usage de leur fortune sous le contrôle de leur supérieure. Il ne paraît pas que cette manière d'agir ait donné lieu à des abus; mais tout en demeurant maîtresses de leurs biens, les moniales |107 n'avaient pas le pécule, cette plaie destructive de la vie commune. Le pécule est une somme plus ou moins considérable d'argent possédée par le membre de la communauté et dont il a la libre disposition. Or, Agnès de Brie, si elle ne créa pas cette situation à Yerres, la laissa en tout cas se développer librement, et favorisa au moins par sa tolérance ce qu'on nomme la vie privée. Elle-même vécut moins familièrement avec ses sœurs, elle se sépara d'elles davantage et se constitua des appartements séparés, une sorte d'abbatiat, d'où elle commandait en maîtresse, au lieu de rester comme autrefois ses devancières, la première entre des égales. Dans quelques-uns de ses actes cependant elle reprit les anciennes traditions, et se fit appeler l'humble abbesse au lieu de Madame l'abbesse.
  • Elle recueillit la succession de Guillaume Le Nain et d'Aveline, sa femme, qui léguèrent à l'abbaye des biens assez importants sis à Varennes et ailleurs, à charge de prières 98). Alain de Lamballe, évêque de Saint-Brieuc, lui laissa également quatre livres parisis pour la pitance de ses sœurs. Ces donations et d'autres moins importantes vinrent alimenter la caisse du couvent entre les années 1312 et 1317, époque de la mort d'Agnès de Brie, qui ne porta la crosse que durant cinq ou six ans, pendant lesquels de nombreux changements furent accomplis, sinon de sa propre initiative, du moins avec son consentement tacite.
  • Comme ses deux devancières, Agnès de Brie ne fut pas inscrite à l'Obituaire, ce qui a fait penser à certains historiographes, que ces trois premières abbesses du XIVe siècle, ne moururent pas à Yerres; car, disent-ils, non sans quelque apparence de raison, il eut été à la fois odieux, déraisonnable et tout à fait en dehors des usages monastiques, de priver ces abbesses des prières et suffrages de leurs sœurs, aux jours |108 anniversaires de leur décès. Malgré cela, nous croyons que ces trois prélatures se terminèrent à Yerres par la mort, et bien que nous soyons privés de documents authentiques relatant leur décès, pour Marguerite de Courtenay, l'autorité de du Bouchet, historien de sa famille, et son épitaphe ne nous paraissent pas discutables; pour toutes trois, l'omission de leur nom dans le Nécrologe de la maison, nous semble due à un simple oubli, ce livre étant demeuré fermé à toute insertion nouvelle, durant près de 40 ans.

Chapitre X. Clémence des Grez (1318-1332), Élisabeth de Versailles (1332-1338), Agnès de Courciaux (1338-1349)

Origine de Clémence des Grez. — Le nom d'Yerres donné à plusieurs familles. — Obsèques de Jeanne de Courpalay. — Le recrutement. — Suppression de la viande dans l'ordinaire des moniales. — Les procès. — Les des Grez. — Baux à longs termes. — Court abbatiat d'Isabelle de Versailles. — Introduction des pensionnaires à l'abbaye. — Mort de Pierre de Courtenay. — Agnès de Courciaux. — Jean de Herces. — Son testament. — L'Hôtel-Dieu de Corbeil. — La justice.

  • Dès le mois d'avril 1318, Clémence des Grez avait pris la place d'Agnès de Brie au siège abbatial. C'était une femme de grande naissance que cette nouvelle titulaire. Elle était fille de Jean de Corbeil, seigneur des Grez en Brie; sœur de Jean des Grez, maréchal de France, de Pierre des Grez, évêque d'Auxerre, et la propre tante de la défunte abbesse, Marguerite de Courtenay, car la mère de celle-ci, Isabelle de Corbeil, était la sœur de Clémence. En prenant la crosse d'Yerres, cette petite fille des Corbeil devait la porter aisément, car depuis deux cents ans, l'abbaye n'avait pas cessé un seul instant de vivre des bienfaits et de l'appui de sa famille; pas un seul jour non plus, depuis sa fondation, le cloître n'avait cessé d'abriter un ou plusieurs membres de cette grande lignée, sous des noms divers: Corbeil, du Donjon, Noémi ou Noyen, Courtenay, des Grez, Yerres. C'est même ce dernier nom que l'abbesse portait parmi ses religieuses, |110 car celles-ci l'appelaient: Clémence d'Yerres. D'après les titres officiels, Guillaume de Courtenay était bien devenu, au milieu du XIIIe siècle, seul possesseur de la seigneurie, après la mort de ses cousins, les du Donjon; mais cela n'empêchait pas qu'il existât d'autres fiefs indépendants dans la paroisse, et leurs possesseurs prenaient aussi dans les actes le titre de seigneurs d'Yerres, c'est-à-dire à Yerres: tel était le cas de Jean des Grez, père de Clémence, et de quelques autres.
  • Tout au début de sa prélature, Clémence recueillit la succession de Guillemete de Omabus, qui portait aussi le nom de Guillemette d'Yerres, parce que Jean de Omabus, son père, greffier à Sens, était possesseur d'un fief, dans le voisinage du monastère et sur la paroisse d'Yerres. La défunte léguait au couvent 45 sols de rente pour la pitance, et une petite somme pour son anniversaire.
  • L'année suivante, Clémence reçut, en grande pompe, à l'abbaye, la dépouille mortelle de la véritable dame d'Yerres, Jeanne de Courpalay, femme de Pierre de Courtenay, dont la sépulture eut lieu dans l'église abbatiale, en présence de toute la communauté, le 28 août 1319.
  • Clémence s'occupa activement du recrutement de sa maison; elle eut la consolation d'y voir entrer beaucoup de jeunes moniales, dont la présence, la jeunesse et l'entrain réjouirent le cloître, dépeuplé par les maladies et rendu trop solitaire par les infirmités et la vieillesse de la plupart des religieuses recrutées au siècle précédent. Elle essaya de remonter le courant et bannit, pour un temps, l'usage des viandes blanches ou de la volaille, dans la nourriture de ses sœurs. A cette occasion, elle fit creuser la fosse à poisson ou l'étang, établi depuis un certain nombre d'années dans l'enclos de la communauté. En dépit de cette mesure, la pièce d'eau et la rivière voisine ne suffisaient pas à fournir aux besoins de la maison, et l'économe devait chaque année faire des achats assez considérables; aussi les donations de cette époque font-elles presque toutes mention d'une certaine quantité de deniers, consacrés à l'achat du poisson pour la nourriture des religieuses. |111
  • Les difficultés se multipliaient autour de la supérieure; elle en eut pour faire rentrer certaines rentes qui arrivaient trop lentement ou n'arrivaient plus du tout à sa maison. Le prévôt de Paris dut notamment contraindre certains débiteurs, de Mitry à payer 15 sols de rente à l'abbaye, donnés plus d'un siècle auparavant, par Amicie d'Yerres, femme de Jean Briard. — De son côté, le chapitre de Notre-Dame de Paris suscita plusieurs obstacles à l'exercice des droits du couvent. À la suite du décès d'Hugues de Besançon, évêque de Paris (1326-1332), les droits de chevecerie furent de nouveau contestés, mais les chanoines, en ayant appelé aux juges, furent impitoyablement condamnés. Quelques années auparavant, ils avaient déjà molesté nos Bénédictines en les empêchant de toucher des rentes dues à l'abbaye du côté de Bagneux; toutefois, après réflexion, ces bons chanoines avaient, de leur plein gré, fait droit aux justes réclamations de l'abbesse. L'acte qui consacre cet arrangement est le dernier du Cartulaire, il porte la date de 1326, le vendredi avant les Rameaux. — Philippe d'Évreux, roi de Navarre, fit un procès à l'abbaye, au sujet du péage de Brunoy. Le désaccord fut porté devant le bailli d'Étampes, en 1330, et le Navarrais fut condamné.
  • En 1325, l'abbesse Clémence eut la douleur de voir mourir n frère, l'évêque d'Auxerre. Ce prélat avait été une providence pour elle et sa maison; il lui avait fait cadeau d'une crosse d'argent massif avec le bâton de même métal. — Par suite d'intempéries, le clocher du monastère étant venu à péricliter et à menacer ruine, Pierre des Grez avait prêté 450 livres à l'abbesse, sa sœur, et comme celle-ci lui en avait fait une reconnaissance, ce billet faillit attirer un procès à nos moniales de la part de Pierre de la Motte, trésorier d'Auxerre et exécuteur testamentaire du prélat décédé. Heureusement Clémence avait eu la précaution de prendre un reçu de son frère avant sa mort, soit qu'elle lui eut rendu la somme, soit que celui-ci lui en ait fait la remise.
  • On trouve à l'actif de cette abbesse un certain nombre de baux, passés par ses soins, avec les tenanciers de l'abbaye; on y remarque la tendance de les faire à longs termes, afin d'avoir |112 à les renouveler moins souvent. Cette pratique qui se généralisera bientôt, au grand détriment des vrais intérêts du monastère, n'avait pas encore produit ses déplorables effets, elle fut employée de très bonne foi par Clémence des Grez.
  • Celle-ci, après avoir gouverné la communauté pendant quatorze ans, s'éteignit au mois de juin 1332, laissant à ses religieuses le souvenir d'une bonne et sainte mémoire (bonæ et sanctæ recordationis mater nostra). Nos moniales n'avaient point encore repris l'habitude d'écrire dans l'Obituaire, mais elles consacrèrent à leur abbesse, un peu plus tard, un article nécrologique, dont la lecture prouve que le souvenir de Clémence n'avait point péri dans leur mémoire. Il débute par la formule traditionnelle: Peracto cursu hujus vitæ, migravit Clemencia de Edera, quondam abbatissa nostra. Les sœurs mirent à la suite de cet article le nom de Pierre des Grez, réunissant, dans leur livre, le frère et la sœur, comme ils étaient réunis par la mort dans le sein de Dieu 99).
  • La piété, le zèle et la sage administration de Clémence des Grez avaient rendu facile la tâche d'Isabelle de Versailles qui lui succéda. Elle était probablement fille de Jean IV, seigneur de Versailles; mais par sa parenté elle tenait à la province de Brie, où elle avait des biens, dont elle légua une partie à son couvent. Une parente, peut-être une sœur, nommée Pétronille de Versailles et un petit groupe d'autres moniales, ses compatriotes, furent aussi ses contemporaines à l'abbaye, où elles occupèrent divers emplois. Comme beaucoup de personnages du XIVe siècle, notre abbesse avait un surnom, ou un sobriquet; on l'appelait Isabelle la Vatelle, ou la Batelle, dénomination dont nous n'avons découvert ni le sens ni l'origine.
  • Avec le nombre des religieuses valides, les exercices de la vie monastique et l'accomplissement des charges avaient repris leur régularité. Active et entreprenante, Isabelle acheta pour sa communauté, un moulin dans la paroisse de Gazeran. |113 Jean de Seine qui le possédait et l'exploitait s'était laissé saisir par suite d'incurie et de paresse.
  • À l'exemple de ses devancières, et selon les exigences de sa charge, elle passa beaucoup de contrats, dont il ne reste qu'un petit nombre, et qui n'apprennent pas grand chose sur la vie intérieure de la maison. Par eux, nous savons néanmoins qu'un élément nouveau était entré dans la maison.
  • Jusqu'à cette époque l'abbaye n'avait renfermé que des religieuses et quelques serviteurs, indispensables aux choses extérieures et à certains gros travaux, trop pénibles pour des bras de femme. Sous la prélature d'Isabelle on rencontre pour la première fois des familiers, à moitié religieux, à moitié séculiers, sorte de grands pensionnaires, qui profitent des avantages de la vie commune, sans en porter les charges, mais aussi sans en exercer les droits. Ils avaient part à certaines distributions et voyaient leurs noms écrits dans les contrats, comme partie reconnue et intégrante du monastère.
  • Isabelle reçut en 1333, la dépouille mortelle de Pierre de Courtenay d'Yerres, et l'ensevelit sous les voûtes de l'église abbatiale, auprès de Jeanne de Courpalay, sa femme. L'abbesse rejoignit bientôt dans le tombeau le seigneur d'Yerres, car elle mourut en juillet 1338, après un court abbatiat de six ans. Son article nécrologique ne fut pas inscrit immédiatement, cependant la religieuse qui le composa était contemporaine d'Isabelle, comme il appert de la précision des détails inscrits dans le souvenir mortuaire.
  • Pour lui succéder, les moniales firent choix d'une sœur qui vivait dans la familiarité de la précédente abbesse, et était fort probablement de sa parenté. Elle se nommait Agnès de Courciaux et les catalogues l'appellent simplement Agnès III. De sa prélature, il nous reste d'assez nombreux actes très intéressants à étudier et à faire connaître.
  • Le plus curieux de tous est le testament de Jean de Herces, nommé Jean de Haitus par l'Obituaire. Originaire du hameau dont il prit le nom, situé dans la paroisse de Périgny 100), |114
  • Jean de Herces était clerc ou plutôt basochien, car il fut marié deux fois; une première fois à une femme nommée Marguerite, et une seconde fois à une femme appelée Émeline, qui toutes deux lui apportèrent du bien et contribuèrent à sa fortune. Ce clerc, comme il s'intitule constamment, était né vers 1280, de parents peu fortunés, et probablement tenanciers de l'abbaye, qui possédait à Herces un petit domaine, dès avant le milieu du XIIIe siècle, par suite d'une libéralité d'Herbert de Brie, faite en 1237. Jean fut instruit aux frais du monastère et lui en demeura reconnaissant. Comme il ne laissait pas d'héritiers directs, il testa en faveur de l'abbaye, par acte du mois de décembre 1341, et sa succession s'ouvrit en juillet 1343.
  • Jean de Herces donnait aux religieuses quarante-cinq arpents de terres, sises en divers lieux et amorties en 1338 sur plusieurs particuliers, tous soigneusement nommés dans l'acte 101). Le testament dit expressément que ces biens légués sont plutôt une rétribution qu'une pure libéralité. Puis le testateur se répand en louanges admirables et précieuses au point de vue historique, sur le passé du monastère. Il l'a connu, dit-il, depuis cinquante ans, il y a vu fleurir la discipline la plus exacte, et l'observance la plus parfaite, gardées par des moniales d'une vie pure et innocente; en un mot cette maison est à ses yeux le paradis de toutes les vertus. “Summe et sancte religionis exactam observantiam, vite purioris innocentiam et alia preclara virtutum insignia, quibus dicte religiose pollere noscuntur.”
  • Malgré cet éloge, Jean de Herces avait-il le pressentiment que cette brillante situation était menacée? Peut-être, car il anathématise à l'avance l'abbesse, coupable de laisser le relâchement s'introduire à Yerres, la menace de la colère de Dieu et appelle sur sa tête les vengeances du ciel, puis lui retire la jouissance de tous ses biens.
  • Il imposait également différentes charges à la maison. |115 Après son décès, l'abbesse devait chaque semaine, faire célébrer cinq messes, par un prêtre idoine et suffisant; elle devait payer à celui-ci chaque année, six livres, afin qu'il vaquât plus attentivement au service divin; en outre il sera logé, nourri et vêtu aux frais de la maison, en un mot on le traitera comme l'un des prêtres et des frères de l'église conventuelle. C'était la fondation d'un nouveau chapelain imposée à nos moniales. Que si d'aventure ce chapelain devenait indigne et scandaleux, de sa propre autorité, l'abbesse devait l'évincer aussitôt, puis le remplacer par un autre.
  • Les simples moniales ne furent pas oubliées par leur admirateur Jean de Herces. Il leur légua une assez forte somme en numéraire, à prendre sur sa riche succession 102), et fonda |116 pour elles un repas somptueux, chaque année, au jour des Brandons, avec injonction de leur acheter du poisson “le meilleur et le plus convenable qu'on pourrait se procurer”, celui de la pièce d'eau ou de l'Yerres étant jugé insuffisant.
  • Cet acte de munificence ne fut pas le seul recueilli par l'abbesse Agnès de Courciaux. Le 20 mai 1342, sous la signature de Pierre Amet, curé de Brie et tabellion de l'endroit, Nicolas Richier et Aalips, sa femme donnent aux moniales un arpent de pré, à condition d'aller tous les deux vivre et d'être reçus en familiers à l'abbaye. — En 1348, Étienne Doulcet, curé de Villiers en Beauce 103), donne 4 livres de cens pour acheter du poisson, qu'on devra servir aux moniales, le jour de l'Annonciation. Il demande avec instance à participer aux prières des moniales ainsi que son neveu, Guillaume Boulet, jeune clerc qui se prépare à recevoir les Ordres. Tous deux sont des obligés de nos religieuses.
  • Ces marques de sympathie n'allaient point sans les épreuves et les tracas ordinaires de la vie. Parmi les oppositions et les difficultés suscitées à nos Bénédictines, on est sûr de rencontrer, durant tout le moyen âge, la guerre que leur fit avec persévérance l'Hôtel-Dieu de Corbeil. Un grand procès fut jugé au mois de février 1341. Il eut pour origine le passage par la ville de Corbeil des charrettes de bois, destinées à l'approvisionnement de l'abbaye. Comme au siècle précédent, les gens de l'Hôtel-Dieu voulaient prélever une certaine quantité de ce bois pour leurs malades, disaient-ils: en vertu de privilèges réguliers et authentiques, les moniales s'y opposèrent. Les gens de Corbeil employèrent la force, et prélevèrent par la violence cette dîme du bois; les charretiers et autres serviteurs du monastère furent maltraités, battus, emprisonnés et surtout allégés d'une notable partie de leur chargement. De là, appel à la justice.
  • Pierre de Châtres, prévôt de Corbeil, fut appelé à dirimer cette querelle 104). Par un jugement fortement motivé, il |117 débouta de leurs prétentions ses voisins et administrés, les maîtres de l'Hôtel-Dieu, et rendit aux sœurs d'Yerres pleine et entière justice, contraignant leurs adversaires à payer une forte indemnité.
  • Nous ne sommes pas surpris de voir Agnès de Courciaux en appeler à la justice pour vider ses différends, car elle-même fut une grande justicière. Nous avons déjà vu l'établissement à l'abbaye de ce qu'on nommait la justice. Durant la prélature d'Agnès, cette institution prit un assez grand développement; une chambre de justice y fut créée; on nomma un prévôt, puis deux ou trois sergents qui remplissaient aussi les fonctions d'huissiers. Enfin, comme il n'y a pas de justice sérieuse sans le pouvoir de coercition, la geôle fut agrandie et des cachots y furent établis; ceux-ci ne furent point faits uniquement pour servir d'épouvantail aux malfaiteurs du voisinage; on y renferma bel et bien des manants coupables de quelques peccadilles dans les bois de Madame l'abbesse.
  • Ces officiers de justice, ces cachots, dans un monastère de religieuses étaient, il faut bien en convenir, tout à fait dans les goûts et les habitudes de nos ancêtres du XIVe siècle. Ceux-ci ne comprenaient pas une importante maison, la possession d'une grande étendue de terre, sans y voir attaché le droit de rendre la justice, avec toutes ses conséquences, au nombre desquelles se trouve l'obligation de punir et de châtier le coupable.
  • Comme la plupart des abbesses, Agnès de Courciaux fit çà et là des acquisitions; mais ce fut plutôt pour obéir à la sollicitation des vendeurs, que dans le but d'agrandir ses domaines déjà fort vastes. Nous en avons la preuve dans le contrat passé le 3 mars 1346 entre Guillaume Gatelier, Aalis sa femme et l'abbaye, pour l'acquisition d'un coin de terre, sis au terroir de Sarcé (?). Le monastère traita par l'entremise de Catherine la Perrière, simple nonnain d'Yerres, mais propriétaire des terres voisines de celles vendues par Gatelier.
  • L'abbatiat d'Agnès dura dix ans ; il fut heureux et prospère. |118 La mort cependant frappa des coups terribles sur nos moniales, et la maison perdit beaucoup de ses membres. De ce nombre furent Isabelle et Jeanne de Chilly, pour lesquelles Guiot de Chilly, leur frère, fonda un service anniversaire par acte du 26 octobre 1349.
  • À cette date, Agnès de Courciaux ne vivait plus. Elle était morte quelques mois auparavant, en février 1349. Grande dame et riche propriétaire, elle laissa en mourant 200 livres parisis d'argent à son monastère, ainsi que quelques prairies situées dans la paroisse du Chesnay105). Ce nom semble indiquer que, comme Isabelle, Agnès était d'origine versaillaise, ou du moins y possédait des biens de famille. L'argent de sa libéralité devait servir à acheter des œufs pour les religieuses, qui en faisaient alors une grande consommation. Les prêtres chapelains ne furent pas oubliés non plus par la défunte, puisqu'ils reçurent chaque année un petit revenu fixe au jour de son anniversaire.
  • Mais Agnès laissa à tous mieux que la fortune et les biens d'ici-bas, elle laissa le souvenir d'une sainte vie, remplie par la pratique de toutes les vertus monastiques et couronnée par une sainte mort, comme en témoigne son article nécrologique, écrit aussitôt dans l'Obituaire, rouvert et continué par ses soins. |119

Chapitre XI. Agnès de Chartrettes (1349-1360), Petronille de Mackau (1360-1394)

La guerre de Cent-Ans. — Difficultés administratives. — Le pain du roi. — Testament de Marguerite de Courtenay. — La famille de Mackau. — Pétronille prête serment à l'évêque de Paris. — Extension du droit de dîme. — Legs de Jeanne d'Evreux. — Dons divers. — Importance de la maison de Paris. — Destruction de l'abstinence. — Nouveaux seigneurs d'Yerres. — La cure de Villeroy.

  • Au mois de novembre 1349, Agnès de Chartrettes fut mise en possession de l'abbaye d'Yerres. Elle tirait son origine d'une famille connue et voisine du monastère 106). Un de ses proches, son père peut-être, Guichard de Chartrettes était au nombre des bienfaiteurs de la maison, et avait fondé une messe dans la chapelle.
  • À l'heure où la nouvelle titulaire prenait possession de la crosse, les temps se faisaient difficiles. Les Anglais avaient pénétré jusqu'au cœur de la France, la perte de la bataille de Crécy et la prise de Calais avaient amené le désarroi dans le royaume, une cruelle maladie, la peste, épouvantait les campagnes; les souffrances et la misère suscitaient les mauvaises passions, et des malfaiteurs se répandaient partout dans les campagnes, les routes étaient peu sûres et les communications devenaient chaque jour plus difficiles entre l'abbaye et plusieurs de ses possessions éloignées. C'est cette situation qui |120 poussa nos religieuses à conclure des baux à longs termes ou emphytéotiques pour la plupart de leurs biens. Ce système d'amodiation était détestable, surtout pour le propriétaire; car il détruisait son autorité sur la terre, le portait à négliger sa surveillance, et enfin faisait du tenancier ou fermier un vrai propriétaire, qui ne pouvait être expulsé que par la force, alors même qu'il se refusait à payer son fermage. Heureusement pour nos Bénédictines, le plus grand nombre de ces contrats désastreux furent annulés de fait par des circonstances locales ou temporaires, dont le détail nous échappe; mais il n'est pas rare de voir de ces longs baux à trois vies, comme on disait alors, rompus au bout de deux ou trois ans, sans raison apparente, et suffisante cependant pour donner lieu à un nouveau contrat.
  • La terre de Drancy, près Paris, la plus vieille peut-être des possessions de l'abbaye, fut donnée, en 1349, par bail emphytéotique à Amaury de Greil et à Gilette, sa femme, pour la modique somme de 17 livres parisis.
  • Parmi les difficultés administratives on doit compter les querelles avec des voisins mal intentionnés et sans bonne foi. Jean de Pomponne, descendant des anciens bienfaiteurs de l'abbaye, est propriétaire d'une partie des bois de Sénart avec Adam de Gaittonnel, ou peut-être Gaillonnel, seigneur de Brunoy. Tous deux s'entendent pour troubler l'abbaye dans son droit séculaire de couper du bois dans la forêt.
  • Agnès de Chartrettes est contrainte d'en appeler à la justice. Jean le Cauchois, prévôt de Corbeil, rend en 1334 une sentence motivée qui maintient l'abbesse en possession de son droit, et impose silence à ses adversaires, malgré les efforts et l'habile plaidoirie de Jean de Prégny, leur procureur. De leur côté, les Chartreux de Vauvert, près Paris, sont devenus propriétaires à Yerres. Ils y possèdent un moulin en communauté avec nos religieuses, et au cours de l'année 1332, des difficultés, pour un règlement de compte, faillirent mettre aux prises les deux maisons religieuses: mais nos moniales payèrent le 7 juillet la somme de 34 livres, ce qui mit fin à la discussion.
  • Les gens du roi vinrent à leur tour tracasser l'abbesse |121 pour la levée d'un impôt, édicté par des lois récentes, à la suite des malheurs du pays, et assis sur les biens d'église. L'abbaye, naguère si riche et si prospère, a vu ses ressources diminuer tout à coup; elle est maintenant dans la gêne et elle ne peut payer. D'ailleurs l'État n'est-il pas lui-même débiteur du monastère? La dîme du pain du roi ne se prélève plus en nature; depuis bien longtemps elle a été convertie en deniers. Or, les caisses publiques étant vides, il y a plusieurs années d'arriéré, et de ce chef on doit au monastère la grosse somme de 250 livres 4 sols et 8 deniers. N'est-il pas juste et logique que l'État s'acquitte d'abord? Mais les percepteurs du XIVe siècle, comme ceux de tous les temps, ne veulent rien entendre, ils pressent et menacent l'abbaye. Agnès de Chartrettes n'était pas sans crédit à la cour. Par des influences de famille, elle fit arriver jusqu'aux oreilles du roi ses réclamations et ses doléances: aussi Jean le Bon, par une ordonnance du 10 novembre 1352, accueillit le bien-fondé des raisons apportées par l'abbesse, et statua que la Chambre des Comptes devait acquitter sa dette, sous déduction de la somme due au fisc par la communauté d'Yerres.
  • Tout l'abbatiat d'Agnès de Chartrettes s'écoula en difficultés et en discussions. À peine aperçoit-on çà et là une éclaircie dans ce ciel sombre et dans ces temps malheureux. L'abbesse avait cependant autour d'elle des religieuses bienfaisantes, disposées à la consoler des tristesses du dehors et des soucis de la prélature. De ce nombre fut Pétronille de Villiers, qui mourut jeune à l'abbaye et s'efforça d'embellir la vie de ses sœurs en religion. Elle leur légua deux petits coffrets (bastulos) et six gobelets d'argent avec nombre d'autres biens.
  • Du temps de l'abbesse Agnès, le 10 octobre 1355, Marguerite de Courtenay, femme de Pierre Sohier de Voisins, testa magnifiquement en faveur de l'abbaye. Elle fit appeler le curé de Boissy-Saint-Léger, et en présence de ses deux filles, Marguerite et Lætitia, de Jeanne la Gamarde, de Marguerite la Valaine, et de plusieurs autres témoins, elle lui dicta ses dernières volontés. Entre autres biens, elle légua à |122 l'abbaye six septiers de blé, à prendre chaque année sur plusieurs de ses terres, à charge de dire des messes pour le repos de son âme, de celle de ses parents et de ses amis. Elle voulut aussi que son corps reposât près de ceux de ses proches, dans l'église abbatiale. Ce fut la dernière des Courtenay d'Yerres, enterrée à l'abbaye.
  • Mais lorsque cette succession s'ouvrit au mois d'octobre 1360, Agnès de Chartrettes n'était plus de ce monde; elle mourut le mercredi 21 juillet 1360, après avoir régi la communauté pendant dix ans et neuf mois. Comme beaucoup d'autres abbesses, elle laissa une partie de sa fortune à son monastère: 50 livres parisis et 20 sols, pour célébrer chaque année son anniversaire 107). Ce secours ne fut pas inutile dans les jours mauvais que traversait l'abbaye; presque chaque jour, les gens de guerre et des bandes de malfaiteurs venaient frapper à la porte du couvent, rançonnant les moniales ou les Nonnains, comme on disait alors, troublant l'ordre et la paix du cloître, épouvantant les religieuses, dont quelques-unes rentrèrent dans leurs familles, ce qui diminua sensiblement le nombre des membres de la communauté.
  • Celles qui restaient se hâtèrent d'élire l'une d'entre elles pour prendre la succession d'Agnès de Chartrettes. Leur choix tomba sur Pétronille de Mackau, jeune religieuse du cloître, où elle avait déjà passé un certain nombre d'années. Elle appartenait à une puissante famille de la contrée. L'un de ses ascendants, Pierre de Mackau, est qualifié seigneur de Chalette 108); avec Isabeau de Gyé, sa femme, ils avaient fait quelques aumônes au couvent, à la fin du XIIIe siècle. Leur descendance fournit d'assez nombreuses recrues à Yerres dans la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe. Outre la nouvelle abbesse, nous trouvons dans l'Obituaire les noms |123 de Clémence de Mackau, certainement la contemporaine et peut-être la sœur de Pétronille; de Juste de Mackau, prieure du monastère, et d'une autre Pétronille de Mackau, célérière de la maison. Toutes ces moniales sont de la même époque; toutes furent bienfaitrices de la maison, et lui laissèrent en mourant, avec une somme en deniers, des objets d'art ou de valeur, signe certain que toutes sortaient d'un milieu non seulement aisé, mais opulent.
  • La mort d'Agnès de Chartrettes date de la fin de juillet; dès le 23 août suivant, Pétronille se rend à Paris, où elle prête serment de fidélité à l'évêque Jean de Meulan, qui lui donna en même temps la bénédiction. Depuis bien des années on n'avait pas rencontré le nom des évêques de Paris mêlé aux annales de notre abbaye. Les religieuses s'éloignaient le plus possible de l'Ordinaire diocésain, pour se réfugier sous la protection du Souverain Pontife; et la présence des papes à Avignon avait encore facilité et développé cette tendance; mais Jean de Meulan, prélat batailleur et pointilleux sur ses droits, n'était pas d'humeur à les laisser périmer. Il signifia à toutes les communautés de son diocèse d'avoir à remplir les actes de déférence envers l'autorité épiscopale. De là l'empressement de notre nouvelle abbesse à se rendre aux ordres du prélat. Celui-ci d'ailleurs lui fut assez favorable et l'aida de sa protection dans plusieurs occasions difficiles, pour le gouvernement de sa maison, pendant le peu de temps qu'il occupa le siège de Paris.
  • L'appui des personnages influents et des amis dévoués devenait de jour en jour plus urgent, car les difficultés grandissaient sans cesse autour de nos moniales. Pétronille eut, comme Agnès, à s'occuper de la dîme du pain du roi, devenue à cette époque l'une des principales ressources de la communauté. Mais en vertu de maintes ordonnances rendues à la suite des guerres malheureuses, l'État se regardait comme dispensé d'acquitter cette dette. De plus, celle-ci s'était considérablement accrue depuis sa première institution. Elle s'étendait maintenant non seulement à la maison du roi, mais encore à l'Hôtel de la reine et aux demeures |124 des enfants royaux. Les murs de Paris s'étaient étendus depuis le XIIe siècle, et l'hôtel Saint-Paul, où Charles V habitait de préférence, était construit en dehors des fortifications, aussi bien que la demeure royale de Vincennes, qui ne fut jamais enfermée dans Paris. Appuyés sur toutes ces raisons, et arguant de l'extension démesurée du privilège, les officiers de la finance se refusaient à payer quoi que ce soit aux religieuses d'Yerres.
  • Pétronille réclamait avec instance contre ces raisons. Elle fit dresser un mémoire où elle invoquait la pauvreté de sa maison, que l'état malheureux du royaume avait accrue. À la suite des guerres, disait-elle, le clergé avait fourni des décimes au roi. Ces impôts avaient été établis sur tous les biens de l'Église, au nombre desquels étaient rangés ceux des communautés de femmes. L'abbaye d'Yerres, à cause de ses vastes domaines, avait été taxée à un chiffre très élevé; pourtant, la plus grande partie de ses revenus ne pouvait être levée; ici, à cause de la misère des tenanciers; là, par suite du manque de sûreté des routes, qui ne permettait pas aux procureurs de l'abbaye, d'aller, d'un côté, jusqu'à Mitry, le Tremblay, et dans toute la région située au nord de Paris, envahie et sillonnée par les compagnies d'aventuriers et de malfaiteurs; Villiers et autres lieux trop éloignés du monastère. Même pour les biens et les revenus assis dans le voisinage de l'abbaye, et jusque sous les murs du couvent, le rendement en était fort diminué; car les fermes, désertées par nombre d'habitants, voyaient les bâtiments s'écrouler faute d'entretien et les champs envahis par le friche. — Frappé de tous ces motifs, Charles V, par une ordonnance du 4 avril 1364, signifia à Nicolas Martin, président de la Chambre aux deniers, d'avoir à céder aux réclamations “des povres religieuses d'Yerres”, et de leur payer incontinent toute la dîme du pain consommé dans son Hôtel Saint-Paul, dans les demeures de la reine et des jeunes princes, ses enfants, tant à Paris qu'à Vincennes.
  • Hélas! les rois les plus absolus ne sont pas toujours obéis. Et de plus, Charles V tenait-il beaucoup à l'être ponctuellement |125 dans la circonstance? Quoiqu'il en soit, Nicolas Martin temporisa d'abord; puis il fit examiner soigneusement les titres de fondation de cette dîme, par deux experts de la Chambres des Comptes; il gagna ainsi le mois d'avril 1365, et finalement ne paya rien du tout.
  • Le 2 mars 1369, les religieuses sont de nouveau en instance auprès du roi. Le monarque a fait relever leur compte, il a constaté que l'arriéré se monte à plus de 800 livres parisis; c'est pourquoi il donne une nouvelle ordonnance en leur faveur, qui étend encore leur privilège. Désormais elles prélèveront la dîme du pain “aux hôtels du Louvre, de Saint-Paul, de la Reine, du Dauphin de Viennois, son fils, tant à Paris qu'à Vincermes, et même dans toute la banlieue; ses trésoriers devront acquitter aux religieuses l'année courante, et dans la suite les payer tous les mois109)”.
  • Cette dernière prescription était d'autant plus facile à exécuter, que les religieuses avaient à Paris une sorte de succursale de leur abbaye, située, comme nous l'avons dit, dans la rue, nommée depuis lors Rue des Nonnains d'Yerres ou des Nonnandières. L'abbesse y avait placé un procureur, chargé des multiples intérêts financiers de la communauté, et quelques religieuses. Durant sa longue prélature, Pétronille de Mackau y vint à différentes reprises et y fit parfois d'assez longs séjours. Cette maison, prit au XIVe siècle un développement assez considérable, et servit de refuge aux moniales, effrayées par les gens de guerre et les pillards, qui souvent se montraient menaçants dans la vallée d'Yerres.
  • L'agrandissement et l'importance prise par cette maison de Paris deviendront en certaines circonstances un embarras |126 pour l'abbaye; il sera nécessaire que l'abbesse y paraisse de temps en temps, afin que la supérieure locale, placée là par la titulaire de la communauté, ne devienne pas une rivale pour celle qui porte la crosse au véritable siège du monastère.
  • Malgré le malheur des temps et la difficulté des circonstances, Pétronille recueillit d'assez nombreux témoignages de sympathie pour elle et pour sa maison. En mourant, Jeanne d'Évreux, veuve de Charles IV, donna à nos moniales certains biens et leur laissa des deniers pour célébrer son anniversaire. La reine de France était propriétaire limitrophe de l'enclos de nos Bénédictines; et déjà avant elle, une autre princesse, Clémence de Hongrie, femme de Louis-le-Hutin, avait possédé les prairies de la vallée d'Yerres. Jeanne, en 1370, laissa ses biens d'Yerres aux Chartreux de Vauvert, qui devinrent par là les voisins assez incommodes de nos moniales.
  • Pétronille recueillit encore les donations de Roger de Mabre, habitant la ferme de Herces, qui allait être ruinée par la guerre; — celle de Jean Doulcet, curé de Villiers-en-Beauce, instruit aux frais de l'abbaye, succcesseur de son oncle Etienne, et, comme lui, admirateur de nos Bénédictines; — celle de Pierre d'Aulnay, chanoine de Paris, qui donna au monastère trente chaises d'or 110) (triginta cathedras auri), et six écus de Philippe pour son anniversaire; — celle de Guillaume Charretier dit Pasté, dont nous retrouverons bientôt le nom; — et quelques autres.
  • En même temps qu'elle recueillait ces dons, Pétronille faisait preuve d'une louable activité dans l'administration de sa communauté. Par elle et par ses procureurs elle concentra le paiement de ses revenus à la maison de Paris, où l'on se trouvait plus en sûreté; ce fut là également qu'elle reçut les premiers aveux dont le texte ait été conservé. Elle s'occupa aussi avec soin de la justice. Comme l'abbaye ne possédait que la basse et la moyenne, dans certaines de ses terres, elle fit des efforts pour arriver à jouir partout des trois degrés, basse, moyenne et haute justice, et pour cela elle ne recula pas devant de petits empiétements. Dès lors, son prévôt |127 à Yerres est un personnage; il prétend ne relever que du roi à cause de son château de Corbeil. — Nombreux aussi sont les baux de terres signés par l'abbesse ou en son nom. Quelques-uns de ces contrats nous révèlent un changement notable dans la discipline de nos moniales.
  • Le 22 février 1379, Pétronille de Mackau est à Paris dans son Ostel d'Yerres-lèz-Nonnains. Ce jour-là, elle signe pour deux ans à Jehan Chepin, un bail de la ferme de Drancy-le-Grand, moyennant 7 muids de grain, 1 minot de pois et douze poussins. Cette dernière redevance, inscrite dans plusieurs autres contrats de l'époque, nous avertit que désormais la règle de nos Bénédictines est mitigée. Déjà dans la première moitié du siècle, elles avaient un instant fait usage des viandes blanches pour leur nourriture. Amené sans doute par l'empire des circonstances, cet usage n'avait pas été de longue durée; et Clémence des Grèz l'avait réformé. Il s'introduisit de nouveau sous Pétronille de Mackau, et désormais nos moniales mangeront non seulement des viandes blanches, mais elles useront d'aliments gras; et malgré toutes les réformes, jamais plus dans la suite, elles ne reviendront à la sévérité première, ni à l'observance primitive. Par conséquent, on n'attendra pas la moitié du XVe siècle, comme Pont écrit l'abbé Lebeuf et Sainte-Marie Mévil, pour introduire la mitigation dans la règle sur l'abstinence, elle était déjà en usage en 1375.
  • Ce fut au cours du XIVe siècle et surtout vers la fin, que se généralisa l'usage des noms bizarres, pris des qualités, des défauts, des vices même de la personne, parfois des circonstances de temps et de lieu, au milieu desquelles elle vivait. L'Obituaire contient un nombre assez considérable de ces dénominations, où les religieuses sont appelées la petite, la grande, la grosse, la Râtelle, la Buorde, etc., et nous nous en tenons aux désignations qui n'ont rien de choquant. Ce fut certainement dans ce temps-là que toutes les moniales devinrent des “Nonnains”, et l'abbesse Pétronille de Mackau, “sœur Pernelle”.
  • Durant la prélature de Pétronille s'accomplit, dans la seigneurie d'Yerres, un changement que l'historien de l'abbaye ne saurait passer sous silence. Jean de Courtenay d'Yerres, IVe |128du nom, était possesseur de cette seigneurie en 1370. Il fut marié une première fois à Jeanne du Plessoy, dame de Vienne; et en secondes noces à Calippe de la Louvetière. Dissipateur et mauvais mari, Jean IV hypothéqua sa terre, et ne tarda pas à se trouver dans la gêne. Il avait fait des emprunts à Jeanne d'Évreux. Tant que la reine vécut, les choses se passèrent à la douce; mais dès que les Chartreux furent mis en possession, la situation se tendit; c'est que le malheureux seigneur avait aussi emprunté aux Chartreux, et ne pouvait rendre. Parmi ses créanciers, les religieux de la Grande-Chartreuse se montrèrent les plus intraitables. Ils firent si bien que la moitié de la seigneurie d'Yerres fut mise à l'encan 111), et vendue, malgré l'opposition et les protestations de Jean IV, à Jean Bureau de la Rivière, premier chambellan du roi, qui en fit hommage à Charles VI, pour la première fois, le 23 juin 1389 112); il avait acquis Yerres par contrat du 24 novembre 1380.
  • Le nouveau seigneur se montra plein de bienveillance et de courtoisie pour les religieuses ses voisines; il leur confia sa fille et unique héritière à élever. Celle-ci devint dame d'Yerres du vivant même de ses parents, par suite de la donation que ceux-ci lui firent de la seigneurie. Elle la transmit par mariage à Jacques de Châtillon, amiral de France, tué à la bataille d'Azincourt en 1415. L'amiral de Châtillon et Jeanne Bureau eurent pour unique héritier Louis de Châtillon, mort sans postérité, et la terre d'Yerres passa en d'autres mains comme nous le verrons plus tard.
  • Pendant que tous ces changements s'accomplissaient, Pétronille de Mackau vieillissait, mais continuait néanmoins de veiller aux intérêts de sa maison. Elle passait des baux pour les fermes de Lieusaint, du Tremblay, des Bordes, de Puiselet, se faisait rendre foi et hommage par de nombreux |129 feudataires et défendait âprement ses biens situés à Corbeil, notamment ses droits sur une maison, objet de nombreuses transactions durant le XIVe siècle.
  • Malheureusement, le côté spirituel ne semble pas avoir tenu une aussi grande place dans sa sollicitude. Un certain nombre de religieuses habitent Paris, la mort a frappé à coups redoublés les moniales, comme en témoignent les pages de l'Obituaire, le recrutement se fait plus difficilement, en sorte que nos Bénédictines ne sont pas plus d'une trentaine présentes sous le cloître d'Yerres, à la fin de la prélature de Pétronille. Que deviennent et le chant et la récitation de l'Office au chœur, en face de ce petit nombre de religieuses? Que deviennent surtout ces vigiles si nombreuses, ces anniversaires presque quotidiens et ces suffrages si multipliés pour les défunts, que la chapelle ressemblait naguère à une nécropole, où des prières et des cérémonies funéraires se célébraient pendant une grande partie de la journée? Un cas de force majeure et une impuissance sans remède ont amené la réduction de beaucoup de ces charges, puis la suppression totale de plusieurs d'entre elles: c'est la prière pour les morts et l'office divin qui se ressentent davantage des vides opérés par des causes diverses, sous le cloître. Puis, chose étrange et cependant bien ordinaire, à mesure que nos religieuses ont plus de devoirs, moins de secours et de ressources, elles deviennent pour elles-mêmes plus exigeantes. Au lieu de la grossière nourriture et du pauvre mobilier du XIIe siècle, elles ont maintenant une nourriture plus recherchée; elles introduisent les aliments gras dans leur réfectoire; chacune d'elles a son gobelet ou sa timbale d'argent; il y a de la vaisselle plate du même métal en assez grande quantité; et leur table monastique est maintenant recouverte de nappes richement ouvragées.
  • Ce goût des belles choses, il faut leur rendre cette justice, elles l'ont porté dans leur chapelle. Que de dons faits à ce modeste sanctuaire au cours du XIVe siècle! Vases sacrés, croix, reliquaires, statues d'ivoire et d'argent, ornements sacerdotaux, chasubles, tuniques, dalmatiques, riches aubes, et nappes précieuses pour les autels, il y en a en abondance |130 pour la solennité du culte, et chacune de nos moniales a voulu donner quelque chose, ou s'est appliquée à un ouvrage, capable d'orner et d'embellir le sanctuaire.
  • Telle est la situation à la fin du XIVe siècle, qui se termina moralement sinon exactement en même temps que l'abbatiat de Pétronille de Mackau. Celle-ci mourut, en effet, le 30 mars 1394, après une prélature qui avait duré 34 ans 113), la plus longue de toutes celles qui avaient régi l'abbaye jusque-là.
  • L'Obituaire nous apprend, qu'à l'exemple de ses contemporaines, elle légua en mourant un petit trésor au monastère: deux objets précieux en argent, et un vase pour conserver le Saint-Sacrement: duos tiphos argenteos et unum vas ad Corpus Christi ponendum 114).
  • De son temps, croyons-nous, et, certainement dans la seconde moitié du XIVe siècle, l'abbesse d'Yerres vit sa juridiction s'étendre. Le hameau de Villeroy près Corbeil, fut détaché de la paroisse de Villabé. On y construisit une église, on y plaça un curé, et ce fut l'abbesse d'Yerres qui eut la nomination à cette nouvelle cure, comme elle avait, depuis le XIIe siècle, le droit de nommer à celle de Villabé.

Chapitre XII. Marguerite des Chênes (1394-1406), Jeanne La Pastée (1406-1407), Marguerite IV (1407-1427), Marguerite V (1427-1430), Marguerite de Montaglant (1430)

Erreurs dans la liste des abbesses. — Ruine de la ferme de Herces. — De nombreux paysans se réfugient à l'abbaye. — Suspension des exercices claustraux et de la vie monastique. — La maison de Paris. — Procès. — Quelques baux. — Transmission de la seigneurie d'Yerres. — Encyclique de Pierre de Lune. — Éphémère abbatiat de Jeanne la Pastée. — Marguerite IV. — Jeanne Bierde. — Pierre d'Orgemont. — Quelques contrats. — La guerre. — Mort de Charles VI. — L'Obituaire. — Marguerite de Montaglant.

  • L'histoire de l'abbaye d'Yerres, avec la succession de ses abbesses, durant près de trois siècles, s'est déroulée clairement sous nos yeux. Après la mort de Pétronille de Mackau, elle semble s'obscurcir, par le fait de la liste dressée au XVIIIe siècle par les Bénédictins, et acceptée sans contrôle par tous les historiographes de l'abbaye depuis cette époque. Une étude approfondie des documents conservés dans les archives, et surtout l'examen attentif de l'Obituaire, ce guide incomparable de quiconque veut connaître l'histoire du monastère, nous ont permis de rétablir l'ordre dans ce chaos, créé par les erreurs chronologiques des auteurs du Gallia.
  • Il est constant pour tous que Pétronille de Mackau mourut en 1394. Mais qui lui succéda? Les Bénédictins nomment Marguerite III, et ensuite Marguerite des Chênes. Appuyés sur |132 les chiffres inscrits dans le Nécrologe, ils donnent 35 années de pouvoir à ces deux abbesses: 23 ans à la première et 12 ans à la seconde: Or, les documents conservés dans les archives: baux, contrats, procès, transactions, malgré la sécheresse de leur contenu, et le laconisme de leur texte, ne peuvent s'accorder avec l' une de ces données. Si Marguerite III, comme le disent les Bénédictins, après l'Obituaire d'ailleurs, a gouverné l'abbaye pendant 23 ans, ce chiffre nous conduit jusqu'en 1417, date inscrite par Fisquet, dans sa liste des abbesses. Par ailleurs, il est indéniable que Marguerite des Chênes, qui d'après ce comput ne doit prendre la crosse qu'en 1417, était déjà abbesse en 1402; cela résulte d'une pièce, signée de sa main, et conservée dans le dossier d'Yerres.
  • Autre difficulté, entre 1394 et 1417: ce ne sont pas seulement deux abbesses, mais bien trois, qui ont gouverné l'abbaye; nous allons l'établir tout à l'heure. Comment donc sortir de cette difficulté, tout en respectant l'autorité de l'Obituaire et des documents d'archives qu'on ne saurait contredire? En modifiant tout simplement la liste du Gallia. Ce ne fut pas Marguerite III qui succéda à Pétronille de Mackau, mais bien Marguerite des Chênes, et celle-ci porta la crosse 12 ans et 5 mois, d'avril ou mai 1394 à octobre 1406, comme l'affirme avec une précision et une autorité indiscutables, son article nécrologique, écrit par une contemporaine et une compagne de cette abbesse, au lendemain de sa mort.
  • Mais comment, dira-t-on, une semblable erreur a-t-elle pu être commise par les savants auteurs du Gallia, eux qui avaient sous les yeux l'Obituaire, comme vous l'avez aujourd'hui? Cette erreur a été commise par la simple inspection des écritures. Si l'on compare en effet l'obit de Marguerite des Chênes et celui de Marguerite III, il est certain que celui-ci paraîtra plus ancien que celui-là. De bons juges, des archivistes de profession vous disent encore aujourd'hui que l'obit de Marguerite III a été tracé par une main du XIVe siècle, et celui de Marguerite des Chênes, longtemps après, par une main du XVe; et néanmoins c'est le contraire qui est vrai. L'obit de Marguerite des Chênes fut écrit en 1406 ou 1407, et l'autre ne l'a été qu'après 1430. |133 Cette difficulté chronologique résolue, reprenons notre narration historique, qui n'offre plus aucune difficulté.
  • Marguerite des Chênes, comme toutes les religieuses d'alors, sortait d'une famille aisée, que les malheurs de l'époque n'avaient pas encore conduite à la ruine. Son frère, Jean des Chênes et sa nièce Agnès sont rangés parmi les bienfaiteurs du monastère. Agnès vécut près de sa tante à l'abbaye, pendant quelque temps; mais nous n'avons pu savoir si elle y porta l'habit religieux.
  • Très apte au maniement des affaires de la communauté, la nouvelle abbesse en prit la direction, à une époque où il était malaisé de gouverner. Dans les dernières années du XIVe siècle, des bandes armées parcourent sans cesse les campagnes voisines de la capitale; elles y portent la terreur et la destruction; de véritables batailles sont livrées entre Paris et Melun; l'une de ces rencontres a eu lieu non loin de Périgny, et la ferme de Herces a été incendiée et détruite. Le fermier et sa famille arrivent affolés et dans le plus complet dénuement, à l'abbaye, pour s'y mettre à l'abri. Bientôt d'autres paysans viennent également chercher un refuge à l'ombre du cloître. Le cœur de l'abbesse saigne en présence de la misère de ces pauvres gens; elle leur permet de s'installer dans les bâtiments de service; mais le nombre des réfugiés augmente sans cesse, et les voilà maintenant répandus jusque dans les édifices claustraux. Naguère l'enclos du couvent était presque vide de religieuses; il est maintenant rempli par une foule bigarrée, incapable d'observer ni silence, ni discipline. De plus, les réfugiés ne sont pas venus seuls au monastère, ils ont entraîné avec eux tout ce qu'ils ont pu arracher au pillage: chevaux, vaches, moutons, animaux domestiques et de basse-cour; une grande partie de l'enclos ressemble au campement d'une tribu de nomades, où chacun s'installe comme il peut. L'abbesse et ses Officières sont impuissantes à se faire Obéir par ce peuple indiscipliné. Afin de parer au plus pressé, on installe à la hâte une grande ferme, et les nouveaux hôtes vont occuper leurs bras, en cultivant les terres voisines du couvent. Par leurs soins, l'enclos est mis en culture; il est agrandi, et le voilà qui déborde jusque sur la paroisse de |134 Brunoy, car on y a renfermé le Révillon, qui auparavant servait de limite au jardin des moniales.
  • Que devenaient, au milieu de tout ce bruit et de tous ces bouleversements, les pratiques de la vie monastique? les offices religieux? les services funéraires si multipliés? Hélas! il est devenu matériellement impossible de remplir toutes ces obligations, d'acquitter toutes ces charges. Aussi la plupart sont délaissées par la force même des choses. De la vie bénédictine, des pratiques monastiques il n'est plus guère question. Toutes les forces, toute l'activité de nos moniales sont absorbées par les occupations matérielles, par les soins temporels, que nécessite l'exercice de la charité envers le prochain.
  • Puis, nouvelle source d'ennuis pour l'abbesse, le groupe des religieuses de Paris a surtout la charge de concentrer les revenus de la communauté, et il s'en acquitte avec zèle et intelligence: la dîme du pain royal est perçue régulièrement; d'autres ressources arrivent, malgré mille difficultés, par les soins d'administrateurs actifs et entendus. Mais bientôt les moniales parisiennes se plaignent de ce que la maison d'Yerres dévore tous les fruits de leur procure, et les force, elles, à vivre dans la disette et la pénurie. Marguerite des Chênes est contrainte de quitter son cloître pour venir apaiser ces murmures, et chercher les ressources indispensables à la vie de ses religieuses et aussi de ses protégés.
  • L'administration du domaine abbatial est pleine de difficultés, dans ces temps troublés, et les procès ne chôment pas. En 1396, Jehan Hémart, procureur de l'abbesse, fait condamner Marguerite de Vieuxpont, dame de Palaiseau, à payer à nos moniales 50 sols parisis, pour une rente annuelle, assise à Combs-la-Ville, sur les possessions de la dite dame. — On poursuit en même temps le sire de Neauville, pour des biens dont il cherche à s'emparer, dans la forêt de Sénart. Ce procès traînera en longueur, et l'abbaye n'obtiendra justice qu'en 1411, mais son adversaire sera impitoyablement condamné. — Il y a des procès dans la Beauce, des procès dans la Brie, un peu partout où la communauté a des biens et des droits. |135
  • Au milieu de ces contestations, nous apercevons néanmoins çà et là des actes d'administration régulière. Le 7 avril 1396, on fait un bail de la terre de Carbouville en Beauce; mais de ce contrat il ne reste que le titre. — Dans le même temps les terres de Drancy sont louées, pour neuf ans, à Jean Franquetot, moyennant quatre muids de blé, “livrable dans l'Ostel des dites dames à Paris”. — L'un de ces baux nous apprend que Marguerite des Chênes cherche à remonter le courant et à réorganiser autour d'elle; car elle s'efforce d'écarter de son cloître les hôtes nombreux et parfois incommodes, qui sont venus y chercher un abri. Dans ce but, elle s'attache à réparer les ruines faites par la guerre; c'est pourquoi elle loue, à Jean Morin, la ferme de Herces, pour un prix fort minime; mais à la condition qu'il rétablira tous les bâtiments renversés. Ce bail fut passé à l'abbaye, au début de l'année 1402, et signé par l'abbesse elle-même, qui se nomme “Marguerite des Quesnes, humble abbesse de Notre-Dame d'Yerres”.
  • Pendant ce temps les évènements suivaient leur cours. Jeanne de la Rivière, confiée par ses parents à nos moniales, sortait du cloître, et recevait de son père et de sa mère, Marguerite Danneel, la terre et seigneurie d'Yerres, en vue de son prochain mariage avec Jacques de Châtillon 115). Et Bureau de la Rivière mourait en 1400, laissant aux nouveaux seigneurs, ses enfants, la pleine et entière jouissance de cette terre féodale, dont il avait gardé la possession si peu de temps.
  • Au temps de Marguerite des Chênes, l'antipape Benoit XIII (Pierre de Lune) écrivit, de son palais d'Avignon, une longue lettre encyclique touchant la confession des religieuses. Comme françaises, nos Bénédictines se trouvaient dans son |136 obédience, aussi ce document leur fut-il expédié, mais elles ne semblent pas en avoir fait grand cas; car, après l'avoir mutilé, elles s'en servirent pour faire de petits sacs, destinés à envelopper les sceaux de leurs chartes, selon l'usage du temps.
  • C'est tout ce que nous avons trouvé, touchant la prélature de Marguerite des Chênes. Elle mourut au mois d'octobre 1406, après un abbatiat, qui fut peut-être sans gloire, mais non sans mérite, par suite des épreuves et des tribulations dont il fut rempli. Marguerite, au cours de sa laborieuse carrière, s'était souvent recommandée à la Reine du ciel, la patronne de sa maison; en mourant elle légua à ses sœurs une statue de la Sainte Vierge en albâtre, et des nappes d'autel, gage de l'amour dont elle fut toujours animée, pour l'honneur de tout ce qui se rattachait au culte divin. Une petite somme fut également consacrée par elle à améliorer la nourriture de ses religieuses, car l'ordinaire de la maison était redevenu forcément frugal, par suite du manque de ressources suffisantes.
  • Une religieuse nommée Jeanne la Pastée, fut choisie pour succéder à Marguerite des Chênes. Le nom de cette nouvelle titulaire n'a été inscrit dans aucun des catalogues donnant la liste des abbesses d'Yerres, ni dans le Gallia, ni dans Fisquet, ni dans Mévil; seul l'abbé Lebeuf l'a relevé dans un vieux compte de la communauté, dressé au commencement du XVe siècle, et d'après lequel il est établi que Jeanne la Pastée fut élue à l'unanimité abbesse d'Yerres, au mois de novembre 1406, quelques jours seulement après la mort de Marguerite des Chênes. Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, prélat très favorable à nos religieuses, lui donna la bénédiction aussitôt après son élection. Jeanne avait vécu assez longtemps sous le cloître, où elle remplissait la charge d'infirmière, lorsque les suffrages de ses sœurs l'appelèrent à la première place. Le nombre des moniales n'était pas considérable alors, puisque la communauté ne se recrutait plus ou presque plus; malgré cela il était difficile de réunir l'unanimité des voix, à cause de l'existence de la maison de Paris, dont les religieuses cherchaient à faire prévaloir leur volonté et leurs vues en toutes choses. |137
  • Pour juger de l'administration de Jeanne la Pastée, le XVIIIe siècle possédait un document précieux, aujourd'hui perdu: c'était le vieux compte étudié par Lebeuf; il comprenait 46 feuillets, où étaient énumérées toutes les ressources et toutes les charges de l'abbaye. Ce manuscrit n'a pas été catalogué dans le grand travail fait en 1788, sur les archives du monastère, bien qu'il existât certainement alors. Sa perte est d'autant plus regrettable qu'il nous eût fait connaître le nombre et les noms de toutes nos Bénédictines, et nous eût révélé exactement l'état de l'observance à cette époque reculée. Mais du gouvernement même de Jeanne la Pastée, il nous eut appris fort peu de chose, car celui-ci fut tout à fait éphémère, n'ayant duré que quelques mois à peine. Élue à la fin de 1406, Jeanne n'était plus abbesse au milieu de 1407; elle mourut sans que son nom et son administration laissassent une trace quelconque dans les annales de la communauté 116).
  • C'est alors que se place la prélature de celle que les Bénédictins ont appelé Marguerite III, et qui doit être nommée Marguerite IV. De ses antécédents, de son âge, de son origine, de sa famille, on ne sait rien: toutefois étant donné les habitudes de nos moniales, on peut affirmer qu'elle faisait déjà partie du petit cénacle de religieuses, dont elle devint la supérieure.
  • Sa prélature s'écoula dans les temps les plus désastreux. N'oublions pas que c'est l'époque des Cabochiens, des Armagnacs et des Bourguignons, des batailles d'Azincourt et de Harfleur, des mariages des filles de France avec les princes anglais, du traité de Troyes et de la régence du roi d'Angleterre, représenté à Paris par Bedfort. Aussi savons-nous bien peu de choses de l'abbatiat de Marguerite IV, qui fut cependant assez long, car il dura plus de vingt ans.
  • La confusion la plus grande règne alors dans le monastère, |138 c'est le régime du bon plaisir de chacun. L'abbesse semble étrangère aux affaires de sa maison, qui toutes sont traitées par des intermédiaires. Ni le nom, ni la signature de Marguerite n'y paraissent une seule fois. On voit une converse, nommée Jeanne Bierde, donner à la communauté huit brebis et deux vaches, pour la nourriture des sœurs. Une infirmière fait cadeau de vaisselle d'argent, de siphons, de gobelets précieux. Elle se nommait Jeanne la Bouteille, nom prédestiné à offrir un semblable présent.
  • Les difficultés d'administration font naître des procès. À la mort de Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, si bienveillant à nos moniales, le chapitre de Notre-Dame se refuse à payer les droits de chevecerie; il faut faire intervenir les juges pour ramener à l'équité et à la justice les vénérables chanoines. — Un peu plus tard, en 1414, Guy Bouvart, curé de Puiselet, est en procès avec l'abbaye. Il avait joint à sa cure le titre et les fonctions de chapelain de Farcheville, où il faisait sa résidence ordinaire. Le 14 décembre de cette année, par un temps affreux, la châtelaine reçut la visite de Geoffroy des Moulins, sergent à cheval, qui lui signifia une sentence des requêtes du Palais, condamnant son chapelain à payer aux religieuses d'Yerres un setier de blé, estimé 22 livres 4 sols. — En 1416, c'est Jean Duisy, chevalier, seigneur de Puiselet, que les moniales font condamner à leur payer 4 livres 14 sols 16 deniers, pour le punir de retenir leurs dîmes sur sa paroisse 117).
  • Les baux sont les seuls actes capables de nous révéler la vie et l'activité du monastère. Ils ne sont pas nombreux pour cette désastreuse période. Il en existe un de 1422, pour des biens de Brie, loués à Denis de Lieusaint. — Nous en trouvons un autre assez détaillé, qui concerne la ferme même de Lieusaint, toute démolie et à moitié ruinée. Il est du 3 novembre 1423; c'est un contrat passé entre l'abbaye et Jean Piedur, bourgeois de Corbeil, à qui on laisse une contenance de 80 arpents de terre et 9 de pré, moyennant un loyer annuel de deux muids de blé. C'est encore un prix trop élevé, le fermier |139 ne peut tenir, et l'année suivante il faut abaisser le prix du fermage. Ces contrats portent la marque de leur époque: il n'est question que de reconstruction de bâtiments démolis, de terres en friche, et les locataires introduisent dans le bail une clause significative, ils font suivre chacun de leurs engagements de cette restriction, “se fortune de guerre ne lui donne empeschement”.
  • Elles en souffraient de la guerre nos malheureuses moniales, et n'étaient indifférentes à aucune des tristesses ou des calamités de leur temps. Un mot échappé à l'une d'elles et consigné dans l'Obituaire nous dévoile leurs sentiments. Les malheurs de l'infortuné Charles VI l'avaient rendu sympathique à tous les vrais Français. Malgré son incapacité, on le regardait comme la clé de voûte de l'édifice national, qui devait s'effondrer au lendemain de son décès. Aussi, lorsqu'il mourut le 25 octobre 1422, nos religieuses écrivent-elles, dans leur Nécrologe, avec une tristesse non dissimulée: “Ista die obiit Carolus rex Franciæ! Aujourd'hui est mort, Charles, roi de France!” Silencieuse, mais éloquente protestation contre l'inique traité de Troyes, qui avait donné la France aux Anglais. Nos Bénédictines étaient patriotes.
  • L'abbatiat de Marguerite IV se prolongea jusqu'au courant de 1427, sans que nous puissions en éclairer les dernières années. Lorsqu'elle mourut on ne rédigea pas immédiatement son obit; aussi le souvenir des dates s'effaça-t-il promptement de la mémoire de ses sœurs, à cette époque tourmentée. Celles-ci avaient totalement oublié la courte prélature de Jeanne la Pastée; elles croyaient de bonne foi que Marguerite IV avait été élue en 1406, c'est pourquoi elles lui donnaient environ 23 ans de pouvoir, au lieu de 22 à peine commencés. Mais tout est dubitatif dans leur note nécrologique: c'est d'abord la formule ordinaire pour les actes rédigés après coup: Margareta quondam abbatissa nostra; ensuite on ne précise pas le nombre des années de son gouvernement: circiter viginti et très annos, c'est environ 23 ans; ce pourrait être moins et ce pourrait être plus. On verra plus loin que la main qui a rédigé cet article n'a ni de ces hésitations, ni de ces formules dubitatives lorsqu'elle est |140 sûre de son fait. L'acte n'est affirmatif que sur un seul point. En mourant Marguerite IV donna à la communauté 28 livres parisis pour réparer le cloître, vraisemblablement ébranlé par suite des intempéries et surtout des hôtes étrangers, qui s'y étaient momentanément abrités.
  • Après la mort de leur abbesse, nos moniales élurent l'une d'entre elles, appelée Marguerite comme sa devancière, et c'est avec raison que tous les catalogues lui donnent le nom de Marguerite V. Plus inconnue encore que la défunte abbesse, il n'est pas resté à notre connaissance, dans le chartrier de l'abbaye, un seul acte la concernant, ni même une seule pièce se rattachant à son gouvernement. Le Nécrologe seul nous parle d'elle et nous dit qu'elle porta la crosse 3 ans et 8 mois. Son obit tracé par une de ses contemporaines ne révèle aucune hésitation sur la durée de son gouvernement; on sent, en le lisant, qu'il émane d'un témoin oculaire et irrécusable. Les actes nécrologiques des deux Marguerite furent écrits en même temps, par une main ferme et versée dans la connaissance des lettres humaines. C'est dans notre Obituaire, le dernier spécimen de l'écriture du moyen âge; il présente tous les caractères d'une calligraphie admirable, qu'on dirait faite dans la première moitié du XIVe siècle, et pourtant il demeure constant que leur date est de 1430, année de la mort de Marguerite V.
  • Une élection eut lieu pour donner une remplaçante à Marguerite V. Les voix se réunirent sur le nom de Marguerite de Montaglant ou Montenglant. Elle appartenait à une famille influente et de plus bienfaitrice de l'abbaye. Jean de Montaglant et sa femme Pétronille, probablement père et mère de la nouvelle élue, avaient donné du bien au monastère pour y faire célébrer leur anniversaire. Jeanne de Montaglant avait légué jadis 40 livres parisis et 40 sous pour la pitance des moniales. Enfin, Laurence de Montaglant avait vécu sous le cloître d'Yerres, y avait fait profession, et laissa en mourant 18 livres à la trésorerie; elle était peut-être la tante de Marguerite. On se réjouissait de cette nouvelle élection, et on en espérait d'heureux résultats dans ces temps difficiles et troublés. La nouvelle abbesse allait trouver dans les siens force et |141 appui, non seulement pour elle, mais encore une sérieuse protection pour sa communauté. Hélas! la Providence en décida autrement. Marguerite ne put pas même aller à Paris recevoir la bénédiction; elle mourut après trois semaines d'un pouvoir nominal, qui n'avait pas été confirmé (1430). Avec Marguerite de Montaglant, supérieure nominale durant le temps strictement nécessaire pour faire inscrire son nom dans la liste des abbesses, se termine le troisième siècle de l'abbaye d'Yerres.

