Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Jeanne Allegrin (...1513)

Notule

  • Jeanne Allegrin, religieuse de l'abbaye Notre-Dame d'Yerres, en fut la trentième abbesse, de 1460 à 1487.

Notice de l'abbé Alliot

  • Chapitre XV. Jeanne Allegrin (1488-1513) — (…).
  • Le Pape nomme une abbesse. — Famille et antécédents de Jeanne Allegrin. — Rescision des baux emphytéotiques, — Nombre et noms des moniales en 1494. — La Chèvecerie. — Lutte avec Dreux Budé. — Les dîmes des paroisses. — Les droits de justice. — Prétentions sur Gif et Saint-Remy de Senlis. — Le monastère est restauré. — La prière et les offices. — Nouvelles aumônes. — Dernières années de Jeanne Allegrin. — Sa mort. — (…).
  • L’émotion produite à l’abbaye par le départ de Jeanne de Rauville empêcha-t-elle les moniales d’Yerres de s’entendre pour le choix d’une nouvelle abbesse? ou bien ne leur en laissa-t-on pas la liberté? L’histoire ne le dit pas. Le choix de la nouvelle supérieure fut fait, disent les annales monastiques, par le Souverain Pontife. Il tomba sur Jeanne Allegrin, religieuse de Saint-Antoine-des-Champs, à Paris, et faisant partie de l’ordre de Cîteaux.
  • Par son origine et sa constitution primitive, l’abbaye d’Yerres se rattachait de bien près à la grande famille de saint Bernard; mais nos moniales s’étaient réclamées avec une persistance quatre fois séculaire du nom de Bénédictines. Elles portaient néanmoins l’habit blanc, en sorte que Jeanne Allegrin n’eut pas besoin de modifier son costume en montant dans la chaire abbatiale. Cependant ce fut toujours une chose |166 délicate de placer, à la tête d’une abbaye, une religieuse élevée dans une observance différente de celle qu’elle devra faire pratiquer. Et la nouvelle supérieure d’Yerres ressentit à plusieurs reprises les inconvénients de sa situation; car jamais elle ne fut entièrement sympathique aux anciennes moniales, devenues ses compagnes et ses filles.
  • Jeanne Allegrin sortait d’une vieille famille parisienne de bourgeoisie parlementaire. Dès le XIVe siècle, les Allegrin avaient des possessions à Gonesse; au XVe, ils sont grands propriétaires à Combs-la-Ville, à Brie-Comte-Robert et dans les environs. En 1490, l’un d’eux, Simon Allegrin, est seigneur d’Ablon; il le deviendra bientôt de Fontenay-les-Briis 1).
  • Jeanne prit possession de l’abbaye en janvier 1488, et le 18 février suivant, elle promit obéissance à Louis de Beaumont, évêque de Paris. Sitôt qu’elle fut en charge, elle attira auprès d’elle plusieurs membres de sa famille: Guillemette, sa sœur, ce qui était tout naturel, car celle-ci deviendra moniale; Guillaume, Simon et Michel Allegrin 2), ce qui était plus délicat. Cependant la situation de la maison légitimait, en quelque sorte, la présence de ces éléments étrangers.
  • Tout le domaine utile de l’abbaye était aliéné. Les Allegrin étaient gens de robe, ils n’eurent guère de peine à démêler la supercherie de tous les contrats signés in extremis par Jeanne de Rauville; et les revendications commencèrent immédiatement. Elles avaient plusieurs côtés fâcheux: d’abord il fallait engager des procès coûteux, longs et toujours impopulaires; de plus les débiteurs s’efforçaient sans cesse d’en appeler à la bonne foi des moniales. Les fermiers attaqués ne manquaient pas de dire qu’ils avaient signé leur bail, dix, quinze, vingt ans auparavant, alors que les terres étaient dans un état lamentable et de nulle valeur; maintenant qu’ils s’étaient dépensés à les améliorer, qu’ils avaient travaillé à les rendre productives, les religieuses allaient-elles les dépouiller du fruit de leurs peines et de leurs travaux? et si on voulait à |167 toutes forces que le contrat fut vicié à son origine, n’avait-il as pris, par le temps écoulé, par les sueurs versées, et malgré le texte des lois, une valeur réelle, appréciable et surtout profitable, aussi bien aux moniales qu’aux fermiers eux-mêmes?
  • Jeanne Allegrin, en face de ces raisons, pour la tranquillité de sa conscience, et aussi pour diminuer l’odieux des mesures qu’elle jugeait indispensables de prendre, demanda et obtint, du pape Innocent VIII, une bulle l’autorisant à poursuivre la rescision de tous les baux à longs termes, passés par ses devancières. Ensuite, aidée de Guillaume et surtout de Simon Allegrin, agissant comme procureurs du monastère 3), elle entra en rapport avec tous les tenanciers du domaine utile de sa maison.
  • Souvent il lui fallut lutter avec âpreté contre des fermiers récalcitrants, mais parfois aussi elle en rencontra qui se prêtèrent volontiers à des transactions honorables pour les deux parties.
