Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

Outils pour utilisateurs

Outils du site


ermengart.dyerres

Ermengart (?-1254)

Notule

  • Ermengart, d'abord simple religieuse de l'abbaye Notre-Dame d'Yerres, en fut la sixième abbesse, de 1245 à 1254.

Notice de l'abbé Alliot

  • Chapitre VI. — Ermengarde (1245-1254)
    • Modifications importantes: les anciennes religieuses gouvernent la communauté. — Atténuation de l'austérité. — L'usage des œufs. — Actes de l'abbatiat d'Ermengarde. — Querelle au sujet des bois de Sénard. — Fin des longs abbatiats.
  • Après la mort d'Aveline, le gouvernement de l'abbaye devint de plus en plus impersonnel. Comme par le passé, le monastère continue d'avoir à sa tête une abbesse; mais à celle-ci on peut appliquer une formule moderne et célèbre, et dire qu'elle règne, mais ne gouverne pas. Désormais le conseil de la communauté ou le chapitre substitue peu à peu son autorité à celle de l'abbesse. C'est le temps où le pouvoir de la prieure grandit considérablement, et où de profondes modifications sont introduites dans tout le régime de la maison.
  • Les anciennes religieuses, par des règlements successifs, tirent peu à peu à elles toute l'autorité, à l'exclusion des jeunes moniales et des converses, qui n'ont plus voix délibérative au chapitre. Aussi l'abbesse est-elle exclusivement prise parmi les anciennes; les jeunes ne sauraient désormais prétendre à cette charge. La direction y gagnera peut-être en prudence et en sagesse, mais adieu les grandes entreprises, les fondations nouvelles, les coups d'audace, apanage ordinaire de la jeunesse, de la force et de l'activité.
  • Du statut d'Étienne de Senlis, qui appelle des étrangers au cloître, pour l'élection de la Supérieure, il ne reste plus rien. On n'a garde d'appeler l'abbé de Saint-Victor, avec lequel on est souvent en discussion et en procès; nul souci non plus de |66 celui de Notre-Dame-du-Val, car il appartient à une famille religieuse étrangère, rivale et presque hostile; il est bernardin et la maison d'Yerres est bénédictine. Il n'y a plus de prieur de Saint-Nicolas. Pour le service religieux et l'administration des sacrements, on a de simples chapelains; et si la coule monastique est encore portée par quelques hommes, ce sont de simples frères convers, préposés aux intérêts matériels et temporels du couvent, mais tous sont sans autorité sur le gouvernement général de la communauté. Seul, l'évêque de Paris a gardé quelque influence dans le cloître, encore cette influence dépend-elle du plus ou moins de sympathie que la personne du prélat inspire à nos religieuses. Aussi après la mort de Guillaume d'Auvergne, prélat plein de sollicitude pour l'abbaye, on sera plus de deux siècles sans voir les évêques de Paris intervenir personnellement dans les affaires de l'abbaye, et cela à deux ou trois exceptions près.
  • L'austérité s'atténue peu à peu. C'est à partir de 1250 environ, et non pas du milieu du XIVe siècle, comme le dit Mévil, que les œufs furent introduits dans le régime alimentaire de nos moniales, qui reçurent, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, un nombre considérable de donations pour la pitance des œufs.
  • Ermengarde fut élevée au siège abbatial dans les premiers jours de l'année 1245; car il dut s'écouler, on ne sait pourquoi, deux ou trois mois, entre le décès d'Aveline et l'élection d'Ermengarde. De celle-ci on ne peut dire que fort peu de chose; c'est la moins connue de toutes les abbesses qui ont porté jusqu'ici la crosse à Yerres. De son origine, de sa famille, de son âge, de son passé, on ne sait absolument rien. Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est qu'elle fut certainement choisie parmi les anciennes du cloître, où elle avait passé de longues années, et à la tête duquel elle demeura onze ans, comme en témoigne l'obituaire, dont les rédacteurs furent ses contemporains.
