Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Justin Bourgeois

Mémoire sur la pustule maligne, spécialement sur celle qu'on observe dans la Beauce

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  • MÉMOIRE SUR LA PUSTULE MALIGNE, SPÉCIALEMENT SUR CELLE QU'ON OBSERVE DANS LA BEAUCE;
  • Par J. Bourgeois, docteur en médecine de la Faculté de Paris, ancien interne lauréat des hôpitaux de la même ville, médecin en chef de l'hôpital et médecin des épidémies de l'arrondissement d'Étampes.
  • Il est peu de maladies dont la connaissance importe plus que la pustule maligne aux médecins et même aux personnes étrangères à l'art. Son apparente bénignité dans le principe, où elle peut être prise pour le bouton le plus inoffensif; ses dangers, qui sont tels que, si l'on ne se hâte d'en arrêter les rapides progrès, elle amène la mort dans la majorité des cas; les méprises dont elle peut être le sujet de la part des médecins des villes, qui ont souvent à peine l'occasion de l'observer dans la plus longue pratique; les idées erronées répandues sur cette affection parmi les habitants des campagnes et chez certains artisans sur lesquels elle sévit plus spécialement; les vicieuses méthodes thérapeutiques qui lui sont opposées, surtout par les médicastres ignorants chargés principalement de son traitement; toutes ces considérations semblent devoir appeler une attention particulière sur l'histoire de la pustule maligne.
  • Il faut venir jusque passé le milieu du siècle dernier pour trouver une description reconnaissable de la pustule maligne. Antoine Joseph Monfils, médecin à Vesoul, donna, en 1776, sur cette affection une notice assez bonne, quoique trop courte, insérée dans l'ancien Journal de médecine. Bientôt après, Saucerotte, Énaux et Chaussier, en publièrent des descriptions plus détaillées. Le mémoire de ces deux derniers auteurs, remarquable, il faut le dire, à beaucoup d'égards, a fourni le canevas de toutes les publications qui ont été faites sur ce sujet depuis eux. |173|
  • Ce qui m'a décidé à publier les observations que j'ai pu faire sur cette affection, observations qui résultent de l'examen de plusieurs centaines de cas de pustule maligne, c'est qu'elles sont, sur certains points, en désaccord avec les descriptions qu'on en trouve dans les livres: j'ai remarqué qu'en général, les détails essentiels sont souvent omis, que certaines formes sont entièrement passées sous silence, et que presque tous les auteurs ont glissé légèrement sur la partie essentielle dans toute maladie, je veux dire le traitement.
  • Contrairement aux idées reçues, je divise la marche de la pustule maligne eu deux périodes: la première, que j'appelle locale, consiste dans le travail morbide qui se passe dans le lieu où a été déposé le venin; la seconde, que je nomme l'absorption, comprend tous les phénomènes qui se succèdent depuis l'introduction du virus dans l'économie jusqu'à la terminaison du mal, quelle qu'elle soit.
  • Je crois avoir le premier signalé une variété très-trompeuse de l'affection charbonneuse, que j'appelle œdème malin des paupières, œdème évidemment de même nature que la forme principale de la pustule maligne; variété qui ne commence pas par un bouton comme celle-ci, mais par un gonflement œdémateux qui ne tarde pas à revêtir tous les autres caractères du charbon. La cautérisation que je mets en usage est différente aussi, au moins dans son application, de celle conseillée généralement. Au reste je mentionne avec autant de détails que possible dans le cours de ce mémoire tout ce qui peut s'y éloigner de la description habituellement donnée.
  • Mon but en publiant ces recherches n'a pas été de faire un traité ex professo, une monographie complète de la pustule maligne, mais bien, comme je l'ai dit plus haut, de donner le résultat des faits pratiqués que j'ai été à même d'observer; j'y ai joint un certain nombre d'histoires particulières destinées à éclairer la description de cette maladie: je les ai choisies autant que possible parmi celles qui présentaient les |174| diverses phases et les principales formes de l'affection. J'aurais sans doute pu en donner un bien plus grand nombre, mais il a fallu me borner dans la crainte d'allonger par trop cet opuscule, et j'ai préféré exposer ces observations avec tous les détails nécessaires pour que ce mal pût être facilement reconnu.

§ I. Observations particulières.

