Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Clémence Le Loup (v.1136-1180)

Notule

  • Clémence Le Loup, fille de Guillaume le Loup seigneur de Villepinte, Drancy et autres lieux, d'abord simple religieuse de l'abbaye Notre-Dame d'Yerres, en fut la deuxième abbesse, de 1155 à 1180.

Notice de l'abbé Alliot

  • Chapitre II. — Clémence Loup (1155-1180)
    • Clémence Loup ou le Loup. — Construction du cloître. — Les moniales. — Recrutement et organisation. — Vie des religieuses. — La chevecerie de Notre-Dame de Paris. — Nombreuses aumônes. — Privilèges accordés par le pape. — Les familles de Corbeil, Briard et de Garlande. — Hugues le Loup. — Saint-Pierre de Tarentaise. — Maurice de Sully. — Son dévouement à l'abbaye. — Mort de l'abbesse.
  • La succession d'Hildearde échut à l'une des plus jeunes religieuses de la communauté. L'élection eut lieu selon le mode réglé par Étienne de Senlis, vingt ans auparavant, et fut faite, en grande partie, par des personnes étrangères à l'abbaye. Leur choix tomba sur Clémence Leu ou Loup, qui n'était âgée que de dix-neuf ans. Fille de Guillaume le Loup, seigneur de Villepinte, de Drancy et autres lieux1), Clémence avait déjà passé plusieurs années à Yerres. Ses proches étaient au nombre des bienfaiteurs de la maison; elle était parente, nous ne saurions dire à quel degré, de sa devancière, et les influences de famille ne furent certainement pas étrangères à |17 son élévation. D'ailleurs cette enfant était en tout digne de commander.
  • Le couvent devenait chaque jour plus nombreux, et les soins à lui donner plus importants. Eustachie de Corbeil, on s'en souvient, avait ouvert un abri plutôt que bâti un établissement solide à nos bénédictines. Hildearde, durant son abbatiat, s'était efforcée de faire face aux nécessités quotidiennes sans cesse grandissantes autour d'elle; mais de plan régulier, de constructions durables, il n'y en avait point, à part peut-être la chapelle. Le frère de la nouvelle abbesse, nommé Hugues le Loup, commença un édifice solide et régulier. Il fit construire en pierre le cloître où sa sœur présidait à une grande famille monastique, dans l'intérieur de laquelle nous allons pénétrer, et dont il est temps de redire l'organisation et la vie sanctifiée par la pénitence.
  • Au moment où Clémence prit la crosse, l'association comptait cent religieuses ou même davantage. Elles étaient divisées en deux classes: la simple bénédictine: Monialis ou Monacha, et la bénédictine consacrée à Dieu: Monialis Deo sacrata 2), répondant assez bien à la Novice et à la Professe d'aujourd'hui, avec cette différence cependant, que beaucoup d'entre elles restaient simples moniales toute leur vie. Il y avait encore les Moniales ad succurrendum. Celles-ci ne prenaient l'habit qu'a l'heure de la mort pour participer aux suffrages des défunts: c'était une sorte de Tiers-Ordre 3), ou mieux une congrégation de dames pensionnaires vivant à l'abbaye, quelques-unes même en dehors. La catégorie des Postulantes n'existait pas: une famille amenait l'un de ses membres au cloître, on lui donnait l'habit en présence des siens, et cette jeune fille était religieuse, Monialis. Dès l'origine, on trouve la Converse, Conversa; mais sa situation ne semble point inférieure à celle de ses sœurs; elle vit avec elles sur un pied de parfaite égalité.
  • Aucun âge n'est requis pour entrer au monastère, aucun |18 âge n'en est exclus; car on y voit des enfants, des adolescentes, des jeunes filles, des veuves et même des femmes mariées 4). Dans l'admission ou dans l'éloignement des recrues, c'est la prudence qui seule dirige l'abbesse.
  • Celle-ci est aidée dans le gouvernement de la maison par la Prieure, par la Souprieure, et par chacune des moniales préposées aux charges et aux différents Offices de l'intérieur: d'où leur nom d'Officières. Il y a l'Infirmaria, l'infirmière, chargée du soin des malades; la Thesauraria, que nous appellerions l'Économe ou la Caissière; la Pictantiaria, la cuisinière ou mieux la réfectorière; la Cantrix, pour diriger le chant de l'office divin; etc. La charge de Maîtresse des Novices, devenue si importante dans les couvents depuis le XVIe siècle, n'existe pas au XIIe . C'est à l'abbesse qu'incombe le soin de former tout son monde à la vie et aux pratiques monastiques. Selon l'énergique expression du texte déjà cité: Parturit et enutrit filias Jerusalem in tabernaculo castitatis, c'est elle qui engendre et nourrit chacune des vierges de la Jérusalem claustrale.