Chapitre XIII. Marguerite des Guaculs (1430-1436), Huguette de Chacy (1436-1450), Guillemette Le Camus (1450-1459), Marguerite d'Orouer (1459-1460)

Succession des abbesses du XVe siècle. — La dernière abbesse élue. — Destruction de la communauté. — Gouvernement d'Huguette de Chacy. — Difficultés avec les curés et les religieux. — Prétentions de l'abbaye d'Yerres sur Gif et Saint-Remy de Senlis. — L'évêque de Paris nomme une abbesse pour porter la crosse à Yerres. — Reprise de la vie commune. — Dreux Budé seigneur d'Yerres. — Les curés de Lieusaint et de Brie. — Agnès la Clémence. — Marguerite d'Orouer.

  • L'erreur commise par les Bénédictins, dans leur catalogue des abbesses d'Yerres, au commencement du XVe siècle, devait se renouveler encore au cours du même siècle. Ce ne fut pas Huguette de Chacy, comme ils le disent, qui occupa la place laissée vacante par la mort prématurée de Marguerite de Montaglant, mais bien Marguerite des Guaculs, élue dans les derniers jours de l'année 1430, et nommée avec raison Marguerite VII. Celle-ci prenait la crosse dans un temps où il était plus difficile que jamais de la porter, et surtout de s'acquitter des devoirs inhérents à la charge. Aussi, bien qu'elle ait droit au titre d'abbesse, puisqu'elle fut légitimement et canoniquement choisie par ses sœurs, n'en exerça-t-elle guère les fonctions.
  • Durant toute sa prélature, les Anglais, maîtres de Paris et de toute l'Île-de-France, avaient comme suspendu la vie nationale. Ils se débattaient au milieu de difficultés inouïes; obligés de guerroyer chaque jour, ici contre les troupes du roi |143 Charles VII, là contre des bandes de malfaiteurs. Épouvantées par les crimes commis journellement dans les campagnes, et réduites à la famine, presque toutes les moniales d'Yerres quittèrent leur cloître et se réfugièrent, les unes dans leur famille, et les autres dans Paris. Jusque-là on avait conservé dans la vieille abbaye un semblant de communauté; car on s'assemblait encore de temps en temps dans la chapelle, pour psalmodier des lambeaux d'office divin, on mangeait en commun. Au temps de Marguerite des Guaculs, tout cela fut abandonné. L'abbesse, se voyant seule avec une ou deux moniales des plus courageuses, quitta elle-même l'abbaye et se réfugia dans Paris, où nous perdons totalement sa trace. Revint-elle, après une absence plus ou moins longue, mourir à Yerres? Peut-être; car son nom et celui de Marguerite de Montaglant furent inscrits dans l'Obituaire par une moniale, qui n'avait guère l'habitude de manier la plume et ne savait plus le latin 118). Elle décéda en 1436; il s'était écoulé un peu plus de six ans depuis son élection; c'est pourquoi les catalogues disent qu'elle fut abbesse pendant sept ans. Ce fut la dernière des abbesses élue avant la Réforme, et la dernière aussi des titulaires inamovibles du monastère, qui dut l'honneur de porter la crosse aux suffrages de ses sœurs. Son obit fut grossièrement tracé quelques jours après son décès, et le Nécrologe fut fermé pendant près d'un siècle.
  • Dès la fin de juin 1436, une nouvelle abbesse, Huguette de Chacy, a pris la place de Marguerite des Guaculs. Qui lui a mis la crosse en main? Qui l'a investie de sa nouvelle fonction? Il est impossible de le dire. Ce ne fut certainement pas une élection régulière, car il n'y avait pas alors plus d'une ou deux bénédictines à l'abbaye. D'ailleurs la nouvelle titulaire n'avait pas besoin de moniales autour d'elle pour faire l'abbesse. Son activité, et elle était grande, se déploya hors du cloître. Elle ne s'embarrassa ni de la direction d'une communauté de femmes, ni des pratiques de la vie monastique, ni des charges particulières à sa maison, qu'elle était du |144 reste impuissante à acquitter, dans la situation et dans l'isolement où elle se trouvait. À la fin du moyen âge expirant, Huguette de Chacy fut une véritable féodale, en ayant toutes les aspirations, toutes les tendances et tout le génie.
  • Dès qu'elle fut en possession de son titre, Huguette comprit que pour rétablir une communauté, il fallait d'abord se procurer des ressources matérielles; or, toutes ou presque toutes celles de l'abbaye avaient péri sous la prélature de Marguerite des Guaculs. C'est pourquoi elle s'appliqua tout d'abord à rechercher les titres de propriétés de sa maison. Aidée par un homme habile et entreprenant, nommé Denis Capel, qui lui sert de procureur, Huguette entre en relations avec tous les tenanciers, à un titre quelconque, de son abbaye. Chez presque tous, elle ne rencontre que duplicité, mauvaise foi, dissimulation, avidité, et volonté bien arrêtée de demeurer sur les terres où ils sont établis, et dans les maisons qu'ils occupent, sans rien payer à l'abbesse.
  • Huguette, accompagnée de son fidèle Capel, va de l'un à l'autre, parlemente, raisonne, menace et procède ferme contre ces locataires récalcitrants. Çà et là cependant, elle obtient gain de cause. Ainsi elle arrive à faire un bail régulier de biens situés à Brie, en juin 1436; — elle donne un reçu signé de sa main inhabile, le 23 janvier 1438, à un locataire de bonne volonté. — En 1442, elle loue la ferme de Lieusaint à un écuyer de Corbeil, appelé Simon de Beaucroix 119); — celle de Herces, à un paysan de l'endroit; — et celle de Tremblay, en 1446, à Jaquin de Guinery. Tous ces contrats sont unanimes à nous retracer l'état pitoyable, du pays, après le départ des Anglais. Partout “les terres sont en friches, couvertes de buissons et de halliers; rien n'y pousse; les bâtiments d'exploitation sont en ruines et s'écroulent”. Les propriétaires cherchent partout des fermiers, qui aient le moyen, l'intelligence et la volonté de réparer ces ruines.
  • Parmi tous ceux qui s'opposent au prélèvement des droits de l'abbaye, les plus tenaces sont les curés des paroisses, où |145 naguère l'abbesse était maîtresse de la dîme. Nicole Évot, curé de Servan, est en procès avec Huguette de Chacy, en 1446. Guillaume le Roy, curé, de Lieusaint, fait de même et réclame pour lui 21 setiers de blé. Les deux curés de Brie, celui de Puiselet, et celui de Villabé s'opposent tous à ce que l'abbesse lève la dîme dans leurs paroisses. Les malheureux étaient bien un peu excusables, car ils mouraient de faim, et de plus, les religieuses n'acquittaient plus les charges qui légitimaient la perception de ces redevances 120).
  • Plus intraitables encore sont les frères en religion de la malheureuse Huguette, les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés et ceux de Saint-Denis. Ces derniers refusent absolument d'acquitter leurs redevances à Villepinte; mais l'abbesse a mis la justice en mouvement, et le 1er décembre 1444, Pierre Poncion, sergent à cheval, se présente à la porte de Jean Souchet, fermier des religieux; il saisit, malgré les protestations de Souchet, 2 muids et 33 setiers de blé, à quoi ont été condamnés les moines envers l'abbaye d'Yerres. Pour des biens situés à Villeneuve-Saint-Georges et à Valenton, les Bénédictins de Saint-Germain des Prés refusent de payer une dette de 42 livres parisis; les deux abbayes procèdent depuis 1440, et en 1447 une lettre est adressée à l'abbesse pour mettre fin au différend. À propos de cette lettre, Fisquet gourmande les auteurs du Gallia, leur reprochant d'avoir dit que cette lettre était adressée à Huguette de Chacy, tandis qu'elle ne pouvait l'être qu'à Marguerite des Guaculs. Les Bénédictins avaient vu la pièce, et Fisquet, dont l'autorité n'est pas bien grande il est vrai, s'efforce en vain, de ressusciter une abbesse morte depuis onze ans.
  • Le soin de trouver des fermiers pour des terres abandonnées, l'obligation de lutter contre les membres du clergé séculier et régulier, pour rétablir les droits de sa maison, ne suffisent pas encore à absorber la dévorante activité d'Huguette de Chacy. Elle ne sait lire qu'imparfaitement, elle est |146 un peu brouillée avec l'écriture, mais son procureur a fouillé, sans discernement, les archives du couvent. En remontant aux origines, il a découvert les relations et les rapports de l'abbaye d'Yerres avec les monastères de Gif et de Saint-Remy de Senlis; aussitôt la fougueuse Huguette part en guerre contre ces deux maisons. Elle a, dit-elle, des droits de tutelle sur ces deux monastères, qui ont alors, en effet, grand besoin de protection. Mais l'abbesse d'Yerres est-elle bien en état de leur prêter appui? N'importe; ces deux couvents sont sous sa dépendance, et elle veut leur imposer sa volonté, intervenir dans leurs affaires, leur donner des supérieures, elle qui ne s'est pas occupée du recrutement de son cloître. Et cette idée lui tient tellement à cœur, qu'elle la transmettra comme un précieux héritage, à ses successeresses, pour qui cette prétention sera, pendant 70 ans, une source de tracas et d'ennuis.
  • Tel fut l'abbatiat tourmenté d'Huguette de Chacy. Un mémoire du XVe siècle nous la représente seule à l'abbaye avec son procureur Denis Gapel. Tous deux demeurent dans les édifices monastiques, tandis qu'un personnel assez mêlé de serviteurs et de servantes s'agite, dans les bâtiments de la ferme, sous prétexte de la cultiver. Point de chapelain, point de prêtre pour dire la messe; l'abbesse et son personnel se rendent le dimanche à l'église du village comme les autres paroissiens, et semblent s'accommoder assez bien de ce minimum d'exercices religieux. De temps à autre cependant on aperçoit errante sous le cloître ébranlé une femme vulgairement et bizarrement vêtue: c'est une religieuse, parfois il y en a deux. D'où viennent-elles? De Paris, de Gif, de Chelles, de Senlis, ou de quelqu'autre monastère; mais bientôt la misère, l'ennui, l'inoccupation, l'isolement les chassent, et le cloître rentre dans un silence que rien ne vient troubler.
  • La pénurie et la disette étaient le partage de l'abbesse elle-même, et le mémoire déjà cité nous la peint dans l'impossibilité de poursuivre un grand nombre de ses revendications, faute de ressources pour payer les procureurs, rédiger les mémoires nécessaires, et faire agir les officiers de justice. Malgré cela Huguette de Chacy tranchait de la grande dame; |147 elle s'intitulait elle-même: “Noble dame, Madame Huguette de Chacy, humble abbesse de…”. Humble, elle l'était en effet, la pauvre! au moins par sa situation. Après quatorze ans d'un labeur continu, elle mourut au mois de mai 1450, et non pas après trois ans de prélature seulement, comme le disent les Bénédictins.
  • L'abbaye demeura vacante et comme abandonnée pendant six mois, après le décès d'Huguette de Chacy. Mais à la Toussaint de l'année 1450, Guillaume Chartier, évêque de Paris, tira de l'abbaye de Chelles une très ancienne religieuse, appelée par tous les chroniqueurs Guillemette le Camus, et la plaça à la tète de la maison d'Yerres 121). Le mémoire, si souvent cité, dit que Guillemette avait 80 ans lorsqu'elle prit la crosse. Ce n'est guère croyable, car l'abbatiat de cette nouvelle titulaire se prolongea durant près de 10 ans, et de plus cette abbesse fit preuve d'une activité peu compatible avec un âge aussi avancé. Contentons-nous d'observer que Guillemette était d'une maturité consommée, et par conséquent d'une prudence capable de faire contrepoids à l'activité fébrile de sa devancière.
  • À quelle famille appartenait l'élue de l'évêque de Paris? Il est difficile de le dire, car si les historiographes la nomment le Camus, avec l'intention évidente de la rattacher à la grande famille de ce nom, par contre tous les titres du monastère l'appellent invariablement la Camuse; et il est probable qu'elle dut son nom à son nez court, large et plat, bien plus qu'à la noblesse de son origine 122).
  • Quoi qu'il en soit, Guillemette n'arriva pas seule à l'abbaye; avec elle entrèrent sous le cloître deux autres religieuses. L'une appelée Ysabeau de Brindesalle et l'autre Lucienne de Voullac. Elles amenèrent aussi un chapelain pour dire la messe dans la chapelle, et dès lors le monastère reprit une apparence de vie de communauté. |148
  • Guillemette et ses compagnes venaient de rentrer à Yerres, lorsqu'un évènement, d'une certaine conséquence, pour leur maison, s'accomplit dans la paroisse. Par contrat du 2 mars 1452, Louis de Châtillon, fils de Jacques, vendit, pour 800 écus d'or, la terre et seigneurie d'Yerres à Dreux Budé, trésorier et garde des Chartes du roi de France.
  • Les Budé étaient probablement originaires du Hurepoix; ils exerçaient des charges à la cour dès le temps de Charles V. Au mois de septembre 1399, Charles VI, pendant un séjour à l'abbaye de Maubuisson près Pontoise, avait donné des Lettres d'anoblissement à deux frères: Guillaume et Jean Budé. Le premier était officier de bouche de la maison du roi, et le second notaire et secrétaire du prince. Selon toute vraisemblance, Dreux Budé était le fils aîné ou peut-être le petit-fils de Jean. Ses fonctions l'avaient mis à même de connaître la situation précaire et difficile des communautés religieuses; aussi le voit-on acheter, à vil prix, les biens des moniales obérées, et passer des contrats louches, notamment avec les Cisterciennes de l'abbaye de la Joie-Villiers, vers 1440, pour des terres situées dans les paroisses de Vert-le-Grand et de Leudeville. Dès qu'il est entré en jouissance de la seigneurie d'Yerres, Dreux Budé se met en rapport avec l'abbesse Guillemette; et celle-ci, par contrat du 27 avril 1454, lui loue, par bail emphytéotique de 99 ans, le moulin de Mazières, l'ancien prieuré de Saint-Nicolas, des prés, des buissons qui avoisinent l'abbaye, et font pour ainsi dire partie de l'enclos, où les bâtiments claustraux sont assis. De ce bail malencontreux sortira un siècle tout entier de procès, et des soucis continuels pour les abbesses jusqu'au milieu du XVIe siècle.
  • L'activité débordante d'Huguette de Chacy avait créé quelques ressources matérielles au couvent, et bien qu'on se plaigne toujours amèrement de la disette, de la pénurie et de l'extrême pauvreté, on vit néanmoins, et qui plus est, on poursuit avec ardeur les revendications entreprises précédemment.
  • Guillaume le Roy, curé de Lieusaint, est le grand adversaire des moniales. Il veut bon gré malgré les empêcher de prélever quoi que ce soit dans sa paroisse, où elles sont |149 grandes propriétaires. Pour atteindre ce but, il combattra 20 ans, fera faire enquêtes et contre-enquêtes, dans lesquelles on verra jusqu'à trente témoins, et finalement il sera condamné. Il a de parfaits imitateurs dans ses voisins, les deux curés de Brie-Comte-Robert, messires Jean Charron et Arnoul du Bac; ou plutôt ces deux personnages ne sont rien, ils ont loué leurs bénéfices à deux autres prêtres, Jean ltau et Jean Lefèvre, tous deux fermiers besogneux des cures qu'ils administrent; c'est pourquoi ils veulent garder toutes les dîmes de la paroisse. Mais une sentence prononcée le 29 août 1453, par Pierre de Buz, au nom du duc d'Orléans, comte de Brie, dont il est le prévôt, contraint les quatre prêtres à faire droit à Guillemette la Camuse.
  • Des difficultés analogues avaient lieu pour les dîmes de Puiselet, de Tremblay, de Villepinte et d'ailleurs. Il arrive cependant que l'abbesse trouve çà et là des situations moins épineuses. Elle peut louer sans opposition, les dîmes d'Évry, en 1454. À l'aide de son procureur, Henri Brochet, elle passe différents contrats plus ou moins heureux.
  • L'un de ceux-ci lui fut amèrement reproché. On le lui arracha, il est vrai, tout à fait à la fin de sa vie, et peut-être n'en était-elle guère responsable. Un certain Denis Robichon et Jeanne sa femme, venus de Blandy, louaient le 8 janvier 1459, par bail emphytéotique, tout ce que l'abbaye possédait à Moisenay, “terres, prez, bois, vignes, saussaies, cens, rentes, dîmes et tous autres droits”, pour la modique somme de 32 sols de rente annuelle. Ce contrat fut passé à Melun, par devant Pierre Gringault, notaire, et sanctionné par Jean Bras-de-Fer, prévôt de l'endroit, ainsi que par Pierre Pichon, prêtre, curé de Saint-Aspais, doyen de Melun et garde du scel de la prévôté.
  • Trente ans plus tard, quand on attaqua, avec raison croyons-nous, ce contrat, la veuve Robichon et ses deux fils, Denis et Jean, devenus riches, disaient bien, pour leur défense, que la ferme “était en si triste état de désolation et de ruine, par la fortune des guerres, qu'il leur avait fallu suer sang et eau, et dépenser des sommes considérables pour la remettre en état, et changer un désert en belles terres labourables”. |150 Était-il juste de les en dépouiller, alors que par leur travail et leur labeur, tout était en plein rapport? Ces raisons ne firent pas impression sur les magistrats, et le contrat fut cassé.
  • Au milieu des péripéties de son gouvernement, Guillemette était parvenue à remonter peu à peu sa communauté. Plusieurs jeunes filles étaient entrées à l'abbaye en même temps, et maintenant le monastère ressemblait déjà à un couvent. L'une d'elles fut élevée à la dignité de prieure; elle se nommait Agnès la Clémence, à cause de sa douceur sans doute, et son action bienfaisante se fit sentir à Yerres, pendant plus de dix ans. Un religieux Augustin servait d'aumônier ou de chapelain à cette petite communauté, qui réjouit par sa présence les derniers jours de l'abbesse Guillemette. Celle-ci, accablée par les ans, portait toujours le nom d'abbesse, mais n'en exerçait plus les fonctions. Dans un des nombreux incidents du procès Guillaume le Roy, le 28 février 1459, nous trouvons la maison d'Yerres représentée à Brie-Comte-Robert, par la prieure Agnès 123), sans qu'il soit question de l'abbesse. Guillemette vivait encore cependant, car elle ne s'éteignit que le 15 avril de la même année, après avoir porté la crosse plus de neuf ans.
  • Du petit groupe de religieuses entrées naguère sous le cloître, l'une devint abbesse parmi ses sœurs. Elle se nommait Marguerite d'Orouer, était originaire d'Ozouer-le-Voulgis, et devait arriver à une certaine célébrité. Qui lui mit la crosse en main? Fut-ce le choix ou le consentement tacite de ses sœurs, ou une autorité extérieure? On l'ignore; mais on est en droit d'affirmer que ce ne fut pas l'autorité ecclésiastique, car elle ignora toujours cette promotion, que la bénédiction épiscopale ne sanctionna jamais. D'ailleurs, Marguerite d'Orouer n'avait besoin du secours de personne pour occuper |151 la première place, elle était capable de s'y hisser d'elle-même.
  • Sa prélature à Yerres fut du reste assez éphémère; elle s'étendit de la mort de Guillemette le Camus, avril 1459, au mois de septembre 1460. Aucun des historiographes de l'abbaye n'a inscrit le nom de Marguerite, dans la liste des titulaires du couvent. Elle fut abbesse cependant, plusieurs pièces signées de son nom et de son titre existent dans les archives d'Yerres, où elle présida, pendant seize à dix-huit mois, un petit groupe de moniales, portant l'habit blanc des anciennes Bénédictines de la maison; la vie pauvre des nouvelles venues n'était pas trop dure, la règle pas trop sévère, les offices religieux pas trop multipliés ni trop fatigants, le silence souvent interrompu, la clôture et la stabilité, choses absolument inconnues; on vivait en communauté, voilà tout.
  • Marguerite eut à soutenir une des instances de l'interminable procès contre le curé de Lieusaint. Comme l'enquête n'était pas favorable à sa maison, l'abbesse et ses sœurs alléguèrent pour excuse, qu'elles étaient toutes nouvelles venues à l'abbaye, et qu'elles en ignoraient les charges. C'est un des seuls actes de gouvernement, où le nom de Marguerite d'Orouer se trouve directement mêlé. Elle avait bien été l'âme et l'inspiratrice du désastreux contrat Robichon, mais sans responsabilité directe.
  • Ce que nous venons de dire suffit pour éclairer les origines, assez mal connues jusqu'ici, de Marguerite d'Orouer. Cette entreprenante fille de la Brie, s'en alla porter la crosse à Gif; et le reste de sa vie comme son histoire appartiennent à cette maison 124).

Chapitre XIV. Jeanne de Rauville (1460-1487)

Origine et heureux commencements de Jeanne de Rauville. — Renvoi des religieux Augustins. — Gentilshommes pauvres. — Ferme de Sénart. — Baux emphytéotiques. — Mesnil-Racoin. — Cantien Beaujon. — Procès. — La cure de Villiers en Beauce. — Jean Budé. — Prétentions sur Gif et Saint-Remy de Senlis. — Isabelle de Brindesalle. — Ses engagements en se rendant à Senlis. — Indigne conduite de Jeanne de Rauville. — Elle est chassée d'Yerres. — Sa retraite au Mesnil-Racoin. — Sa mort. — Sa sépulture. — Les enquêtes.

  • Ce fut aussi une Briarde qui prit la place laissée vacante à Yerres par Marguerite d'Orouer. Jeanne de Rauville était originaire des environs de Meaux. Elle était fille de Jean de Rauville et d'Étiennette la Tilliarde. Celle-ci, devenue veuve, vint vivre avec sa fille à l'abbaye, où elle mourut dans un âge très avancé, un peu avant 1480. Outre l'abbesse, Étiennette avait une autre fille, nommée Jeanne comme sa sœur. Mariée à un gentilhomme, appelé Simon de Mortefontaine ou Morfontaine, la seconde Jeanne eut une fille, Catherine de Mortefontaine, qui, toute jeune, fut placée sous la direction de sa tante l'abbesse à Yerres; elle s'y fit religieuse, et elle y fut bientôt rejointe par sa mère devenue veuve à son tour. La veuve Mortefontaine, par un contrat passé à l'abbaye, donna, à sa fille et à sa sœur, tous les biens venus de la succession de leur mère Étiennette. Et comme l'abbesse avait déjà hérité de la succession de son père, elle se trouva pourvue d'un avoir assez notable.
  • Avant d'être titulaire à Yerres, Jeanne de Rauville avait |153 déjà été, pendant plusieurs années, abbesse à Gif 125), où elle nous était apparue sous un jour assez favorable. Comment Marguerite d'Orouer et Jeanne de Rauville échangèrent-elles leurs crosses? Quelle raison, ou quelle révolution intérieure amena cette permutation? Il nous a été impossible de le découvrir. Ce secret, Jeanne ne le confiait pas même à ses supérieurs ecclésiastiques; et à ceux qui lui demandaient des explications sur ce sujet, elle répondait fièrement, qu'elle était abbesse d'Yerres “par la permission de Dieu”; elle invoquait parfois cette céleste origine dans les actes de son gouvernement: “Jeanne de Rauville, par la permission divine, humble abbesse de l'abbaye de Notre-Dame d'Yerres”, lisons-nous dans plusieurs contrats de 1461 et 1462.
  • Les premières mesures prises par elle étaient propres à lui concilier l'estime de ses contemporaines et les louanges de la postérité. À son arrivée à Yerres, tout était en ruines: Nihil integrum reperit, comme parle un document de l'époque. Elle vendit une maison qu'elle possédait à Paris, une autre à Saint-Fiacre, et une rente de blé à Trilpart-en-Brie, pour faire réparer son monastère. L'église abbatiale fut recouverte afin qu'on y put décemment célébrer le culte; le cloître et les lieux réguliers, où devait s'écouler la vie de ses compagnes, furent nettoyés et consolidés, car ils menaçaient ruine 126). Agnès la Clémence conserve le titre et les fonctions de prieure; c'est d'ailleurs l'ange tutélaire et le bon génie de la maison; tant qu'elle y demeurera, les secousses violentes seront amorties, et les éclats malfaisants de la colère de Jeanne seront évités. De jeunes recrues, attirées par le bon renom de la nouvelle abbesse, viennent au cloître; Jeanne Lempereur, de Brunoy; Jeanne Godin ; Marie Charlet demandent à se faire Bénédictines. Conformément à des règlements épiscopaux récemment édictés, une distinction est établie entre les novices et les religieuses professes. Jeanne règle même que désormais on passera neuf mois à la maison, avant de faire partie de la communauté. Enfin pour compléter ces sages |154 mesures et ressusciter les bonnes traditions, un homme grave est placé à la tête du personnel domestique, avec le titre de frère de l'abbaye.
  • Cependant Jeanne de Rauville ne s'entendit pas longtemps avec les religieux Augustins chapelains de sa maison; elle les remplaça par Henri Charton, curé de Champigny, qui vint demeurer à l'abbaye, y passa six ans, et fut remplacé par Pierre Morel, vicaire de Brunoy, à qui son activité permit de faire le service religieux du monastère.
  • Régler l'intérieur de sa maison n'était pas tout; l'abbesse dut s'occuper aussi du domaine abbatial; il réclamait un soin particulier et des mesures urgentes. Pour s'aider dans cette œuvre, elle fit choix d'un gentilhomme, appauvri par la guerre, nommé Fouquet de Puille, écuyer et seigneur de Sernoy, qui devint son procureur. Les rapports de ce personnage et de Jeanne de Rauville sont demeurés louches, et malgré quelques services rendus à la communauté, ce Fouquet n'y fit point une œuvre louable sans restriction.
  • Les guerres du XVe siècle avaient réduit à la misère un grand nombre de familles nobles. Les fils de ces familles s'étaient réfugiés dans le noble métier de laboureur, et recherchaient de préférence les terres monastiques, car il faisait meilleur vivre sous la crosse que partout ailleurs. De ce nombre étaient les de Boncourt, les de Hangest, les Présent de Monbelin, venus des confins de la Picardie. Tous ces nobles ruinés s'agitaient autour de Jeanne de Rauville, qui débuta par faire avec eux des contrats assez sages.
  • Les de Boncourt, établis d'abord à Tillery, avaient loué la ferme de Sénart dès 1462. En 1465, nouveau bail de la même terre, pour neuf ans; mais cette fois, c'est une association qui loue la ferme; on y voit figurer Antoine de Boncourt et ses frères, Jean Rose et Gervaise de Hangest, qui signe Hanguet. Rose, on ne sait pourquoi, cède au bout de peu de temps, son droit au sieur Présent de Monbelin. Celui-ci avait occupé un emploi assez mal défini à l'abbaye. Le malheureux Boncourt avait eu confiance en l'abbesse, s'était fié à sa parole et n'avait tiré d'elle aucune écriture. Il s'était engagé, il est vrai, “à réparer l'ostel et grange de Sénart”, |155 jusqu'à concurrence de 20 livres tournois; “les guerres de Brie” l'ont empêché de mettre son projet à exécution, mais il a bien cultivé la terre, et elle est en plein rapport. Sur ces entrefaites. Présent de Monbelin profite de son intimité avec Jeanne de Rauville, pour la pousser à chasser de Boncourt, sous prétexte qu'il n'a pas fait les réparations; en réalité pour s'y installer lui-même avec ses amis. L'abbesse qui, l'année précédente, avait substitué à son bail de neuf ans un bail emphytéotique de trois vies en faveur de l'association Boncourt-Rose-de-Hangest, cède à des conseils perfides et veut chasser Antoine de Boncourt. Mais, nouvelle complication, Présent de Monbelin, cet ami trop intime, se brouille avec l'abbesse et, pour l'importuner, trouve moyen de se substituer à Rose et à de Hangest, dans la jouissance de Sénart, si voisine de l'abbaye.
  • Cet arrangement déchaîne la fureur de Jeanne de Rauville, qui nous laisse voir pour la première fois la violence de son caractère. Elle jure “qu'elle ferait plutôt dépendre le clocher de l'église abbatiale, pour s'y pendre, que de laisser le sieur de Monbelin jouir de la terre de Sénart.” Et de plus, elle veut maintenant en chasser aussi bien les Boncourt que Monbelin redevenus alliés, pour conserver leur jouissance. On en appela à la justice; bientôt deux ou trois degrés de juridiction furent franchis, et la cause fut portée jusqu'au tribunal de Louis XI. Le roi aimait les gentilshommes, il maintint de Boncourt et consors dans la ferme, à condition d'y faire les réparations consenties. Ce n'était sans doute là qu'une décision provisoire, car le 28 mars 1468, un arrêt rendu par Girard le Coq, juge délégué à cet effet, condamna Antoine de Boncourt et Monbelin à quitter la ferme de Sénart, et en rendit la disposition à l'abbesse.
  • Cette escarmouche ne brouilla pourtant pas irrémédiablement Jeanne de Rauville et les frères de Boncourt. Ceux-ci au contraire rentrèrent dans les bonnes grâces de l'abbesse, s'installèrent dans la ferme de l'abbaye, s'y marièrent et y rétablirent leur fortune.
  • Malgré le peu de succès de son contrat de Sénart, Jeanne de Rauville a trouvé là sa voie; elle est née pour le bail emphytéotique: |156 aussi toutes les terres et possessions de l'abbaye y passent successivement.
  • Lieusaint, délaissé en 1469 par Simon de Beaucroix, est loué aussitôt pour 90 ans à Geffroy Barbette, qui n'y fit pas fortune sans doute, car Jean le Goëtre, laboureur, en obtint contrat en juillet 1481. — Carbouville en Beauce est loué le 31 août 1470 à Jean Baillart pour 97 ans; — et les terres de Jodenville et d'Hermeville baillées dans les mêmes conditions le 23 septembre 1473. — Un an plus tard. Tremblay est loué à Morice Guesdon pour trois vies. — Enfin le 21 novembre 1479, Jehan le Normant et sa femme Tifferme achètent de Jeanne de Rauville tout ce que l'abbaye possède à Plessis-les-Nonnains. — Ces divers contrats nous montrent aux côtés de l'abbesse un nouveau gentilhomme malheureux, Pierre de Ruymond, fort avant dans ses bonnes grâces, puisqu'il lui sert de procureur à défaut de Fouquet de Puille.
  • Ce ne furent pas seulement les terres et immeubles qui furent donnés par baux emphytéotiques, mais aussi les dîmes et les rentes que possédait encore çà et là l'abbaye. Tout le domaine disponible et libre y passa.
  • Une exception cependant eut lieu en faveur de la terre du Mesnil-Racoin. Jeanne de Rauville s'y ménagea un petit pied-à-terre, où pour sa honte et son déshonneur, elle vint trop fréquemment. Elle y fit la rencontre d'un médecin, dont la clientèle n'était sans doute pas bien occupante dans ce désert. Cantien Beaujon était un peu barbier, un peu dentiste, un peu devin, un peu médecin ou praticien et pardessus tout bellâtre. Comment Jeanne de Rauville se l'attacha-t-elle? L'histoire ne le dit pas; mais oublieuse avec lui de sa dignité, de sa situation, de sa profession, de ses vœux, maintes fois elle lui accorda ses faveurs, et ne lui fut jamais cruelle!
  • Après ses honteux séjours au Mesnil, elle rentrait à l'abbaye mécontente d'elle-même et des autres, s'en prenait à tous, s'irritait, menaçait et rendait à chacun la vie intolérable.
  • Quand sa colère s'en prenait aux gens du dehors, elle se traduisait en procès, et pendant qu'elle était préoccupée de ses luttes, son entourage avait un instant de répit. Que de procès n'eut-elle pas, plus ou moins justifiés ! Procès à Yerres, |157 avec Ruffin, curé de la paroisse, au sujet des dîmes, dès le 9 février 1461; — procès avec Jean Georges, successeur de Ruffin; — procès avec Ferret, vicaire à Yerres en 1468; — procès avec Pierre Morel qui, de l'abbaye, était passé au vicariat de la paroisse, après avoir exercé le ministère à Brunoy; — procès avec le curé d'Eaudeville en Beauce; — avec le prieur de Saint-Nicolas de Senlis, à cause des dîmes de Drancy; — procès avec Colin Coquillon, avec Michel James, et tant d'autres!
  • Ni la dignité, ni l'autorité de ses adversaires ne l'arrêtèrent. À la Toussaint de 1469, Jean Paradis, curé de Tilliers en Beauce, vient à mourir. Aussitôt Jeanne de Rauville, désireuse de placer son chapelain, Henri Charton, le nomme à cette cure. Mais Louis de Melun, archevêque de Sens, refuse de ratifier cette nomination; il trouve les droits invoqués par l'abbesse un peu surannés, et y nomme un autre prêtre. On allait s'engager dans un grand procès: heureusement Agnès la Clémence est encore à l'abbaye: au mois de mars 1470, accompagnée de Pierre de Ruymond et de Jean Raoulin, curé de Curgey, la bienfaisante prieure s'en va à Sens, plaide la cause de son abbesse, démontre que Mornay, Guillaume Enquetin et Guy Bonart, les trois derniers curés de Villiers, n'ont été que les simples chapelains de “Révérende Mère en Dieu Jeanne de Rauville, humble abbesse de Notre-Dame d' Yerres”. L'archevêque, qui n'avait pas de parti pris dans cette affaire, se laissa convaincre et accorda une transaction en faveur d'Henri Charton.
  • Cependant parmi les antagonistes de l'irritable abbesse, il s'en rencontra un avec lequel elle n'osa pas engager les hostilités. Jean Budé, IIe du nom, avait succédé à Dreux Budé son père, dans la seigneurie d'Yerres. Le seigneur et le couvent avaient beaucoup d'intérêts communs. Un jour, au sujet d'un bail du moulin, l'abbesse et Jean Budé se rencontrèrent, se regardèrent l'un l'autre; ils prirent réciproquement leur mesure, et évitèrent toujours dans la suite de s'attaquer.
  • Ce fut surtout avec les religieuses, ses sœurs, que les luttes de Jeanne de Rauville devinrent épiques. On a vu les prétentions de l'abbaye d'Yerres sur d'autres monastères, |158 réveillées au XVe siècle. Dans un mémoire, fort bien fait d'ailleurs et daté de 1467, l'orgueilleuse Jeanne dit tout droit qu'elle a trois prieurés sous sa direction: 1° celui de Pommeraie en Yveline; — 2° celui de Gif en Beauce; — et 3° celui de Saint-Remy de Senlis. Ainsi pour elle, ces deux dernières maisons ne sont plus des abbayes, mais de simples prieurés dans sa dépendance.
  • L'histoire ne nous a pas dit si l'abbaye d'Yerres avait conservé quelques religieuses à la Pommeraie, possession de nos moniales dès le XIIe siècle. Nous en doutons fort. — Quant au prieuré de Gif, on sait à quoi s'en tenir. Ni dans les archives de Gif, ni dans celles d'Yerres d'ailleurs, il n'existe une trace quelconque des efforts tentés par Jeanne de Rauville, pour y entremettre son autorité, une fois qu'elle eût quitté les bords de l'Yvette. Il suffit du reste de se souvenir que Marguerite d'Orouer, digne émule de Jeanne, régnait là en souveraine bien, plutôt qu'en abbesse, et qu'elle n'était pas d'humeur à incliner sa crosse devant celle de l'envahissante Jeanne de Rauville. Malgré cela des historiens mal informés, ont retardé jusqu'à cette époque la séparation des biens entre les deux abbayes, quand il est constant que cette séparation fut consommée dès la fin du XIIe siècle.
  • Pour Saint-Remy de Senlis, voici quel était l'état de la question. L'évêque Pierre avait bien donné le couvent de sa ville épiscopale à l'abbesse Hildearde, pour en faire sa propriété. Mais le pape, dans la bulle de confirmation, y avait introduit une modification importante, et n'avait imposé là comme ailleurs, que la seule obligation, pour les sœurs de Senlis, de prendre leur supérieure à Yerres, lorsqu'elles ne pourraient s'entendre pour en élire une de leur propre cloître. C'était par le fait même reconnaître à Saint-Remy le droit de choisir son abbesse.
  • La condition imposée n'était pas trop onéreuse; elle ne constituait qu'une dépendance très large, et un droit simplement honorifique pour la communauté d'Yerres. En fait les choses avaient marché sans difficulté depuis près de quatre siècles. Une seule fois ce semble, Senlis demanda une abbesse à Yerres: nous l'avons dit plus haut, ce fut au commencement |159 du XIIIe siècle; une lettre de Guérin, évêque de cette ville, l'affirme sans mentionner aucune discussion. En 1446, Huguette de Chacy a fait une démarche pour se faire attribuer la nomination de la titulaire de Saint-Remy; en 1450, il y avait eu une action judiciaire, mais les religieuses de Senlis avaient trouvé d'ardents défenseurs dans les chanoines de Saint-Rieul, leurs voisins.
  • Jeanne de Rauville ne devait pas manquer une si belle occasion de signaler son zèle. Le 14 juin 1467 elle apprend la mort de Jeanne de Hermanville ou Hallenville, abbesse de Saint-Remy. Aussitôt, sans autre forme de procès, elle y nomme, de sa propre autorité, Isabelle de Brindesalle, l'une de ses sœurs, que nous avons déjà rencontrée sous le cloître d'Yerres. Elle lui confère immédiatement tous les pouvoirs et tous les titres pour administrer Saint-Remy, sans avoir l'air de se douter, que les moniales du lieu pouvaient bien avoir aussi quelques droits. Cette nomination fut très solennelle. Faite en plein chapitre, en présence des moniales, de Pierre de Ruymond, maître ès arts, l'indispensable procureur, de Louis Labelle, de Pierre Milet et de Henri Charton, prêtres, appelés au milieu des nonnes pour la circonstance.
  • Les choses allaient bien jusque-là; mais il fallait arriver à Senlis. Isabelle partit, accompagnée de deux autres moniales, de Louis Labelle son procureur et de quelques serviteurs. Arrivée à la porte de l'abbaye de Saint-Remy, elle déclina ses titres et voulut prendre possession; mais les religieuses, soutenues par les chanoines de Saint-Rieul, l'éconduisirent, et toute la caravane, un peu confuse, se vit contrainte de revenir à Yerres.
  • Colère de Jeanne de Rauville; elle intente aussitôt un procès, qui est bientôt porté jusqu'au roi. Dès le 20 juillet, Louis XI donne une lettre sur la matière; le 29, il y a saisie de tous les biens appartenant à Saint-Remy. L'année suivante, 30 juillet 1468, sentence des requêtes du Palais, qui ordonne des enquêtes, des écritures, des citations, des productions, des appointements; puis viennent les contre-enquêtes, les témoignages, les dits et contredits…., en un mot “tous les membres du procès” que les huissiers, sergents, appariteurs, |460 enquêteurs, procureurs, tabellions, commissaires, notaires, greffiers, juges nourrissent et grossissent tour à tour, en vidant à qui mieux mieux la bourse des parties. Çela dura trois ans. Le 22 novembre 1471, nouvelle sentence des requêtes du Palais, ordonnant une enquête qui tourne contre les chanoines de Saint-Rieul. Néanmoins il faut encore attendre deux ans, après quoi Louis XI déboute les chanoines d'un nouvel appel, sur le visa d'une lettre d'Alexandre III (1168), — Jeanne de Rauville s'étant bien gardée d'exhiber celle du pape Eugène III (1147), qu'elle possédait cependant. — Toutefois il fallut encore six mois pour arriver à une conclusion définitive. Isabelle de Brindesalle fut nommée de nouveau à Yerres, avec la même solennité que précédemment. Avant son départ, Jeanne de Rauville lui fait souscrire une pièce qu'elle devra lire en arrivant à Senlis. Elle y confesse qu'elle est professe d'Yerres, et s'engage: 1° à porter obéissance toute sa vie à ce monastère; — 2° à regarder cette abbaye comme sa mère; — 3° à défendre partout ses droits et privilèges; — 4° à n'aliéner aucun des revenus de Saint-Remy; — 5° à ne recevoir aucune moniale à profession, sans l'assentiment de l'abbesse d'Yerres; — 6° enfin, elle promet de garder toujours ces sentiments.
  • Ces engagements signés, Isabelle partit de nouveau pour Senlis, où les religieuses, contraintes et forcées, dans un simulacre d'élection, la choisirent pour abbesse; et elle put s'installer. Le premier acte de cette inique usurpation était joué. Moyennant ce sacrifice, Saint-Remy de Senlis obtint 20 ou 22 ans de paix.
  • Dure et impitoyable aux Bénédictines du dehors, Jeanne de Rauville était bien réellement intolérable pour ses sœurs, pour ses propres filles d'Yerres. Nous avons dit ses fréquentes absences de l'abbaye. Lorsqu'elle y rentrait, c'était toujours pour quereller et blesser par des monitions souvent aussi injustes qu'intempestives. Elle y était encore excitée par les rapports de ses procureurs, Pierre de Ruymond surtout, et aussi par ceux de Freminet Varin, dit Freminot, homme a tout faire, âme damnée de l'abbesse. Pour ces deux prudhommes, que nous retrouverons tout à l'heure dans une autre |161 posture, tout va mal quand Madame l'abbesse n'est pas là; les jeunes moniales sont dissipées, elles n'ont pas assez d'austérité, de vertu, ni surtout d'ordre et d'économie. De là des reproches acerbes, des mesures sévères, et même des exclusions prononcées en dehors et contre la règle de Saint-Benoît. Tant qu'Agnès la Clémence fut présente, c'est-à-dire jusqu'à la fin de 1470, elle servit, sinon à parer, du moins à amortir les coups. Après son départ, les emportements de Jeanne de Rauville deviennent plus violents, et surtout plus fréquents. Malgré leur terreur, les moniales murmurent et parviennent à faire arriver leur plainte au pouvoir ecclésiastique, qui délègue, le 22 novembre 1485, un visiteur, pour prendre connaissance de la situation. Cette mesure achève d'exaspérer l'abbesse, qui perd désormais toute retenue.
  • Depuis plus de 25 ans elle gouverne d'une façon tyrannique, et la voilà qui sent le commandement lui échapper; or, pas plus que les individus, les pouvoirs qui finissent, n'échappent à l'hallucination et au délire. Ce fut le cas de Jeanne de Rauville. Dans sa fureur contre ses malheureuses sœurs, ne s'avise-t-elle pas de faire venir un soir à l'abbaye, le capitaine de la maréchaussée de Corbeil. Elle rassemble de nuit ses religieuses à la chapelle, fait éteindre toutes les lumières, sonner à toutes volées la cloche du monastère, ordonne, sous le précepte d'obéissance, aux infortunées moniales de relever leurs jupes, introduit le soudard qui les fouette énergiquement, malgré leurs cris d'épouvante. Pendant ce temps-là l'abbesse, montée sur les degrés de l'autel, criait à pleins poumons, qu'elle les excommuniait toutes, et que toutes étaient damnées.
  • C'en était trop. Le pouvoir ecclésiastique ne fut pas seul à se préoccuper des faits et gestes de Jeanne de Rauville, la puissance civile intervint. Au cours de l'année 1487, trois conseillers au Parlement: Jean Anceil, Martin de Bellefaye et Girard Séguier vinrent faire une enquête; ils constatèrent que le tyran halluciné qui portait la crosse à Yerres laissait mourir de faim ses sœurs en religion, qu'elle dilapidait la fortune monastique et laissait tout aller en ruines. Jeanne de Rauville fut chassée de l'abbaye, après y avoir fait le mal pendant plus de 27 ans. |162
  • En partant, il lui restait un dernier crime à commettre: celui d'être faussaire et voleuse; elle mit tout en œuvre pour l'accomplir. Cette femme, dont la brouillonne activité passa pour zèle aux yeux de quelques-uns, avait dissipé presque tous les biens de sa maison, en passant des baux à longs termes, qui n'étaient souvent autre chose que des ventes déguisées. Toutefois il demeurait çà et là quelques possessions, épargnées on ne sait trop pourquoi: ici, des lambeaux de terre, là des dîmes, ailleurs des rentes et des redevances. Pour s'emparer de tout cela, avant de quitter l'abbaye, elle prit un grand nombre de feuilles de parchemin, se munit du sceau abbatial, toujours à sa disposition, scella toutes ces feuilles en blanc, puis partit, accompagnée de l'indispensable Fréminot Varin, de Ruymond et d'une femme, qu'on peut bien, sans manquer au respect ni à la vérité, nommer une soubrette.
  • Ces quatre personnages se mirent en rapport avec tous les tenanciers et gens capables de profiter d'un contrat malhonnête. Fréminot entamait la négociation, Jeanne de Rauville la concluait, touchait le pot-de-vin, et la soubrette écrivait le bail, moyennant une redevance insignifiante. Elle se rendit ainsi par deux fois à Carbouville, et vendit les biens de l'abbaye, pour la dixième, d'autres témoins disent pour la cinquantième partie de leur valeur.
  • Jeanne de Rauville, chassée de l'abbaye, choisit la terre de Mesnil-Racoin, pour y vivre avec ses compagnons, auprès de son fidèle médecin Cantien Beaujon. Elle y traîna une misérable vie, pendant six ou sept ans, se qualifiant toujours Abbesse d'Yerres. Durant ce temps, sa compagne recevait de soldats, répandus dans ces contrées, des visites qui n'avaient rien de platonique, sous les yeux de l'ex-abbesse; elle-même était en rapport avec des gens fort suspects, et Fréminot s'agitait dans ce milieu, qu'il est permis sans exagération de nommer interlope. Jeanne de Rauville mourut au Mesnil-Racoin, en 1494 ou 1495, dans la chambre attenant à la chapelle, et après son décès, son corps, en considération de son ancienne dignité, fut porté dans l'église de Villeneuve-sur-Auvers, où il fut enterré.
  • Aussitôt après sa sépulture, les enquêtes à son sujet commencèrent. |163 Cantien Beaujon, le médecin fut interrogé; mais lié par le secret professionnel, et par un autre aussi, froid et tranchant comme son scalpel, il répond: qu'il a connu Jeanne de Rauville dans sa prime jeunesse, qu'elle est morte au Mesnil, dans la chambre indiquée tout à l'heure, et qu'elle a été enterrée dans l'église de Villeneuve. C'est tout.
  • Cantien a un frère, appelé Denis Beaujon, laboureur, âgé de 67 ans et paysan retors, mais un peu plus loquace que son aîné le praticien. Écoutons sa déposition en langue du XVe siècle.
  • Lui aussi a connu Jeanne de Rouville, abbesse d'Yerres, morte dans……, enterrée à….. “et feut la dite Jehanne mise au Ménil, après qu'elle eut résiné son abbaye de Notre-Dame d'Herres à seur Jehanne Allegrainne, pour autant qu'elle estoit mauvaise ménagière; elle fut contrainte à la dite résination; — et baillait et faisait plusieurs baulx de fermes à non prix, et ne lui chaillait, mais qu'elle peut avoir argent.” — Et dit le dit déposant: “qu'il a veu la ditte abbesse jusques à la mort, qu'elle estoit de mauvais governement, et n'avoit bon gré de son état de relligion, et entoit aucunes gens d'église, de quoi on parloit bien fort de son honneur. — Et mesmement qu'elle avoit avec elle une fille de mauvais gouvernement, et vindrent par plusieurs moys, en fait d'armes, aucunes gens pour advoir la ditte fille, qui demeuroit avecques la ditte Rouville, qui étoit une paillarde. — La ditte Rouville faisoit bonne chière et beaucoup de cas qui ne valloit rien.”
  • Une autre enquête faite à l'abbaye constate que Jeanne de Rauville “battoit les religieuses, les excommunioit à cloches sonnantes, chandelles éteintes, leur soustrayoit leurs vivres, et leur faisoit des maux innombrables.”
  • Telle était cette femme: méchante, cupide, vindicative, orgueilleuse, religieuse sans vocation, abbesse sans honnêteté, dissolue sans amour, le fléau de son monastère, qu'elle faillit ruiner, et la honte de l'habit monastique qu'elle portait. Il s'est trouvé au XVIIIe siècle de maladroits panégyristes, qui se sont efforcés de la réhabiliter. Dans ce but, ils ont détruit une grande partie des dossiers accusateurs, mais ils ne se |164 sont pas aperçus qu'il en restait assez pour reconstituer sa vie, redire son œuvre néfaste, et la clouer au pilori de l'histoire, où elle a mérité d'être attachée.
  • Prenons garde cependant d'être plus frappés, comme il arrive souvent, du mal que du bien; plus empressés à condamner les fautes de celle qui manqua à tous ses devoirs, qu'à rappeler les vertus de tant d'autres, qui, dans le passé de l'abbaye, et dans la suite de son histoire, demeurèrent fidèles à la pratique du bien, porté jusqu'au degré héroïque. Jeanne de Rauville, dans la longue liste des abbesses d'Yerres, fut seule de son espèce. Les annales de l'abbaye nous en fournissent la preuve pour les quatre siècles écoulés; leur lecture le manifestera également par ce qui nous reste à raconter.

Chapitre XV. Jeanne Allegrin (1488-1513), Guillemette Allegrin (1513-1516).

Le Pape nomme une abbesse. — Famille et antécédents de Jeanne Allegrin. — Rescision des baux emphytéotiques, — Nombre et noms des moniales en 1494. — La Chèvecerie. — Lutte avec Dreux Budé. — Les dîmes des paroisses. — Les droits de justice. — Prétentions sur Gif et Saint-Remy de Senlis. — Le monastère est restauré. — La prière et les offices. — Nouvelles aumônes. — Dernières années de Jeanne Allegrin. — Sa mort. — Élection de Guillemette Allegrin, — la dîme, son impopularité. — Étienne Poncher et la réforme. — Difficultés à cette occasion. — Guillemette Allegrin donne sa démission. — Elle devient abbesse triennale de Malnoue.