  • Obs. I — Le nommé Gandil, marchand de peaux, fut atteint, dans l'été de 1834, d'une pustule maligne à la partie supérieure de la tempe gauche. Cet homme vint me consulter deux ou trois jours après l'apparition de son mal. La pustule était large comme un centime, y compris la tumeur charbonneuse qu'elle surmontait; l'eschare, déprimée, n'avait guère que 3 à 4 millimètres; il n'existait pas de gonflement aux environs. Le malade se plaignait d'un peu de céphalalgie, de malaise; le pouls était fréquent, assez plein, mais mou. (Cautérisation dépassant la tumeur de quelques millimètres et pratiquée jusqu'au sang; eau de groseille; pédiluves sinapisés; diète; repos au lit; application décompresses d'eau de sureau.) — Le lendemain, un cercle continu, vésiculeux, grisâtre, s'est formé autour de l'eschare; un gonflement indolent, de volume médiocre, s'est développé à la région temporale; forte céphalalgie; pouls plus fréquent que la veille, toujours mou; inappétence; le soir, délire furieux, soif vive, peau brûlante; cautérisation du bourrelet vésiculeux dès le matin. (Application de 12 sangsues à la mastoïde du côté correspondant 1); potion éthérée avec addition d'un gramme de calomel; sinapismes aux extrémités inférieures.) — Le lendemain, les accidents cérébraux deviennent de plus en plus prédominants, et le malade succombe dans la nuit du cinquième jour, à partir du commencement de la maladie, sans que la tuméfaction ait dépassé la tempe du malade, et sans que l'eschare se soit agrandie. L'ouverture du corps ne fut pas pratiquée.
  • OBS. II. — Le nommé Bailly, âgé de 14 ans, de la commune de Brières-les-Scellés2), berger de profession, est pris, le 6 juillet 1840, deux jours après avoir dépouillé plusieurs moulons morts du sang, d'une démangeaison à la base du pouce droit. Bientôt survient un |175| petit bouton brun, vésiculeux, qui s'élargit pendant deux jours; au bout de ce temps, il s'y joint un gonflement médiocre, un peu douloureux. Le 10, le malade se présente à moi dans l'état suivant: une tache noire, irrégulièrement arrondie, molle, et recouverte encore de l'épiderme épaissi, existe en arrière de l'extrémité supérieure de la première phalange du pouce; une tuméfaction pâle, indolore, accompagnée de chaleur, s'étend autour de la région thénar jusqu'à la base du premier métacarpien. L'articulation du poignet est douloureuse, et une traînée rouge se remarque au-devant de l'avant-bras. Pouls Un peu accéléré; appétit conservé; sentiment de malaise commençant. (Cautérisation jusqu'au sang avec la potasse caustique; application d'un morceau d'amadou; compresses d'eau de sureau; soupe pour nourriture.) — Le 11, l'eschare est environnée d'un cercle grisâtre peu saillant. (Même prescription, un peu plus de nourriture.) — Le 12, le bourrelet est effacé, la tuméfaction a diminué. Appétit excellent, plus de malaise. Le malade reprend son train de vie ordinaire, et la plaie se cicatrise au bout deux ou trois semaines, sans accidents.
  • OBS. III. — Le nommé Langevin, garçon boucher, âgé de 14 ans, tue et ouvre un taureau malade, le 22 juillet 1840. Deux jours après, il est pris d'une démangeaison brûlante au dedans et au bas de l'avant-bras droit, et au milieu de sa face antérieure il s'y forme bientôt deux petits boutons accompagnés d'un léger gonflement. Je le vois le 27 juillet, trois jours après le commencement de son mal; il est dans l'état suivant: deux taches brunes, sèches, dures, existent sur les points indiqués; elles sont entourées d'un cercle de vésicules assez petites, jaunâtres; chacune d'elle repose sur une tumeur de l'étendue d'un liard, arrondie, un peu saillante, qu'on sent pénétrer dans les chairs en la palpant; la peau qui environne le bouton est d'un rouge brun; un gonflement indolent, un peu chaud, dur et pâle, s'étend à plusieurs centimètres de chaque bouton. Pouls fréquent, mou et plein; faiblesse générale, moiteur, inappétence; nausées, somnolence. (Cautérisation de chaque tumeur jusqu'au sang dans la largeur d'une pièce de deux liards. Je laisse un petit morceau de potasse, gros comme une forte tête d'épingle, dans chaque trou. Compresses d'eau de sureau aiguisée d'eau-de-vie camphrée; eau de groseille; repos au lit; diète absolue.) — Le 28, les eschares, assez larges, sont entourées toutes deux d'un cercle grisâtre, vésiculeux, sans phlyctènes; le gonflement s'étendait en haut jusqu'au milieu du bras, et en bas jusqu'au poignet, il se termine |176| abruptement à ces limites. Sommeil toute la nuit; céphalalgie; pouls fréquent, toujours mou; urines rares et citrines, sans dépôt; pas d'appétit ni de soif. (Même prescription que la veille; pas de nouvelle cautérisation.) — Le 29, légère diminution du gonflement. Les bourrelets vésiculeux s'affaissent; les forces se relèvent un peu le malade se lève une partie de la journée; un peu d'appétit. (Potages. Mêmes applications topiques.)— Le 31, les eschares commencent à se cerner; plus de cercle vésiculeux; l'avant-bras reprend son volume ordinaire, la peau en est jaunâtre et un peu ridée. Ce jeune homme recommence à se livrer à ses travaux et à son train de vie ordinaire. Les plaies résultant des eschares guérissent au bout d'une quinzaine de jours, sans fournir presque de suppuration.
  • OBS. IV. — Le nommé Happart, charretier,demeurant en la commune de Morigny, pansant depuis quelques jours un cheval atteint d'un mal au fourreau, dont il n'a pu me dire la nature, fut pris d'un prurit, accompagné de chaleur, au-devant de l'avant-bras gauche et à l'épaule correspondante. Le lendemain, 28 juillet 1840, il se présente à moi dans l'état suivant; sur les parties indiquées, on voit un point saillant, d'un rouge foncé, analogue à une piqûre de puce. Ces petites taches sont environnées d'un cercle de vésicules jaunâtres, entières, reposant sur une tumeur saillante, rosée, le tout présentant un diamètre de 7 à 8 millimètres. Il y a à peine de gonflement. La tumeur inférieure envoie une traînée rouge, prononcée, douloureuse, qui gagne la partie inférieure du coude. L'état général est très-bon, abstraction faite d'un peu de faiblesse. (Cautérisation des deux tumeurs jusqu'au sang; eschares larges de 1 centim.; compresses d'eau de sureau; soupes pour aliments; repos.) — Le lendemain 29, les eschares, sèches et déprimées, se confondent avec les téguments vivants; appétit; plus de malaises; le malade reprend ses occupations et son régime de vie; les eschares se séparent après trois semaines, sans supuration.
  • OBS. V. — La femme Tourneville, après avoir travaillé, le samedi, dans une auberge où son mari était garçon d'écurie, et où on recevait beaucoup de bestiaux, est prise, le mardi suivant, d'une vive démangeaison accompagnée de cuisson au-devant de l'oreille gauche. Elle découvre en ce point un petit bouton qu'elle écorche; diminution de la sensation pendant plusieurs heures. Le mercredi, deuxième jour après l'apparition de la vésicule, la chaleur y est |177| si vive, qu'étant à laver à la rivière, elle imbibe continuellement son mal avec de l'eau fraîche. Le soir, un gonflement se manifeste, elle vient me consulter le jeudi 30 juillet 1840, et je constate chez elle ce qui suit: Au devant du tragus, du côté gauche, on reconnaît une tache brune et sèche, irrégulièrement arrondie, de 5 millimètres de diamètre. L'épiderme recouvre encore le derme mortifié, sans y adhérer. Autour de l'eschare existent quelques vésicules isolées qui ne l'entourent point régulièrement. La tumeur charbonneuse, du double de diamètre de l'eschare, est un peu élevée et s'enfonce profondément dans les chairs. Toute la région parotidienne, les environs de l'angle maxillaire, offrent une tuméfaction dure au centre, molle à la circonférence, sans changement de couleur à la peau ni chaleur anormale: en bas, cette tuméfaction gagne le milieu du cou; en haut, elle s'étend jusqu'au cuir chevelu où elle cesse brusquement. Pouls fréquent, mollasse, plein, régulier; frissons; langue sèche et sale, céphalalgie, faiblesse, inappétence. (Cautérisation assez profonde de la tumeur charbonneuse; fomentations avec eau de sureau animée d'eau-de-vie camphrée; pédiluves, lavement; eau de tilleul et de groseille; repos au lit; diète absolue.)
  • Le 31, de nouvelles vésicules isolées se sont formées autour de l'eschare; la paupière gauche participe un peu au gonflement; du reste, même état en général. (Même prescription, sans nouvelle cautérisation.)— Le 1er août, des vésicules se reproduisent encore sans changement dans le gonflement ni dans l'état général. (Même prescription.) — Le 2, affaissement des phlyctènes, diminution du gonflement, retour de l'appétit, plus de fièvre. (Potages, eau rougie.) — Tout rentre peu à peu dans l'état naturel. La plaie est assez longue à cicatriser, en raison de nombreux bourgeons charnus qui s'y forment, et que je suis obligé de réprimer avec le nitrate d'argent.
  • OBS. VI. — La femme N…. âgée de 40 ans, n'ayant chez elle que des bestiaux bien portants, et n'en ayant pas soigné d'autres depuis longtemps, est prise, le 5 août 1840, de démangeaison cuisante au devant de la partie inférieure de l'avant-bras droit. Elle y aperçoit une petite vessie jaunâtre, qu'elle ne tarde pas à écorcher en se grattant; diminution de la démangeaison pendant plusieurs heures; cette sensation reparaît bientôt, et les parties malades se tuméfient. Je la vois le 7 août, et la trouve dans l'état suivant; Sur le milieu et au bas de la face antérieure de l'avant-bras, on reconnaît un petit bourrelet de vésicules jaunâtres, dont le centre |178| est déprimé, sec et dur, de couleur analogue aux vésicules, pourtant un peu plus foncé: le tout ressemble assez à un bouton de vaccin, et surmonte une tumeur un peu plus large, pâle et peu saillante. Aux environs de celle-ci, jusqu'à 3 ou 4 centimètres, on aperçoit une foule de petits boutons de la grosseur d'une très-petite tête d'épingle, solide et déterminant un vif prurit: il y en a beaucoup plus en dedans. L'avant-bras et une partie du bras sont gonflés, chauds, d'une consistance très-ferme et sans changement de couleur des téguments. Pouls fréquent, régulier, assez large et dépressible; céphalalgie, faiblesse; cependant la malade vient de faire trois lieues à pied, pour me venir, consulter; malaise général, langue sale, pas d'appétit, un peu de soif. (Cautérisation au sang dans une étendue d'un centimètre et demi; de plus, je promène légèrement le caustique sur les boutons papuleux; compresses d'eau de sureau, petit-lait, bouillon.)
  • Le 8, elle revient me voir à âne: un bourrelet grisâtre s'est développé au pourtour de l'eschare; les boutons environnants sont amortis, et de couleur brune à leur sommet; même état général. (Même prescription, à l'exception de la cautérisation.) — Le 10, les boutons et le bourrelet vésiculeux sont affaissés; appétit. Cette femme rentre peu à peu dans ses habitudes; sa plaie ne se cicatrise qu'au bout de quelques semaines.
  • OBS. VII. — Le nommé N…, ouvrier tailleur fréquentant une jeune ouvrière en laines avec laquelle il devait se marier, est pris le 5 août 1840, d'une démangeaison, accompagnée de chaleur, à la paupière inférieure droite. En se grattant, il déchire un petit bouton qui y existait; du gonflement se manifeste, et il vient réclamer mes soins le 8; je le trouve dans l'état suivant; La paupière inférieure est déjà très-tuméfiée, l'œil s'ouvre à peine, elle est demi-transparente, bleuâtre, assez dure; à sa partie inférieure et près de la pommette, on voit une petite tache d'un jaune foncé, sèche, moins grande qu'une lentille, environnée d'un cercle étroit de vésicules jaunâtres, le tout surmontant une tumeur peu saillante, un peu plus large, s'enfonçant dans les parties molles, de couleur pâle, et ne déterminant plus aucune douleur. L'état général n'est nullement impressionné, (Cautérisation au sang, eschare large d'un centimètre, compresses d'eau de sureau, eau de groseille, bains de pieds. Potages pour nourriture, demi-repos.)
  • Le 9, pas de nouvelles vésicules; l'enflure a gagné la paupière supérieure et le nez qui est déjeté à gauche; la joue elle-même participe |179| au gonflement, elle offre déjà au niveau de l'os de la pommette la dépression qu'on remarque dans ces cas. Pouls fréquent et mou, sentiment de faiblesse, céphalalgie; l'appétit se conserve. (Eau de groseille, bains de pieds, bouillon.)
  • Le 10, la tuméfaction a fait de nouveaux progrès, elle est dure, surtout au centre; les deux paupières sont très-gonflées, elles peuvent à peine s'entr'ouvrir; deux ou trois vésicules se sont formées sur l'inférieure. Même état général qu'hier; le malade est encore venu me voir lui-même. (Même prescription.)
  • Le 11, le gonflement a plus que doublé, il gagne le cou et le côté gauche de la face, ainsi que les paupières correspondantes; la couleur des téguments est grisâtre, livide; la peau des deux paupières malades se couvre de larges phyctènes; soif forte, céphalalgie, pouls très-fréquent et dépressible, inappétence, insomnie; le malade est obligé de garder le lit. (Même prescription, diète absolue.)
  • Le 12, augmentation des accidents locaux et généraux; les phlyctènes des paupières deviennent ardoisées; celles-ci forment une tumeur du volume de la moitié d'un fort œuf de poule, divisée par une fente étroite difficile à écarter; quand on y est parvenu, on voit qu'elles se touchent par une surface brune, plate, de 2 centimètres de largeur; en sus des accidents généraux habituels, nausées fréquentes. (Même prescription, vomitif.) — Le 13, la face, une portion du crâne et du cou, sont considérablement gonflées; les téguments des paupières, sur lesquels existent les vésicules, sont noirs et entièrement gangrenées; les lèvres sont proéminentes, épaisses, livides, la bouche peut à peine se fermer, il en découle une salive abondante; pouls très-fréquent, mou et très-développé; insomnie, envies de vomir continuelles, bien que le vomitif ait fait évacuer beaucoup de bile; urines rares, rouges et troubles, sueurs visqueuses. (Boissons rafraîchissantes, lavements, application de décoction de kina sur les parties malades.)
  • Le 14, état stationnaire, légère rougeur des parties gonflées. (Même prescription.) — Le 15 et le 16, le pouls se relève, la tuméfaction diminue, le malade repose la nuit, moins de soif. (Eau de groseille, lavements, bouillon.) — Le 18, les eschares commencent à se cerner, elles occupent presque tous les téguments des deux paupières; l'appétit revient et la tuméfaction a beaucoup diminué. (Pansement avec le cérat; potages.) — Tout rentre peu à peu dans l'état habituel; vers le vingtième jour, les eschares se détachent; les petites plaies mettent encore deux semaines environ à se cicatriser. Il en résulte un renversement complet de la paupière inférieure, |180| avec un bourrelet rouge saillant en bas de l'œil; la supérieure présente une cicatrice rougeâtre un peu gonflée, mais sans renversement.
  • OBS. VIII. — La femme L…, âgée d'une cinquantaine d'années, ayant chez elle des bestiaux qui n'avaient pas été malades depuis longtemps, au moins d'une manière apparente, est prise, vers la fin de décembre 1839, d'un bouton peu volumineux, situé au-dessus du larynx. Ce bouton ne tarde pas à s'accompagner de gonflement, ce qui l'engage à voir son médecin qui le cautérise avec le nitrate d'argent, au bout du quatrième jour seulement, à partir du développement du mal. Malgré cela, les accidents augmentant de plus en plus, je fus appelé le 29 décembre au soir, huit jours après l'apparition du bouton; je trouvai la malade dans l'état suivant:
  • Une tumeur allongée, transversale, ovalaire, de 3 ou 4 centimètres de long, existe au pli du cou. Cette tumeur surmonte un peu le niveau des parties gonflées; elle parait pénétrer assez profondément dans les tissus; sa couleur est d'un rouge livide, elle est recouverte d'une grande quantité de vésicules pleines d'un ichor jaunâtre, au centre desquelles on remarque une eschare sèche, arrondie et très-dure. Les parties voisines sont fortement gonflées, à tel point que le col à disparu; vers le bouton elles offrent une grande dureté; des vésicules, analogues à celles qui siègent sur la tumeur charbonneuse, se trouvent en grande quantité sur la peau malade, à 6 ou 8 centimètres de l'eschare. La face, le cuir chevelu, les paupières, qui peuvent à peine s'entr'ouvrir, participent au gonflement par en bas; le haut du thorax jusqu'au sein est fortement tuméfié. Les téguments sont d'une teinte pâle un peu livide; la langue pointue, très-sale, est froide, ainsi que l'haleine; soif des plus ardentes; vomissements bilieux et aqueux depuis deux jours; déjections liquides, très-fréquentes et des plus fétides; pas d'excrétion d'urine depuis 24 heures; sueurs généralement froides et même glacées; voix éteinte; pouls nul aux avant-bras; les artères centrales et le cœur offrent encore quelques frémissements; sentiment de chaleur dévorante à l'intérieur, oppression des plus vives; la malade est obligée de se tenir sur son séant; intégrité des facultés intellectuelles.
  • Malgré l'état alarmant et presque désespéré de cette femme, nous cautérisâmes largement et profondément la tumeur charbonneuse. La malade ressent peu de douleur. (Application tonique, fortement animée d'eau-de-vie camphrée, vin aromatisé de cannelle. |181| Potion tonique et stimulante, une cuillerée à bouche toutes les heures.) Les membres sont maintenus chaudement à l'aide de bouteilles d'eau chaude. Nonobstant ces différents moyens, la malade s'éteint dans la nuit même sans agonie, et sans perdre aucune de ses facultés intellectuelles.
  • OBS. IX. — Le nommé Bergerat, habitant de cette ville, ouvrier mégissier, est pris d'une démangeaison à la joue gauche le 1er novembre 1840. Le lendemain le prurit augmente, il sent un petit bouton et vient me trouver dans la journée. Je constate sur la joue indiquée et à 4 centimètres de la commissure labiale, sur le trajet du conduit de Stenon, une vésicule de la largeur d'une lentille, dont le centre est sec et brun; un léger gonflement pâteux et indolent existe au pourtour du bouton; l'état général n'est nullement impressionné. (Cautérisation de la largeur d'un centime; je laisse au fond de la plaie un très-petit morceau de potasse caustique, et couvre le tout d'un peu d'agaric; pas de régime spécial.)
  • Le 3, il m'envoie chercher le matin: je le trouve dans l'état suivant: l'eschare est environnée d'un bourrelet grisâtre continu, assez saillant; une tuméfaction déjà considérable gagne les paupières, le haut du cou, la bouche et le nez; vive céphalalgie, nausées, malaise général, faiblesse, langue large et sale, inappétence, pas de soif ni de sommeil la nuit.
  • Pendant les trois jours suivants, les accidents généraux et locaux acquièrent de l'intensité; la face devient excessivement gonflée et horriblement déformée; la bouche se prolonge en devant d'au moins 3 à 4 centimètres; son ouverture est arrondie, immobile; une salive épaisse, filante, s'en échappe habituellement; le bourrelet gris s'est affaissé, quelques vésicules isolées se sont formées aux environs de l'eschare; le gonflement gagne le crâne supérieurement et cesse à la racine des cheveux, inférieurement il descend jusqu'à la région sous-claviculaire; les yeux sont complètement fermés, les paupières se rencontrent sur une surface large et plate; le nez n'est apparent qu'à son lobe, qui est relevé, déjeté du côté opposé. La dureté de la tumeur est comparable, vers son centre, à celle d'un sein squirrheux; la peau est d'un gris livide, sans augmentation de chaleur; pas de douleur locale, seulement de la pesanteur dans les parties malades. Pouls fréquent, mou, régulier; sueurs chaudes; somnolence; pas de délire; urines rouges, rares et sans dépôt; déjections alvines nulles; soif assez vive. (Applications stimulantes avec de la décoction de fleur de sureau animée |182| d'eau-de-vie camphrée; limonade, eau de groseille; lavement; potion stimulante.)
  • Le 6, arrêt dans le développement de la maladie; légère rubéfaction des téguments; les vésicules isolées se flétrissent; pouls plus ferme et plus fréquent; pas de soif. (Même prescription.) À partir de ce jour, les accidents diminuent progressivement. Cependant la partie centrale reste gonflée et dure pendant plus de deux mois; il se forme même à la partie interne de la joue un abcès franchement inflammatoire, qui s'ouvre spontanément dans la cavité buccale. Le malade sort de chez lui pour se promener au bout d'une quinzaine de jours, et il reprend bientôt ses occupations.
  • OBS. X. — Le nommé N. ., âgé de 17 ans, d'un tempérament mixte, ouvrier mégissier, occupé depuis quelques jours à travailler des peaux de moutons morts du sang, sent se développer sur le côté droit du menton un léger bouton accompagné de démangeaison. Il l'écorche de l'ongle; malgré cela, il s'agrandit toujours sans cesser d'occasionner du prurit. Au bout de deux jours, un gonflement assez considérable survient. Je le vois le 24, à la fin du quatrième jour; il est dans l'état suivant: A la partie droite du menton existe une surface brune et sèche, irrégulièrement arrondie, d'un centimètre environ de diamètre; une grande quantité de vésicules jaunâtres l'entourent circulairement, et on en reconnaît même plusieurs rangs; la tumeur charbonneuse sur laquelle repose le bouton est d'une largeur double de celle-ci ou à peu près; elle est assez saillante, d'un rouge vif et foncé; la rougeur s'étend un peu au delà; Un gonflement, dur au centre, mou à la circonférence, indolent, s'étend en rayonnant dans l'étendue de 6 à 8 centimètres. Appétit conservé, le malade vient de manger; néanmoins léger mal de tête; pouls large, déjà fréquent, mais mou; un peu de faiblesse générale. (Profonde cautérisation au sang. Je suis obligé d'enlever avec la lancette plusieurs couches de l'eschare, qui est dure comme du cuir. Après la cautérisation, je laisse dans la plaie un petit morceau de potasse, et je couvre le tout d'agaric. Eau de tilleul, sirop de groseille, diète, pédiluves. Application d'eau de fleur de sureau animée d'eau-de-vie camphrée sur la tumeur.).
  • Le 25, l'eschare, bien limitée, a 2 centimètres de large; son pourtour se perd sans transition dans la peau saine; il n'existe ni bourrelet grisâtre, ni vésicules isolées; même état du gonflement; langue un peu blanche; légère céphalalgie; sommeil la nuit; urines |183| abondantes et naturelles; peu d'appétit. (Même prescription qu'hier; léger bouillon.)
  • Le 26, augmentation légère du gonflement qui gagne l'oreille; en arrière, les ganglions sous-maxillaires sont tuméfiés et un peu douloureux; la commissure labiale est épaissie, dure et déjetée; la lèvre inférieure, doublée de volume, livide, engourdie, est aussi renversée; pas de vésicules; eschare enfoncée; inappétence; céphalalgie; insomnie; urine rouge et claire. (Même prescription.)
  • Les 27, 28 et jours suivants, les symptômes généraux disparaissent; la tuméfaction diminue peu à peu; les parties gonflées reprennent leur souplesse, et l'eschare, large d'une pièce de cinq centimes, se détache au bout d'une vingtaine de jours, sans trace de suppuration;elle est remplacée par une cicatrice arrondie, un peu saillante et rouge.
  • OBS. XI. — La nommée Vassor, jeune fille de 9 ans, demeurant vis-à-vis d'un mégissier, et embrassant souvent son oncle, qui est lui-mème de cette profession, est prise, vers le 27 décembre 1841, d'un léger bouton vésiculeux au milieu du front: elle l'écorche bientôt, mais il se reproduit très-promptement. Je la vois le 30 au soir et je constate l'état suivant; Un bouton, large comme une forte lentille, se voit au milieu de la région frontale, à 2 centimètres de la racine du nez; il est arrondi; son centre déprimé est sec et d'un jaune foncé, son pourtour est formé par un cercle de petites vésicules jaunâtres très-bien limitées; il n'y a pas de tumeur charbonneuse. Léger gonflement circulaire, indolent, de 3 centimètres de largeur. En palpant la petite pustule, on sent qu'elle est dure profondément, et qu'elle s'enfonce de quelques millimètres dans les parties molles. Céphalalgie; pouls un peu fréquent, dépressible; appétit; pas de soif. (Cautérisation après avoir enlevé avec la lancette quelques lamelles d'eschare; application d'eau de fleur de sureau; eau de groseille; pédiluve; bouillon; repos à la chambre.) — 31. L'enfant a bien dormi; langue un peu blanche; légère accélération du pouls; pas de céphalalgie; inappétence; le gonflement n'a pas fait de progrès; le pourtour de l'eschare est garni d'un bourrelet grisâtre continu, sans vésicules isolées. {Même prescription.) — 2 janvier. Affaissement complet du gonflement, le cercle grisâtre est flétri; bon appétit, sommeil. Au bout d'un mois l'eschare se détache sans avoir fourni de suppuration; la cicatrice, large comme une forte lentille, est rouge et un peu saillante.
  • OBS. XII. — Le nommé Robillard, ouvrier mégissier, après avoir |184| travaillé des peaux de moutons morts du sang, est pris d'une légère démangeaison sous la gorge, accompagnée d'un petit bouton, qu'il écorche, parce qu'il occasionne un peu de démangeaison. Bientôt du gonflement survient. 11 m'appelle le 27 février 1835, quatre à cinq jours après l'apparition du mal; je le trouve au lit, dans l'état suivant: À la partie supérieure et latérale gauche du larynx existe une tache brune, sèche, enfoncée, entourée d'un cercle de vésicules jaunâtres, le tout d'un décimètre de large. Le bouton est supporté par une tumeur ovalaire, dont le grand diamètre, qui est transversal, peut avoir 3 centimètres. Cette tumeur est d'un rouge lie de vin, elle s'enfonce assez profondément dans les chairs, qu'elle surmonte un peu. Une enflure considérable a lieu dans les parties voisines; la rougeur de la tumeur s'étend un peu au delà de celle-ci, le reste des téguments est d'un gris demi-transparent. Le malade n'accuse aucune douleur locale, il n'éprouve que de l'engourdissement dans les points affectés. Pouls fréquent, petit et dépressible; chaleur humide, langue blanche et sale; céphalalgie; faiblesse; quelques vomissements bilieux; urines rares; point de déjections alvines; soif, inappétence. (Cautérisation profonde de 3 centimètres de large. Je laisse au fond de la plaie un petit morceau de potasse caustique. Applications de compresses toniques sur la tumeur; limonade, lavement.)
  • Le 28, un cercle de vésicules isolées et distinctes s'est formé autour de l'eschare, le gonflement a presque doublé, la face est énorme, les paupières fermées, le nez très-épaté, les lèvres retournées, saillantes et d'un volume considérable, elles peuvent à peine se fermer; une salive épaisse et fétide coule de la bouche; de chaque côté on remarque un enfoncement notable, au niveau des régions malaires; la région sous-maxillaire forme un énorme bourrelet qui est séparé du menton par un sillon manifeste, et se perd en bas dans l'enflure du cou; celle-ci gagne inférieurement les mamelons, et en arrière la région cervicale postérieure. Difficulté à avaler notable, un peu d'oppression, mêmes symptômes généraux. (Même prescription; en sus, sinapismes volants sur les extrémités, cautérisation des nouvelles vésicules.)
  • Le 1er mars, délire la nuit, augmentation de l'oppression, difficulté extrême à avaler, petitesse et fréquence considérables du pouls, vomissements bilieux incessants, chaleur bien conservée, soif ardente, insatiable; des phlyctènes se reforment encore, le gonflement descend jusqu'aux parties génitales. (Vomitif, infus. de |185| tilleul, vin sucré, potion tonique, compresses de décoction de kina et d'eau-de-vie camphrée.)
  • Le 2, le malade est au plus bas: petitesse excessive et irrégularité du pouls, refroidissement des extrémités, qui se couvrent d'une sueur froide et gluante, oppression extrême, impossibilité d'avaler, délire calme, pas d'urine; le malade a à peine vomi. (Même prescription qu'hier, sinapismes.)
  • Le 3, la nuit a été un peu moins mauvaise, le malade s'est réchauffé. (Même prescription.)
  • Les 4, 5 et 6, amélioration graduelle, le gonflement diminue, les vésicules se dessèchent, la déglutition et la respiration deviennent faciles, le pouls se régularise et devient plus plein, un peu d'appétit. (Eau rougie, bouillon, lavement, mêmes compresses.)
  • Le 10 mars, le gonflement est borné au pourtour de la tumeur, les parties qui ont été tuméfiées sont ridées, jaunâtres et couvertes de squames d'épiderme desséché, là ou existaient des vésicules. Le malade se remet peu à peu et reprend son travail vers le 20 mars.
  • OBS. XIII. — Le nommé N…, mégissier laveur, éprouve une démangeaison aux paupières droites, accompagnée de gonflement sans rougeur; il continue à travailler deux jours, puis vient me voir le 29 juin 1834. Je trouve alors les paupières malades très-tuméfiées, pouvant à peine s'entr'ouvrir; elles ne sont nullement douloureuses, leur couleur est d'un gris bleuâtre, demi-transparent; aucun bouton ne les couvre. Cet ouvrier se plaint de mal de tête, son pouls est plein, mou et un peu fréquent, l'appétit est diminué: je l'engage à entrer à l'hôpital. (Application d'eau de sureau, pédiluves, eau de groseille, bouillon.)
  • Le lendemain 30 juin, le gonflement s'est communiqué à la joue, à la lèvre supérieure et au nez. Deux ou trois larges vésicules jaunâtres laissant suinter un liquide gélatineux de même couleur, qui se concrète en coulant, existent sur la paupière supérieure. Céphalalgie vive, insomnie, inappétence, envie de vomir, pouls très-fréquent, urines rares et rouges, déjections alvines nulles. (Compresses animées d'eau-de-vie camphrée, sinapismes volants sur les extrémités inférieures, lavement, potion éthérée, diète absolue.)
  • Les deux jours suivants, les accidents de toute nature augmentent, toutes les parties de la face deviennent énormément gonflées, les paupières du côté opposé ne peuvent s'ouvrir, le nez disparaît presque, la bouche offre la forme d'un groin, forme que j'ai signalée ailleurs; les vésicules des paupières malades ont augmenté |186| de nombre et de volume; une large eschare ardoisée s'est montrée à la supérieure; délire furieux, on est obligé de lui mettre la camisole des fous. (Cautérisation avec la potasse, même prescription.)
  • Le 3 juillet, les symptômes morbides ont acquis une nouvelle intensité, le gonflement est descendu jusqu'au milieu du tronc, une large eschare occupe la paupière inférieure droite. (Même prescription.) Le 4, cessation du délire, diminution légère des autres symptômes. Le 8, le gonflement n'existe plus qu'autour des points primitivement affectés, les eschares se cernent; appétit. (Potages, eau de groseille, compresses émollientes.) Peu à peu les accidents se dissipent. Le malade peut reprendre ses travaux après vingt à vingt-cinq jours de maladie, il en est quitte pour un renversement complet de la paupière inférieure droite, avec formation, au bas de l'œil, d'un bourrelet sanglant, constitué par la conjonctive, bourrelet que j'essayai plusieurs fois d'extirper, mais qui se reproduisait toujours. La paupière supérieure n'a qu'une cicatrice étroite sans difformité sensible.