  • Toutes les religieuses, quelque soit d'ailleurs leur titre, semblent jouir de droits égaux. Elles n'ont point choisi leur supérieure, avons-nous dit, mais elles ont ratifié son élection par un consentement tacite et une sorte d'enthousiasme dans l'obéissance à ses ordres. Du reste, elles prennent peu à peu conscience de leurs droits, et déjà Clémence recueille l'avis de toutes ses filles, quand il s'agit des intérêts de la communauté, des contrats à signer, des délibérations à arrêter. Ne sont-ce pas les institutions trop faibles ou en décadence, qui, sous prétexte de prudence, écartent le plus grand nombre de leurs membres, de tout ce qui touche au gouvernement des monastères? |19
  • La vie des moniales est partagée entre la prière et le travail des mains.
  • Les exercices religieux comprennent: la psalmodie de l'office divin, réglé par le bréviaire parisien du XIIe siècle, avec le chant des matines au milieu de la nuit; la messe tous les jours. La Sainte-Réserve n'est pas conservée dans la chapelle, et l'usage des Sacrements de Pénitence et d'Eucharistie n'est pas fréquent; mais les religieuses font souvent des processions, chantent et récitent chaque jour des litanies, des invocations, des antiennes et des suffrages pour les morts; elles invoquent les saints, et ont de fréquentes réunions devant les reliques, dont le trésor, commencé aux premiers jours de l'abbaye, fut considérablement enrichi par Clémence.
  • Le travail des mains est fort en honneur à l'abbaye. Avec l'entretien d'une maison considérable, sans cesse encombrée d'ouvriers, nos moniales cultivent la terre de leurs bras. Elles labourent et ensemencent, non seulement l'enclos voisin de leur cloître, mais elles ne sont ni recluses, ni cloîtrées; aussi se transportent-elles par petits groupes, qui à Draveil, qui à Lieusaint, qui au Mesnil-Racoin, et jusqu'à Invilliers et au diocèse de Chartres. Toutefois ces déplacements furent bientôt reconnus incompatibles avec les pratiques de la vie monastique, ils cessèrent peu à peu et on n'en trouve pas d'exemple après l'année 1180.
  • Notons encore que la règle empruntée en grande partie à Citeaux était très sévère. Les jeûnes y étaient fréquents; la discipline et les autres mortifications corporelles d'une pratique presque quotidienne; l'usage de la viande en était banni comme dans toute observance monastique de ce temps-là; celui des œufs était également prohibé; mais cette rigueur s'adoucit peu à peu avec le changement des mœurs, et surtout par suite des donations et des fondations, faites dans ce but, par d'innombrables bienfaiteurs.
  • C'est à une communauté ainsi organisée que préside Clémence le Loup. Aidée dans les choses extérieures par son frère Hugues, l'un des familiers de l'abbaye en attendant qu'il s'y fasse religieux, et par le prieur de Saint-Nicolas, frère |20 Isabeau, successeur de Guillaume, la jeune abbesse déploie une activité extraordinaire pour le développement et la prospérité de sa maison. Elle trouve, il est vrai, appui et protection tout autour d'elle.
  • Le roi de France, Louis VII, si bienveillant pour Hildearde, n'est pas moins favorablement disposé pour Clémence. En 1157, à la mort de Thibaut, évêque de Paris, certains revenus de l'évêché lui furent dévolus en vertu du droit de régale.
  • Pour ne pas profiter des biens de l'autel, le monarque donna à Yerres la chevecerie de Notre-Dame de Paris, d'un revenu assez considérable, à chaque vacance du siège épiscopal. Il agrandit le domaine du monastère à Pommeraie, dans la forêt d'Yveline, favorisa des échanges de biens entre les religieuses et les moines de Barbeaux, prêta son concours pour régler une difficulté survenue à Étampes, entre Nicolas Tade et l'abbaye, au sujet des biens que celle-ci tenait de Jean d'Étampes, et jusqu'à la fin, se montra le zélé protecteur du couvent, dont il avait pour ainsi dire jeté les fondements.
