Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Justin Bourgeois

Observation de fièvre intermittente gastrorrhagique (1856)

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Transcription

  • CLINIQUE MÉDICALE.
  • OBSERVATION DE FIÈVRE INTERMITTENTE GASTRORRHAGIQUE.
  • Étampes, le 5 Octobre 1856.
  • Très cher confrère.
  • Dans votre numéro du 16 septembre, je lis une intéressante observation de mon excellent ami et ancien collègue d'internat, M. Ronnet, de Poitiers, sur une fiève intermittente pernicieuse gastrorhagique. Cette communication m'a rappelé un cas presque identique, que j'ai été à même d'observer en 1846; et comme il importe d'élucider une des plus importantes questions de la pathologie gastrique, actuellement à l'ordre du jour, ainsi que le fait remarquer M. le professeur Bonnet, j'ai pensé que, bien qu'il ne s'agit que d'un fait isolé, sa publication pourrait n'être pas sans quelqu'intérêt.
  • Voici du reste l'histoire de ce malade:
  • M. Vallot, cultivateur, habitant un de nos faubourgs, homme riche, vivant largement, âgé de 60 ans environ, d'un tempérament sanguin prononcé, fort et replet, demeurant dans un endroit élevé et sain, n'ayant jamais eu ni hémorrhagies, ni lièvres d'accès d'aucune espèce, mais court de vent et catarrheux, et, chose singulière, boitant comme la malade de M. Bonnet, est pris, vers la fin de l'été 1846, d'un violent frisson, sans cause appréciable et sans indisposition préalable. Bientôt surviennent des évacuations abondantes par haut et par bas; les matières évacuées par les deux voies ont une grande analogie, elles sont grisâtres et assez épaisses; cet état dure trois à quatre heures, je peux l'observer pendant cette crise, et je constate un abattement extrême, face grippée, fort pâle, comme cadavéreuse, pouls petit, d'une fréquence extrême, régulier pourtant; une sueur froide inonde le corps, la voix est presque éteinte, somnolence prononcée, intelligence notablement amoindrie, ventre naturellement développé, mais souple et indolent. Tout semble faire croire que le malade va succomber, et, en l'absence de cause connue, son entourage suppose, d'après les habitudes peu continentes du sieur Vallot, qu'il s'agit ici d'une violente indigestion. Le soir, cependant, la réaction survient, les déjections cessent, et, au bout de quelque temps, il ne reste plus qu'un brisement très marqué de tout le corps, de l'inappétence avec langue très saburrale et de la céphalalgie. Ne le trouvant pas trop mal le lendemain, je crois aussi à un fort écart de régime, que le malade avait caché, suivant sa coutume. Le surlendemain, à peu près à la même heure que la première fois, un nouveau frisson, peu violent encore, survient, il est accompagné de vomissements et de déjections d'abord grisâtres, puis de couleur brune, et, enfin, de sang en partie liquide et en partie coagulé, d'un rouge-brun; les évacuations, ce soir, sont d'une fétidité extrême, face fortement grippée, pouls d'une vitesse extrême, presque imperceptible; refroidissement général avec sueur glacée encore plus marqué qu'au premier accès, on dirait d'un cadavre qu'on vient de retirer de l'eau. Cependant, au bout de six à huit heures, la chaleur commence à reparaître, les selles et les vomissements ont cessé et le patient revient à peu près au point où il en était l'avant-veille, mais plus souffrant encore et presque anémique. Je crois être dans le vrai, en disant que le sang évacué équivalait à deux litres.
  • Il n'y avait pas de temps à perdre, c'était bien à une fièvre pernicieuse hématésémique, si je puis employer cette expression, que j'avais affaire, et à peine les accidents avaient-ils notablement diminué, que je m'empressai de faire prendre 2 grammes de sel de quinine. Le lendemain, 2 autres grammes furent de nouveau administrés en deux doses; ce sel fut parfaitement toléré, et le troisième accès qui survint pourtant, quoiqu'un peu plus tard, ne fut accompagné d'aucun symptôme grave; il y eut un ou deux vomissements muqueux, mais pas de déjections intestinales. Le sulfate de quinine fut continué pendant un certain temps, par doses décroissantes, conjointement avec les ferrugineux, et un régime réconfortant, ce qui ne tarda pas à remettre ce malade tout à fait sur pied et sans qu'il reste la moindre gêne dans les fonctions digestives, ni la plus petite douleur de ventre.