  • L'émotion produite à l'abbaye par le départ de Jeanne de Rauville empêcha-t-elle les moniales d'Yerres de s'entendre pour le choix d'une nouvelle abbesse? ou bien ne leur en laissa-t-on pas la liberté? L'histoire ne le dit pas. Le choix de la nouvelle supérieure fut fait, disent les annales monastiques, par le Souverain Pontife. Il tomba sur Jeanne Allegrin, religieuse de Saint-Antoine-des-Champs, à Paris, et faisant partie de l'ordre de Cîteaux.
  • Par son origine et sa constitution primitive, l'abbaye d'Yerres se rattachait de bien près à la grande famille de saint Bernard; mais nos moniales s'étaient réclamées avec une persistance quatre fois séculaire du nom de Bénédictines. Elles portaient néanmoins l'habit blanc, en sorte que Jeanne Allegrin n'eut pas besoin de modifier son costume en montant dans la chaire abbatiale. Cependant ce fut toujours une chose |166 délicate de placer, à la tête d'une abbaye, une religieuse élevée dans une observance différente de celle qu'elle devra faire pratiquer. Et la nouvelle supérieure d'Yerres ressentit à plusieurs reprises les inconvénients de sa situation; car jamais elle ne fut entièrement sympathique aux anciennes moniales, devenues ses compagnes et ses filles.
  • Jeanne Allegrin sortait d'une vieille famille parisienne de bourgeoisie parlementaire. Dès le XIVe siècle, les Allegrin avaient des possessions à Gonesse; au XVe , ils sont grands propriétaires à Combs-la-Ville, à Brie-Comte-Robert et dans les environs. En 1490, l'un d'eux, Simon Allegrin, est seigneur d'Ablon; il le deviendra bientôt de Fontenay-les-Briis 127).
  • Jeanne prit possession de l'abbaye en janvier 1488, et le 18 février suivant, elle promit obéissance à Louis de Beaumont, évêque de Paris. Sitôt qu'elle fut en charge, elle attira auprès d'elle plusieurs membres de sa famille: Guillemette, sa sœur, ce qui était tout naturel, car celle-ci deviendra moniale; Guillaume, Simon et Michel Allegrin 128), ce qui était plus délicat. Cependant la situation de la maison légitimait, en quelque sorte, la présence de ces éléments étrangers.
  • Tout le domaine utile de l'abbaye était aliéné. Les Allegrin étaient gens de robe, ils n'eurent guère de peine à démêler la supercherie de tous les contrats signés in extremis par Jeanne de Rauville; et les revendications commencèrent immédiatement. Elles avaient plusieurs côtés fâcheux: d'abord il fallait engager des procès coûteux, longs et toujours impopulaires; de plus les débiteurs s'efforçaient sans cesse d'en appeler à la bonne foi des moniales. Les fermiers attaqués ne manquaient pas de dire qu'ils avaient signé leur bail, dix, quinze, vingt ans auparavant, alors que les terres étaient dans un état lamentable et de nulle valeur; maintenant qu'ils s'étaient dépensés à les améliorer, qu'ils avaient travaillé à les rendre productives, les religieuses allaient-elles les dépouiller du fruit de leurs peines et de leurs travaux? et si on voulait à |167 toutes forces que le contrat fut vicié à son origine, n'avait-il as pris, par le temps écoulé, par les sueurs versées, et malgré le texte des lois, une valeur réelle, appréciable et surtout profitable, aussi bien aux moniales qu'aux fermiers eux-mêmes?
  • Jeanne Allegrin, en face de ces raisons, pour la tranquillité de sa conscience, et aussi pour diminuer l'odieux des mesures qu'elle jugeait indispensables de prendre, demanda et obtint, du pape Innocent VIII, une bulle l'autorisant à poursuivre la rescision de tous les baux à longs termes, passés par ses devancières. Ensuite, aidée de Guillaume et surtout de Simon Allegrin, agissant comme procureurs du monastère 129), elle entra en rapport avec tous les tenanciers du domaine utile de sa maison.
  • Souvent il lui fallut lutter avec âpreté contre des fermiers récalcitrants, mais parfois aussi elle en rencontra qui se prêtèrent volontiers à des transactions honorables pour les deux parties.
  • Les dîmes de Drancy avaient passé par plusieurs mains depuis quinze ans: Simon Coquillon, Colin Baudin et Jean le Maire les avaient louées successivement. Girard de la Rue, hôtelier au Bourget, en avait obtenu récemment un long bail, mais il y renonça moyennant certaines concessions, et on les lui laissa pour trois ans, à partir du 1er janvier 1489; il n'en jouit pas, ou y renonça, car six mois plus tard, elles étaient données à Robin Cormère et à Guillaume le Maire, pour passer plus tard aux mains d'une association de laboureurs. La chose était d'importance, car ces dîmes rapportaient 9 muids et 11 setiers de blé, dont une part était réclamée par le sieur Limoges, curé de Drancy en 1498.
  • La ferme de Sénart, dont il a été question plus haut, est l'objet d'un litige assez pénible et très confus. Au moment où Jeanne de Rauville cherchait des gens de bonne volonté pour ses entreprises, elle rencontra les de Hangest. Ceux-ci occupaient la ferme depuis les anciens démêlés de 1468. Ils s'y |168 étaient bien installés, y avaient bâti une véritable maison de plaisance, sorte de gentilhommière du XVe siècle. Désireux de n'être pas troublés dans leur sécurité, ils s'étaient prêtés aux fantaisies administratives de Jeanne de Rauville, lors de sa déposition, et le fameux Fréminot leur avait rédigé, moyennant finances, un bail de 99 ans, en bonne et due forme, et en l'antidatant. Simon Allegrin n'eut point de peine à découvrir la supercherie, et après des débats longs et coûteux, Gervais de Hangest consentit à une transaction. Il fut indemnisé des frais de construction et de certaines autres améliorations faites dans la ferme, qu'il quitta pour vivre en rentier dans le pays, sous les noms de Hanguet et de Holquet, sans particule, et bientôt sous le surnom de Petit homme.
  • Jeanne Allegrin redevient ainsi peu à peu maîtresse de toutes les possessions de l'abbaye. La terre de Tremblay est louée par elle à Jean Hesdin le 26 août 1489, et le 4 juin 1494 à Pierre Tilloust le Jeune, pour le prix annuel de 18 setiers de froment. — Celle de Carbouville à Simon d'Allonville, un de ces gentilshommes pauvres devenus laboureurs. — Celle de Lieusaint à Jean le Goistre, le 7 septembre 1491, pour 4 muids de blé et un pourceau gras, estimé 48 sous. Le mois suivant, 4 octobre 1491, ce bail fut fait de nouveau, au nom de Simon Garnat. En même temps les dîmes de la paroisse, données par Jeanne de Rauville, à un nommé Barbette pour 120 ans, furent recouvrées et louées à divers particuliers par des baux à courts termes.
  • Un de ces contrats est particulièrement intéressant par les détails qu'il renferme. La ferme des Godeaux, voisine de l'abbaye, avait été louée comme tout le reste par bail emphytéotique à Louis Gendiet. Celui-ci vit son contrat rescindé et eut pour successeur Pierre Richer, qui réclama des travaux de maçonnerie indispensables, disait-il, pour l'exploitation de la terre. Comme l'abbaye n'avait pas de ressources, elle emprunta 200 livres à Thomas Decueilly, apothicaire à Paris, par acte du 6 juillet 1494. Le prêt était fait moyennant 20 livres tournois de rente, rachetable dans six ans, ce qui portait l'intérêt à 10 p. 100. Mais les moniales, trouvant cet emprunt trop onéreux, se libèrent, dès le 25 juillet 1497, par |169 la main de leur procureur Simon Allegrin, qualifié maintenant seigneur de Fontenay-les-Briis. Grâce à une sage administration, la prospérité rentrait donc au monastère.
  • L'acte de juillet 1494 contient également une indication fort importante. Il nous apprend que Jeanne Allegrin ne se laissait pas absorber par le côté matériel de sa charge, et qu'elle en soignait assidûment la partie religieuse et morale, notamment le recrutement de sa communauté. Malgré son peu de ressources, le nombre de ses sœurs s'est considérablement accru. Elles sont onze moniales à l'abbaye: Jeanne Allegrin, abbesse; — Catherine Lepetit, prieure; — Isabeau Lempereur, chantre; — Étiennette la Paguine, trésorière; — Perrette Escalle, portière — et Jeanne Doc, toutes religieuses professes. — Marguerite Poilloüe; — Guillemette la Riche; — Jeanne de Boutsambail; — Jeanne Poilloüe 130); — et Jacqueline de Bécherelle, novices, “faisans et représentans tout le couvent”. Chose remarquable, la distinction entre professes et novices est soigneusement établie; néanmoins elles sont toutes propriétaires au même titre.
  • Jeanne Allegrin poursuivait la tâche du relèvement de sa maison au milieu de difficultés sans cesse renaissantes. Louis de Beaumont, évêque de Paris, son protecteur, mourut en 1492. Elle fut mise en possession de la chèvecerie, et Guillaume Allegrin, en son nom, reçut deux écus d'or à la couronne, don du roi Charles VIII, au grand autel de Notre-Dame. La chèvecerie resta à l'abbesse, durant tout le temps que durèrent les difficultés, soulevées par l'élection de Gérard Gobaille à l'évêché de Paris, et Guillaume Allegrin ne reçut décharge des joyaux de la métropole qu'en 1499.
  • Jeanne était abbesse depuis douze ans, et depuis douze ans aussi elle était en lutte ou mieux en guerre ouverte avec le seigneur d'Yerres son voisin. Jean Budé 131) vieilli avait cédé |170 Yerres à ses enfants, et surtout à l'aîné Dreux Budé, IIe du nom. Celui-ci à peine en possession ouvre la série des contestations et des procès contre l'abbaye. On se souvient peut-être qu'un contrat de 1454, signé par Guillemette la Camuse, avait cédé le moulin de Mazières et une partie de l'enclos du couvent à Dreux Budé, Ier du nom, grand-père du seigneur actuel, par bail emphytéotique. Jeanne de Rauville avait laissé les choses en l'état, plutôt par crainte que par respect de l'engagement. Arrive Jeanne Allegrin, qui s'efforce de réorganiser sa communauté. Dès le premier jour elle juge la situation intenable.
  • Le meunier Macé Chevalier et sa femme sont journellement dans la cour des moniales et jusque sous le cloître; cette promiscuité est intolérable. Chevalier est l'homme de paille de Budé, et celui-ci excite journellement son fermier contre l'abbesse et ses sœurs. Ce dernier refuse de moudre le blé du monastère, ou le retient par devers lui, malgré la clause de son contrat. De plus, lui et sa femme surtout injurient continuellement Jeanne Allegrin, menacent de la frapper, veulent entrer malgré tout, à toute heure de jour et de nuit, dans la cour et dans les bâtiments attenant à la chapelle Saint-Nicolas. — L'abbesse en appelle à toutes les lois civiles et religieuses pour faire cesser un tel état de choses. Dans un mémoire très serré, très bien fait, œuvre de Simon Allegrin sans doute, Jeanne se plaint amèrement: “C'est une honte, dit-elle, au sieur Budé, qui est homme de lettres, d'agir ainsi, de voler des religieuses et de se dérober derrière un homme du peuple, qui, si il était seul, s'arrangerait aisément avec les moniales.” Ces vexations durèrent 25 ans, et Jeanne Allegrin n'en vit pas la fin.
  • D'ailleurs lorsqu'un peu d'accalmie se faisait sur un point, Budé recommençait la lutte sur un autre. Il se trouvait en face des Allegrin, comme lui un peu robins et hobereaux de province. Alors la guerre de plume au moyen de mémoires, |171 de rapports, d'expertises devient quotidienne. Parfois elle menace de tourner au tragique.
  • Pour se mettre à l'abri, Jeanne Allegrin a eu l'idée de construire un mur de clôture. Budé s'y oppose, en prétendant qu'il a le droit de justice sur le terrain qu'on veut entourer. On ne tient pas compte de son opposition, et déjà les ouvriers élèvent la construction. Budé en l'apprenant fait battre la générale à Yerres; il rassemble du monde comme pour repousser une attaque, et voilà 60 à 80 hommes, armés de bâtons et de piques, qui arrivent à l'abbaye, sous la conduite du châtelain, s'opposent à la continuation des travaux, crient, blasphèment, injurient, et finalement se précipitent sur les domestiques et les ouvriers du monastère, les maltraitent, les frappent, en les poursuivant jusque dans les bâtiments claustraux, d'où les malheureuses moniales fuient en criant, pour aller chercher un refuge dans leur chapelle.
  • Une autre fois, c'est le droit de justice qui amène les contestations et la lutte. Budé prétend avoir à lui seul la justice dans toute l'étendue de la paroisse. Les moniales y prétendent de leur côté, sur leurs terres et leur enclos. Elles prouvent, par le témoignage de Jean et de Robert de Boncourt 132), tous deux fermiers à l'abbaye, que dès 1466, Jeanne de Rauville avait un maire ou bailli, des sergents, et que plusieurs coupables étaient renfermés dans les prisons de l'abbesse; c'est pourquoi Jeanne Allegrin, soutenue par les siens, qui sont membres du Parlement, continuera d'être justicière sur son domaine. En conséquence, son bailli s'installe sous le grand portail du monastère, et fait comparoir quelques miséreux, coupables de peccadilles. Budé l'apprend, arrive comme un furieux, accompagné de plusieurs séides, se jette sur le juge, le précipite à bas de son siège, le frappe et le maltraite d'odieuse manière.
  • Toutes ces luttes étaient suivies d'actes de procédures, qui amenaient des enquêtes, des gens de justice, une année de |172 procureurs et de greffiers, hébergés au monastère, dont ils troublaient la paix, et fomentaient des divisions jusque dans les rangs des moniales.
  • Il ne faudrait pas croire que Budé est le seul à batailler contre l'abbesse. “Jean de Wibourg, curé de la partie senestre de Brie” est non moins ardent à combattre contre l'abbaye, pour la possession totale des dîmes de sa paroisse 133). — Yolande de Château-Challon, veuve de Jean du Monceau, a fait enfermer, dans les prisons de son castel de La Ferté-Alais, trois hommes des moniales: Georges Arnault, Mathurin Lepère et Pierre Favier; elle ne veut pas les élargir, et des officiers de justice sont obligés de venir de Paris, pour faire lâcher prise à l'irascible dame 134). — Nicole de Villemeneur, curé de Villabé, après l'avoir été de Soignolles, aidé de tous ses paroissiens, soutient lui aussi une lutte impitoyable contre Jeanne Allegrin, au sujet des dîmes de sa paroisse; il en sera de même de son successeur, Anthoine Guillery, ancien chapelain du monastère.
  • Lorsque la querelle est terminée sur un point, le litige recommence sur un autre. On ne saurait dire les difficultés et les tracas suscités à Jeanne Allegrin et à tous les siens, pour la reconstitution de la fortune abbatiale. Partout les bornes de la propriété ont été arrachées au temps de la guerre et depuis, par des voisins avides et des tenanciers peu délicats ou insouciants. Les Allegrin s'efforcent de refaire un plan terrier, opération épineuse en tout temps, mais particulièrement délicate à la fin du XVe siècle, où la plupart des titres ont été détruits, et où on est contraint de s'en rapporter à des témoignages oraux, très souvent confus et contradictoires. Parmi tous les propriétaires limitrophes de nos moniales, seuls les chanoines de Saint-Marcel à Paris semblent avoir accepté le bornage sans contestation, pour leurs biens situés à Lieusaint. Ils étaient représentés par trois d'entre eux: Jean Mouchard, maître ès-ars, bachelier en décret, |173 curé de Bagneux, grand vicaire en l'église cathédrale de Notre-Dame, à Paris, Michel Saget, et Jean Barthois, tous trois prêtres, et membres du vénérable chapitre de Saint-Marcel.
  • Si pénibles que fussent les luttes, soutenues par Jeanne Allegrin contre des séculiers, elles l'étaient moins toutefois que celles entreprises contre des religieuses comme elle. Jeanne avait en horreur tous les actes du gouvernement de sa devancière; malheureusement elle avait hérité de toutes ses prétentions, touchant la supériorité de ce qu'on nommait, à Yerres, les maisons dépendantes.
  • Dès les premiers mois de sa prélature, elle voulut imposer à Gif une supérieure de son choix et de sa maison. Nous avons dit ailleurs 135) comment Étiennette la Paguine se vit un jour décerner le titre d'abbesse, partit avec une petite caravane pour s'en aller à la recherche et à la chasse de son abbaye, et revint humblement à Yerres, après avoir fait buisson creux.
  • Cet insuccès ne découragea pas Jeanne Allegrin. Ayant appris la mort d'Isabelle de Brindesalle à Saint-Remy de Senlis, elle se fait mettre, par autorité de justice, en possession du temporel; et tente d'y envoyer Isabelle Lempereur, l'une de ses moniales. Celle-ci avait été nommée solennellement dans la salle capitulaire d'Yerres, où on lui fit prêter tous les serments, exigés 20 ans auparavant d'Isabelle de Brindesalle.
  • Ainsi engagée, Isabelle Lempereur part pour Senlis en janvier 1502. Elle n'est pas seule; deux ou trois moniales d'Yerres l'accompagnent; un procureur laïque et quatre hommes pour cavaliers de ces dames. Arrivée à Saint-Remy, la caravane trouve portes closes. On parlemente avec la supérieure temporelle, nommée Antoinette Morel, chantre de l'abbaye et professe d'Yerres. Celle-ci refuse d'ouvrir et proteste contre l'intrusion dont sa maison est menacée, elle en appelle au bailli de Senlis, et ce magistrat rend aussitôt une sentence vraiment équitable, pleine de bon sens et de convenance. Il règle qu'Isabelle Lempereur et ses compagnes auront des cellules au monastère; mais que les hommes, leurs compagnons, videront illico les chambres |174 qu'ils ont envahies, dès que la porte a été entr'ouverte, et iront loger en ville: il statue en outre que les clefs et le gouvernement de la maison seront dévolus à Antoinette Morel, et que la justice pourvoira au règlement de l'office divin.
  • Isabelle Lempereur fait appel de cette sentence. L'affaire est portée au Parlement et au roi Louis XII: rien n'y fait. Isabelle et les siens sont contraints de déguerpir, de quitter Senlis et de regagner Yerres. Puis les moniales de Senlis 136) font un coup d'autorité. Malgré les protestations des Yerroises, elle se sont réunies et ont élu pour abbesse, Jeanne de Vaulx, prieure de Morguenval. Celle-ci, appuyée et soutenue par les chanoines de Saint-Rieul, a pris possession, en dépit des réclamations et des menaces de Jeanne Allegrin et de ses sœurs.
  • Malheureusement Jeanne de Vaulx mourut au bout de dix-huit mois de prélature, et en octobre 1503, l'abbaye de Saint-Remy se trouve sans titulaire, en face des mêmes difficultés que l'année précédente. Afin de prévenir les entreprises d'Yerres, la communauté de Senlis élit en toute hâte Marie Charlette pour abbesse. Les chanoines de Saint-Rieul confirmèrent cette élection, on ne sait de quel droit, le 31 octobre 1503. C'était rentrer d'un seul coup dans la légalité et la tradition, puisqu'on avait trouvé, sous le cloître de Saint-Remy, une moniale capable de le gouverner. Mais à Yerres on proteste, et par l'entremise de Jean Lefebvre, son représentant, Jeanne Allegrin porte sa cause devant l'Official de Reims, métropole de Senlis. Le juge ecclésiastique reçoit avec bienveillance l'appel de nos moniales, qui, se voyant appuyées, s'efforcent de pousser les choses à fond.
  • Jeanne Allegrin part pour Senlis, accompagnée cette fois de quatre de ses sœurs: Marguerite Poilloüe, réfectorière; Jeanne Pôilloüe “enfermière”; Blanche de Lannoy, cellerière; et Guillemette Allegrin, grainetière, suivies de trois chapelains. Elle va, dit-elle, mettre de l'ordre dans sa maison de Saint-Remy, corriger, réformer, changer; elle est aidée de |175 quatre procureurs, dont deux sont prêtres. Tout ce monde arrive à Senlis, où on parlemente longtemps avant de pouvoir s'introduire à l'abbaye. Enfin Jeanne Allegrin et les siens sont sous le cloître; mais les chanoines de Saint-Rieul, prévenus de cette invasion, quittent leur office, arrivent en toute hâte et forcent, bon gré mal gré, tous les nouveaux venus à vider la place et à s'en retourner. Un vaste procès commence; il se poursuit en même temps à Senlis, à Reims et à Paris: une foule de personnages, prêtres et laïques, y jouent un rôle; ils font si bien, que le plus clair résultat de cette lutte fut la ruine complète de la malheureuse abbaye de Saint-Remy, qui ne s'en releva jamais.
  • Mais les religieuses d'Yerres avaient-elles un droit quelconque, qui légitimât leur âpreté dans cette circonstance? Aucun, nous le répétons. Elles ne pouvaient se réclamer que d'une lettre papale du XIIe siècle, qui leur permettait uniquement de demander à ce que l'abbesse de Saint-Remy fut tirée d'Yerres, si on n'en pouvait trouver une à Senlis. Et cette concession, vieille de trois siècles, était périmée depuis longtemps, par le développement de la législation bénédictine et aussi par le fait des circonstances. Il avait fallu tout l'esprit d'entreprises de Jeanne de Rauville, pour la faire revivre au XVe siècle, et la léguer à ses successeresses.
  • Détournons nos regards de ces querelles et de ces luttes sans utilité et sans gloire, pour considérer Jeanne Allegrin dans une attitude plus conforme à son honneur et à sa vocation. Les difficultés extérieures ne l'avaient point empêchée de poursuivre avec une louable ténacité sa mission, qui consistait à relever sa communauté. Elle y réussit pleinement. Si elle a voulu, avec une âpreté qui pourra sembler excessive, la reconstitution du domaine abbatial, ce n'est pas pour la vulgaire satisfaction d'être grande propriétaire, ou d'avoir une crosse richement dotée, mais bien pour la noble ambition de restaurer une grande abbaye. Or, à un personnel nombreux, il faut des ressources pour vivre; et l'abbaye, dans la pensée de sa supérieure, doit être populeuse. C'est pourquoi elle s'applique à recruter des vocations. Sous son impulsion éclairée, les jeunes postulantes entrent au cloître; elle |176 les forme elle-même à la vie religieuse, et aux pratiques monastiques. Par ses soins, on reprend l'office canonial; la grand'messe est chantée tous les jours. Elle a aussi rouvert l'Obituaire, y a vu toutes les charges de sa maison, et en a fait acquitter un grand nombre.
  • En un mot, l'abbaye est redevenue une maison de prière, où le silence n'est peut-être pas très rigoureux, la discipline très étroite, ni la vie très austère. Mais quel changement cependant, si on compare la situation en 1505 ou 1510, à ce qu'elle était 30 ans auparavant. Alors il n'y avait ni prière, ni office, ni religieuses dignes de ce beau nom; tandis qu'aujourd'hui le cloître est peuplé de quarante moniales au moins, trois prêtres et parfois davantage y célèbrent tous les jours la sainte messe; les lieux réguliers sont reconstitués et les exercices de la vie claustrale en honneur, bref, le couvent vit et fonctionne.
  • Aussi le public ne s'y trompe-t-il pas. Il a repris le chemin de l'abbaye, et, signe caractéristique, il y apporte de nouveau ses dons et ses aumônes, pour marquer sa confiance dans les oraisons et les suffrages des saintes moniales. Le 15 janvier 1503, Martin André, marchand chaussetier à Paris, donne à Jeanne Allegrin 200 livres, en vue du salut de son âme; mais il stipule que de son vivant, il prendra sur l'abbaye 10 livres de rente annuelle, et pourra y finir ses jours si bon lui semble. C'est ainsi que l'abbesse ramenait peu à peu la sympathie des fidèles à sa maison, en leur faisant aimer et estimer la vie religieuse.
  • Les dernières années de Jeanne Allegrin furent attristées parla continuation de ses luttes et de ses procès avec des adversaires que nous avons déjà nommés. Elle fut condamnée par le Parlement en 1510, à payer annuellement 2 muids de grain à Simon Marin, curé de Yillabé. Des fermiers agressifs, tel que Jean Logre, établi à Lieusaint, lui suscitèrent de longs et coûteux embarras. Enfin, chose plus grave, l'évêché de Paris, occupé par le pieux Etienne Poncher, voulait la contraindre à introduire chez elle des changements et une réforme, qu'elle repoussait.
  • C'est au milieu de ces tristesses et de ces épreuves que |177 Jeanne Àllegrin termina sa carrière par une sainte mort, le 4 mai 1513, après avoir porté la crosse à Yerres pendant 26 ans. En mourant elle laissait 35 professes à l'abbaye et une dizaine de novices. Elle avait vu plusieurs des siens disparaître tour à tour, et n'avait de consolation que dans la présence de sa sœur Guillemette qui lui succéda 137).
  • On a reproché à Jeanne Allegrin l'introduction de ses parents à l'abbaye et leur trop grande ingérence dans les affaires du monastère; on lui a fait un crime de ses prétentions injustifiées; du grand nombre de procès entrepris par ses soins ou de son assentiment; du peu de régularité de ses moniales et de son opposition à l'établissement de la réforme. Disons bien vite que tous ces torts, vrais en un sens, sont plutôt imputables à l'époque et aux circonstances qu'à l'abbesse elle-même: Jeanne, en effet, fut une vraie religieuse, une moniale pieuse, une supérieure vigilante et zélée, elle a droit à un bon rang dans la glorieuse liste des grandes et saintes abbesses dont elle renoua la tradition.
  • Les 35 professes, formées par Jeanne Allegrin, élurent à l'unanimité sa sœur Guillemette pour lui succéder 138). Cette élection, la première depuis 80 ans environ, parut si régulière qu'Etienne Poncher, qui pourtant songeait à des entreprises sur le cloître d'Yerres, la confirma sans difficulté. Ouvert sous d'aussi favorables auspices, cet abbatiat d'à peine trois ans, ne fut cependant pas heureux.
  • D'abord Guillemette Allegrin eut à soutenir la continuation de la lutte entreprise par sa sœur. Elle était toujours violente surtout avec les habitants des paroisses, dans lesquelles l'abbaye prélevait la dîme. Pour comprendre cette situation, il faut savoir qu'à l'occasion des désordres et des guerres du XVe siècle, l'impôt de la dîme avait cessé d'être prélevé presque partout.
  • Les baux de dîmes, relevés çà et là dans les archives de |178 l'abbaye, à Drancy, à Tremblay, à Lieusaint et ailleurs avaient été pour la plupart de simples passages d'écriture, et étaient demeurés lettre morte. Jeanne de Rau ville, malgré son âpreté, n'avait pas changé grand'chose à la situation. Comme nous l'avons dit, sous Jeanne Allegrin et les siens, les revendications furent sérieuses. Mais partout les paysans se révoltaient contre le rétablissement d'un impôt odieux et suranné. À Évry, à Mardilly, à Soignolles, il y eut de véritables batailles, quand on voulut le prélever. Dans cette dernière paroisse, Jaquet Rossignol, marguillier préposé à la perception, fut tué par des paysans rebelles à l'impôt; et Colin Loiseau, l'un de ses meurtriers, fut pendu sans pitié. On juge par ce fait du degré d'exaspération des taillables. Chose assez extraordinaire, presque partout les paroissiens étaient soutenus par les curés, dans leur opposition à l'exercice du droit de l'abbaye. C'est que les curés dîmaient eux-mêmes pour pouvoir vivre, et répugnaient à voir d'autres percepteurs pressurer leurs paroissiens. Afin de tourner la difficulté, nos religieuses avaient imaginé de louer, partout où la chose était possible, leur propre dîme au curé lui-même, afin de confondre les deux obligations en une seule. Il en était ainsi, même à leur porte, dans la paroisse d'Yerres, où cependant elles étaient populaires. La cure d'Yerres demeura pendant une certaine période entre les mains de simples vicaires. Raoul Ameline, l'un d'entre eux, fut locataire des dîmes de l'abbaye, dès 1498, et il en fut de même de plusieurs de ses successeurs.
  • Mais les difficultés soulevées par la dîme n'avaient fait que changer de place; et après avoir été en butte aux révoltes des paroissiens, les moniales avaient maintenant à se défendre contre les tracasseries des curés. De ce côté, Guillemette Allegrin eut à souffrir jusque dans les paroisses dont la cure était à sa nomination, comme Villabé et autres.
  • Toutefois ses grandes épreuves lui vinrent principalement de l'évêché de Paris, occupé par un grand prélat, homme de bien, Étienne Poncher, qui poursuivait la réforme de tous les monastères bénédictins de son diocèse. Il l'avait déjà établie à Montmartre, à Chelles, à Malnoue, il voulait la mettre à |179 Yerres. Qui l'en blâmera? Mais la réforme s'est-elle établie quelque part sans déchirements et sans révolutions?
  • Guillemette Allegrin, quelques jours seulement après sa confirmation comme abbesse, reçut d'Étienne Poncher les premières propositions relatives à l'introduction de la réforme dans son monastère. Elle accueillit favorablement ces ouvertures, mais représenta au prélat les difficultés d'exécution, basées principalement sur l'état de ruine des bâtiments claustraux, qu'il fallait d'abord restaurer. Bref elle invoque des moyens dilatoires. L'évêque insiste, et fort de son droit, devient plus pressant. Alors l'abbesse se raidit et en arrive aux propos aigres. Elle n'aime point le prélat, car il vit dans l'intimité avec les Budé et les Lannoy, ses voisins, ses adversaires, les ennemis nés de sa maison. Ceux-ci cherchent à savoir tout ce qui se passe à l'abbaye, pour le redire au prélat, dont ils sont les espions.
  • Malgré ces allégations désobligeantes, Étienne Poncher, soutenu par la reine de France, poursuit son œuvre. Il a acheté de ses propres deniers une grille à Paris, l'a envoyée à Yerres avec des ouvriers, pour la placer et imposer la clôture aux moniales, qui refusent de se laisser emprisonner. Néanmoins elles laissent ajuster cet instrument de leur captivité, et font le simulacre d'obéir. Mais les ouvriers partis, Guillemette et ses sœurs s'attaquent à la grille, de leurs faibles mains, la descellent, la traînent à travers le cloître, la transportent jusqu'à leur pièce d'eau et l'y précipitent avec dédain.
  • À cette hostilité déclarée, Étienne Poncher répond par un coup d'autorité; il prend quatorze religieuses réformées à Malnoue et à Chelles, et les introduit, sous la conduite de Marie de Savoisy, à Yerres. Guillemette dissimule un moment sa stupéfaction et son dépit, feint de recevoir les nouvelles venues avec courtoisie, mais bientôt la guerre ouverte se déclare. De part et d'autre on en appelle à la justice, et le Parlement intervient.
  • Dans un mémoire détaillé, l'abbesse, insuffisamment renseignée, dit qu'on lui a imposé des filles étrangères à la vie bénédictine, venues du couvent cistercien de Fontevrault 139); |180 qu'elles ont voulu s'emparer de toutes les charges de la maison, lui rendre à elle la position intenable, et la contraindre à donner sa démission. Elle les accuse en outre de mettre le désordre dans sa communauté, de la troubler par leurs “ypocrisies”; d'y placer des femmes mariées, dont elles veulent établir les enfants aux dépens des biens du couvent. Autre grief, l'évêque a fait saisir les biens de l'abbaye par un conseiller nommé Mesnage, et a commis pour les administrer Guillaume Mallicorne, curé de Saint-Pierre-des-Arcis à Paris et Pierre de Jouy, huissier ou sergent au palais. Guillemette ajoute qu'elle a fait toutes les concessions possibles. Malgré cela l'évêque est venu un jour avec trente hommes, armés de bâtons, pour la déloger. Il s'est saisi de sept de ses filles les plus dévouées, les a renfermées dans une chambre; puis ses séides les ont jetées par terre, sans pitié pour leurs cris de détresse, leur ont lié les mains et les pieds, les ont hissées dans d'horribles chars à fumier et les ont transportées qui à Chelles 140), qui à Malnoue, à l'exception de Sidonie le Picart, parce qu'au dernier moment, le prélat a découvert qu'elle était sa parente, et de Blanche de Lannoy malade, qui fut renvoyée à sa belle-sœur, la châtelaine de Brunoy.
  • Comme bien on pense, Etienne Poncher ne laissa point sans réponse ce mémoire accusateur. Dans son plaidoyer, il ne nie pas les faits matériels dénoncés par l'abbesse, il se borne à les expliquer. Il prétend qu'il n'y avait plus de vie religieuse à Yerres; que tout le monde entrait librement au cloître; que même le frère de l'abbesse couchait inter septa, c'est-à-dire dans la clôture, ou dans les édifices qui auraient dû en faire partie si elle avait existé. Il rappelle ses efforts infructueux pour y introduire la réforme; ses injonctions du mois d'août 1514; son avertissement du mois de décembre suivant; |181 la malheureuse histoire de la grille descellée et jetée dans l'étang. En face de ce mauvais vouloir persistant, il a cru devoir passer outre : c'est pourquoi il a destitué l'abbesse, mis à sa place Marie de Savoisy, fille expérimentée, qui a déjà établi la réforme à Malnoue, et a été employée ailleurs aux mesures du même genre. Pour se disculper du reproche d'avoir changé la religion du monastère, il répond que les nouvelles moniales ne sont nullement cisterciennes; mais que Marie de Savoisy était accompagnée de sept Bénédictines de Chelles et de sept autres prises à Malnoue, que le prélat a été contraint de nourrir et d'entretenir de ses deniers, sur le refus de Madame Allegrin de pourvoir à leurs nécessités. Quant à la translation des moniales, elle a été faite, dit le prélat, avec convenance, respect, dignité et toutes les précautions dues à leur état.
  • En face de deux affirmations si opposées, le Parlement fit une véritable cote mal taillée, donna en partie raison à l'évêque et en partie à l'abbesse. Demi-mesure et mauvaise décision qui ne satisfit aucune des deux parties, et apporta au contraire de nouveaux éléments à la querelle.
  • Le 5 mai 1515, par une sentence du Conseil, le Parlement statue que les appellations d'Étienne Poncher et la translation des moniales sont mises à néant, aussi bien que la saisie du temporel, opérée par le conseiller Mesnage; que l'évêque a outrepassé ses droits, qu'il ne peut suspendre l'abbesse que ad tempus seulement; qu'il doit consentir à son retour, ainsi qu'à la réintégration de toutes les religieuses à l'abbaye. — Le 17 juillet, la Cour ordonné que la réforme sera introduite à Yerres, avant le 1er septembre de la même année; que le prieur des Carmes, celui de Saint-Martin-des-Champs, le vicaire du couvent des Jacobins, et frère Claude Cambon, cordelier, seront députés à l'établissement de cette réformation; qu'ils jouiront ensemble de tous les droits de la supériorité et prendront telles mesures propres à atteindre ce but.
  • La rentrée de Guillemette Allegrin à Yerres fut une faute. Abbesse nominale, sans pouvoir réel ni efficace; incapable de s'entendre avec les religieuses réformatrices, pas plus qu'avec celles qui l'avaient naguère élue, et dont les idées s'étaient |182 modifiées au contact de Marie de Savoisy et de ses compagnes; sans cesse en discussion avec les commissaires de la réforme, elle jugea avec raison la situation intenable et s'honora en donnant définitivement sa démission. Retirée à Malnoue, dans le recueillement et la paix du cloître, dans l'éloignement du milieu où elle avait souffert, avec justice sans doute, mais par suite de circonstances qui ne lui étaient pas toutes imputables, elle vit les choses d'un regard différent, se soumit humblement à la réforme, et mérita même un peu plus tard d'être choisie comme abbesse triennale de son nouveau monastère. Elle porta en effet la crosse à Malnoue de 1520 à 1523. L'histoire ne nous a pas appris si elle y termina ses jours. Elle avait été abbesse titulaire d'Yerres de 1513 à 1516.

Chapitre XVI. Marie de Savoisy (1517-1520)

La triennalité. — Marie de Savoisy et Louise de la Baume. — Nombre et noms des professes. — Clôture. — Pierre Touzel. — Observance du XVIe siècle. — Le procureur. — Les frères Budé. — Les curés. — Les chanoines de Notre-Dame à Paris. — Départ de Marie de Savoisy.

  • Au début de l'année 1517, Marie de Savoisy devint titulaire de la maison, où elle exerçait le pouvoir depuis dix-huit mois. Originaire de la province de Bourgogne, la nouvelle abbesse était probablement fille de Philippe de Savoisy et de Marguerite de Lugny, et sœur de Claude de Savoisy, mari de Louise de la Baume Montrevel, en sorte que Louise de la Baume, adjointe comme collaboratrice à Marie de Savoisy, dans l'œuvre de la réforme, se trouvait être presque son alliée par le sang.
  • Dès les premiers jours de sa titularisation, l'abbesse est entourée d'un groupe de 25 à 30 religieuses, jeunes, ardentes, enthousiastes, heureuses d'avoir embrassé la réforme 141). |184 Toutes auront des charges dans le monastère, et nous les retrouverons tour à tour dans les pages qui vont suivre. Nommons seulement Sidonie le Picart, rebelle un instant au changement de la règle, qu'elle vient d'embrasser avec ardeur; elle méritera d'être prieure de la maison, durant un quart de siècle, sera le plus ferme champion de la vie régulière, et gouvernera avec sagesse le monastère dans les tempêtes qui doivent encore l'assaillir.
  • Nous ne redirons pas ici les articles de la règle d'Étienne Poncher 142). Qu'il nous suffise de rappeler un des points les plus importants de cette règle: la destruction de la pérennité du pouvoir abbatial, pour le limiter à une durée de trois ans. Or à l'époque où cette importante réforme était introduite, un concordat, conclu entre le pape Léon X et le roi François Ier, donnait au monarque la permission de nommer des titulaires à vie, dans toutes les abbayes du royaume: ce qui mettait la base même de la réforme en contradiction avec les droits du roi. Comme le prince ne pressa pas immédiatement l'exercice de son privilège, Marie de Savoisy put exercer à Yerres sa charge temporaire avec assez de tranquillité, au moins du côté du pouvoir royal.
  • Elle s'y appliqua avec zèle, et sous son impulsion la maison est bientôt transformée. Les lieux réguliers sont marqués avec soin, personne en dehors des moniales ne les franchit, la clôture est observée: l'office divin est repris et récité en entier par la communauté; les charges imposées par les bienfaiteurs anciens et nouveaux sont acquittées avec soin; Marie de Savoisy, n'invoquant, comme à l'âge d'or du monastère, que le titre d'humble abbesse, forme elle-même ses filles à la piété, ainsi qu'à la pratique des exercices monastiques. |185
  • La charge de confesseur des religieuses est confiée aux Dominicains de Paris; et l'un d'entre eux, frère Pierre Touzel, est détaché à l'abbaye, où il jouit d'une confiance absolue et fait preuve d'un zèle ardent pour les intérêts spirituels et même temporels de la maison. D'autres prêtres, au nombre de deux ou trois ou davantage, lui sont adjoints, pour le service des messes et l'instruction religieuse des employés, toujours fort nombreux au monastère.
  • La règle de Poncher a divisé les religieuses en trois classes: les professes, les novices et les converses. Cette dernière catégorie ne fut pas représentée immédiatement à Yerres; il faut arriver presque à la fin du XVIe siècle pour voir des converses sous le cloître. Mais un autre élément y fut introduit sans retard. Nos moniales eurent une petite école, et l'une d'elles, Madeleine Chevalier, plus lettrée que ses compagnes, en prit la direction. Grand nombre des jeunes filles, admises dans cette école, entrèrent ensuite au cloître, s'y firent religieuses et devinrent pour la maison un élément de stabilité, en conservant les traditions des premiers temps de la réforme.
  • Ainsi rétablie dans son intégrité et fortifiée par la piété et la ferveur, la vie religieuse refleurit dans la vallée d'Yerres: même activité, même entrain, même enthousiasme qu'à l'origine de l'abbaye.
  • Entre l'observance du XIIe siècle et celle du XVIe , il y avait cependant des différences assez notables: 1° Les compagnes de Marie de Savoisy n'ont pas l'abstinence perpétuelle de viande. Sur ce point elles ont mitigé la règle primitive, en permettant l'entrée des aliments gras dans leur réfectoire, plusieurs fois la semaine; — 2° Elles n'ont plus le lever de nuit; elles récitent l'office canonial tout entier, mais n'interrompent pas le sommeil nocturne pour psalmodier ou chanter Matines; — 3° Elles sont cloîtrées, chose inconnue à leurs devancières du XIIe siècle; — 4° Enfin l'exercice du travail n'est pas entendu de la même manière aux deux époques: les Bénédictines du moyen âge aiment et pratiquent les travaux agricoles; celles du XVIe les écartent, s'enferment dans leur enclos, qu'elles font cultiver et entretenir par les soins de jardiniers à gages. Leurs occupations |186 manuelles consistent en travaux d'aiguille et en broderies.
  • Il est encore un point de la règle de Poncher inobservé à Yerres, pour des motifs qui nous échappent: il a trait au procureur. La règle demandait que celui-ci fut un laïque, possesseur de biens-fonds, sur lesquels on devait prendre hypothèque, afin de préserver les intérêts de la communauté. Probablement il fut toujours difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver des propriétaires assez complaisants pour se prêter à cette exigence. Aussi n'eut-on point de procureur laïque, au moins durant tout le XVIe siècle. Le premier procureur de la réforme fut Pierre Touzel, religieux dominicain, déjà nommé, auquel succéda un prêtre appelé Louis Tartin, esprit délié et administrateur intelligent, qui géra pendant 30 ans au moins les intérêts temporels de la maison.
  • Ceux-ci demandaient toujours une surveillance attentive de la part de l'abbesse elle-même. Car la réforme n'avait point fait cesser les procès engagés sous les abbatiats précédents. Il fallait lutter toujours et tenir tête à des adversaires habiles et cupides.
  • Au premier rang on trouve toujours les Budé. Dans son désir de réclusion, Marie de Savoisy veut à tout prix, avoir pour ses filles, un enclos fermé, vaste et capable de satisfaire à tous les besoins hygiéniques d'une grande communauté; c'est pourquoi elle s'efforce d'y faire entrer une pièce de terre joignant l'ancien clos. Aussitôt les deux frères, Dreux et Jacques Budé, se mettent en travers et réclament le champ comme partie de leur domaine. Pour éviter une plus longue contestation, par les soins de Pierre Touzel, la terre contestée est partagée en deux: une moitié appartiendra aux frères Budé, et l'autre à l'enclos de l'abbaye, dont elle fera partie désormais. — Le moulin de Mazières était, comme au siècle précédent, la source de contestations et de chicanes entre l'abbesse et le seigneur paroissial. Afin de les éviter, Marie de Savoisy loua sa part à Budé. Cette fois le meunier fut assez pacifique, il n'avait plus aucun droit d'ailleurs dans les bâtiments des moniales. |187
  • Chose singulière et pour nous presque stupéfiante, tant nous sommes loin des mœurs du XVIe siècle, la pacifique et douce Marie de Savoisy réclamait, avec la même ténacité et la même vigueur que les Allegrin, le droit de rendre la justice, d'avoir un bailly et des sergents, même une prison pour y renfermer les malfaiteurs. Mais à côté d'elle, Budé plus en situation, il faut le reconnaître, de faire la police, lui conteste tout ou partie de sa justice. Un nouveau procès allait naître à ce sujet et s'ajouter à tant d'autres, quand une transaction ménagée, on ne sait trop par qui, intervint. Elle fut signée au grand parloir du couvent, toutes les religieuses professes étant à la grille d'une part, Dreux Budé d'autre part avec six avocats et de nombreux témoins, au milieu desquels nous remarquons frère Jacques Hubert, prieur des Jacobins de Paris; frère Nicolas Delailly, confesseur des Nonnes; frère Pierre Touzel et Jean Allegrin, chanoine de Paris, qui n'avait pas trop gardé rancune à Marie de Savoisy de ses démêlés avec sa sœur Guillemette. Cet arrangement, souscrit le dimanche 29 mai 1519, mit fin à plus de vingt procès pendants entre les parties.
  • Terminée ou plutôt simplement suspendue pour quelques années avec Budé, la lutte continuait avec les curés de Drancy, de Brie, d'Évry, au sujet des dîmes de leurs paroisses. Elle renaît aussi entre les chanoines de Notre-Dame à Paris et l'abbaye pour la chèvecerie. Au mois de janvier 1519, Étienne Poncher, le réformateur, le protecteur et l'ami de nos moniales, quitte la chaire de Saint-Denis, pour devenir archevêque de Sens. Il s'écoula un mois avant que son neveu, François de Poncher, fut mis en possession du siège laissé vacant par son oncle: de là certains droits à percevoir pour les Bénédictines d'Yerres, qui durent sommer les membres du chapitre, toujours opposés au paiement de cet impôt séculaire et suranné.
  • L'abbesse loua la dîme paroissiale d'Yerres au vicaire Jean Hébart, passa des baux assez nombreux avec les différents fermiers de la manse abbatiale, reçut foi et hommage de plusieurs tenanciers, et termina sa triennalité au milieu d'un labeur méritoire. Les auteurs du Gallia veulent que cette |188 abbesse ait porté la crosse six ans à Yerres, c'est-à-dire jusqu'en 1523. En cela ils se trompent, car les archives de l'abbaye renferment plusieurs pièces signées de sa remplaçante, et datées de l'an 1520. D'ailleurs n'était-il pas juste et d'un bon exemple, que celle qui avait apporté la nouvelle règle à Yerres, s'y soumit la première, en exerçant le pouvoir trois ans seulement, comme le voulaient les nouveaux statuts? La première abbesse triennale avait achevé son œuvre; la réforme était établie et bien assise, elle n'avait plus besoin de son introductrice pour persévérer.
  • Marie de Savoisy nous a laissé plusieurs actes signés de sa main. Son écriture droite et ferme révèle une personne d'un âge jeune encore, et annonce une femme forte, énergique, née pour les grandes entreprises. Le jour où elle quitta Yerres, le monastère présentait déjà l'aspect d'un de nos couvents modernes, avec sa grille et ses tours; la discipline y était régulière, la clôture inviolable, l'observance parfaite; les journées remplies et coupées par des exercices nombreux; la prière fervente; le chant de l'office divin pieux et saisissant; la psalmodie un peu monotone et languissante.
  • L'histoire ne nous dit pas où l'abbesse Marie de Savoisy porta ses pas, au sortir du couvent qu'elle venait de transformer, et dans les annales duquel elle a droit à une large et glorieuse place, pour y avoir fait l'œuvre de Dieu.

Chapitre XVII. Marie d'Estouteville (1520-1534)

Abbatiat de Marie d'Estouteville. — Reconstruction de l'abbaye. — Procès avec Pierre de Lannay et les Budé. — Habile administration. — Mort de plusieurs moniales. — Première maîtresse des novices. — Sainteté de l'abbesse. — Erreurs à son sujet.

  • Après le départ de Marie de Savoisy, les religieuses donnèrent la crosse à la prieure du couvent, Marie d'Estouteville. La nouvelle élue s'était associée à l'œuvre de la réforme, et sa prélature ne pouvait que la fortifier.
  • Marie était fille de Charles d'Estouteville, seigneur de Villebon, Gastine, Montdoucet et autres lieux, et d'Hélène de Beauveau. Petite-fille d'Isabeau de Savoisy, et par conséquent parente de la précédente abbesse, la nouvelle titulaire avait, par sa famille paternelle et maternelle, dans le monde et à la cour, de puissantes relations, qui lui furent d'un grand secours pour ses œuvres et ses entreprises à l'abbaye.
  • On la trouve en désaccord avec l'histoire et la tradition pour l'orthographe de son nom; car sa signature est ainsi libellée par elle-même, le 11 janvier 1521: M. de Stouteville hūble abbesse. Sa personne donne également lieu aux difficultés d'ordre chronologique, tant pour la date de sa mort que pour la durée de sa prélature. Et cependant elle a vécu en plein âge historique, et les pièces d'archives, écrites sous son abbatiat, sont multiples et fort variées.
  • Marie de Savoisy avait relevé la maison au point de vue monastique et spirituel; Marie d'Estouteville, en affermissant |190 la discipline claustrale, s'appliqua tout d'abord à la reconstruction matérielle de sa maison.
  • L'abbaye, située dans une vallée, à proximité d'un cours d'eau susceptible de s'enfler considérablement en hiver, n'offrait pas toutes les garanties désirables, au point de vue de la santé, de l'hygiène, diraient les modernes. De plus, les bâtiments étaient vieux, ruineux, malsains, étroits et fort incommodes. Les travaux d'une certaine importance, accomplis trente ans plus tôt par Jeanne Allegrin, n'avaient remédié qu'incomplètement à l'insuffisance des constructions. Celles-ci, dans leur ensemble, dataient de la fin du XIIIe siècle, remaniées et gâtées malheureusement à plusieurs reprises, depuis 240 ans. Marie d'Estouteville résolut de tout jeter par terre, pour reconstruire un monastère nouveau.
  • Grâce à ses ressources personnelles et à celles que lui fournissait la manse abbatiale reconstituée peu à peu, elle commença des édifices qui lui parurent sans doute grandioses à elle et à ses compagnes, mais qui en réalité étaient bas, mesquins et sans grand caractère architectural. Il n'en subsiste plus aujourd'hui qu'une porte romane, dont le tympan est orné de chimères assez finement exécutées. La vue d'ensemble du monastère, conservée dans une gravure du cabinet des Estampes, à la Bibliothèque Nationale, et la courte description de l'abbé Lebeuf, en donnent une idée plutôt défavorable. Les différentes salles sont vastes; mais ajourées par des larges baies sans style; les moniales, pour coucher, ont un dortoir commun sans cellules: réfectoire, cloître, salle de chapitre, tout est exécuté avec une simplicité sans grandeur. Cette restauration parut pourtant une merveille aux contemporains et surtout aux religieuses. En reconnaissance celles-ci donnèrent, à Marie d'Estouteville, le titre de deuxième fondatrice de l'abbaye. Elle l'avait rebâtie tout entière, en effet, à l'exception d'une partie de la chapelle, qui garda sa forme gothique et son abside; car on s'était contenté d'allonger et d'agrandir sa nef.
  • L'abbesse acheva ces constructions en entourant le monastère et le jardin d'un grand mur de clôture, qui venait d'être achevé en 1527, lorsque Pierre de Lannoy, seigneur de Brunoy, |191 accourut à l'abbaye, avec une troupe d'hommes armés, et de manouvriers, qui renversèrent une partie de ce mur d'enclos, sous prétexte que l'abbesse avait empiété sur son domaine, et renfermé dans sa clôture des terres soumises à la justice seigneuriale de son château. Cette violence donna lieu à une action judiciaire encore pendante en 1542.
  • Marie d'Estouteville avait en horreur les procès, qui lui étaient suscités de tous côtés, et qu'elle devait bon gré mal gré poursuivre. Pour en diminuer le nombre, elle sollicita et obtint du pape, dès 1521, un privilège en vertu duquel l'abbaye d'Yerres ne devait être citée en justice, ni par évêque, ni par prêtre, ni par juge laïque. Ce bref pontifical n'eut pas grande efficacité, croyons-nous, à l'époque de sa promulgation, mais un siècle plus tard il servira de base à une singulière argumentation, comme nous le verrons.
  • En dépit des désirs de son abbesse et des Lettres pontificales, l'abbaye avait toujours de nombreuses contestations avec les Lannoy, seigneurs de Brunoy, et avec les intraitables Budé. Dreux Budé vieilli était cependant devenu plus pacifique et plus accommodant. Marie d'Estouteville lui fit en 1521 un bail emphytéotique du moulin de Mazières. Il mourut peu de temps après; Jean Budé, IIIe du nom, et ses cohéritiers abandonnèrent leurs droits sur ce contrat, et les moniales traitèrent directement avec des meuniers 143).
  • Les prêtres, locataires des dîmes paroissiales, n'exécutaient pas toujours les charges des baux avec une ponctualité exemplaire; mais de ce côté l'abbesse eut un peu de paix, car ces ecclésiastiques traitèrent presque toujours avec un de leur confrère, Louis Tartin 144), le procureur modèle mais un peu envahissant, chargé des intérêts temporels |192 de la communauté, et muni de procurations en règle pour les traiter, sans avoir besoin de recourir à l'abbesse. Celle-ci dut intervenir personnellement néanmoins dans les affaires concernant les deux curés de Brie, les habitants toujours révoltés de Villabé, et dans une querelle plus pénible encore entre son abbaye et celle de Notre-Dame-du-Lys, près Melun. Dans cette discussion, Marie d'Estouteville produisit un vieux livre de comptes, remontant jusqu'à 130 ans, c'est-à-dire au XIVe siècle. À l'aide de ce témoin plus que séculaire, elle gagna son procès, et les Cisterciennes du Lys furent condamnées à acquitter les anciens droits. — Même obstination, et même condamnation aussi de la part des religieuses de Saint-Antoine à Paris, en 1535.
  • Marie d'Estouteville signala encore son habileté administrative dans la solution de différentes affaires assez épineuses. L'éternelle question de la chèvecerie de Paris revenait au changement de chaque évêque. En 1532, François de Poncher mourut, une pièce d'or aux armes du marquis de Saluces est mise à l'offrande le jour des obsèques du prélat, les religieuses la réclament, elle leur est remise après quelques difficultés; et un peu plus tard lorsque Jean du Bellay monta sur le siège de Saint-Denis, un reçu de Jean de Solon, chanoine chèvecier, fut remis aux religieuses en décharge de tous les joyaux de la basilique de Notre-Dame; cela pourtant n'allait jamais sans de certains tiraillements, et même à l'abbaye on sentait le poids d'un droit suranné, dont les chanoines et les religieuses souhaitaient également la suppression.
  • La dîme du pain de la Maison du roi était encore un de ces vieux usages appelant un réforme et une transformation. Marie d'Estouteville la ménagea, et désormais sa maison, au lieu de sommes variables et aléatoires, eut un droit fixe de 15 livres tournois par jour, lorsque le prince habitait Paris. Elle obtint aussi la diminution de certains impôts très lourds pour sa communauté. François Ier se montra toujours très favorable et très bien disposé pour l'abbesse d'Yerres; pendant son règne, il ne donna pas moins de vingt-cinq lettres en faveur de cette maison, et la plupart furent obtenues par Marie d'Estouteville. |193
  • L'habileté et le succès dans les choses temporelles n'étaient pourtant pas la préoccupation principale de l'abbesse d'Yerres. Elle avait surtout pour but sa sanctification personnelle et celle de sa communauté.
  • À peine en charge, elle avait passé par de rudes et pénibles épreuves à l'intérieur de sa maison. Benoîte le Riche, élue prieure, mourut en 1520, après quelques semaines d'exercice. Au mois de septembre de la même année, ce fut Madeleine de Vonier qui descendit dans la tombe, au moment même où Marguerite de Poilloüe tombait en langueur, traînait souffrante, et incapable d'observer la règle durant un an, pour s'endormir dans le Seigneur en octobre 1521, après avoir donné, à ses sœurs en religion, l'exemple fortifiant de toutes les vertus. Pour l'abbesse, c'était perdre, en même temps que des compagnes et des amies, ses appuis, les vrais piliers de la réforme.
  • L'entretenir et la faire vivre cette réforme était la pensée dominante de Marie d'Estouteville. Afin de l'appuyer et au besoin de la suppléer dans cette grande œuvre, elle prit une collaboratrice active et zélée. Antonine le Lièvre fut choisie pour l'aider dans sa tâche; elle eut le titre de coadjutrice; mais elle mourut en 1525. Louise de la Baume, une première fois coadjutrice au temps de Marie de Savoisy, remplaça la défunte; elle aussi usa promptement ses forces et mourut toute jeune encore, au mois de juin 1531; le titre de coadjutrice fut supprimé. De cette époque date la création d'une maîtresse des novices. Elle était désignée dans la règle de Poncher; mais Marie de Savoisy, à cause de circonstances particulières, et à l'imitation des anciennes abbesses d'Yerres, avait voulu se réserver à elle-même la formation des jeunes moniales, pour leur inculquer plus directement l'amour du nouveau règlement, introduit par elle dans la communauté.
  • Marie de Rapillart, la première, fut chargée des délicates fonctions de maîtresse des novices; on lui adjoignit une maîtresse de chant, et la petite école, pourvue maintenant de deux, puis bientôt de trois maîtresses, rentra aussi dans ses attributions. Ainsi organisée, l'abbaye, vivant dans un silence et dans un recueillement dignes d'éloges, présentait |194 néanmoins une très grande activité, sous l'habile et pieuse direction de son abbesse.
  • Sa lourde charge et ses grands travaux n'empêchaient pas Marie d'Estouteville d'être une fille toute intérieure. Elle s'était aménagée une petite cellule à l'extrémité du grand et spacieux dortoir de la communauté; elle se retirait souvent dans cet étroit espace, y pratiquait des actes de mortification corporelle, passait de longues heures en oraison devant son crucifix, pour y puiser la force de supporter ses épreuves et de suffire à un accablant labeur quotidien. De l'aveu de tous les contemporains, sa piété fut remarquable; elle faisait ses délices de l'Office divin, le voulait digne et solennel: c'est pourquoi elle n'épargnait rien quand il s'agissait de la pompe du culte. Durant toute sa prélature, trois ou quatre prêtres, parfois davantage, furent nourris et entretenus à l'abbaye pour y accomplir les différents services religieux 145). Douce aux autres, sévère à elle-même, Marie d'Estouteville pratiqua les vertus claustrales à un degré héroïque, digne, au témoignage de du Saussay, qui vivait tout près et comme à la source des traditions, de lui mériter les honneurs de la canonisation.
  • Elle est rangée, et avec raison, au nombre des abbesses triennales, qui ne pouvaient être réélues qu'une ou deux fois, d'après la règle, et par conséquent ne devaient porter la crosse que neuf ans, après lesquels une interruption d'au moins trois ans était nécessaire. Mais à Yerres les religieuses avaient un tel culte pour leur abbesse, qu'elles demandèrent et obtinrent des dispenses. Marie d'Estouteville fut réélue six fois de suite; elle accomplissait son sixième triennat lorsqu'elle mourut le 10 ou le 11 janvier 1537. Ses filles versèrent, sur sa dépouille mortelle, des flots de larmes, seuls parfums dignes d'embaumer les restes de cette grande |195 et sainte religieuse. Elles avaient, dans son intercession, une telle confiance, qu'elles s'opposèrent à ce qu'on lui élevât un tombeau, afin d'être plus près de son cadavre, couché à une très petite profondeur dans le sol de l'église abbatiale, et près duquel non seulement les moniales, mais les fidèles du dehors vinrent prier longtemps avec assiduité, non sans ressentir des marques irrécusables de la protection du Ciel, obtenue par son intercession.
  • Ce ne fut qu'au bout de plus de 25 ans qu'on lui éleva un mausolée, sur lequel on grava une inscription fautive presque en toutes ses parties. On y lisait: « Cy gist humble religieuse et dévote Dame, sœur Marie d'Estouteville, laquelle on peut dire fondatrice et restauratrice du couvent de céans, lequel a régi par l'espace de XXIII ans, durant lequel temps a été abbesse XIIII ans, le vendredy XI janvier 1533, âgée de 64 ans 146).“
  • Cette inscription a exercé la sagacité de plusieurs historiographes, et donné lieu à de multiples erreurs. Marie d'Estouteville, comme le dît le Nécrologe, d'accord en cela avec les pièces d'archives, mourut en janvier 1537. Elle était abbesse depuis 1520; par conséquent sa prélature avait duré 17 ans et non pas 14 ans seulement, car elle fut sans interruption. Il est vrai qu'une certaine tradition de l'abbaye voulait que Marie de Savoisy ait porté la crosse six ans, c'est-à-dire jusqu'en 1523. Bien qu'il n'en soit rien, comme nous l'avons montré à l'aide des documents les plus authentiques et les plus incontestables, cette tradition s'est exprimée dans l'inscription tumulaire de Marie d'Estouteville. La date de 1533 ne peut être attribuée qu'à la faute d'un graveur ou d'un copiste, puisque le texte de l'Obituaire existait. Il est vrai que Mévil donne bien celle de 1587! et que Lebeuf appelle cette abbesse Marie de Bouteville. Avec un peu de bonne volonté, en faisant venir Marie d'Estouteville à Yerres dès 1514, et en admettant qu'elle eût le pouvoir réel du temps de Jeanne Allegrin elle-même, et l'exerçât aussi pendant |196 que Marie de Savoisy portait la crosse, on arriverait peut-être à trouver les 23 ans de l'inscription. Nous avons suffisamment fait justice de ces données, faussement dites historiques.

Chapitre XVIII. Anne de Anne de la Rainville (1537-1541), Marguerite Le Grand (1541-1544), Étiennette de Guaigny (1544)

Personnel de l'abbaye. — Louis Tartin. — Les mères discrètes. — Le recrutement par l'école monastique. — Procès avec l'abbé de Tyron. — Court abbatiat d'Étiennette de Guaigny. — Destruction de la triennalité.

  • Selon leur coutume, les auteurs du Gallia ont, dans leur liste abbatiale, substitué ici un nom à un autre, car ce ne fut pas Marguerite le Grand qui succéda à Marie d'Estouteville, mais bien Anne de Rainville ou de la Rainville.
  • D'origine beauceronne, la nouvelle titulaire, au lendemain de son élection, se trouva à la tête de 39 religieuses professes, de 10 novices et d'une petite école comptant 15 à 20 jeunes filles, sorties pour la plupart de grandes et nobles maisons. Si on joint à cela les domestiques, hommes et femmes, et les jardiniers, on voit que l'autorité de la supérieure s'étendait sur une association d'au moins 100 personnes, partagées en plusieurs groupes, mais ayant toutes droit à sa sollicitude. La plus importante partie de la communauté est enfermée derrière de grands murs, cachée aux regards par des grilles, menant une vie pieuse, régulière, suffisamment pénitente et austère, pour commander le respect et l'admiration.
  • Par la faute du procureur Louis Tartin, nous ne savons que bien peu de choses de cette prélature et des deux suivantes. Certainement Tartin était un employé sûr, habile et dévoué; mais il avait les défauts de ses qualités, et se montrait fort |198 envahissant. Enfant gâté de la pieuse Mère d'Estouteville, il avait obtenu d'elle les pouvoirs les plus étendus et des procurations presque illimitées. Aussi traite-t-il tous les intérêts des moniales en maître et sans l'intervention des religieuses: procès, baux, échanges, contrats de toutes sortes et de toutes natures passent par ses mains; lui seul est nommé, lui seul intervient, et lui seul aussi a laissé son nom dans les annales de l'abbaye, au milieu du XVIe siècle. C'est, à peine si Jean III Budé parvient à attirer, à la grille du grand parloir, l'abbesse et les mères discrètes, pour conclure avec elles en personne l'échange d'une pièce de terre. Cet acte et un ou deux autres contrats de location sont seuls à nous dire la place très effacée, qu'Anne de la Rainville tient dans les affaires extérieures de sa maison.
  • Et cependant il y avait comme par le passé des procès à Brie, à Combs-la-Ville, à Villabé, à Puiselet, et ailleurs pour la défense des droits de dîmes de l'abbaye. Mais tout ce bruit extérieur mourait, ce semble, à la porte du cloître, et ne troublait plus ou que bien légèrement la quiétude de l'abbesse et de sa communauté, dont une grande partie, du reste, n'a plus part aux délibérations d'affaires, parce que ces choses sont maintenant concentrées entre les mains d'un petit sénat, formé par les plus anciennes moniales, appelées les “mères discrètes”, chargées de représenter la plus saine partie de l'association.
  • Anne de la Rainville était d'ailleurs fort sympathique à toutes ses filles, qui venaient de lui renouveler ses pouvoirs pour trois années, lorsqu'elle fut surprise par la mort, au mois de septembre 1541. Elle commençait son second triennat, et avait porté la crosse durant trois ans et demi.
  • Sa succession fut recueillie par Marguerite le Grand. Celle-ci était une ouvrière de la première heure de la réforme. Élue prieure du monastère, dès la fin de 1520, elle avait cédé un instant sa place à Marie Besançon, qu'on trouve exerçant cette charge en 1529. Bientôt rappelée à son ancienne fonction, Marguerite le Grand comptait dix-sept années de priorat en deux fois, quand elle fut nommée abbesse d'Yerres. |199
  • Profitant de sa longue expérience et de sa connaissance des affaires monastiques, elle n'eut qu'à continuer les heureuses traditions des trois premières abbesses de la réforme, qu'elle avait connues et aidées, avant d'être appelée à leur succéder. Aucun évènement important ne troubla la vie régulière à laquelle elle présidait, et qu'elle encourageait par ses leçons non moins que par son exemple.
  • L'école monastique commençait à porter ses fruits. Déjà elle avait donné au cloître une fervente religieuse dans la personne de Madeleine le Blanc, fille d'un conseiller du roi. M. le Blanc, son père, lui avait alloué, le jour de sa profession, la modique rente de 25 livres pour sa pension. Sous la prélature de Marguerite le Grand, c'est au nombre de plus d'une douzaine que les recrues quittent les bancs de l'école pour prendre la livrée bénédictine au noviciat d'abord, puis bientôt à la profession. Citons au hasard les deux sœurs Antoinette et Marie de Luxembourg; Isabeau Budé, fille de Jean III et de Jacqueline de Bailly; Jeanne Allegrin, nièce ou petite-nièce des anciennes abbesses; elle était venue embrasser et pratiquer à Yerres la réforme contre laquelle l'une de ses tantes avait tant combattu; Françoise de Tallemac; Madeleine Seiguier; Ursule Enjorrant; les deux sœurs le Lièvre; Radegonde Bouttin; Jeanne Viole; Charlotte de Menmare; Marie Briçonnet; Catherine Boilève et quelques autres; toutes sorties de la noblesse ou de la bourgeoisie parlementaire; toutes animées du désir de bien faire, en demeurant inébranlablement fidèles à la règle.
  • Les deux seuls faits extérieurs se rattachant à la prélature de Marguerite le Grand furent un grand procès soutenu contre l'abbé de Tyron, au sujet de la justice appartenant à la maison de la rue des Nonnains d'Yerres, à Paris. L'abbé voulait s'en emparer et les moniales défendirent leur droit avec une certaine âpreté. En 1542, elles abandonnèrent aux habitants de Videlles 147) la vaste superficie de 445 arpents de mauvaises terres, pour en faire des pâtures communales, et cela moyennant une très modique rente. |200
  • Marguerite le Grand mourut au moment où elle achevait son triennat, le 6 janvier 1544, laissant l'abbaye dans une assez grande perplexité au sujet de son indépendance.
  • Néanmoins les religieuses se réunirent en toute hâte et placèrent à leur tête l'une d'entre elles, Étiennette de Guaigny, l'une des anciennes compagnes de Marie de Savoisy. Étiennette prit la crosse en main, vit son élection acceptée par l'évêque de Paris et reçut de lui la bénédiction; mais elle ne put faire ratifier son choix par l'autorité royale, qui s'attribuait le droit de sanction en pareille circonstance.
  • La nouvelle abbesse se maintint cependant environ huit mois, pendant lesquels elle n'eut à enregistrer que des deuils. La mort enleva trois ou quatre des religieuses: Ève Baudry et Marie de Rapillart furent de ce nombre. Toutes deux avaient assisté à la transformation du monastère, et elles vécurent assez pour voir la destruction de l'œuvre qui leur était la plus chère, qu'elles avaient soutenu depuis 30 ans, en lui consacrant toutes leurs forces.
  • La triennalité des abbesses, l'un des points principaux de la règle de Poncher, venait d'être détruite. Un nouvel ordre de choses était né; Étiennette de Guaigny fut contrainte d'abandonner la crosse. Elle quitta l'abbaye, car à partir de ce temps-là, son nom ne figure plus au bas d'aucun contrat; elle reçut probablement, en échange de sa démission forcée, une compensation dans l'une des nombreuses abbayes du royaume. Dans tous les cas elle ne mourut pas à Yerres, et son nom n'a pas été inscrit dans l'Obituaire de la maison qu'elle gouverna, il est vrai, si peu de temps.
  • Cette triennalité des abbesses avait donc duré à peine 26 ou 27 ans. Elle avait compté en tout cinq titulaires, dont l'une, Marie d'Estouteville, pouvait presque prétendre au titre d'abbesse perpétuelle, puisqu'elle retint la crosse 17 ans.
  • La destruction de ce pouvoir abbatial de trois ans seulement fut-il un malheur? Nous ne le pensons pas, tant il était contraire à l'ancienne règle et à la tradition bénédictines. Heureusement la réforme avait produit des fruits meilleurs et plus durables.