  • Toutefois, il est excessif de laisser entendre, à la suite des Bénédictins, qu'on ne connaît aucun acte de son gouvernement. À son entrée en charge, ni la vie, ni l'activité de |67 sa maison ne furent suspendues; elles fonctionnèrent au contraire comme par le passé, et nombreux sont les actes de cette période, au moyen desquels nous voyons ce grand monastère de cent religieuses, exercer autour de lui une influence salutaire et bienfaisante pour toute la contrée.
  • Au mois de juillet 1243, Roger de Sèvres et sa femme Aveline firent à l'abbaye un titre nouvel pour douze arpents de terre situés à Attilly, et donnés jadis aux moniales par Édeline de Sèvres, mère de Roger. — Dans le même mois, Jean, vicomte de Méréville, affirme que les religieuses ont droit de prendre chaque année un muid de blé sur son moulin de Glaise, mis en mouvement par la rivière d'Étampes. — Au mois de novembre suivant, Guy Briard et sa femme Aveline, bienfaiteurs déjà rencontrés, abandonnèrent aux moniales des droits importants sur le vieux marché de Corbeil. Trois chevaliers: Guillaume et Adam Pannier, Guillaume d'Ormoy, ainsi que leurs trois femmes souscrivirent à cette donation. — Un peu plus tard, en 1230, Milon de Lieusaint donna, en pure et perpétuelle aumône, à nos Bénédictines, trois arpents de terre labourable, pour arrondir leur domaine dans sa paroisse. — Jean du Donjon, toujours possesseur d'une partie de la seigneurie d'Yerres, de concert avec sa femme Clémence, acheta des religieux de Sainte-Geneviève, le bois dit de Cornouaille, et en fit cadeau à l'abbesse, afin de participer aux suffrages de la communauté.
  • Dans ce beau milieu du XIIIe siècle, aux donations s'entremêlent les transactions, les accords, les achats, les procès. Notons les plus importants.
  • Étienne, cardinal prêtre du titre de Sainte-Marie au delà du Tibre, était chanoine de Chartres et prévôt d'Auvers-Saint-Georges. Comme tel, il réclamait des droits importants sur la terre de Mesnil-Racoin; l'abbaye se refusait à les acquitter: de là un procès terminé au mois de septembre 1233, par un accord, conclu sous les auspices de différents personnages ecclésiastiques de l'époque. Quelques livres parisis, concédées par l'abbaye, calmèrent les réclamations de cet avide prince de l'Église. — Agnès, abbesse cistercienne de Villiers, près la Ferté, possédait une vigne et des jardins, |68 au faubourg de Bédégon à Étampes. Ce bien lui avait été donné par Pétronille, fille de feu Anseau Chantel, il était situé dans la censive de nos religieuses; comme les Cisterciennes se refusaient à pyer le cens, l'abbé de Prouy (Proilliaco), proviseur de la maison de Villiers, intervint et fit droit à la demande des sœurs d'Yerres. — Plus délicate était la querelle survenue entre la maison d'Ermengarde et les habitants de Moissy-l'Evêque, au sujet des droits de pâture, sur les terres et les prés de la ferme de Chanteloup, l'une des plus belles possessions de l'abbaye. Pour apaiser ce différend, Renaud de Corbeil, évêque de Paris, ami du monastère, mais très favorable aux gens de Moissy, dont il était seigneur, fit nommer deux arbitres, Albéric de Brie, pour les religieuses, et Thierry de la Porte, pour ses hommes de Moissy 1), qui réglèrent le procès à l'amiable et à la satisfaction des deux partis. — Enfin un accord survenu au sujet d'une maison à Paris. Le roi saint Louis eut besoin de cette maison, pour l'agrandissement de son palais; de là certains tiraillements entre les Bénédictines et le roi. Cet acte, assez obscur d'ailleurs, serait de nature à faire croire que le pieux monarque était peu favorable à l'abbaye, si nous ne le voyions, presque en même, temps, délivrer bénévolement à Ermengarde 40 livres parisis, léguées à sa maison par le testament de Blanche de Castille.
