Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

Outils pour utilisateurs

Outils du site


hn:hn.l.e.lefevre.1906b

Louis-Eugène Lefèvre

Le mobilier de l'église Notre-Dame

  • Cet article a été publié par L'Abeille d'Étampes dans son numéro 95/1 du 6 janvier 1906, page 2, et son texte, donné ci-dessous après le scan, a été saisi en août 2021 par Bernard Gineste.

Scans de l'article de 1906

Saisie du texte

  • L'Abeille d'Étampes 95/1 (6 janvier 1906) 2.
  • Le Mobilier de l'église Notre-Dame
  • La loi ordonnant l'inventaire du mobilier des églises a inspiré à un de nos amis très autorisé en matière archéologique les réflexions suivantes auxquelles il joint de précieuses et curieuses indications sur diverses parties des boiseries sculptées, buffet d'orgue, statues, ornant l'intérieur de l'église Notre-Dame-du-Fort. Ces détails seront lus avec intérêt.
  • La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État prescrit dans son article 3 un inventaire complet des biens cultuels.
  • Un règlement d'administration publique, publié par décret à l'Officiel du 31 décembre, indique comment il doit être procédé à cet inventaire.
  • “La description des objets sera accompagnée d'une estimation. On devra mentionner les fondations pieuses qui les grèvent.”
  • Si l'ordre doit être exécuté à la lettre, il est clair qu'il est impossible de remplir convenablement une pareille tâche, malgré toute la bonne volonté que les Commissions y mettront certainement. La provenance de presque tous les objets contenus dans nos églises est perdue. C'est à tout petits coups et avec grande peine que les Sociétés archéologiques, par les efforts aussi laborieux que désintéressés de leurs chercheurs, soulèvent peu à peu le voile de mystère qui les enveloppe; mais dans la multitude des objets, combien resteront une énigme à quelque point de vue. Il y aurait tout un immense travail historique à faire préalablement. Or les documents manquent pour ce travail. Toute découverte dans ce champ rempli d'épines et de fondrières est le plus souvent faite, par hasard, grâce à la sagacité d'un amateur, mais d'un amateur extrêmement bien informé. De toutes façons, à cause de la pénurie de documents, les ordres des ministres sont inexécutables, c'est le hasard qui est le maître, c'est lui seul qui commande.
  • C'est au hasard que nous rendons hommage si, durant ces dernières années, nous avons eu la chance de retrouver quelques détails sur les origines perdues de plusieurs importants objets mobiliers de l'église Notre-Dame d'Étampes. Nous n'avions pas encore eu le loisir de les publier. Aujourd'hui le temps presse, s'il plaisait à la commission officielle de faire usage de nos renseignements.
  • Le grand tambour décoratif en bois qui est placé sous les orgues, à l'entrée de la nef, est un ancien retable de l'abbaye de Villiers, près La Ferté-Alais: Il fut construit en 1642 ou 1643, sur les ordres de l'abbesse Marie-Dorothée d'Argouges; un chroniqueur laisse deviner qu'elle en fit tous les frais. Les initiales qui se trouvent à la hase de deux grandes colonnes du tambour sont justement celles de l'abbesse, M. A. (Marie d'Argouges) et deux D entrelacés (Dorothée, le petit nom familier de la religieuse).
  • À peine érigé, le retable échappa à un premier désastre. En 1632, l'abbaye de Villiers fut mise à sac par l'armée des Princes fuyant devant Turenne. Après la fermeture de l'abbaye, à l'époque de la Révolution, le retable fut transporté à Étampes et érigé de nouveau comme retable au chevet de l'église Notre-Dame.
  • Dans le cours du XIXᵉ siècle, probablement sur les excellents conseils des hommes compétents qui s'occupèrent de l'église et qui s'appelaient Viollet-le-Duc, Mérimée, de Laborde et Courmont, on décida de mettre les boiseries là où elles sont aujourd'hui, dégageant ainsi les trois belles fenêtres du fond, et cachant tout ce que l'entrée de la nef a d'inharmonieux.
  • Les plus importants détails relatés ci-dessus nous ont été appris par la description complète que Dom Fleureau a faite du retable de Villiers 1). L'identité de ce dernier avec le tambour de Notre-Dame est flagrante; et quand on connaît les vicissitudes qu'il a traversées, on ne le retrouve pas sans étonnement dans son installation actuelle, presque au complet, avec ses colonnes, ses deux saints, ses deux anges, sa Sainte Vierge monumentale. Un tableau de l'Assomption manque seul à l'appel. Ajoutons que, à notre avis, les deux anges appartenant à l'ensemble du tambour sont aujourd'hui dans le chœur, tandis que les deux plus petits placés sur l'ancien retable sont des statues plus vieilles d'un bon siècle. Il y a eu transposition, simplement.