  • Clémence trouva aussi un précieux concours parmi les religieux ses contemporains. Nous avons déjà nommé les moines de Saint-Victor, à Paris, ceux de Notre-Dame du Val et ceux de Barbeaux. Les bénédictins de Saint-Maur des Fossés l'aidèrent également dans ses entreprises. Ces moines noirs pardonnaient facilement, semble-t-il, à leurs sœurs d' Yerres, d'avoir pris l'habit blanc et adopté une observance différente de celle des anciennes Bénédictines. D'après certaine tradition, ce fut même dans l'une des possessions de Saint-Maur, située aux environs de Chevry, en un lieu dit les Autels, que les religieuses errantes, recueillies par Étienne de Senlis, avaient trouvé un refuge, avant de s'établir à Yerres. Quoi qu'il en soit, l'abbaye eut un bienfaiteur dans Isembard 5), abbé de Saint-Maur. Il lui céda des biens et des revenus dans la Brie, à Vitri, près Paris, et dans la censive de Saint-Eloi, où |21 nos moniales possédaient déjà une maison, qu'un certain Amaufroy, boulanger, leur avait donné à l'occasion de la prise d'habit de sa sœur. Cette maison, Clémence la vendit, et pour ce faire, elle vint à Paris, accompagnée d'Isabeau de Sanliz sa prieure, et d'une autre moniale nommée Menauz, cellerière du couvent. Toutes trois reçurent l'hospitalité chez Pierre le Loup, archidiacre dê Josas, l'un des frères de l'abbesse.
  • Les évêques n'étaient pas moins dévoués au monastère que les religieux et le roi. L'archevêque de Sens, Hugues de Toucy, comme métropolitain du monastère, s'en montra le bienfaiteur insigne. Son prédécesseur, Henri Sanglier, avait déjà donné des revenus et même des églises à nos moniales; lui, ajouta de nouveaux bienfaits. Entouré de tout son clergé, il confirma d'un trait de plume à Clémence, les dîmes de Barberonville, de Jodenville, d'Ermenenville, d'Audeville, d'Orval, de Noiseville 6), etc., et il encouragea nombre de ses diocésains, à aider de leurs aumônes, les pauvres servantes du Christ. Il en fut de même de Manassé de Garlande, évêque d'Orléans, et de Guillaume de Champagne, évêque de Chartres, dont les noms se retrouvent avec un accent de reconnaissance dans les pièces du Cartulaire.
  • Toutefois une plus haute protection, celle du Souverain Pontife, avait semblé nécessaire à l'abbesse. À peine en possession de la crosse, elle avait demandé au pape Adrien IV, la confirmation de tous Tes biens et de toutes les possessions de son monastère. C'était un usage commun au moyen âge, et ces confirmations souvent répétées, fortifiaient, dans la pensée des anciens, le droit de propriété. Le Pontife s'empressa de répondre à la demande de Clémence, et par une bulle de 1157, où l'on voit, avec la signature du pape, celle de dix cardinaux, il confirme, de son autorité, toutes les donations faites à l'abbaye, et dresse la liste des principaux bienfaiteurs 7). |22
  • Quelques années plus tard, le successeur d'Adrien, Alexandre III, est en France. Au début de l'année 1164 il est l'hôte de l'archevêque de Sens, Hugues de Toucy. Profitant de la bienveillance de son métropolitain, Clémence quitte Yerres et court se jeter aux pieds du Souverain Pontife. Elle profita de l'entrevue qu'elle eût avec le chef de l'Église, pour se placer, elle, sa maison, ses biens, sous l'autorité immédiate du chef de l'Église, sans se soustraire pourtant à la juridiction des évêques de Paris. Le pape accorda différents privilèges à l'abbaye; il régla entre autres choses, qu'aucun homme 8), ni femme, après avoir fait profession à Yerres, ne pourrait, sans la permission de l'abbesse, entrer dans un autre monastère 9).
  • Les noms de tous ces grands personnages ne doivent pas nous faire oublier le rôle moins retentissant, mais non moins efficace, de tous les bienfaiteurs, dont les aumônes contribuèrent au développement et à la prospérité de l'abbaye. Ces donateurs ont droit à une large place dans l'histoire du couvent parce que, contemporains, voisins et amis de nos religieuses, leurs largesses semblent moins une aumône, un don gratuit, qu'une dette d'admiration, payée aux vertus et à l'austérité d'une communauté que chacun s'efforce de rendre florissante. |23
  • C'est d'abord Gilbert, vicomte de Corbeil, qui de l'assentiment de Mabilie, sa femme, et de son frère Ancel, donne une ferme et des dîmes, pour participer aux prières des moniales.
  • Combien elle est admirable cette nombreuse famille de Corbeil!
  • Divisée en plusieurs branches, dont les principales sont celles de Corbeil et celle du Donjon, elle fut, pendant cent cinquante ans, la providence vivante des religieuses d'Yerres, et durant cette longue période, presque tous les actes, rédigés en faveur de nos Bénédictines, portent la signature d'un et même de plusieurs fils de cette pieuse et généreuse race.
