Il était 7 heures 10 du matin, à la Ferté-Alais. J'allai trouver le curé à l'église, dans la sacristie, lui expliquai le but de mes recherches et lui demandai la permission de relever les pierres tombales de son église et de monter au clocher. Il m'accorde toute autorisation et me donne un enfant de chœur pour m'ouvrir le clocher. Je monte et prends l'inscription, je redescends, remets la clef à l'enfant et commence à estamper une pierre tombale devant la grande porte à l'intérieur. À peine avais-je commencé que le curé monte à l'autel; je sors pour ne pas troubler les fidèles et vois une croix en face du grand portail. Je m'assieds sur une marche et la regarde: c'est un chapiteau de la fin du XIIe siècle à larges feuilles retroussées, avec son astragale et une partie du fût. Je vois la date d'érection — 1659. — À peine commencé-je à écrire les détails de cette croix que passe un brigadier de gendarmerie. Il me regarde, je le regarde et reprends mon travail. Deux minutes après il repasse et m'aborde: “Elle est vieille, cette croix? — Oui, je viens de |19| voir la date; 1659. — Vous vous occupez d'antiquités, vous visitez les églises. — Oui. — Et pourquoi? — Pardon, brigadier, pourquoi toutes ces questions; je pourrais n'y pas répondre. — C'est vrai, mais vous avez été à Mespuits? — Oui. — À Roinvilliers? — Oui. — Eh bien! le tronc de Roinvilliers a été volé le matin même de votre visite à l'église. — Ah! — Oui, et l'on vous accuse de l'avoir pris, 30 ou 40 francs! — Oh! — [Ici je suis interrompu (2 heures 3/4) par deux gendarmes venant chercher mes clefs pour fouiller ma voiture! Cela se corse!] — Et il faut me suivre à la gendarmerie, puis je vous conduirai au procureur de la République, à Étampes, auquel vous êtes signalé ainsi qu'à toutes les brigades de gendarmerie. — J'explique que j'ai commencé à estamper une pierre à l'église. — Le brigadier répond: Je vais vous donner un gendarme pour vous accompagner où besoin sera. À la gendarmerie le brigadier écrit mon affaire sur trois ou quatre registres, fait copier l'acte d'accusation et me voilà parti avec mon gendarme qui rentre avec moi à l'église et assiste à la fin de l'estampage. Puis nous allons à l'hôtel de l'Écu, où je loge, payer ma dépense et faire atteler. Je reviens à la gendarmerie; le brigadier se prépare, un gendarme aussi, en grande tenue, tricorne, et je me conduis prisonnier, flanqué de mes deux gendarmes, à Étampes. Dix-sept kilomètres fatigants pour mon cheval. Arrivé à 11 heures 1/2, nous descendons au tribunal: le procureur de la République et son substitut étaient déjà partis pour déjeûner. Allons chez le procureur, me dit mon brave brigadier! — Allons! — Le procureur déjeûne, il se dérange. Je lui montre tout ce que j'ai de papiers sur moi; je le prie d'ouvrir une lettre de ma mère, m'accusant réception de monographies, etc… — C'est très bien, mais cela ne suffit pas, il faut prouver votre identité. — Je vais, dis-je, télégraphier à plusieurs personnes et entre autres à mon ami intime M. de Freycinet, président du Conseil. — En attendant les réponses, car moi aussi je vais télégraphier de mon côté, je suis forcé de vous faire mettre à la sûreté. — Je m'incline. — On vous donnera du papier pour télégraphier, puis vous ferez apporter votre déjeûner et dans une heure je serai au parquet. — Je reprends |20| le chemin de la gendarmerie et suis immédiatement incarcéré sous trois verroux. Une demi-heure après on m'apporte le papier. J'envoie une dépêche à ma mère, une à Freycinet, une à Girardot, une au sous-préfet de Montargis. Coût 12 fr. 30. — Quand le gendarme me rapporte le reste des 20 fr. que j'avais remis pour les dépêches, mon geôlier prend sur lui de laisser ouverte la porte de ma prison J'attends d'être appelé devant le juge d'instruction (1)
(1) Inventaire des richesses d'art de la généralité d'Orléans, papiers mss., t. III (1880-1882), p. 1164-1167.