Chapitre XIX. Marie de Pisseleu (1544-1553)

Le roi nomme une abbesse. — Famille et antécédents de Marie de Pisseleu. — Elle est abbesse perpétuelle. — Son caractère; ses procès. — Elle veut détruire l'œuvre de la réforme. — La résistance. — Marie quitte Yerres. — Elle y revient momentanément. — Sidonie le Picart gouverne le monastère. — Les difficultés qu'elle rencontre. — Rapport de 1547. — Charles Beguyn, procureur. — Ressources de la communauté.

  • Que s'était-il donc passé à l'abbaye, pour qu'Étiennette de Guaigny, élue naguère par les suffrages de ses sœurs, fut contrainte de quitter si brusquement le pouvoir?
  • On se souvient du Concordat de 1515, entre le pape Léon X et le roi François Ier . Par ce traité, le monarque avait obtenu le droit de nommer les titulaires de toutes les abbayes du royaume. Ce privilège, le prince ne l'exerça pas immédiatement. Pour ne point heurter de front les habitudes et surtout les droits imprescriptibles des monastères, il sut temporiser. De plus, juste au moment où il devenait le grand électeur de tous les couvents du royaume, la réforme et la règle de Poncher élevaient un nouvel obstacle à ses prétentions, par la destruction de la pérennité du pouvoir abbatial, et par l'obligation canonique de renouveler les élections tous les trois ans. En politique habile, François Ier attendit que l'enthousiasme des réformateurs s'émoussât, et que l'engouement des communautés du diocèse de Paris pour la réforme électorale, introduite dans la vie bénédictine, fut tombé. Il observa, encouragea et fit naître au besoin les difficultés et |202 les malaises, qui devaient nécessairement surgir dans les cloîtres par suite d'élections trop fréquentes; et jamais il ne perdit de vue son dessein, qui était de s'attribuer partout la nomination des titulaires.
  • Pour Yerres, le roi attendit vingt-huit ans, et laissa faire d'assez nombreuses élections. À la fin il imposa sa volonté. Il ne protesta pas, ce semble, contre la dernière élection, celle d'Étiennette de Guaigny: il fit mieux, il la cassa, ou n'en tint aucun compte. De leur côté, nos moniales ne paraissent pas avoir protesté très énergiquement contre ce que, dès lors, on appelait le droit royal. Elles se soumirent sans trop de peine, croyons-nous, aux entreprises du pouvoir civil, qui déjà triomphait assez aisément dans toutes ses luttes avec les gens d'Église.
  • Et cependant jamais occasion plus légitime de faire de l'opposition ne se présenta; car le choix du roi, en s'exerçant pour la première fois, ne pouvait être plus inopportun, ni plus malheureux. Il suffit de dire le nom de son élue pour faire pressentir ce qu'elle allait être: elle s'appelait Marie de Pisseleu 148), était sœur d'Anne de Pisseleu, dont tout le monde sait les rapports avec François Ier.
  • Cette première abbesse de nomination royale était picarde d'origine, et fille de Guillaume de Pisseleu, seigneur d'Heilly, et de Madeleine de Laval, sa troisième femme. Comme on le devine, l'élévation de Marie de Pisseleu était due uniquement à l'insatiable avidité de la maîtresse du roi, qui avait déjà fait donner huit ou dix évêchés à ses trois frères, et une demi-douzaine d'abbayes à ses deux sœurs 149); cela s'appelait posséder des bénéfices, et ce n'était que cela en effet.
  • Si les religieuses d'Yerres ignoraient le caractère et l'humeur de leur nouvelle supérieure, à lui seul son curriculum vitæ était capable de les renseigner. Marie était professe de l'abbaye de Notre-Dame de Soissons, où elle avait passé une |203 partie de sa jeunesse. Elle devint en 1526 abbesse de Saint-Paul de Beauvais, par la cession que lui fit de cette abbaye Bone de Prouville, contre une compensation. À peine est-elle en possession, que le Parlement est forcé de s'occuper d'elle. En décembre 1526, en février 1527, et surtout le 28 août 1532, où sur la demande de Charles de Villiers de l'Isle-Adam, évêque de Beauvais, on est contraint de l'éloigner, pour procéder à la réforme de l'abbaye. Afin d'occuper ses loisirs, elle obtient le priorat de l'hospice de Pontoise. Elle s'y installe, et y vit sans aucune contrainte, retournant de temps à autre à son abbaye de Beauvais, où elle met le désordre, grâce à la connivence de l'indigne cardinal de Châtillon. Ce fut dans sa villégiature de Pontoise qu'elle reçut, dès 1543, du vivant même de Marguerite le Grand, son brevet de nomination pour l'abbaye d'Yerres. Comment les Bénédictins du Gallia ont-ils pu faire de cette femme une abbesse triennale de notre monastère? C'est de leur part une distraction qu'il n'est pas facile d'expliquer, car il est bien évident que les moniales d'Yerres n'avaient aucune raison d'appeler chez elles une femme qu'elles ne connaissaient pas, qu'elles cherchèrent même à écarter, en donnant la crosse à Étiennette de Guaigny.
  • Est-ce parce qu'elles firent ensuite, sur l'ordre du roi, un semblant d'élection sur le nom de Marie de Pisseleu? Mais il en fut toujours ainsi dans la suite. Sitôt que la communauté recevait la notification du brevet, lui donnant une nouvelle abbesse, on se réunissait en toute hâte, on faisait un simulacre d'élection, en ayant bien soin de ne pas mettre dans l'urne d'autre nom que celui de la titulaire désignée par le roi. On tenait tant à ce droit d'élection, il était si naturel et si canonique à la fois, qu'en en perdant la réalité, on s'attacha à en conserver l'ombre!
  • Dire pourquoi Marie de Pisseleu, en possession de son titre dès 1543, fut plus d'une année sans venir à Yerres n'est pas chose facile. Quelques difficultés et des retards, imposés à Rome pour l'expédition des bulles, expliquent peut-être cette insolite inactivité. D'ailleurs on ne perdait rien pour attendre. La nouvelle titulaire arrive à la fin de 1544. Elle remet |204 aussitôt en honneur le nom personnel de l'abbesse, un peu trop effacé dans les contrats, par le procureur, durant les dernières prélatures.
  • C'est elle-même qui fait passer les baux en sa présence; elle se transporte volontiers dans les endroits où ils doivent être signés; car pour elle, la clôture est un simple vocable sans signification et dont elle n'a cure. Il faut voir, lorsqu'elle a conclu un bail, avec quelle rigueur elle en poursuit l'exécution de toutes les clauses: ceci n'était que justice. Mais si elle était âpre à réclamer ses droits, elle était non moins habile à dissimuler ses charges. Cette double tendance ne tarda pas à multiplier les difficultés et les procès: d'une part avec les fermiers de l'abbaye, qui, habitués à vivre bonnement sous la crosse, interprétaient toujours largement à leur profit, leurs obligations envers le monastère; d'autre part, avec les curés, locataires et copropriétaires des dîmes paroissiales.
  • Au nombre de ceux qui se défendirent le plus vigoureusement contre Marie de Pisseleu, nous pouvons nommer Jean Beauchesne, curé de Lieusaint. Il n'est plus fermier de l'abbaye, il a été remplacé par un paysan, à qui il réclame une portion de la dîme. Ce malheureux paroissien a beau répondre à son curé qu'il ne dépend pas de lui, qu'il ne connaît qu'une seule maîtresse: Madame l'abbesse; Beauchesne ne l'en poursuit pas moins devant les tribunaux civils et ecclésiastiques 150). Ses voisins les curés de Brie-Comte-Robert et celui de Combs-la-Ville imitent son exemple et procèdent contre le couvent. Des difficultés naissent également entre l'abbesse et le curé d'Yerres, ainsi qu'avec ceux de Drancy, de Tremblay, de Villabé et de Puiselet.
  • Marie de Pisseleu met encore sa maison en procès avec beaucoup de tenanciers et de particuliers, parmi lesquels se trouvent toujours les de Lannoy et les Budé, représentés |205 cette fois par Jacqueline de Bailly, veuve de Jean Budé, agissant au nom de ses enfants mineurs.
  • Tant d'entreprises extérieures auraient dû, ce semble, absorber toute l'activité de la remuante abbesse, et la contraindre à laisser vivre en paix ses filles du cloître. Il n'en est rien. En même temps qu'elle est tourmentée du besoin d'entrer en lutte avec les séculiers, Marie de Pisseleu veut bouleverser le régime disciplinaire de son cloître. Pour elle la règle suivie à Yerres est trop sévère; la clôture est une gêne qu'elle ne peut tolérer, même pour les autres: elle va changer tout cela. Mais ses religieuses ont ajouté dans leur profession aux trois vœux de pauvreté, d'obéissance et de chasteté, celui de vivre sous clôture: elles l'inscrivent dans tous leurs actes, et refusent énergiquement de se prêter aux fantaisies de leur supérieure. Chose plus grave encore, la doctrine de Marie de Pisseleu est suspecte. Elle a prêté une oreille complaisante aux nouveautés dogmatiques venues d'Allemagne; son esprit inquiet incline vers l'enseignement hérétique, elle s'efforce de le glisser, par ses rares instructions, dans les âmes des Bénédictines, qui en ont horreur. Enfin, sous prétexte d'affaires diverses, l'abbesse attire au monastère une foule de séculiers, qui se répandent avec son autorisation dans les lieux réguliers, troublent la paix du cloître, et rendent impraticables les exercices de la vie monastique. Bref, Marie de Pisseleu veut jouer, au XVIe siècle, les Jeanne de Rauville.
  • Heureusement le cloître était bien gardé, et Marie se trompait d'époque. Nombreuses et ferventes, les moniales n'ont vu dans leur abbesse qu'une intruse, à elles imposée par la volonté du roi, et dont elles se défient. À leur tête, pour la vie intérieure, se trouve une femme sûre, une religieuse éprouvée, qui tient à la régularité, à l'observance, à la clôture, au nom desquelles elle a déjà vu soutenir tant de luttes dans le passé. C'est la Mère Sidonie le Picart, parente d'Étienne Poncher; en 1514, elle s'opposa un moment à la réforme; mais depuis lors elle l'a embrassée avec ardeur, elle la pratique depuis trente ans, et veut à tout prix en conserver le bienfait à sa maison, dont elle est devenue la prieure en 1541. Par sa dextérité et sa fermeté elle préserve ses sœurs des |206 funestes enseignements de l'abbesse. Elle est aidée dans sa tâche par la Mère Marie de Sailly, maîtresse des novices. Celle-ci est une ancienne religieuse comme la prieure; comme elle aussi, elle a trente ans de vie édifiante à son actif, et elle est très attachée à l'œuvre de la réforme. Toutes deux sont soutenues, appuyées et encouragées par les Dominicains. Ces religieux sont toujours confesseurs et directeurs de nos moniales; leur doctrine est sûre, à l'abri des nouveautés suspectes, et d'un catholicisme à toute épreuve.
  • Néanmoins toutes ces bonnes volontés réunies n'étaient pas capables de lutter avantageusement contre l'abbesse, forte du pouvoir que lui donnait son titre, soutenue par la Cour et appuyée sur l'autorité du roi. C'est pourquoi Sidonie le Picart, bien conseillée, sollicita en sa faveur le concours de son supérieur direct: l'évêque de Paris.
  • C'était alors Jean du Bellay, et il faut lui rendre cette justice que lorsqu'il s'agissait des autres, ce prélat se montrait généralement ami de la discipline, de la régularité, de l'austérité: chez lui, c'était une manière de rendre hommage à la vertu. Dans la circonstance, il n'hésita pas à faire son devoir. Les religieuses lui ayant dénoncé leur abbesse, comme troublant l'ordre de la communauté, menaçant l'œuvre de la réforme et suspecte au point de vue de la foi, Jean du Bellay donna à ses officiers la mission d'informer. Marie de Pisseleu était fort connue, son procès canonique ne fut pas long, elle fut condamnée; mais elle en appela immédiatement au Parlement. Toutefois l'évêque de Paris eut assez de crédit pour la contraindre à quitter Yerres, afin de soustraire ses religieuses à sa vengeance et à ses mauvais traitements. On lui assigna Dieu de Paris ou l'hôpital Saint-Gervais. Le procès est devant le Parlement. Tout d'abord les magistrats tentent de donner gain de cause à l'évêque, et à sa sentence, force de loi. Mais l'inculpée est protégée par une sorte de divinité mystérieuse, pas bien difficile à découvrir; elle obtient des délais, puis des enquêtes.
  • L'une d'elles met à nu le caractère de Marie de Pisseleu, et peint les mœurs du temps. L'abbesse se rend à Yerres pour |207 défendre ses droits, dit-elle. “Mais elle se fait suyvre par une suyte de gens séculiers incongnuz et portans armes et bastons, qui accompaignent icelle de Pisseleu contre son état de religion”, ce que les bons magistrats trouvent inconvenant. À Yerres, l'abbesse “menace, injurie ceux qui témoignent contre elle, aussi bien que les juges et vicaires de l'évêque”; c'est pourquoi le Parlement donne des saufs-conduits aux juges qui devront aller à l'abbaye, et ordonne que Marie de Pisseleu, qui y sera reconduite, ne devra être accompagnée que par des religieuses de l'Hôtel-Dieu ou de Saint-Gervais. Ceci se passait le 9 juillet 1547. Le 6 août suivant, le procureur cherche à dessaisir l'évêque de la cause; et au cas où les Vicaires généraux voudraient passer outre, ils devront se faire accompagner par deux conseillers de la cour, pour les assister. Enfin le 21 août, le procureur ordonne que le procès fait par le promoteur lui sera remis, car telle est la volonté du roi et son bon plaisir! Ce fut tout.
  • En 1547, le charme qui protégeait Marie de Pisseleu se rompit un instant par la mort de François Ier . Mais peu après, Henri II se fit aussi le soutien de celle que son père avait trop protégée. De la, la fin de non-recevoir opposée au jugement rendu par l'officialité diocésaine.
  • Malgré cette opposition, Marie de Pisseleu ne rentra jamais à Yerres. Elle conserva néanmoins le titre d'abbesse de la maison. Chassée de son siège, elle erra quelque temps au milieu de ses bénéfices, puis rentra à l'Hôtel-Dieu de Pontoise, où elle mourut le 1er mars 1553. Sa dépouille mortelle fut transportée à Saint-Paul de Beauvais, abbaye dont elle était toujours titulaire. Elle avait été nominalement abbesse d'Yerres pendant 10 ans (1543-1553), mais elle n'y avait pas seulement résidé deux années.
  • Après le départ de Marie de Pisseleu, Sidonie le Picart la prieure eut le titre de vicaire du couvent, et gouverna le monastère avec pleins pouvoirs, en attendant la nomination d'une nouvelle abbesse.
  • Sidonie put faire des baux, poursuivre des procès, signer tous les contrats 151), en un mot administrer. Et les six |208 années qui s'écoulèrent entre 1547 et 1553 comptent au nombre des plus prospères de l'abbaye. Cependant les difficultés ne manquaient pas, car la situation créée par la conduite de Marie de Pisseleu avait amené chez nos religieuses plusieurs interventions étrangères.
  • La règle de Poncher exigeait des couvents qui lui étaient soumis, le choix d'un visiteur élu, chargé de prendre la défense et aussi la direction des intérêts temporels et spirituels de la communauté. Nous ne savons si ce point de la règle fut observé à Yerres dès le commencement de la réforme; mais nous trouvons pour la première fois ce visiteur le 12 septembre 1547. Il se nommait frère Jean Goudequin, prieur de Saint-Ladre-lèz-Paris, il était accompagné d'un religieux appelé frère Martin de la Queue, et de Pierre le Roy, alors confesseur ordinaire des sœurs. Ces trois ecclésiastiques assistèrent ainsi que toutes les professes à la passation d'un bail de la ferme de Herces, rédigé par Robert de Ellecourt, qui s'intitule pompeusement “notaire et greffier pour la réforme du dit monastère”. Le monastère, nous l'avons dit, n'avait nullement besoin de réforme, mais bien l'abbesse titulaire, qui lui créait toutes sortes d'oppositions.
  • Si le visiteur canonique pouvait à la rigueur être considéré comme partie intégrante de l'abbaye, dont il était pour ainsi dire le supérieur temporel, il n'en était pas de même des membres de l'officialité diocésaine, qualifiés par les documents “vicaires généraux”; pas de même surtout des conseillers du Parlement, dont la présence indiquait une sorte de suspicion. Ceux-ci étaient enquêteurs par nature. Ils interrogeaient, questionnaient sans trêve, ni relâche. Ils exigèrent, au début de cette année 1547, un état détaillé de la situation de l'abbaye à tous les points de vue. Un rapport leur fut fourni le 14 mars ; il existe encore, et s'il ne dénote pas une prospérité matérielle bien brillante, il a l'avantage de nous fournir des détails intéressants sur le personnel de la communauté 152)). |209
  • Entre autres choses, nous y remarquons que le procureur Louis Tartin a disparu, et qu'il est remplacé par Charles Béguyn, prêtre comme son prédécesseur, et comme lui fort zélé. Il l'est tant qu'il dépasse parfois la mesure. N'a-t-il pas eu la malencontreuse idée, au mois de septembre 1548, de faire enfermer dans les prisons de l'abbaye, le sergent de justice de la dame d'Yerres? Sidonie le Picart avait, comme ses devancières, des idées fort arrêtées sur l'exercice de la justice. L'infortuné sergent instrumentait pour sa maîtresse, dans un des prés du monastère. De là son incarcération.
  • Après six mois de fer et des réclamations véhémentes, il fallut le relâcher; toutes les moniales, la prieure en tête, “congrégées et rassemblées au grand gril du couvent” furent contraintes de faire des excuses à la dame d'Yerres |210 (Jacqueline de Bailly) et de désavouer leur trop zélé procureur 153).
  • Sidonie le Picart est d'ailleurs rentrée dans les bonnes traditions: toutes ses sœurs sont appelées à signer les baux des biens du monastère; c'est long et incommode, maintenant surtout qu'il y a 50 professes; mais c'est plus digne. Pendant qu'elle fut chargée de l'administration, elle ne passa pas moins de 20 ou 30 contrats, et tous sont marqués au coin du bon sens et de la stricte équité.
  • Les ressources nécessaires à l'entretien de la communauté, venaient: 1° de la location des terres et des dîmes; 2° des droits de justice, des lods et ventes; 3° de certaines rentes viagères; 4° enfin des pensions des religieuses. Instruites par l'expérience du passé, nos moniales ne reçoivent plus de dons manuels ou bien peu. Ces dons en effet étaient ordinairement chargés de services religieux fort pénibles. Or, afin de ne pas changer leur église en nécropole pour services funèbres, comme au XIVe siècle, elles n'acceptent que les dons purement gratuits, très peu importants et pas nombreux. Elles trouvent du reste une compensation dans les pensions servies par les parents de leurs sœurs; et celles-ci atteignent parfois un chiffre assez notable pour l'époque. Témoin ce reçu écrit tout entier et signé de la main de la prieure, où elle “confesse avoir reçu de Messire Anthoine de Luxembourg, comte de Ligny, etc…, la somme de 400 livres tournois, pour les pensions de ces deulx chères seurs, les nostres bien aymées, seurs Anthoynette et Marie de Luxembourg”.
  • Il reste plusieurs pièces manuscrites de la main de Sidonie le Picart. Son écriture droite, parfaitement formée, comme notre ronde moderne, dénote une femme d'ordre et de caractère, très instruite pour le temps où elle vivait. Sa famille occupait un certain rang dans la société, car son frère Étienne |211 le Picart était seigneur de la Motte-Gallon en Brie; il donna à l'abbaye l'une de ses filles, Cécile le Picart, professe en 1555.
  • Le pouvoir intérimaire de Sidonie cessa en 1553; mais elle garda la charge de prieure, avec la nouvelle administration, jusqu'en 1565 ou 1566; elle l'avait exercée pendant 23 ans. Elle ne mourut qu'en 1572, presque octogénaire, ayant plus de 60 ans de profession religieuse, après avoir porté vaillamment le poids de la règle et de l'observance, et rendu des services incalculables à son monastère.

Chapitre XX. Antoinette de Luxembourg (1553-1603)

Nomination de Madame de Luxembourg. — Son caractère. — Premières années de sa prélature. — Ses voyages: leur explication, leur but et leur résultat. — Séparation des pouvoirs — Contrats et actes d'administration. — Diminution du nombre des moniales. — Les causes. — Charité de l'abbesse. — Transformation du droit de chèvecerie. — Contestations avec les curés des paroisses et les seigneurs. — La justice. — Les titres de Madame de Luxembourg. — Elle laisse ses nièces gouverner. — Sa mort. — Son tombeau.

  • Évidemment on n'attendait que le décès de l'ancienne abbesse pour donner une titulaire à l'abbaye d'Yerres, vacante en réalité depuis cinq ou six ans. Le choix était arrêté depuis longtemps; et Antoinette de Luxembourg reçut son brevet de nomination dès le mois de mars 1553, et ses bulles, peu de temps après.
  • Nous avons déjà rencontré le nom de la nouvelle abbesse, car elle était, depuis plus de vingt ans, sous le cloître dont elle devenait la supérieure. Née en 1525, Antoinette était fille de Charles de Luxembourg Brienne et de Charlotte d'Estouteville. Attirée à Yerres, ainsi que sa sœur Marie, qui devint abbesse de Notre-Dame à Troyes, par la réputation de leur parente, l'abbesse Marie d'Estouteville, elles prirent l'habit toutes jeunes et entrèrent au noviciat. Antoinette était professe dès 1544, à dix-neuf ans; elle vécut sans distinction au milieu des moniales, sous la conduite de Sidonie le Picart, et fut faite abbesse à 28 ans.
  • Madame de Luxembourg était digne de gouverner. D'une |213 piété ferme et éclairée, elle sut demeurer inébranlable dans sa foi, et inattaquable au point de vue des mœurs, dans la vie la plus agitée et les conjonctures les plus délicates qui se puissent imaginer. Car elle eut à faire face, non seulement aux soucis inséparables du gouvernement d'une grande maison, et à la gestion difficile d'un domaine temporel assez étendu et mal réuni, mais encore à des épreuves d'un genre particulier. La fin du XVIe siècle fut agitée par les Guerres de Religion, et les supérieures de communautés eurent à surmonter bien des périls. Tenir dans la paix les jeunes moniales du cloître et lutter contre les obstacles du dehors, tel fut le labeur d'Antoinette de Luxembourg; elle s'en tira à son honneur et à sa louange.
  • Les premières années de, son abbatiat semblent s'être écoulées d'une manière assez tranquille. Elle n'eut à lutter, ce semble, que contre les éléments. En 1557, les pluies furent si abondantes que l'Yerres sortit de son lit, envahit l'enclos du couvent, inonda les cloîtres, pénétra dans la chapelle, où il y avait deux pieds d'eau. Le mausolée d'Eustachie de Corbeil, ceux de plusieurs abbesses furent submergés et détruits, on ne put les réparer. À part cet accident regrettable, mais d'ordre matériel, les archives du couvent nous laissent voir l'abbesse dans les fonctions ordinaires de sa charge; c'est-à-dire dans l'instruction de ses filles du cloître, dans la présidence des offices religieux, dans le gouvernement de son domaine, et la gestion assez compliquée des intérêts matériels et moraux de sa communauté, dans la surveillance et le remplacement de son personnel. Elle signe des contrats, ménage des échanges 154), renouvelle des baux, s'entretient avec son procureur, qu'elle change plusieurs fois. Tout en un mot porte la trace de son activité, et dénote de sa part des aptitudes remarquables. |214
  • Mais cette première période de six ou sept ans passée, notre abbesse quitte son cloître, et la voilà sur tous les chemins de Paris et de la France, sollicitant partout une faveur, une exemption, une réparation d'injustice pour son couvent. Ces déplacements qui, au premier abord, semblent peu compatibles avec la stabilité, imposée à toutes les moniales et principalement aux filles de Saint-Benoît, sont pourtant fort bien justifiés par les circonstances et les évènements de l'époque. Jamais d'ailleurs, nous le répétons, ils ne portèrent atteinte à la réputation d'Antoinette.
  • Qu'était-il donc arrivé? La guerre des Protestants battait son plein. Ces fanatiques, avides du sang des moines et des nonnes, menaçaient tous les cloîtres de la destruction, de l'incendie et de la ruine. Ce fut pour détourner ces malheurs de sa maison, que notre abbesse se mit en campagne et entreprit de multiples pérégrinations. Elle était bien placée pour se faire écouter, car, par ses attaches de famille, elle avait de nombreuses relations dans les deux partis, catholique et protestant. Aussi passe-t-elle avec une facilité admirable d'un camp à l'autre, et trouve-t-elle, presque toujours, ici et là une oreille disposée à écouter ses plaintes et ses réclamations, et à y faire droit. Ce qui légitime ses fréquents voyages et ses longues absences, c'est leur résultat. Tandis que de 1555 à 1595, c'est-à-dire pendant 40 ans, presque toutes les maisons religieuses des environs de Paris sont contraintes de quitter leurs cloîtres de campagne, pour se mettre à l'abri dans les villes, afin d'échapper aux dangers de la guerre et des haines hérétiques; les Bénédictines d'Yerres, durant cette époque tourmentée, peuvent tenir leur couvent, le préserver du désastre, y vivre dans une paix relative et sauver leurs manuscrits et leurs meubles du pillage et de l'incendie 155); elles sont protégées par leur abbesse, qui ne recule devant aucune démarche, si pénible fut-elle, pour sauvegarder l'honneur et la vie de ses chères filles du cloître.
  • Il nous est impossible de suivre Antoinette de Luxembourg |215 dans ses voyages, qui n'appartiennent qu'incidemment du reste à l'histoire de l'abbaye, que nous voulons poursuivre sans nous laisser distraire par les incidents de la vie de l'abbesse.
  • Celle-ci avait pris soin, avant de se mettre en route, de pourvoir au bon ordre intérieur de sa maison, aussi bien qu'à l'administration des affaires temporelles durant son absence.
  • Sidonie le Picart, Marie de Sailly, Étiennette Hodon, Jeanne Viole, sœur ou nièce de l'évêque de Paris, Marie de Longueil, Madeleine le Blanc, Madeleine Seguier, Marie de Harlay, tour à tour prieures, sont chargées de veiller au bon ordre de la communauté, à la régularité des exercices et de l'office divin, en un mot elles sont préposées à tout ce qui concerne la vie claustrale et monastique. Pour les choses extérieures, la signature des contrats, les rapports avec le procureur, Madame de Luxembourg a fait choix d'une autre moniale, nommée Anne le Cirier, qui, avec le titre singulier de “Commise”, remplace l'abbesse empêchée. Aussi lit-on en tête de tous les actes de cette période… “furent présentes… Madame Anne le Cirier, Commise de la dite dame en son absence”. Anne le Cirier était professe d'Yerres, mais c'est une religieuse peu connue; on ne sait pourquoi Madame de Luxembourg l'avait en si particulière estime. Dans les cérémonies et les offices, elle la plaçait toujours la première après elle, avant la prieure et les autres officières, ce qui faisait un peu murmurer sous le cloître, malgré le respect et l'obéissance, que toute la communauté professait pour les décisions de sa supérieure.
  • Sous la direction de la prieure et sous le gouvernement de fait exercé par la “Commise”, l'abbaye continua sa vie régulière. Les contrats et toutes les affaires administratives se traitent d'une façon normale “au grand gril, toutes les religieuses assemblées et congregées” selon l'usage. Elles comparaissent, sous la présidence d'Anne le Cirier, devant le tabellion le Jude 156) ou ses substituts, afin de donner leur |216 assentiment aux mesures prises pour le plus grand bien du monastère.
  • Il serait fastidieux et sans profit, croyons-nous, de faire la nomenclature des centaines d'actes, gardés dans le chartrier de la maison et passés durant le long abbatiat d'Antoinette de Luxembourg 157), bien que plusieurs donnent de curieux détails et racontent des traits de mœurs intéressants. Les fermes de Lieusaint, de Tremblay, de Sénart, de Moisenet, des Godeaux, le moulin de Masières 158) apportent leur tribut régulier à ce monceau de parchemins et de papiers. À l'aide de toutes ces pièces, on voit les parties en cause recourir aux mêmes moyens, aux mêmes arguties, aux mêmes dissimulations que de nos jours, pour défendre leurs intérêts, étendre leur pouvoir et leur domaine, et diminuer leurs charges.
  • Malgré les qualités éminentes de Madame de Luxembourg, et son dévouemement à sa maison et à ses sœurs, l'abbaye vit son personnel monastique diminuer de plus de moitié pendant cet abbatiat. Cela tient à plusieurs causes qu'il est nécessaire de faire connaître.
  • 1° La petite école fut supprimée de fait. Par suite des dangers de la guerre, les parents, d'un côté, n'osaient pas confier leurs enfants aux religieuses; de l'autre, celles-ci, placées à la campagne dans une maison sans défense, ne se souciaient pas de prendre une telle responsabilité: ce qui amema l'extinction partielle du recrutement. — 2° Plusieurs jeunes religieuses du cloître furent réclamées par leurs familles inquiètes, et leur départ diminua d'autant le personnel monastique. — 3° Antoinette de Luxembourg envoya |217 un grand nombre de ses filles gouverner d'autres maisons religieuses. Elle voyait ces exodes sans déplaisir, les favorisait même, et un certain nombre de ses courses eurent pour but d'accompagner ses moniales à des bénéfices qu'elles leur avaient obtenu par son influence. L'abbesse croyait, avec raison peut-être, qu'un certain lustre rejaillissait sur sa maison, de ce fait, que nombre de ses membres étaient jugés dignes de gouverner d'autres communautés. Nous avons déjà dit que sa sœur Marie de Luxembourg obtint l'abbaye de Notre-Dame à Troyes. Des bénéfices furent aussi attribués aux sœurs de Harlay, de Longueil, Cécile le Picart, de Lory, Briçonnet, Séguier, le Cirier, Budé et autres. Si bien que Madame de Luxembourg, qui avait trouvé plus de 60 religieuses vêtues, à son entrée en charge, n'en laissa pas plus d'une trentaine en mourant: un bail de juillet 1587 ne nomme que 16 professes. Si son système avait l'avantage de jeter un certain lustre sur l'abbaye, en portant au loin son nom, il avait aussi le très grave inconvénient d'affaiblir la discipline et d'appauvrir la sève religieuse, en prenant au monastère ses meilleurs éléments.
  • Durant son long abbatiat. Madame de Luxembourg fit preuve de qualités éminentes et de vertus exceptionnelles. Sa charité envers les pauvres et les déshérités était si connue, que de tous côtés on faisait appel à sa libéralité, et jamais les malheureux ne s'éloignèrent d'elle sans en obtenir une aumône et un soulagement.
  • Au point de vue administratif, elle fut contrainte de prendre une multitude de mesures, qui toutes paraissent marquées au coin de la plus grande sagesse. Les Dominicains avaient quitté l'abbaye à la suite de pénibles débats avec Marie de Pisseleu; elle y fit venir, au moins de temps à autre, des Bénédictins, parmi lesquels nous voyons apparaître assez fréquemment frère Remy Jouin et quelques autres. Des procureurs ecclésiastiques fort nombreux gérèrent les affaires de la communauté: Jean Durant, Geoffroy Collet, Hugues Régnault, Pierre Boudeau, Jean et Martin Petit, Gervais Boutevillain remplirent tour à tour ces délicates fonctions, qui à la fin furent confiées à un laïque, en conformité avec |218 un point de la règle de Poncher. Un certain Pierre Motheau 159), originaire de Brunoy, ami de l'abbaye en fut chargé l'un des premiers. Enfin Madame de Luxembourg supprima le droit suranné et devenu odieux de chèvecerie à Notre-Dame de Paris, par un accord honorable avec les chanoines, eh 1598.
  • Son esprit de conciliation ne put la soustraire à l'ennui des procès. Elle en eut dès sa première année avec Jean Leprebtre, religieux profès de Saint-Magloire et curé de Brunoy, au sujet des dîmes paroissiales, qui ne lui étaient pas dues, affirmait le curé. Elle procéda également contre le curé de Villabé, qui finit par reconnaître ses torts; et aussi contre celui d'Yerres, son obligé pourtant. En effet, l'abbesse ayant fait cadeau d'un orgue à son église abbatiale; comme aucune de ses religieuses ne savait s'en servir, ce fut Thomas Yvert, qui fut le premier organiste de la maison, et pour le récompenser, l'abbesse lui donna la cure de la paroisse. On trouve encore d'autres contestations avec Pierre Huchebard, fermier de Chintreaux, et avec les Budé et les de Lannoy, bien qu'ils fussent devenus parents de l'abbesse par alliance. Ces excellents seigneurs de village consentaient bien à placer leurs filles ou leurs sœurs au couvent, mais ils ne pouvaient renoncer à la douce satisfaction de faire des procès au monastère.
  • Enfin Madame de Luxembourg, comme toutes ses devancières, revendiquait énergiquement ses droits de justicière. Un gros cahier relatif aux seules années 1583, 1584, 1585, nous permet de voir le prévôt de l'abbesse jugeant vingt-cinq ou trente procès, pour des affaires peu importantes, il est vrai! C'était à faire pâlir la cour du Parlement.
  • Malgré ses qualités, Antoinette de Luxembourg eut aussi ses petites faiblesses, très faciles à relever dans les actes de son gouvernement. Sa piété était profonde, mais elle ne sut |219 pas se défendre de cet air un peu solennel, hautain et légèrement dédaigneux, qu'elle affectait surtout avec les Budé et les Lannoy, ces incorrigibles adversaires de sa maison. La première, dans les actes, elle supprima tout à fait, après quelque temps, l'humble abbesse pour devenir d'abord simplement Madame l'abbesse, puis bientôt Très illustre Dame, Madame Anthoinette de Luxembourg, abbesse royale de Notre-Dame d'Yerres. Celles qui viendront ensuite renchériront encore sur ces titres pompeux, sur ces airs solennels et sur ces futilités mondaines, si contraires à l'excellente et religieuse simplicité des anciennes filles de Saint-Benoît.
  • En vieillissant, Madame de Luxembourg sentit le poids de l'âge, et elle ne se prémunit pas suffisamment contre certaines intrigues, nouées autour d'elle, sinon avec son consentement, du moins avec sa participation tacite. Le monastère, selon l'ordre naturel, avait perdu un grand nombre de ses anciennes religieuses: Charlotte de Menemare, Blanche de Lannoy, Jeanne Viole, Judith de Ferbois, et Hélène Régnault morte presque centenaire, en 1590 160), étaient retournées à Dieu. Le cloître fit de nouvelles recrues, surtout lorsque Henri IV eut rendu la paix et la tranquillité au pays. Parmi celles-ci nous remarquons Catherine Desmarets, Catherine des Ursins, et Françoise de Luxembourg-Piney. Ces deux dernières étaient nièces ou petites-nièces de l'abbesse; elles profitèrent de leur ascendant sur leur tante vieillie et débile, pour prendre la direction de la maison, où toutes deux voulaient porter la crosse: elles firent deux partis dans la communauté, au grand détriment de l'ordre et de la discipline. Antoinette de Luxembourg, entourée du respect, de l'amour et de la vénération de toutes ses filles, ne voyait pas ces misères ou n'avait plus la force de les réprimer. Elle mourut le 30 septembre 1603, à l'âge de 78 ans, après avoir porté la crosse à Yerres, pendant cinquante ans 161). Elle fut enterrée |220 dans le chœur de l'église abbatiale, et on éleva sur sa tombe, un monument de pierre, pour rappeler son nom et ses vertus. Plus tard, ce monument fut déplacé et mis dans la nef, avec une inscription un peu prétentieuse, où se lisaient plusieurs choses inexactes. Avec l'éloge mérité de la piété, de la charité et des autres vertus de la défunte, on dit qu'elle tint la crosse cinquante-cinq ans, ce qui est une erreur; et qu'elle réforma l'abbaye. Rien n'est plus faux, ni plus injuste pour la mémoire de Sidonie le Picart. Quand Madame de Luxembourg fut promue abbesse, la maison n'avait nullement besoin de réforme, elle était régulière et fervente, remplie de dignes et saintes moniales. Si, au point de vue de la gloire et de la grandeur monastiques, on voulait faire une comparaison entre les deux époques de 1553 et de 1603, l'avantage ne serait certainement pas pour cette dernière. L'inscription insinue en outre que Françoise de Luxembourg, qui fit élever le monument, fut l'héritière, non seulement des vertus, mais aussi de la charge de sa tante, ministerii illius hæres. Le chapitre suivant nous apprendra ce qu'il faut penser de cette assertion.

Chapitre XXI. Catherine-Alphonsine Jouvel des Ursins (1604-1636)

Départ de Françoise de Luxembourg. — Madame des Ursins. — Ses travaux. — Terrier du monastère. — Réouverture de l'école monastique. — Décrets du Concile de Trente. — Changements amenés par leur proclamation. — Nombre des religieuses. — André du Saussay. — Activité de Madame des Ursins. — Affaiblissement de la discipline. — La tombe de l'abbesse.

  • Il est très probable qu'on intrigua pour faire donner la crosse abbatiale d'Yerres à Françoise de Luxembourg-Piney, qui, dans les deux dernières années de la prélature précédente, signait les actes et les contrats au lieu et place de sa tante; la manœuvre n'ayant pas réussi, Françoise quitta l'abbaye, sans que nous sachions où elle porta ses pas.
  • Ce fut Catherine-Alphonsine Jouvenel des Ursins 162) qui prit la place laissée vacante par Madame de Luxembourg. Elle était fille de Christophe Jouvenel des Ursins, baron de Trainel, seigneur de la Chapelle, et de Madeleine de Luxembourg, par conséquent nièce aussi d'Antoinette. Âgée de trente-trois ans, à quinze ans elle avait fait profession à Yerres, avant l'âge fixé par la règle de Poncher; elle était au courant de toutes les habitudes et connaissait toutes les traditions de la maison; elle n'eut qu'à continuer le gouvernement de sa tante. Son brevet de nomination et ses |222 bulles ayant subi certains retards, elle dut attendre plus de trois mois, et ne fut mise en possession de sa charge qu'au commencement de 1604.
  • Très heureusement douée, Madame des Ursins était d'une piété remarquable, d'un calme et d'une tranquillité d'âme attestés par tous ses contemporains. Ses vertus éminentes lui assurent un rang distingué au milieu de cette génération qui s'épanouit sous Henri IV et sous Louis XIII, et a fait de la première moitié du XVIIe siècle l'époque la plus religieuse qu'ait connue la nation française, dans les temps modernes.
  • Bien que cet abbatiat se soit écoulé au milieu de circonstances particulièrement heureuses et paisibles, Catherine des Ursins n'en connut pas moins les épines, qui naissent sous les roses d'un bon gouvernement.
  • La situation matérielle que lui laissait Madame de Luxembourg n'était pas exempte de soucis et réclamait une sollicitude attentive. D'abord les Guerres de Religion, tout en épargnant un peu l'abbaye, l'avaient cependant assez fortement endommagée. Il faut, dès 1605, faire des travaux importants et, coûteux, au monastère reconstruit quatre-vingts ans auparavant par Madame d'Estouteville. Toutes les fermes de la Brie et de la Beauce demandent également des réparations. Elle en entreprend tout d'abord, mais bientôt elle est à bout de ressources, et en 1610, elle déclare qu'elle et sa maison ne peuvent plus vivre. C'est pourquoi elle a recours aux moyens extrêmes; c'est-à-dire qu'elle vend les biens de son monastère, mais seulement après les avoir visités, et jugé par elle-ême de leur peu d'importance. C'est ainsi qu'elle aliène à Claude Mollien, sieur de Cervon 163), et à Marguerite Lionne, sa femme, un petit jardin et une masure, parce qu'elle n'a pas de fonds pour réparer la maison. Elle est également contrainte de signer des baux à longs termes, condamnés par l'expérience du passé, et par les ennuis qu'ils ont créé jadis au monastère. Aussi ne le fait-elle qu'après des enquêtes minutieuses. L'une de celles-ci dit textuellement: “Que depuis 1604 que la dite dame abbesse |223 est entrée en possession par le décès de feue Madame de Luxembourg, elles (les religieuses) avaient fait faire un si grand nombre de réparations, tant en la maison et enclos d'icelle abbaye et couvent, qu'en aucunes des fermes et métairies qui en dépendent, lesquelles avaient été démolies et ruinéez pendant les guerres dernières, qu'il leur était impossible d'y pouvoir plus subvenir…”. C'est pourquoi l'abbesse est amenée à consentir, le 14 juin 1610, un bail emphytéotique de la ferme de Plessis-les-Nonnains, à noble homme Pierre le Rat, conseiller du Roi, qui devint ainsi M. de Sénart. Ce bail explique minutieusement les raisons qui ont poussé les infortunées moniales à le conclure; il est accompagné de tant de restriction qu'il peut être regardé plutôt comme un contrat “à réméré” que comme un vrai bail emphytéotique. Aussi Pierre le Rat étant mort en 1622, Louise le Souyn, sa veuve, fut obligée de signer un nouveau traité en faveur de ses enfants mineurs; et en 1634, Pierre le Rat, son fils aîné, en fit un autre.
  • Afin de mettre de l'ordre dans le domaine composant la manse abbatiale, Madame des Ursins obtint de Henri IV la permission de procéder au mesurage de toutes ses terres, et à la nomenclature de tout le domaine utile de son abbaye: de là l'existence d'un terrier, rempli de pièces assez curieuses, notamment sur les biens situés à Ablon. Mais la confection de ce terrier n'alla point sans des contestations et des procès. Les plus vives discussions eurent lieu au sujet du mesurage de la terre de Chanlindré, recouvrée depuis 1596, et louée à Jean Frou, marchand à Yerres. Abel de Poilloüe, seigneur de Saclas, conteste également aux moniales les bornes du fief de Souplainville, joignant son domaine. Enfin Guillaume Florette, tuteur des enfants mineurs d'Eustache Budé, Nicolas Budé, seigneur de Villiers-sur-Marne et Pierre Budé, seigneur de Fleury, qui, tous ont des parcelles de l'ancien domaine d'Yerres, brisé entre leurs mains, disputent çà et là les limites des terres monastiques.
  • La partie épineuse de la tâche confiée à Catherine des Ursins ne vient pas des choses temporelles seulement. Ses soucis, au point de vue monastique, sont de leur côté fort |224 pesants. Madeleine de Vitel, sa première prieure, l'aide et la soulage autant que possible du poids de son fardeau intérieur. Mais leurs efforts réunis ne sont pas capables de remédier à la pénurie des vocations. Par suite des troubles et des guerres, la petite école a été fermée ou plutôt abandonnée: c'est un désastre à plusieurs points de vue, principalement en ce qui touche le recrutement des moniales: aussi l'un des contrats de cette époque ne nous montre-t-il que seize professes à la grille. En admettant que quelques-unes ne soient pas venues à la signature, on est en droit de conclure que le nombre des religieuses professes ne dépassait pas beaucoup le chiffre de vingt, aux environs de 1612. Mais bientôt, par les soins de l'abbesse, la petite école est ouverte de nouveau, et ne tarde pas à donner des résultats satisfaisants; le noviciat se repeuple, et le nombre des professes se relève rapidement, atteint le chiffre de 30 pour le dépasser bientôt. Le service religieux est fait par deux Bénédictins: frère Charles Maserier et frère Michel de Hodent, qui résident à l'abbaye. Un certain nombre d'autres ecclésiastiques demeurent également au monastère et y remplissent diverses fonctions.
  • Madame des Ursins présida à de notables changements dans le gouvernement intérieur de son cloître. On sait combien chez nous les décrets du Concile de Trente rencontrèrent d'opposition. Ils étaient proclamés depuis 50 ans, et on n'osait pas encore en faire l'application, ni la simple publication dans les églises françaises. Ce fut Catherine des Ursins qui la première les publia, les commenta et se mit en devoir de les appliquer à Yerres vers 1620. De là, une véritable transformation dans la maison, et ce que plus tard on appela une réforme.
  • D'abord les religieuses quittèrent la robe blanche, qu'on portait à Yerres depuis 500 ans et prirent les vêtements noirs, que portent toutes les Bénédictines modernes. Puis les exercices religieux furent également modifiés. À la place des litanies, des processions, des psaumes, on eut de longues oraisons mentales, et surtout des saluts du Saint-Sacrement.
  • À ces modifications, qu'on peut juger diversement sans |225 avoir le droit de les blâmer, s'en joignit une autre d'une nature différente et fort délicate. L'abbaye d'Yerres, fondée par un évêque de Paris au XIIe siècle, était toujours demeurée sous la direction de ses successeurs. Au moyen âge les religieuses avaient bien tenté, a plusieurs reprises, d'échapper à la juridiction de l'Ordinaire, et y avaient réussi dans une certaine mesure; mais depuis la réforme de Poncher, la situation était redevenue normale, et l'évêque de Paris était le supérieur direct de nos moniales. Un bref papal, obtenu par Marie d'Estouteville, avait soustrait le contentieux à l'Officialité diocésaine; la création d'un visiteur enlevait aussi à l'évêque dé Paris les soucis de la surveillance au point de vue disciplinaire; mais tout cela n'empêchait pas que le prélat demeurât supérieur de droit, et fût reconnu comme tel par les moniales elles-mêmes. À la faveur des changements opérés par Madame des Ursins, les religieuses veulent s'affranchir entièrement de la juridiction épiscopale, pour ne plus dépendre que du Saint-Siège. Est-ce purement amour du Chef de l'Église? Nous voudrions le croire!
  • Mais il faut bien le dire, Rome est loin, sa surveillance est moins étroite, moins personnelle que celle de l'évêque, qui est tout près, qui peut en un instant se transporter au cloître, juger par lui-même et corriger immédiatement les infractions à la discipline, si besoin est. De plus, l'indépendance est douce à la nature humaine, jusque dans les cloîtres; elle flatte la vanité féminine en lui permettant de s'affubler de titres pompeux, que nous lirons tout à l'heure. Qu'on veuille bien le remarquer: il ne s'agit point de ressusciter le Gallicanisme, ni de le justifier après coup. Le gallicanisme est une erreur justement condamnée par l'Église, aussi bien que par toute la saine théologie. Il ne s'agit pas davantage de nier les droits directs du Saint-Siège sur les communautés religieuses: ces droits sont reconnus et confessés par tous les catholiques. Mais ces déclarations faites, il est permis de trouver étrange, voire même blâmable, la mesure prise par Madame des Ursins. Les évêques de Paris étaient regardés à bon droit comme les fondateurs de l'abbaye; ils en avaient été les bienfaiteurs et les protecteurs à toutes les époques. |226
  • Naguère, par Jean Simon et Étienne Poncher, ils l'avaient réformée et relevée de ses ruines. Jean-François de Gondy, premier archevêque de Paris, était un prélat respectable et ami des monastères. Or ce fut le temps que choisit Madame des Ursins pour se soustraire, elle et son couvent, à la juridiction épiscopale: c'était de sa part, n'hésitons pas à le dire, une véritable ingratitude, et une mesure où l'amour de la régularité n'entrait pour rien. Elle y tenait néanmoins. Lisons plutôt ces déclarations et ces formules, qui respirent autre chose qu'un parfum d'humilité chrétienne:
  • ”….. Fut présente et comparut, personnellement, Très illustre, très haute et très puissante Dame, Madame Catherine-Alphonsine Jouvenel des Ursins, Abesse de l'abaye et royal monastère, Notre-Dame d'Yerre, ordre de Saint-Benoist, diocèze de Paris, dépendant immédiatement de la saincte Église Romayne, tant pour elle que soy faisant et portant fort de touttes les nobles Dames religieuses dicelle abaye…“
  • Ces titres pompeux avaient au moins l'avantage d'augmenter les grosses des notaires qui, sur simple déclaration de l'abbesse, ennoblissaient d'un seul coup toutes les moniales de la maison, juste au moment où celle-ci se recrutait dans un milieu moins aristocratique. Car Madame des Ursins, et nous ne l'en blâmons pas, s'était faite très libérale pour les admissions au noviciat. Les petites bourgeoises et même les filles du peuple y coudoyaient les dames à particule, dans une bonne et religieuse fraternité; toutes les pièces d'archives en témoignent. Malgré ses facilités sur l'âge, la position sociale de ses postulantes, l'abbesse ne put jamais ramener à l'abbaye les cinquante ou soixante religieuses, que Madame de Luxembourg y avait entretenues au début de sa prélature.
  • Les contrats des dernières années de Madame des Ursins nomment tantôt 22, tantôt 25, tantôt 30 professes. Une transaction, conclue le 20 juin 1634, entre Yerres et l'abbaye de Gercy, au sujet des dîmes paroissiales de Varennes, nomme vingt-six de nos Bénédictines, parmi lesquelles nous relevons les noms de Catherine Board, prieure, et de sa sœur |227 Charlotte Board, des deux sœurs Le Belle, de Madeleine de la Borde, de Madeleine de Vallès, d'Anne de Marie. Toutes ces moniales signèrent l'arrangement déjà souscrit par Jeanne Dupuy, abbesse de Gercy, et dix-sept de ses religieuses.
  • Madame des Ursins avait d'assez nombreuses relations dans le monde aristocratique par sa famille, et aussi dans le monde ecclésiastique. Volontiers elle se faisait le Mécène de jeunes écrivains, que l'amour de l'étude poussait à rechercher le silence et la solitude, pour se livrer plus aisément à la culture des belles-lettres. Elle leur offrait une chambre dans les dépendances du Souvent, et encourageait leurs essais littéraires, qu'elle était, paraît-il, en état de goûter et d'apprécier.
  • Parmi ces hôtes du cloître, il se rencontra un jeune prêtre de talent, dont le nom est assez connu; nous voulons parler d'André du Saussay, mort évêque de Toul. Il vint à l'abbaye, y passa plusieurs années, se livra à des recherches d'érudition, d'étude hagiographique et y composa son martyrologe. Du Saussay appartenait à cette classe de savants, plus commune qu'on ne croit, qui sont incapables de lire un document sans l'amplifier et le défigurer. Sous un extérieur austère et des dehors froids, le futur évêque de Toul avait une imagination ardente, et cherchait à grandir et à transformer tout ce qu'il touchait. On sait le peu de valeur de ses différents ouvrages, où le manque de critique et d'exactitude se remarque à chaque ligne. À Yerres on lui ouvrit nécessairement le riche chartrier de la maison. Il y fit des découvertes, que les imaginations de Madame des Ursins et de toutes ses filles réunies n'auraient pu inventer. C'est lui qui transforma Eustachie de Corbeil en une fille de Louis VI, parla des origines du royal monastère d'Yerres, et apporta des aliments à tant de folles prétentions, entretenues et développées jusqu'à la Révolution française, qui les tua avec beaucoup d'autres choses, plus dignes de respect et de conservation que les rêveries de du Saussay.
  • En même temps qu'elle favorisait les belles-lettres, Madame des Ursins montrait du goût pour les arts. Elle avait d'assez fréquents rapports avec l'Italie, d'où elle tira un grand nombre de marbres précieux; elle en embellit les salles de son |228 couvent, et l'orna de tableaux dus au pinceau des peintres de Florence.
  • Nous aurons donné la mesure de son activité en rappelant ses nombreux baux du moulin de Masières 164); — ses réclamations touchant la dîme du pain du roi, que les officiers de finance de Louis XIII se refusaient à payer, et pour le maintien de laquelle elle fit faire des recherches assez laborieuses en remontant jusqu'à 1381; — sa cession de vingt-quatre arpents de terre aux Godeaux, en faveur de M. Desmetz, secrétaire du roi; — ses nominations de sergents et de prévôts pour l'exercice des droits de justice; — ses baux des dîmes paroissiales à Thomas Yvert, curé d'Yerres; — et enfin ses procès avec divers particuliers, principalement avec les héritiers de Mauger, curé d'Évry.
  • Dans les dernières années de sa vie, elle se montra trop faible au point de vue de la discipline. Les jours et les heures de parloir furent multipliés avec excès; les moniales disposèrent avec trop de facilité de leurs biens patrimoniaux et des choses à leur usage, au détriment du vœu de pauvreté; les aliments gras furent servis à table tous les jours, à l'exception du vendredi, par une dispense trop large de la règle et sans égard pour l'austérité.
  • Malgré ces signes d'affaiblissement, lorsque Madame des Ursins mourut au mois de décembre 1636, à l'âge de 64 ans, après 33 ans environ d'abbatiat, on lui éleva un superbe monument, sur lequel on grava un pompeux éloge. Il y est dit qu'elle gouverna le monastère avec une singulière prudence, une admirable modestie, une exquise piété et une très grande douceur. On ajoute qu'elle rendit florissante une maison qu'elle avait trouvée déchue, qu'elle la nettoya de ses scories, et l'enflamma d'une belle ardeur religieuse: «…eamque de squalida nitidam, de inculta florentem, perenni religionis ardore succensa reddidit!” tout cela |229 sans égards pour la mémoire de Madame de Luxembourg, sa tante et sa devancière. Il paraît qu'à l'heure où elle fut arrêtée par la mort, Madame des Ursins nourrissait des projets d'embellissement pour l'église abbatiale, des agrandissements pour les bâtiments claustraux, et certains règlements pour porter ses religieuses jusqu'à la perfection morale, qu'elles n'avaient pas encore atteinte sans doute. C'est du moins ce qu'affirme son inscription funéraire.
  • Nous n'oserions souscrire à cet éloge lapidaire. Pour nous, Madame des Ursins fit à Yerres une œuvre complexe. Admirable, quand, au début de sa prélature, elle répare les ruines faites à son monastère par les Protestants; quand elle lui rend la paix intérieure, travaille à son recrutement, rétablit la petite école, et ouvre les portes du cloître à toutes les âmes de bonne volonté sans distinction d'origine. Son œuvre nous semble discutable, lorsqu'elle déplace l'axe de dépendance de son couvent, pour le porter de Paris à Rome, afin d'échapper à une surveillance trop étroite. Cette même œuvre nous paraît blâmable quand elle laisse s'affaiblir la discipline, fait de sa maison une fondation royale, et affecte des airs princiers qui s'accordent assez mal avec la modestie dont on la loue; surtout quand on sait que ses prétentions étaient en opposition avec la vérité historique.

Chapitre XXII. Claire-Diane d'Angennes de Rambouillet (1637-1670), Catherine-Charlotte d'Angennes de Rambouillet (1670-1691)

Nomination de Claire d'Angennes. — Départ de plusieurs religieuses. — Appel à Rome. — L'évêque de Lisieux. — Sa double visite à l'abbaye. — Règlement qu'il impose. — Les révoltées. — Situation matérielle. — Vente des biens. — Recrutement. — La Fronde. — Séjour à Paris. — Dénuement et pauvreté. — Les chanoines de Paris. — Les objets d'art. — Le Jansénisme, — Henri de Gondrin. — Mort de Claire d'Angennes. — Charlotte lui succède. — Aveu au roi. — Réparation et ornementation de l'abbaye. — Achat de la seigneurie. — Fléchier à l'abbaye. — Dévotion au Saint Sacrement. — Les dernières années. — Les épreuves et la mort. — Œuvre des dames d'Angennes.