  • Depuis, M. Vallot a été fréquemment atteint d'un asthme catarrhal fort pénible, et, il y a environ dix-huit mois , il est tombé dans un état d'hébétude et de semi-paralysie, suite de congestions sanguines du cerveau.
  • Il n'est pas possible d'admettre que, dans le cas cité par M. Bonnet et dans celui dont je viens de chercher à donner la description, le sang put provenir d'une surface ulcéreuse, et il doit rester hors de doute que l'hémorrhagie a eu lieu ici en nappe et par exhalation de la plus grande partie de la surface gastro-intestinale; la |**507*| simultanéité des évacuations par haut et par bas, ainsi que le peu d'altération du sang rendu par l'anus, le démontrent suffisamment, au moins pour le sieur Vallot. Or, s'il peut en être ainsi pour les hémorrhagies du tube digestif survenues sous l'influence d'une cause périodique, on ne voit pas pourquoi, dans certaines hémathémèses ordinaires, la nature procéderait différemment. Ne voyons-nous pas tous les jours, notamment chez les femmes mal réglées et chez celles qui approchent de l'âge critique, des vomissements de sang survenant tout à coup, et assez abondants parfois pour remplir en quelques instants un vase de nuit, sans qu'aucun symptôme de lésion gastrique se soit jamais montré; et d'ailleurs, pourquoi n'en serait-il pas de l'estomac comme des fosses nasales par exemple? En cas d'épistaxis, n'est-ce pas une membrane muqueuse, molle, également vasculaire et dont les capillaires retiennent à peine le sang, qui sert de revêtement intérieur à ces deux ordres de cavités? Ne voit-on pas souvent encore des flux hémorrhoïdaux des plus copieux survenir sans la moindre ulcération de la muqueuse rectale? Enfin, il n'est pas jusqu'à la peau elle-même, malgré sa densité bien plus considérable, qui ne puisse, dans certains cas, exhaler du sang sans la plus petite désorganisation. Bien loin de moi cependant l'idée de vouloir amoindrir en quoi que ce soit l'importance des belles recherches de l'illustre professeur d'anatomie pathologique de la Faculté de Paris. Il a rendu assez de services à la science en démontrant qu'il ne fallait pas, dans beaucoup de cas d'hémathémèses, porter un pronostic désespéré, en indiquant les signes propres à reconnaître ces cas et les moyens d'en triompher, pour que cette nouvelle manière de voir doive faire oublier, comme on l'a fort bien dit, les autres causes productrices admises de tout temps.
  • Si on ne trouve pas, comme le fait encore remarquer notre confrère de Poitiers, de fièvre pernicieuse de la nature de celles qui nous occupent dans les auteurs qui se sont spécialement occupés de ces sortes de maladies, cela tient, sans aucun doute, à leur peu de fréquence; il est pourtant bien probable que celles que nous citons ne sont pas les seules qui aient jamais été observées, si on veut bien réfléchir que les pyrexies périodiques portent principalement leur action sur le système abdominal, et qu'il n'y a aucune forme que ne puissent revêtir les fièvres pernicieuses. Ne sait-on pas encore que dans les pays chauds les fièvres d'accès graves et la dysenterie sont fréquemment réunies de manière à ne faire qu'une seule maladie, complexe, il est vrai, mais dans laquelle les deux éléments morbides sont intimement combinés, et des évacuations sanguinolentes propres à la dysenterie aux déjections purement sanguines, il n'y a qu'un pas.
  • Veuillez agréer, etc.
  • Dr Bourgeois.

Bibliographie

hn/hn.justin.bourgeois.1856c.txt · Dernière modification: 2023/10/21 02:30 de bg