Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Justin Bourgeois

Observation de tétanos mortel survenu à la suite de la cautérisation d'une tumeur par un caustique (1858)

Scans

Transcription

  • OBSERVATION DE TÉTANOS MORTEL SUBVENU À LA SUITE DE LA CAUTÉRISATION D'UNE TUMEUR PAR UN CAUSTIQUE.
  • Étampes, le 28 janvier 1858.
  • Monsieur et très honoré confrère.
  • Depuis quelque temps, il existe une grande tendance, dans le monde chirurgical, à remplacer l'instrument tranchant par le caustique, non seulement pour l'ablation de tumeurs considérables, mais encore pour l'amputation des membres, de sorte que ces deux puissants moyens, qui, depuis des siècles, vivaient côte à côte, sans trouble ni discussion, se bornant à se prêter un mutuel appui, à se compléter l'un l'autre; le dernier ayant seulement le monopole des légères affections externes, des petits ulcères cutanés, de mauvaise nature, se sont déclarés une guerre à outrance.
  • Après l'article si remarquable de M. Forget, inséré dernièrement dans votre estimable journal, je ne me permettrai pas de venir me poser comme juge dans le procès engagé entre le fer et le feu (potentiel); mais l'affaire ne me paraissant pas encore instruite à fond, j'apporterai, simple témoin, un fait qui peut être de quelque importance dans ce litige, et qui a besoin, il me semble, d'être connu; je yeux parler d'un cas de tétanos, promptement mortel, suite d'une forte application de caustique sur une tumeur considérable du bras.
  • Bien qu'on puisse dire que la chose soit renouvelée des Grecs, cependant l'usage exclusif des substances çathérétiques n'avait jamais été abandonné par les médicastres du fond de nos campagnes, comme seul moyen de destruction ou d'ablation séparative, et cela pour deux motifs surtout: d'abord, parce qu'il n'est pas nécessaire pour cet emploi de posséder des connaissances anatomiques bien précises, et ensuite parce qu'agissant ainsi, on flatte la pusillanimité, souvent poussée jusqu'à la poltronnerie, des gens de la campagne, leur clientèle la plus habituelle, gens qui ont une telle peur du bistoori, qu'ils préféreraient être brûlés vifs que d'en tenter les moindres atteintes; en un mot, c'était un moyen d'accaparement de ce genre de pratiques.
  • Depuis Çancoin, des hommes éminents et consciencieux se sont sérieusement, et dans un but vraiment scientifique, occupés des agents caustiques; M. Girouacd, de Chartres, est un de ceux qui les ont le plus expérimentés. Vous avez aussi reproduit, il n'y a pas longtemps dans vos colonnes, l'intéressant mémoire de deux autres médecins distingués de la même ville, MM. Maunoury et Salmon, sur l'amputation des membres au moyen des caustiques.
  • On sait aujourd'hui que ces agents de désorganisation, outre leurs propres inconvénients, ne sont pas aussi exempts d'accidents consécutifs qu'on l'avait cru d'abord. Ainsi, il n'est pas très rare de voir leur emploi suivi d'hémorrhagies sérieuses, d'érysipèle, de phlegmons, de suppuration d'une abondance menaçante, etc. Le cas de tétanos que je viens de signaler doit encore être ajouté à cette liste de conséquences graves. Ce n'est pas, au reste, la première fois que je l'observe, même après une cautérisation relativement légère; j'ai vu deux de mes malades atteints de pustule maUgne y succomber en pleine convalescence, leur plaie, commençant déjà à se cicatriser.
  • Voici, du reste, le fait que je viens vous signaler:
  • Un jeune paysan d'environ 18 ans, né de parents sains, d'une bonne constitution, de tempérament sanguin, n'ayant jamais eu de maladies habituelles, vit paraître, il y a environ une année, une petite tumeur, molle, indolente, à la partie interne et inférieure du bras gauche, un peu au-dessus du condyle huméral correspondant. Ce jeune homme attribuait l'origine de ce mal à un coup reçu dans cette région peu de temps auparavant. Je le vis pour la première fois dans le courant de février dernier; la grosseur avait une forme à peu près conique, elle était molle, fluctuante même, sans battement et sans changement de couleur à la peau; elle n'avait évidemment aucune adhérence profonde. Croyant avoir affaire à un simple kyste sanguin, je lui conseillai d'entrer à l'hôpital, pensant, je l'avoue, qu'il serait facile de le guérir par des injections de teinture d'iode. Il ne suivit pas mon conseil et resta quelque temps sans rien faire, puis consulta un de mes confrères, vers le mois de juillet; nous le revîmes alors ensemble. La tumeur avait plus que triplé de volume et ne présentait toujours ni battements ni douleur; le sommet seul, bleuâtre, était resté fluctuant, la base offrait une consistance demi-solide. Pensant bien alors, sans en être certain toutefois, que cette affection pouvait être de nature maligne, nous voulûmes néanmoins tenter de coaguler le sang qu'elle contenait, ce qui pouvait déterminer eu une résorption lente ou une suppuration qui avait la chance de la faire fondre et de la détruire. À trois ou quatre fois, jusqu'à 10 et 12 gouttes de solution concentrée de perchlorure de fer y furent injectées, sans produire de coagulation manifeste ni de vives douleurs; aucun signe d'inflammation phlegmoneuse ne survint. Je dois dire aussi qu'il sortait à chaque fois une très grande quantité de sang noir liquide, après l'extraction de la petite canule.