§ II. Description générale.

Symptômes, marche, terminaisons de la pustule maligne.

  • Après un temps d'incubation qui varie d'un à deux ou trois jours en général, on voit apparaître, sur le point où a été déposé le viras charbonneuse, une petite tache rougeâtre, presque toujours foncée, accompagnée quelquefois de démangeaison, dans d'autres cas ne donnant lieu à aucune espèce de sensation. À cette tache, qui ressemble assez à une piqûre de puce et qui est fort éphémère, succède bientôt une petite vésicule un peu froncée, de même couleur, contenant une gouttelette de sérosité rousse. La vésicule ne succède pas toujours à une simple tache: il arrive parfois qu'elle est précédée d'un bouton solide, gros comme une forte tête d'épingle, de couleur plus ou moins brune et rose dans quelques cas. Lorsque la vésicule3) est formée qu'elle succède à une simple |187| tache ou à un bouton solide, elle est constamment accompagnée d'un sentiment de prurit assez vif et quelquefois de frisson; mais elle est rarement très-douloureuse. Le malade ne manque pas alors d'écorcher la petite vessie en y portant involontairement l'ongle: la démangeaison cède le plus souvent pendant plusieurs heures après cette érosion, puis il se forme autour du bouton écorché, qui est sec et jaunâtre, un cercle presque toujours régulier de vésicules analogues à la première, bien que plus grandes. Au centre de ce cercle, qui n'occupe d'abord que quelques millimètres, on voit un petit enfoncement brunâtre dépouillé 4), formé par la peau sur laquelle reposait l'ampoule primitive, qui s'est mortifiée et constitue une eschare sèche et fort dure, occupant toute l'épaisseur du derme. Cette eschare s'agrandit peu à peu aux dépens de la partie interne du cercle vésiculeux; mais en dehors, des vésicules plus nombreuses et plus larges se forment encore de manière à constituer un bouton qui peut acquérir jusqu'à 2 centimètres et plus de largeur; son diamètre le plus ordinaire est de 7 à 8 millimètres.
  • Après 24 ou 48 heures, les chairs sur lesquelles repose la pustule maligne se gonflent, se durcissent et donnent naissance à Une tumeur en forme d'aréole plus ou moins sensible, manquant rarement, le plus souvent arrondie, ovalaire dans quelques cas, de volume variable, qu'on sent s'enfoncer dans les parties molles en la déprimant avec le doigt: c'est ce que j'appellerai tumeur charbonneuse. Cette tumeur est surmontée de la pustule qui ne l'occupe presque jamais en totalité. Les portions qui ne sont pas recouvertes de vésicules sont ordinairement d'une teinte rouge livide, s'étendant plus ou moins loin sur les téguments voisins; elle s'élève un peu au-dessus des parties environnantes, quel que soit leur gonflement. La tuméfaction ne tarde pas à |188| gagner de proche en proche. La peau, quelquefois rosée, d'autres fois d'un blanc bleuâtre, demi-transparent, ou bien encore d'un gris terne et jaunâtre, se couvre çà et là d'une éruption vésiculeuse analogue à celle du centre du mal, bien que plus ample. La partie moyenne de la tumeur se déprime davantage; enfin tout un membre, la tête entière, le tronc, ou plusieurs de ces parties peuvent simultanément acquérir un volume énorme. La pustule continuant à faire des progrès,la rougeur, lie-de-vin, peut s'étendre à plusieurs centimètres au delà de la tumeur charbonneuse, et des vésicules se développer à un décimètre et plus de celle-ci. Ces dernières, surtout, lorsqu'elles sont éloignées, sont presque constamment précédées par un gonflement du derme de la même forme et de la même largeur à peu près que l'ampoule qui lui succède. Si à cette période de la maladie on palpe les parties tuméfiées, on les trouve d'une dureté si grande dans certaines circonstances, qu'on pourrait la comparer à celle d'un sein squirrheux. Cette dureté diminue à mesure qu'on s'éloigne du foyer morbide, les parties les plus externes sont même molles, tremblotantes et comme œdémateuses. Je n'ai jamais pu constater l'apparence emphysémateuse signalée par les auteurs, qui semblent tous s'être copiés en cela. La chaleur des parties malades, souvent très-vive et mordicante au début, diminue vers la fin de la maladie; celles-ci deviennent même alors entièrement froides.
  • Sur les membres, on observe constamment des traînées rouges, qui, partant du mal, se dirigent le long du trajet des lymphatiques superficiels, analogues en cela aux traînées inflammatoires qui se forment dans beaucoup d'autres cas; ce qui ne doit pas, par conséquent, faire admettre par cela seul, comme le font beaucoup de gens de nos campagnes, l'existence du charbon.
  • Tels sont les phénomènes extérieurs que présente cette affection dans sa marche. Mais l'organisme ne reste pas longtemps impassible au milieu de ces désordres locaux: même |189| avant que le gonflement n'ait gagné les parties qui avoisinent la tumeur, il y a déjà le plus souvent imprégnation constitutionnelle. Le malade éprouve de la lassitude, la tête devient douloureuse, la langue se couvre d'un enduit blanchâtre, plus ou moins épais, l'appétit diminue, le pouls est plein, un peu fréquent et mou. Dans des cas plus rares, ces accidents ne surviennent que lorsque déjà le mal est accompagné d'une tuméfaction assez considérable. (Obs. 9.)
  • Si la marche de la maladie n'est pas suspendue à temps, bientôt le gonflement s'étend de plus en plus, les parties sur lesquelles il siège deviennent prodigieusement tuméfiées, les phlyctènes augmentent en nombre, et l'eschare en largeur: la douleur, malgré cela, est presque nulle; il y a seulement de la pesanteur, de l'engourdissement dans les organes affectés. Les symptômes généraux prennent un développement formidable, tels que pouls petit, fréquent, concentré, dépressible, irrégulier; vomissements de matières bilieuses, jaunes, porracées, se répétant fréquemment; soif vive, défaillances, tintement d'oreilles, somnolence; urines rares, rouges et briquetées; selles difficiles, d'autres fois, mais plus rarement, diarrhée très-fétide. La peau, d'abord chaude et halitueuse, se couvre d'une sueur froide et collante. La respiration est de plus en plus gênée. L'intelligence reste intacte dans la majorité des cas; dans quelques-uns il survient un délire furieux.
  • À un degré plus avancé encore, le pouls cesse de battre aux artères de l'avant-bras, la peau est glacée et inondée de sueur froide, la voix éteinte, les téguments bleuâtres; sentiment de chaleur brûlante au dedans du corps, soif inextinguible; suffocation imminente, le malade ne peut rester assis sur son séant; urines nulles; anxiété inexprimable; enfin la mort vient mettre un terme à cet affreux état, le plus souvent sans agonie.
  • Dans la description de la pustule maligne que l'on trouve dans les livres, on voit signalé, comme symptôme constant, |190| un délire sombre, précédant la mort. J'ai vu un certain nombre d'individus succomber à cette maladie: tous avaient conservé leur intelligence aussi intacte qu'elle peut l'être à un pareil moment. (J'en excepte toutefois l'individu qui fait le sujet de la première observation, lequel a évidemment succombé à une affection cérébrale.) J'ai encore constaté dans ces cas malheureux que les malades qui étaient près de finir offraient une analogie frappante avec ceux arrivés à la dernière période du choléra asiatique, quand les évacuations et les crampes ont cessé. Enfin, je dois répéter ici que je n'ai jamais vu, dans les phases les plus avancées de la pustule maligne, ces larges eschares envahissant toutes les parties molles d'un membre ou s'étendant considérablement eu largeur, signalées par tous ceux qui ont écrit sur celte affection. Il est vrai qu'alors les parties centrales ont acquis une teinte livide presque ardoisée et qu'elles sont couvertes d'un très-grand nombre de vésicules, laissant suinter souvent un ichor jaunâtre ou brunâtre, mais il n'y a pas là mortification, à proprement parler: on a peut-être pris pour des eschares naturelles celles qui étaient le résultat d'une cautérisation peu circonspecte.
  • La plupart des auteurs, depuis le mémoire publié sur cette matière à la fin du siècle dernier par Énaux et Chaussier, ont partagé la marche de la pustule maligne en quatre périodes sans compter celle de l'incubation. Ces périodes, basées sur le développement plus ou moins marqué de l'état local, me semblent tout à fait arbitraires; elles reposent sur l'apparence de l'affection locale, dont l'état plus ou moins avancé est loin d'être toujours en rapport avec la gravité des symptômes généraux. J'ai toujours été surpris de ne pas voir, dans le dernier degré de la pustule maligne, ces vastes eschares occupant toute une portion de membre en largeur ou en profondeur, qu'on donne comme caractéristiques de la quatrième période. Doit-on l'attribuer aux variétés que cette affection présente suivant les localités, ou bien, ce que je suis porté à |191| admettre, à ce que l'on a souvent pris pour le résultat spontané du mal ce qui n'était que celui de son traitement, c'est-à-dire d'une cautérisation trop étendue, comme j'ai été quelquefois à même de le reconnaître? En effet, les parties voisines de la tumeur se sphacèlent avec la plus grande facilité sous le plus léger contact du caustique, ce qui doit engager à agir avec beaucoup de circonspection dans le cas où on peut craindre l'extension de la mortification.
  • L'observation attentive des faits me porte à admettre seulement deux périodes bien distinctes dans la marche de la pustule maligne: la première commence avec l'apparition du point malin, primitif, et finit avec la manifestation des symptômes généraux; je l'appellerai période locale ou première période. La seconde, que je désignerai sous le nom de période d'imprégnation ou d' intoxication, commence avec les premiers symptômes généraux, et ne finit qu'avec la mort ou la guérison. Cette distinction, outre sa rationalité, est encore très-importante relativement au pronostic à tirer, et surtout au traitement.
  • Rien n'est plus variable que la marche de la pustule maligne; elle peut se terminer par la mort au bout de deux ou trois jours, ou durer jusqu'au quatorzième. La première période est ordinairement la plus courte: je l'ai vue se prolonger jusqu'au cinquième jour. La seconde varie de trente-six heures à huit ou neuf jours.
  • Cette affection, abandonnée à elle-même, se terminerait-elle toujours par la mort? je ne le pense pas. J'ai vu, en effet, des cas où, bien qu'elle eût été méconnue, prise pour un érysipèle ou pour toute autre chose, la maladie n'en était pas moins arrivée à une période décroissante. Pourtant, il faut le dire, ces cas heureux seraient rares si ou n'avait recours de bonne heure, ou au moins à une époque pas trop avancée de la période d'intoxication, à une cautérisation suffisante pour détruire le mal dans son foyer central. |192|
  • Lorsque l'affection charbonneuse tend à diminuer, soit par les seules forces réactives de la nature, soit sous l'influence d'un traitement convenable, si elle n'est qu'arrivée à la première période, le gonflement, quand il existe, disparaît bientôt, la croûte noire formée par l'eschare se soulève peu à peu et finit par se détacher complètement au bout de deux ou trois semaines, sans fournir, le plus souvent, de suppuration: il reste une cicatrice rouge, peu saillante, qui ne pâlit qu'au bout de plusieurs années. Dans le cas, au contraire, où les symptômes généraux ont acquis une certaine gravité, on sent le pouls redevenir régulier et plus plein, une chaleur fébrile, accompagnée souvent d'une douce moiteur et d'une teinte rosée des téguments voisins de la tumeur, se manifeste. Cet état réactionnaire annonce la victoire de l'économie sur le principe septique: quelquefois même une véritable inflammation suppurative a lieu, et il se forme un abcès au voisinage du charbon. Les autres fonctions reviennent aussi peu à peu et simultanément à leur type normal. Le temps nécessaire à la disparition des accidents varie suivant leur intensité et suivant les sujets. Souvent la marche rétrograde du mal est très-lente: sept à huit jours et plus sont nécessaires pour que les symptômes internes auxquels il donne lieu disparaissent; d'autres fois, ils cessent plus rapidement. J'ai observé souvent que, lorsque les phénomènes morbides continuaient à marcher malgré l'application des remèdes convenables, ce n'était que vers le neuvième jour que survenait d'abord un arrêt, puis une diminution plus ou moins rapide de tous les symptômes.
  • Lors même que la pustule maligne a une terminaison fâcheuse, il y a fréquemment quelques mouvements réactionnaires incomplets, qui n'ont pas assez d'énergie pour éliminer le virus septique, et qui, cependant, annoncent un effort du principe conservateur pour arriver à cette fin. On doit penser que, si le mal fait de grands progrès avant de décroître, l'état local doit mettre un temps considérable à disparaître, temps |193| en rapport avec le gonflement et l'étendue des eschares; il reste même souvent une sorte d'œdème dans les parties malades, qui ne cesse qu'au bout de plusieurs semaines; la peau conserve longtemps une teinte jaunâtre et comme ecchymosée. Quant à la plaie, elle est d'autant plus longue à se cicatriser qu'elle est plus large, plus profonde et plus irrégulière.
  • L'occasion de faire des recherches anatomiques sur les cadavres de ceux qui ont succombé à la pustule maligne est rare: trois fois seulement j'ai pu pratiquer l'autopsie d'individus qui en étaient morts à l'hôpital. On conçoit a priori le peu d'enseignements que peut fournir cet examen. Voici du reste ce que j'ai constaté en général dans ces trois cas: L'eschare ne pénétrait guère que de quelques millimètres au delà de l'épaisseur de la peau, elle était déprimée, coriace, noire et sèche. Les tissus voisins, surtout ceux qui formaient la tumeur et que l'eschare surmontait, avaient une couleur jaunâtre, passant au brun; elles criaient sous le scalpel presque autant que du tissu squirrheux; à la circonférence, il n'y avait qu'un œdème dont la sérosité jaunâtre était comme combinée aux tissus organiques. Le sang, dans le cœur et les gros vaisseaux, était fluide et très-noir; une fois j'ai trouvé un caillot jaunâtre, mollasse, à peine fibrineux, dans le ventricule droit.
  • Les cadavres des individus qui ont succombé à la pustule maligne ont la propriété de se décomposer avec la plus grande facilité; en quelques heures ils deviennent énormes par la grande quantité de gaz putrides qui s'y développent. Il est probable que l'inoculation des liquides ou des solides qui les constituent, inoculés chez les animaux vivants, reproduiraient l'affection charbonneuse; jusqu'à présent, je ne sache pas qu'on ait tenté cette expérience. |194|

Variétés que peut offrir la pustule maligne dans son siège et dans ses résultats, suivant quelle occupe telle ou telle partie du corps.

