Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Justin Bourgeois

Considérations sur quatre polypes du rectum observés sur de jeunes garçons (1842)



Scans

Transcription

  • THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
  • CONSIDÉTATIONS SUR QUATRE POLYPES DU RECTUM OBSERVÉS SUR DE JEUNES GARÇONS DE DEUX ANS À SEPT ANS, ET SUR LEUR TRAITEMENT.
  • Les polypes du rectum chez l'adulte, sans être très-rares, ne sont cependant pas une affection qu'on rencontre fréquemment; ils doivent être encore moins communs chez l'enfant, car les auteurs que j'ai pu consulter à cet égard, même le minutieux Boyer, qui s'est occupé, en quelque sorte, spécialement des maladies chirurgicales de l'anus, ne citent aucun cas de ce genre, C'est ce qui m'a engagé à publier quatre observations de tumeurs polypeuses rectales que j'ai été à même de rencontrer depuis dix-huit mois chez de jeunes enfants du sexe masculin. Les tumeurs avaient entre elles la plus parfaite analogie. Trois de ces enfants étaient d'une excellente constitution; le troisième offrait seul une organisation lymphatique et légèrement viciée. Tous quatre appartenaient à des parents sains, n'avaient jamais eu de maladies, ni d'accidents analogues. Le plus âgé avait sept ans; les trois autres n'avaient pas passé trois ans et |264| demi; chez tous, et sans cause connue, il survint, après les évacuations alvines, un écoulement sanguinolent, d'abord léger, qui ne tarda pas à augmenter, et fut suivi, chez un d'eux au bout de quelques jours, chez les trois autres après quelques semaines, de la sortie d'une tumeur rouge, offrant l'apparence d'une fraise, qui ne se présentait qu'après les selles, et ne rentrait quelquefois qu'au bout d'une heure. Dans aucun cas le sang n'était combiné aux excréments; jamais non plus l'écoulement sanguin ne devint inquiétant par son abondance. Ces tumeurs ne paraissaient pas déterminer de douleur, et la santé des petits malades n'en fut jamais affectée d'une manière apparente; mais, on le concevra facilement, les parents étaient vivement tourmentés de la maladie de leurs enfants.
  • La tumeur a constamment présenté une forme arrondie, légèrement aplatie latéralement; son segment inférieur ou externe était plus volumineux que celui qui correspondait à l'intestin; sa face supérieure offrait dans son centre l'insertion du pédicule, toujours assez étroit. La grosseur du polype était celle d'une fraise; sa surface, d'un rouge vif, surtout à sa partie inférieure, était comme papilleuse, et avait beaucoup d'analogie avec le fruit dont je viens de parler; sa consistance était ferme. Après avoir divisé le polype avec le bistouri, on reconnaissait que son organisation était fibro-celluleuse, peu vasculaire, d'un blanc grisâtre. Trois fois le pédicule mince a offert 4 à 5 centimètres de longueur; son tissu était dense, sa couleur blanchâtre; son extrémité supérieure allait s'implanter sur la muqueuse rectale, au-dessus du sphincter interne, au niveau du bas-fond de la vessie. Dans le quatrième cas, ce pédicule, rouge, plus vasculaire et plus épais que les précédents, n'avait qu'un centimètre de long, et s'insérait en arrière du rectum, entre les deux sphincters.
  • Quelle a pu être la cause du développement de ces excroissances? Il est assurément difficile de le préciser. En effet, chez nos quatre malades, nous ne trouvons aucune affection morbide analogue: trois d'entre eux, je l'ai dit plus haut, étaient d'une santé excellente, et n'avaient, que je sache, jamais été dérangés d'une manière notable; le quatrième, bien que sujet à la diarrhée, à des éruptions herpétiques, n'a rien eu non plus qui pût expliquer le développement de l'affection qui nous occupe. Comment se fait-il qu'une maladie qui s'est offerte quatre fois à mon observation dans un laps de temps assez court, ne soit pas signalée d'une manière spéciale par les auteurs? On ne peut assurément en donner la raison que par cette singulière coïncidence, qu'on pourrait presque appeler loi du hasard, qui fait que lorsqu'on vient à rencontrer en médecine, et surtout en chirurgie, un cas rare et extraordinaire, il est presque constant d'en voir bientôt plusieurs d'une même nature, |265| ou de nature analogue, se présenter simultanément à l'observation, bien que ces faits ne reconnaissent aucune cause générale qui ait pu leur donner naissance dans le même temps. Je ne chercherai pas non plus à expliquer d'une autre manière la présence de ces polypes chez de jeunes garçons seulement; car il est très-probable que les deux sexes y sont également prédisposés.