  • Ce sont ensuite les noms d'Albert de Pithiviers, de Bouchard du Coudray, de Baudouin d'Orangis, de Thibaut de Viry, d'Aubry de la Ferté et de plus de dix membres de sa famille; d'Hugues Briard 10), de cinq ou six Garlande, que nous rencontrons parmi les bienfaiteurs de l'abbesse Clémence et de ses sœurs. En un mot tous les chevaliers de la contrée ont laissé leur nom dans nos annales, et se sont signalés par quelque bienfait.
  • Si grande que fut sa sollicitude pour les choses temporelles, indispensables à l'entretien de sa populeuse communauté, ces soins n'absorbaient point toute l'activité de Clémence, et les intérêts spirituels de ses filles la préoccupaient bien davantage. Elle s'efforce d'entretenir en elles le feu sacré de l'amour de Dieu par des exercices multipliés; elle demande des reliques à différents prélats et principalement en Italie; elle contracte des associations de prières, notamment avec Saint-Victor et Sainte-Geneviève de Paris, et multiplie les suffrages pour les défunts. Ces chartes nous apprennent que pour chaque décès de religieuse, outre l'office des obsèques, on célébrait encore un service le septième et le trentième jour après la mort; de |24 plus, on récitait le psautier et toutes les moniales prenaient la discipline. Enfin, bien que ses filles soient généralement peu instruites, l'abbesse leur procure des livres, et estime ceux-ci à un si haut prix, qu'elle s'engage à faire jouir de tous les suffrages accordés à une religieuse professe décédée, certain frère Guillaume, parce qu'il a fait don des épîtres de saint Paul, à l'abbaye d'Yerres. Cet acte, écrit un peu après 1170, est le premier qui applique le titre de professe à une moniale de l'abbaye 11).
  • Le zèle déployé par Clémence fut récompensé par les faveurs du ciel. D'abord elle eut la consolation de voir son frère Hugues quitter le siècle, où il était engagé dans les liens du mariage, et embrasser la vie religieuse 12). En ce faisant, il comble sa sœur de, nouveaux bienfaits. Il lui donne notamment une rente annuelle de cent sous à prendre sur le change de Paris. Cette somme sera affectée aux usages personnels de l'abbesse, tant qu'elle vivra, et après son décès, elle tombera dans le trésor de la communauté. Les filles et les gendres du donateur, ainsi que l'un de ses frères, Guy le Loup, grand Bouteiller du roi Louis VII, ratifièrent cette donation, qui prouve que le XIIe siècle avait des idées tout à fait différentes des nôtres, sur la pratique du vœu de pauvreté, et sur la manière d'entendre le dépouillement religieux. Elles ne sont point rares, en effet, ces donations faites à des religieuses; les moniales, après leur entrée au cloître et même après leur profession, gardaient, ce semble, la libre disposition de leurs biens temporels.
  • Hugues le Loup fit encore d'autres dons au couvent bâti de ses deniers et par ses siens. Il légua à l'abbaye un vase pour porter le corps du Christ, ad portandum corpus Christi. Nos religieuses auraient-elles eu, avant le XIIIe siècle, des |25 démonstrations extérieures en l'honneur de la sainte Eucharistie, qui, nous l'avons fait remarquer, n'était pas conservée au milieu d'elles; ou bien ne faut-il voir dans ce vase, qu'un Saint Ciboire, destiné à porter la communion aux religieuses malades, retenues à l'infirmerie?
  • L'un des plus notables évènements de l'abbatiat de Clémence fut la présence, à Yerres, de saint Pierre, évêque de Tarentaise. On ne saurait dire par quel concours de circonstances il fut attiré au monastère; mais le nom de plusieurs des siens a été inscrit dans l'Obituaire du couvent. Le pieux prélat était au milieu de nos moniales, dans les premiers mois de l'année 1173. Sa réputation de sainteté fit qu'on lui amena deux sourds qu'il guérit à la prière de l'abbesse. Il toucha également un paralytique et lui rendit l'usage de ses membres, en présence des moniales stupéfaites et émues d'enthousiasme. Ce sont les seuls faits miraculeux, authentiquement établis, mentionnés dans les annales de l'abbaye. Le saint évêque mourut peu de temps après; nos religieuses inscrivirent son nom parmi ceux de leurs bienfaiteurs, et le firent suivre des noms de son père, de sa mère, appelée Sainteburge, de ses deux frères Lambert et Guillaume.
  • Mais personne n'a droit à plus de gratitude et de reconnaissance de la part des Bénédictines d' Yerres, que Maurice de Sully, la gloire de l'Église de Paris au XIIe siècle. Jeune clerc, ce grand évêque, avait déjà accompagné Étienne de Senlis à l'abbaye, et il en avait emporté bon souvenir. Devenu, en 1160, le troisième successeur d'Étienne, il témoigna bientôt à nos moniales là même bienveillance que son prédécesseur et son maître.