  • Le plus ordinairement on ne rencontre qu'une seule pustule maligne; cependant il n'est pas rare d'en observer deux, quelquefois trois à la fois; je n'en ai jamais vu un plus grand nombre. Dans la plupart des cas, elles sont rapprochées, mais elles peuvent être très-éloignées, au bras et à la tête, par exemple. Leur apparition est habituellement simultanée, et le danger est, on le conçoit, d'autant plus grand, qu'elles sont plus multipliées.
  • La maladie offre des variétés sensibles suivant les points du corps où elle se manifeste. Ces points sont, dans l'immense majorité des cas, ainsi que nous le dirons en traitant de l'étiologie du charbon, les parties habituellement découvertes, et pouvant par cela être mises facilement en rapport avec les nombreux véhicules du virus malin.
  • Sur le crâne, où elle est peu commune, elle s'accompagne d'un gonflement qui peut être assez considérable, s'étendre à la face et même au cou. Les cicatrices qu'elle laisse après elle sont peu sensibles, à peine doit-on mentionner l'alopécie légère et bornée qui en résulte. Mais une circonstance très-fâcheuse dans ces cas, c'est le voisinage de l'encéphale: j'ai vu (1re obs.) la mort survenir en très-peu de temps, et sans qu'il y ait eu à peine de gonflement, par transport métastatique sur le cerveau.
  • La face est, on peut dire, le siège de prédilection de la pustule maligne; toutes ses parties y sont également exposées. Dans quelque point qu'elle s'y développe, le gonflement y fait de rapides progrès et peut devenir prodigieux, se porter même en peu de jours jusqu'à la partie inférieure du tronc: les paupières forment bientôt deux bourrelets considérables, séparés par une fente transversale étroite. Si la pustule y |195| siège ou qu'elle en soit voisine, de nombreuses vésicules d'un assez fort volume s'y élèvent. Ces vésicules laissent suinter un ichor jaunâtre, melliforme, se concrétant assez facilement, et d'une odeur fade et nauséeuse. D'abord molles, d'une teinte bleuâtre, demi-transparente, très-rarement rosée, les paupières deviennent en beaucoup de points livides; de larges eschares irrégulières, ardoisées, s'y développent, mais seulement sur la paupière malade et quelquefois sur sa congénère, jamais sur celles du côté opposé, bien que, dans certains cas, il y ait quelques vésicules. Dans ces circonstances, la tumeur palpébrale peut acquérir le volume de la moitié, et plus, d un œuf de poule; elle est très-dure, on y voit au milieu une fente que les plus grands efforts des malades ne peuvent agrandir; en écartant avec force les paupières, on reconnaît qu'elles se touchent par une surface large et plate, au fond de laquelle on aperçoit quelquefois l'œil ecchymôsé. Les eschares qui s'y forment n'occupent que l'épaisseur des téguments, au moins je n'ai jamais vu qu'elles aient envahi les cartilages tarses, et encore moins l’œil lui-même.
  • Lorsque le gonflement de la face devient général, le nez disparaît dans les trois quarts de son étendue: il n'y a plus d apparent que son lobe qui s'aplatit, se redresse et se déjète à droite ou à gauche, suivant le lieu occupé par la pustule. Un ichor parfois assez abondant coule par les narines. Les lèvres, épaisses, saillantes, retournées, d'un rouge livide, proéminent plus ou moins et se dévient d'un côté ou de l'autre; elles simulent même, dans quelques cas, une sorte de L'ouverture buccale, ovalaire ou arrondie, ne peut plus se fermer; il s'en échappe constamment, surtout quand le malade parle, une salive épaisse et filante. L'haleine est ordinairement très-fétide. Les joues, prodigieusement boursouflées, présentent cependant une dépression constante au niveau de la partie postérieure de l'os malaire, au devant de l'arcade zygomatique. Le front peut devenir très-gonflé aussi; |196| il est alors bombé, et la tuméfaction diminue sensiblement vers la racine des cheveux: il y a même souvent dans ce point une rainure très-marquée, pour peu que la tête ait été couverte d'une coiffure même légère. J'entre peut-être ici dans des détails bien minutieux, mais on ne saurait mettre trop de soin à représenter aussi fidèlement que possible la physionomie d'une affection grave, décrite en général trop succinctement; ce qui fait qu'elle est fréquemment méconnue par des médecins même fort habiles, parce qu'ils ont trop peu d'occasions de la rencontrer.
  • Les difformités laissées par le charbon sur la figure sont presque toujours des plus désagréables. Aux paupières, si l'inférieure est attaquée même d'une manière légère, elle ne tarde pas à se renverser et à offrir un bourrelet rouge, boursouflé, sanglant, des plus pénibles à voir, formé par la conjonctive et le cartilage tarse renversé. Lorsque la paupière supérieure a été le siège du mal, il y a moins d'inconvénient; car ici, qu'on me pardonne cette expression, l'étoffe est considérable, relativement à la doublure, c'est-à-dire que la peau est bien plus étendue que la conjonctive; elle forme de nombreuses plicatures dont cette paupière peut, à la rigueur, se passer pour recouvrir l'œil: aussi, à moins que la déperdition de substance n'ait été portée fort loin, on n'observe qu'une cicatrice rougeâtre, peu saillante, à peine désagréable. Quand le mal s'est développé aux angles des yeux, il en résulte un rétrécissement de l'ouverture oculaire, qui peut même compliquer le renversement palpébral. Au nez, la difformité est peut-être plus repoussante encore, surtout si le lobe entier, ou sa plus grande partie, a été détruit: les narines et leur cloison s'ouvrent alors directement en devant, de manière à présenter l'aspect d'un nez de tête de mort. L'altération est moins sensible aux lèvres, pourtant leurs commissures peuvent être tiraillées, déjetées, ou bien elles sont plus ou moins renversées à leurs bords libres. Quant aux autres parties de la face, les cicatrices y sont en |197| général moins hideuses; néanmoins, par leur boursouflement, leur couleur rouge, et les plicatures auxquelles elles donnent lieu, elles sont encore une cause d'altération notable dans les traits du visage.
  • Lorsque la pustule maligne a son siège au cou, la tuméfaction est très-souvent énorme: elle gagne la face par en haut et est séparée de celle-ci au niveau du menton par un sillon assez profond et toujours bien marqué; en bas, elle s'étend sur la poitrine et descend même jusque sur le ventre et les parties génitales; sur les côtés, elle se prolonge jusqu'à la partie postérieure de la région cervicale, de manière qu'il arrive souvent, dans ces cas, que la tête semble implantée directement sur le thorax et qu'il n'y a plus de cou. En outre, la compression plus ou moins forte du larynx et de l'œsophage donne lieu à des symptômes particuliers; le malade est souvent pris d'une difficulté extrême à respirer, et la déglutition peut devenir impossible ou presque impossible pendant un certain temps (obs. 12). Dans cette région, les cicatrices sont beaucoup moins difformes qu'à la face; pourtant chez les femmes, pour peu qu'elles aient d'étendue, elles sont encore fort désagréables.
  • Sur le tronc, la pustule maligne est assez rare, elle n'y offre rien de particulier.
  • Aux membres, on observe presque constamment, ainsi que je l'ai déjà dit, des traînées inflammatoires qui suivent les faisceaux lymphatiques sous-cutanés. Si elle siège sur les mains ou sur les pieds, et que la cautérisation ait été peu ménagée, il peut en résulter une gêne plus ou moins grande dans l'usage de ces parties.
  • J'ai observé une fois un résultat qui, fort heureusement sans doute, devra se rencontrer bien rarement: c'est un tétanos mortel, développé pendant la convalescence d'une pustule maligne des paupières, chez un fermier d'un certain âge: cette fâcheuse complication, qui tenait plus à l'existence de la |198| plaie elle-même qu'à la cause qui y avait donné naissance, avait été provoquée, je crois, par une imprudence du malade, qui était allé uriner presque nu, dans sa cour, par une matinée très-fraîche de la fin d'octobre.
  • 11 est une forme de pustule maligne qui n'a été signalée par aucun auteur que je sache, et que j'ai rencontrée cinq ou six fois dans ma pratique: cette affection charbonneuse consiste dans un gonflement pâle d'abord, mou, bleuâtre, demi-transparent et rarement rosé, des paupières. Il n'existe aucune douleur locale, a peine le malade ressent-il une légère démangeaison: au bout de deux, quelquefois trois jours, des vésicules se développent sur ces voiles membraneux, puis des eschares, et enfin tout l'appareil symptomatique, tant interne qu'externe, de la pustule charbonneuse la plus franche. Je proposerais, pour cette forme de maladie qui nous occupe, le nom d'œdème malin ou charbonneux des paupières. Dans ces cas, le virus charbonneux me parait avoir été absorbé par la muqueuse oculaire, bien que celle-ci ne présente aucune trace de bouton (obs. 13).
  • Je vais maintenant passer en revue le diagnostic, le pronostic de la pustule maligne, et surtout son traitement.
  • (La fin au prochain numéro.)

  • MÉMOIRE SUR LA PUSTULE MALIGNE, SPÉCIALEMENT SUR CELLE QU'ON OBSERVE DANS LA BEAUCE;
  • Par J. Bourgeois, docteur en médecine de la Faculté de Paris, ancien interne lauréat des hôpitaux de la même ville, médecin en chef de l'hôpital et médecin des épidémies de l'arrondissement d'Étampes.

§ III. Du diagnostic de la pustule maligne.