  • Aussitôt après la mort de Madame des Ursins, on put mesurer la profondeur du désarroi dans lequel elle laissait l'abbaye; et il fallut vraiment méconnaître jusqu'au plus élémentaire respect dû à la vérité, pour oser inscrire sur la pierre, l'éloge dont nous venons de parler.
  • Claire-Diane d'Angennes, fille de Charles d'Angennes, marquis de Rambouillet et de Catherine de Vivonne, fut choisie pour porter la crosse à Yerres. Elle était religieuse de l'abbaye de Pont-aux-Dames, au diocèse de Meaux, où elle avait fait profession en 1628 165). |231
  • En apprenant cette nomination, douze ou quinze religieuses d'Yerres feignirent de la prendre pour une injure; elles ne pouvaient supporter, disaient-elles, qu'on allât choisir ailleurs que sous leur cloître, une supérieure pour les gouverner, et elles quittèrent l'abbaye afin de ne pas obéir à une étrangère. Dans leur formule de profession, nos Bénédictines promettaient “obéissance et stabilité sous clôture”; en fait, aussitôt professes, elles avaient en horreur aussi bien l'obéissance que la stabilité, car la plupart d'entre elles changèrent au moins trois ou quatre fois de cloître.
  • Claire d'Angennes, en entrant à Yerres, y trouva donc un troupeau fort diminué, une douzaine de religieuses au plus, toutes vivant de la vie privée la plus libre et la plus large; l'office divin n'était récité que par deux ou trois jeunes moniales ou novices, car les anciennes, après avoir fait au chœur une courte apparition, regagnaient immédiatement leurs cellules. Le parloir était l'objet d'abus sans nombre; chacune des religieuses y passait tous les jours un temps considérable, et s'y conduisait un peu à sa guise, sans gêne ni contrainte. Il était muni d'une grille, placée là pour le plaisir des yeux et l'édification des étrangers, car une porte, donnant du cloître sur l'antichambre de l'abbesse, permettait aux religieuses d'y pénétrer et d'y converser sans grille; de leur côté les visiteurs, en voyant la porte ouverte, pénétraient librement sous le cloître.
  • Aussitôt après avoir reconnu cette situation, Madame de Rambouillet résolut d'y porter remède. Elle s'adressa à ses religieuses, mais celles-ci, lorsqu'elles furent au courant des changements projetés par l'abbesse, se montrèrent en majorité défavorables aux réformes proposées. C'est pourquoi Madame de Rambouillet s'adressa à Rome, puisque d'après la doctrine reçue à Yerres, l'abbaye dépendait immédiatement du Saint-Siège. Rome, condescendant à la demande de Claire d'Angennes, nomma un visiteur spécial. Philippe Cospeau, évêque de Lisieux, fut choisi pour cette mission. Il arriva |232 muni des pouvoirs nécessaires pour faire la visite canonique, rétablir la discipline, ordonner tel changement, et imposer tel règlement qu'il croirait nécessaire et convenable: c'était au mois d'août 1639.
  • Le prélat nous a laissé un mémoire détaillé de cette visite. Il raconte gravement la manière dont il prit son rochet, son camail et dont il porta sa crosse… Après ce préambule, nous apprenons qu'il y avait à l'abbaye treize professes, quelques sœurs converses, trois ou quatre novices et deux pensionnaires. Une des converses était en prison pour faute grave, commise dans la maison; mais au lieu de la descendre dans les cachots, qui servaient au XVIe siècle à punir les malfaiteurs justiciables de l'abbesse, on avait enfermé cette malheureuse fille, dans une des chambres hautes du couvent. L'évêque l'interrogea, et il ne dit pas s'il la délivra, mais nous le croyons. Sept des professes acceptaient la visite et les changements projetés; mais six d'entre elles s'opposaient à toute modification dans la règle, et demandaient à ce qu'on les laissât continuer la vie facile qu'elles menaient au monastère. Ces constatations faites, le visiteur regagna Paris et son diocèse.
  • Il revint, au commencement de décembre de la même année, accompagné de deux prêtres, dont l'un s'appelait frère Pierre Blandin, religieux dominicain; car il est décidément écrit qu'on ne saurait rendre un peu de vie religieuse à l'abbaye d'Yerres, sans le concours des fils de saint Dominique. Le visiteur fait appeler toutes les religieuses, mais toutes ne répondent pas à son appel. La Mère du Val est malade; les deux sœurs Belle ou Le Belle 166), les mères de Montparlier, de la Borde, le Parcq et Piorot lui font répondre qu'elles jugent sa visite inutile, demandent à n'être pas troublées par le prélat, et ajoutent qu'elles sortiront du cloître, pour aller chercher ailleurs la paix et la tranquillité, qu'on leur refuse désormais à Yerres. |233
  • Malgré cette opposition, Philippe Cospeau n'en poursuit pas moins sa mission. Il donne un règlement nouveau, qui n'a rien de bien excessif. Les religieuses jeûneront tous les vendredis de l'année; elles prendront la discipline les vendredis de Carême seulement, et feront maigre quatre jours la semaine: lundi, mercredi, vendredi et samedi. Puis ce sont des prescriptions pratiquées par toutes les âmes pieuses d'aujourd'hui: une demi-heure de méditation le matin, une demi-heure le soir; la communion aux fêtes solennelles, aux fêtes de la sainte Vierge, des Apôtres et des Saints de l'Ordre; récitation de l'office au chœur et en commun, à moins d'une dispense de l'abbesse; suppression de la vie privée et pratique de la pauvreté. Ces deux derniers points ne sont pas imposées aux récalcitrantes. — Règlement concernant le parloir, les malades, les récréations, l'horaire de la journée; nomination d'une dépositaire, d'une tourière et d'une maîtresse des novices.
  • Ces mesures prises, le prélat quitta l'abbaye, et son départ fut suivi de celui de plusieurs des insoumises: les sœurs de Montparlier, de la Borde, le Parcq et Piorot.
  • C'était beaucoup d'avoir pourvu au spirituel, mais il fallait aussi veiller au temporel. De ce côté encore, Madame de Rambouillet avait hérité d'une situation assez modeste. Pour faire vivre quinze à vingt moniales ou novices, un chapelain et de nombreux domestiques, le revenu ne s'élevait pas au delà de 8 ou 10.000 livres. Il était augmenté, il est vrai, de quelques secours en nature, de maigres pensions, et du revenu de trois ou quatre petites fondations, comme celles que le seigneur de Champcueil payait annuellement à l'abbaye. Il versait trois ou quatre livres seulement, et exigeait un reçu signé de l'abbesse et contresigné du chapelain, pour bien faire constater que celui-ci avait acquitté la fondation 167).
  • Tout cela ne constituait pas la prospérité, ne permettait pas même de sortir de la gêne. Aussi Madame de Rambouillet cherchait-elle ailleurs des ressources pour sa maison. Des |234 échanges assez habilement ménagés, comme celui du 21 juillet 1641, avec le sieur Rocquet de Brunoy, lui créèrent quelques ressources. Puis l'abbesse cherche à entrer dans une voie plus moderne, pour alimenter ses finances. Jusqu'ici l'abbaye a vécu presque exclusivement de la location des terres, des dîmes, et n'a pour ainsi dire que des valeurs en biens-fonds. La prélature de Claire d'Angennes marque une transformation dans la fortune du couvent. Nos religieuses commencent à trouver incommodes les propriétés terriennes, sujettes à tant d'accidents, occasionnant tant de procès, nécessitant un personnel si nombreux, si pénible à discipliner; aussi s'efforcent-elles de se débarrasser de leurs terres, afin d'avoir des rentes sur particuliers, et bientôt sur ce que nous appellerions l'État, c'est-à-dire sur le grenier à sel et sur l'Hôtel de Ville. L'esprit des anciennes lois civiles et canoniques était opposé à la vente des biens monastiques, et la législation avait entouré ces ventes d'une multitude d'obstacles difficiles à surmonter. Malgré cela, en 1644, Madame de Rambouillet et six de ses religieuses, passent une procuration à Gabriel le Bourcyer, écuyer, sieur, de Lozière, afin de vendre le fief de Gironville à Théodore de Lannoy, seigneur du lieu. Elles poursuivent également, sans y réussir croyons-nous, la vente à divers particuliers des fiefs de Marencourt, de Souplainville, ainsi que celle des droits de l'abbaye à Étréchy, à Guillerval, à Saint-Cyr-la-Rivière. Plus heureuses en 1646, elles vendent effectivement le fief de Vitri pour 220 livres.
  • Le recrutement de l'abbaye est toujours l'objet d'une grande préoccupation. Par suite des départs et de quelques décès, la communauté était fort réduite, vers 1640. Il fallait à tout prix relever le nombre de ses membres. Madame de Rambouillet avait été suivie à l'abbaye par deux de ses sœurs: Catherine-Charlotte d'Angennes et Louise-Elizabeth, qui deviendra abbesse de Saint-Étienne, à Reims. Plusieurs jeunes filles, prises dans de bonnes familles, connues de Madame de Rambouillet, entrèrent également au cloître. Parmi elles on trouve les sœurs Chauvelin, les sœurs d'Espinay, Clémence de Riberolles, Catherine Sallantin. Cette |235 dernière sortait de la Cour, où elle était attachée à la belle Julie d'Angennes, sœur de l'abbesse. Enfin, on fit appel même à des moniales d'autres monastères, comme il arriva pour Marie Bourcyer qui vint, munie de ses bulles, de l'abbaye de Bussières à Bourges, et fut affiliée au couvent d'Yerres.
  • Tout marchait à souhait dans la communauté reconstituée par les soins de Claire d'Angennes. Catherine Board était prieure, Élisabeth Clausse, Anne de Marie, Charlotte Board, Françoise Augelin et Anne Trousseau étaient mères discrètes et remplissaient différentes charges; le noviciat se repeuplait peu à peu; les ressources sans être abondantes étaient régulières avec une tendance à s'élever; les baux étaient renouvelés avec exactitude 168). On entrait réellement dans une ère de prospérité, lorsqu'une nouvelle épreuve vint fondre sur la maison.
  • Les guerres de la Fronde qu'on a si souvent raillées, et auxquelles on n'accorde généralement pas une grande importance, eurent cependant des conséquences terribles, surtout dans les environs de Paris. Notre abbaye en souffrit particulièrement. Dès 1650, des troupes, répandues dans la vallée de l'Yerres, avaient inquiété nos moniales, au point de leur faire suspendre pour un temps leurs exercices de communauté. Bientôt les familles effrayées rappelèrent les jeunes pensionnaires confiées au cloître, que de leur côté, les religieuses ne tenaient pas à garder, par crainte du danger. L'année 1651 se passa en alertes continuelles; mais au commencement de 1652, l'orage éclata et faillit submerger l'abbaye. Le duc Charles de Lorraine vint s'établir, avec son armée, à Villeneuve-Saint-Georges; ses soldats bivouaquaient dans les environs, et sous prétexte de faire des fourrages, rançonnaient les paisibles habitants; l'abbaye d'Yerres était là à portée de leur main, elle ne fut pas épargnée et subit le sort commun. Ce n'était rien encore cependant. Au mois de juin, |236 Turenne lève le siège d'Étampes, observe, des hauteurs de Villeneuve-sur-Auvers, l'armée des Princes, pendant quatre ou cinq jours; puis il marche droit sur Corbeil, où il passe la Seine le 14 juin, ensuite l'Yerres à Brunoy, et traverse le Révillon, en longeant les murs de l'abbaye, où il laisse un fort détachement, et va se poster à Grosbois. À l'arrivée des soldats, nos moniales épouvantées fuient dans toutes les directions; les unes rentrent dans leurs familles, les autres se sauvent à Paris avec l'abbesse, pour chercher un refuge dans leur maison de la rue des Nonnains-d'Yerres. Le monastère, occupé par la troupe, est laissé à la garde des domestiques et d'une ou deux vieilles religieuses, moins timides et moins apeurées que les autres. Toute vie monastique y est suspendue, et durant huit ou dix mois, Madame de Rambouillet erre dans la capitale d'une maison à l'autre, réduite aux expédients pour faire vivre son petit troupeau, menacée tantôt par l'épicier 169), tantôt par le boulanger, de se voir suspendre les fournitures, faute de paiement; elle fait des billets à celui-ci et à celui-là, mais à chaque échéance, elle est obligée de solliciter un sursis.
  • Rentrée à l'abbaye en mars ou avril 1653, Claire d'Angennes n'y trouve que des ruines: portes, fenêtres, clôtures, tout est endommagé, il faut une armée d'ouvriers pour remettre les choses en état. Au dehors, la situation n'est pas moins lamentable, la campagne est ruinée. Au cours de l'année 1654, l'abbesse ne passe pas moins de vingt baux, pour donner les biens de son couvent à des particuliers, qui se chargent de remettre les fermes et les maisons en valeur, sans payer aucune redevance au monastère, malgré le pressant besoin qu'il en a. Tous ces contrats parlent de ruines amassées par les maux de la guerre, de campagnes dévastées, de champs en friche, de fermes détruites et d'habitations brûlées et abattues.
  • Pendant qu'elle surveillait les réparations. Madame de Rambouillet apprit la nomination de sa sœur Louise d'Angennes, |237 à la coadjutorerie de l'abbaye de Saint-Étienne à Reims, où elle était demandée par l'abbesse, Madame de Villiers-Saint-Paul. Elle voulut l'y conduire elle-même, et toutes deux partirent pour Reims, au mois de mai 1654.
  • À son retour à Paris, l'abbesse d'Yerres dut y séjourner pour traiter une affaire assez délicate. Le premier archevêque de Paris mourut en 1654. Depuis l'arrangement conclu par Madame de Luxembourg, nos moniales n'avaient plus la chèvecerie; mais ce droit n'avait pas été cédé purement et simplement, il avait été transformé. Quand Madame de Rambouillet réclama les droits de sa maison, les bons chanoines de la métropole répondirent par une fin de non-recevoir d'abord; et devant les instances de Claire d'Angennes ils lui dirent que c'était là “pures bagatelles, rêves de femmes et insanités”. Comme à Yerres on ne voulait pas céder, cette discussion dura sept ans, et ce ne fut pas la dernière avec le Chapitre de Paris.
  • Rentrée à Yerres, Madame de Rambouillet s'y appliqua au gouvernement de sa communauté, avec une préoccupation de l'observance, qui lui faisait parfois oublier l'esprit de l'Évangile; car tandis qu'elle insistait pour obéir aux différentes prescriptions de la règle, elle-même manquait gravement à la pauvreté et à la stabilité dont elle avait fait vœu. Comme Madame des Ursins, elle acheta en Italie des marbres précieux; elle remplit l'abbaye de tapisseries de haute lice et d'autres objets d'art mondain, peu en rapport avec la situation précaire de sa maison, et surtout en opposition complète avec la pauvreté monastique ou simplement évangélique.
  • Chose plus grave encore, dans ses courses à travers le monde, et dans de trop fréquentes visites à l'Hôtel de Rambouillet, à Paris, au milieu de toutes les Précieuses, Claire d'Angennes s'était laissée séduire par les idées Jansénistes. Quelques-unes de ses filles en avaient également rapporté des germes, puisés à différentes sources durant les évènements de 1652 et 1653, pendant le temps qu'elles avaient vécu en dehors de l'abbaye. Tout cela avait fermenté entre les murs du cloître, et commençait à se répandre au dehors. Le nouvel archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, de qui |238 nos religieuses se disaient toujours exemptes et indépendantes, en fut informé. Il pressa l'exécution d'un bref du pape Alexandre VII, donné dès 1660, à Claude Blancpignon, et lui ordonna d'informer contre les doctrines religieuses des Bénédictines. Nous ne savons point le résultat de cette enquête, car les pièces en ont été détruites, mais il est permis de croire que Madame de Rambouillet et ses filles ne se montrèrent pas opiniâtres, et que l'affaire en resta là.
  • L'abbesse d'ailleurs prenait de sages mesures pour conserver la paix autour d'elle. Afin de diminuer le personnel domestique de l'abbaye, elle loua la ferme du couvent à un tenancier, nommé Sadier, et l'isola complètement des bâtiments claustraux. Comme dame justicière de son domaine, elle tient encore à la nomination d'un prévôt, mais Gabriel Moreau, choisi en 1664, sera d'humeur pacifique, et ne remplira pas les anciens cachots de malheureux, coupables d'avoir manqué de respect à la propriété abbatiale; il prononcera seulement quelques amendes légères; il n'a à son actif ni incarcération, ni surtout aucun châtiment corporel.
  • Au mois de septembre 1661, l'abbaye reçut la visite de l'Illustrissime et Révérendissime seigneur, Messire Louis-Henri de Gondrin, archevêque de Sens. Ce prélat n'était appelé à Yerres par aucune enquête, ni information. Sa visite était de simple courtoisie. Il sollicitait tout simplement de Madame l'abbesse et du couvent “l'achat” de quelques pieds de terre à Paris, “pour la commodité et augmentation de son Hostel archiépiscopal”, situé rue du Figuier et joignant “l'Hostel d'Hyère, assis rue des Nonaindières.” Les moniales reçurent l'archevêque avec empressement, firent droit à sa demande, lui vendirent le terrain demandé et en passèrent le contrat, séance tenante, “ès présence de Louis Quoniam, prêtre chapelain de l'abbaye, et Illustre et Révérente dame Clari-Diane d'Angennes, d'Anne de Marie prieure, et de Gabrielle Passavant célerière et portière.” Monseigneur de Gondrin, satisfait de Madame de Rambouillet et de ses filles, quitta l'abbaye, après avoir procuré à la communauté une journée de fête agréable à tous.
  • Claire d'Angennes, nous l'avons déjà dit, s'employa avec |239 zèle au recrutement de sa maison, mais elle ne réussit pas à lui rendre son ancienne splendeur, et ne put jamais en faire une grande maison. Entre 1660 et 1670, le nombre de ses sœurs ne dépassa jamais le chiffre de vingt ou vingt-deux professes de chœur. Cette pénurie de vocations fut une de ses tristesses, surtout à la fin de sa vie, qui se termina le 9 mars 1670, après un abbatiat de 33 ans.
  • Depuis 1665, Madame de Rambouillet, d'une santé affaiblie et languissante, ne demeura guère dans son monastère. Elle passa la majeure partie de son temps dans sa famille à Paris, où elle mourut très probablement, car la date de son décès n'a été inscrite dans aucun des papiers du couvent. C'est le Père Anselme qui la donne, et on ne s'explique pas que les auteurs du Gallia l'aient fixée au 19 mars 1669, puisqu'ils n'invoquent pas d'autre autorité que celle de l'Histoire des Grands Officiers de la Couronne, qui les contredit.
  • Charlotte-Catherine d'Angennes succéda à sa sœur et continua son gouvernement. C'était une femme grave sous tous les rapports. Elle était âgée de 47 ans, et comptait plus de trente années de vie religieuse, ayant fait profession à 16 ans. Cette maturité ne l'empêcha pas de se livrer aux entreprises les plus hasardeuses et les plus critiquables.
  • Aussitôt après sa prise de possession, elle fit au roi une déclaration des biens de sa communauté. Comme les précédents, cet aveu est assurément incomplet: il enfle les charges et amoindrit les recettes; tel quel, il permet néanmoins de voir que la prospérité rentrait peu à peu au monastère depuis les évènements de 1653 170).
  • Charlotte d'Angennes mit également la dernière main a des |240 travaux entrepris sous l'administration de sa sœur. Les bâtiments conventuels, édifiés cent cinquante ans auparavant par Madame d'Estouteville, avaient subi bien des assauts depuis lors, et les remaniements, opérés par Mesdames de Luxembourg et des Ursins, les avaient plutôt ébranlés que consolidés.

  • D'importantes réparations y furent faites par les Dames de Rambouillet. Charlotte s'occupa spécialement de la chapelle dont elle fit disparaître les dégradations. Le portail en fut profondément modifié. Sur une façade renaissance elle placarda des ornements du style de Louis XIV, au milieu desquels se lisait la date de 1670. Puis comme elle avait sur les royales origines de l'abbaye les mêmes idées que ses devancières, elle fit graver de chaque côté de la statue de la Sainte Vierge, placée au-dessus de la porte d'entrée, deux écussons: l'un de France, surmonté de la couronne royale; l'autre ne fut historié que plus tard; enfin dans le portail même, l'écusson des Rambouillet, sommé d'une couronne de marquis, dans laquelle passait une crosse d'abbesse. À l'entrée principale du monastère, une inscription apprenait aux passants que l'abbaye avait été fondée par Louis le Gros en personne, pour des religieuses Bénédictines 171). Comme on le voit, grâce aux singulières recherches de du SaussaY, consignées dans une lettre à Charlotte d'Angennes, et datée de Toul, on avait marché depuis le temps de Madame des Ursins. Pour mettre tous les signes extérieurs d'accord avec l'enseignement reçu, on brisa l'ancien sceau de l'abbaye, devenu trop simple. Depuis l'origine les armes étaient d'azur, à la Vierge mère couronnée et portant l'enfant Jésus; au contre scel, un écu rond, chargé d'une crosse d'abbesse accostée de deux fleurs de lys. Les nouvelles armes furent de France et de Navarre, accolées à l'écusson de la titulaire en charge; et bientôt |243 toutes les pièces manuscrites furent timbrées de ce pompeux écusson, à la manière moderne.
  • Pendant que ces travaux d'ornementation s'exécutaient, Charlotte d'Angennes sollicita, du nouvel archevêque de Paris, dont elle se disait indépendante, la permission de sortir de son cloître, pour traiter plus aisément dés affaires de sa communauté. Monseigneur de Harlay n'était pas très sévère sur la clôture; la permission fut accordée, et voilà notre abbesse, accompagnée de Catherine Salantin et d'une autre moniale, à Paris pour plusieurs mois.
  • Quelles étaient donc les affaires si importantes, qui nécessitaient la présence à Paris de Madame l'abbesse et de ses deux compagnes? Pour l'entendre, il faut reprendre les choses d'un peu plus haut.
  • En 1638, Charles de Valois, duc d'Angoulême, avait érigé à Yerres un nouveau fief, la Grange du Milieu, en faveur de Duret de Chevry. À la même époque, la seigneurie d'Yerres, morcelée entre les nombreux héritiers Budé, s'était reconstituée en une seule main, et appartenait en 1669 au sieur Burin, écuyer. Ce gentilhomme fit de mauvaises affaires; la terre fut saisie entre ses mains, mise à l'encan et achetée par M. de la Briffe, qui pouvait bien n'être qu'un prête-nom. Car, en voyant la seigneurie aux enchères, une idée grandiose avait germé dans la tête des deux dames de Rambouillet; elles avaient rêvé de devenir dames d'Yerres, sous le double rapport spirituel et temporel, et d'accrocher à leur crosse abbatiale, trop simple à leurs yeux, la couronne territoriale de l'antique seigneurie d'Eustachie de Corbeil, des du Donjon, des Courtenay et des Budé.
  • Nous ne savons par quel artifice légal, le domaine d'Yerres, acquis d'abord par le M. de la Briffe, fut vendu de nouveau, et acheté, par sous-seing privé, au mois d'octobre 1671, par Charlotte d'Angennes et ses deux compagnes, de compte à demi avec un sieur Bizet de la Barroire, pour l'énorme somme de 120.000 livres.
  • Voilà Charlotte d'Angennes qui, réalisant une des folles pensées de sa sœur Claire, est devenue dame temporelle d'Yerres. Il s'agit maintenant de régulariser cette situation. |244 Le marché est approuvé, le 13 août 1672, par Guillaume de Lestocq, docteur en théologie de la maison de Sorbonne, visiteur et supérieur de l'abbaye d'Yerres. Les moniales, au nombre de vingt-trois professes, réunies sous la présidence d'Anne de Marie, leur doyenne, ratifient aussi le marché et donnent, procuration à l'abbesse, toujours à Paris, pour passer le contrat.
  • À cette occasion, on dressa un mémoire explicatif et justificatif de cette coupable acquisition. Il y est dit que les revenus du domaine sont considérables et faciles à recueillir; que par cet achat, on évite un coûteux procès avec les habitants de Brunoy, au sujet d'un chemin, et d'autres procès toujours renaissants avec divers particuliers, à Yerres et à Montgeron.
  • Ce n'était pas tout d'acheter la seigneurie et de devenir la dame d'Yerres. Il fallait payer, et ce fut là que les difficultés commencèrent. Charlotte d'Angennes dut recourir aux emprunts onéreux et aux ventes du domaine. Ses premières opérations portèrent sur la maison de Paris. Elle fut vendue 24.000 livres aux Religieux de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, parce que, dit le mémoire destiné à justifier cette vente, le prix était convenable et avantageux, et que d'ailleurs cette maison était humide, fréquemment envahie par l'eau, demandait beaucoup de réparations. Avec l'ancienne législation, quand on vendait un fief, on se dessaisissait bien rarement de tout le domaine; il restait toujours quantité de droits féodaux, dont le vendeur gardait la jouissance. Ce fut ce qui arriva dans cette circonstance, et par la suite de nombreux procès naquirent de ce contrat, entre l'abbaye et les acquéreurs.
  • Madame de Rambouillet emprunta, pour payer ses acquisitions, des sommes assez rondes aux Religieuses de la Visitation, aux Sœurs Augustines de Chaillot, à d'autres communautés et à divers particuliers. Tous ces prêteurs revendiqueront plus tard, avec âpreté, leur argent, qu'ils auront peine à recouvrer. En attendant c'est l'époque des procurations, des contrats signés à la grille de l'abbaye par toutes les moniales, présidées par leur prieure Lucrèce du Raiz, qui régit la |245 communauté pendant les absences prolongées de l'abbesse. De 1671 à 1674 on ne passa pas moins de quarante ou cinquante de ces actes: ventes, achats, échanges, transactions avec les sieurs de la Barroire, de la Briffe, et M. le Camus, maintenant propriétaire et seigneur de la Grange: le tout à la plus grande joie des notaires sans cesse sur la route de l'abbaye, avec leurs minutes et leurs grosses. Au milieu de leurs grimoires, ces tabellions nous apprennent que Charlotte d'Angennes résidait le plus souvent à Paris, tantôt chez les Religieuses du Calvaire, rue Neuve-Saint-Louis; tantôt à l'Hôtel de Rambouillet, rue Saint-Thomas-du-Louvre, où elle s'établit presque à demeure, pendant la majeure partie des années 1673 et 1674; que durant ce temps, la prieure maintenait une stricte régularité au monastère, où il y avait jusqu'à vingt-cinq et vingt-six professes; et que l'abbaye avait deux prêtres: Jean Ollivier, confesseur des moniales, et Claude Jamet, leur chapelain.
  • De temps à autre. Madame de Rambouillet se dérobait à ses occupations de Paris, pour venir à l'abbaye. Le 2 janvier 1672, elle présida, avec sa sœur, l'abbesse de Saint-Étienne à Reims, une cérémonie religieuse, dans laquelle Fléçhier prononça l'oraison funèbre de Julie d'Angennes, duchesse de Montausier, leur sœur; ce qui attira à Yerres un grand concours de gens du monde, et de la plus haute société.
  • Les affaires d'ordre temporel réclamaient aussi parfois la présence de l'abbesse. Au mois d'octobre 1674, elle loua, pour la somme de 4.000 livres, sa nouvelle acquisition du château d'Yerres à Florent Boursault, son procureur. On fit à cette occasion une description minutieuse et détaillée de tous les appartements de la demeure seigneuriale, qui était pourvue d'une chapelle particulière 172). Charlotte d'Angennes se réserva soigneusement les droits de justice, haute, moyenne et basse, et nomma un prévôt et des sergents pour les exercer. Elle vendit un peu plus tard une petite portion de bois à Pierre Demorange, secrétaire de l'archevêque de Paris, et |246 possesseur d'une maison de campagne, située entre l'abbaye et les Camaldules.
  • Au milieu de ses préoccupations temporelles, l'abbesse n'oubliait pas le coté spirituel de sa charge, car malgré sa vie agitée, elle était très pieuse. Pour favoriser et développer la dévotion de ses tilles, elle sollicita et obtint plusieurs concessions d'indulgences, la permission de donner un grand nombre de saluts du Saint-Sacrement dans l'église du couvent, alors que la chose n'était pas aussi fréquente qu'aujourd'hui.
  • Elle fut une véritable apôtre de cette dévotion au Saint-Sacrement. Au cours de ses pérégrinations à Paris, elle se lia d'amitié avec Anne de Lorraine, abbesse de Montmartre, toute enflammée de zèle pour Jésus-Christ, dans le sacrement de l'autel. Charlotte d'Angennes, désireuse de faire mieux connaître cette nouvelle forme du culte à ses filles, demanda à l'abbesse de Montmartre une de ses religieuses, pour l'aider à établir cette dévotion à Yerres. “Illustre princesse, Anne de Lorraine lui donna la Mère Anne Mauchon, qui sortit de Montmartre, vint dans notre abbaye et y remplit la charge de prieure 173), pour travailler plus efficacement à la propagation de la dévotion, chère au cœur des deux abbesses.”
  • La nouvelle prieure n'était pas venue les mains vides, son abbesse lui avait donné pour son nouveau monastère, une statue de la Sainte Vierge tenant l'enfant Jésus, de deux pieds de haut. Cette œuvre d'art fut placée au côté droit de la grille du chœur, et chaque mois, la communauté récita un Sub tuum, à l'intention de la donatrice. Après le décès de la Mère Mauchon, le couvent chanta un De profundis au jour anniversaire de sa mort.
  • À Paris, l'abbesse d'Yerres s'était également liée d'amitié avec Marthe Davy, veuve du marquis de Ferrière, qui donna “à vertueuse dame Charlotte d'Angennes” une cassolette en argent, pour servir devant le Saint-Sacrement. Au décès de cette nouvelle bienfaitrice, le couvent dut faire acquitter autant de messes qu'elle avait passé d'années sur la terre; c'est pourquoi elle ajoute qu'elle est née en 1621. |247
  • Parmi les fervents de la dévotion au Saint-Sacrement, attirés à Yerres, notons des prêtres en assez grand nombre: Guillaume Toustain, successeur de Pierre Rabure comme confesseur des moniales, Louis de la Villette, Claude Macé 174) et quelques autres.
  • Toutefois la piété de Madame de Rambouillet ne lui faisait point abandonner ses hautes visées seigneuriales. Il paraît que lors de la première acquisition du domaine d'Yerres, elle n'avait que les deux tiers de la seigneurie, une nouvelle adjudication lui donna l'autre tiers, ainsi que des terres en roture, en sorte que toute cette belle opération lui revint à 209.000 livres. Davantage encore, le fief créé en 1638, à la Grange, l'offusquait; elle voulait être seule et unique dame d'Yerres, sans partage. Elle tenta d'acheter le château pour le démolir; et déjà une expertise des matériaux et de quelques terres indépendantes avait été fixée au prix de 45.000 livres. Heureusement elle ne put mettre à exécution cette dernière folie, et M. le Camus demeura propriétaire et seigneur de la Grange du Milieu.
  • Un homme néfaste servait à Charlotte d'Angennes de conseil secret dans toutes ces entreprises; il s'appelait Alexandre Dumas, était chirurgien de l'abbaye aux gages annuels de 100 livres, et louait en outre la portion des dîmes paroissiales d'Yerres, pour 130 livres.
  • Éprise de sa haute dignité, Madame de Rambouillet voulait être exempte de la juridiction épiscopale. En 1682, Louis XIV nomma, on ne sait pourquoi, l'archevêque de Paris visiteur de l'abbaye. François de Harlay vint donc au monastère pour accomplir sa mission; l'abbesse le reçoit, ne pouvant décemment lui fermer sa porte; mais elle requiert un notaire et fait dresser un procès-verbal de protestation, contre ce qu'elle nomme la violation des droits de sa maison, immédiatement soumise au Saint-Siège. Cette protestation fut peut-être couronnée de succès puisque l'année suivante, 1683, nous trouvons pour visiteur le Père Claude de Sainte-Marthe, de l'Oratoire, nommé par le Pape, |248 et agréé par le roi; car, dit une note des archives, il fallait au visiteur “des Lettres d'attache” du prince, à cause du temporel de l'abbaye.
  • Les dernières années de Charlotte d'Angennes furent employées par elle à se débattre contre ses créanciers, qui devenaient chaque jour plus pressants et plus nombreux. La grande dame était aux prises avec les financiers et les hommes d'affaires. Malgré sa fierté naturelle, elle en était souvent réduite aux pires expédients; ce qui usait ses forces et sa santé, la poussait à fuir l'abbaye, pour aller à Paris chercher un refuge auprès des siens, où elle s'efforçait d'oublier ses chagrins domestiques, chaque jour grandissants. L'année 1690 lui fut particulièrement douloureuse. La mort lui enleva quatre de ses sœurs les plus dévouées: Gabrielle Passavant, Catherine Salantin, sa fidèle compagne, Jeanne Legendre et Clémence de Riberolles.
  • Ces épreuves achevèrent de la briser; elle mourut le 20 mai 1691 après cinquante-trois ans de vie religieuse, et un abbatiat de vingt-un ans accomplis. Son décès n'a pas été inscrit dans les registres de l'abbaye, ce qui fait supposer, qu'elle ne mourut pas au couvent. Comme sa sœur, elle s'était accoutumée à s'en aller fréquemment à Paris, dans différentes communautés, et surtout à la demeure de ses parents, où elle avait un quasi domicile, et où elle rendit vraisemblablement le dernier soupir.
  • L'œuvre des deux dames de Rambouillet à l'abbaye est fort discutable. Toutes deux étaient pieuses et ferventes, c'est incontestable: les exercices de piété, les concessions de reliques et d'indulgences, sollicitées par elles, les associations de prière, la dévotion au Saint-Sacrement sont là pour témoigner de leur zèle et de leur dévotion. Cependant même à ce point de vue si louable de la piété, elles furent indiscrètes; car elles multiplièrent outre mesure les offices, les exercices et les pratiques de dévotion, à tel point qu'on ne les pouvait plus porter, et que bientôt il faudra les réduire. — Quant à leurs entreprises dans l'ordre temporel, elles furent blâmables et condamnables sous tous les rapports. L'achat de la seigneurie fut une faute impardonnable. Il est bien évident |249 qu'à ces filles de grands seigneurs, l'humble crosse des filles de Saint-Benoît ne suffisait pas; le sang aristocratique qui coulait dans leurs veines les poussait, malgré l'humilité des formules employées de temps en temps, à paraître et à être de grandes dames selon le monde. Orgueilleuses et vaniteuses toutes les deux, elles ne comprirent rien à la stabilité monastique, firent litière de la loi de la résidence, passèrent une notable partie de leur temps, sur les routes ou à Paris, sans nécessité suffisante. Pour elles, il fallait être et paraître.

Chapitre XXIII. Suzanne de Crussol d'Uzès (1691-1709)

Nomination et bénédiction de Madame d'Uzès. — Sa bonté, sa charité. — Embarras d'argent. — Les garnisaires. — Les créanciers. — Mesures prises pour faire face aux difficultés. — Vente des biens. — Faillite. — Louis Tiberge vient au secours de Madame d'Uzès. — Nouvelles difficultés. — Piété de l'abbesse. — Le nombre des religieuses augmente. — Visite de Monseigneur de Noailles. — Diminution des offices. — Mabillon à l'abbaye. — Démission de Madame d'Uzès. — Sa mort.

  • La situation léguée par Charlotte d'Angennes était des plus difficiles. Pour y faire face, on choisit Suzanne de Crussol d'Uzès, religieuse de l'abbaye, où elle avait fait profession deux ans auparavant. C'est du moins ce qu'affirment les Bénédictins du Gallia, ses contemporains; car le nom de cette professe ne se lit dans aucun des contrats, si nombreux pourtant, signés à l'abbaye dans les dernières années de la prélature de Madame de Rambouillet.
  • Un billet du roi, arrivé à Yerres au mois de juin 1691, donnait la crosse à Suzanne, fille de François, duc d'Uzès, et de Marguerite d'Apchier, sa seconde femme. La nouvelle titulaire avait quarante-quatre ans. Elle dut attendre ses bulles jusqu'au mois de novembre. Sitôt qu'elle en fut pourvue, elle vint trouver l'archevêque de Paris, pour lui demander de la bénir. Monseigneur de Harlay commença par lui faire prêter le serment d'obéissance, exigé en pareille circonstance. Elle s'y soumit, fut bénite par le prélat; mais avant de quitter le palais archiépiscopal, elle dressa un acte authentique, pour |251 protester contre le serment qu'elle venait de faire, ne s'y étant prêtée, disait-elle, que par contrainte et afin de pouvoir fulminer ses bulles, son abbaye étant exempte.
  • Madame d'Uzès n'avait pas attendu sa bénédiction pour faire acte d'administration, car nous trouvons deux contrats du mois de juillet 1691, où elle prend le titre d'abbesse. L'un de ces actes nous apprend que Thérèse Loubat fait don à l'abbaye de mille livres, et lègue cinquante livres de pension à une sœur converse, nommée Hautroux; l'autre nous dit que la petite école, dirigée depuis dix ans par Marie le Bourcyer, est très prospère, bien que nous n'ayons que seize signatures de professes au contrat, sans doute parce qu'il fallait plusieurs années de vie religieuse, pour avoir droit de ratifier les actes administratifs de la communauté.
  • Pour l'aider, Suzanne de Crussol fit élire comme prieure Anne Vagnard, aux lieu et place de Lucrèce du Raiz de Clinchamp, vieillie et infirme; et Pierre Léger, prêtre et docteur en Sorbonne, fut choisi comme visiteur et supérieur temporel.
  • On sait la misère et les épreuves qui fondirent sur le royaume vers cette époque. La nouvelle abbesse d'Yerres fit réellement des prodiges pour venir en aide aux malheureux: soupes distribuées aux indigents à la porte de l'abbaye; vêtements confectionnés par les moniales et donnés aux pauvres; remèdes procurés aux malades; paroles de consolation et lettres écrites à la multitude des affligés, l'activité de Madame d'Uzès suffit à tout, sa bonté est extrême et elle se donne tout entière.
  • Hélas! elle-même était sans ressources, et dans la plus affreuse pénurie, car les folles acquisitions faites par Madame de Rambouillet commençaient à porter leurs fruits. L'abbaye est si pauvre qu'elle n'a pu payer 1209 livres pour les décimes dus au roi; c'est pourquoi le monastère est contraint de recevoir une garnison, qui ne lui fut retirée, après un long séjour, que le 25 novembre 1693.
  • Et la présence des soldats dans l'enclos du couvent n'est qu'une partie des épreuves de Suzanne de Crussol. Chaque jour les sergents à cheval ou à verges, prédécesseurs de nos huissiers modernes, sont à la porte de sa maison, pour des dettes en souffrance. Les créanciers, en voyant la crosse |252 changer de main, se sont levés en foule, ont lancé la meute des gens de justice, et accablent l'abbesse sous une avalanche de papiers, dont la plupart sont déjà timbrés: demandes, réclamations, propos aigres-doux, plaintes, reproches, menaces, injures même arrivent tous les jours, et de tous les côtés de la part d'hommes d'affaires, de parents de l'abbesse, de l'archevêché, de la cour elle-même.
  • Pour se justifier aux yeux de cette dernière, et pour obéir à un arrêt du conseil d'État du 26 novembre 1692, Suzanne fait une déclaration de la situation matérielle de son monastère.
  • Cette pièce est malheureusement assez peu explicite. Néanmoins, l'abbesse y confesse sans détours tous les déboires auxquels elle se trouve exposée: 1a situation, dit-elle, est des plus difficiles, à cause des acquisitions faites par Charlotte d'Angennes; les dettes sont énormes, les ressources très minimes. Pour son honneur, elle ne veut point cacher ses embarras; elle ne veut pas être accusée plus tard d'avoir dissipé la fortune abbatiale, d'avoir mal géré les affaires de sa maison: sages et prévoyantes précautions, qui ne devaient cependant pas sauver Madame d'Uzès des plus graves imputations sous ce rapport.
  • Courageuse et active, elle se multiplie pour faire face aux nécessités de la situation. Elle écrit lettres sur lettres; aux uns pour se justifier, comme aux membres de sa famille; aux autres pour les faire patienter, comme aux créanciers; à d'autres encore pour tirer parti de son vaste domaine, louer ses terres et même les bâtiments du château. Malgré un contrat de location conclu avec le procureur Boursault, l'habitation seigneuriale était inhabitée depuis l'acquisition de Charlotte d'Angennes; aussi se trouvait-elle en piteux état. Les châssis et les vitres manquent aux fenêtres, les portes sont vermoulues, les crépis s'ouvrent de toutes parts, les murs se lézardent, les jardins sont en friche, la chapelle n'existe même plus, tout s'en va. Madame de Crussol fait faire, en 1698, une inspection des lieux, pour les louer à deux marchands d'Yerres; Claude Henault et Louis Dager. Voilà ce qu'est devenue la demeure historique des fiers Budé, entre les mains de nos Bénédictines! |253
  • Cette mesure, sage d'ailleurs, ne devait point sauver l'abbaye. Pour combler le gouffre des dettes qui s'élargissait toujours, l'abbesse n'épargna cependant pas les sacrifices; elle vendit successivement les fiefs de Carbouville, Amerbois, Retolu; des taillis dans la forêt de Senart; des rentes sur les Camaldules; des droits féodaux; lods et ventes, champarts, quint et requint, en différents lieux; rien n'y fit. Elle eut beau emprunter de nouveau à des communautés: Chaillot, la Visitation de la rue du Bac, les Annonciades; à des particuliers: les Nicolaï, les Maupeou, les de Pienne, les de Villeregis, les Briçonnet de Magnainville, les Nolet et vingt autres; à sa mère, la duchesse d'Uzès elle-même; tout cela pour faire taire les plus exigeants de ses créanciers; selon l'expression vulgaire, “elle découvrait saint Pierre pour couvrir saint Paul,” ce qui ne réussit pas, car il lui fallut quand même arriver à l'extrémité. En 1701, de guerre lasse, impuissante, traquée de tous côtés, “noble et illustre Dame, Suzanne de Crussol d'Uzès, abbesse royale d'Yerres” et ses conseils firent tout simplement faillite, et abandonnèrent, par acte du 20 février, les deux tiers de leurs biens, à leurs créanciers, qui se ruèrent sur cette proie avec une avidité extraordinaire. Un décret adjugea grand nombre de droits féodaux sur la Grange du Milieu à M. le Camus, qui était déjà propriétaire du château. Il fut pour l'abbaye le voisin le plus incommode qui se puisse imaginer; car il entama avec elle des procès interminables; et dressa contre le monastère et son abbesse de volumineux mémoires. — Achille de Harlay, premier président du Parlement, seigneur de Grosbois, acheta d'abord pour 44.000 livres de bois taillis; et le 15 mars 1704, le château d'Yerres, avec certaines dépendances, pour 34.382 livres. — Les prêtres de Saint-Sulpice, à Paris, acquirent aussi une portion du domaine, sur lequel ils réclamaient des droits de justice, ce qui amena des discussions avec l'abbaye, et plus tard une transaction.
  • On devine aisément si une pareille déconfiture apporta des ennuis à l'infortunée Suzanne, qui portait la crosse à Yerres; mais il est impossible d'imaginer les tracas, les humiliations, les injures qui tombèrent sur elle de tous côtés: reproches |254 d'incapacité, de fourberie, de mensonge, de duplicité, d'indélicatesse, de vol même: rien ne lui fut épargné.
  • Et comme si ce n'était pas encore assez d'avoir sur les bras la tourbe des créanciers mécontents, qui, sous des formes plus ou moins voilées, mettent en doute sa probité et la déclarent incapable, Suzanne de Grussol vit se lever contre elle le fisc aux dents longues et aiguës. Déjà, on lui avait imposé des garnisaires. Et Voici maintenant une autre difficulté. À la prière de Charlotte d'Angennes, Louis XIV avait empêché les officiers de finances de se montrer trop pressants, pour le recouvrement des droits d'enregistrement, résultant des grandes acquisitions de 1672. Madame de Crussol n'eut sans doute pas le même crédit; ou plutôt, comme l'État ne perd jamais ses droits, que ses besoins sont devenus plus impérieux, et qu'on ne peut temporiser toujours, sitôt que l'abbesse eut abandonné ses biens aux créanciers, les agents du fisc vinrent en hâte lui réclamer la somme de 42.305 livres 12 sols, pour droits divers.
  • Cette fois, la noble fille des d'Uzès, qui jusque-là, avait assez vaillamment fait tête à l'adversité, se sentit accablée. Noyée dans les larmes, elle se jeta aux pieds du Saint-Sacrement pour lequel elle avait une ferveur extrême, appelant tout haut le Ciel à son secours. Le Ciel entendit sa prière et vint à son aide.
  • Louis Tiberge, prêtre et abbé commandataire de Saint-Sauveur d'André 175), directeur des Missions Étrangères, vivait à Paris, rue du Bac, et s'occupait de bonnes œuvres. Des personnes charitables, émues de la détresse de l'abbesse, en même temps que de la triste situation du monastère d'Yerres, — tout en gardant l'anonymat le plus strict — s'adressèrent à l'abbé, et le prièrent de mettre fin à l'épreuve de Madame de Crussol. Louis Tiberge alla trouver les agents du fisc, et rapporta le 23 février 1702, à l'abbesse, un double reçu de 42.305 livres 14 sols. Il n'imposa comme charge à |255 l'abbaye que l'obligation de recevoir, en qualité dé sœurs de chœur, quatre religieuses sans dot, à des intervalles de vingt ans. Le jour même, Marie-Anne de Croze de Bois, entra au cloître, dans ces conditions. Les novices devaient être désignées par la Supérieure de la maison de Saint-Cyr, près Versailles, — ce qui découvre suffisamment le providentiel bienfaiteur, ou mieux la bienfaitrice 176). — L'abbaye rendrait, quand elle le pourrait, 18.000 livres; car on faisait état de 24.000 livres, pour les quatre novices à recevoir, soit 6.000 livres pour chacune, constituant une pension de trois cents livres de rente, l'intérêt étant calculé au denier vingt. Toutes les moniales se rassemblèrent à la grille, pour prendre ces divers engagements, et remercier les bienfaiteurs inconnus, représentés par le prêtre Tiberge. La maison d'Yerres ne put jamais rendre les 18.000 livres, qui ne lui étaient d'ailleurs demandées que pour la forme.
  • Ces pénibles épreuves n'étaient qu'une partie du calice d'amertume réservé à Madame d'Uzès. Elle avait partout des difficultés qui ne lui étaient point imputables. Le président de Harlay et M. le Camus, ses deux voisins, les acquéreurs d'une partie de son domaine morcelé, lui suscitaient mille tracas, tantôt au sujet des limites, du bornage, et de la contenance des terres vendues; tantôt au sujet des droits de justice, ou des droits féodaux. Les curés d'Yerres, d'Évry, de Montgeron, de Lieusaint, de Villabé, de Puiselet, et de Brie surtout sont sans cesse en discussion, ou même en procès avec elle, pour les dîmes de leurs paroisses 177). Elle a aussi des contestations avec des particuliers, notamment avec Noël Biblon et N. Motteau, sa femme, au sujet de la ferme de Herces 178). |256
  • Ce n'est pas tout encore. L'abandon fait en 1701 des deux tiers de la mense abbatiale n'avait pas suffi à désintéresser tous les créanciers de l'abbaye; car en 1703, nous voyons les Religieuses de la Visitation, les Augustines de Chaillot, représentées par Marie-Anne le Lierre, leur supérieure, presser vivement l'abbesse d'Yerres de les payer. Aux religieuses se joignent également Marguerite Colbert, dame Hotmann, l'abbé Lamy et sa sœur la marquise de Guiry, pour demander impérieusement le remboursement de leurs créances. En face de ces exigences, Suzanne de Crussol fait de nouvelles ventes: les prêtres de Saint-Sulpice achètent le moulin d'Yerres et des terres pour la somme de 47.000 livres, qui passent entre les mains des créanciers sans que l'abbaye en reçoive une obole: Achille de Hrlay acquiert des bois pour agrandir son domaine.
  • Que de fois, au milieu de toutes ces difficultés, en face de toutes ces épreuves réunies, Madame d'Uzès n'avait-elle pas eu recours à la prière! Que de fois, après avoir invoqué le Saint-Sacrement dans de ferventes oraisons, ne s'était-elle pas adressée à la Consolatrice des affligés, à la Reine du ciel, à la Vierge Marie, dont la statue et l'image se voyaient à chaque pas dans sa vaste maison! Elle en avait éprouvé en maintes occasions un grand réconfort et de réelles consolations. Malgré cela, elle était en proie à un profond découragement. Tant de gens lui disaient qu'elle était incapable, qu'elle avait fini par le croire un peu. Des scrupules de conscience nés de principes sévères et des circonstances, qui lui montraient le vaste domaine abbatial reçu à son entrée en charge, réduit maintenant à rien, la jetaient dans de terribles perplexités, dans une troublante inquiétude; elle songeait à résigner sa crosse et à donner sa démission.
  • Mais là, nouvelles difficultés: tous ses proches s'opposaient à ce qu'elle mit son projet à exécution. Sa mère, la vieille Marguerite d'Apchier, presque nonagénaire, retirée chez les religieuses de Bon-Secours, dans la rue de Charonne, à Paris, écrivait lettres sur lettres à sa fille, pour l'empêcher de démissionner. Dans ses épitres, moitié mystiques, moitié grondeuses, la duchesse d'Uzès, qui aimait tendrement sa fille, |257 cherchait à la consoler et à l'encourager. En 1703, elle lui envoie une somme de 400 livres, et demande qu'on établisse à l'abbaye un salut du Saint-Sacrement tous les premiers jeudis de chaque mois.
  • Retenue par cette opposition familiale, l'abbesse d'Yerres continuait, comme malgré elle, à porter la crosse. Et elle en était digne; car après avoir attentivement étudié les centaines de pièces de ce dossier si compliqué, après avoir relu, dans le calme d'une discussion refroidie depuis deux cents ans, les éléments de cette grande cause, on ne peut se défendre d'une profonde sympathie, pour la personne et pour la gestion de Suzanne de Crussol. Loin d'accuser son défaut d'intelligence, son manque de perspicacité et de prévoyance, comme beaucoup de ses contemporains, elle nous apparaît au contraire, douée d'une sagesse peu commune, d'une fermeté propre au gouvernement, d'une habileté rare, d'une louable activité et d'une grande énergie. De toutes ces qualités, elle fit preuve dans les embarras au milieu desquels elle se trouva jetée dès le début de son abbatiat, sans réparation aucune. Qui donc, mieux qu'elle, eut trouvé des ressources? Qui, mieux qu'elle, aurait eu le courage de sacrifier la plus grande partie du domaine pour sauver la communauté? Qui eut arraché le monastère au péril dans lequel il était tombé? Nous ne le voyons pas.
  • Chose extraordinaire, et due au mérite de l'abbesse, durant ces épreuves et cette tempête, loin de décliner, la maison a plutôt prospéré. La petite école est bien fréquentée et habilement dirigée; le noviciat est nombreux et les professions se renouvellent sans cesse; car en 1702, malgré les décès et quelques départs, le chiffre des moniales s'élève à environ cinquante, dont trente et une professes de chœur. Cependant les filles de la noblesse ne vont guère à une abbaye endettée et quasi ruinée. Aussi, à part Charlotte d'Arbouville, Nicole de Salmatoris de Cercé, Louise de Tirlemon, Marie de Croy, toutes les autres novices sortent de la bourgeoisie, de la magistrature surtout, qui, bien que janséniste, a de la piété et envoie volontiers ses filles au couvent.
  • Tout en recrutant avec soin sa maison, Suzanne de Crussol |258 s'applique h lui ménager des ressources matérielles, d'autant plus indispensables, que la mense abbatiale se trouve considérablement réduite. En 1706, à la suite de longs débats, elle parvient à recouvrer, sur un certain Christophe Grassin, la ferme de Sénart, louée par bail emphytéotique en 1610. Elle convertit en argent une rente en nature, due et mal payée par les habitants de Videlles depuis 1542; elle traite à l'amiable avec le curé de Brie au sujet des dîmes de sa paroisse, et fait plusieurs autres contrats avantageux pour les intérêts de sa communauté.
  • Pleine de sollicitude pour la santé de ses filles, elle obtint du cardinal de Noailles d'assez notabes modifications au règlement de sa maison. Comme toutes ses devancières, Suzanne de Crussol se proclamait bien haut exempte de la juridiction de l'archevêque de Paris, et soumise directement au Saint-Siège. Monseigneur de Noailles, étant en tournée épiscopale au mois de février 1698, vint un jour à l'abbaye dès huit heures du matin, célébra la messe pontificalement, fit la visite des Sacrements, passa au parloir, dit quelques politesses banales à l'abbesse, interrogea deux ou trois religieuses en particulier, puis s'en alla, chez le président Larcher, à sa maison voisine des Camaldules. Mais il revint le lendemain, se fit ouvrir les grandes portes du monastère, puis celles de la clôture, dont Madame d'Uzès n'osa pas lui refuser l'entrée, interrogea toutes les moniales, en commençant par les moins âgées, rassembla la communauté au chapitre, la harangua, et, en un mot, se posa en véritable supérieur de la maison. L'abbesse, fort mal à l'aise, n'osa pas protester publiquement, mais elle fit requérir Gabriel Moreau, notaire à Brunoy, et lui dicta une protestation, où elle déclare qu'elle a reçu le prélat comme ami et nullement comme supérieur, car elle est indépendante, ce dont le brave notaire lui donna acte afin de la satisfaire.
  • Cette indépendance d'ailleurs n'empêchait point Madame d'Uzès de recourir de temps en temps aux bons offices du prélat, pour en obtenir de petites faveurs spirituelles et certains arrangements. Ayant remarqué que les offices et les exercices de son couvent étaient trop multipliés, et gênaient |259 la piété de ses filles en nuisant à leur santé, l'abbesse demanda à l'archevêque d'en supprimer quelques-uns. Ce fut précisément à la suite de la visite de 1698, que Monseigneur de Noailles mit, sans précipitation à l'étude, un nouveau règlement qu'il édicta le 45 mai 1701, et dans le préambule duquel nous lisons: “Sur ce qu'il nous a été représenté…. qu'elles (les moniales) sont dans l'usage de réciter au chœur plusieurs offices de suite, ce qui dans le temps de Carême va jusqu'à six…., que cet usage se trouvant peu conforme à l'esprit de l'Église, et les empêche de s'acquitter du saint exercice de la psalmodie, avec tout le recueillement qu'il demande….. etc.” L'archevêque régla qu'on ne dirait plus désormais chaque jour, que l'office canonial, et celui de la Sainte Vierge. Il régla en même temps l'horaire des exercices, à la satisfaction de toute la communauté, et de l'abbesse en particulier.
  • Madame d'Uzès reçut en 1706, à l'abbaye, le docte Mabillon qui faisait des recherches dans les couvents du royaume, pour ses savantes publications. Elle lui ouvrit le chartrier, alors intact, de l'abbaye, et lui permit même d'emporter le Cartulaire qui l'avait particulièrement intéressé. Ce fut en le lui retournant que Mabillon écrivit à l'abbesse une lettre, placée maintenant en tête du manuscrit. De cette épitre, on a voulu faire un argument historique contre l'indépendance des abbayes de Gif et de Senlis; mais Mabillon connaissait trop bien la législation de son Ordre, pour dirimer ainsi un point d'histoire assez considérable, et nier en quelques mots les droits de suffrages et d'élection des anciennes bénédictines. Il se bornait d'ailleurs à une simple politesse, et en moine fort délié, il consolait habilement Suzanne de Crussol des tristesses du présent par le souvenir des gloires passées.
  • C'est qu'elles étaient toujours pénibles les épreuves de l'abbesse d'Yerres. Elle perdait par la mort un grand nombre de ses religieuses: notamment l'ancienne prieure du Raiz de Clinchamp, et la prieure en exercice Anne Vagnart, qui fut remplacée par Marie Colombart. Après avoir pris d'assez heureuses dispositions, touchant les dîmes d'Ablon et la ferme de l'abbaye, louée à Nicolas Lafille pour la somme de 800 |260 livres, l'abbesse se trouvait en procès avec François Badon, son propre curé, au sujet des dîmes d'Yerres. La location était de 480 livres, mais le curé oubliait régulièrement de payer. Madame d'Uzès se vit contrainte de le poursuivre, et, comme il était insolvable, de s'engager dans une action judiciaire fort obscure contre un certain Jean Bernon, curé au diocèse de Limoges, responsable des dettes du curé Badon.
  • Ces petites épreuves locales, jointes à la tristesse ressentie de la mort de sa mère, arrivée le 17 avril 1708, jetèrent Suzanne de Crussol dans une grande angoisse et dans un profond découragement. Elle aimait beaucoup sa mère, qui vécut jusqu'à quatre-vingt-onze ans, dans sa retraite de la rue de Charonne, mais elle la craignait aussi. Peu après son décès, elle mit à exécution un projet arrêté dans sa pensée depuis 1703, celui de donner sa démission. Sa famille, et surtout ses religieuses firent de vains efforts pour s'y opposer; et au commencement de 1709, elle écrivit au roi le priant de disposer de l'abbaye d'Yerres, sans lui désigner qui que ce soit. Suzanne de Crussol se retira dans le couvent de Port-Royal à Paris, où elle se sentait attirée par son amour du Saint-Sacrement, adoré nuit et jour dans cette maison. Elle y vécut dans la retraite la plus complète, y passa près de vingt ans, et à la fin se fit transporter, on ne sait trop pourquoi, au monastère Précieux-Sang, où elle mourut le 14 janvier 1730, à l'âge de soixante-treize ans, après cinquante-et-un ans 179) de profession religieuse.
  • Madame d'Uzès, en quittant Yerres, y laissa une mémoire fort discutée, malgré les politesses extérieures dont elle fut l'objet au moment de son départ; on écrivit contre elle des mémoires accusateurs, en blâmant sévèrement sa conduite touchant la vente du domaine. Nous ne saurions en rien nous associer à ces reproches. Pour nous, Suzanne de Crussol fut malheureuse, elle ne fut ni incapable, ni surtout coupable. Pendant les dix-huit années de sa prélature, si troublée par les embarras extérieurs, la discipline et la régularité ne cessèrent de |261 régner; le nombre des religieuses fut augmenté, malgré la pénurie et la détresse financière; et si Madame d'Uzès n'a pas droit au premier rang parmi les grandes abbesses qui fondèrent, soutinrent et réformèrent l'abbaye au cours des siècles, elle mérite assurément la première place, entre toutes celles qui portèrent la crosse, depuis la sainte Marie d'Estouteville jusqu'à la fin, sans en excepter Madame de Luxembourg elle-même.

Chapitre XXIV. — Marie-Thérèse Desmarets (1709-1761) — Anne-Louise-Marie-Thérèse de Clermont d'Amboise de Revel (1761-1770).

Différence entre l'observance de l'abbaye de Montmartre et celle d'Yerres. — Déclaration du temporel. — Bail général. — Grandioses projets de l'abbesse. — Donation des frères La Rochefoucauld — Diminution du personnel monastique. — Ses causes. — Longue prélature de Madame Desmarets. — Madame de Clermont. — Son caractère. — Ses luttes. — Nouveau bail général. — Il amène la ruine du couvent. — Insouciance de Madame de Clermont. — Son départ d'Yerres.

