Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Janine Bouissounouse

Petit tourisme: Étampes et Montlhéry (1935)

1. Transcription

Étampes et ses femmes, et Montlhéry et ses mauvais garçons

  • La région qui s'étend de la porte d'Orléans aux taillis de la Sologne est sans doute une des moins explorées et des plus surprenantes. On la dédaigne pour les forêts de Fontainebleau et de Rambouillet qui l'encadrent. On la traverse, mais, on ne s'y arrête pas.
  • Aucun château célèbre, aucune ruine grandiose n'attire le visiteur, tout y est moyen, atténué même le pittoresque. C'est la campagne et seulement cela, mais ça vaut bien, en somme, la peine d'être vu.
  • Si l'on vous avait bandé les yeux et que vous les ouvriez dans la première ville où stoppe l'autocar vous jureriez avoir dormi et roulé un jour entier.
  • La première ville s'appelle Longjumeau. On connaît son Postillon mis en musique par Adolphe Adam, mais ce n'est pas seulement une opérette, c'est aussi ce gros bourg où fut signée, pendant les guerres de religion, une paix dite boiteuse; il n'a guère changé depuis. On a élevé un monument au musicien, devant la mairie; on a cloué une plaque sur la façade de la maison où la paix fut conclue. La bonne ville n'a rien de plus à vous offrir, mais on peut jeter un coup d'œil en passant sur le beau portail de son église.
  • Tout de suite après le marché on aperçoit déjà la Tour de Montlhéry qui domine — pas de très haut: — toute la plaine environnante. Dans ce pays, dont elle est l'orgueil, on dit “la Tour”. C'est un point de repère. Où qu'on soit, on la cherche des yeux dans la brume, comme on cherche ailleurs la Jungfraü ou le mont Blanc. On sait — et on le dit — que Louis XI livra bataille au pied de cette respectable ruine qu'on fait visiter les jeudis et dimanches aux écoliers. On sait moins — en tout cas on ne le dit pas — qu'elle fut pendant le moyen âge le repaire d'une dynastie de mauvais garçons qu'on appelleraient aujourd'hui des gangsters.
  • C'est Hugues Capet qui, en récompense de je ne sais quel service, donna la seigneurie de Montlhéry à un certain Thibault, appelé plus couramment File Étoupe. File Étoupe y bâtit non seulement sa tour, mais un solide château, à cinq enceintes de murs épais, se dominant lune l'autre; une forteresse imprenable et facile à défendre. Se sentant fort il voulut devenir riche, et imagina tout simplement de rançonner les voyageurs. Il surplombait une des routes les plus fréquentées du royaume. Il décréta que pour passer devant chez lui on devrait acquitter certain droit. Les voyageurs, et le roi comme les autres, furent obligés de se soumettre. Les héritiers de File Étoupe vécurent aussi de cette pratique. Un des plus redoutés se nommait d'un joli nom de troubadour, Guy Troussel, qu'on pourrait traduire par le “Détrousseur”. Le dernier qui fit parler de lui fut Hugues de Crécy. Celui-là, après avoir étranglé un de ses cousins et jeté sans façon son corps par la fenêtre, éprouva le besoin de confesser son crime. Puis il céda sa tour au roi et se retira dans un couvent. La route, dès lors, fut libre…
  • Les gangsters de Montlhéry auraient fait une brillante fortune aujourd'hui, car leur route est plus fréquentée que jamais depuis qu'on a construit l'autodrome entre Montlhéry et Linas. Pendant les dimanches de la belle saison les voitures y grimpent en file indienne et presque au ralenti.
  • Un peu plus loin, c'est l'abbaye de Longpont, célèbre par son pèlerinage de septembre, un peu à l'écart le vieux Marcoussis entre ses champs de tomates, de fraises et de violettes.
  • Toute la région abonde en légumes et en fruits que transporte à Paris ce petit train fantôme qu'on rencontre la nuit aux environs des Halles. Les Parisiens qui le connaissent bien ne l'ont jamais vu sous le soleil. S'ils venaient par ici ils pourraient le contempler dans toute sa gloire, crachant bien haut sa fumée, sifflant de toutes ses forces, s'en allant comme un fou le long de la grand'route, traversant les villages, arrêtant piétons et carrioles, faisant vaillamment ses 20 kilomètres à l'heure.
  • II vient d'Arpajon, connue surtout par la fameuse “Foire aux haricots” qui se tient chaque automne dans ses murs.
  • Étampes, couleur d'ardoise, est une longue, longue ville, paresseuse, à moitié endormie, qui s'étire à n'en plus finir entre les coteaux qu'arrosent la Juine et des ruisseaux aux noms d'oiseaux: la Louette et la Chalouette. Malgré le bruit de son champ d'aviation elle ne se réveille tout à fait que les jours de marché et le dimanche, à l'heure des messes, que carillonnent toutes ses cloches.
  • La tour Guinette, en pénitence sur sa colline, médite mélancoliquement sur son glorieux passé: Étampes est une ville de femmes. Philippe-Auguste y enferma, pendant treize ans, la malheureuse Ingeburge, princesse danoise qu'il avait répudiée le lendemain de ses noces.
  • François Ier donna Étampes en dot à sa maîtresse, la belle Anne de Pisseleu, quand il résolut de la marier. Le mari, Jean de Brosse, devint duc d'Étampes par alliance. Plus tard, Étampes passa ensuite à Diane de Poitiers, la vieille Égérie de Henri II.
  • Les maisons qu'habitèrent les deux favorites sont encore debout: la Caisse d'Épargne s'est installée dans celle de Diane, et dans l'autre une épicerie. Les églises d'Étampes, Saint-Basile, Saint-Martin avec sa tour penchée, et Notre-Dame-du-Fort, valent d'être regardées.
  • On visite la tour Guinette, mais à condition de ne pas craindre le vertige et de sauter lestement d'échelle en échelle, car il n'y a plus trace d'escaliers. Je conseille de laisser aux acrobates ce plaisir et d'aller plutôt s'asseoir dans le petit jardin dont le gardien vous donne la clef. On jouit, de là, d'une vue magnifique sur la ville et la vallée.
  • Philippe Auguste, qui rôda beaucoup dans ces parages, construisit à côté Dourdan: La forteresse qui soutint plusieurs sièges pendant la Guerre de cent ans, montre encore aujourd'hui les moignons de ses tours et un donjon qu'on visite, celui-là, sans courir aucun risque. II servit de prison à Le Heré, le compagnon de Jeanne d'Arc.
  • Propriété de la couronne, Dourdan fut à plusieurs reprises comme un bijou de famille ou une vulgaire pendule, mise au Mont-de-Piété (si l'on peut parler ainsi d'une ville…) Dans les années difficiles, les rois à court d'argent mettaient Dourdan en gage, elle passait ainsi entre les mains des créanciers…
  • Si l'on prenait goût à cette campagne, on pourrait pousser jusqu'à Pithiviers, célèbre par ses pâtés, ou Orléans, la ville de la Pucelle… — Janine Bouissounouse.

2. Scan

Bibliographie

  • Janine Bouissounouse, “Petit tourisme: Étampes et Montlhéry”, L'Intransigeant 56 (5 mai 1935) 2.
hn.j.bouissounouse.1935a.txt · Dernière modification: 2023/09/05 03:55 de bg