  • Cependant les premiers rapports du nouvel évêque avec le monastère furent empreints d'une certaine réserve, même de Quelque froideur. Une double cause avait produit ce malaise. Les droits de chevecerie exercés par l'abbesse à la mort de Pierre Lombard, prédécesseur de Maurice de Sully, amenèrent des tiraillements avec le chapitre de Notre-Dame, dont Maurice faisait partie. De plus, la persistance de Clémence à se placer sous la protection du pape, à réclamer en toute circonstance son appui, portait quelqu'ombrage à la chancellerie 26 épiscopale. Mais bientôt l'esprit large du saint prélat, admirateur sincère de la piété et de la ferveur des sœurs d'Yerres, fit cesser tout malentendu: Clémence et ses filles devinrent l'objet de sa plus tendre sollicitude.
  • Dès le début de son épiscopat, il montra un zèle éclairé pour l'augmentation des biens du monastère. Le moulin de Mézières, situé à quelques pas des murs du cloître, sur le cours de l'Yerre, occupe une assez grande place dans les annales du couvent, pour que nous fassions connaître comment il devint peu à peu le moulin de l'abbaye.
  • Hugues de la Force (de Robore) possédait la moitié de ce moulin, qu'il donna au monastère, de l'aveu d'Estienne Flaminge, son frère, sur le conseil de l'évêque de Paris; et le prélat persuada encore aux moines de Chaumes 13), possesseurs de l'autre moitié, de la céder à l'abbesse Clémence, qui leur donna, en retour, tous ses droits, sur une ferme voisine de leur cloître et une prairie à Yarennes.
  • Même intervention bienveillante de la part de Maurice de Sully, pour concilier un différend, survenu entre l'un de ses clercs et l'abbaye, touchant des biens sis à Drancy 14), et pour faciliter un échange entre Yerres et les religieux de Saint-Victor. Par cet acte, conclu sous la signature de Jean de Corbeil et de Frédéric du Donjon, deux amis de l'abbaye, celle-ci devint propriétaire de la ferme de Sénart, en cédant à Saint-Victor de menus biens à Villiers 15) en Beauce, à Athis et ailleurs.
  • Maurice de Sully eut bientôt une autre occasion de rendre un signalé service à sa chère abbaye d'Yerres. Au nombre des premiers bienfaiteurs avait pris place la puissante famille de Chevreuse; mais le temps qui modifie tout avait changé le |27 cœur et les sentiments des descendants. Un membre de cette famille, nommé Albert de Chevreuse (de Capra aurea) était en discussion violente avec l'abbaye, à cause du bois et de la terre du Plessis (de Plassiaco). Comme il remplissait certaines charges auprès de l'évêque, le prélat s'efforça de l'amener à composition, car il causait de graves ennuis et de grands dommages aux infortunées religieuses. Clémence lui pardonna tous ses torts, et lui versa en outre vingt-cinq livres, somme considérable pour l'époque. De son côté Albert de Chevreuse 16) promit de ne plus troubler le monastère dans sa jouissance, et de faire agréer cet arrangement par ses sœurs. Cet acte, daté de 1169, fut signé au palais épiscopal, à Paris, par vingt-deux témoins, au nombre desquels nous remarquons les oncles et le beau-frère d'Albert de Chevreuse; un certain Pierre l'Ermite, archidiacre de Soissons; Jean, le neveu de Maurice de Sully; puis deux religieuses d'Yerres, Isabelle, la prieure, et Rosceline, la portière; enfin les frères Oger et Odon, signataires de presque tous les actes intéressant le temporel de l'abbaye.
  • Nous sommes loin d'avoir épuisé la nomenclature des actes de bienfaisance, aidés ou provoqués par Maurice de Sully, car il nous faudrait nommer encore les donations d'Adam et de Godefroy Piper, qui lèguent des biens à Chanteloup, sous la signature de Thierry, premier curé d'Yerres connu, très en faveur auprès des moniales ses paroissiennes; — celle de Galeran de Vie, qui donne quelques biens à Lieusaint; — celle de Mathieu d'Athis, qui donne des rentes à Clamart; — celles de Guy et de Milon d'Attilly. Le premier donne quarante arpents de bois à Chalandrey; le second du blé à prendre chaque année à Cocigny ou Cossigny, à l'occasion de l'entrée de ses deux filles en religion; l'une prend le voile |28 immédiatement; l'autre ne le prendra que dans cinq ans, parce qu'elle est trop jeune; — celle de Manassès d'Évry, qui donne deux septiers de blé à prélever annuellement, sur sa terre d'Évry; — celle d'Hecelin de la Porte et de Guillaume Fuselier, qui lèguent aux moniales leurs biens sis à Charonne; — celle de Béatrix de Pierrefonds et de sa fille Agathe, qui donnent tout ce qu'elles possèdent à Bagneux; — celle de Gilbert du Perray et de sa femme Ivise, qui donnent un muid de blé, à l'occasion de la prise de voile de leur fille 17).