  • La gravité de cette affection doit faire apporter la plus scrupuleuse attention à toute tumeur qui peut avoir quelque analogie avec elle: il est, en effet, de la dernière importance que le traitement convenable soit mis en usage le plus tôt possible.
  • Les maladies locales qu'on peut confondre avec la pustule maligne sont en assez grand nombre; ce sont l'érysipèle et ses variétés, la fluxion dentaire, certaines tuméfactions fluxionnaires des paupières, le furoncle, l'anthrax malin, l'anthrax bénin, des pustules de différente nature survenues sur l'enveloppe cutanée, la piqûre de la guêpe, de l'abeille, du cousin, du d'autres animaux venimeux, et souvent aussi l'inflammation des follicules sébacés de la face.
  • Je ne m'étendrai pas longuement sur les caractères qui devront servir à faire distinguer ces maladies dé la pustule maligne; la plupart d'entre elles, pour peu qu'on mette quelque soin à l'examen, seront difficilement confondues avec cette dernière.
  • Une circonstance dont il faudra toujours tenir beaucoup de compte lorsqu'on aura à diagnostiquer la pustule maligne, est la connaissance de la profession du malade, ses habitudes et le voisinage de son habitation. Ce serait déjà une présomption |335| négative, si par état il ne travaillait pas les dépouilles des animaux, ne donnait pas de soins à ceux-ci, et s'il demeurait loin de tout établissement de tannerie, de mégisserie, ou de marchand dé peaux.
  • La plus simple attention fera reconnaître l'érysipèle, qui, malgré qu'il soit fréquemment accompagné de bulles plus ou moins nombreuses et larges, manque de l'eschare et du bouton central caractéristiques, et qui est précédé des symptômes généraux, tandis que ceux-ci ne viennent qué consécutivement dans le charbon.
  • L'érysipèle gangréneux pourrait, dans certaines circonstances en imposer pour une pustule charbonneuse; mais ici, les eschares sont larges, irrégulières, fréquemment accompagnées de collections purulentes; il n'y a pas cette pustule centrale avec son cercle vésiculeux ni les symptômes qui sont propres à l'affection charbonneuse.
  • Le vulgaire prend très-souvent pour des pustules charbonneuse les innombrables furoncles tout volume qui peuvent se développer à la surface du corps. C'est même sur cette méprise qu'est fondée la grande réputation de certains médicastres campagnards qui, on le conçoit, doivent avoir d'immenses succès, puisque, pour un véritable charbon, ils traitent cinquante clous ou boutons de ce genre. Pour eux tout est pustule maligne, et si par malheur ils ont affaire à un mal de cette nature, ils échouent le plus souvent; pourtant, comme c'est dans une petite proportion relativement aux maux qu'ils pansent, ils rejettent là faute sur le malade qui est venu trop tard les consulter, ou qui n'a pas suivi leur prescription, et ils ne perdent pas pour cela la confiance du public. La circonstance qui porte, dans les pays où cette maladie est commune, les personnes atteintes de furoncles à s'effrayer, c'est que cette sorte de tumeur est habituellement très-douloureuse, et qu'on a peine à admettre qu'un mal qui fait tant souffrir ne soit pas dangereux; d'un autre côté, le |336| furoncle est fréquemment noir ou brun à son sommet; il est, dans la plupart des cas, environné d'une aréole d'un rouge foncé, et enfin il est accompagné souvent de traînées rouges inflammatoires qui sont aux yeux de beaucoup de gens les racines du charbon. (Il est vrai de dire que dans la pustule maligne, dans celle des extrémités surtout, on les observe presque constamment, comme je l'ai dit au reste en décrivant la marche de cette maladie.)
  • On reconnaîtra qu'on a affaire à un furoncle toutes les fois que la tumeur, de couleur brune ou non, offrira une forme conique, qu'elle sera plus ou moins douloureuse, sans vésicule à sa base ou à son sommet. Un gonflement plus ou moins considérable peut l'accompagner; mais il est rare qu'il soit aussi étendu que dans la tumeur charbonneuse. Presque toujours lorsqu'il s'agira de clous, le malade aura été sujet depuis un temps plus ou moins long à des efflorescences variées à la peau, et il en aura déjà eu un certain nombre. Un signe différentiel des plus caractéristiques est la présence du pus dans le furoncle; il n'y en a jamais dans la pustule maligne. Il suffira donc le plus souvent de comprimer le bouton douteux, pour s'assurer de sa nature, si déjà on ne l'avait reconnue aux autres caractères.
  • L'anthrax ou charbon bénin, par son volume, son siège presque spécial à la région vertébrale, et par tous les autres caractères communs avec le furoncle, ne saurait être pris pour une pustule maligne. Quant à l'anthrax malin ou pestilentiel, qui n'existe que dans les cas de maladies épidémiques de mauvaise nature, et survient après des symptômes généraux plus ou moins graves, il ne pourra non plus être confondu avec la pustule maligne.
  • L'œdème palpébral qui se manifeste sous l'influence d'une cause quelconque, peut, dans certaines circonstances, être pris, et vice versa, pour ce que je propose d'appeler œdème charbonneux ou malin des paupières. Dans ces cas, le gonflement, |337| l'absence de douleur, la couleur des téguments, tout est commun; ce n'est que 36 ou 48 heures après l'apparition du mal, quand se montrent les vésicules et les eschares, qu'on peut être fixé sur sa nature; on ne pourrait auparavant qu'émettre des doutes fondés sur les habitudes et la profession du malade.
  • Certains boutons pustuleux, accompagnés de traînées inflammatoires, en imposent quelquefois, particulièrement lorsqu'ils sont recouverts de croûtes desséchées plus ou moins brunes; la seule présence du pus dans ces boutons devra faire éloigner l'idée du charbon.
  • Chez beaucoup de personnes, spécialement de femmes, dont la peau est douée d'une vive sensibilité, on a vu des piqûres de guêpes ou d'abeilles déterminer un gonflement volumineux et de véritables symptômes d'empoisonnement analogues à ceux de la seconde période de la pustule maligne, tels que: syncopes, vomissements, vertiges, etc. On reconnaîtra ici la nature du mal aux circonstances qui l'ont précédé, à la promptitude avec laquelle les accidents généraux, lorsqu'ils existent, se sont manifestés, à l'absence de vésicules et d'eschares. Il y a bien ordinairement une petite tumeur blanchâtre centrale, arrondie, un peu saillante, au milieu de laquelle on peut même quelquefois retrouver l'aiguillon de la mouche, mais ce ne sont pas là les caractères du charbon. S'agit-il de la piqûre d'un insecte plus petit et moins venimeux, les signes extérieurs seront les mêmes, bien qu'à un moindre degré que dans le cas précédent, et il pourra se faire qu'on aperçoive au centre du petit bouton une légère tache plus ou moins foncée, extrêmement petite, qui indiquera le point où l'insecte aura piqué.
  • C'est ici le lieu, je crois, de parler de la similitude qui existe entre l'action du venin charbonneux et celle du venin inoculé par les crochets de la vipère. J'ai soigné un certain nombre d'individus qui avaient été piqués par ce reptile, et j'ai été constamment frappé de l'extrême analogie qui existe entre les accidents des deux affections; seulement, dans la piqûre de la |338| vipère, il n'y avait pas d'eschare, et la marchè des phénomènes morbides était bien plus rapide.
  • Les follicules sébacés de la peau, notamment ceux de la face, sont souvent atteints d'inflammation avec gonflement assez étendu, sans presque de douleur, et avec formation d'une petite tumeur due à l'accumulation de la matière sébacée, ainsi qu'à du pus qui s'est formé dans lé follicule. Cette matière sébacée, après un séjour plus ou moins long dans l'ampoule qui l'a sécrétée, acquiert, dans beaucoup de cas, une couleur brune à sa surface, de sorte qu'on a là une tumeur assez peu douloureuse avec point central noirâtre; néanmoins il n'y a pas de vésicules caractéristiques, et la pression fait presque toujours sortir de la poche qui les contient et la matière sébacée et le pus: dès lors, pas de méprise possible.
  • Malgré les caractères différentiels que je viens d'exposer, il arrive encore des cas où l'examen ne donne, dès le début, qu'un résultat douteux; ces cas sont rares, il est vrai, et la marche dé la maladie vient bientôt dissiper toute erreur, vaut toujours mieux alors, bien qu'il y ait incertitude, appliquer le remède qui convient à la plus grave des deux affections, en y mettant toute la réserve possible.

Du pronostic de la pustule maligne.

  • L'opinion vulgaire, dans les pays où règne la pustule maligne, est que cette affection non soignée entraîne nécessairement la mort. Cette opinion n'est pas rigoureusement exacte, comme nous l'avons vu; mais on doit reconnaître qu'abandonnée à elle- même, elle est mortelle dans l'immense majorité des cas: il peut même arriver, dans certains cas, quoique fort rarement, que le traitement le plus énergique ne prévienne pas cette issue funeste, et alors que la maladie n'a pas fait en apparence de très-grands progrès. Le pronostic de la pustule maligne peut donc être considéré comme généralement grave. |339| Celle qui a son siège à la tète et au cou est bien plus grave que celle des membres; il y a plus de danger quand il y a plusieurs tumeurs que lorsqu'il n'y en a qu'un. Elle est sans remède si la tuméfaction est devenue énorme, la peau froide, les battements artériels nuis. Dans les cas où les symptômes généraux, bien qu'assez développés, sont moins intenses, on peut conserver un assez grand espoir de sauver le malade.
  • La mort n'est pas la seule terminaison fâcheuse à redouter dans la pustule maligne: elle laisse encore après elle des cicatrices ou des pertes de substances que j'ai déjà indiquées sommairement, et qui sont souvent tellement hideuses qu'elles forcent ceux qui en sont atteints à les dissimuler à l'aide de bandages appropriés ou de pièces artificielles: telles sont celles des paupières, du nez et du menton. L'éraillure des paupières, surtout celle de l'inférieure, est la difformité la plus commune de toutes; aussi, quand on a à traiter une pustule ayant son siège sur ces parties, doit-on redoubler de soins pour en prévenir la suite, et mettre autant que possible de discrétion dans la cautérisation, tout en la faisant de manière qu'elle soit efficace. Nous rencontrons à chaque instant, dans nos pays, des malheureux atteints de ce fâcheux renversement, qui est en quelque sorte caractéristique. On pourrait, dans ces cas, parier à coup sûr qu'ils ont été affectés du charbon.

De la nature et des causes de la pustule maligne.