  • Le diagnostic de cette affection devra presque toujours être facile; lorsque la tumeur est sortie, il est impossible de la méconnaître à sa couleur rouge, à son isolement complet du pourtour de l'anus, à sa forme même, à sa disposition pédiculée, et à l'absence complète de douleur. On ne pourrait guère la confondre avec des tumeurs hémorrhoïdales. Mais, outre que ce genre de mal est très-rare dans l'enfance, il occasionne habituellement une vive douleur; sa coloration est livide, sa surface lisse, et sa forme beaucoup plus irrégulière, et elle n'est pas ou très-rarement pédiculée. Quant aux autres tumeurs de cette région, telles que rhagades, condylomes, etc., la plus légère attention suffira pour éviter toute méprise; et d'ailleurs on sait que les enfants sont encore plus rarement atteints de ces dernières excroissances que des hémorrhoïdes: je ne parle pas du renversement du rectum, toute confusion est ici impossible. Lorsque le polype n'a pas encore franchi l'ouverture anale, que l'enfant éprouve un simple suintement sanguinolent pendant et après les garde-robes, on pourrait croire à l'existence d'un flux hémorrhoïdal. Dans les deux cas, eu effet, il y a écoulement sanguin, absence de tumeur; le sang n'est pas combiné aux matières; mais dans le flux hémorrhoïdal, presque toujours il y a un sentiment de pesanteur dans le siège, un état de malaise, un molimen enfin qu'on n'observe pas dans la maladie qui nous occupe; et puis, le flux dont nous venons de parler est aussi peu commun dans l'enfance que les tumeurs du même nom. L'exploration à l'aide du doigt ferait facilement reconnaître la présence du polype, si les efforts de défécation ne venaient pas, en poussant le mal au dehors, éclairer d'une manière certaine son diagnostic.
  • Cette maladie, abandonnée à elle-même, finirait-elle par devenir dangereuse? La tumeur acquerrait-elle un volume considérable? Les observations que j'ai faites ne me permettent pas de répondre d'une manière absolue à ces questions; pourtant je ne crois pas que ce mal soit, en raison de l'âge des sujets affectés, susceptible d'aucune dégénérescence fâcheuse; je ne suppose pas non plus qu'il puisse acquérir un développement considérable. Un inconvénient qu'il pourrait peut-être entraîner serait le renversement de la membrane interne du rectum; mais dans tous les cas, je ne pense pas que le pronostic puisse jamais en être fâcheux. |266|
  • Le traitement de ces polypes consiste, comme celui des tumeurs du même genre, dans leur ablation. La première fois que j'eus occasion d'en rencontrer, n'ayant pas de précédents pour me guider, je crus devoir recourir à la ligature, dans la crainte d'une hémorrhagie plus ou moins abondante. Ainsi, après avoir fait coucher le petit malade sur le ventre, les fesses écartées par un aide, je saisis le polype avec une pince, puis je tirai dessus afin d'agir le plus haut possible sur le pédicule; l'enfant fit alors un mouvement, et celui-ci se rompit à quelques millimètres du corps de la tumeur. Un léger écoulement sanguin eut lieu; il s'arrêta spontanément. Curieux de savoir ce qu'était devenu ce pédicule, je portai le doigt dans l'intestin, et malgré mes recherches, je ne pus le retrouver. Depuis ce temps, l'enfant n'a rien éprouvé qui pût faire croire à l'existence d'aucune excroissance dans le rectum. Ce fait m'engagea à suivre, dans les autres cas, une règle de conduite que le hasard m'avait tracée. Ainsi je me contente depuis de faire l'extirpation de ces polypes à l'aide des doigts. Pour cela, l'enfant étant fléchi à angle droit, le devant du tronc appuyé sur les genoux d'un aide vigoureux qui lui écarte les fesses, je glisse l'indicateur droit, enduit d'un corps gras, entre l'excroissance et le pourtour de l'anus; puis je le recourbe en tirant sur le mal, que je saisis simultanément avec le pouce, et, par un seul effort de traction et de torsion, je romps le pédicule, qui se sépare à une distance plus ou moins considérable du corps charnu; un léger écoulement sanguin suit cette rupture, et tout revient bientôt dans l'état naturel. Tel est le mode opératoire qui me semble le plus convenable lorsque la tumeur est sortie, ce qui a lieu ordinairement après les évacuations alvines. Dans le cas où le polype ne se présenterait pas au dehors, on chercherait à déterminer sa sortie à l'aide de lavements simples, et même laxatifs au besoin. Si on n'y parvient pas par ce moyen, et qu'on ne puisse attendre, il faut aller à la recherche du mal, comme j'ai été obligé de le faire une fois, et tâcher de l'amener à l'extérieur, ou bien reporter un second doigt dans l'intestin, le saisir entre ces deux organes, et rompre le pédicule en tirant à soi. Je ne pense pas que l'hémorrhagie soit vraiment à craindre en pareil cas; si le sang coulait en certaine abondance, quelques lavements froids suffiraient pour s'en rendre maître. On conçoit du reste qu'il n'est besoin dans ce cas d'aucun régime diététique; le petit malade peut reprendre de suite ses habitudes.