  • Ce ne sont pas seulement les donations qui attirent l'attention et la bienveillance du prélat, ce sont encore les transactions et les accords, pour le maintien de la paix entre l'abbaye et les étrangers. Tel est le but de son intervention entre les religieux de Saint-Magloire et Clémence. Pour régler ce différend, l'abbesse vint à Paris, accompagnée des sœurs Adeline et Pétronille, religieuses à Yerres. Il s'agissait, pour les deux monastères, d'intérêts communs, dans un moulin sur la Seine, légué à l'abbaye par une bienfaitrice nommée Genta; — entre les Hospitaliers de Corbeil et la maison d'Yerres touchant des biens à Draveil 18). L'évêque, cette fois, est aidé dans sa mission conciliatrice par Jean de Corbeil et sa fille Eustachie; — enfin entre Pierre de Chanteloup et la maison d' Yerres, au sujet de la dîme des bois de l'abbesse.
  • Maurice de Sully ne se contente pas d'assister de loin ses chères filles d'Yerres; il vient parfois les visiter, et le Cartulaire a gardé la trace d'un pittoresque voyage que le prélat |29 fit en 1173. Sans doute, il visitait alors son diocèse, car il arrive au cloître, entouré de toute sa maison épiscopale: vingt-cinq personnes au moins, toutes à cheval, font invasion au monastère. On y voit Gautier, le chapelain du prélat; Guibert, son écuyer; son cuisinier; son boulanger ou pâtissier; son maréchal; puis des prêtres, des diacres, des sous-diacres, des moines, des chevaliers, comme Guillaume de Courtry, Baudouin d'Orangis, et beaucoup d'autres, et alii quam plures. Tout ce monde entre au chapitre, où la communauté est réunie, pour entendre l'exhortation faite par l'évêque à toutes les moniales. On couche à l'abbaye, et le lendemain nouvelle réunion au chapitre, où les étrangers sont introduits; parmi les hôtes nous remarquons Asseline, vicomtesse de Corbeil, qui profite de la circonstance, pour faire à la communauté, une large aumône en grains, à prélever chaque année, sur sa ferme de Maisse 19).
  • L'évêque de Paris n'était pas seul à témoigner une grande bienveillance aux Bénédictines d'Verres. Son métropolitain lui en donnait l'exemple. Guy des Noyers continuait à Sens les traditions de ses prédécesseurs. Ayant appris que le sceau d'une des chartes d'Hugues de Toucy s'était rompu, il s'empressa de faire rédiger un nouveau document, où il nous apprend que la dîme d'Amerbois (Amaro basco) était tenue par Téo de Buno; que la dîme de Chosel avait été donnée par André de la Ferté; celles de Neuville et des Portes par Adam de Challey. Cet acte fut signé à Paris en 1177, dans le palais épiscopal, où l'archevêque recevait l'hospitalité de son suffragant.
  • Clémence était l'âme de toutes ces donations et de tous ces contrats. Elle devait s'occuper en outre du gouvernement intérieur de sa maison et du recrutement de sa communauté. Nous ne connaissons d'une manière certaine qu'un petit nombre des religieuses entrées à l'abbaye pendant le XIIe siècle; mais il est incontestable que le personnel y était fort nombreux et se renouvelait souvent, car les pauvres moniales n'y atteignaient qu'exceptionnellement la vieillesse. Usées par |30 les travaux, les austérités, les privations d'une vie rude et pénitente, elles affichaient encore le mépris complet des règles les plus élémentaires de l'hygiène. Passant leur vie dans une vallée humide, au milieu de brouillards presque continuels, elles étaient encore mal nourries, mal vêtues, et entassées plutôt que logées, entre des murs nouvellement bâtis, où elles manquaient des soins les plus indispensables à la santé. Aussi, en consultant avec attention le nécrologe, on est en droit d'affirmer que chez elles la moyenne de la vie n'atteignait pas cinquante ans.
  • L'abbesse Clémence le Loup fut victime de cette organisation plus que défectueuse. Elle s'éteignit prématurément, en 1180 20), à l'âge de quarante-cinq ans, après avoir gouverné l'abbaye pendant vingt-six ans environ. Avec elle finit l'âge héroïque du monastère.