  • Un billet du roi, daté du 14 août 1709, nomma pour succéder à Madame de Crussol, Marie-Thérèse Desmarets, religieuse professe de l'abbaye de Montmartre, fille de Nicolas Desmarets, inspecteur des finances, ministre de Louis XIV, et de Madeleine de Béchamel. Elle avait trente-trois ans, l'âge parfait. Ses bulles se firent attendre jusqu'en 1710; elles constatent qu'à Montmartre l'abstinence de viande est perpétuelle, et que les matines se récitent à minuit, selon l'ancienne règle bénédictine, tandis qu'à Yerres on fait gras deux ou trois fois la semaine, et on ne récite pas l'office la nuit. Le Pape Innocent XIII dispense la nouvelle abbesse sur ces deux points; mais il la prévient qu'il ne doit pas y avoir pacte simoniaque entre elle et sa devancière. Madame d'Uzès. Rien n'était à redouter sous ce rapport, car Suzanne de Crussol s'était montrée fort désintéressée.
  • Aussitôt arrivée à l'abbaye. Madame Desmarets fit au roi |263 une déclaration du temporel de son monastère. Cette formalité se renouvelait au commencement de chaque abbatiat, et équivalait à l'acte de foi et hommage, prêté à son suzerain par le feudataire, lors de son entrée en jouissance.
  • Sa prise de possession accomplie, la nouvelle abbesse, conseillée par son père, traita avec un fermier général, le sieur Pierre Bornat, bourgeois de Paris, et lui afferma tout le temporel de l'abbaye pour 12.000 livres. Mais le contrat à peine signé subit des modifications importantes. Nicolas Lafille, tenancier à l'abbaye, mécontent d'avoir un intermédiaire entre lui et l'abbesse, demande à résilier son bail. Instruite par cette démission, Marie Desmarets diminue d'abord de 800 livres le fermier Bornat et garde pour elle la ferme, ensuite elle lui enlève encore des bois pour 400 livres, ce qui ramène le bail général à moins de 41.000 livres. Ces coups de canif dans le contrat original amenèrent bientôt le désistement total de Bornat, et en 1712, l'abbesse se remet entre les mains d'un nouveau fermier général, Philippe Thiphaine, autre bourgeois de Paris, qui loue toute la mense abbatiale sans en excepter la ferme ni les bois. Des modifications si rapprochées dénotent un gouvernement plus remuant qu'intelligent et ferme.
  • D'autres changements hantaient la pensée de Madame Desmarets; elle rêvait de reconstruire tout ou partie du monastère: pour le moment elle s'en tint à l'enclos. Les deux frères de la Rochefoucault, Henri, marquis de Lyancourt, et François, seigneur de Brunoy, lui ayant fait don d'une pièce de terre à sa convenance, elle fit renverser les murs d'enceinte, afin d'enclaver dans son parc le champ qu'elle venait de recevoir. Cet agrandissement avait peut-être sa raison d'être, car l'hygiène laissait toujours fort à désirer. Les années 1711, 1712 et 1713 virent mourir huit ou dix religieuses, victimes d'une sorte d'épidémie non dénommée dans les actes, qui devait se renouveler encore en 1717, et contre laquelle on cherchait sans succès à se défendre, par des récréations prolongées, et par de longues promenades dans le parc agrandi.
  • Les décès multipliés et le départ de quelques religieuses, pourvues de petits bénéfices, comme Marguerite le Vasseur, |264 nommée au prieuré de Saint-Martin de Boran, diminuèrent sensiblement le nombre des professes à Yerres; bientôt elles pe furent plus qu'une vingtaine. Leur vie à cette époque est toute de silence et d'humilité, et leur abbesse en donne l'exemple. Attachée à son cloître, elle ne sollicite jamais la permission d'en sortir et garde avec fidélité la clôture; elle renonce aussi tout doucement aux prétentions de ses devancières. Fille obéissante de l'archevêque de Paris, elle ne réclame plus bruyamment son indépendance, et sous la direction de l'Ordinaire, ses années s'écoulent douces et un peu monotones, dans l'exercice de sa charge.
  • Cette charge d'ailleurs ne la laisse pas inactive. Il lui faut soutenir la lutte toujours renaissante avec M. le Camus, propriétaire de la Grange-du-Milieu; renouveler les baux et les contrats; veiller aux intérêts matériels, moraux et religieux de sa communauté.
  • Les choses extérieures sont l'objet dé soins assidus: le moulin de Mazières est loué à Nicolas Lemé, pour 350 livres, ensuite à Jacques Deslicourt, puis à Claude Ouville, qui sera l'homme de confiance de l'abbesse, et s'installera plus tard dans la ferme de l'abbaye. — Nicolas Pasquier, laboureur à Tigery, loue la ferme de Sénart. — Marin Toutet, marchand, loue les dîmes de la paroisse; — et Madame Desmarets prête une oreille favorable aux avis très pratiques de Henri Saulnier, médecin de la communauté, et de Jacques Cornillot, maître de pension, à Brunoy, qui se font ses conseils, à partir de 1717.
  • Sous l'habile direction de ces deux hommes, et grâce à des dons et à des aumônes, pour nous anonymes, — car nous n'avons pas découvert les noms de ces bienfaiteurs 180), la prospérité renaît peu à peu. Avant 1720, l'abbesse avait pu constituer au monastère, sur les aides et gabelles, 1800 livres de rentes, représentant un capital de 60.000 livres, et ce revenu s'augmenta encore dans les années suivantes.
  • En même temps. Madame Desmarets est parvenue à faire diminuer, d'une manière notable, les impôts de sa maison, |265 au grand scandale des agents du fisc, qui réclament sans cesse des droits multiples, parmi lesquels nous voyons figurer des “dons volontaires”, qui ne le sont pas du tout.
  • Afin de mêler le moins possible ses religieuses aux difficultés de l'administration, et pour ne les pas distraire de leur vie de prière, Madame Desmarets n'appela plus les sœurs à la signature des contrats. De temps à autre seulement, on trouve deux ou trois d'entre elles, présentes à la grille, pour parapher les pièces apportées par les notaires et tabellions. Nous apprenons cependant par les baux, que Marguerite Ferry est devenue prieure vers 1742; elle garda longtemps cette charge, sans doute jusqu'à sa mort, en 4730. Avec elle, Marie le Picart, Charlotte le Maistre, Françoise d'Assy, Charlotte d'Arbouville forment “la plus saine partie de la communauté”, afin de nous exprimer comme les documents de l'époque.
  • Malgré la sage administration de Madame Desmarets, le monastère se dépeuple peu à peu. L'esprit philosophique qui pénètre sans cesse dans les milieux bourgeois, où se recrute surtout l'abbaye, incite les familles à ne plus confier leurs filles au couvent; et à leur tour, celles-ci ont moins d'inclination pour la vie religieuse. Aussi depuis 1730, le noviciat n'est plus que l'ombre de ce qu'il était jadis; à peine donne-t-on l'habit à une ou deux recrues, chaque année. — L'esprit de lucre et d'intrigue pousse toutes les familles à demander des bénéfices, pour celles de leurs filles qui ont pris le voile. Madame Desmarets, durant sa prélature, n'envoya pas moins d'une douzaine de ses religieuses dans différents petits prieurés du royaume. Ces exodes, qui étaient jadis un honneur et une gloire pour l'abbaye d'Yerres, parce qu'ils témoignaient à la fois de sa ferveur et de la fécondité de son recrutement, ne se faisaient guère, au XVIIIe siècle, sans amener des tiraillements, des disputes et des querelles, au sujet des pensions à rendre ou à servir aux sœurs, qui s'en allaient vivre loin du cloître, où elles avaient fait profession. — L'abbaye elle-même tarissait son recrutement par des mesures administratives qui nous semblent regrettables. Désireuse d'augmenter ses revenus, elle exigeait, |266 comme première preuve de vocation à la pauvreté, qu'on put payer une pension au monastère, écartant ainsi d'elle, les âmes de bonne volonté, qui n'avaient d'autre dot que leur vertu. — Puis la mort faisait parfois d'affreux ravages sous le cloître. En 1742 et en 1743, la maison fut victime d'une épidémie, dont nous n'avons appris ni les causes, ni le caractère, mais qui revient à certaines époques. Sept religieuses de chœur et cinq autres personnes de la maison furent frappées par le fléau, qui sévissait principalement au printemps et en automne: avril et mai, septembre et octobre. — Enfin les querelles religieuses du XVIIIe e siècle, le jansénisme surtout, dont l'abbaye d'Yerres n'était pas suspecte, il est vrai, mais qui exerçait quand même son influence sur le milieu ambiant. — Et encore le pouvoir civil qui, par des lois, des règlements, des taxes sans nombre commençait, contre les communautés religieuses, une guerre de tracasseries et d'entraves légales, cent fois plus énervantes que la persécution ouverte, sont autant de causes qui amenèrent peu à peu le dépeuplement des abbayes, et préparèrent de loin leur ruine complète.
  • Cependant tout semblait suivre une marche régulière. À l'intérieur du cloître, Marie Lourdonner et Marie-Louise Pilon occupaient tour à tour la charge de prieure; l'abbesse nommait son prévôt, comme maîtresse de la justice sur sa terre; faisait des échanges, et même des baux emphytéotiques avec M. Paris de Monmartel, comte de Sampigny, seigneur de Brunoy; élevait des murs de plus en plus hauts autour de son cloître, et pour cela restreignait les limites du cimetière abbatial 181); résolvait les difficultés sans cesse renaissantes avec les prêtres de Lieusaint, de Villabé, de Montgeron, de Moisenay, d'Athis et d'Ablon 182); s'entourait des conseils du médecin, Jean de Cols, et des avis éclairés de prêtres groupés près d'elle Philippe Billy, confesseur des moniales, Robert |267 Lebis, Paul Godebout, Jean-Baptiste Stalin, Étienne Belichon, Jean-Baptiste Hennequin, François Massue 183), chapelains de la communauté.
  • Madame Desmarets porta la crosse pendant plus de cinquanté ans, et à aucune époque de son histoire, l'abbaye ne vit s'écouler un demi-siècle aussi paisible, ni aussi exempt de secousses et de heurts. C'est bien la vie du cloître telle que l'imaginent beaucoup de nos contemporains avec sa paix, son silence, son mystère, ses grilles, ses grands corridors, ses chants un peu monotones et ses longs offices. L'abbesse changea de temps en temps les officières de sa maison, mais ces mutations furent toutes amenées, soit par le jeu des institutions, soit par la mort, le déplacement ou la libre démission des titulaires, aucune par ces crises intérieures qui se rencontrent parfois dans les maisons religieuses les mieux réglées.
  • Cependant dans les dernières années de sa vie. Madame Desmarets vieillie laissa s'affaiblir un peu la discipline; des repas somptueux furent servis à des personnes étrangères au cloître; les heures de parloir et de récréation furent prolongées; la clôture moins exacte et moins rigoureuse, les visites des séculiers plus multipliées, et la présence des grandes pensionnaires moins bien surveillée. Celles-ci avaient remplacé la petite école, définitivement supprimée, par l'abbesse en charge.
  • C'est au milieu de cet affaiblissement général de la vie commune, que Madame Desmarets mourut le 5 janvier 1761, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, huit mois et quelques jours, après un abbatiat qui avait duré cinquante-et-un ans. Elle fut enterrée dans le chœur de l'église abbatiale, par Messire Jean Bruté, docteur de Sorbonne, curé de Saint-Benoist à Paris, et prieur commandataire de Saint-Gilles de Bezon, au diocèse de Bourges, entouré de tous les prêtres du voisinage 184)). |268
  • Vingt jours après la sépulture de Madame Desmarets, c'est-à-dire le 27 janvier 1761, Anne-Louise-Marie-Thérèse de Clermont d'Amboise de Revel fut pourvue de l'abbaye d'Yerres. Fisquet la nomme Claire-Eugénie, mais nous savons que Fisquet n'en est pas à une substitution de nom près; l'abbesse elle-même a donné ses prénoms dans de nombreux contrats qui subsistent, et c'est à son propre témoignage que nous nous en rapportons. Elle était fille de Jean-Baptiste-Louis de Clermont d'Amboise, marquis de Revel, et de Henriette de Fitz-James; elle avait fait profession à l'abbaye de Saint-Paul de Beauvais, où ses parents l'avaient placée dès son enfance. L'arrivée de la nouvelle titulaire à Yerres ouvrit une ère de tempêtes et d'orages, après le demi-siècle de calme et de tranquillité, qui venait de s'écouler. Irascible, fastueuse, Madame de Clermont était réellement incapable de gouverner, surtout une maison religieuse.
  • Le premier acte de sa prélature est un bail de la ferme de Sénart, fait à Louis Gilbon et à Marie Chaise, sa femme, pour la somme de 200 livres. Signé au mois de décembre 1761, il contient les noms de Marie Pilon, prieure, Geneviève Petit de Logny, souprieure, des deux sœurs Huet, de Catherine Beaussire, Anne Bouillier, Jeanne Liber, Élisabeth Godescar de Lille, Anne Josse, Marie de Sanguin, Marie de Combes, Marie la Planche, Marie Glorieux et Marie Pauquerant, en tout seize professes. Si on y joint les novices et les converses, on devine que la communauté ne comptait pas en tout plus de vingt ou vingt-cinq religieuses, qui ajoutent à leur nom de famille un nom de saint ou de sainte; on dit par exemple, sœur Marie Gauché de Sainte-Euphrasie. Cet usage assez généralement répandu dans les communautés au |269 XVIIIe siècle, n'apparaît à Yerres que sous la prélature de Madame de Clermont.
  • L'abbesse eut d'assez nombreuses difficultés avec les curés d'Yerres et de Brie, relativement à l'éternel et toujours contesté droit de dîme. La dîme était déjà fort en défaveur au siècle dernier, aussi les religieuses ne percevaient-elles plus directement ce droit impopulaire. Partout elles l'avaient cédé à des fermiers fort exigeants, qui créèrent, par leur âpreté, de graves difficultés au monastère. De ce nombre étaient Richoux tenancier de l'abbaye, et un certain Yiraudet qui détint les dîmes de Brie pendant vingt-cinq ans, au grand mécontentement de M. Liévin, curé de la paroisse.
  • Ardente aussi fut la lutte avec M. de Moras, seigneur de Grosbois, pour l'exercice de la justice. En 1766, Coudry, meunier à Mazières, mourut insolvable. À cette occasion les officiers de justice de Grosbois vinrent pour instrumenter jusque dans l'abbaye, ce que Madame de Clermont repoussa avec hauteur et colère. Elle fit dresser, par un nommé Babille, un mémoire relatif à l'exercice du droit de justice. Babille était-il incapable? On ne sait. Pour lui, l'abbesse d'Yerres n'exerçait la justice que depuis 1519, ce qui était fort inexact comme nous l'avons vu. Cette étude superficielle dans les archives du monastère concluait en somme contre les prétentions de l'abbesse, ce qui n'empêcha pas, d'ailleurs, Madame de Clermont de faire jeter, dans la prison du couvent, fermée depuis longtemps, la veuve du meunier Coudry, parce qu'elle avait enlevé clandestinement une partie des effets appartenant à la succession. Cette malheureuse fut retenue dans la geôle, sous la garde du concierge, nommé Doublet, et soumise à l'interrogatoire du sieur Nouette, successeur de Moreau, qui avaient exercé à eux deux la justice à l'abbaye, depuis soixante-quinze ans, avec le titre de prévôts.
  • Nouette avait de l'expérience et de l'honnêteté; malgré cela il n'arriva pas à préserver l'abbesse contre elle-même. Elle tomba bientôt entre les mains d'hommes d'affaires peu consciencieux, qui profitèrent de. son inexpérience pour amener sa ruine et celle de sa maison. Désireuse de se décharger du souci des affaires temporelles. Madame de Clermont passa le |270 5 novembre 1768, un bail général de toute la mense abbatiale d'Yerres, à un sieur Mathieu, qualifié bourgeois de Paris. Celui-ci n'était, paraît-il, que le prête-nom d'un certain d'Ogeron; un mémoire du temps va même jusqu'à dire qu'il était simplement son domestique.
  • Ce bail, contre lequel l'expérience du passé aurait dû prémunir l'abbesse, ne fut cependant point, comme on l'insinua plus tard, le résultat d'un coup de tête. Au contraire, on l'entoura, ce semble, de toutes les garanties imaginables: consultation de l'archevêché de Paris, des hommes d'affaires, et du Conseil du roi: il ne fut conclu que pour neuf ans, moyennant le prix annuel de 13,000 livres, plus 45 muids de froment, des redevances en pailles, chapons et menues denrées. L'inventaire détaillé de toutes les ressources de l'abbaye, en 1768, y est fait minutieusement; les contrats en cours d'exécution sont sauvegardés; il est lu et signé en présence des quinze professes de la maison, et paraît à l'abri de tout dol, de toute critique et de toute fraude. Et pourtant ce malencontreux bail amena, à bref délai, la ruine de la communauté et le départ de l'abbesse.
  • Comment expliquer ce résultat? Car enfin le prix de 43.000 livres semble assez élevé, si on le compare aux chiffres anciens déjà cités. Certaines clauses du contrat n'étaient pas, paraît-il, exécutables, et il fallut les modifier; en outre, Mathieu ou d'Ogeron avaient nécessairement recours à des sous-fermiers, qui n'étaient pas d'une honnêteté irréprochable. Mais ce sont là des accidents ordinaires en pareille circonstance, et que tout le monde peut prévoir.
  • Une autre cause de la ruine, et peut-être la véritable, nous semble avoir été la négligence et l'insouciance de Madame de Clermont. Prodigue et dissipatrice à l'excès, elle dépensait sans compter; ne faisant face à aucun engagement, elle négligeait d'acquitter même les gages de ses domestiques, si bien qu'au mois d'avril 1770, l'abbaye avait plus de 30.000 livres de dettes criardes. Ceci n'empêchait point l'abbesse de perpétuer un abus déjà introduit dans la maison, pendant la vieillesse de Madame Desmarets. L'abbaye, située dans une riante vallée, était le rendez-vous et le but de promenade |271 d'une multitude de gens du monde. On y recevait des hôtes nombreux, on y donnait des repas somptueux aux visiteurs de marque; ces festins se prolongeaient h un tel point, qu'on était contraint de supprimer les vêpres au chœur, pour faire face aux obligations mondaines.
  • Madame de Clermont ne fit rien pour arrêter ces abus, elle les favorisa au contraire et les développa outre mesure. Les membres de sa nombreuse famille étaient sans cesse à l'abbaye, et s'y conduisaient en véritables parasites: point de fêtes solennelles sans eux, pas de prises d'habits ou de cérémonies des vœux, sans que les Clermont ne soient là. Ils ont les premières places à la chapelle, et ne font pas mauvaise chère à table. Un simple détail en fournira la preuve. Pendant l'année 1769, on prit pour 3.422 livres de viande, sans préjudice du gibier dont on faisait une consommation effrayante; on acheta pour 1.600 livres d'épicerie à Paris, et pour plus de 800 livres à d'autres épiciers de Choisy et de Villeneuve-Saint-Georges. Notons que la communauté ne se composait pas de plus d'une vingtaine de religieuses, que la viande se vendait quatre à cinq sols la livre ou 0,50 le kilo; que les religieuses se faisaient remettre plus de cinquante chapons de redevances, qu'elles avaient une basse-cour fort bien fournie, nourrissaient des porcs, et avaient deux ou trois vaches 185). Chez elles, le carême lui-même n'était pas trop rigoureux, puisque le boucher apporta, dans les trois premiers mois de 1770, pour 650 livres de viande, et l'épicier pour 1055 livres de denrées diverses.
  • Nos Bénédictines ne se recrutaient plus guère dans la haute aristocratie, mais bien dans la petite bourgeoisie. Néanmoins elles étaient toutes “nobles dames” et vivaient comme telles. Car elles ne faisaient plus aucun des travaux qui s'imposent aux femmes dans toutes les communautés: elles avaient à leur service cinq femmes de chambres, sans parler des lingères, des lessiveuses, des blanchisseuses qui leur venaient chaque matin d'Yerres et de Brunoy. Bien plus, |272 au chœur, pas une d'elles n'était en mesure de tenir l'orgue, cette fonction était remplie par une demoiselle Garnier, qui de ce chef recevait pour ses gages annuels 150 livres. En revanche, les religieuses entretenaient toutes une correspondance effrénée, à faire pâlir un ministre d'État.
  • Ce furent, croyons-nous, cette vie facile, cet abandon de toutes les traditions, de tous les pieux usages monastiques et ces criants abus, qui amenèrent des tiraillements à l'abbaye, des récriminations contre le gouvernement de Madame de Clermont, et la rendirent impossible. Le comprit-elle? ou le lui fit-on comprendre? L'histoire ne le raconte pas. Mais, devenue insolvable, poursuivie par ses créanciers, et surtout menacée par l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, Anne-Louise de Clermont d'Amboise donna sa démission, au mois de mars 1770; elle quitta immédiatement Yerres, et fut nommée peu après abbesse du Parc-aux-Dames, monastère cistercien, situé dans le diocèse de Sentis. Elle y mourut en 1778, dit Fisquet, en 1786, affirme Sainte-Marie Mévil. |273

Chapitre XXV. Thérèse-Angélique de Pasquier de Franclieu (1770-1792)

Situation à l'arrivée de Madame de Franclieu. — Rescision du bail général. — Les dettes. — Le P. Véronneau. — Ses travaux. — Mémoires écrits par l'abbesse. — La vie facile. — Les Franclieu à Yerres. — Déplacement du cimetière. — Mesures prises par la Révolution. — La dispersion. — La vente du mobilier et des bâtiments claustraux.

  • Dès le 3 avril de la même année, Thérèse-Angélique de Pasquier de Franclieu prenait possession de l'abbaye d'Yerres, où elle avait été nommée, grâce à la protection des Condé. Elle était fille de Jacques-Laurent Pasquier de Franclieu et de Marie-Thérèse de Busca.
  • Cette nouvelle titulaire, née le 2 octobre 1730, avait par conséquent 40 ans, lorsqu'elle monta au siège abbatial d'Yerres. Son bénéfice ne constituait point une place très enviable. Tout y était dans un désordre indicible. Au point de vue matériel et financier, la situation était lamentable; au point de vue religieux et monastique, Marie Pilon, toujours prieure, maintenait tant bien que mal la paix, parmi les quinze ou vingt moniales du cloître. Mais la guerre régnait dans la domesticité mal payée, et où chacun faisait à sa guise. Quant aux autres familiers de la maison: le fermier, le meunier, le procureur, les gardes, depuis la conclusion du bail général, ils ne dépendaient plus directement de l'abbesse; et ils étaient devenus, à l'ordinaire, plutôt les ennemis que les soutiens du malheureux monastère, qui pourtant les faisait vivre. Les bâtiments claustraux tombaient en ruines. Cependant le maçon Doublet y faisait pour 5 ou 600 livres de journées tous les ans; le charpentier, des travaux pour 2 ou 300 livres; le menuisier, le serrurier allaient à l'avenant, et jusqu'au vitrier qui présentait un mémoire de |274 900 livres pour plusieurs années, il est vrai. Comme ces travaux étaient exécutés sans direction et sans plan d'ensemble, ils contribuaient à hâter les ruines, plutôt qu'à les prévenir ou à les réparer.
  • En face de cet affligeant état, Madame de Franclieu ne se décourage pas cependant. Elle s'attaque immédiatement au bail général, qu'elle accusait à tort, croyons-nous, d'être la seule et unique cause de tout le mal. Elle consulte de différents côtés, pour savoir si elle peut le résilier. Les jurisconsultes sont partagés: les uns disent oui, les autres disent non. Ceux-ci paraissent les plus nombreux et les plus autorisés. L'un d'eux, nommé Tessier, assisté de M p Vulpian, répond formellement qu'on ne peut briser le bail, qu'en s'appuyant sur les termes mêmes du contrat. M. Poirot d'Ogeron gagnera son procès en justice; c'est pourquoi il engage l'abbesse à traiter à l'amiable avec son fermier; mais Delambon, un autre jurisconsulte, est d'avis contraire; il croit que le bail peut être cassé, et Madame de Franclieu se range à son avis. Aussitôt elle adresse deux mémoires, l'un au Parlement, l'autre au roi. Au premier, elle demande justice; au second elle réclame des secours d'argent, sans lesquels sa communauté n'a jamais vécu, dit-elle, depuis de longues années.
  • Ces mémoires un peu diffus sont néanmoins fort instructifs, parce qu'ils font bien connaître la situation de l'abbaye à la fin du XVIIIe siècle. Elle compte, dit l'un d'eux, dix-sept professes de chœur, cinq converses, quatre pensionnaires, dont une nouvelle convertie, trois jeunes filles pour les classes. Il n'y avait plus à l'abbaye qu'un seul prêtre, à la fois chapelain et confesseur de toute la communauté.
  • Madame de Franclieu ne se montre pas tendre pour la gestion de sa devancière. Elle écrit: “Par une de ces suites trop ordinaires aux administrations, qui n'ont pas été dirigées avec une étendue suffisante de lumière pour les affaires, l'abbaye royalle d'Hyères ne peut manquer d'éprouver dans très peu d'années une ruine entière, si Sa Majesté ne lui tend une main bienfaisante, et ne lui fait ressentir, par sa toute-puissante autorité, les heureux effets de sa justice.” |275
  • La communauté est grevée d'une infinité de dettes criardes, montant à plus de 25.000 livres. “L'abbaye languit misérablement, par la dure exécution d'un bail général de tous les biens et revenus, fait à vil prix, et d'une contre-lettre de ce bail, qui sont le fruit du dol et de la séduction la plus caractérisée…” Le mémoire s'attache ensuite à prouver que la mense abbatiale, bien administrée, peut rapporter 24.000 livres; que par suite du bail, elle n'a droit qu'à 13.000 livres, et ne perçoit en réalité que 9000 livres, à cause de la contre-lettre; que deux fois déjà l'abbesse a été contrainte de faire saisir le fermier, qui est réellement le sieur d'Ogeron, secrétaire des Économats, — Mathieu n'étant que son domestique; — que d'Ogeron a indignement leurré Madame de Clermont; qu'il avait pris sur elle un grand empire, en lui faisant espérer un secours annuel des Économats, dont il est le directeur; qu'il ne se contente pas d'un bénéfice net de 5000 livres chaque année, mais qu'il a encore réduit considérablement ses charges au moyen de la contre-lettre 186). — Que pour toutes ces raisons la communauté demande la rescission du bail et a fourni toutes les raisons de cassation.
  • Mais le bail était si bien fait que malgré tous ces motifs invoqués, Sa Majesté ne crut pas devoir le casser. Cependant grâce à des circonstances que nous ignorons, le fermier consentit |276 à un arrangement, et les conseils de l'abbesse la pressèrent de l'accepter. L'abbaye dut verser 6000 liyres à Mathieu et d'Ogeron 187), et la résiliation fut signée les 9 et 15 novembre 1771. Poirot d'Ogeron fit en outre constater, qu'il ne s'était chargé du bail “que par respect et attachement pour Madame de Clermont”, et que la présente résiliation n'était encore faite que pour répondre au désir, par elle exprimé, de le voir céder aux vœux de l'abbesse actuelle; ce qui fut souscrit et attesté par Madame de Franclieu et toutes ses religieuses.
  • Cette affaire terminée, l'abbesse donna tous ses soins au rétablissement intégral et complet de l'abbaye. Toutefois avant de passer à l'exécution matérielle de ses projets de reconstruction, elle voulut connaître l'histoire de sa maison. Il se rencontra sur sa route un homme capable de lui rendre les plus grands services dans cet ordre d'idées. Frère Antoine Véronneau, religieux dominicain, né à Saintes, en 1716, profès du couvent de Poitiers, fut prieur de plusieurs maisons de son ordre, en particulier du célèbre couvent de Saint-Jacques, à Paris 188). Ce fut là que Madame de Franclieu alla le chercher en 1772, pour étudier le passé de son monastère. Le Père Véronneau n'était point archiviste de profession, néanmoins il s'attaqua avec courage au chartrier d'Yerres; il en prit toutes les pièces, les traduisit, les transcrivit et en composa un inventaire qui nous reste. Ce grand travail, recopié par la main des religieuses et orné par elles de dessins, d'encadrements, et de plans, formait un total de quatorze volumes in-folio, dont il n'existe plus que dix. L'œuvre fut achevée en quelques années, comme en témoigne la lettre ci-dessous 189). |277
  • M. Mévil, avec sa légèreté ordinaire, a cru devoir faire honneur de cet inventaire au Bénédictin D. Grenier. Voici en effet ce qu'il dit dans sa brochure:
  • “La dernière abbesse d'Yerres fut Th. Ang. de Fr. À sa demande, D. Grenier, si connu par ses immenses travaux sur l'histoire de la Picardie, son pays natal, vint à Yerres, mettre en ordre les archives du couvent, et écrire le précieux inventaire que nous possédons do cette belle collection. Ce grand travail était à peine achevé, lorsque parut le décret de l'Assemblée Constituante, qui supprimait les maisons religieuses.”
  • Il est probable que D. Grenier ne mit jamais les pieds à l'abbaye d'Yerres; mais dans la pensée de certains érudits de l'école de M. Mévil, un Bénédictin seul est capable de faire l'inventaire d'un chartrier aussi considérable que celui dont il s'agit! et dire que M. Mévil avait à sa disposition la lettre de Madame de Francîieu, au véritable auteur de l'inventaire!
  • En faisant son travail, le Père Véronneau eut la malheureuse idée de supprimer un certain nombre de pièces, de nature selon lui, à faire scandale. Tout ce qui se rapportait à Jeanne de Rauville, dont il s'efforça de réhabiliter la mémoire, |178 en inscrivant son éloge dans l'Obituaire; ce qui avait trait à Marie de Pisseleu; la plupart des lettres des archevêques de Paris, relatant des querelles de doctrine, de juridiction, et principalement les avertissements comminatoires tout récents, adressés à Madame de Clermont, furent jetés au feu. Cette œuvre de destruction devait être continuée quelques années plus tard par l'État, qui envoya, à l'administration de la guerre, de nombreuses pièces de parchemin, pour faire des gargousses. Le temps, ce grand ouvrier, a détruit lui aussi des documents, d'archives, que l'inventaire le mieux fait ne saurait suppléer.
  • Madame de Franclieu s'intéressait vivement aux travaux accomplis par le Père Véronneau, elle le secondait de tout son pouvoir, et l'aidait dans la mesure de ses forces. Elle annota de sa main plusieurs mémoires, entre autres celui de sa devancière, relatif aux droits de justice, qu'elle fit remonter à 1307, au lieu de 1519; elle aurait pu facilement invoquer d'autres documents, dont nous avons parlé plus haut. En 1778, elle obtint de Louis XVI, des lettres pour faire dresser à nouveau, le terrier du monastère; et en 1780, elle écrivit elle-même un mémoire relatif au droit d'échange.
  • Cependant le Père Véronneau n'était pas seulement l'archiviste du monastère, il était encore le conseil de l'abbesse, pour certaines affaires temporelles, tels que les procès, éteints en grand nombre, par Madame de Franclieu, grâce aux avis éclairés et aux démarches de l'habile religieux. Du reste, son goût pour ce fils de Saint-Dominique, n'empêchait pas l'abbesse de témoigner sa sympathie aux membres des autres familles religieuses. C'est ainsi qu'elle eut pour confesseur de sa maison, pendant six ans, M. Imberti, ancien Jésuite, qui lui laissa en 1779, un petit volume in-16, imprimé à Pont-à-Mousson, en 1619. Il contenait les Constitutions des Jésuites, et une note écrite après coup, dans un des volumes de l'inventaire, fait cette singulière réflexion: “On est surpris, lorsqu'on a lu attentivement ces Constitutions, que le Corps qu'elles ont formé, ait pu subsister pendant deux siècles, dans un état policé.”
  • Madame de Franclieu ne se bornait pas à faire écrire et à |279 écrire elle-même des mémoires sur le passé de sa maison, elle en gouvernait les intérêts présents avec soin: témoins, les nombreux baux qu'elle a laissés, et où reluit sa sage et vigilante activité. Ces contrats passés durant vingt ans, ne nous apprennent pas grand'chose, si ce n'est que l'abbaye avait des difficultés avec les habitants de Videlles, et avec le curé de Montgeron; mais vivait en paix avec MM. Gilbert Lavallée, curé d'Yerres, et J. -B. Vaillant, son successeur. Cependant le bail des dîmes d'Évry, portant la date de 1785, mérite une mention spéciale, car il nomme avec l'abbesse, “les nobles Dames Marie-Madeleine de Miremont, prieure; — Élisabeth Godescard de l'Isle; — Marie-Madeleine Huet; — Marie Laplanche; — Marie Glorieux; — Élisabeth Gauthier; — Catherine Cossendy; — Marie Gauché; — Jaqueline Gallais; — Catherine de Barège, toutes religieuses professes de la dite abbaye royale d'Yerres, composant le bureau ordinaire d'administration des biens et revenus d'icelle, capitulairement assemblées au son de la cloche, en la manière accoutumée, au grand parloir et grille de la dite abbaye, où elles sont dans l'usage de s'assembler pour les affaires temporelles.”
  • Malgré ses qualités éminentes, au point de vue administratif, Madame de Franclieu ne sut point relever sa maison par le côté religieux et monastique. Durant sa prélature, la communauté ressemble à une honnête association bourgeoise de femmes vêtues de noir, à l'air un peu hautain et solennel, ayant l'habitude d'entendre la messe chaque matin, de psalmodier les vêpres à une heure convenable de la soirée, et de se livrer doucement, de temps en temps, à quelques petites dévotions; mais de la vie pénitente et mortifiée des anciennes filles de Saint-Benoît, il n'est plus question 190).
  • Angélique de Franclieu a aussi continué les errements de Madame de Clermont sous un autre rapport: celui des visites fréquentes et prolongées de personnes étrangères à l'abbaye, |280 qu'il faut nourrir et traiter somptueusement. Les Clermont parasites ne sont plus là; mais les Franclieu les ont remplacés, et ont fait, du monastère, la maison de plaisance de leur famille. Les neveux de l'abbesse, — et ils sont nombreux, puisque son père a eu onze enfants, — et entre autres “le beau Palaminy” sont journellement à Yerres; ils occupent tous les appartements disponibles, si bien qu'il n'en reste plus pour le Père Véronneau, contraint d'aller chercher un gîte chez un voisin complaisant.
  • Et pour nourrir toutes ces bouches affamées, que ne fait-on pas? La basse-cour de la maison, bien fournie cependant, est insuffisante: aussi on achète du gibier en toute saison: perdreaux, faisans, lièvres, lapins, cailles, râles de genet 191), tout arrive à l'abbaye pour le plaisir des hôtes. Pendant la seule année 1773, on fit venir deux cent soixante pièces de gibier; deux cent dix en 1774, et de même toutes les années suivantes.
  • Les revenus de la mense abbatiale continuaient d'être trop modestes, pour satisfaire à toutes ces fantaisies de grandes dames. — Afin d'équilibrer le budget, perpétuellement en déficit, on avait recours aux deux moyens ordinaires: la bourse du roi, et la diminution du nombre des religieuses; aussi n'en recevait-on que de bien rentées. Chaque fois que la mort enlevait l'un des membres de la communauté, on cherchait bien à remplacer la défunte, mais la grande préoccupation, celle qui dominait toutes les autres, c'était le contrat de pension; sans lui, il n'y avait plus de vocation.
  • Toutefois Madame de Franclieu avait poursuivi avec un louable esprit de suite son projet de réorganisation totale du monastère. Entre 1780 et 1791, des, travaux de maçonnerie assez importants, furent entrepris, pour consolider de vieux bâtiments et faire disparaître d'anciennes constructions en ruines.
  • Ceci amena le déplacement du cimetière. Les sépultures dans l'église étaient dès lors une exception; le cloître ne recevait plus aucune dépouille mortelle. Mais il y eut deux |281 cimetières: l'un dit extérieur, pour les familiers, tes serviteurs, les domestiques et de rares étrangers, désireux de dormir leur dernier sommeil à l'ombre du cloître; l'autre, dit intérieur, pour les moniales. Ces deux cimetières furent bénits, en 1788, par Messire Chenu, curé de Brie-Comte-Robert, spécialement délégué par Monseigneur de Juigné, archevêque de Paris. C'était bien l'heure en effet d'ouvrir des lieux de sépulture, car le glas funèbre de l'abbaye elle-même allait bientôt retentir.
  • La fin de 1790 et toute l'année 1791 furent remplies par les allées et venues des commissaires du gouvernement, des administrateurs du département et du district, puis des officiers municipaux, chargés d'interroger les religieuses, et de dresser des inventaires et des récolements.
  • Nous n'avons pu retrouver l'interrogatoire de Madame de Franclieu, ni celui de ses filles; mais tout indique qu'elles acceptèrent sans protestation le nouvel état de choses, car toutes reçurent une pension, comme il résulte du tableau ci-joint 192). |282
  • Les administrateurs: François-Godard Desmarets, Joseph-Philippe David, Jacques Venteclef vinrent plusieurs fois à l'abbaye, en 1791, chercher des pièces, puis des parties de l'inventaire, afin de préparer la spoliation. Les religieuses évacuèrent définitivement le monastère le 10 octobre 1792, et s'en allèrent dans différentes directions, où il nous est impossible de les suivre. Quant à Madame de Franclieu, elle traversa la période révolutionnaire, et mourut, le 10 décembre 1814, aux environs de Pont-Sainte-Maxence, dans l'Oise, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.
  • Aussitôt que les dernières Bénédictines eurent quitté le cloître; sur l'ordre du maire d'Yerres, nommé Boursault, le maçon Féval se mit à desceller les fenêtres de la chapelle, à démonter les escaliers, à descendre les tableaux, les tapisseries de haute lisse, les consoles et les statues de marbre, répandues un peu partout dans l'abbaye. On fit, de toutes les richesses rassemblées là depuis six siècles, un monceau qui devait tenter la cupidité des voleurs. Ils vinrent en effet, rompirent le mur de clôture, pillèrent le potager et tentèrent de pénétrer jusqu'à l'immense butin, renfermé dans les appartements; mais ils furent repoussés par des gardiens, que le vigilant Boursault avait commis à la surveillance des biens nationaux. La vente commença bientôt. Elle eut lieu tous les jours et dura un mois environ, sous la surveillance et la direction des citoyens Boursault, Feron et Defresne, officiers municipaux. Ceux-ci étaient tout zèle et tout flamme pour le bien de la Nation, mais ils aimaient aussi le leur; c'est pourquoi ils réclamèrent avec énergie le paiement des journées, passées par eux à surveiller et à diriger la vente. La Nation, toujours généreuse, éconduisit leur requête, sous prétexte que la loi déclarait gratuites les fonctions municipales.
  • Boursault s'y rattrapa un plus tard, en achetant, le 2 messidor an VII (20 juin 1799) le moulin de Masières, pour la modique somme de 1.200.000 livres en assignats. Il avait la ferme intention de ne jamais verser un centime; mais comme la Nation devenait de plus en généreuse, elle lui fit quelques petits ennuis, au sujet de sa dette impayée. Un décret |283 du 15 thermidor an X — août 1802 — le déclara déchu de son acquisition. Le moulin resta la propriété de l'État durant de longues années; il fut définitivement vendu le 29 décembre 1830, à un nommé Prod'homme, pour la somme de 22.200 francs.
  • Quant au monastère, il attendit moins longtemps.
  • Le 31 mai 1793 “l'abbaye et maison conventuelle d'Yerres, située entre Brunoy et Yerres, consistant en bâtiments, cours, jardins, prairies, enclos et autres aisances, circonstances et dépendances, canal, pré, etc., le tout contenant vingt-trois arpents, soixante-quinze perches, cinq pieds environ, à la mesure de vingt pieds pour perche”, fut vendue au citoyen Baudier, demeurant à Yerres, pour 150.000 livres, en assignats.
  • Il n'y avait plus d'abbaye! |284-285

LISTE DES ABBESSES D'YERRES

  • 1. Hildearde de Senlis (1132-1155)
  • 2. Clémence Loup (1155-1180)
  • 3. Ève (1180-1210)
  • 4. Eustachie Dulers (1210-1226)
  • 5. Aveline (1226-1244)
  • 6. Ermengarde (1245-1254)
  • 7. Eustachie d'Andresel (1255-1261)
  • 8. Isabelle (1261-1267)
  • 9. Marguerite Ière (1267-1274)
  • 10. Jeanne Ière (1274-1280)
  • 11. Agnès de Brétigny (1280-1299)
  • 12. Élisabeth (1300-1341)
  • 13. Marguerite de Courtenay (1341-1342)
  • 14. Agnès de Brie (1312-1317)
  • 15. Clémence des Grèz (1318-1332)
  • 16. Élisabeth de Versailles (1332-1338)
  • 17. Agnès de Courciaux (1338-1349)
  • 18. Agnès de Chartrettes (1349-1360)
  • 19. Pétronille de Mackau (1360-1394)
  • 20. Marguerite des Chênes (1394-1406)
  • 21. Jeanne la Pastée (1406-1407)
  • 22. Marguerite IV (1407-1427)
  • 23. Marguerite V (1427-1430)
  • 24. Marguerite de Montaglant (1430)
  • 25. Marguerite des Guaculs (1430-1436)
  • 26. Huguette de Chacy (1436-1450)
  • 27. Guillemette le Camus (1450-1459)
  • 28. Marguerite d'Orouer (1459-1460)
  • 29. Jeanne de Rauville (1460-1487) |286
  • 30. Jeanne Allegrin (1488-1513)
  • 31. Guillemette Allegrin (1513-1516)

ABBESSES TRIENNALES

  • 32. Marie de Savoisy (1517-1520)
  • 33. Marguerite d'Estouteville 193) (1520-1537)
  • 34. Anne de la Rainville (1537-1541)
  • 35. Marguerite le Grand (1541-1544)
  • 36. Étiennette de Guaigny (1544)

ABBESSES PERPÉTUELLES DE NOMINATION ROYALE

  • 37. Marie de Pisseleu (1544-1553)
  • 38. Antoinette de Luxembourg (1553-1603)
  • 39. Catherine-Alphonsine Jouvenel des Ursins (1604-1636)
  • 40. Claire-Diane d'Angennes de Rambouillet (1637-1670)
  • 41. Catherine-Charlotte d'Angennes de Rambouillet (1670-1691)
  • 42. Suzanne de Crussol d'Uzès (1691-1709)
  • 43. Marie-Thérèse Desmarets (1709-1761)
  • 44. Anne-Louise-Marie-Thérèse de Clermont d'Amboise de Rével (1761-1770)
  • 45. Thérèse-Angélique de Pasquier de Franclieu (1770-1792)

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE PREMIER

  • Origine de l'Abbaye. — Eustachie de Corbeil. — Étienne de Senlis. — Hildearde. — La règle. — Les donations. — Le pain du roi. — Les bienfaiteurs. — La famille d'Eustachie de Corbeil. — Saint-Rémi de Senlis. — Le prieuré de Saint-Nicolas. — Mort des premiers fondateurs (p.1)

CHAPITRE II

  • Clémence Loup ou le Loup. — Construction du cloître. — Les moniales. — Recrutement et organisation. — Vie des religieuses. — La chèvecerie de Notre-Dame de Paris. — Nombreuses aumônes. — Privilèges accordés par le pape. — Les familles de Corbeil, Briard et de Garlande. — Hugues le Loup. — Saint-Pierre de Tarentaise. — Maurice de Sully. — Son dévouement à l'abbaye. — Mort de l'abbesse (p.16)

CHAPITRE III

  • Élection et bénédiction de l'abbesse. — Bulle d'Alexandre III. — Yerres et Gif séparent leurs intérêts. — Les acquisitions. — Nouveaux bienfaiteurs. — Changements dans l'ordinaire des moniales. — Suppression des groupes isolés. — Les traditions bénédictines. — Les arts à l'abbaye. — Les évêques de Paris et les archevêques de Sens. — Prospérité. — Querelles et difficultés. — Les défrichements. — Efforts faits pour limiter le recrutement. — Jean de Corbeil, sa postérité, ses aumônes. — Mort de l'abbesse (p.31) |288

CHAPITRE IV

  • La communauté est gouvernée par le chapitre. — Pierre de Nemours. — Les donateurs. — Noms de quelques religieuses du XIIIe siècle. — Les aumôniers ou chapelains. — Les seigneurs d'Yerres. — Mouvement religieux. — Yerres envoie une abbesse à Saint-Rémi de Senlis. — Nombreux chevaliers bienfaiteurs du monastère. — Acquisitions. — Transactions. — Le chapelain Guillaume se fait Frère-Prêcheur (p.44)

CHAPITRE V

  • Dix religieuses nommées Aveline. — L'abbaye à son apogée sous tous les rapports. — Périmètre de ses biens. — Les reliques. — L'humble abbesse. — Affaires diverses. — Guillaume d'Auvergne. — Les arbitres. — L'Official. — Les délégués du pape. — Donation de livres. — Mort d'Aveline (p.54)

CHAPITRE VI

  • Modifications importantes: les anciennes religieuses gouvernent la communauté. — Atténuation de l'austérité. — L'usage des œufs. — Actes de l'abbatiat d'Ermengarde. — Querelles au sujet des bois de Sénard. — Fin des longs abbatiats (p.65)

CHAPITRE VII

  • Origine d'Eustachie d'Andresel. — Acquisitions faites par elle. — Son administration. — Isabelle lui succède. — Renaud de Corbeil. — L'Hôtel-Dieu de Corbeil. — Les procès. — Marguerite Ière. — Raoul de Chevry et Guillaume des Grez. — Histoire de l'abbaye d'après M. Mévil. — Marguerite, neuvième abbaye d'Yerres. — Abbatiat de Jeanne Ière. — Le curé d'Yerres procureur des moniales. — Richesse des religieuses (p.73) |p.289)

CHAPITRE VIII

  • Charité de l'abbaye. — Reconstruction du monastère. — Hôtel à Paris. — Le Cartulaire, les Obituaires. — Date de * la composition de ces manuscrits. — Leur contenu. — Origine d'Agnès de Brétigny. — Elle reçoit une moniale envoyée par l'évêque de Paris. — Exemption de la juridiction épiscopale. — Les dons en argent. — Le moulin de Mazières. — La justice. — Le tribunal. — Madame l'Abbesse. — Legs faits par Agnès de Brétigny. — Sa tombe (p.85)

CHAPITRE IX

  • La justice. — Abbatiat d'Élisabeth. — Services funèbres. — Donations d' Aveline Loup et de Pierre Cossigny. — Marguerite de Courtenay. — Sa famille est enterrée à Yerres. — Maladie épidémique. — Agnès de Brie. — Les procureurs. — Les confesseurs. — Affaiblissement de l'austérité. — Influence des religieux de Cluny. — Le chant des Offices supprimé. — Le Ferculum. — Le pécule et la vie privée. — Omissions de l'Obituaire (p.99)

CHAPITRE X

  • Origine de Clémence des Grez. — Le nom d'Yerres donné à plusieurs familles. — Obsèques de Jeanne de Courpalay. — Le recrutement. — Suppression de la viande dans l'ordinaire des moniales. — Les procès. — Les des Grez. — Baux à longs termes. — Court abbatiat d'Isabelle de Versailles. — Introduction des pensionnaires à l'abbaye. — Mort de Pierre de Courtenay. — Agnès de Courciaux. — Jean de Herces. — Son testament. — L'Hôtel-Dieu de Corbeil. — La justice (p.109)

CHAPITRE XI

  • La guerre de Cent-Ans. — Difficultés administratives. — Le pain du roi. — Testament de Marguerite de Courtenay. — La famille de Mackau, — Pétronille prête serment |290 à l'évêque de Paris. — Extension du droit de dîme. — Legs de Jeanne d'Évreux. — Dons divers. — Importance de la maison de Paris. — Destruction de l'abstinence. — Nouveaux seigneurs d'Yerres. — La cure de Villeroy (p.119)

CHAPITRE XII

  • Erreurs dans la liste des abbesses. — Ruines de la ferme de Herces. — De nombreux paysans se réfugient à l'abbaye. — Suspension des exercices claustraux et de la vie monastique. — La maison de Paris. — Procès. — Quelques baux. — Transmission de la seigneurie d'Yerres. — Encyclique de Pierre de Lune. — Éphémère abbatiat de Jeanne la Pastée. — Marguerite IV. — Jeanne Bierde. — Pierre d'Orgemont. — Quelques contrats. — La guerre. — Mort de Charles VI. — L'Obituaire. — Marguerite de Montaglant (p.131)

CHAPITRE XIII

  • Succession des abbesses du XVe siècle. — La dernière abbesse élue. — Destruction de la communauté. — Gouvernement d'Huguette de Chacy. — Difficultés avec les curés et les religieux. — Prétentions de l'abbaye d'Yerres sur Gif et Saint-Remy de Senlis. — L'évêque de Paris nomme une abbesse pour porter la crosse à Yerres. — Reprise de la vie commune. — Dreux Budé seigneur d'Yerres. — Les curés de Lieusaint et de Brie. — Agnès la Clémence. — Marguerite d'Orouer (p.142)

CHAPITRE XIV

  • Origine et heureux commencements de Jeanne de Rauville. — Renvoi des religieux Augustins. — Gentilshommes pauvres. — Ferme de Sénart. — Baux emphytéotiques. — Mesnil-Racoin. — Cantien Beaujon. — Procès. — La cure de Villiers en Beauce. — Jean Budé. — Prétentions sur Gif et Saint-Remy de Senlis. — Isabelle de Brindesalle. — Ses engagements en se rendant à Senlis. — Indigne conduite de Jeanne de Rauville. — Elle est chassée d'Yerres. — Sa retraite au Mesnil-Racoin. — Sa mort. — Sa sépulture. — Les enquêtes (p.152) |291

CHAPITRE XV

  • Le Pape nomme une abbesse. — Famille et antécédents de Jeanne Allegrin. — Rescision des baux mphytéotiques. — Nombre et noms des moniales en 1494. — La Chèvecerie. — Lutte avec Dreux Budé. — Les dîmes des paroisses. — Les droits de justice. — Prétentions sur Gif et Saint-Remy de Senlis. — Le monastère est restauré. — La prière et les offices. — Nouvelles aumônes. — Dernières années de Jeanne Allegrin. — Sa mort. — Élection de Guillemette Allegrin. — La dîme, son impopularité. — Étienne Poncher et la réforme. — Difficultés à cette occasion. — Guillemette Allegrin donne sa démission. — Elle devient abbesse triennale de Malnoue (p.165)

CHAPITRE XVI

  • La triennalité. — Marie de Savoisy et Louise de la Baume. — Nombre et noms des professes. — Clôture. — Pierre Touzel. — Observance du XVIe siècle. — Le procureur. — Les frères Budé. — Les curés. — Les chanoines de Notre-Dame à Paris. — Départ de Marie de Savoisy (p.183)

CHAPITRE XVII

  • Abbatiat de Marie d'Estouteville. — Reconstruction de l'abbaye. — Procès avec Pierre de Lannoy et les Budé. — Habile administration. — Mort de plusieurs moniales. — Première maîtresse des novices. — Sainteté de l'abbesse. — Erreurs à son sujet (p.189)

CHAPITRE XVIII

  • Personnel de l'abbaye. — Louis Tartin. — Les mères discrètes. — Le recrutement par l'école monastique. — Procès avec l'abbé de Tyron. — Court abbatiat d'Étiennette de Guaigny. — Destruction de la triennalité (p.179) |292

CHAPITRE XIX

  • Le roi nomme une abbesse. — Famille et antécédents de Marie de Pisseleu. — Elle est abbesse perpétuelle. — Son caractère; ses procès. — Elle veut détruire l'œuvre de la réforme. — La résistance. — Marie quitte Yerres. — Elle y revient momentanément. — Sidonie le Picart gouverne le monastère. — Les difficultés qu'elle rencontre. — Rapport de 1547. — Charles Beguyn, procureur. — Ressources de la communauté (p.201)

CHAPITRE XX

  • Nomination de Madame de Luxembourg. — Son caractère. — Premières années de sa prélature. — Ses voyages: leur explication, leur but et leur résultat. — Séparation des pouvoirs. — Contrats et actes d'administration. — Diminution du nombre des moniales. — Les causes. — Charité de l'abbesse. — Transformation du droit de chèvecerie. — Contestations avec les curés des paroisses et les seigneurs. — La justice. — Les titres de Madame de Luxembourg. — Elle laisse ses nièces gouverner. — Sa mort. — Son tombeau (p.212)

CHAPITRE XXI

  • Départ de Françoise de Luxembourg. — Madame des Ursins. — Ses travaux. — Terrier du monastère. — Réouverture de l'école monastique. — Décrets du Concile de Trente. — Changements amenés par leur proclamation. — Nombre des religieuses. — André du Saussay. — Activité de Madame des Ursins. — Affaiblissement de la discipline. — La tombe de l'abbesse (p.221)

CHAPITRE XXII

  • Nomination de Claire d'Angennes. — Départ de plusieurs religieuses. — Appel à Rome. — L'évêque de Lisieux. — Sa double visite à l'abbaye. — Règlement qu'il impose. — Les révoltées. — Situation matérielle. — Vente des biens. |293 — Recrutement. — La Fronde. — Séjour à Paris. — Dénuement et pauvreté. — Les chanoines de Paris. — Les objets d'art. — Le Jansénisme. — Henri de Gondrin. — Mort de Claire d'Angennes. — Charlotte lui succède. — Aveu au roi. — Réparation et ornementation de l'abbaye. — Achat de la seigneurie. — Fléchier à l'abbaye. — Dévotion au Saint-Sacrement. — Les dernières années. — Les épreuves et la mort. — Œuvre des dames d'Angennes (p.230)

CHAPITRE XXIII

  • Nomination et bénédiction de Madame d'Uzès. — Sa bonté, sa charité. — Embarras d'argent. — Les garnisaires. — Les créanciers. — Mesures prises pour faire face aux difficultés. — Vente des biens. — Faillite. — Louis Tiberge vient au secours de Madame d'Uzès. — Nouvelles difficultés. — Piété de l'abbesse. — Le nombre des religieuses augmente. — Visite de Monseigneur de Noailles. — Diminution des offices. — Mabillon à l'abbaye. — Démission de Madame d'Uzès. — Sa mort (p.250)

CHAPITRE XXIV

  • Différence entre l'observance de l'abbaye de Montmartre et celle d'Yerres. — Déclaration du temporel. — Bail général. — Grandioses projets de l'abbesse. — Donation des frères La Rochefoucault. — Diminution du personnel monastique. — Ses causes. — Longue prélature de Madame Desmarets. — Madame de Clermont. — Son caractère. — Ses luttes. — Nouveau bail général. — Il amène la ruine du couvent. — Insouciance de Madame de Clermont. — Son départ d'Yerres (p.262)

CHAPITRE XXV

  • Situation au moment de l'arrivée de Madame de Franclieu. — Rescission du bail général. — Les dettes. — Le P. Véronneau. — Ses travaux. — Mémoires écrits par l'abbesse. — La vie facile. — Les Franclieu à Yerres. — Déplacement du cimetière. — Mesures prises par la Révolution. — La dispersion. — La vente du mobilier et des bâtiments claustraux (p.273) |294-295