  • Obs. I. Le nommé Renard, âgé de sept ans, bien constitué et bien portant, rendait depuis quelque temps, en allant à la selle, une certaine quantité de sang sans paraître souffrir de cet écoulement. Consulté sur sa position, je ne savais trop à quoi l'attribuer, lorsque, au bout de deux ou trois semaines, la mère aperçut une excroissance charnue, |267| d'un rouge vif, qui sortait après la défécation et rentrait au bout d'un certain temps. L'enfant m'étant présenté de nouveau, je reconnus de suite un polype supporté par un pédicule long de quatre à cinq centimètres, qui allait s'implanter sur la partie antérieure de l'intestin rectum; je conseillai l'extirpation du mal, et je la pratiquai le 1er février 1841. N'ayant aucun prérédent pour me guider, j'eus l'idée d'attirer le plus possible au dehors le polype pendant qu'il était sorti, et de faire la ligature de son pédicule. Pour cela, je fis placer l'enfant dans la position indiquée plus haut, tandis qu'avec une pince à polype nasal, que je pris de la main droite, je saisis la tumeur, et en cherchant à l'attirer à moi avec un certain effort, son pédicule se rompit et rentra de suite. Un peu de sang s'écoula par l'anus, et il fut impossible de constater ce qui restait du mal. Quoi qu'il en soit, l'enfant ne s'est ressenti de rien depuis cette époque.
  • L'examen de la tumeur polypeuse me fit reconnaître un corps charnu, arrondi, un peu aplati latéralement, à surface papilleuse, d'un rouge vif, surtout à sa partie inférieure; sa face supérieure offrait une légère dépression avec perte de substance, correspondant à l'insertion du pédicule; sa grosseur était celle d'une forte fraise; son tissu, d'un blanc grisâtre, était dense, peu vasculaire, presque céllulo-fibreux.
  • Obs. II. Le nommé Charpentier, de la commune de Dannemois, enfant de deux ans et demi, fort et bien constitué, rendait sans douleur, depuis quelque temps, une certaine quantité de sang après avoir été à la selle, lorsque sa mère, alarmée, s'aperçut qu'il lui sortait par le fondement une grosseur d'un rouge vif, qui rentrait seule peu de temps après la défécation. Les parents me prièrent alors d'aller visiter leur enfant; je m'y rendis le 5 avril 1841. La grosseur n'étant pas sortie, je lui fis administrer sans succès plusieurs lavements simples et même rendus laxatifs à l'aide d'un peu de savon. N'ayant pu réussir à faire sortir l'excroissance, je fis placer l'enfant comme dans le cas précédent, et j'introduisis l'indicateur dans l'anus, ce qui me permit de sentir la tumeur qui flottait dans l'intestin, appendue à sa face antérieure, au niveau du bas-fond de la vessie, au moyen d'un pédicule long de plusieurs centimètres; ne pouvant l'amener au dehors avec le seul doigt indicateur, je glissai le medius à côté de celui-ci, ce qui me permit de le saisir entre ces deux doigts et de l'arracher en tirant modérément. Un peu de sang s'écoula; l'enfant ne parut pas souffrir, et retourna même jouer immédiatement. J'ai appris depuis qu'il n'avait rien éprouvé de nouveau vers le lieu primitivement malade. L'absence de tout accident, après l'opération du petit Renard, m'engagea à agir de la manière,que je viens d'indiquer. |268|
  • Le polype était de même forme et de même grosseur que le précédent; sa surface également rouge et comme papilleuse; son tissu cellulo-fibreux; le pédicule s'était déchiré à quelques millimètres de son insertion.