  • En descendant au tombeau, si elle put jeter un regard en arrière et contempler son œuvre, elle dut être satisfaite, car elle laissait sa famille monastique dans une situation prospère. L'excellente réputation de l'abbaye s'étendait au loin; ses moniales, pieuses et régulières, se conciliaient les sympathies de toutes les âmes ferventes et généreuses. En un demi-siècle, elles avaient obtenu le patronage de cinq ou six églises, avaient relevé de leurs ruines deux monastères: celui de Gif, et celui de Saint-Remi de Senlis ; malgré cela leur nombre s'était encore accru, elles pouvaient envisager l'avenir avec confiance.
  • Hugues le Loup, le frère et le plus actif collaborateur de Clémence, l'avait précédée dans la tombe de quelques années; et le roi Louis VII, autre bienfaiteur insigne de nos moniales, mourut presqu'en même temps que la seconde abbesse d'Yerres.

Documents

Sources

Bibliographie

Notes

1)
Note d'Alliot — Voici clairement établie, d'après des notes manuscrites, la filiation de Clémence. — Berthold de Senlis vivait au temps de Hugues Capet. Un de ses descendants, nommé Guy de Senlis de la Tour, seigneur de Chantilly, d'Ermenonville, de Drancy, de Villepinte, de Bray-sur-Onette, eut de sa femme, Berthe, une nombreuse postérité. Entre autres enfants, nous connaissons Étienne de Senlis, évêque de Paris, et son frère Guillaume, surnommé le Loup. De Guillaume le Loup naquirent Clémence, abbesse d'Yerres. Hugues le Loup et ses frères nommés dans ce chapitre. On voit par là que Clémence était la nièce de Étienne de Senlis, et aussi la nièce ou la cousine de l'abbesse Hildearde.
2)
Note d'Alliot — Dès l'origine, celles-ci portaient au doigt un anneau, en signe de leur mariage mystique avec l'Époux céleste.
3)
Note d'Alliot — Les Tiers-Ordres Religieux ne prirent naissance qu'au XIIIe siècle, sous la double inspiration de Saint-Dominique et de Saint-François.
4)
Note d'Alliot — Témoin cette Jeanne, épouse de Josbert Briard. Elle ne prit sans doute l'habit qu'au moment de mourir, mais elle était à l'abbaye du vivant de son mari. Ensemble, ils donnèrent aux religieuses le moulin de Fenevielle, près de Corbeil. — Au courant du XIIe siècle, on retrouve plusieurs fois ce nom de Josbert Briard parmi les bienfaiteurs insignes du monastère; mais, chaque fois, le nom de l'épouse est différent: ici, elle se nomme Jeanne, là, Aveline, ailleurs, Voisine, Vicina, preuve qu'il s'agit de trois personnages différents de la même famille.
5)
Note d'Alliot — Le nom d'Isembard ne se trouve pas dans la liste des abbés de Saint-Maur, dressée par le Gallia; mais tout le monde sait combien ces listes des savants Bénédictins sont incomplètes et fautives. D'ailleurs, ce nom se lit en tète d'un document d'une authenticité inattaquable, c'est pourquoi il doit prendre rang parmi les abbés de Saint-Maur au XIIe siècle.
6)
Note d'Alliot — Un certain nombre de ces noms ont pu être estropiés par les copistes, ou leur orthographe s'être modifiée avec le temps, mais ils se retrouvent pour la plupart dans les environs de Pithiviers.
7)
Note d'Alliot — L'acte pontifical débute par un pompeux éloge de la piété et de la régularité des religieuses d'Yerres, qui, après avoir rejeté tous les biens de la terre pour s'attacher au Créateur, brûlent du seul désir des choses célestes et remplissent |22 leur vie de bonnes œuvres. Le pape affirme que ses prédécesseurs, Innocent II et Eugène III, ont déjà accordé leur protection à nos moniales, et qu'il ne fait que suivre leur exemple, en les mettant, ainsi que leurs biens, sous le patronage de Saint-Pierre et du Pontife romain. Enfin, il dresse la nomenclature des principales possessions de l'abbaye, en nommant les premiers donateurs, et constate que cinq églises paroissiales ont été données au monastère, celles de Villabé, d'Évry, d'Yerres, de Lieusaint, et des Autels [Ce lieu, comme nous l'avons dit, a disparu. On sait seulement qu'il était placé entre Tournant et Chevry. deux localités du département de Seine-et-Marne. L'évêque de Paris y avait peut-être une maison de campagne, où plusieurs des religieuses qui fondèrent Yerres, vécurent durant quelque temps, avec des secours fournis par Ascelin, abbé de Saint Maur, possesseur d'une partie du territoire voisin.], de Altaribus avec la dîme de ces paroisses et de plusieurs autres.