  • La pustule maligne, maladie de nature essentiellement gangréneuse et septique, est le résultat de l'absorption d'un virus spécial par la peau 5), recouverte le plus souvent de son épiderme, |340| ou dénudée, et par les membranes muqueuses, au moins à leur origine. Ce principe, qu'on peut appeler charbonneux, carbonculeux, n'a jamais été isolé du reste: il a pour véhicule ordinaire le sang, les humeurs, les chairs même, en général les dépouilles et jusqu'aux excréments des animaux qui ont succombé à des maladies gangréneuses internes ou externes. Les premières de ces affections sont désignées, par les cultivateurs, sous le nom de sang de rate ou simplement de maladie de sang. Tous les animaux domestiques ne sont pas aptes à transmettre le virus charbonneux. Les recherches auxquelles je me suis livré à cet égard me permettent d'affirmer que les animaux herbivores possèdent seuls la fâcheuse propriété de communiquer à l'homme cette cruelle maladie, comme aussi d'y succomber eux-mêmes: ce sont principalement le mouton, l'espèce bovine, le cheval et l'âne. On trouve dans les auteurs des cas où le charbon aurait été transmis par le lièvre 6). Quelle peut être la cause de cette malheureuse disposition? doit-on l'attribuer à la faculté qu'a le sang de ces animaux de se décomposer? j'avoue mon ignorance à cet égard, et je me borne à signaler le fait.
  • Presque tous les auteurs prétendent, ce qui est tout à fait contraire à mon observation et à celle des praticiens de ce pays, que la pustule maligne est bien plus commune dans les vallées, et après les étés humides, que dans les plaines et |341| pendant les étés chauds et secs. La théorie elle-même me semble opposée à cette opinion. Dans les vallées, en effet, et dans les temps pluvieux, les herbages n'ont pas une force suffisamment réparatrice; il en résulte, pour les animaux qui s'en nourrissent, des maladies de langueur, des phthisies, connues sous le nom de pourriture, dont l'essence est diamétralement opposée à celle de l'affection charbonneuse, qui est le résultat d'une altération du sang occasionnée par une trop grande concentration des matériaux nutritifs. Quoi qu'il en soit de cette explication, l'observation prouve que la maladie qui nous occupe se manifeste dans nos contrées, au moins presque exclusivement, pendant les grandes chaleurs, quand les animaux se nourrissent de végétaux dont le suc est desséché par le soleil, lorsque la terre elle-même est devenue brûlante et qu'ils n'ont aucun abri: il en périt, dans ces cas, d'immenses quantités dans les plaines de Beauce. Une autre preuve directe de ce que j'avance, c'est qu'il suffit de faire paître pendant un certain temps ces troupeaux sur les prairies naturelles, pour mettre fin à leur mortalité: aussi les fermiers de plaine en agissent-ils ainsi. Si, comme on vient de le voir, dans les années sèches et pendant l'été, les bestiaux sont bien plus fréquemment atteints de la maladie charbonneuse, comme ce sont leurs dépouilles qui la communiquent à l'homme, celle-ci devra être bien plus fréquente dans ces conditions: elle semble, en effet, alors presque épidémique, tant elle est commune.
  • Il n'est pas nécessaire que les animaux soient malades d'une manière appréciable, ou au moins qu'ils succombent, pour transmettre la maladie (obs. 6 et 8 ): quelquefois il suffit de panser leurs plaies pour la contracter (obs. 4).
  • La viande des animaux malades est-elle susceptible de transmettre le charbon? Les auteurs ne sont pas d'accord à cet égard, et pour mon compte je n'ai aucun fait qui prouve que cela soit possible. Pourtant, des écrivains de grand mérite |342| le pensent. Viricel, chirurgien major de l'hôpital de Lyon, rapporte même l'observation d'un individu qui succomba à une pustule charbonneuse développée sur le colon, pour avoir mangé de la viande d'un animal qui avait succombé à cette affection. Dans ce cas, la mort ne serait-elle pas due plutôt à une altération des follicules muqueux, développée sous l'influence d'une fièvre grave? On a encore prétendu que la chair des animaux surmenés était susceptible d'y donner lieu. Si cela est vrai, ce doit être dans des circonstances heureusement fort rares. 11 n'est pas toujours besoin que les dépouilles animales soient fraîches pour transmettre le charbon: certaines d'entre elles, le crin, la laine, par exemple, peuvent conserver bien longtemps cette fâcheuse propriété, et cela, malgré toutes les préparations qu'on aura pu leur faire subir. Je me rappelle qu'étant interne à l'hôpital Saint-Antoine, en 1830, dans le service de M. Velpeau, je vis un jeune ouvrier tapissier venir s'y faire soigner pour une pustule maligne qu'il portait au devant de la jambe. Ce jeune homme était occupé depuis quelque temps à extraire le crin contenu dans de vieux fauteuils. Les individus qui, par profession, sont appelés à soigner les animaux et qui travaillent leurs dépouilles, sont presque les seuls exposés à contracter cette maladie: aussi la rencontre-t-on à peu près uniquement chez les tanneurs, les mégissiers,les équarrisseurs, les bouchers, les bergers, les cultivateurs, les maréchaux, les palefreniers, etc.
  • Les différentes parties des animaux ne sont pas les seuls véhicules du principe de la maladie charbonneuse. Certains insectes, après avoir sucé les sucs putrides d'animaux morts ou malades, en venant se reposer sur l'homme, sont susceptibles de la lui transmettre. J'ai eu fréquemment l'occasion d'observer le charbon chez des individus qui habitaient dans le voisinage des mégissiers ou des marchands de peaux. J'ai observé aussi une fois la transmission du mal occasionnée par la piqûre d'un ricin ou taon qui sortait d'une toison de |343| brebis. Une autre fois, je l'ai vu communiqué par une écharde détachée d'une pièce de bois venant d'une bergerie. Il suffit, dans quelques cas, de toucher les vêtements des ouvriers des professions sus indiquées, ou d'avoir des rapports avec eux, pour la contracter, bien qu'eux-mêmes en soient exempts (obs. 7).
  • Un fait qui parait étrange, et qui est pourtant suffisamment constaté, c'est que, sous la même latitude, et dans des conditions géologiques et de température semblables, en France, par exemple, la pustule maligne ne soit pas également commune partout: il existe des provinces où on la connaît à peine. Celles où on l'observe le plus souvent sont la Bourgogne, la Franche-Comté, le Lyonnais, le Languedoc, et j'ajouterai la Beauce. Dans le Nord, elle paraît rare, et je suis disposé à croire qu'elle est peu répandue chez les peuples qui nous environnent, ne l'ayant trouvée décrite d'une manière reconnaissable dans aucun des traités anglais ou allemands que j'ai pu consulter.
  • L'application du virus charbonneux sur la peau étant la cause nécessaire du développement de la pustule maligne, on conçoit que les parties découvertes du corps en soient le siège presque exclusif; ainsi la face, le cou, les mains, les bras et les jambes sont presque les seules parties où elle se manifeste. Quand par hasard elle se développe sur d'autres parties, on peut être sûr que le venin y a été porté directement par les doigts pu d'autres agents qui en étaient imprégnés.
  • La peau, comme je l'ai déjà dit, n'est pas la seule partie sur laquelle ou la rencontre; on l'a observée sur la langue. Enfin, je pense que, dans les cas d'œdème malin des paupières, l'absorption a lieu par la conjonctive, sans développement de bouton spécial.
  • Le charbon est-il contagieux de l'homme à l'homme? l'est-il de celui-ci aux animaux? La première question est résolue |344| affirmativement par quelques auteurs, notamment par Thomas, qui a vu une femme le contracter en pansant son mari qui en était atteint à la figure. Cette femme vit bientôt la même maladie se développer sur sa joue, pour s'être essuyé les yeux remplis de larmes avec ses doigts empreints de l'ichor contenu dans les vésicules charbonneuses qu'elle venait d'ouvrir; tous deux guérirent, au reste, par les soins du chirurgien que je viens de nommer. Quant à la seconde question, je ne pourrais la résoudre; il m'a été impossible de me livrer jusqu'à présent à des expériences sur ce sujet.

Du traitement de la pustule maligne.