  • Le mal augmentant toujours, sur le conseil de l'un de nous, il alla consulter à Paris, et vit entre autres M. le professeur Nélaton, qui, à ce qu'il paraît, pensa que le malade était atteint d'une tumeur fibro-plastique, et qu'il n'y avait que l'amputation du bras qui pût le sauver, encore, suivant cet éminent praticien, la récidive était-elle fort à craindre.
  • Le malade ne voulant pas rester à Paris vint se faire admettre à notre hôpital dans le courant du mois d'octobre dernier; il offrait alors l'état suivant:
  • La tumeur avait acquis un grand développement depuis le milieu de l'été; sa forme était ovalaire, son grand diamètre, situé suivant l'axe du bras, mesurait 15 centimètres, et elle dépassait en ce sens le milieu de ce fragment du membre supérieur; transversalement et en épaisseur, elle avait 6 centimètres. Elle était encore flottante; en pressant la base, ou sentait qu'elle s'attachait médiatement à l'os du bras par la portion de l'aponévrose brachiale qui se fixe au bord interne de l'humérus en remontant de l'épitrochlée, mais elle ne paraissait pas naître immédiatement soit du périoste, soit du tissu osseux. Sa surface était assez lisse vers le milieu; il y avait toujours un point fluctuant, et la peau était mince et bleuâtre. Le centre du mal offrait la sensation d'un corps spongieux gorgé de liquide, et la base, plus ferme, était sensiblement onduleuse, sans être fort dure. Les téguments, sauf le point indiqué, avaient conservé leur couleur habituelle. Pas plus qu'avant l'injection, ce mal n'était douloureux; la palpation même la plus forte ne l'était pas non plus. On n'y entendait ni battements, ni bruissements quelconques, et on sentait très bien à sa partie antérieure externe l'artère brachiale, dont les pulsations étaient des plus appréciables. L'état général n'était nullement modifié, et, sauf la pesanteur de la grosseur, les mouvements du bras avaient conservé toute leur liberté.
  • Que fallait-il faire? Nous nous réunîmes afin d'aviser. Le résultat de notre consultation fut qu'il s'agissait là d'une affection maligne, malgré l'absence de douleur et d'élancement, que ce devait être une tumeur fongueuse sanguine, un fongus hœmatodes, ou si l'on veut, pour parler un langage plus moderne, une variété de tumeur fibro-plastique. C'était d'ailleurs l'avis du savant professeur de clinique chirurgicale; et que, bien que la récidive fût fort à craindre, le patient étant encore fort et vigoureux, tout jeune et d'une parfaite santé, il fallait à tout prix le débarrasser d'un mal qui ne tarderait pas à l'emporter. Avec M. Nélaton, la majorité des consultants opine pour l'amputation du bras au tiers supérieur. Effrayé par cette mutilation, et réfléchissant à la mobilité de la tumeur, à son isolement, en quelque sorte, bien quelle fût profondément enfoncée dans les chairs, malgré sa nature vasculaire, n'avait été l'avis si autorisé de M. Nélaton, j'aurais désiré qu'on commençât par chercher à enlever le mal isolément, quitte à en venir à l'ablation du membre, s'il y avait impossibilité de terminer la première opération. Mes confrères n'ayant pas goûté ces raisons, il fut convenu que l'amputation aurait lieu le lendemain matin; mais le malade et son père, terrifiés à cette idée, ne voulurent pas se rendre à notre avis, et le jeune homme sortit de la maison.
  • Depuis, nous avons appris, par le père lui-même, qu'il était allé à Chartres consulter M. Girouard, qui lui avait appliqué un caustique sur toute la tumeur, et que bien avant que les escarres ne s'isolassent même, c'est-à-dire quelques jours après cette application, il avait été pris, chez lui, où il était revenu, d'un serrement de mâchoire, avec raideur en arrière du cou, du tronc, puis des membres, qui l'avaient emporté en moins de 36 heures, en un mot, qu'il était mort du tétanos dix jours après l'emploi du caustique.
  • Si je viens aujourd'hui réclamer pour ce fait l'immense publicité de votre journal, ce n'est pas, je le répète, Monsieur le rédacteur, que je sois ennemi des agents mis en usage comme destructeurs potentiels de nos tissus, mais bien pour faire connaître un de leurs inconvénients qui n'avait pas encore été signalé, que je sache. Loin de leur être hostile, j'emploie très fréquemment dans ma pratique ces puissants moyens de guérison. Mais, à dire vrai, je ne crois pas qu'ils puissent jamais, dans un très grand nombre de circonstances, là où il faut enlever des parties considérables ou agir par une dissection savante, qu'ils puissent, dis-je, remplacer l'instrument tranchant.
  • Cette observation prouve encore qu'une tumeur maligne, on ne peut douter qu'elle ne le fût, peut se développer chez un sujet jeune, d'une excellente constitution, sans diathèse transmise ni acquise. C'est ce que, d'ailleurs, une foule de faits observés surtout dans ces dernières années, tendent à établir.
  • On peut même dire que les affections cancéreuses, survenues dans le jeune âge et même dans l'enfance, offrent plus de danger, ont une marche plus rapide et sont plus fatalement suivies de récidive que chez l'adulte, et surtout chez le vieillard.
  • Veuillez agréer, etc.
  • Dr Bourgeois.

Bibliographie

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