TABLE DES NOMS DE PERSONNES

  • A.
  • Aalès, 52. — Aalie, 45. — Aalips, 116. — Aalis, 117. — Abailard, 1. — Adélaïde, 39. — Adeline, femme de Hugues Loup, 24, 26, 31. — Adeline, religieuse, 28, 35. — Adrien IV, 21, 22, 24. — Agnès de Pontoise, 45. — Agnès, abbesse de Villiers, 67. — Agnès, abbesse de Saint-Paul, à Beauvais, 102, 130. — Agnès, prieure, 150. — Agnès, propriétaire du moulin de Mazières, 95. — Agnès III, Voyez Courciaux. — Alençon (Jeanne d'), 94. — Algrin, 9. — Alexandre III, 22, 32, 160. — Alexandre VII, 238. — Allegrin (Catherine), 177. — Allegrin (Guillaume), 166, 167, 169. — Allegrin (Guillemette), abbesse, 166, 174, 177, 178, 179, 180, 181, 187. — Allegrin (Jean), 187. — Allegrin (Jeanne), abbesse, 163, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 190, 195. — Allegrin (Jeanne), religieuse, 199. — Allegrin (Michel), 166. — Allegrin (Simon), 166, 167, 168, 169, 170. — Allez (Marc des), 150. — Allonville (Simon d'), 168. — Alpaïs, 35. — Alpaïse, 9. — Amable, 57. — Amaufroy, 21. — Amboise (d'), Voyez Clermont. — Ameline, 115. — Ameline (Raoul), 178. — Amet (Pierre), 116. — Amicie, 42. — Anceil (Jean), 161. — Ancel, 23. — Andelet (Marc), 235. — André, curé, 40. — André (Martin), 176. — Andresel (Albert et Aubert d'),48,73. — Andresel (Aubert d'), fils du précédent, 49. — Andresel (Eustachie d'), abbesse, 48, 73, 74, 75, 76, 80, 89. |296 — Andresel (Jean d'), 49, 73. — Angennes (Julie d'), 235, 245. — Angennes (d'), Voyez Rambouillet. — Anseau et Ancel, fils de Jean d'Estampes, 10. — Ansel, 57. — Anselme, 103, 239. — Ansolde, Corneth, 9. — Apchier (Marguerite d'), 250, 253, 256. — Apostole (Jean l'), 61. — Arbouville (Charlotte d'), 257, 265. — Ardeur (Jean), 115. — Arnault (Georges), 172. — Arnoul, maire, 33. — Arnoul, procureur, 96. — Arnoult, d'Épernon, 13. — Arrode (Eudes), 33. — Ascelin, 22. — Asceline, 7. — Asseline, 29. — Assy (Françoise d'), 265. — Athis (Jean d'), 28. — Athis (Mathieu d'), 27. — Athis (Philippe d'), 28. — Atrie (Robert d'), 68. — Attilly (Guy d'), 27. — Attilly (Milon d'), 27, 28. — Attilly (Raoul d'), 28. — Aubervilliers (Henri d'), 57. — Aubervilliers (Jean d'), 57. — Audibert, 255. — Augelin (Françoise), 235. — Aulnay (Pierre d'), 126. — Auteuil (Nicolas d'), 93. — Auvergne (Guillaume d'), 59, 60, 66. — Auvers (Godefroy d'), 38. — Aveline, abbesse, 54, 55, 56. 57, 58, 59, 60, 62, 63, 65, 66. — Aveline, prieure, 35. — Aveline, femme de Guillaume le Nain, 107. — Aveline, femme de Guillaume de Paris , 77. — Aveline, femme de Guy Briard, 67. — Aveline, femme de Josbert Briard, 18, 23. — Aveline, femme de Jean l'Apostole, 61. — Aveline, femme de Perrin Cocigni, 115. — Aveline, femme de Pierre le Lico, 61. — Aveline, femme de Roger de Sèvres, 67. — Aveline, femme de Jean de Thiais, 58. — Aveline, fille de Jean d'Étampes, 10, 41.
  • B.
  • Babille, 269. — Bac (Arnoul du), 149. — Badon (François), 260. — Baillart (Jean), 156. — Bailly (Jacqueline de), 199, 205, 210, 213. — Barbette (Geffroy), 156, 168. — Barège (Catherine de), 279, 281. — Barenton (Jacqueline), 183. — Baron (François), 228. — Baron (Pierre) 228. — Barroire (Bizet de la), 243, 245. — Barthélemy, évêque, 49, 52. — Barthois (Jean), 173. — Barres (Guillaume des), 39. — Bau (le), 281. — Baudier, 283. — Baudin (Colin), 167. — Baudry (Ève), 183, 200. — Bauldrée-Boilleau (Jean-Jacques), 268. |297 — Baume (Louise de la), coadjutrice, 183, 193. — Baume (Louise de la Baume-Moutrevel), 183. — Beauchesne (Jean), 204. — Beaucroix (Simon de), 144, 156. — Beaufort (Raoulin de), 150. — Beaujon (Caution), 156, 162, 163. — Beaujon (Denis), 163. — Beaumont (Christophe de), 272. — Beaumont (Louis de), 166, 169. — Beaussire (Catherine), 268. — Beauveau (Hélène de), 189. — Beauvais (Beaudouin de), 2. — Bécamo, 255. — Béchamel (Madeleine de), 262. — Bécherelle (Jacqueline de), 169. — Béguyn (Charles), 209. — Bélichon (Étienne), 267. — Bellay (Jean du), 192, 204. — Belle et Le Belle, 227, 232. — Belle et Le Belle (Catherine), 232. — Bellefaye (Martin de), 161. — Benoit XIII, 135. — Béraud (Pierre), 94. — Bernard, archidiacre, 9, 13. — Bernard, converse , 281. — Bernart, 150. — Bernon (Jean), 260. — Berthault (Claude), 194. — Berthe, 16. — Bertran (Ferry), 76. — Bertrandy-Lacabane 92. — Besançon (Guyot de), 135. — Besançon (Hugues de), 111. — Besançon (Marie), 198. — Beslart (Robin), 96. — Bezançon (Pierre), 235. — Biblon (Noël), 255 — Bierde (Jeanne), 138. — Billy (Philippe), 266. — Blanc (Madeleine le), 199, 215. — Blanc (M. le), 199. — Blancpignon (Claude), 238. — Blandin (Pierre), 232. — Board (Catherine), 226, 235. — Board (Charlotte), 227, 235. — Boilève (Catherine), 199. — Boireau (Jeanne), 235. — Bois (Marie-Anne de Croze de), 255. — Bois-Herpin (Guillaume de), 76. — Bois (Adam du), 49, 61. — Bois (Jean du), 114. — Boisminart (Jean de), 114. — Bonart (Guy), 157. — Boncourt (de), 154, 155. — Boncourt (Antoine de), 154, 155. — Boncourt (Jean de), 171. — Boncourt (Robert de), 171. — Bonnefoy (Guillaume), 194. — Borde (Madeleine de la), 227, 232, 233. — Bore (Aveline), 49. — Borde (Pierre), 49. — Borée (Ermengarde), 58. — Bornat (Pierre), 263. — Bouclainval (Guérin de), 63. — Bouchet (du), 103, 104, 108. — Bougault-Ducoudray (Jacques-Étienne), 276. — Bougre (Jean), 68. — Bouillerot (Jacques), 267. — Boulet (Guillaume), 116. — Boullet (François), 268. — Bourcyer (Gabriel le), 234. — Bourcyer (Marie le), 235, 251. — Bourges (Pierre de), 59. — Bourgeois (Jean), 194. — Bourguignon, 281. — Bourlot (Jehan), 150. — Boursault, 282. — Boursault (Florent), 245, 252. — Bouteille (Jehanne la), 138. — Bouteillier (Pierre le), 12. |298 Boutevillain (Gervais), 217. — Boutsambrail (Jeanne de), 169. — Bouttin (Radegonde), 199. — Bouvart (Guy), 138. — Bouville (Hugues de), 49. — Bouville (Thierry de), 49. — Bouville (Thomas de), 49. — Bras-de-Fer (Jean), 149. — Breteuil (Amicie de), 49. — Bretigny (Agnès de), abbesse, 85, 87, 92, 93, 94, 95, 97, 98, 99, 101. — Bretigny (Agnès de), mère de l'abbesse, 98. — Briard (Aveline), 54. — Briard (Ferry), 51. — Briard (Gautier), 9. — Briard (Godefroy), 34. — Briard (Guy), 58, 67. — Briard (Hugues), 9, 23. — Briard (Jean), 42. — Briard (Josbert), 9, 18. — Briard (Odon), 9. — Briard (Philippe), 34. — Briçonnet (Marie), 199, 217. — Brie (Agnès de), abbesse, 104, 105, 106, 107. — Brie (Albéric de), 68. — Brie (Drouin de), 57. — Brie (Herbert de), 61, 114. — Brie (Jean de), 68. — Briffe (M. de la), 243, 245. — Brindesalle (lsabeau et Isabelle), 147, 159, 160, 173. — Brochet (Henri), 149. — Brodeuse (Marie la), 183. — Bruand, 236. — Brun (Guyard), 68. — Brunoy (Anseau de), 6. — Brunoy (Clémence de), 70. — Brunoy (Frédéric de), 6. — Brunoy (Guyard de), 70. — Brunoy (Isabelle de), 70. — Brunoy (Jean de), 70. — Brunoy (Philippe de), 58, 59. — Bruté (Jean), 267. — Budé, 170, 179, 186, 191, 204, 213, 218, 219, 243, 252. — Budé (Anthoine), 213. — Budé (Dreux), 148, 157, 170. — Budé (Dreux II), 170, 171, 172, 186, 187, 191. — Budé (Dreux III), 213. — Budé (Eustache), 223. — Budé (Guillaume), 148. — Budé (Guillaume), autre, 169, 213. — Budé (lsabeau), 199, 217. — Budé (Jacques), 186. — Budé (Jean), 148. — Budé (Jean II), 157, 169, 170. — Budé (Jean III), 191, 198, 199, 205, 209, 213. — Budé (Pierre), 213, 223. — Budé (Nicolas), 223. — Buisnel (Hugues), 33. — Buisnel (Pierre), 33. — Buno (Téo de), 29. — Bureau de la Rivière (Jean), 128, 135. — Bureau (Jeanne), 135. — Burin, 243. — Busca (Marie-Thérèse de), 273. — Buz (Pierre de), 149.
  • C.
  • Calvin, 170. — Cambon (Claude), 181. — Camus (Guillemette le), abbesse, 147, 148, 149, 150, 151, 170. — Camus (M. le), 245, 247, 253, 255, 264. — Capel (Denis), 144, 146. |299 — Carcassonne, 41 , 54. — Carrels (Foulques), 39, 45. — Castille (Blanche de), 68. — Cauchois (Jean le), 120. — Cercé (de). — Voyez Salmatoris. — Chacy (Huguette de), abbesse , 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 159. — Chaillet, 281. — Chaise (Marie), 268. — Chale (Girard), 68. — Chaliey (Adam), 29. — Challine (Etienne), 191. — Champagne (Adèle de), 38. — Champagne (Guillaume de), 21. — Champs (Renaud de), 45. — Chantel (Anseau), 68. — Chantel (Pétronille), 68. — Chantelou (Hugues de), 45. — Chantelou (Thierry de), 45. — Chanteloup (Godefroy de), 48. — Chanteloup (Hugues de), 28. — Chanteloup (Pierre de), 28. — Charles IV, 126. — Charles V, 124, 148. — Charles VI, 128, 139, 148. — Charles VII, 149. — Charles VIII, 169. — Charlet et Charlotte (Marie), 153, 174. — Charme (Guyard), 75. — Charpentier (Simon), 68. — Charron (Jean), 149. — Chartier (Guillaume), 126. — Chartier (Guillaume) évêque, 147. — Charton (Henri), 154, 157, 159. — Chateau-Challon (Yolande de), 172. — Chatillon (Jacques de), 128, 135, 148. — Chatillon (Louis de), 128, 148. — Châtillon (Frédéric de), 2. — Châtillon (cardinal de), 203. — Chartrettes (Agnès de), abbesse, 119, 120, 121, 122, 123. — Chartrettes (Guichard de), 119. — Châtres (Pierre de), 116. — Chaulnes (de), 221. — Chauvelin, 234. — Chênes (Agnès des), 133. — Chênes (Jean des), 123. — Chênes (Marguerite des), abbesse, 131, 132, 133, 133, 134, 135, 136. — Chêne (Éremburge du), 60, 61. — Chenu, 281. — Chepin (Jean), 127. — Cheronne (Guillaume), 46. — Chevallet (Jean), 94. — Chevalier (Macé), 170. — Chevalier (Madeleine), 183, 185. — Chevalot (Jean), 81. — Chevannes (Aveline de), 39. — Cheville (Bellone la), 115. — Chèvre d'Or (Albert), 27. — Chevreuse (Adeline de), 50. — Chevreuse (Agnès de), 50, 76. — Chevreuse (Albert de), 27. — Chevreuse (Amaury de), 34. — Chevreuse (Aveline de), 54. — Chevreuse (Cécile de), 50. — Chevreuse (Élisabeth de), 34. — Chevreuse (Guy III de), 50, 54. — Chevreuse (Hervé de), 50. — Chevreuse (Milon de), 50. — Chevreuse (Simon de), 34. — Chevry (Albert de), 27. — Chevry (Cristat de), 52. — Chevry (Duret de), 243. — Chevry (Évrard de), 57. — Chevry (Gilbert de), 52. — Chevry (Gilot de), 52. — Chevry (Guarin de), 52. — Chevry (Jean de), 114. — Chevry (Jean de), évêque, 93. |300 Chevry (Milon de), 57. — Chevry (Raoul de), 78. — Chevry (Regnaud de), 52. — Chilly (Adam de), 9. — Chilly (Guiot de), 118. — Chilly (Isabelle de), 118. — Chilly (Jeanne de), 118. — Chilly (Thierry de), 9. — Cirier (Anne le), 215, 217. — Choux (Pierre des), 107. — Clausse (Elisabeth), 235. — Clémence (Agnès la), prieure, 153, 157,161. — Clémence, femme de Jean d'Yerres, 61. — Clémence, femme de Jean du Donjon, 67. — Clément IV, 78. — Clément VI, 115. — Clerc (Antoine le), 216. — Clerc (Noël le), 216. — Clermont (de), 271, 281. — Clermont (Anne -Louise -Marie -Thérèse de), abbesse, 268. 269, 270, 271, 272, 275, 276, 278, 279. — Clermont (Jean-Baptiste -Louis de), 268. — Clinchamp (de), Voyez Raiz. — Cocigny (Pierre de), 94. — Cocigny (Perrin), 115. — Colbert (Marguerite), 256. — Collet (Geoffroy), 217. — Colombart (Marie), 259. — Cols (Jean de), 266. — Combes (Marie de), 268. — Constant (Marguerite de), 183. — Coq (Girard le), 155. — Coqueret (Philippe), 235. — Coquillon (Colin), 157. — Coquillon (Simon), 167. — Corbeil (Agnès de), fille de Beaudoin de), 35. — Corbeil (Agnès de), fille de Jean de, 35. — Corbeil (Aveline de), fille de Jean de, 41, 50, 54. — Corbeil (Beaudoin de), 2, 10, 41. — Corbeil (Beaudoin de), autre, 35, 44. — Corbeil (Beaudoin II de), 41, 82. — Corbeil (Eustachie de), fondatrice de l'abbaye, 2, 3, 5, 6, 9, 11, 13, 14, 15, 17, 32, 41, 213, 227, 243. — Corbeil (Eustachie II de), fille de Jean de Corbeil, 28. — Corbeil (Isabelle de), femme de Jean II de Courtenay, 102, 103, 109. — Corbeil (Jean Ier de), 26, 28, 35, 41, 82. — Corbeil (Jean II de), 33, 35, 44, 50, 54. — Corbeil (Jean de), des Grez, 109, 110. — Corbeil (Hélisandre de), 41. — Corbeil (Ligier de), 41. — Corbeil (Michel de), 38. — Corbeil (Milon de), 41. — Corbeil (Payen de), 45. — Corbeil (Pierre de), 38, 39, 52. — Corbeil (Pierre de), autre, 50. — Corbeil (Renaud de), 68, 76, 77. — Cordonnier (Beaudoin), 68. — Corbeil (Robert), 68. — Cormère (Robin), 167. — Cornet (Jacquemart), 135. — Cornillot (Jacques), 264. — Cornu (Henri), 74. — Corré (Thomas), 228. — Cospeau (Philippe), 231, 233. — Cossendy (Catherine), 279, 281. — Cossigny (Jeanne de), 101. — Cossigny (Marguerite de), 101. — Cossigny (Pierre de), 101. |301 — Coudray (Bouchard du), 23, 49. — Coudry, 269. — Courciaux (Agnès de), abbesse, 113, 116, 117, 148. — Courpalay (Jeanne de), 103, 110, 113. — Courtecol (Hugues), 33. — Courtenay (Élisabeth de), 47. — Courtenay (Guillaume de), 103, 110. — Courtenay (Jean Ier de), 47. — Courtenay (Jean II de), 99, 102, 103. — Courtenay (Jean IV de), 127, 128. — Courtenay (Isabelle de), fille de Jean IV, 128. — Courtenay (Pierre Ier de), 47. — Courtenay (Pierre II de), 99, 103, 110, 113. — Courtenay (Marguerite de), abbesse, 102, 103, 104, 108, 109. — Courtenay (Marguerite de), femme de Pierre de Voisins, 103, 121. — Courtenay (Robert de), 103. — Courtenay (Simon de), 103. — Courtry (Guillaume de), 7, 29. — Cousin (Françoise), 232. — Cramoyelle (Ferry de), 63. — Crosnes (Galeran de), 62. — Croze (Marie-Anne de), Voyez Bois. — Croy (Marie de), 257. — Crussol (de), Voyez Uzès. — Cussy (Milon de), 50.
  • D.
  • Dager (Louis), 252. — Oalbonne (Anceline la), 81. — Dampierre (Catherine de), 183. — Darrion (Payen), 27. — Dauphin, 281. — Dautrée (Antoinette), 174. — Daves (Catherine), 183. — David (Joseph-Philippe), 282. — Davy (Marthe), 246. — Decueilly (Thomas), 168. — Defresne, 282. — Delailly (Nicolas), 187. — Delambon, 274. — Deliscourt (Jacques), 264. — Demare (Louis), 191. — Demarange (Pierre), 245. — Desmarets (Catherine), 219. — Desmarets (François-Godard), 282. — Desmarets (Marie-Thérèse), abbesse, 262, 263, 264, 265, 266, 267, 268, 270. — Desmarets (Nicolas), 262. — Desmets, 228. — Dessaux (Daniel-Pierre), 268. — Doc (Jeanne), 169. — Donjon (Beaudouin dii), 47, 49, 50. — Donjon (Frédéric du), 9, 10, 26, 28. — Donjon (Jean du), 67. — Donjon (Pierre du), 50. — Donjon (Renard du), 50. — Donjon (Renaud du), 50. — Doublet, 269. — Doublet maçon, 273. — Doucet et Doulcet (Etienne), 115, 116, 126. — Doucet (Étienne), autre, 126. — Dracon, 115. — Drancy (Guibaud de), 34. — Drancy (Havise de), 34. — Draveil (X… de), 114. — Duc (Martin le), 191. — Duisy (Jean), 138. — Dulers (Eustachie), abbesse, 46, 47, 48, 51, 52, 53, 54. — Dumas (Alexandre), 247. — Dupuy (Jeanne), 227. — Durant (Jean), 217. — Duret. — Voyez Chevry. |302 — Dury (Philippe de), 107. — Duval (Jacques), 268.
  • E.
  • Édeline, femme de Pierre de Gircy, 63. — Edmont, 281. — Égreneul (Pierre d'), 46. — Égreneul (Renaud d'), 46. — Élisabeth, abbesse, 100, 102. — Élisabeth prieure, 84. — Élisabeth femme de Philippe de Brunoy, 58. — Ellecourt (Robert de), 208. — Émeline, 41, 42. — Émeline autre, 114. — Engarrant (Guillaume), 150. — Enjorrant (Ursule), 199. — Enquetin (Guillaume), 157. — Éremburge, femme d'Adam Foë, 69. — Éremburge, femme de Philippe Aniani, 7. — Éremburge, domestique, 94. — Ermengarde, abbesse, 65, 66, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 89. — Escalle (Perrette), 169. — Espinay (d'), 234. — Estouteville (Charles d'), 189. — Estouteville (Charlotte d'), 212. — Estouteville (Marie d'), abbesse, 183, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 197, 198, 200, 212, 222, 225, 240, 261. — Étampes(Guillaume d'), 4, 9, 14, 20. — Étampes (Jean d'), 2, 10, 14, 20, 33. — Étienne, cardinal, 67. — Étienne (Pierre), 267. — Étiolles (Aveline d'), 96. — Étiolles (Gilon d'), 45. — Étiolles (Héron d'), 61. — Eugène III, 12, 13, 22, 160. — Eustachie, mère d'Adam Manoury, 45. — Ève, abbesse, 31, 32, 34, 35, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 47. — Évot (Nicole), 145. — Évreux (Jeanne d'), 126, 128. — Évreux (Philippe d'), 111. — Évry (Hugues d'), 33. — Évry (Manassès d'), 28.
  • F
  • Fanie, 45. — Favier (Pierre), 172. — Ferbois (Judith de), 219. — Ferdane (Guillaume), 31. — Ferson, 282. — Ferrant (Barthélemy), 216. — Ferret, 157. — Ferry (Marie), 265. — Ferté (Adam de la), 75. — Ferté (André de la), 29. — Ferté (Aubry de la), 23. — Ferté (Guillaume de la), 45. — Ferté (Jean de la), 75. — Fisquet, 98, 132, 136, 145, 272. — Fitz-James (Henriette de), 268. — Fléchier, 245. — Flore, fille d'Homand le Matin, 93. — Florette (Guillaume), 223. — Fochère (Gautier), 28. — Fochère (Thibaut), 28. — Foë (Adam), 68. — Fontaine (Clément de), 68. — Fontenay (Milon de), 34. — Force (Hugues de la), 26. — Foulque le Réchin, 2. — Foulquois (Guy), 78. — France (Pierre de), 47. — Franclieu (Jacques-Laurent Pasquier de), 273. — Franclieu (Thérèse-Angélique |303* Pasquier de), abbesse , 273, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 282. — François Ier, 184, 492, 201, 207. — Franquetot (Jean), 135. — Freminot, 460, 168. — Fron (Jean), 223. — Frontond, Voyez Maillard. — Fuselier (Guillaume), 28.
  • G.
  • Gabrat, 281. — Gaignières, 195. — Gaittonnel ou Gaillonnel (Adam de), 120. — Galeran, 7. — Gallois (Jacqueline), 279, 281. — Galopin (Catherine), 483. — Gamarde (Jeanne la), 124. — Garin, évêque , 48. — Garlande (Agnès de), 48, 50, 73. — Garlande (Ancel de), 73. — Garlande (Anseau de), 49. — Garlande (Aveline de), 54. — Garlande (Guillaume de), 74. — Garlande (Guy de), 9. — Garlande (Guy de), autre , 46. — Garlande (Manassé de), évêque ) 21. — Garlande (Manessier de), chanoine, 74. — Garlande (Jean de), 46. — Garnat (Simon), 168. — Garnier (M.), 2. — Garnier dit le Diacre , 62. — Garnier demoiselle, 272. — Gasles (François de), 216. — Gasles (François de), fils du précédent, 216. — Gatelier (Guillaume), 117. — Gauthier (Elisabeth), 279, 284. — Gautier, chapelain, 29. — Gautier abbé, 245. — Gauché et Gaucher (Marie), 268, 279, 281. — Gazeran (Ferry de), 50. — Gazeran (Meunier de), 50. — Gazeran (Simon de), 8. — Gendiet (Louis), 468. — Genta, 28. — Georges (Jean), 157. — Gercy (Guy de), 46. — Gercy (Pierre de), 63. — Gila, 43. — Gibeline, 35. — Gilbert, vicomte de Corbeil, 23, 57. — Gilbert, curé du Lys, 63. — Gilbon (Louis), 268. — Gilette, femme d'Amaury de Greil, 120. — Gilon, 39. — Girard (Jean), 191. — Girbert, curé, 51. — Gironville (Colin de), 96. — Glasson, 233. — Glorieux (Marie), 268, 279, 284. — Gobaille (Gérard), 469. — Godebout (Paul), 267. — Godin (Jeanne), 453. — Goëtre ou Goistre (Jean le), 156, 168. — Godessard de l'Ille, ou l'Isle (Élisabeth), 268, 279. — Gondrin (Louis de), 238. — Gondy (Jean -François de), 226. — Goudequin (Jean), 208. — Gragi (Simon de), 34. — Grand (Marguerite le), abbesse, 183, 198, 199, 200, 203. — Gras (J.-B. de), 233. — Grassin (Christophe), 258. — Greil (Amaury de), 120. — Grenier, 277. — Grez (Clémence des), abbesse, 109, 111, 112, 127. — Grez (Eudes de), 96. — Grez (Guillaume des), 79, 112. |304 — Grez (Jean des), 103, 109. — Grez (Michel des), 142. — Grifons (Guillaume le), 49. — Gaignolies (Jeanne de), 103. — Gringault (Pierre), 149. — Gringette (Jeanne), 183. — Grisy (Renaud), 76. — Guaigny (Étiennette de), abbesse, 183, 200, 201, 202, 203. — Guaculs (Marguerite des), abbesse, 142, 143, 144, 145. — Guérin, curé, 60. — Guérin évêque, 159. — Guesclin (du), 128. — Guesdon (Marie), 156. — Guibert, 29. — Guillart (Jehan), 150. — Guilhermy (de), 117. — Guillaume, frère de Saint Pierre de Tarentaise, 25. — Guillaume, chapelain, 9, 44, 46, 53. — Guillaume, autre, 24. — Guillaume, curé de Brunoy, 59. — Guillaume curé de Brie, 79. — Guillaume curé de Combs-la-Ville, 94. — Guillaume curé de Lieusaint, 68. — Guillaume damoiseau, 62. — Guillaume fils d'Anceline la Dalbonne, 81. — Guillery (Anthoine), 172. — Guisery (Jacquin de), 144. — Guisy (de), 256. — Guy, 63. — Guy Ier, 98. — Gyé (Isabeau de), 122. '
  • H.
  • Hadvise, 6. — Hallenville ou Hermanville (Jeanne de), 159. — Hallon (André de), 216. — Halvide, 9. — Hangest (de), 154, 155, 167. — Hangest (Gervaise de), 154, 158. — Hangest (Guillaume de), 96. — Harlay (Achille de), 253, 255, 256. — Harlay (Monseigneur de), 243, 247, 250. — Harlay (Marie de), 215, 217. — Hasselin (Louise), 183. — Hautroux, 251. — Hautvilliers (Nicolas de), 63. — Hébart (Jean), 187. — Hélisande, religieuse, 79. — Héloïse, 1. — Héloïse, femme d'Adam du Bois, 49, 61. — Hémart (Jean), 134. — Hénault (Claude), 252. — Hénaut (Jean), 216. — Hennequin (J.-B.), 267. — Henri II, 207. — Henri IV, 222, 223. — Herces ou Haitus (Jean de), 113, 114, 115. — Hermende, 75. — Hesdin (Jean), 168. — Hildearde, abbesse, 4, 6, 9, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 20, 32, 33, 96, 158. — Hodent (Michel de), 224. — Hodon (Etiennette), 215. — Homblières (Ranufle de), 93, 94. — Hongrie (Clémence de), 126. — Hotman, 256. — Hubert (Jacques), 187. — Huchebard (Pierre), 218. — Huet, 268. — Huet (Marie-Madeleine), 279, 281. — Hugues Capet, 16. — Huet Garnier, 6. — Huet abbé de Pontigny, 4. |305 Hugues, curé, 51. — Hugues frère, 40, 46, 51.
  • I.
  • Ifémie, 49. — Igny (Guérin d'), 45. — Imberti, 278. — Innocent II, 12, 22. — Innocent III, 39, 40, 41, 50. — Innocent IV, 70. — Innocent VIII, 167. — Innocent XIII, 262. — Isabeau de Senlis, 41. — Isabeau, prieure, 20. — Isabelle, abbesse , 73, 75, 76, 77, 78, 80, 83. — Isabelle, prieure , 227. — Isembard, abbé, 20. — Ivise, 28.
  • J.
  • Jacqueline, 114. — Jameline, 34. — James (Michel), 157. — Jean, neveu de Maurice de Sully, 27. — Jean, vicomte de Méréville, 67. — Jean, abbé, 51. — Jean, procureur, 75. — Jean, curé de Brie, 79. — Jean, curé de Grosbois, 82. — Jean le Bon, 121. — Jeanne, abbesse, 73, 81, 82, 83, 84. — Jeanne, femme de Josbert Briard, 18. — Jeanne, femme de Hugues le Loup, 50. — Jeanne, femme de Jean de Morvilliers, 102. — Jeanne, femme de Denis Robichon, 149. — Jeubert, 60. — Jolye (Marguerite la), 174. — Josse (Anne), 268. — Jouin (Rémy), 217. — Jouvenel, Voyez Ursins. — Jouy (Agathe de), 49. — Jouy (Agnès de), 49. — Jouy (Alix de), 49. — Jouy (Guy de), 49. — Jouy (Pierre de), 180. — Jude (le), 215. — Juigné (de), 281. — Julienne, femme de Jeah d'Aubervilliers, 57.
  • L.
  • La Barré, 4. — Labelle (Louis), 159. — Ladmirault (J.-B.), 268. — Lafille (Nicolas), 259, 263. — Lagarde (Louis), 268. — Lagny (Adeline de), 7. — Lagny (Agnès de), 7. — Lagny (Marguerite de), 7. — Lagny (Pierre de), 7. — Lagny (Raoul de), 7. — Lamballe (Alain de), 107. — Lambert, 25. — Lamy, 256. — Lanclet (Augustine), 183. — Lannoy (de), 179, 198, 204, 218, 219. — Lannoy (Blanche), 174, 180, 183, 219. — Lannoy (Guillaume de), 221. — Lannoy (Pierre de), 190. — Lannoy (Théodore de), 234. — Larcher, 258. — Laubourg (André), 191. — Laval (Madeleine de), 202. — Lavallée (Gilbert), 179. — Lebeuf, 11,127, 136, 137, 190, 195. |306 — Lebis (Robert), 267. — Legendre (Jeanne), 248. — Léger (Pierre), 251. — Lefeuvre (Guillaume), 194. — Lefevre (Guillaume), 150. — Lefevre (Jean), prêtre, 149. — Lefevre (Jean), 174. — Legrand, 255. — Lemée (Nicolas), 264. — Lempereur (Isabeau ou Isabelle), 169, 173, 174. — Lempereur (Jeanne), 153. — Le Nain (Guillaume), 107. — Léon X, 182. — Lepère (Mathurin), 172. — Lepetit (Catherine), 169. — Leprebtre (Jean), 218. — Lestocq (Guillaume de), 244. — Leu (Amaury de la), 135. — Leu, Voyez Loup. — Liber (Jeanne), 268. — Lico (Pierre le), 61. — Lierre (Marie-Anne le), 256. — Lieusaint (Denis de), 138. — Lieusaint (Milon de), 49, 67, 68. — Lieusaint (Perrot de), 150. — Liévin, 269. — Lièvre (le), 199. — Lièvre (Antoinette le), 183, 193. — Lignères (Jean de), 150. — Limeil (Hugues de), 61. — Limoges, 167. — Linas (Giles de), 62. — Linas (Guy de), 62. — Linas (Milon de), 62. — Linas (Philippe de), 62. — Linas (Robert de), 62. — Lionne (Marguerite), 222. — Livry (Godefroy de), 51. — vLogny (Geneviève Petit de), 268. — Logre (Jean), 176. — Loiseau (Colin), 178. — Longueil (Marie de), 215, 217. — Longuesse (Béatrice de), 39. — Longuesse (Blaise de), 39. — Lorraine (Anne de), 246. — Lorraine (Charles de), 235. — Lory (de), 217. — Loubat (Thérèse), 251. — Louis-le-Hutin, 126. — Louis-le-Gros, 5, 47, 227, 240. — Louis VII, 5, 6, 13, 20, 24, 30. — Louis XI, 155, 160. — Louis XII, 174. — Louis XIII, 222, 228. — Louis XIV, 254, 262. — Louis XVI, 278. — Loup ou Leu (Clémence le), abbesse , 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 32, 39, 49, 96. — Loup (Guillaume le), 16, 26. — Loup (Guillaume le), autre, 75. — Loup (Guy le), 24, 26. — Loup (Guy le), autre, 31, 58. — Loup (Hugues Ier le), 16, 17, 19, 24,26, 30, 31, 57, 86. — Loup (Hugues II le) 31, 50, 58. — Loup (Hugues III le), 58. — Loup (Hugues IV le), 81. — Loup (Pierre le), 21. — Lourdonner (Marie), 266. — Louvetière (Colippe de la), 128. — Lubin, 94. — Lugny (Marguerite de), 183. — Luillier (Gabrielle), 183. — Lune (Pierre de), 135. — Luxembourg (Antoinette de), abbesse, 199, 210, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 226, 229, 237, 240, 261. — Luxembourg (Anthoine de), 210. — Luxembourg (Charles de), 212. |307 — Luxembourg (Françoise de), 219, 220, 221. — Luxembourg (Madeleine de), 221. — Luxembourg (Marie de), 199, 210, 217. — Lyeur (Roberte le), 169, 213.
  • M.
  • Mabille, 23. — Mabillon, 88, 259. — Mabre (Roger de), 126. — Macé (Claude), 247. — Machiel (Jean de), 135. — Mackau (Clémence de), 123. — Mackau (Juste de), 123. — Mackau (Pierre de), 122. — Mackau (Pétronille de), abbesse, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132. — Machau (Pétronille de), autre, 123. — Magnanville (Briçonnet de), 253. — Maintenon (Madame de), 255. — Maire (André), 68. — Maire (Guillaume le), 167. — Maire (Jean le), 167. — Maistre (Charlotte le), 165. — Malet (Aisel), 115. — Malet (Pierre), 115. — Maillard de Frontond (François), 267. — Maillefeu (Guy de), 135. — Mallicorne (Guillaume), 180. — Malpointure (Hugues), 14. — Mandres (Robert de), 70. — Marchand (Ébrard), 28. — Marchand (Guérin), 28. — Marchand (Henri), 28. — Marchand (Raoul), 28. — Marie, religieuse, 50. — Marie, femme de Robert de Mandres, 70. — Marie (Jeanne), 191. — Marines (Jean de), 96. — Marie (Anne de), 227, 235, 238, 244. — Marolles (Gautier de), 9. — Marguerite, femme d'Arnoul Sarrazin, 39. — Marguerite, femme de Beaudoin de Villecresnes, 70. — Marguerite, femme de Thibault de Nangeville, 74. — Marguerite, femme de Jean de Herces, 117. — Marguerite Ière, 73, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 90, 98. — Marguerite II, 98. — Marguerite III, 98, 131, 132, 137. — Marguerite IV, 98, 137, 138, 139, 140. — Marguerite V, 140. — Marguerite VII, 142. — Margueronne, 115. — Marignier (Clément), 194. — Marin (Simon), 176. — Martin (Nicolas), 124, 125. — Maserier (Charles), 224. — Massilie, 13. — Massue (François), 267. — Mathieu, 270, 275, 276. — Mathieu (François), 267. — Mathilde, abbesse d'Argenteuil, 1. — Mathilde veuve de Ferry de Cramoyelle, 63. — Mathilde, femme de Jean de Brunoy, 70. — Matifas de Buci (Simon), 100. — Mâtin (Homand le), 93. — Mauchecourt (Guillaume), 74. — Mauchon (Anne), 246. — Mauger, 228. — Maunoury (Adam), 45. — Maupeau, 253. — Mauvoisin (Sarason de), 12. — Mazuriès (Louis-Claude), 268. |308 — Melun (Louis de), 157. — Menauz, 21. — Mennemare (Charlotte de), 199, 919. — Mervilles (Jacques de), 208. — Mesnage, 180, 181. — Meulan (Jean de), 123. — Meuse (Adrienne), 216. — Mévil (Sainte-Marie), 7, 27, 30, 31, 42, 57, 61, 64, 69, 73, 75, 80, 98, 127, 136, 195, 272, 277. — Milet (Pierre), 159. — Mincy (lsembard de), 7. — Miremont (Marie -Madeleine de), 279, 281. — Moissy (Henri de), 51. — Moissy (Henri de), fils du précédent, 51. — Moissy (Hugues de), 68. — Moissy (Jeanne de), 51. — Molinier, 88, 89. — Mollien (Claude), 222. — Molin (Thomas), 216. — Monbelin (Présent de), 154, 155. — Monceau (Jean du), 174. — Monmartel (Paris de), 266. — Mons (Philippe), 57. — Montaglant (Jean de), 140. — Montaglant (Jeanne de), 40. — Montaglant (Laurence de), 140. — Montaglant (Marguerite de), abbesse, 140, 141, 142, 143. — Montchevreux (Albert de), 27. — Montchevreux (Jean de), 39. — Montfort (Amaury de), 39, 51, 63. — Montfort (Bertrade de), 2. — Montfort (Guy de), 39. — Montfort (Simon de), 39, 42. — Montlhéry (Eustachie de), 2. — Montparlier (de), 232, 233. — Moras (de), 269. — Moreau (Gabriel), 238, 258, 269. — Morel (Antoinette), 173, 174. — Morel (Pierre), 154, 157. — Morin (Jean), 135. — Mornay, 157. — Mortefontaine ou Morfontaine (Catherine de), 152. — Mortefontaine ou Morfontaine (Simon de), 152. — Morvilliers (Jean de), 102. — Motte (Pierre de la), 111. — Motheau et Motteau (Pierre), 218. — Motheau et Motteau (M.), 218. — Motheau et Motteau (N.), 255. — Mouchard (Jean), 172. — Moulins (Geoffroy de), 138. — Moutié, 27.
  • N.
  • Nangeville (Guillaume de), 74. — Nangeville (Thibault de), 74. — Navarre (Jeanne de), 100. — Nemours (Pierre de), 42, 44, 45, 48. — Nicolaï, 253. — Nicolas, curé, 59. — Nicolas (Joseph), 268. — Nicole, dame de Crosne, 79. — Nivart, 96. — Noailles (de), 258, 259. — Nolet, 253. — Normant (Godefroy), 78. — Normant (Jehan le), 156. — Nouette, 268, 269. — Noyen (Jean de), 63, 79. — Noyen (Philippe de), 63. — Noyers (Guy des), 29.
  • O.
  • Odeline, prieur, 37, 90. — Odon, prieur de Saint-Martin, 13. |309 — Odon, frère de l'abbaye, 27. — Oger, frère de l'abbaye, 27. — Ogeron (d'), 270, 275, 276. — Olignon, 215. — Omabus (Guillemette de), 110. — Omabus (Jaan de), 110. — Orangis (Beaudoin d'), 23, 28, 29. — Orangis (Odon d'), 28. — Orangis (Oger d'), 28. — Orgemont (Pierre d'), 136, 138. — Ormoy (André d'), 33. — Ormoy (Guillaume d'), 67. — Orouer (Marguerite d'), abbesse, 150, 151, 152, 153, 158. — Ouville (Claude), 264.
  • P.
  • Paguine (Etiennette la), 169,173. — Palaminy, 280. — Paner (Jean), 45. — Paner (Pierre), 45. — Panier (Adam), 67. — Panier (Guillaume), 67. — Paradis (Jean), 157. — Parcq (le), 232, 233. — Paris (Anseau de), 34. — Paris (Guillaume de), 77. — Pascal, 255. — Pasquier. — Voyez Franclieu. — Pasquier (Nicolas), 264. — Passavant (Gabrielle), 238, 248. — Pasté (Guillaume), 33. — Pasté (Anne la), 137. — Pasté (Jeanne la), abbesse, 136,

137, 139. — Pasté (Marie la), 137. — Patonat (Nicolas), 68. — Pauquerant (Marie), 268. — Pelletier (Gabriel le), 194. — Penniz (Simon de), 13. — Péréfixe (Hardouin de), 237. — Périer (Louis), 235. — Perray (Gilbert du), 28. — Petit, converse , 281. — Petit (Jean), 217. — Petit (Martin), 217. — Pétronille, religieuse, 28. — Pétronille femme de Godefroy Normant, 78. — Pétronille, femme de Jean de Montaglant, 140. — Philippe Aniani, 7, 10. — Philippe doyen d'Étampes, 74. — Philippe Ier, 2. — Philippe, fils du précédent, 5. — Philippe-Auguste, 38, 39, 40, 41, 48. — Philippe-le-Bel, 94, 100. — Picart (Cécile le), 211, 217. — Picart (Étienne le), 210. — Picart (Marie le), 268. — Picart (Sidonie le), 180, 183, 184, 205, 206, 207, 209, 210, 211, 215, 220. — Picart de Platteville (Catherine le), 170. — Pichon (Pierre), 149. — Pie (Roger la), 31, 46, 47. — Pie (Jeanne la), 31. — Piédur (Jean), 138. — Pienne (de), 253. — Pierre, frère, procureur, 13. — Pierre curé d'Évry, 60. — Pierre évêque de Senlis, 13, 158. — Pierre l'Ermite, 27. — Pierre Lombard, 25. — Pierrefonds (Agathe de), 28. — Pierrefonds (Béatrix de), 28. — Pilon (Marie-Louise), 263, 268, 273. — Pinard, 97. — Piorot, 232, 233. — Piper (Adam), 27. — Piper (Godefroy), 27. — Pisseleu (Anne de), 202. |310 — Pisseleu (Guillaume de), 202. — Pisseleu (Marie de), abbesse d'Yerres, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 217, 278. — Pisseleu (Marie de), abbesse de Maubuisson, 202. — Pithiviers (Albert de), 23. — Planche (Marie la), 268, 279, 281. — Plessoy (Jeanne du), 128. — Pocet (Renaud), 68. — Poligny (Adeline de), 45. — Poligny (Éremburge de), 45. — Poilloüe (Abel de), 223. — Poilloüe (Jeanne), 169. — Poilloüe (Marguerite de), 169, 174, 183, 193. — Poilloüe de Bierville, 169. — Poilloüe de Saclas, 169. — Poilloüe de Saint-Mars, 169. — Poilloüe de Saint-Perier, 169. — Poirot, Voyez Ogeron. — Poitrine (Mathieu), 68. — Pomponne (Isabeau de), 31. — Pomponne (Isabelle de), 81. — Pomponne (Jean de), 120. — Poncher (Étienne), 176, 177, 178, 179, 180, 181, 184, 187, 226. — Poncher (François de), 187, 192. — Poncion (Pierre), 145. — Pontoise (Agnès de), 45. — Pontonoir (Jean), 51. — Porte (Hecelin de la), 28. — Porte (Thierry de la), 68. — Pougel (de), 181. — Poule (Symon), 150. — Puille (Fouquet de), 154, 156. — Puiselet (Hugues de), 62. — Prat (Marie du), 183. — Prégny (Jean de), 120. — Prod'homme, 283. — Prouville (Bonne de), 203.

  • Q.
  • Queue (Martin de la), 208.
  • R.
  • Rabure (Pierre), 247. — Raimond, 94. — Rainville (Anne de la), abbesse, 183, 197, 198. — Rambouillet (Catherine-Charlotte d'Angennes de), abbesse, 234, 239, 240. 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 251, 252, 254. — Rambouillet (Charles de), 230. — Rambouillet (Claire-Diane de), abbesse, 230, 231, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 243. — Rambouillet (Louise-Élisabeth de), 234, 236. — Raoul, curé , 59. — Raoulin (Jean), 157. — Rapillart (Marie de), 184, 193, 200. — Rat (Pierre le), 223. — Rat (Pierre le), fils du précédent, 223. — Rau (Jean), 149. — Rauville (Jean de), 152. — Raville (Jeanne de), abbesse, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 170, 175, 178, 205, 277. — Rauville (Jeanne de), femme de Simon de Morfontaine, 152. — Raiz (Lucrèce de), 244, 246, 251, 259. — Régnault, doyen de Melun, 57. — Régnault (Hélène), 183, 219. — Régnault (Hugues), 217. — Reine, 34. |311. — Revel (de), Voyez Clermont. — Riberolles (Clémence de), 234, 238. — Richard, 7. — Riche (Benoîte le), 183, 193. — Riche (Guillemette le), 169. — Richebourg (de), Voyez Toutain. — Richebourg (Pierre de), 50. — Richer (Pierre), 168. — Richier (Nicolas), 116. — Richoux, 269. — Rivière (de la), Voyez Bureau. — Rivière (Anne de la), 183. — Robert, 266. — Robichon (Denis), 149, 151. — Robichon (Denis) fils du précédent, 149. — Robichon (Pierre), 149. — Roquet, 234. — Rochefoucault (Henri de la), 263. — Rochefoucault (François de la), 263. — Rohës, 35. — Rolande (Agnès la), 115. — Rosceline, 27. — Rose (Jean), 154. — Rossignol (Jaquet), 154, 155. — Rouillier (Anne), 268. — Roux (Marie le), 184. — Roy (Étienne le), 68. — Roy (Guillaume le), 145, 148, 150. — Roy (Pierre le), 208. — Rue (Girard de la), 167. —

Ruffin, 157. — Ruymond (Pierre de), 156, 157, 159, 160, 162.

  • S.
  • Sadier, 238. — Saget (Michel), 173. — Sainteburge, 25. — Salantin et Sallantin (Catherine), 234, 243, 248. — Sailly (Marie de), 183, 206, 215. — Salmatoris (Nicole de), 257. — Sanglier (Henri), 11, 21. — Sanguin (Marie de), 268. — Sarrazin (Arnoul), 39. — Sarries (Gilbert de), 27. — Sarriis (Jean de), 63. — Saulnier (Henri), 264. — Saussay (André du), 2, 194, 227, 240. — Saussay (Jean du), 70. — Savoie (Adélaïde de), 47. — Savoisy (Claude de), 183. — Savoisy (Isabeau de), 189. — Savoisy (Marie de), abbesse , 179, 181, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 193, 195, 196, 200. — Savoisy (Philippe de), 183. — Saint-Marcel (Marie de), 96. — Sainte-Marthe (Claude de), 247. — Saint-Rémy (Anseau de), 34. — Saint-Victor (Guillaume de), 90. — Saint-Vrain (Hugues de), 35. — Saint-Vrain (Philippe de), 35. — Saint-Rernard, 1, 3, 13, 36. — Saint-Dominique, 52. — Saint-Louis, 68, 86. — Saint-Pierre de Tarentaise, 25. — Segogue (Louis), 191. — Séguier (Girard), 161. — Séguier (Madeleine), 199, 215, 217. — Seignelay (Guillaume de), 52. — Seine (Jean de), 113. — Senlis (Berthold de), 16. — Senlis (Étienne de), 3, 4, 7, 10, 12, 14, 16, 20, 25, 26, 34, 54, 59, 65, 93. — Senlis (Guy de), 4, 16. |312. — Servient (Guillaume), 68 — Servigny (Gilbert de), 81. — Servigny (Jean de), 81. — Servon (Gallart de), 114. — Servon (Milon de), 33. — Seure (Adeline de), 49. — Sèvres (Èdeline de), 67. — Sèvres (Roger de), 67. — Simon, prêtre des Portes, 57, 63. — Simon (Jean), 226. — Soisy (Philippe de), 68. — Solon (Jean de), 194. — Souchet (Jean), 145. — Soullard (Jean), 191. — Souyn (Louise le), 223. — Stalin (Jean-Baptiste), 267. — Stabon (Simon), 57. — Stuart (Jeanne), 183. — Sully (Eudes de), 37, 42. — Sully (Maurice de), 11, 25,26, 27, 28, 32, 34, 37, 59.
  • T.
  • Tachereau (Louise), 228. — Tade (Nicolas), 20. — Tallemar (Françoise de), 199. — Tartin (Louis), 185, 191, 197, 209. — Tempier (Étienne), 81, 93. — Téo, 7. — Tessier, 274. — Thiais (Jean de), 58. — Thibault, curé, 40. — Thibaut, évêque, 14, 20. — Thibaut fils de Fanie d'Étiolles, 45. — Thiétry, 281. — Thierry, curé d'Yerres, 27. — Thierry fermier, 36. — Thiphaine (Philippe), 263. — Thomas (François), 255. — Thomas curé de Chevreuse, 60. — Thomas, curé de Périgny, 82. — Thyphaine, 33. — Tifferme, 156. — Tilliarde (Étiennette la), 152. — Tiberge (Louis), 254. — Tilloust (Pierre), 168. — Tirlemon (Louise de), 257. — Torchet (M.), 147, 180, 184. — Toucy (Hugues de), 21, 22, 29, 39. — Toutain (Marie-Françoise-Marguerite), 281. — Toustain (Guillaume), 247. — Toutet (Marin), 264. — Tout-Outre (Geoffroy), 128. — Touzel (Pierre), 185, 186, 187. — Trébuchet (Gilles), 68. — Tremblay (Renaud du), 96. — Treneguy (Hildevert), 191. — Trou (Jean), 233. — Trousseau (Anne), 235. — Turenne, 236. — Tyon, curé, 51.
  • U.
  • Ursins (Anne des), 221. — Ursins (Christophe des), 221. — Ursins (Catherine des), abbesse, 219, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 237, 240. — Uzès (François d'), 250. — Uzès (Suzanne de Crussol d'), abbesse, 250 , 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 230, 261, 262.
  • V.
  • Vacher, 181. — Vagnard (Anne), 259. — Vaillant (J.-B.), 279. |313 — Val (du), 232. — Valaine (Marguerite la), 121. — Valenton (Albéric de), 8. — Valenton (Éremburge de), 8. — Valenton (Helvide de). 8. — Valenton (Hugues de), 8. — Vallès (Madeleine de), 227. — Valois (Charles de), 243. — Vaninier (Thomas), 268. — Varin (Fréuiinot), 160, 162. — Varlot (Pierre), 88. — Vasseur (Marguerite le), 263. — Vatelle (Isabelle la). 112. — Vaux (Henri de), 49. — Vaux (Pierre de), 49. — Vaux (Simon de), 58. — Vaulx (Jeanne de), 174. — Venteclef (Jacques), 282. — Vergis (de), 281. — Véronneau (Antoine), 276, 277, 278, 280. — Versailles (Isabelle de), abbesse, 112. 113. 118. — Versailles (Pétronille de), 112. — Vie (Galeran de), 27. — Vieuxpont (Marguerite de), 134. — Vigneron (Claude), 183. — Vignoles (Thomas de), 57. — Vignon (Philippe), 150. — Ville-aux-Asnes (Jehan de la), 96. — Villecresnes (Baudouin de), 70, 71. — Villecresnes (Gilbert de), 61. — Villeneuve (Guillaume de), 150. — Villeneuve (Nicole de), 172. — Villeneuve-Saint-Georges (Roger de), 51. — Villepetile (Jean de), 61, 75. — Villiers (Jacques), 268. — Villiers (Pétronille de), 121. — Villiers de l'Isle- Adam (Charles de), 203. — Villiers Saint-Paul (M. de), 237. — Villepinte (Adeline de), 47, 58, 81. — Villepinte (Adeline de), autre, 100, 101. — Villepinte (Eustachie de), 58. — Villepinte (Guy de), 81. — Villepinte (Marie de), 81. — Villepreux (Godefroy de), 39. — Villeregis (de), 253. — Villette (Louis de la), 247. — Vinot, 281. — Viole (Jeanne), 199, 215. — Viraudet, 269. — Viry (Thibaut de), 23, 28. — Vitel (Madeleine de), 224. — Vivonne (Catherine de), 230. — Voisine, 18, 34. — Voisins (Letilia de), 121. — Voisins (Marguerite de), 121 — Voisins (Pierre Sobier de), 421. — Vonier (Madeleine), 183, 193. — Voullac (Lucienne de), 147. — Vreigny (Renaud de), 96. — Vulpian, 274.
  • W.
  • Wibourg (Jean de), 172.
  • Y.
  • Yerres (Clémence d'), 110. — Yerres (Robert d'), 58. — Yerres (Guillaume d'), 47. — Yerres (Guillemette d'), 410. — Yerres (Hugues d'), 9. — Yerres (Jean d'), 60, 61. — Yerres (Marguerite d'), 103. — Yerres (Thierry d'), 47. — Ysabelle, abbesse, 100. — Ysabelle, femme de Guillaume de Manchecourt, 74. — Ysembard, curé, 39. — Yvert (Thomas), 228. — Yvry (Yves d'), 49.

ÉTAMPES. — IMP. HUMBERT-DKOZ.


  • OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
  • Cartulaire de Notre-Dame d'Étampes. — In-8. — Fontainebleau, 1888. — Prix 5 »
  • Les Curés d'Arpajon. — In-8°. — Arpajon, 1889. — Prix 2 »
  • Histoire de l'Abbaye et des Religieuses bénédictines de Notre-Dame du Val de Gif. — In-8°. — Paris, 1892. — Prix 4 »
  • EN PRÉPARATION:
  • Visites de l'Archidiacre de Josas au XVe siècle.

IMPRIMERIE L. HUMBERT-DROZ, 16, RUE SAINT-MARS, ETAMPES.