  • Le buffet des orgues qui dominent le tambour est plus ancien. Le jeune souffleur, en faisant un nettoyage tout dernièrement, en a découvert la date, 1587. Cette date est confirmée par le style des sculptures, et ensuite par l'histoire. Nous avons publié ici même un renseignement jusque-là inédit donné par Pierre Plisson (La Rapsodie, manuscrit des archives municipales folio 180) relatant que les orgues avaient été “abattues” par les Protestants en 1562. Les deux dates s'accordent parfaitement.
  • De petits travaux ont été exécutés dernièrement dans l'église Notre-Dame, notamment à la deuxième chapelle, à gauche du chœur, celle qui contient les statues des saints Pierre et Paul. Il existait là un petit retable en bois orné d'une toile peinte représentant le martyre de sainte Julienne. Ce retable, aujourd'hui déplacé, est une des dernières épaves de l'église Sainte-Croix. Nous avons pu découvrir ce détail grâce à l'inventaire du mobilier de l'église démolie pendant la Révolution, inventaire qui fut publié par M. Max. Legrand, (Annales archéolog. du Gâtinais, t. XIX, 1901, p. 267 et 289.
  • Des personnes se rappellent avoir vu jadis le retable de sainte Julienne dans la nef, contre un des premiers piliers du chœur, et faisant pendant à un autre du même genre.
  • Une grande cathèdre, ou chaire d'officiant, en bois sculpté d'un style gothique, est dans le chœur, adossée au premier pilier à gauche. Elle a figuré à l'Exposition de 1855. Elle fut exécutée par Kreyenbielh, un industriel, parisien en dépit de son nom. Elle était estimée 1.800 francs. Son mérite est d'avoir été exécutée sur les dessins du Père Martin, un moine devenu illustre par sa collaboration avec le Père Cahier, autre moine érudit qui a laissé une œuvre iconolique considérable et faisant autorité. (Cf.-Alfred Darcel, L'ecclésiologie à l'Exposition, Annales archéol., t. XV, 1833, p. 363).
  • Tous les fidèles ont remarqué, sur la table du banc d'œuvre, un gracieux petit ange en bois doré à l'expression naïve, qui porte devant lui un énorme bras. C'est un reliquaire qui (d'après Léon Marquis, les Rues d'Étampes, p. 266), a contenu un fragment du bras de saint Jean-Chrysostome, et dont il est fait mention dans les comptes de fabrique des années 1513, 1514, 1515 (manuscrit inédit, documents de M. Eugène Dramard, dont M. Max. Legrand prépare la publication.) Quoique nous n'ayons pas pris de note à ce sujet, nous ne croyons pas devoir suspecter notre mémoire en la circonstance. On pourra vérifier.
  • Ces petites histoires ont une morale. Le monde considère les archéologues comme de doux maniaques, un peu vaniteux, un peu méprisants, et d'une inutilité complète pour la société.
  • Un cas se présente pour rectifier cette appréciation. Car les archéologues vont être requis d'office pour juger entre, d'une part, l'État à l'autorité brutale, qui a fait des lois et qui veut les exécuter, et, d'autre part, MM. les Curés.
  • De ceux-ci on peut dire qu'ils n'ont pas été élevés pour devenir conservateurs de musées. Ils en ont rarement le goût et les aptitudes particulières. Ils sont fréquemment d'une indifférence absolument honteuse pour l'art, l'histoire, et même l'iconographie des objets et des monuments dont ils ont la garde. Et pourtant la tradition catholique leur commanderait de savoir ou de chercher à savoir. L'iconographie n'est-elle pas la traduction plastique, l'illustration des croyances catholiques? Toutes les églises de France antérieures au XIIIᵉ siècle, et c'est le cas de nos quatre églises étampoises, n'ont-elles pas été construites par des architectes-moines; toutes leurs sculptures ne sont-elles pas l'ouvrage d'artistes-moines.
  • Bref, ce sont les archéologues qui vont être appelés à allumer leur lanterne pâle dans l'obscurité où se débattraient Pouvoir public et Curés ou Conseils de fabrique, aussi ignorants les uns que les autres. Les archéologues se tireront médiocrement de leur affaire; mais c'est toujours grâce à eux et aux manies de leurs prédécesseurs que les nouveaux décrets devront de ne pas être tout à fait ridicules dans leurs exigences irréalisables.
  • On va donc s'apercevoir que les archéologues ont une petite utilité. On nous excusera j'espère, de l'avoir fait remarquer en passant.
  • L.-Eug. Lefèvre.
  • NOTA. — Il est bien entendu que nos appréciations ci-dessus sont générales et ne peuvent atteindre le digne Curé de notre église Notre-Dame, qui se trouve justement être un archéologue distingué.

1)
Dom Basile Fleureau, Histoire de l'Abbaye de Villiers. Publication faite d'après le manuscrit original, par Paul Pinson. Annales de la Société archéologique du Gâtinais, t. XI, 1893.
hn/hn.l.e.lefevre.1906b.txt · Dernière modification: 2021/08/12 18:45 de bg