  • Les autres contrats de l'époque nous montrent l'abbaye louant les terres dépendant de l'église de Lieusaint. Dans l'intérêt de la paroisse, Guillaume, curé du dit lieu, Milon de Lieusaint et Guyard Brun afferment, pour trois ans aux religieuses, les biens de la fabrique. — Puis, c'est Philippe de Soisy qui vend quelques arpents de terre, voisins de la ferme des Bordes; — Mathieu Poitrine, habitant d'Yerres, aliène, pour 18 livres parisis, une vigne contiguë au rû de Révillon; — et Adam Foë, seigneur de la Ferté, d'accord |69 avec Éremburge, sa femme, cèdent, pour 16 livres parisis, quatre arpents de terre situés à Marbois. Ce dernier acte ne se trouve ni au cartulaire, ni dans les archives de l'abbaye; mais M. Mévil, certifie l'avoir vu et assure qu'il portait le nom de l'abbesse Ermengarde.
  • L'évènement le plus considérable de ce temps-là fut la querelle entre le monastère et certains seigneurs du voisinage. — On n'a pas oublié sans doute le droit déjà séculaire, que l'abbaye avait d'aller chercher, pour son usage, du bois dans la forêt de Sénart. Cette concession, faite aux premières moniales d'Yerres, n'avait pas tardé à amener des difficultés, que de nombreux règlements n'empêchaient pas de voir renaître tous les dix ans, si ce n'est plus souvent.
  • Les religieuses pouvaient envoyer quérir, tous les jours de l'année, quatre charges de bois dans la forêt. Il est à croire qu'au début les moniales usaient de ce droit avec modération, et n'allaient que de temps à autre prélever cette redevance; mais leur communauté ayant grandi sans cesse, et par conséquent leurs besoins, elles s'étaient mises peu à peu à exercer leur droit tous les jours, sans en excepter les jours fériés. La charge paraissait exorbitante aux propriétaires. De plus, les hommes de peine du monastère coupaient dans toutes les parties de la forêt, et n'importe quel bois à leur convenance. Les dégâts produits par ces coupes quotidiennes et inintelligentes étaient considérables. Enfin, le gibier effrayé fuyait des taillis si sauvent tourmentés, sans compter que les domestiques du couvent ne se privaient sans doute guère de faire un peu de braconnage.
  • D'autre part, après un siècle, les héritiers des premiers donateurs n'avaient pas les mêmes sentiments que leurs ancêtres pour l'abbaye, et plusieurs d'entre eux subissaient avec peine une redevance devenue odieuse par sa continuité. En outre, leurs gardes forestiers, témoins des sentiments de leurs maîtres, prenaient plaisir à molester les domestiques des religieuses, et s'opposaient, par tous les moyens, à l'exercice de ce que les Bénédictines appelaient leurs droits. De là, une situation fort tendue et d'interminables procès.
  • Au mois de février 1248, grâce à de puissantes influences, |70 notamment à celle du pape Innocent IV, on essaya d'un règlement destiné à calmer des disputes quotidiennes et scandaleuses. On n'osait pas s'opposer tout à fait au prélèvement exercé par les religieuses; leur droit était fondé sur des textes écrits, sur un usage séculaire et public, et, de plus, il avait un caractère religieux. Deux écuyers, Baudouin de Villecresnes, Marguerite sa femme, et Robert de Mandres avec Marie sa femme, étaient propriétaires des bois; ils convinrent, sous le patronage de l'official de Paris, de l'arrangement suivant. Les deux seigneurs auront à Brunoy un représentant, nommé chaque année le second dimanche de juin, et signifié aux religieuses à l'heure de la messe. Celui-ci désignera une partie de bois à abattre, suffisante pour l'usage de la communauté. La veille de la coupe, le monastère enverra un serviteur prévenir le représentant des propriétaires, qui devra se mettre à la disposition des bûcherons, faute de quoi ceux-ci entreront dans le bois, et couperont le taillis où bon leur semblera. Les ânes du monastère circuleront librement dans la forêt, afin d'enlever le bois coupé et de le transporter à l'abbaye.
  • Cet accord fut souscrit et juré par les parties intéressées, auxquelles vinrent s'adjoindre Jean de Brunoy, Mathilde sa femme et sa sœur Clémence, Jean du Saussay, Guyard de Brunoy et Isabelle de Brunoy, sans doute leur mère, tous copropriétaires de la forât, à titres divers.