  • Il est peu de maladies pour lesquelles un traitement convenable et promptement appliqué soit plus nécessaire. Le moindre retard peut être cause des plus graves accidents et de la mort même. Avant de parler du traitement proprement dit, je dirai un mot du traitement préservatif de cette affection.
  • Il consiste en simples moyens hygiéniques que doivent mettre en usage toutes les personnes qui, par profession, sont appelées à soigner des bestiaux ou à travailler leurs débris.
  • Ainsi il faudra, toutes les fois qu'on aura fouillé un animal7), se laver immédiatement le bras avec le plus grand soin et à grande eau, mieux vaudrait avec de la lessive de cendres ou une légère solution aqueuse chlorurée; on agira de même après avoir pansé quelque plaie de ces mêmes animaux. On pourrait substituer alors sans inconvénient à la lessive le vinaigre et même l'eau de chaux. Dans les cas où ces moyens manqueraient, l'urine elle-même pourrait être employée. Il faudrait redoubler de précaution si l'épiderme était |345| enlevée sur quelques points. On évitera encore avec grand soin de tenir entre ses dents le couteau qui servit à dépouiller l'animal, et en été, de porter sur l'épaule, le cou étant nu, la peau fraîche de la bête qui vient d'être équarrie; j'ai vu plusieurs fois des bergers contracter le charbon pour en avoir agi ainsi.
  • Quant aux ouvriers mégissiers, tanneurs ou équarrisseurs, ils devront, après avoir travaillé des dépouilles d'animaux soupçonnés morts du sang, user des lotions ci-dessus indiquées, plusieurs fois par jour, au moins avant chaque repas. Il leur faudra surtout se mettre constamment en garde contre l'envie de se gratter telle ou telle partie du corps avec les doigts salis de matière animale.
  • Le traitement curatif proprement dit a pour but de détruire le principe septique dans son centre primitif, et à le combattre dans l'économie entière, lorsqu'il l'a infectée, à l'aide de moyens appropriés: de là deux modes curatifs, un externe ou local, et l'autre interne. En général, ces deux sortes de moyens curatifs devront presque toujours marcher de front, parce que, dans la plupart des cas, on n'est appelé que dans la seconde période du mal.
  • Le traitement local consiste dans l'application sur la pustule elle-même de caustiques plus ou moins puissants, destinés à anéantir le foyer toxique.
  • Tout le monde est d'accord sur le principe de la cautérisation; mais chacun varie sur l'agent spécial propre à l'effectuer: les uns emploient le beurre d'antimoine solide ou liquide, d'autres le nitrate acide de mercure; il en est qui préconisent le fer rouge. Pour mon compte, j'ai trouvé ce moyen fort infidèle, et il est d'ailleurs très-effrayant. Le caustique qui m'a paru préférable à tous les autres, qui est, du reste, employé par un très-grand nombre de praticiens, c'est la potasse ou pierre à cautère. Avant de décrire le procédé que j'emploie avec succès, je dirai que depuis longtemps j'ai rejeté |346*| comme inutiles, barbares et dangereuses même, les incisions grandes ou petites, pratiquées dans les environs de la pustule charbonneuse. Outre la douleur qu'elles occasionnent, elles ont l'immense inconvénient défavoriser la mortification et de faire pénétrer des fluides putrides dans des chairs encore saines. La vitalité a une si grande tendance à s'éteindre, dans ces cas, que la moindre division ou cautérisation peut déterminer la formation d'eschares énormes, qu'on attribue à la maladie elle-même, bien qu'elles soient le résultat du traitement.
  • Muni d'un morceau de potasse caustique, autant que possible de potasse à l'alcool, je le charge dans le porte-nitrate, si la potasse est fondue en cylindre, ou je le saisis à l'aide de pinces à pansement, quand elle est en tablette. Le malade étant assis ou couché, je commence à ouvrir les vésicules en promenant circulairement sur elles et sur l'eschare mon morceau de caustique; dans le cas où cette eschare est trop sèche ou trop épaisse, j'en enlève quelques pellicules à l'aide d'une lancette bien affilée. Au bout de quelques instants, l'avidité de la pierre pour l'humidité fait que la portion de celle-ci qui est en contact avec les parties malades se dissout et pénètre les chairs, qui se délayent et forment un détritus qui s'amasse circulairement sur les bords de la petite excavation que l'on creuse ainsi. 11 arrive même souvent que la vive irritation occasionnée par la potasse détermine un afflux assez considérable de sérosité dans la plaie: cette sérosité venant à dissoudre trop vite le caustique, celui-ci peut couler au point de déterminer de larges et profondes eschares, suivies de difformités plus ou moins fâcheuses. Pour éviter ce grave inconvénient, j'ai soin d'essuyer avec un linge tenu de la main gauche les coulées de potasse dissoute, sitôt qu'elles se forment. Après une ou deux minutes, on a généralement atteint les parties les plus profondes de la tumeur, ce qui se reconnaît à un léger écoulement sanguin. La plaie ainsi obtenue est profonde de 4 à 5 millim., de forme conique, et comprend ce que j'appelle |347| la tumeur charbonneuse. Cette petite opération est assez douloureuse et ne doit pas toujours se borner au bouton malin: la cautérisation doit aussi atteindre les vésicules qui se sont développées plus ou moins loin de celui-ci. Je me contente alors de toucher légèrement la surface cutanée sur laquelle reposent ces vésicules, toutes les fois, bien entendu, qu'une portion de téguments sains les sépare de la pustule elle-même; car si elles touchent cette dernière, il est bien évident qu'il faut les comprendre dans la même destruction.
  • Quand j'ai lieu de craindre que quelques portions aient échappé à la cautérisation, et s'il n'y a pas à redouter la lésion de quelque organe important, je mets au fond de la petite plaie un morceau de potasse gros comme une forte tête d'épingle, ou comme une lentille, et je couvre le tout d'un morceau d'agaric bien moelleux que je maintiens à l'aide d'un bandage contentif simple, dans le cas où il n'y a que peu ou point de gonflement: dans le cas contraire, je fais appliquer sur la tumeur des compresses trempées dans une forte décoction de fleur de sureau, animée ou non, suivant les circonstances, d'eau-de-vie camphrée. Je me contente quelquefois, surtout l'hiver et lorsque la tuméfaction est médiocre, d'une couche de ouate.
  • Le lendemain de l'opération, l'eschare est noire, plate et déprimée, souvent l'agaric y adhère intimement, malgré les compresses de décoction de sureau. Cette eschare a envahi circulairement 2 ou 3 millim. de parties molles non détruites primitivement.
  • Si la tuméfaction n'existait pas ou si elle était modérée avant l'application du caustique, les parties noires et mortes se confondent le plus souvent, sans aucune ligne de démarcation, avec les parties vives, et au bout de quelques jours une croûte noire, sèche et peu épaisse se soulève d'abord sur les bords, puis se détache complètement, vers la troisième ou quatrième semaine, sans aucune trace de suppuration; il en résulte une cicatrice rouge, ordinairement un peu saillante, qui ne pâlit |348| qu'après plusieurs années. Quand l'eschare a 2 centim. au plus de diamètre, elle se détache rarement sans sécrétion de pus: il reste, par conséquent, après la séparation de celle-ci, une plaie plus ou moins bourgeonnante, qui ne demande d'autres soins que ceux appliqués à ces sortes de lésions, quelle qu'en soit la cause.
  • Dans les cas où le gonflement était assez prononcé et où déjà des symptômes généraux avaient apparu, on trouve presque toujours, le lendemain, que les parties mortes sont séparées des téguments sains par un bourrelet circulaire, continu, grisâtre, ridé, large de 1 ou 2 millim., peu saillant. On ne devra pas s'effrayer de l'apparition de ce bourrelet; et s'il n'existe pas au voisinage de vésicules isolées, on se contentera, quel que soit l'état général et local, de continuer les applications résolutives. Mais si des vésicules, groupées plus ou moins régulièrement au pourtour ou dans les environs de l'eschare, ont apparu de nouveau, il faudra les réprimer l'aide du caustique: on se contente de le promener à leur surface. Si, malgré cette nouvelle cautérisation, il s'en reformait encore, on les détruirait à mesure qu'elles se montreraient, à moins qu'il n'y ait amélioration des symptômes généraux. On peut alors se tranquilliser, elles ne tarderont pas à se flétrir. Bien que la cautérisation ait été pratiquée avec tout le soin possible, et d'assez bonne heure, il arrive fréquemment, surtout s'il existait déjà un gonflement assez fort, que la tuméfaction et les symptômes internes continuent à faire des progrès; j'ai même souvent observé que les accidents, dans ces cas (obs. 9 et 12), ne cessaient de marcher jusqu'au neuvième jour. Malgré cela, il est rare que les malades succombent. J'attribue cette augmentation du mal à ce qu'une certaine quantité de virus a été absorbée avant l'application du caustique. Il ne faudrait pas, sous prétexte d'atteindre ce principe virulent, produire d'énormes eschares qui n'auraient pour résultat que d'aggraver l'état local, puisque ces cautérisations |349| ne pourraient jamais détruire tous les tissus imprégnés, et surtout atteindre le virus absorbé; c'est pourquoi je me borne alors aux moyens que j'ai indiqués plus haut, c'est-à-dire à la destruction de toute la tumeur charbonneuse et à la répression des nouvelles phlyctènes à mesure de leur apparition. L'amélioration n'est pas toujours immédiate: fréquemment l'état du malade reste stationnaire pendant 36 ou 48 heures; bientôt on voit la tuméfaction diminuer de la circonférence au centre, les téguments se rident, parfois ils deviennent d'un rose plus ou moins vif, ce qui est toujours d'un bon augure; les vésicules se dessèchent, les points de la peau qu'elles occupent sont ordinairement jaunâtres, parfois ecchymosés; peu à peu tout rentre dans l'état naturel, excepté la plaie qui suppure le plus souvent et ne demande qu'un pansement simple. L'induration des parties centrales peut persister longtemps, je l'ai vue durer plusieurs mois.
  • Tel est le traitement externe ou local que je mets depuis longtemps en pratique, et qui m'a réussi constamment, lorsqu'il n'est pas appliqué trop tard; je l'ai même vu suivi de succès dans des cas presque désespérés. La préférence que je lui accorde sur la manière ordinaire d'appliquer le caustique est basée sur la certitude qu'on a de détruire le mal et rien que le mal, et de n'avoir que des cicatrices peu étendues, assez régulières, tout en agissant avec énergie. Lorsque dans le procédé habituel on abandonne le caustique sous un morceau de sparadrap ou un emplâtre quelconque, il peut se déplacer, couler plus on moins loin, et désorganiser les tissus sains, en laissant presque intacts ceux qu'il était important de détruire. Je préfère la potasse, parce que cet agent est facile à manier, se dissout vite, pénètre promptement les chairs et forme avec elles un détritus mou qui permet aisément de sonder la profondeur du mal.
  • Il y a beaucoup moins de danger qu'on ne pourrait le penser |350| à blesser telle ou telle partie importante, lorsque la pustule siège sur son trajet: en effet, quand le mal est récent, il suffit de cautériser l'épaisseur de la peau; s'il est déjà ancien, au contraire, les téguments s'éloignent des organes qu'il importe de ménager, et on peut pénétrer plus profondément avec sécurité, en prenant pourtant toutes les précautions convenables.
  • Mon intention n'est pas d'exposer ici tous les moyens particuliers qui ont été préconisés pour combattre l'affection charbonneuse, je dirai seulement un mot sur la ligature appliquée circulairement autour d'un membre quand celui-ci est le siège du mal. Je l'ai mise en usage une seule fois; le gonflement cessa, il est vrai, immédiatement et complètement au-dessus du lien; mais je fus bien vite obligé de couper celui-ci, le bras serait tombé en gangrène.
  • Quant aux agents que les charlatans emploient, ils consistent le plus souvent dans l'application de substances cathérétiques, il est vrai, mais presque toujours trop faibles ou mal dirigés. Ce sont habituellement des emplâtres d'ægyptiac saupoudrés de vert-de-gris, des acides plus ou moins concentrés, des décoctions astringentes de diverse nature, moyens dont l'effet est, on le conçoit, très-incertain. Ils y joignent souvent des pratiques plus ou moins ridicules et superstitieuses; quelques-uns même se bornent à ces dernières. Malgré cela, le vulgaire a malheureusement une confiance aveugle dans les recettes de ces empyriques8).
  • L'absence de pustule ou de bouton dans l’œdème charbonneux des paupières rend le traitement local très-embarrassant; on ne peut guère appliquer, au début, que des décoctions fortement toniques et excitantes, telle que celle de kina concentré, animé d'eau-de-vie camphrée. Quand apparaissent les eschares, on doit cautériser avec la plus grande précaution, comme toujours. Au reste, lorsqu'on agit sur les paupières, les coulées de caustique devront surtout être surveillées, car elles |351| pourraient pénétrer dans l'œil et le léser gravement. Une fois j'ai réussi en promenant sur les paupières, dont le gonflement ne datait que de la veille, un crayon de nitrate d'argent fondu, imbibé d'eau. Dès le lendemain une rougeur de bon augure se montra sur les parties tuméfiées, et la guérison fut prompte. Les téguments ne se sphacélèrent pas, et il ne survint aucune difformité.
  • Il est rare qu'on puisse se contenter de moyens externes dans le traitement de la pustule maligne; les malades viennent presque toujours réclamer vos soins, lorsque déjà des symptômes généraux, même intenses, sont survenus. Il faut donc avoir recours à une médication interne.
  • Tous les auteurs ne sont pas d'accord sur les moyens médicaux proprement dits à employer dans cette affection. Les uns, y voyant une inflammation, préconisent la saignée et les sangsues pour la combattre; d'autres, également partisans des émissions sanguines, les considèrent comme propres à éliminer une partie du principe septique circulant avec le liquide. Avant d'aller plus loin, je dirai que rien ne me paraît si contraire à la cure de cette maladie que ces évacuations de sang, et je m'appuierai ici sur l'autorité pratique des Pinel, des Boyer, des Chaussier, etc. En effet, dans la pustule maligne arrivée à la seconde période, il y a bien de l'accélération du pouls, mais celui-ci, quoique plein et large, est mou et très-dépressible, le malade est d'une faiblesse extrême, tout annonce chez lui un état d'atonie complète, sous une écorce phlegmasique, si je puis m'exprimer ainsi. La raison n'exclurait-elle pas a priori l'emploi du plus énergique des débilitants, que l'expérience devrait le faire repousser; j'ai vu des malheureux atteints de charbons peu intenses succomber après une seule saignée. La seconde manière d'envisager l'action de cet agent thérapeutique me paraît beaucoup plus étrange. Quoi, sous prétexte de soustraire une certaine quantité de poison, on extrairait du corps le fluide vital, sans lequel l'organisme |352| ne pourrait combattre l'agent topique! Les sangsues ont môme un inconvénient particulier, c'est que leurs piqûres peuvent s'enflammer et devenir facilement gangréneuses: j'ai vu un cas de ce genre. Ainsi donc, à moins d'être aveuglé par de vaines théories ou d'avoir eu peu d'occasions de traiter cette affection, on rejettera comme très-nuisible toute déplétion sanguine, et ce sera même aux agents opposés qu'on devra nécessairement s'adresser, à moins que le cas ne soit des plus bénins.
  • Quand les symptômes généraux se bornent à du malaise, avec léger mal de tête, à de l'inappétence et un peu de faiblesse, je fais coucher le malade, je lui prescris une boisson rafraîchissante: limonade, eau de groseille, bouillon aux herbes, etc., quelques pédiluves, une diète légère, du bouillon, quelques fruits mûrs ou cuits, suivant la saison. Les accidents devenant plus intenses, le pouls étant petit, irrégulier, des vomissements, de l'oppression, des défaillances, du refroidissement aux extrémités, des sueurs froides, enfin tous les symptômes de la dernière phase de la seconde période se montrant, je mets en usage les toniques fixes ou diffusibles les plus actifs, tels que infusions chaudes de thé, de camomille, de tilleul, les décoctions de kina, de polygala, la limonade vineuse, le vin chaud sucré, aromatisé de citron ou de cannelle: on devra, dans l'emploi de ce dernier agent, éviter de produire l'ivresse; je fais prendre au malade, toutes les heures, une cuillerée à bouche d'une potion composée comme il suit: eau de cannelle, de menthe poivrée, 60 à 60 grammes; de fleur d'oranger, 12 grammes; esprit de Mindererus, 10 grammes; élixir de Garus et sirop de kina, de chaque, 20 à 30 grammes.
  • On ne donnera qu'un petite quantité de boisson à la fois, quand bien même il y aurait une soif très-vive; il vaudra mieux y revenir souvent. Les tisanes seront administrées chaudes. Outre ces boissons, les malades prendront des lavements de môme nature, avec addition de 1 gramme ou 2 de |353| camphre, ou d'autant de teinture de musc. Il est rare que j'en vienne aux vomitifs, les secousses qu'ils occasionnent me semblent très-nuisibles. Pourtant, lorsqu'il existe une gêne plus ou moins grande dans la déglutition et même dans la respiration, je n'hésite pas à les mettre en usage.
  • Il est presque inutile d'ajouter que ces moyens devront être variés suivant l'âge, le sexe et le tempérament des individus. On maintiendra une chaleur assez élevée autour du corps du malade. Des sinapismes seront promenés sur les extrémités inférieures et môme sur les supérieures.
  • Lorsque l'amélioration se manifeste, ce que l'on reconnait à une chaleur réactive plus ou moins forte, à la régularité du pouls, à la diminution de la soif, des vomissements et de tous les symptômes graves en général, il faut recourir aux boissons rafraîchissantes et éliminer peu à peu les médicaments toniques et excitants; enfin on arrive graduellement à une alimentation appropriée à l'état de la convalescence.

Bibliographie

1)
Je n'avais pas encore banni les émissions sanguines du traitement de la maladie charbonneuse: d'ailleurs l'affection cérébrale indiquait ce mode de traitement.
2)
Et non Brières-les-Saels simple erreur typographique.
3)
Il serait San» doute plus convenable de donner à la maladie qui nous occupé le nom de vésicule, plutôt que celui de pustule maligne, parce que le bouton qui la caractérise ne contient jamais de pus, mais toujours de la sérosité.
4)
Il arrive cependant quelquefois que l'épiderme existe encore sur l'eschare (obs. 2 et 5); mais ce cas est de beaucoup le plus rare.
5)
Bayle, dans sa Description de l'épidémie charbonneuse qui a régné en 1716 clans le Languedoc, prétend que cette maladie peut se développer spontanément sous l'influence d'une cause interne; mais son opinion est combattue avec raison, ce me semble, par |340| tous ceux qui ont été à même d'étudier la pustule charbonneuse depuis prés d'un siècle. Les preuves qu'il fournit à l'appui de son opinion ne sont rien moins que concluantes; tout semble, au contraire, établir qu'il y a eu communication du principe morbifique des animaux à l'homme, comme dans les autres cas de ce genre.
6)
Pendant que j'écris ce mémoire, je viens de lire dans le Bulletin de thérapeutique un cas de pustule maligne développé sur le dos de la main chez une fille qui avait soigné et frotté un chat galeux. Dans cette observation, les antécédents et les habitudes de celle fille ne sont pas assez spécifiés; d'ailleurs, le mal décrit ressemble plus à un érysipèle gangréneux qu'au véritable charbon.
7)
On appelle ainsi l'opération qui consiste à plonger le bras dans l'intestin rectum de la vache ou du cheval, pour en retirer les matières fécales qui y sont accumulées et qu'on ne pourrait faire sortir autrement.
8)
Note de BG, 2023 — Lisez: empiriques, c'est-à-dire médecins non diplômés.
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