8)
Note d'Alliot — C'est-à-dire qu aucun des religieux du prieuré de Saint-Nicolas ne pourrait en sortir pour aller ailleurs.
9)
Note d'Alliot — Par un autre acte, daté d'Étampes, Alexandre III donne une nouvelle preuve de sa sollicitude envers les religieuses d'Yerres, et il les défend contre les tracasseries que leur suscitent les moines de Saint-Magloire à Paris.
10)
Note d'Alliot — Cette famille Briard ne le cédait guère en générosité à celle de Corbeil. Pendant plus d'un siècle, le nom de ses représentants est mêlé aux annales de l'abbaye. L'obituaire d'Yerres fait en particulier l'éloge de Josbert Briard et de sa femme Aveline. Celle-ci vivait de privations, et en mourant elle légua à la maison d'Yerres des dîmes à Evry et à Mardillv. un muid de blé à Chaintreau, plus 40 # parisis d'argent. Aussi nos moniales, reconnaissantes, célébraient-èlles chaque année son anniversaire avec une grande solennité.
11)
Note d'Alliot — Déjà, Adrien IV, dans la bulle de 1157, parlait des religieuses professes de l'abbaye, mais cette qualification ne s'était point encore rencontrée dans les documents émanés du couvent.
12)
Note d'Alliot — Hugues le Loup ne se fit religieux qu'à la fin de sa vie et sous l'empire d'une grave maladie, pour participer plus largement aux suffrages des religieuses. Il était marié à une femme, nommée Adeline, qui lui avait donné un fils, nommé comme lui Hugues. Après la mort de son mari, Adeline épousa en secondes noces Roger la Pie.
13)
Note d'AlliotChaumes. — Vieille abbaye de Bénédictins, située non loin d'Yerres.
14)
Note d'Alliot — Grâce au Cartulaire, nous pouvons dire comment le couvent d'Yerres était devenu propriétaire à Drancy, près Paris. Ce fut Guillaume le Loup, le propre père de Clémence, qui, du consentement de ses deux fils,' Guy et Hugues, ainsi que de sa femme, Adeline, donna, par l'entremise d'Étienne de Senlis, les dîmes de cette paroisse à l'abbaye, où sa fille devait bientôt porter la crosse.
15)
Note d'AlliotVilliers-en-Beauce. — Paroisse aujourd'hui détruite et réunie à celle de Bouville, cant. et arr. d'Étampes (S.-et-O.).
16)
Note d'Alliot — Cet Albert de Chevreuse, ainsi que Payen Darrion et Gilbert de Sarries, ses oncles, ont échappé au savant historien de la famille et de la ville de Chevreuse, M. Moutié, qui ne les nomme même pas; aussi, avons-nous conservé quelques doutes sur l'authenticité de ces personnages, et nous nous demandons s'il ne s'agirait pas d Albert de Chevry, au lieu de Chevreuse, ou même d'Albert de Montchevreux, trois familles, dont les membres furent en rapport avec l'abbaye au XIIe siècle. M. Mévil le nomme, on ne sait pourquoi, Albert Chèvre d'Or.
17)
Note d'Alliot — Outre l'intérêt que toutes ces donations présentent pour l'histoire de l'abbaye. les chartes qui les rapportent renferment encore de précieux renseignements sur la filiation de toutes les familles de la contrée au moyen âge. Elles nous apprennent que les trois frères Baudouin. Oger et Odon d'Orangis, sont issus de la famille de Corbeil. — que Frédéric du Donjon est l'oncle de Jean de Corbeil. — que Jean et Philippe d'Athis sont les neveux de Thibaut de Viri, — que Milon d'Attilli a un fils nommé Raoul. — que Hugues et Godefroy de Chanteloup sont fils de Pierre du même nom. — que Raoul Marchand avait deux frères: Ébrard Marchand et le comte Henri, ainsi qu'un fils nommé Guerric, etc. — Bien entendu, nous n'avons point épuisé la liste des actes passés à la chancellerie de Maurice de Sully en faveur de l'abbaye; nous nous en sommes tenu à ceux qui nous ont paru les plus importants.
18)
Note d'Alliot — Ces biens de Gravois, sis à Draveil. avaient été donnés à deux lépreux, Thibaut et Gautier Fochère. qui les avaient transmis aux Hospitaliers.
19)
Note d'AlliotMaisse. — Cant. de Milly, arr. d'Étampes (S.-et-O.).
20)
Note d'Alliot — On ne s'explique pas que M. Mévil la fasse mourir en 1177, car cette date est en contradiction avec sa propre chronologie.
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