  • Les signataires étaient-ils de bonne foi? Il est permis d'en douter. Toujours est-il que l'arrangement, conclu au mois de février, ratifié en juin, était violé au mois d'août. À cette date, Robert de Villecresnes fit arrêter les ânes du monastère qui s'en allaient tranquillement en forêt sous la garde de leurs conducteurs, saisit le bois qu'on rapportait au couvent, fit battre les pauvres bêtes, ainsi que les domestiques, injuria ceux-ci, les accabla de mauvais traitements, les enferma pendant deux jours, et les traita comme s'ils eussent été des brigands.
  • Comme bien on pense, les religieuses jetèrent les hauts cris, réclamèrent huit charges de bois et 40 livres parisis de dommages-intérêts. Ermengarde, cette fois, se chargea personnellement |71 de ces revendications. Elle demandait des juges et criait vengeance contre un acte de déloyauté et de félonie; elle affirmait les droits de sa maison et demandait pour chaque jour de l'année, quatre charges de bois, les dimanches et les fêtes solennelles exceptés, mais élevait la prétention de prélever double charge la yeille ou le lendemain des jours empêchés.
  • Baudoin de Villecresnes fut condamné, moins sévèrement toutefois qu'on ne pourrait le croire. Il dut rendre le bois confisqué; pour l'indemnité, les religieuses furent déboutées, et, pour les frais du procès, la question fut réservée. Cette sentence, d'une bénignité extraordinaire, n'était pas faite pour décourager ceux qui dans l'avenir entreprendraient contre le monastère. Aussi, les propriétaires de la forêt ne s'en privèrent guère.
  • Heureusement, tous les descendants des premiers bienfaiteurs de l'abbaye n'avaient pas contre le monastère la même rancœur; il s'en trouvait et beaucoup, qui témoignaient à nos moniales la même bienveillance que leurs aïeux. De ce nombre furent Manessier de Garlande, chanoine de Chartres, et Guillaume de Garlande, son frère, qui, en mai 1248, passèrent un titre nouvel à l'abbaye pour reconnaître ses droits à Oysonville; ils en profitèrent pour augmenter les revenus des religieuses et les exempter de certains impôts.
  • C'est tout ce que nous avons pu recueillir touchant l'abbatiat d'Ermengarde. Elle mourut le 4 avril 1254 ou 1255. Le nécrologe fait d'elle l'éloge accoutumé: augmentation des revenus du couvent, restauration des bâtiments claustraux, direction sage et pieuse de ses religieuses dans les sentiers qui conduisent à la Jérusalem céleste.
  • Nous n'avons point à nous inscrire en faux contre ce témoignage, d'autant plus respectable qu'il a été rédigé après décès par des contemporains: cependant, il est permis de dire, sans manquer de respect à l'abbesse défunte, qu'entre ses mains le pouvoir personnel de l'abbesse fléchit notablement; que la prospérité croissante de la maison, donna peu à peu passage au bien-être, cet introducteur de la décadence et de la ruine. |72
  • Avec Ermengarde finirent, au moins pour une notable période, ce que nous pourrions nommer les longs abbatiats. La maison d'Yerres existe depuis cent vingt-cinq ans, elle n'a eu que six abbesses; c'est une moyenne de plus de vingt ans pour chaque supérieure. Le siècle suivant en verra douze ou quinze, et l'histoire va nous dire, si le relâchement de la discipline, l'inobservance des règles, l'oubli de la pénitence et de l'austérité sont des fruits mauvais, produits par les longs abbatiats, comme quelques-uns le prétendent.

Documents

Sources

Bibliographie

Notes

1)
Note d'Alliot. —Voici les noms des hommes de Moissy qui prirent part à cette affaire: André Maire; — Beaudoin Cordonnier; — Nicolas Patonart; — Simon Charpentier; — Hugues de Moissy; — Gilles Trébuchet; — Jean de Brie; — Girard dit Chale; — Pierre Patonart; — Clément de Fontaine; — Robert d'Atrie; — Robert Cordonnier; — Jean dit Bougre; — Guillaume Servient; — Renaud dit Pocet; — et Étienne le Roi.
ermengart.dyerres.txt · Dernière modification: 2022/07/20 13:58 de bg