Après le départ de Marie de Savoisy, les religieuses donnèrent la crosse à la prieure du couvent, Marie d'Estouteville. La nouvelle élue s'était associée à l'œuvre de la réforme, et sa prélature ne pouvait que la fortifier.
Marie était fille de Charles d'Estouteville, seigneur de Villebon, Gastine, Montdoucet et autres lieux, et d'Hélène de Beauveau. Petite-fille d'Isabeau de Savoisy, et par conséquent parente de la précédente abbesse, la nouvelle titulaire avait, par sa famille paternelle et maternelle, dans le monde et à la cour, de puissantes relations, qui lui furent d'un grand secours pour ses œuvres et ses entreprises à l'abbaye.
On la trouve en désaccord avec l'histoire et la tradition pour l'orthographe de son nom; car sa signature est ainsi libellée par elle-même, le 11 janvier 1521: M. de Stouteville hūble abbesse. Sa personne donne également lieu aux difficultés d'ordre chronologique, tant pour la date de sa mort que pour la durée de sa prélature. Et cependant elle a vécu en plein âge historique, et les pièces d'archives, écrites sous son abbatiat, sont multiples et fort variées.
Marie de Savoisy avait relevé la maison au point de vue monastique et spirituel; Marie d'Estouteville, en affermissant |190 la discipline claustrale, s'appliqua tout d'abord à la reconstruction matérielle de sa maison.
L'abbaye, située dans une vallée, à proximité d'un cours d'eau susceptible de s'enfler considérablement en hiver, n'offrait pas toutes les garanties désirables, au point de vue de la santé, de l'hygiène, diraient les modernes. De plus, les bâtiments étaient vieux, ruineux, malsains, étroits et fort incommodes. Les travaux d'une certaine importance, accomplis trente ans plus tôt par Jeanne Allegrin, n'avaient remédié qu'incomplètement à l'insuffisance des constructions. Celles-ci, dans leur ensemble, dataient de la fin du XIIIe siècle, remaniées et gâtées malheureusement à plusieurs reprises, depuis 240 ans. Marie d'Estouteville résolut de tout jeter par terre, pour reconstruire un monastère nouveau.
Grâce à ses ressources personnelles et à celles que lui fournissait la manse abbatiale reconstituée peu à peu, elle commença des édifices qui lui parurent sans doute grandioses à elle et à ses compagnes, mais qui en réalité étaient bas, mesquins et sans grand caractère architectural. Il n'en subsiste plus aujourd'hui qu'une porte romane, dont le tympan est orné de chimères assez finement exécutées. La vue d'ensemble du monastère, conservée dans une gravure du cabinet des Estampes, à la Bibliothèque Nationale, et la courte description de l'abbé Lebeuf, en donnent une idée plutôt défavorable. Les différentes salles sont vastes; mais ajourées par des larges baies sans style; les moniales, pour coucher, ont un dortoir commun sans cellules: réfectoire, cloître, salle de chapitre, tout est exécuté avec une simplicité sans grandeur. Cette restauration parut pourtant une merveille aux contemporains et surtout aux religieuses. En reconnaissance celles-ci donnèrent, à Marie d'Estouteville, le titre de deuxième fondatrice de l'abbaye. Elle l'avait rebâtie tout entière, en effet, à l'exception d'une partie de la chapelle, qui garda sa forme gothique et son abside; car on s'était contenté d'allonger et d'agrandir sa nef.
L'abbesse acheva ces constructions en entourant le monastère et le jardin d'un grand mur de clôture, qui venait d'être achevé en 1527, lorsque Pierre de Lannoy, seigneur de Brunoy, |191 accourut à l'abbaye, avec une troupe d'hommes armés, et de manouvriers, qui renversèrent une partie de ce mur d'enclos, sous prétexte que l'abbesse avait empiété sur son domaine, et renfermé dans sa clôture des terres soumises à la justice seigneuriale de son château. Cette violence donna lieu à une action judiciaire encore pendante en 1542.
Marie d'Estouteville avait en horreur les procès, qui lui étaient suscités de tous côtés, et qu'elle devait bon gré mal gré poursuivre. Pour en diminuer le nombre, elle sollicita et obtint du pape, dès 1521, un privilège en vertu duquel l'abbaye d'Yerres ne devait être citée en justice, ni par évêque, ni par prêtre, ni par juge laïque. Ce bref pontifical n'eut pas grande efficacité, croyons-nous, à l'époque de sa promulgation, mais un siècle plus tard il servira de base à une singulière argumentation, comme nous le verrons.
En dépit des désirs de son abbesse et des Lettres pontificales, l'abbaye avait toujours de nombreuses contestations avec les Lannoy, seigneurs de Brunoy, et avec les intraitables Budé. Dreux Budé vieilli était cependant devenu plus pacifique et plus accommodant. Marie d'Estouteville lui fit en 1521 un bail emphytéotique du moulin de Mazières. Il mourut peu de temps après; Jean Budé, IIIe du nom, et ses cohéritiers abandonnèrent leurs droits sur ce contrat, et les moniales traitèrent directement avec des meuniers
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Les prêtres, locataires des dîmes paroissiales, n'exécutaient pas toujours les charges des baux avec une ponctualité exemplaire; mais de ce côté l'abbesse eut un peu de paix, car ces ecclésiastiques traitèrent presque toujours avec u