  • Obs. III. Le jeune Hubert, âgé de trois ans et demi, d'une constitution lymphatique, ayant eu une dentition assez difficile, fut pris, vers le commencement du printemps dernier, d'un écoulement sanguinolent assez abondant chaque fois qu'il allait à la selle; au bout de quelque temps, on s'aperçut qu'alors il lui sortait par l'anus une grosseur arrondie, d'un rouge cerise, d'une surface légèrement granuleuse, ressemblant assez exactement à une fraise; cette tumeur restait sortie pendant une demi-heure environ, puis rentrait spontanément. La mère de l'enfant me pria un jour de l'examiner, et ayant reconnu de suite un polype absolument de même nature que les précédents, j'en pratiquai l'extirpation le 28 juin 1842. L'excroissance étant sortie, je fis, comme dans les deux cas précédents, placer l'enfant le ventre appuyé sur les genoux d'un aide, qui, avec ses deux mains, lui écartait les fesses; puis j'introduisis l'indicateur droit, huilé, dans l'anus, à côté de la tumeur, dont le pédicicule, étroit et long de plusieurs centimètres, prenait naissance sur le devant du rectum, au niveau du bas-fond vésical: je tirai un peu sur le polype, saisi entre ce doigt et le ponce, et le pédicule se rompit à quelques millimètres de son corps. Sa texture, sa forme et sa couleur étaient complètement identiques à celles des précédents. Un léger écoulement sanguin suivit; l'opération à peine terminée, l'enfant se remit à jouer, et depuis lors il n'a rien ressenti vers le point malade.
  • Obs. IV. — Lejeune Robillard, âgé de trois ans et demi, garçon fort et bien portant, rendit tout à coup, en allant à la selle, il y a quelques semaines, une assez grande quantité de sang; sa mère s'aperçut bientôt qu'il lui sortait par l'anus une espèce de cerise, comme elle l'appelait. Depuis ce temps, cette grosseur s'est toujours représentée dans les mêmes circonstances; elle restait sortie une demi-heure ou une heure, puis rentrait d'elle-même; elle ne s'accompagnait, du reste, d'aucune altération dans la santé de l'enfant. Le 29 juillet dernier, j'en pratiquai l'extirpation de la même manière que dans les autres cas; il y eut cependant cette différence, qu'ici le pédicule était court, assez épais, et qu'au lieu de s'implanter dans la partie antérieure de l'intestin, il se fixait en arrière de celui-ci, entre les deux sphincters de l'anus. Au lieu de le rompre, je le coupai avec l'ongle du pouce; l'enfant ne jeta pas un seul cri; le peu de sang qui sortit s'arrêta bientôt; depuis lors, il ne s'est rien manifesté de nouveau. La tumeur était en tout semblable aux précédentes. |269|
  • Comme on vient de le voir, la ressemblance la plus frappante existe entre les quatre observations que je viens de décrire; dans tous les cas, la tumeur a la même forme, la même organisation, le même volume; une seule fois, elle diffère par son insertion, qui a lieu en arrière. Tous les enfants sont du même sexe; rien, chez eux, ne peut faire reconnaître la cause de la maladie; la marche de celle-ci présente également, chez tous, une ressemblance complète. Comment se fait-il qu'une affection que j'ai rencontrée quatre fois dans un assez court espace de temps ne se trouve décrite nulle part? Doit-on attribuer le silence des auteurs à l'innocuité du mal, ou à sa rareté? Dans tous les cas, j'ai pensé qu'il ne serait pas sans intérêt de faire connaître les faits qui précèdent, et le traitement qui m'a toujours réussi. Sans doute que d'autres praticiens auront été à même d'en recueillir d'analogues sur les deux sexes; je serais heureux de les voir également publiés, dans l'intérêt de la science, et pour compléter une lacune dans les maladies de l'anus chez les enfants.
  • Bourgeois,
  • Chirurgien en chef de l'hôpital d'Étampes.

Bibliographie

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