Bibliographie

  • Histoire de l'abbaye et des religieuses bénédictines de Notre-Dame d'Yerres au diocèse actuel de Versailles, par l'abbé J.-M. Alliot, curé de Bièvres (in-8°, XVI+313 p.), Paris, Alphonse Picard, 1899.
1)
Note d'Alliot. — La communauté des Bénédictines établies à Mantes est l'ancien prieuré de Villarceaux, dans la paroisse de Chaussy. Comment les religieuses de ce petit monastère, dispersées comme toutes les autres par la Révolution française, au siècle dernier, se réunirent-elles après la tempête? Nous l'ignorons. Mais il est certain qu'elles réussirent à se grouper de nouveau, et, chose extraordinaire, elles ont conservé les archives de leur ancien couvent. Le dépôt en est considérable, et fort intéressant, si nous en jugeons par les quelques pièces qu'il nous a été donné de parcourir.
2)
Note d'Alliot. — Ces moniales apportèrent avec elles, à Yerres, le souvenir de Mathilde, leur abbesse, qui avait précédé dans le gouvernement du monastère d'Argenteuil l'amie d'Abailard.
3)
Note d'Alliot.Eustachie de Corbeil a été assez mal connue jusqu'ici. Les religieuses d'Yerres, qui vénéraient avec raison sa mémoire, ignoraient d'où elle sortait; mais avec le désir bien humain de grandir et d'illustrer tout ce qui touchait à leur fondation, elles se la figuraient volontiers fille de roi. — André du Saussay, évêque de Toul, au XVIIe siècle, accrédita cette opinion par son autorité et la vulgarisa par sa plume. D'après lui, Eustachie était fille de Philippe Ier roi de France (1060-1108), et de sa seconde femme. Bertrade de Montfort, devenue l'épouse du roi en 1092, après l'avoir été de Foulques le Réchin, comte d'Anjou. — Ces données historiques, un peu négligées plutôt que répudiées par nos contemporains, ont pourtant trouvé un porte-parole dans la personne de M. Garnier, dont les Tableaux historiques font autorité. Celui-ci n'a pas hésité à ranger Eustachie de Corbeil au nombre des princesses de la Maison de France. Il en a fait le quatrième enfant de Philippe Ier et de Bertrade de Montfort. Il faut dire cependant à sa louange qu'il avait quelque doute sur son assertion, car il a fait suivre le nom d'Eustachie d'un point d'interrogation significatif. — La Barre, l'historien de Corbeil, malgré l'erreur généralement admise de son temps, a fait preuve de perspicacité et de bon sens, en refusant de ranger la fondatrice d'Yerres au nombre des enfants royaux. —— Eustachie de Corbeil, comme son nom l'indique, tirait son origine de la célèbre maison de Corbeil. Elle était fille de Frédéric de Châtillon [Châtillon. — Hameau dépendant de la commune de Viry. arr. de Corbeil (S.-et-O.).] qui prit part à la première croisade. Pour exécuter les dernières volontés de son père, elle donna aux moines de Longpont, des rentes à Bondoufle, et le bois mort de la forêt voisine. — Eustachie avait été mariée une première fois à Beaudoin de Beauvais [Beauvais. — Nom d'un village situé dans les environs de Pithiviers.], dit aussi B. de Corbeil, duquel elle avait un fils nommé Frédéric, comme son grand-père ; — et en secondes noces à Jean d'Étampes, de qui elle eut plusieurs enfants. — Ces renseignements précis sont empruntés à la 183e charte du Cartulaire de Longpont. L'éditeur fixe la date de ce document aux environs de l'année 1130; mais il est certainement plus ancien et peut être reporté jusqu'à l'année 1120 ou 1125 au plus tard. —— Si précises et si inattaquables que soient ces données, fournies par le Cartulaire de Longpont, touchant Eustachie de Corbeil, ce recueil laisse pourtant subsister une certaine confusion entre elle et Eustachie, fille de Guy Lvsiard, de Montlhéry, sa contemporaine, qui, elle aussi, d'après le même Cartulaire, épousa un Beaudouin de Beauvais, eut un fils nommé Frédéric, et enfin donna aux moines de Longpont des biens sis à Bondoufle [Bondoufle. — Commune du cant. et de l'arr. de Corbeil (S.-et-O.)].
4)
Note d'Alliot.Yerres. — Cant. de Boissy-Saint-Léger. arr. de Corbeil (S.-et-O.). — Ce nom, que les titres latins écrivent Edera, Hedera, Hierra, Erra, a exercé la sagacité des étymologistes. Sans nous arrêter à leurs savantes dissertations, disons qu'il vient probablement du Lierre, plante qui poussait abondamment dans les forêts et au pied des arbres qui bordaient la rivière, dans les temps les plus reculés.
5)
Note d'Alliot.Brunoy. — Cant. de Boissy-Saint-Léger, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
6)
Note d'Alliot.Val-Profond. — Vieille et antique abbaye de religieuses Bénédictines, située à mille mètres du clocher de Bièvres (cant. de Palaiseau, arr. de Versailles (S.-et-O.). Le monastère était à cheval sur un petit ruisseau appelé la Sygrie, affluent de la Bièvre. Ce couvent, à l'occasion d'une réforme religieuse, introduite dans ses murs, au commencement du XVIe siècle, changea son nom de Valprofond en celui de Val-de-Grâce. Un siècle plus tard, en 1623, par les soins d'Anne d'Autriche, l'abbaye de Bièvres fut transportée à Paris. C'est le Val-de-Grâce actuel. La maison de Bièvres prit à la fin du siècle dernier le nom d'Abbaye-aux-Bois. sans doute à cause de sa situation à la limite du bois de Verrières. Il ne reste pas trace aujourd'hui de l'ancienne abbaye de Bièvres; une habitation particulière et une ferme ont cependant gardé la dénomination d'abbaye.
7)
Note d'Alliot. — Ce Guillaume n'était pas le frère d'Étienne par le sang, mais bien comme membre du Chapitre de Notre-Dame de Paris, car il s'agit ici de Guillaume d'Étampes que nous retrouverons plus loin.
8)
Note d'Alliot. — Abbaye de Cisterciens, située près de l'Isle-Adam, arr. de Pontoise (S.-et-O.).
9)
Note d'Alliot. — Relativement à cette terre d'Invilliers, sise dans la paroisse de Briis-sous-Forges, cant. de Limours, arr. de Rambouillet (S.-et-O.), voir ce que nous en avons dit dans notre Histoire de l'Abbaye de Gif, page 5. — Paris, Picard, 1892, un vol. in-8°. —— Cette donation d'Invilliers ne fut, à proprement parler, qu'un échange, car les religieuses avaient déjà reçu en aumône, ou possédé par l'une d'elles, des biens assez considérables à Bourg-la-Reine (nommé alors le Pré-Houdoin, Pratellum Holduini). Le roi voulut offrir ces terres au monastère de Montmartre, qui se fondait alors. Il les obtint de» religieuses d'Yerres et leur donna en retour Invilliers.
10)
Note d'Alliot. — Philippe se promenait dans les rues de Paris, lorsqu'un porc s'embarrassa dans les jambes de son cheval, qui se cabra. Le jeune prince, n'ayant pu le maintenir, fut désarçonné et se tua en tombant.
11)
Note d'Alliot.Sainte-Marie Mévil. — Archiviste du département de Seine-et-Oise. Il a écrit, pour l'Annuaire départemental de 185., une monographie de l'abbaye d'Yerres, que nous aurons quelquefois l'occasion de citer, mais le plus souvent pour la blâmer, tant elle fourmille d'inexactitudes, d'erreurs et de contradictions. Cette monographie forme aujourd'hui une petite plaquette tirée à un nombre relativement considérable d'exemplaires assez répandus.
12)
Note d'Alliot.Adeline de Lagny, lors de sa donation, avait près d'elle ses deux filles: Marguerite et Agnès, ainsi que ses deux gendres: Pierre et Raoul, qui consentirent à son aumône et la sanctionnèrent.
13)
Note d'Alliot.Moisenay. — Cant. du Châtelet, arr. de Melun (S.-et-M.).
14)
Note d'Alliot.Bouville. — Cant. et arr. d'Étampes (S.-et-O.). — Ménil-Racoin. — Commune de Villeneuve-sur-Auvers, cant. de La Ferté-Alais, arr. d'Étampes (S.-et-O.). — L'acte qui nous fait connaître cette donation porte la date, évidemment erronée, de 1122, puisqu'elle est antérieure d'environ dix ans à la fondation de l'abbaye.
15)
Note d'Alliot.Sucy. — Cant. de Boissy-Saint-Léger, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
16)
Note d'Alliot.Brétigny. — Fief situé sur la paroisse d'Athis. cant. de Longjumeau, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
17)
Note d'Alliot. — Dans notre Histoire de l'abbaye de Gif, nous avons élevé des doutes sur la haute antiquité de cette abbaye et insinué que ce monastère était une fondation de la seconde moitié du XIIe siècle. Il faut savoir se corriger soi-même et se rendre à l'évidence. Or, il est indéniable, d'après les archives d'Yerres, que la maison de Gif fut rétablie par Eremburge de Valenton, et que cette abbaye en ruines vers 1145, remontait bien, par sa première fondation, comme le disaient d'ailleurs les moniales de son cloître, à une très haute antiquité, c'est-à-dire au temps des rois de la seconde race. (Voyez Histoire de l'abbaye de Gif, chapitre I.
18)
Note d'Alliot.Pommeraie. — Ce lieu était situé sur la paroisse de Gazeran, cant. et arr. de Rambouillet (S.-et-O.).
19)
Note d'Alliot.Brie-Comte-Robert. — Ch.-l. cant., arr. de Melun (S.-et-M.).
20)
Note d'Alliot.Combs-la-Ville. — Cant. de Brie-Comte-Robert, arr. de Melun (S.-et-M.).
21)
Note d'Alliot.Lieusaint. — Cant. de Brie-Comte-Robert, arr. de Melun (S.-et-M.).
22)
Note d'Alliot.Draveil.— Cant. de Boissy-Saint-Léger, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
23)
Note d'Alliot.Plessis-les-Nonnains. — Commune de Chevry-Cossigny, cant. de Brie-Comte-Robert, arr. de Melun (S.-et-M.).
24)
Note d'Alliot.Villabé. — Cant. et arr. de Corbeil (S.-et-O.).
25)
Note d'Alliot.Chanteloup. — Commune de Moissy-Cramayel, cant. de Brie-Comte-Robert, arr. de Melun (S -et-M.).
26)
Note d'Alliot.Champmotteux. — Cant. de Milly, arr. d'Étampes (S.-et-O.).
27)
Note d'Alliot.Oysonville. — Cant. d'Auneau, arr. de Chartres (E.-et-L.).
28)
Note d'Alliot.Santeny. — Cant. de Boissy-Saint-Léger, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
29)
Note d'Alliot.Drancy. — Cant. de Pantin, arr. de Saint-Denis (Seine).
30)
Note d'Alliot.Chalandray. — Hameau de la commune de Montgeron, cant. de Boissy-Saint-Léger, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
31)
Note d'Alliot.Évy-les-Châteaux. — Cant. de Brie-Comte-Robert, arr. de Melun (S.-et-M.).
32)
Note d'Alliot.Cramoyelle (aujourd'hui Cramayel). — Dépendance de la commune de Moissy.
33)
Note d'Alliot. — De ce nombre fut Arnoult de Sparniaco (d'Épernon?). Il vint à Yerres accompagné de sa femme Gila, et en présence de l'archidiacre Bernard, d'Hugues Malpointure, de Simon de Penniz, d'Eustachie de Corbeil et de frère Pierre, procureur de couvent, il donna aux religieuses, en reconnaissance de leurs suffrages, la dime de Mardilly, dans la paroisse d'Evry-les-Châteaux.
34)
Note d'Alliot. — Ce fut Thibaut qui, en 1144, donna aux moniales, l'église d'Yerres et les trois quarts de la dîme paroissiale.
35)
Note d'Alliot — Voici clairement établie, d'après des notes manuscrites, la filiation de Clémence. — Berthold de Senlis vivait au temps de Hugues Capet. Un de ses descendants, nommé Guy de Senlis de la Tour, seigneur de Chantilly, d'Ermenonville, de Drancy, de Villepinte, de Bray-sur-Onette, eut de sa femme, Berthe, une nombreuse postérité. Entre autres enfants, nous connaissons Étienne de Senlis, évêque de Paris, et son frère Guillaume, surnommé le Loup. De Guillaume le Loup naquirent Clémence, abbesse d'Yerres. Hugues le Loup et ses frères nommés dans ce chapitre. On voit par là que Clémence était la nièce de Étienne de Senlis, et aussi la nièce ou la cousine de l'abbesse Hildearde.
36)
Note d'Alliot — Dès l'origine, celles-ci portaient au doigt un anneau, en signe de leur mariage mystique avec l'Époux céleste.
37)
Note d'Alliot — Les Tiers-Ordres Religieux ne prirent naissance qu'au XIIIe siècle, sous la double inspiration de Saint-Dominique et de Saint-François.
38)
Note d'Alliot — Témoin cette Jeanne, épouse de Josbert Briard. Elle ne prit sans doute l'habit qu'au moment de mourir, mais elle était à l'abbaye du vivant de son mari. Ensemble, ils donnèrent aux religieuses le moulin de Fenevielle, près de Corbeil. — Au courant du XIIe siècle, on retrouve plusieurs fois ce nom de Josbert Briard parmi les bienfaiteurs insignes du monastère; mais, chaque fois, le nom de l'épouse est différent: ici, elle se nomme Jeanne, là, Aveline, ailleurs, Voisine, Vicina, preuve qu'il s'agit de trois personnages différents de la même famille.
39)
Note d'Alliot — Le nom d'Isembard ne se trouve pas dans la liste des abbés de Saint-Maur, dressée par le Gallia; mais tout le monde sait combien ces listes des savants Bénédictins sont incomplètes et fautives. D'ailleurs, ce nom se lit en tète d'un document d'une authenticité inattaquable, c'est pourquoi il doit prendre rang parmi les abbés de Saint-Maur au XIIe siècle.
40)
Note d'Alliot — Un certain nombre de ces noms ont pu être estropiés par les copistes, ou leur orthographe s'être modifiée avec le temps, mais ils se retrouvent pour la plupart dans les environs de Pithiviers.
41)
Note d'Alliot — L'acte pontifical débute par un pompeux éloge de la piété et de la régularité des religieuses d'Yerres, qui, après avoir rejeté tous les biens de la terre pour s'attacher au Créateur, brûlent du seul désir des choses célestes et remplissent |22 leur vie de bonnes œuvres. Le pape affirme que ses prédécesseurs, Innocent II et Eugène III, ont déjà accordé leur protection à nos moniales, et qu'il ne fait que suivre leur exemple, en les mettant, ainsi que leurs biens, sous le patronage de Saint-Pierre et du Pontife romain. Enfin, il dresse la nomenclature des principales possessions de l'abbaye, en nommant les premiers donateurs, et constate que cinq églises paroissiales ont été données au monastère, celles de Villabé, d'Évry, d'Yerres, de Lieusaint, et des Autels [Ce lieu, comme nous l'avons dit, a disparu. On sait seulement qu'il était placé entre Tournant et Chevry. deux localités du département de Seine-et-Marne. L'évêque de Paris y avait peut-être une maison de campagne, où plusieurs des religieuses qui fondèrent Yerres, vécurent durant quelque temps, avec des secours fournis par Ascelin, abbé de Saint Maur, possesseur d'une partie du territoire voisin.], de Altaribus avec la dîme de ces paroisses et de plusieurs autres.
42)
Note d'Alliot — C'est-à-dire qu aucun des religieux du prieuré de Saint-Nicolas ne pourrait en sortir pour aller ailleurs.
43)
Note d'Alliot — Par un autre acte, daté d'Étampes, Alexandre III donne une nouvelle preuve de sa sollicitude envers les religieuses d'Yerres, et il les défend contre les tracasseries que leur suscitent les moines de Saint-Magloire à Paris.
44)
Note d'Alliot — Cette famille Briard ne le cédait guère en générosité à celle de Corbeil. Pendant plus d'un siècle, le nom de ses représentants est mêlé aux annales de l'abbaye. L'obituaire d'Yerres fait en particulier l'éloge de Josbert Briard et de sa femme Aveline. Celle-ci vivait de privations, et en mourant elle légua à la maison d'Yerres des dîmes à Evry et à Mardillv. un muid de blé à Chaintreau, plus 40 # parisis d'argent. Aussi nos moniales, reconnaissantes, célébraient-èlles chaque année son anniversaire avec une grande solennité.
45)
Note d'Alliot — Déjà, Adrien IV, dans la bulle de 1157, parlait des religieuses professes de l'abbaye, mais cette qualification ne s'était point encore rencontrée dans les documents émanés du couvent.
46)
Note d'Alliot — Hugues le Loup ne se fit religieux qu'à la fin de sa vie et sous l'empire d'une grave maladie, pour participer plus largement aux suffrages des religieuses. Il était marié à une femme, nommée Adeline, qui lui avait donné un fils, nommé comme lui Hugues. Après la mort de son mari, Adeline épousa en secondes noces Roger la Pie.
47)
Note d'AlliotChaumes. — Vieille abbaye de Bénédictins, située non loin d'Yerres.
48)
Note d'Alliot — Grâce au Cartulaire, nous pouvons dire comment le couvent d'Yerres était devenu propriétaire à Drancy, près Paris. Ce fut Guillaume le Loup, le propre père de Clémence, qui, du consentement de ses deux fils,' Guy et Hugues, ainsi que de sa femme, Adeline, donna, par l'entremise d'Étienne de Senlis, les dîmes de cette paroisse à l'abbaye, où sa fille devait bientôt porter la crosse.
49)
Note d'AlliotVilliers-en-Beauce. — Paroisse aujourd'hui détruite et réunie à celle de Bouville, cant. et arr. d'Étampes (S.-et-O.).
50)
Note d'Alliot — Cet Albert de Chevreuse, ainsi que Payen Darrion et Gilbert de Sarries, ses oncles, ont échappé au savant historien de la famille et de la ville de Chevreuse, M. Moutié, qui ne les nomme même pas; aussi, avons-nous conservé quelques doutes sur l'authenticité de ces personnages, et nous nous demandons s'il ne s'agirait pas d Albert de Chevry, au lieu de Chevreuse, ou même d'Albert de Montchevreux, trois familles, dont les membres furent en rapport avec l'abbaye au XIIe siècle. M. Mévil le nomme, on ne sait pourquoi, Albert Chèvre d'Or.
51)
Note d'Alliot — Outre l'intérêt que toutes ces donations présentent pour l'histoire de l'abbaye. les chartes qui les rapportent renferment encore de précieux renseignements sur la filiation de toutes les familles de la contrée au moyen âge. Elles nous apprennent que les trois frères Baudouin. Oger et Odon d'Orangis, sont issus de la famille de Corbeil. — que Frédéric du Donjon est l'oncle de Jean de Corbeil. — que Jean et Philippe d'Athis sont les neveux de Thibaut de Viri, — que Milon d'Attilli a un fils nommé Raoul. — que Hugues et Godefroy de Chanteloup sont fils de Pierre du même nom. — que Raoul Marchand avait deux frères: Ébrard Marchand et le comte Henri, ainsi qu'un fils nommé Guerric, etc. — Bien entendu, nous n'avons point épuisé la liste des actes passés à la chancellerie de Maurice de Sully en faveur de l'abbaye; nous nous en sommes tenu à ceux qui nous ont paru les plus importants.
52)
Note d'Alliot — Ces biens de Gravois, sis à Draveil. avaient été donnés à deux lépreux, Thibaut et Gautier Fochère. qui les avaient transmis aux Hospitaliers.
53)
Note d'AlliotMaisse. — Cant. de Milly, arr. d'Étampes (S.-et-O.).
54)
Note d'Alliot — On ne s'explique pas que M. Mévil la fasse mourir en 1177, car cette date est en contradiction avec sa propre chronologie.
55)
Note d'Alliot — Il résulte de documents assez confus d'ailleurs, qu'Adeline, veuve d'Hugues le Loup, épousa en secondes noces Roger la Pie, — que M. Mévil nomme, on ne sait pourquoi, Roger Pique, — qui était veuf, lui aussi. Adeline, de son premier mariage, avait plusieurs enfants, entre autres, Hugues le Loup, IIe du nom, et son frère Guy. Hugues épousa la fille de son beau-père, nommée Jeanne la Pie, et Guy épousa Isabeau de Pomponne. La descendance de ces deux chevaliers fut représentée à l'abbaye par plusieurs moniales, pendant toute la durée du XIIe siècle, et cette famille demeura bienfaitrice du monastère pendant deux siècles. — La 47e charte du Cartulaire dit bien, il est vrai, que Hugues le Loup, IIe du nom, était fils de Roger, mais quand on la lit avec attention, et surtout quand on la rapproche des autres documents de la même époque, on s'aperçoit bientôt qu*il n'était que son beau-fils. C'est cette charte qui est citée dans le Gallia Christiana.
56)
Note d'Alliot — Durant son long pontificat, Alexandre III ne donna pas moins de dix lettres en faveur de notre abbaye. Celle-ci est la dernière en date, elle fut écrite quelques mois seulement avant la mort du pontife.
57)
Note d'Alliot — Vingt ans plus tard elle revendit cette maison à Eudes Arrode, bourgeois de Paris, et en 1247, au temps de Thyphaine, fille d'Arrode. cette maison portait encore le nom de maison de l'abbaye d'Yerres. Il ne faudrait cependant la confondre avec une autre plus célèbre, qui a donné son nom à la rue des Nonnains d'Yerres. — La maison achetée par Arrode porta longtemps encore le nom d'Hôtel d'Yerres. Ce fut elle sans doute qui fut vendue, en 1671, aux Augustins de Sainte-Croix de la Bretonnerie.
58)
Note d'Alliot — Marbois. — Lieu très célèbre dans les annales de l'abbaye. On l'appela longtemps Amerbois (Amaro bosco). C'est un hameau de la commune de Videlles, cant. de La Ferté-Alais, arr. d'Étampes (S.-et-O.).
59)
Note d'Alliot — Évry. — Il s'agit d'Évry-en-Brie, ou Évry-les-Châteaux. cant. de Brie-Comte-Robert. arr. de Melun (Seine-et-Marne), qu'il ne faut pas confondre |34 avec Évry-sur-Seine, arr. de Corbeil (S.-et-O.). — Mardilly est un hameau de la commune d'Évry-en-Brie.
60)
Note d'Alliot — Cette donation fut signée à Chevreuse même, dans le cloître du prieuré des Bénédictins, où se trouvait alors Maurice de Sully.
61)
Note d'AlliotPuiselet-le-Marais. — Cant. de Milly. arr. d' Étampes (S.-et-O.).
62)
Note d'AlliotChaintreau. — Hameau de la commune de Moissy-Cramayel. arr. de Melun (S.-et-M.).
63)
Note d'AlliotSaint-Vrain. — Cant. d'Arpajon, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
64)
Note d'Alliot — Voici la liste des fêtes célébrées à l'abbaye dès cette époque: Dies festivi in quibus non laboramus: Festum Genovefæ Virginiæ; — Agnetis virginis; — Vincentii martyris; — Conversionis sancti Pauli; — Agathæ Virginiæ et martyris; — Cathedræ sancti Petri; — et Omnium Sanctorum; — et Sancti Benedicti; — et Mariæ Magdalenæ; — et Sancti Basilii; — Sancti Lupi; — Sancti Lodegarii; — Sancti Clementiæ; — Sanctæ Ceciliæ; — Sancti Nicholai; — Sanctæ Luciæ; — Marcæ Evangelistæ; — Lucæ Evangelistæ; — Sancti Laurentii martyris; — Sancti Martini episcopi; — et Georgii; — et Stephani martyris; — et Martini Bulleant (?); — Sanctæ Bathildis reginæ; — Sanctæ Katerinæ. — En tout vingt-cinq fêtes, sans compter les dimanches et les autres solennités de l'Église et du diocèse de Paris.
65)
Note d'Alliot — Nous ne pouvons résister au plaisir de citer encore l'éloge funèbre de cette artiste, écrit dans un latin si pur par une plume du XIIe siècle: “Anniversarium piœ memoriæ Odelinæ, Deo sacratæ , quondam priorissæ hujus ecclesiæ, octogesimo religionis suæ anno, mortem perdens vitam invertit, cujus cita inclita hanc ecclesiam moribus illustravit, et libris pluribus adornavit, cujus anima nostrarum orationum juvamine, coronam immarcessibilem coronatur.”
66)
Note d'Alliot — Le cartulaire de l'abbaye ne contient qu'une partie des lettres de Maurice de Sully; on en découvre encore tous les jours, soit dans des recueils spéciaux, soit dans des collections particulières.
67)
Note d'AlliotCarbouville. — Hameau de la commune d'Audeville, arr. de Pithiviers (Loiret).
68)
Note d'AlliotValpuiseaux. — Cant. de Milly, arr. d'Étampes (S.-et-O.).
69)
Note d'AlliotChevannes. — Cant. et arr. de Corbeil (S.-et-O.).
70)
Note d'Alliot — Il s'agit ici, évidemment, de Jean de Corbeil, fils de Beaudoin de Corbeil et d'Aveline, fille d'Eustachie et de Jean d'Étampes. Par conséquent, ce bienfaiteur du commencement du XIIIe siècle était le petit-fils de la fondatrice de l'abbaye.
71)
Note d'AlliotSaintry. — Cant. et arr. de Corbeil (S.-et-O.).
72)
Note d'AlliotChampcueil. — Cant. et arr. de Corbeil (S.-et-O.).
73)
Note d'Alliot — Ce vicomté de Corbeil n'appartenait sans doute pas à l'ancienne maison et famille de Corbeil.
74)
Note d'AlliotNovales. — Terres nouvellement défrichées et cultivées.
75)
Note d'AlliotIgny. — Cant. de Palaiseau, arr. de Versailles.
76)
Note d'AlliotConflans-Sainte-Honorine. — Cant. de Poissy, arr. de Versailles.
77)
Note d'Alliot — Jean de Courtenay, dont il est ici question, était fils de Pierre de France, fils de Louis le Gros et d'Adélaïde de Savoie. Il devint seigneur de Courtenay par suite de son mariage avec Elizabeth, dame de Courtenay. — Jean, leur sixième fils, devint, par sa femme, seigneur d'Yerres en partie, l'autre partie appartenant à Beaudoin du Donjon, son cousin. —— Armes des Courtenay: d'or à 3 tourteaux de gueules posés 2 et 1. — Yerres: armes de Courtenay, brisées d'un lambel de 5 pendans de sable.
78)
Note d'Alliot — Cet évènement fut invoqué plus tard pour autoriser les injustes prétentions de l'abbaye d'Yerres sur Saint-Rémi; car Eustachie et sa communauté choisirent elles-mêmes la religieuse qu'elles jugèrent idoine à porter la crosse; tandis que, d'après le règlement, Saint-Rémi devait élire une religieuse. Il est vrai qu'en pratique cela devenait difficile, puisque les sœurs de Saint-Rémi ne connaissaient aucune des moniales d'Yerres, il fallait bien que le choix fut dévolu à quelqu'un.
79)
Note d'AlliotAndresel. — Cant. de Mormant, arr. de Melun (S.-et-M.).
80)
Note d'Alliot — Un membre de la famille Briard avait donné des biens à saint Dominique dans les environs de La Ferté-Alais, pour y fonder un couvent de son ordre. Peu de temps après, les Dominicains ayant renoncé à toutes les possessions terrestres, ces biens furent rendus au donateur, qui les consacra à l'érection d'un monastère de femmes de l'ordre de Citeaux; ce fut l'abbaye de Villiers-aux-Nonnains.
81)
Note d'Alliot. — Voici la liste des reliques de l'abbaye aux environs de 1240: De Innocentibus; — de sancto Firmino episcopo et martyre; — de sancto Adriano; — de sancto Leodegario; — de Lapide super quem oravit Dominus quando suscitavit Lazarum; — de sancto Theobaldo confessore et de cilicio ejusdem; — de quercu Mambræ ubi apparuit Dominus Abrahæ; — de Lapide Calvariæ in quo crux Domini fixa fuit; — de Pulvere lectuli beati Martini in quo, quum ægrotaret, a Beata Maria matre Domini cum sanctis virginibus Agnete et Tecla visitatus et sanatus est; — de Petra super quam natus est Dominus ; — de Petra in qua sedit Dominus in monte Oliveti; — de Lapide in quo scripsit Dominus: Pater noster; — de Camisia Beatæ Mariæ; — de sancto Petro Apostolo; — de Johanne Baptista; — de Capillis sancti Thomæ apostoli; — de Mensa ubi tres Magi, adorato Domino, recubuerunt; — de sancto Jacobo apostolo; — de Ossibus sancti Barnabæ apostoli; — de sancto Andrea ; — Cornelio ; — Cypriano ; — et de aliis quadringentis ; — de Pulvere sanctorum Dyonisii, Rustici et Eleutherii; — de Casula et Dalmatica et de Baculo pastorali eorumdem; — Quatuor Dentes sancti Urrici cum maxilla; — Pectus sancti Thomæ Cantuariensis; — de Oleo sanctæ Katharinæ; — de Sepulcro sancti Lazari fratris Mariæ et Marthæ.
82)
Note d'Alliot. — L'acte qui nous donne cette formule est une lettre de l'abbesse elle-même, contresignée par Regnaud, doyen de Melun. C'est un bail à vie fait à Simon, prêtre, c'est-à-dire curé des Portes. Aveline lui loue les deux tiers des dîmes de sa paroisse, moyennant onze sols parisis de rente annuelle. Le curé devra en outre payer les deux tiers de la cire nécessaire à l'église, les deux tiers du droit de synode, les deux tiers des cordes pour sonner les cloches, les deux tiers du vin destiné à laver l'autel le Jeudi-Saint, et les deux tiers du pain et du vin pour le repas offert, par l'abbaye, aux communiants de sa paroisse le jour de Pâques. Ce contrat fut fait au mois d'avril 1227; il était parfaitement connu des auteurs du Gallia Christiania, puisqu'il se trouve dans le cartulaire, et c'est une simple coquille d'imprimerie qui leur a fait dire 1237: par conséquent, la découverte que prétend en avoir faite M. Mévil se borne à une simple rectification de date.
83)
Note d'Alliot. — Cette famille d'Aubervilliers descendait, selon toute vraisemblance, de Hugues le Loup, premier du nom.
84)
Note d'Alliot.Villeneuve-Saint-Georges. — Cant. de Boissy-Saint-Léger, arr. de Corbeil (S.-et-O.).
85)
Note d'Alliot.Limeil-Brévannes. — Cant. de Boissy-Saint-Léger , arr. de Corbeil (S.-et-O.).
86)
Note d'Alliot. — Il s'agit ici, évidemment, de Jean de Courtenay, le premier de cette famille qui ait possédé la seigneurie d'Yerres, et de Clémence, qui lui apporta la moitié de ce beau domaine.
87)
Note d'Alliot. — M. Mévil dit tout le contraire.
88)
Note d'Alliot. —Voici les noms des hommes de Moissy qui prirent part à cette affaire: André Maire; — Beaudoin Cordonnier; — Nicolas Patonart; — Simon Charpentier; — Hugues de Moissy; — Gilles Trébuchet; — Jean de Brie; — Girard dit Chale; — Pierre Patonart; — Clément de Fontaine; — Robert d'Atrie; — Robert Cordonnier; — Jean dit Bougre; — Guillaume Servient; — Renaud dit Pocet; — et Étienne le Roi.
89)
Note d'Alliot. — L'explication suivante de la brochure, à la fois très fautive et très incomplète de M. Sainte-Marie Mévil, nous a été donnée et nous la livrons telle quelle. —— Ce travail parut d'abord dans l'annuaire départemental de 186.. Il fut demandé en fin d'année, pour compléter le volume, en manière de remplissage. Rédigé à la hâte, il ne saurait donner une idée juste de la valeur du savant archiviste. Soit, mais il demeure toujours vrai qu'avant de faire un tirage à part d'une œuvre répandue à un grand nombre d'exemplaires, M. Mévil se serait honoré en puisant dans le riche trésor placé sous sa garde, pour rectifier les innombrables erreurs dont sa brochure fourmille.
90)
Note d'Alliot.Les Obituaires français au moyen âge, par A. Molinier. — Paris, Imprimerie nationale. — 1890. Préface.
91)
Note d'Alliot. — Il est possible que toutes les religieuses mortes à l'abbaye entre 1250 et 1350 aient été inscrites dans l'obituaire, mais il n'en est pas de même pour les autres époques. Les noms d'un grand nombre de moniales du XIIe et de la première moitié du XIIIe siècle n'ont pas été conservés. Les siècles suivants n'ont pas enregistré non plus les noms de tous les membres défunts du monastère.
92)
Note d'Alliot. — Voyez Bibliothèque Nationale, fonds latin, numéros 5258 et 5258 A.
93)
Note d'Alliot. — Brétigny-sur-Orge. — Cant. d'Arpajon. (S.-et-O.). M. Bertrandy-Lacabanne, archiviste de Seine-et-Oise, publia deux volumes sur cette commune en 1886, mais la liste des seigneurs est si incomplète, qu'il nous a été impossible d'y relever le nom des parents d'Agnès.
94)
Note d'Alliot. — On s'étonne de rencontrer, dès 1301, le nom de Pierre comme seigneur d'Yerres. Celui-ci avait pour père Jean II de Courtenay, qui fut seigneur d'Yerres avant lui. Comme il ne mourut que vers 1320, il faut, pour expliquer le passage de la seigneurie d'Yerres entre les mains de Pierre, fils de Jean II, que celui-ci ait cédé la terre d'Yerres à son fils bien des années avant sa mort. Pierre de Courtenay mourut le 22 mai 1333, et fut le cinquième membre de sa famille qualifié seigneur d'Yerres.
95)
Note d'Alliot. — La nomenclature des bienfaits inscrits dans l'article nécrologique d'Aveline de Villepinte pourrait faire croire qu'elle mourut vers 1280, à l'époque de la reconstruction de l'église; il n'en est rien cependant, car, de son vivant, Aveline donna ses biens pour aider à la reconstruction de son monastère, mais on ne dressa la liste de ses donations qu'à sa mort, arrivée beaucoup plus tard.
96)
Note d'Alliot. — Ce fait de n'être pas inscrite à l'Obituaire ne prouve pas à lui seul que l'abbesse Élisabeth soit morte en dehors de la maison, car le nom de celle qui recueillit sa succession a été omis également; et cependant on sait qu'elle termina ses jours à Yerres.
97)
Note d'Alliot. — Voici, d'après le P. Anselme, la liste des Courtenay d'Yerres ensevelis à l'abbaye: 1° Guillaume de Courtenay, compagnon de saint Louis, prisonnier à la Massoure, racheté par le saint Roi, mort le 24 novembre 1279; — 2° Sa femme, Jeanne de Grignoles, morte avant lui dans les premiers jours d'août 1276; — 3° Robert de Courtenay, mort sans postérité en 1297; — 4° Simon de Courtenay, mort jeune; — 5° Pierre de Courtenay, mort le 22 mai 1333; — 6° Sa femme, Jeanne de Courpalay, morte le 28 août 1319; — 7° Marguerite de Courtenay, mariée à Pierre de Voisins, morte le 27 octobre 1360. —— Il faut y joindre notre abbesse, dont voici l'épitaphe: “Ici gist, seur Marguerite, fille jadis monseigneur Jean, seigneur d'Yerre, et de madame Ysabel de Corbeil sa femme, seur monseigneur Jean des Grez, |104 chevalier, maréchal de France, et de maître Pierre des Grez, évêque d'Auxerre, qui fut abbesse de cette église un an, trois mois et six jours, et trépassa l'an M.CCC.XXI, septième jour en juin. — Priez pour l'âme: que Diex en ayt mercy. Amen.”
98)
Note d'Alliot. — Le testament de Guillaume le Nain et de sa femme est à peu près la seule pièce contemporaine qui nomme par son nom l'abbesse Agnès de Brie, mais la date sous laquelle il nous est parvenu est certainement fautive. Ce n'est pas 1310 qu'il faut lire, mais bien 1312, car Agnès de Brie ne porta pas la crosse avant la fin de juin ou le commencement de juillet de cette année, Philippe de Dury étant prévôt de Corbeil, et Pierre des Choux garde du scel de la même prévôté.
99)
Note d'Alliot. — Plusieurs autres membres de la même famille avaient déjà trouvé place dans le Nécrologe, notamment Guillaume des Grez, mort évêque de Beauvais en 1267, et Michel des Grez, l'un des bienfaiteurs de l'abbaye, inscrit au 28 mai; il donna 40 sols pour la pitance des religieuses.
100)
Note d'Alliot. — Périgny. — Cant. de Boissy-Saint-Léger, arr. de Corbeil (S.-et-O. ).
101)
Note d'Alliot. — Ces biens dépendaient de Jacqueline, fille de Jean de Chevry; — et de Jean de Boisminart; — de Gallart de Servon; — de Jean du Bois, tous trois chevaliers. — Il y avait aussi quelques acquisitions faites sur X… de Draveil.
102)
Note d'Alliot. — C'était en effet un véritable Crésus que Jean de Herces. Voici, à titre de simple curiosité, les sommes fabuleuses trouvées chez lui après son décès. —— 1° En oboles blanches (chaque obole valant 8 deniers), 65 livres qui équivalent à six vingt livres, et 10 livres de la monnaie courante, soit 130 livres; — 2° En gros tournois (valant ….. deniers chacun), 19 livres; — 3° En autres oboles blanches, qui passaient communément pour 4 deniers tournois, 40 livres 8 sols, ce qui équivaut à six vingt livres (120 livres); — 4° En autres oboles blanches de 4 deniers tournois, 19 livres 16 sols, ce qui équivaut à 60 livres; — 5° 4300….. moins 6 gros tournois, valant en total 740 livres, moins 16 gros; — 6° 41 florins royaux; — 7° 96 florins ad minutionem; — 8° 20 florins de Mademoiselle; — 9° 2 florins marqués à la masse; — 10° 8 florins marqués à la chaize; — 11° 20 florins de Florence; — 12° 16 florins d'or de Paris; — 13° 9 florins marqués au lion; — 14° 2 doubles; — 15° 3 florins marqués à la couronne; — 16° 6 florins marqués à l'ange; — 17° 16 pavillons; — 18° 30 florins ad scutum, qui valent ensemble 691 livres; — 19° En autres gros tournois marqués à la fleur de lys, du prix de 12 deniers chacun, valant ensemble 35 livres 10 sols; — 20° En florins de Paris marqués à la table, valant ensemble 7 livres 10 sols; — 21° En la même monnaie 4 livres valant 8 livres; — 22° En autres gros tournois et sterlings, chaque gros pris pour 3 sols, valant ensemble 45 livres. — Un vrai trésor, comme on voit. —— Cet inventaire fut fait en juillet 1343. le jeudi après la Sainte-Madeleine et les jours suivants, Indiction IIa et la seconde année du Pontificat de Clément VI. Il eut lieu en présence d'Étienne Doulcet, prêtre; — de Dracon, dit Bras-de-Fer, époux de Marguerone, nièce de Jean de Herces, défunt; — de Perrin, dit Cocigni, et d'Aveline, son épouse; — de Pierre Malet; — d'Aisel Malet; — de Belone la Cheville; — et d'Agnès la Rolande: ces deux dernières religieuses à Yerres. —— En plus de l'argent, on trouva un mobilier assez complet. Il y avait entre autres choses: 14 soutanes, 130 brebis et 34 agneaux; le tout fut prisé par Ameline, fille de feu Jean Ardeur. La bibliothèque était modeste: il y avait cependant un très bon décret et neuf livres.
103)
Note d'Alliot. — Étienne Doulcet ne résidait sans doute guère à sa cure, car on le trouve souvent à l'abbaye, où son neveu étudiait sous la direction des prêtres chapelains du monastère.
104)
Note d'Alliot. — Ce Pierre de Châtres est probablement celui qui mourut en 1349. Sa |117 pierre tombale se voit dans l'église d'Arpajon. La petite taille de son effigie, ainsi que la douceur de ses traits, l'ont fait prendre pour un enfant par M. de Guilhermy.
105)
Note d'Alliot. — Le Chesnay. — Petite et très ancienne paroisse, située aux portes de Versailles (S.-et-O.).
106)
Note d'AlliotChartrettes. — Commune de l'arr. de Melun (S.-et-M.).
107)
Note d'Alliot — L'obit d'Agnès de Chartrettes, certainement rédigé par une de ses contemporaines, est d'une écriture droite, ferme, et d'une calligraphie magnifique. Il a servi de point de repaire à l'un de ceux qui se sont efforcés de fixer l'âge et la date des Obituaires. Une note, placée en tête du manuscrit, dit expressément que cet article est de la seconde main, mais une étude approfondie de nos manuscrits ne tarde pas à faire reconnaître qu'il est de la cinquième ou sixième.
108)
Note d'AlliotChalette. — Cant. et arr. de Montargis (Loiret).
109)
Note d'Alliot — L'abbesse tira bon parti de ces lettres, car, malgré l'évidente mauvaise volonté des trésoriers, elle les poursuivit de ses réclamations, et arriva à s'en faire payer, les archives renferment vingt-trois reçus de cette époque; presque tous sont de l'abbatiat de Pétronille de Mackau. Les arrérages de l'année 1369, payés en 1372, s'élèvent à la somme énorme de 271 livres 15 sols 7 deniers, le roi ayant demeuré très longtemps à Paris. L'année suivante, le trésor ne versa que 180 livres. En 1379 et 1380, la dette se trouva réduite de plus de moitié; mais en 1382, elle atteignit le chiffre de 200 livres, dont 50 livres pour chaque quartier. — Il est bon d'ajouter que, d'après un calcul approximatif, il est vrai, mais sérieux, la livre parisis valait, vers l'an 1400, 30 francs de notre monnaie, et le sou 1 fr. 58.
110)
Note d'Alliot — Ces chaises d'or étaient sans doute des écus à la chaise.
111)
Note d'Alliot — L'autre moitié appartenait à Isabelle de Courtenay, fille unique de Jean IV d'Yerres et de Jeanne du Plessoy. Isabelle était dame de Courpalay et d'Yerres en partie. Elle épousa Geoffroy Tout-Outre, capitaine de Villiers-en-Brie; elle fit hommage, pour sa portion d Yerres, à Charles VI, le 30 juin 1420, et vivait encore en janvier 1426.
112)
Note d'Alliot — Bureau de la Rivière mourut en 1400. Il fut enterré à Saint-Denis, dans la chapelle dite des Charles, auprès de du Guesclin.
113)
Note d'Alliot — Exactement 33 ans et 8 mois, dit le Nécrologe.
114)
Note d'Alliot — L'Obituaire avait déjà nommé une autre moniale ayant fait un don de la même nature, et d'une précision qui ne laisse rien à désirer, touchant la conservation des Saintes Espèces dans la chapelle du couvent. Il s'agit d'une religieuse nommée Agnès, formée à la vie bénédictine dans le cloître d'Yerres. Elle fut tirée de cette abbaye pour aller porter la crosse au monastère de Notre-Dame de Saint-Paul (?), dit le Nécrologe. En mourant, elle fit don à Yerres d'un tabernacle qui lut placé sur le grand autel, et d'une coupe d'argent, — nous dirions d'un Saint-Ciboire, — pour y placer les saintes hosties. Nous ne savons à quelle date exactement fixer la mort de cette Agnès, abbesse de Notre-Dame de Saint-Paul; mais elle vécut certainement au XIVe siècle, et plus probablement dans la première moitié. — Le tabernacle d'Yerres était entouré de six colombes, suspendues par des chaînes attachées à la voûte de la chapelle.
115)
Note d'Alliot. — Acte du 12 juin 1396. — Cette transmission de la seigneurie se fit d'une manière très solennelle, en présence de nombreux procureurs et messaigiers, parmi lesquels nous voyons Guy de Maillefeu, Jean de Machiel. Jacquemart Cornet, Guyot de Besançon et Amaury de la Leu. — Nos religieuses s'étaient procurées une copie de cet acte; elles la conservaient avec soin, et l'invoquaient avec âpreté, à la fin du XVe siècle, pour prouver que les anciens seigneurs ne réclamaient pas les droits de justice sur les terres de l'abbaye. C'était faire dire à cette pièce un peu plus qu'elle ne dit en réalité.
116)
Note d'Alliot. — Néanmoins, le nom patronymique de Jeanne était inscrit avec honneur dans les fastes de l'abbaye, où nous l'avons déjà rencontré. En outre, le Nécrologe donne les noms de deux autres religieuses, appartenant certainement à la parenté de l'abbesse Jeanne: c'est celui d'Anne la Pastée et celui de Marie la Pastée. Celle-ci fut infirmière, comme notre abbesse, et donna à la chapelle un ornement complet: aube, tunique, dalmatique et chasuble, avec d'autres biens: alia plurima bona fecit nobis.
117)
Note d'Alliot. — Dans un travail autorisé, nous relevons l'estimation de la livre vers 1420. — La livre vaut 30 fr. et le sou 1 fr. 55 de notre monnaie.
118)
Note d'Alliot. — Celle-ci écrit presque toujours ussor au lieu de uxor; de même, elle écrit qui, partout où il faudrait que, etc.
119)
Note d'Alliot. — Ce bail fut renouvelé l'année suivante au même Simon de Beaucroix, et, cette fois, pour trois vies. En fait, il fut annulé en 1469.
120)
Note d'Alliot. — Huguette de Chacy n'allait pourtant point jusqu'à vouloir la mort d'inanition du clergé paroissial, car un document très authentique nous la montre, accordant au vicaire de Lieusaint la permission de prendre du blé, pour sa nourriture, dans la grange de l'abbaye.
121)
Note d'Alliot. — Le nom de Guillemette le Camus ne se trouve pas dans la liste des abbesses sorties de la célèbre abbaye de Chelles; mais cette omission ne tire pas à conséquence, car M. l'abbé Torchet, curé de Chelles et historien de l'abbave, n'a pas dressé la liste complète de toutes les abbesses prises dans cette maison.
122)
Note d'Alliot. — On sait d'ailleurs que les Le Camus ne remontent qu'au XVIe siècle.
123)
Note d'Alliot. — Les noms de quelques-uns des témoins de cette instance sont à retenir. Ce furent: messire Guillaume Franc, curé de Cossigny; — fr. Philippe Vignon, prêtre religieux de Notre-Dame d'Yvernel; — noble homme Jehan de Lignères, dit Bernart, avocat; — Guillaume de Villeneuve; — Guillaume Lefèvre; — Guillaume Eugarrant; — Jehan Bourlot; — Raoulin de Beaufort; — Perrot de Lieusaint; — Jehan Guillart; — Symon Poule; — Marc des Allez et plusieurs autres, presque tous laboureurs.
124)
Note d'Alliot. — Voir Histoire de l'abbaye de Gif, — Paris. Alph. Picard. 1892, — pages 64 à 78. — Dans les pages consacrées à Marguerite d'Orouer, nous avons dit sans détour quelle singulière et pauvre abbesse elle était; mais il nous avait paru que ses mœurs étaient irréprochables. Or, il résulte d'un procès découvert depuis lors, dans les registres du Parlement, que ses mœurs étaient aussi suspectes et dépravées. Notons pourtant que ces accusations furent formulées devant la Cour et non prouvées, et que, de plus, elles ne se produisirent qu'après la mort de l'abbesse en 1493.
125)
Note d'AlliotHistoire de l'abbaye de Gif, pages 59 à 64.
126)
Note d'Alliot — On dit qu'elle fit aussi rebâtir l'église du Mesnil-Racoin, sous le vocable de Sainte-Marie-Madeleine.
127)
Note d'Alliot.Ablon, cant. de Longjumeau, arr. de Corbeil (S.-et-O.). — Fontenay-les-Briis, cant. de Limours, arr. de Rambouillet (S.-et-O.).
128)
Note d'Alliot. — Guillaume était sans doute le père de Jeanne, Simon et Michel ses frères.
129)
Note d'Alliot. — La nomination de Simon Allegrin, comme procureur général de l'abbaye, était,du 23 mars 1488, avant Pâques.
130)
Note d'Alliot. — Cette famille Poilloüe, dont les filles entraient à Yerres dès le XVe siècle, s'est perpétuée jusqu'à nos jours sous des noms divers: Poilloüe de Saint-Mars, Poilloüe de Saint-Périer, Poilloüe de Bierville, Poilloüe de Saclas, etc.
131)
Note d'Alliot. — Ce Jean Budé laissa une nombreuse famille: 14 enfants, 7 fils et 7 filles. Le cinquième de ses fils fut le fameux Guillaume Budé, dont la statue se trouve dans la cour du collège de France. La postérité de ce savant homme passa en Suisse, sous la conduite de sa veuve, Roberte le Lyeur, qui se fit |170 protestante, en se plaçant sous la direction de Calvin. Les Budé suisses se sont perpétués jusqu'à nos jours; ils ont pris la particule et se nomment maintenant de Budé. — Quant à Jean Budé, il mourut en 1501 et fut enterré aux Célestins de Paris avec Catherine le Picart de Plateville, sa femme, morte en 1506.
132)
Note d'Alliot. — Dans le mémoire d'où nous extrayons ces renseignements, Robert de Boncourt, écuyer, âgé de 42 ans, s'honore d'avoir été, pendant huit ans. serviteur et valet de l'abbaye; il y est maintenant fermier, s'y est marié et y vit parfaitement heureux.
133)
Note d'Alliot. — L'abbesse et le curé ignorent ce semble la transaction de 1274.
134)
Note d'Alliot. — Cet emprisonnement avait eu lieu pour un délit commis à Marancourt, paroisse de Saint-Cyr-la-Rivière, où l'abbesse prétendait avoir des droits de haute, moyenne et basse justice.
135)
Note d'Alliot.Histoire de l'abbaye de Gif, pages 88 et 89.
136)
Note d'Alliot. — L'abbaye de Saint-Remi n'avait, à ce moment-là. que quatre religieuses: Antoinette Morel, professe d'Yerres; Marie Charlette et Antoinette Dautrée, professes de Chelles et Marguerite la Jolye.
137)
Note d'Alliot. — L'Obituaire contient les noms de plusieurs membres de la famille Allegrin, morts à Yerres au temps de l'abbesse Jeanne, entre autres celui de Catherine Allegrin, sans doute nièce de Jeanne.
138)
Note d'Alliot. — Pour la première fois, ce semble, les novices, vêtues de l'habit monastique, ne prirent pas part à l'élection.
139)
Note d'Alliot. — Marie de Savoisy avait en effet été formée à la vie religieuse dans |*180 l'abbaye cistercienne de Fontevrault. Elle avait quitté ce monastère, où la réforme religieuse avait pris naissance, pour répondre à la demande de l'évêque de Paris, et venir avec plusieurs de ses compagnes l'introduire dans les abbayes du diocèse.
140)
Note d'Alliot. — Nous avons cherché dans l'Histoire de Chelles des détails sur cet épisode. Malheureusement, les annales de ce monastère publiées par M. le chanoine Torchet, n'ont pas gardé trace de tout ce mouvement du XVIe siècle.
141)
Note d'Alliot. — Voici les noms de toutes les professes de l'abbaye, relevé dans un acte de 1518: Marie de Savoisy, humble abbesse; — Marie d'Estouteville, prieure; — Marguerite de Constant; Jeanne Gringette, portière: — Jacqueline Barenton, célerière; — Benoite le Riche, discrète; — Madeleine Chevalier, maîtresse d'école; — Antoinette le Lièvre; — Marguerite le Grand; — Louise de la Baume; — Marie du Prat; — Marguerite de Poilloüe; — Blanche de Lannoy; — Ève Baudry; — Louise Hasselin; — Anne de la Rainville; — Hélène Régnault; — Catherine de Dampierre; — Sidoine le Picart; — Madeleine de Vonier; — Étiennette de Guaigny; — Catherine Galopin; — Augustine Lanclet; — Anne de la Rivière; — Marie la Brodeuse: — Claude Vigneron; — Gabrielle Luillier; — Marie de Sailly; — Catherine Daves; — Jeanne Stuart; |184 — Marie le Roux; — Marie de Rapillart, malade; toutes professes. — Si on joint à ces trente-deux noms, ceux des novices, au nombre de dix environ, on voit que la communauté se composait de plus de quarante moniales vêtues, en dehors des jeunes filles du petit pensionnat. — Tous les noms ci-dessus se retrouvent dans les pièces d'archives entre 1518 et 1540, avec des différences d'orthographe, mais désignant les mêmes personnes.
142)
Note d'Alliot. — La règle de Poncher a été bien souvent analysée, notamment Histoire de l'abbaye de Chelles, par l'abbé Torchet, t. I, pages 218 à 232. — Voir aussi Histoire de l'abbaye de Gif, pages 98 à 100.
143)
Note d'Alliot. — En 1535, Jeanne Marie loue le moulin pour 50 livres. — En 1540. Louis Segogue, boulanger à Yerres, paie le moulin 60 livres. — En 1543, Jean Girard est meunier, et, outre son fermage, il doit 12 anguilles chaque année.
144)
Note d'Alliot. — Louis Tartin fut successivement curé de Villabé, dè Villerov et d'Évry-les-Châteaux. — En 1530, la dîme paroissiale d'Yerres est louée à Martin le Duc et Jean Soullard, tous deux vicaires audit lieu; — en 1533. à Étienne Challine, vicaire; — en 1536, à André Lauboury, vicaire; — en 1538, à Jean Hebart, vicaire; — en 1548, à Hildevert Treneguy, vicaire. — À la même époque, Louis Demore, curé de Brunoy, louait aussi les dîmes de sa paroisse: l'un de ces baux est de 1527.
145)
Note d'Alliot. — Les noms de dix ou douze prêtres se lisent dans les différentes pièces d'archives, comme ayant été employés à l'abbaye, entre 1520 et 1540. Parmi eux nous relevons ceux de: Claude Berthault; — Guillaume Lefèvre; — Guillaume Bonnefoy; — Clément Marignier; — Jean Bourgeois et Gabriel le Pelletier. — Il paraît, en outre, d'après un mémoire dressé en 1538, que les curés d'Yerres, dont le presbytère était ruiné, habitaient l'abbaye et en étaient les “domestiques”, y faisant l'office de procureurs.
146)
Note d'Alliot. — Ce texte vient des cahiers de Gaignières au cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale. Il n'a pas grande autorité, car, pour lui comme pour beaucoup d'autres, l'inscription lapidaire a été fort mal copiée.
147)
Note d'Alliot.Videlles. — Cant. de La Ferté-Alais. arr. d'Étampes (S.-et-O.).
148)
Note d'Alliot — Il faut prendre garde de la confondre avec sa sœur, nommée, comme elle, Marie de Pisseleu. Celle-ci était abbesse de Maubuisson.
149)
Note d'Alliot — Guillaume de Pisseleu, le père de tous ces prélats, pressait souvent sa fille Anne de profiter de sa situation pour caser ses frères et ses sœurs. Il faut le dire, il y avait une excuse à son âpreté, car Guillaume avait trente enfants!
150)
Note d'Alliot — Ce procès se prolongea durant de longues années. Plaidé devant la juridiction ecclésiastique, l'Official de Paris donna raison au curé; mais celui de Sens, juge d'appel, décida en faveur des religieuses. Enfin, en 1550, les juges de Paris se rangèrent à l'avis de ceux de Sens, et le curé de Lieusaint fut débouté de ses prétentions.
151)
Note d'Alliot — En 1549. elle échangea un quartier de vigne avec la veuve de Jean Budé.
152)
Note d'Alliot — Voici ce curieux document, dû à la plume de Jacques de Mervilles, prêtre et procureur de l'abbaye, pour la circonstance. — Les revenus sont perçus à quatorze endroits dénommés, savoir: Brévannes, — Vitri, — Athis, — Corbeil, |209 — les Godeaux, — Herces, — les Bordes, — Lieusaint, — Senard, — Plessis-en-Chevrie, — Tremblay, — Villepinte, — Cintreaux, — Cossigny. — L'ensemble du revenu est estimé 1373 livres 14 sols 3 deniers oboles tournois*. — Le procureur affirme que les moniales ne tiennent, ni ne possèdent autres revenus en la prévôté et vicomté de Paris. —— (Mais où sont donc les revenus de Brie, — Combs-la-Ville, — Evry, — Chalandray, — Yerres, — Ablon, — Draveil, — Drancy, — Paris, — Puiselet, — Carbouville, — Maurecourt, — Gironville, etc., — que nous verrons reparaître?) —— Les charges sont: 62 religieuses. — un religieux, — 24 serviteurs. — passants et repassants, — pauvres gens d'église, — mendiants, — pensions des prévôts et officiers des terres et seigneuries, — procureur, — avocats, — gens du conseil (?), — soutenir dix procès ordinaires, tant au Parlement qu'au Châtelet et en cour d'église, — payer les gages des gardes, — médecin, — barbier! et apothicaire. — gages des serviteurs, — façon des vignes, — bois, — échalats, — nourrir les fermiers quand ils viennent à l'abbaye, — acheter pommes, — poires, — fruits, — chair, — poisson. — œufs, — harengs, — pois, — fèves, — sel, — chandelles, — bois, — charbon, — nourrir dix chevaux pour la maison, — payer faneurs, — faucheurs, — crocheteurs, — jardiniers, — maréchaux, — charron, — bourrelier, — serruriers, — cordiers, — menuisiers, — vitriers, — maçons, — charpentiers, — couvreurs, — plâtriers, — teinturiers, — cardeurs, — peigneurs de laine, — tisserans en drap et en toile, — réparer l'église, — l'abbaye, — les fermes. — Pour la nourriture de tous il faut 40 muids de blé, — 20 muids d'avoine, — et 12 muids d'orge pour le bétail. —— La dépense se monte à 4,500 livres, y compris les deniers et dons gratuits du roi. —— (Ce que le procureur ne nous dit pas, c'est d'où on tire la différence entre 1.373 livres et 4,500 livres. Et cependant, l'abbaye n'avait pas de dettes. Évidemment, ce comptable a diminué la recette notablement, car on n'ose dire qu'il a enflé la dépense: 4.500 livres pour nourrir cent personnes! et le reste!
153)
Note d'Alliot — Malgré l'âpreté de nos religieuses à réclamer la basse, moyenne et haute justice, on ne voit pas que leurs officiers aient jamais prononcé des peines bien graves; surtout jamais de peines capitales, pas même des châtiments corporels, en dehors des incarcérations et des fers. — L'enquête très détaillée qui eut lieu, au sujet de l'incarcération du sergent de Jacqueline de Bailly, eut certainement mentionné les châtiments graves, car elle renferme beaucoup d'autres traits de mœurs.
154)
Note d'Alliot. — Elle en fit plusieurs avec les Budé: un le 13 septembre 1553 avec Anthoine Budé, seigneur de Marly-la-Ville en partie et d'Yerres en partie. Celui-ci était fils du fameux Guillaume Budé et de Roberte le Lyeur; il n'avait pas suivi sa mère à Genève. Un second échange fut signé le 4 février 1577 avec Pierre Budé; et un troisième le 18 février 1580. avec Dreux Budé, seigneur d'Yerres en partie et de Baignault-en-Beauce. Pierre et Dreux Budé étaient fils de Jean III et de Jacqueline de Bailly.
155)
Note d'Alliot. — Cependant, vers 1587. l'abbaye dut subir la présence d'une troupe de protestants, qui rompirent et renversèrent une partie du mur de clôture. L'abbesse s'empressa de le relever malgré de nombreuses difficultés.
156)
Note d'Alliot. — Les le Jude et les Olignon furent tour à tour notaires à Yerres pendant une durée d'environ 150 ans.
157)
Note d'Alliot. — L'un d'eux cependant mérite une mention spéciale, car il nous montre les deux frères Dreux et Pierre Budé séparant la seigneurie d'Yerres le 2 juin 1573.
158)
Note d'Alliot. — Voici une liste respectable des baux du moulin durant l'abbatiat d'Antoinette de Luxembourg. En 1550, il était affermé à un certain Noël le Clerc, venu de Senlis. Le 16 mai 1553, l'abbesse le loue à Barthélemy Ferrant pour 60 livres. — Le 26 juin 1559 à Antoine le Clerc pour 60 livres — Le 1er novembre 1561 à Thomas Molin pour 60 livres; — le 10 février 1579, à Jean Henaut et à Adrienne Meuse pour 26 écus et 6 chapons; — le 6 novembre 1584, à André de Hallon pour 33 écus et 6 chapons; — le ler février 1585, à Jean Henaut et sa femme; — le 14 décembre 1594, aux mêmes; — le 10 octobre 1599, à François de Gasles; — le 10 mai 1600, à François de Gasles, fils du précédent.
159)
Note d'Alliot. — Ce Motteau sortait d'une vieille famille, liée avec l'abbaye dès 1520. Ses descendants se sont perpétués à Brunoy jusqu'à nos jours, et l'un d'eux, M….. Motteau, notre excellent confrère de la Société historique de Corbeil, nons a fourni, pour cette histoire, un certain nombre de renseignements intéressants.
160)
Note d'Alliot. — Hélène Régnault, née à la fin du XVe siècle, était déjà religieuse à Yerres en 1514; elle prit part à la réforme, et était demeurée comme la tradition vivante de ce qui s'était passé durant tout un siècle à l'abbaye.
161)
Note d'Alliot. — Son nom fut inscrit dans le Nécrologe de l'abbaye. Il est le dernier qui |220 ait eu cet honneur, car déjà on commençait à imposer aux communautés comme aux paroisses, des registres mortuaires, qui sont devenus notre état-civil. L'obit de Madame de Luxembourg ne fait mention d'aucun service religieux pour le repos de son âme.
162)
Note d'Alliot. — Une de ses tantes, Anne des Ursins, avait épousé Guillaume de Lannoy, seigneur de Brunoy, en premières noces, et le comte de Chaulnes en secondes noces. Elle jouit de la terre de Brunoy jusqu'à sa mort, en août 1597.
163)
Note d'Alliot. — Aujourd'hui Servon. — Cant. de Brie-Comte-Robert, arr. de Melun (S.-et-M.).
164)
Note d'Alliot. — Madame des Ursins loua le moulin: — le 8 janvier 1609, à François Baron pour 120 livres et un porc; — le 13 septembre 1612, au même; — le 20 janvier 1617, au même pour 150 livres; — le 12 juillet 1623, au même. (Il mourut en 1627). — Le 22 mars 1632, à Pierre Baron pour 300 livres. Pierre céda son bail à Louise Tachereau, sa mère, qui ne put sans doute le tenir; — car il fut loué le 12 février 1633 à Thomas Corré pour 300 livres.
165)
Note d'Alliot — Au début de l'abbatiat de Madame d'Angennes, en 1640, une nouvelle maison religieuse vint se fonder aux portes de l'abbaye. Les Camaldules, religieux d'origine italienne, s'établirent à Grosbois. sur la paroisse d'Yerres. Les nouveaux venus et nos Bénédictines vécurent côte à côte, sans que les rapports entre les deux maisons fussent jamais empreints d'une hostilité ouverte, |231 mais aussi sans avoir l'une pour l'autre une sympathie bien marquée. — Il ne faut pas confondre les Camaldules de Grosbois, avec le château de Grosbois, situé non loin d'Yerres, mais sur la paroisse de Boissy-Saint-Léger.
166)
Note d'Alliot — Celles-ci se ravisèrent sans doute, car, en 1645, Catherine Belle est encore à l'abbaye: elle y reçoit des Lettres royaux pour se faire mettre en possession du prieuré de Chambly, au diocèse de Beauvais, vacant par la mort de sœur Françoise Cousin, religieuse de Saint-Remy de Senlis. Catherine ne réussit probablement pas, puisqu'elle mourut à Yerres en 1664.
167)
Note d'Alliot — En 1637, c'est un nommé Glasson qui est chapelain; il est bientôt remplacé par le prêtre Jean Troa, auquel succède J. -B. le Gras.
168)
Note d'Alliot — Claire d'Angennes loua le moulin de Masières, le 7 août 1538, à Philippe Coqueret, pour 400 livres. — Le 2 juillet 1643, à Pierre Bezançon, pour 540 livres. (Pierre avait épousé Jeanne Boireau, veuve de Philippe Coqueret). — Le 25 août 1657, à Louis Périer pour 400 livres. — Le 8 juin 1661, à Marc Andelet, pour 600 livres.
169)
Note d'Alliot — Au mois de janvier 1653, Claire d'Angennes avait fait au sieur Bruand, épicier, rue Saint-Anthoine, à Paris, un billet de 600 livres, payable à Pâques, elle ne put l'acquitter qu'au mois d'août suivant.
170)
Note d'Alliot — Cet aveu déclare que l'abbaye possède 12 fermes, louées ensemble 7.775 livres, plus 12 ou 15 muids de grain. (Il n'y est pas question du bail emphytéotique de Sénart, par exemple, ni des redevances, comme les dîmes, les lods et ventes, les droits de justice, les aumônes, les pensions.) —— Avec le revenu, il faut faire vivre 37 religieuses, professes, novices et converses: 2 ecclésiastiques, un jardinier, un garçon, un valet, une servante et quelques autres domestiques, soit un total de 12.600 livres de dépenses. — Les ecclésiastiques ont chacun 300 livres; le jardinier 100 livres; les autres domestiques ensemble 720 livres; le médecin 300 livres; le chirurgien 100 livres; un homme d'affaires 400 livres; les avocats et procureurs 500 livres; les charges d'entretien 2.000 livres.
171)
Note d'Alliot — Voici cette inscription: Veüe de l'abbaye de / Nostre-Dame d'Yerre / fondée par Louis le Gros, / roy de France, pour des / religieuses bénédictines / l'an 1120. En Brie, à 5 lieues de Paris.
172)
Note d'Alliot — Cette chapelle n'est pas mentionnée dans le Pouillé du diocèse de Versailles, de M. l'abbé Gautier.
173)
Note d'Alliot — Ce titre, donné à Anne Mauchon, n'empêcha pas Lucrèce du Raiz de garder et d'exercer la charge de prieure de la communauté.
174)
Note d'Alliot — Celui-ci eut bientôt des procès avec l'abbaye, au sujet des dîmes de Carbouville, dont il était fermier.
175)
Note d'Alliot — L'abbaye de Saint-Sauveur d'André était située en Artois. Tiberge avait été pourvu de ce bénéfice; il en garda le titre et la jouissance après son entrée dans la Société des Missions Étrangères, dont il fut l'un des premiers directeurs.
176)
Note d'Alliot — Ce fut certainement Madame de Maintenon qui accomplit cette bonne œuvre. Elle n'est nommée nulle part; mais sa charité aujourd'hui bien connue, laisse deviner sa main libérale dans tout le mystère de cet acte de bienfaisance.
177)
Note d'Alliot — Le curé d'Yerres se nommait Legrand; celui d'Évry, Audibert; celui de Montgeron, François Thomas; ceux de Brie, Bécamo et Pascal, remplacés plus tard par J.-B. Boissy.
178)
Note d'Alliot — La ferme de Herces disparut pendant le XVIIIe siècle et devint un amas de bâtiments en ruines. Elle était située sur le chemin de Périgny à Brie-Comte-Robert. Aujourd'hui un orme planté sur le bord de la route, est appelé l 'orme de Herces, et indique la place où se trouvait la ferme de nos moniales.
179)
Note d'Alliot — Ces chiffres prouvent d'une manière péremptoire que Madame d'Uzès avait fait profession en 1679, et non en 1689, comme le disent les auteurs du Gallia.
180)
Note d'Alliot — La seule Mademoiselle de Rochebrune se trouve inscrite au livre des donateurs: en 1726 elle légua 20 livres de rente par testament.
181)
Note d'Alliot — Par une lettre du 25 juin 1737. Robert, vicaire général de Paris, approuve la réduction du cimetière.
182)
Note d'Alliot — Il existe dans les archives de l'abbaye d'Yerres un assez curieux dossier touchant l'église d'Ablon. On y suit les intrigues d'un jeune vicaire, qui s'efforce de se faire curé de cette paroisse naissante, et veut contraindre Madame Desmarets à réparer l'église.
183)
Note d'Alliot. — François Massue, prêtre originaire du diocèse de Saint-Malo, lut nommé par l'abbesse curé de Villabé en 1748, pour remplacer J. -B. Hannequin; il y demeura 20 ans et fut remplacé en 1768 par François Mathieu.
184)
Note d'Alliot. — Nous relevons, dans l'acte de décès, les noms de messires Pierre Étienne, curé d'Yerres; — Jean-François de la Cour, curé de Lieusaint; — Jacques Bouillerot, curé de Saint-Jacques et de Saint-Germain de Corbeil; — François Maillard de Frontond, licencié de Sorbonne, chanoine de Vincennes; — Louis-Claude |268 Claude Mazuriès, curé de Créteil; — Louis Lagarde, curé de Marolles; — Jean-Jacques Bauldrée-Boilleau, licencié ès-lois, prieur de Saint-Vincent de Tiffauge, curé de Boissy-Saint-Léger; — Joseph Nicolas, vicaire de Boissy-Saint-Léger; — Thomas Vaninier, chapelain de Grosbois; — Jacques Villiers, vicaire d'Yerres; — Daniel-Pierre Dessaux, licencié ès-lois, prieur de Saint-Étienne de Hacqueville; — Jacques Duval, chapelain de l'abbaye d'Yerres; — Nouette, prévôt de l'abbaye; — François Boullet et J.-B. Ladmirault, tous deux procureurs ès-sièges du monastère. (Acte de décès, au Greffe de Corbeil.
185)
Note d'Alliot — Chose extraordinaire, nos moniales, qui possédaient encore une assez grande quantité de bois-taillis, achetaient néanmoins pour 3.000 livres de bois de chauffage en 1769.
186)
Note d'Alliot — Voici la manière dont Madame de Franclieu établissait les charges de sa maison: Honoraires, nourriture et entretien du confesseur: 800 livres. — Médecin et chirurgien: 600 livres. — Organiste et Officiers de justice: 550 livres. — Dépense de sacristie, cire, ornements: 800 livres. — Apothicaire: 600 livres. — Sacristain, nourriture et gages: 350 livres. — Trois jardiniers, nourriture et gages: 1.200 livres. — Commissionnaire: 500 livres. — Charretier et Vacher: 600 livres. — Une tourière et une femme de chambre: 500 livres. — Quatre servantes, nourriture et gages: 900 livres. — Femmes de service, lingères, lessiveuses: 300 livres. — Affranchissement des lettres: 270 livres. — Nourriture et vestiaire de 17 religieuses: 7.750 livres. — Cinq converses: 1.750 livres. — Quatre demoiselles pensionnaires: 1.000 livres. — Pour les chevaux: 1.050 livres. — Totale: 26.128 livres. Madame de Franclieu énumérait encore comme charges: 20 sols de rente |276 féodale à l'État à cause du droit d'échange; — un gros aux curés de Lieusaint, — d'Évry, — de Drancy, — de Brie, — de Montgeron, — d'Athis. Elle ne doit plus rien aux curés d'Yerres et de Puiselet, parce qu'on leur a abandonné les deux tiers de la dîme; à celui de Villabé on l'abandonne toute entière. — De plus, on doit acheter chaque année pour 300 livres de cire pour les offices. — L'abbaye réclamait les droits de haute, moyenne et basse justice au Plessis; — à Amerbois; — à Retolu; — au Mesnil-Racoin et dans l'enclos de l'abbaye. En fait elle ne l'exerçait qu'au Plessis et à l'abbaye.
187)
Note d'Alliot — Le 9 avril 1772, d'Ogeron donna quittance des 6.000 livres, qu'il reçut par les mains de Jacques-Étienne Bougault Ducoudray, trésorier des secours accordés par le roi aux pauvres communautés.
188)
Note d'Alliot — Le P. Véronneau fut le dernier prieur de Poitiers.
189)
Note d'Alliot — Nous, Thérèse-Angélique de Franclieu, abbesse de l'abbeye royalle |277 d'Hyerres, diocèse de Paris, avons prié le T. R. P. Veronneau, docteur en théologie, ancien prieur des Dominicains et colège de Saint-Jacques à Paris, de vouloir bien accepter l'obligation que je lui fais par ces présentes, en mon nom et en celui de mon abbeye, d'une pension annuelle et viagère de 300 livres, comme une faible marque de ma reconnaissance, et de celle que lui devra à jamais cette maison, pour les travaux imances et inapréciable, qu'il a fait dans les archives de mon abbeye, dont il y a 14 vol. in-folio d'inventaire, volume in-folio du terrier du domaine, et les plans et aussi ceux de toutes les terres, seigneuries, maisons, hôtels, sur lesquelles il est dû à mon abbeye, et enfin pour tous les importants services qu'il m'a rendu — et que je le prie de vouloir bien me continuer — par ses conseils; les peines qu'il c'est donnée pour m'aider à terminer tous les procès, dont cette abbeye était accablée depuis un nombre d'années, avant que j'ay été nommée abbesse. — À ces causes nous autorisons en notre nom et celui de notre abbeye le R. P. Veronneau de pouvoir exiger, si bon lui semble, un contrat en forme de la susdite pension de 300 livres, payable d'avance, année par année, le premier jour d'août, dont la première a commencé aujourd'hui 1er août 1780, que nous lui avons prié de recevoir. — Sr de Franclieu, abbesse d'Hyerres, au nom de toute mon abbeye. — (Le double est écrit sur notre registre particulier).
190)
Note d'Alliot — Voici l'horaire de la fin du XVIIIe siècle, trouvé dans une note de l'inventaire. — Chaque jour Messe à 7 heures; Vêpres, à 3 heures. — Fêtes et Dimanches Grand'Messe à 9 heures 1/2; Vêpres chantées à 2 heures 1/4. — Chaque premier jeudi du mois, salut à 5 heures, avec exposition du Saint-Sacrement. — Il n'est pas question des Matines, ni des Petites Heures que chaque moniale récitait sans doute en particulier.
191)
Note d'Alliot — Chacune de ces pièces, petite ou grosse, coûtait une livre; et les perdreaux étaient apportés surtout en juillet et en août, au moment des couvées!
192)
Note d'Alliot — Fixation des pensions d'après la loi du 14 octobre 1790: Mme de Franclieu, abbesse, 61 ans: 2000 livres. Née le 2 octobre 1730. — Mme de Miremont, prieure, dite de Sainte-Adélaïde, 71 ans: 700 livres. Née le 1er mars 1722. — Mme Huet, de Saint-Benoît, 80 ans: 700 livres. Née le 5 octobre 1712. — Mme La Planche, de Sainte-Lucie, 69 ans: 700 livres. Née le20 mars 1724. — Mme Glorieux, 66 ans: 700 livres. — Mme Gauthier, de Sainte-Pélagie, 59 ans: 700 livres. Née le 25 novembre 1732. — Mme Cossendy; de Saint-Pierre, 59 ans: 700 livres. Née 20 juin 1740. — Mme Gaucher, de Sainte-Pélagie, 59 ans: 700 livres. Née 23 octobre 1742. — Mme Gallais, de Sainte-Sophie, 35 ans: 700 livres. Née le 6 août 1756. — Mme de Barège, de Saint-Magloire, 33 ans: 700 livres. Née le 14 novembre 1758. — Mme Gabrat, de Sainte-Cécile, 39 ans: 700 livres. Née le 12 février 1751. — Mme Edmont, de Saint-Bazile, 29 ans: 700 livres. Née le 21 septembre 1762. — Mme D. Vergis, de Saint-Clément, 31 ans: 700 livres. Née le 2 février 1760. — Mme de Pouget, de Saint-Paulin, 32 ans: 700 livres. Née le 31 décembre 1759. — Mme Dauhin, de Saint-Jean, 24 ans: 700 livres. Née le 5 février 1765. — Mme de Thietry, agrégée, 45 ans: 350 livres. Née le 23 août 1746. — Sœurs converses. — Sœur Bernard, 69 ans: 350 livres. Née le 3 octobre 1722. — Sœur Chaillet morte (le 2 août 1792), 68 ans: 350 livres. — Sœur Petit, 69 ans: 350 livres. Née le 2 juillet 1722. — Sœur Vinot, 37 ans: 350 livres. Née le 8 août 1753. — Sœur Le Bau, 29 ans: 350 livres. Née le 26 mars 1762. — Sœur Martel, 23 ans: 350 livres. Née le 17 mars 1768. — Sœur Bourguignon, agrégée, 81 ans: 350 livres. Née le 31 juillet 1710. — Sœur Vacher, 27 ans: 350 livres. Née le 4 mars 1765. — Fait à Yerre le 10 octobre 1792. — Marie-Françoise-Marguerite Toutain de Richebourg, religieuse Ursuline d'Argenteuil, résidente cy -devant à l'abbaie d'Yerres comme pensionnaire depuis le 26 juin 1791, née le 23 juin 1732.
193)
Note d'Alliot — La durée de l'abbatiat de Marie d'Estouteville s'étend bien de 1520 à 1537, et c'est par erreur typographique que la date 1520-1534 se lit en tête du chapitre XVII, page 189.
hn/hn.jm.alliot.1899a.txt · Dernière modification: 2023/08/02 06:12 de bg