  • Les dîmes de Drancy avaient passé par plusieurs mains depuis quinze ans: Simon Coquillon, Colin Baudin et Jean le Maire les avaient louées successivement. Girard de la Rue, hôtelier au Bourget, en avait obtenu récemment un long bail, mais il y renonça moyennant certaines concessions, et on les lui laissa pour trois ans, à partir du 1er janvier 1489; il n’en jouit pas, ou y renonça, car six mois plus tard, elles étaient données à Robin Cormère et à Guillaume le Maire, pour passer plus tard aux mains d’une association de laboureurs. La chose était d’importance, car ces dîmes rapportaient 9 muids et 11 setiers de blé, dont une part était réclamée par le sieur Limoges, curé de Drancy en 1498.
  • La ferme de Sénart, dont il a été question plus haut, est l’objet d’un litige assez pénible et très confus. Au moment où Jeanne de Rauville cherchait des gens de bonne volonté pour ses entreprises, elle rencontra les de Hangest. Ceux-ci occupaient la ferme depuis les anciens démêlés de 1468. Ils s’y |168 étaient bien installés, y avaient bâti une véritable maison de plaisance, sorte de gentilhommière du XVe siècle. Désireux de n’être pas troublés dans leur sécurité, ils s’étaient prêtés aux fantaisies administratives de Jeanne de Rauville, lors de sa déposition, et le fameux Fréminot leur avait rédigé, moyennant finances, un bail de 99 ans, en bonne et due forme, et en l’antidatant. Simon Allegrin n’eut point de peine à découvrir la supercherie, et après des débats longs et coûteux, Gervais de Hangest consentit à une transaction. Il fut indemnisé des frais de construction et de certaines autres améliorations faites dans la ferme, qu’il quitta pour vivre en rentier dans le pays, sous les noms de Hanguet et de Holquet, sans particule, et bientôt sous le surnom de Petit homme.
  • Jeanne Allegrin redevient ainsi peu à peu maîtresse de toutes les possessions de l’abbaye. La terre de Tremblay est louée par elle à Jean Hesdin le 26 août 1489, et le 4 juin 1494 à Pierre Tilloust le Jeune, pour le prix annuel de 18 setiers de froment. — Celle de Carbouville à Simon d’Allonville, un de ces gentilshommes pauvres devenus laboureurs. — Celle de Lieusaint à Jean le Goistre, le 7 septembre 1491, pour 4 muids de blé et un pourceau gras, estimé 48 sous. Le mois suivant, 4 octobre 1491, ce bail fut fait de nouveau, au nom de Simon Garnat. En même temps les dîmes de la paroisse, données par Jeanne de Rauville, à un nommé Barbette pour 120 ans, furent recouvrées et louées à divers particuliers par des baux à courts termes.
  • Un de ces contrats est particulièrement intéressant par les détails qu’il renferme. La ferme des Godeaux, voisine de l’abbaye, avait été louée comme tout le reste par bail emphytéotique à Louis Gendiet. Celui-ci vit son contrat rescindé et eut pour successeur Pierre Richer, qui réclama des travaux de maçonnerie indispensables, disait-il, pour l’exploitation de la terre. Comme l’abbaye n’avait pas de ressources, elle emprunta 200 livres à Thomas Decueilly, apothicaire à Paris, par acte du 6 juillet 1494. Le prêt était fait moyennant 20 livres tournois de rente, rachetable dans six ans, ce qui portait l’intérêt à 10 p. 100. Mais les moniales, trouvant cet emprunt trop onéreux, se libèrent, dès le 25 juillet 1497, par |169 la main de leur procureur Simon Allegrin, qualifié maintenant seigneur de Fontenay-les-Briis. Grâce à une sage administration, la prospérité rentrait donc au monastère.
  • L'acte de juillet 1494 contient également une indication fort importante. Il nous apprend que Jeanne Allegrin ne se laissait pas absorber par le côté matériel de sa charge, et qu'elle en soignait assidûment la partie religieuse et morale, notamment le recrutement de sa communauté. Malgré son peu de ressources, le nombre de ses sœurs s'est considérablement accru. Elles sont onze moniales à l’abbaye: Jeanne Allegrin, abbesse; — Catherine Lepetit, prieure; — Isabeau Lempereur, chantre; — Étiennette la Paguine, trésorière; — Perrette Escalle, portière — et Jeanne Doc, toutes religieuses professes. — Marguerite Poilloüe; — Guillemette la Riche; — Jeanne de Boutsambail; — Jeanne Poilloüe 4); — et Jacqueline de Bécherelle, novices, “faisans et représentans tout le couvent”. Chose remarquable, la distinction entre professes et novices est soigneusement établie; néanmoins elles sont toutes propriétaires au même titre.
  • Jeanne Allegrin poursuivait la tâche du relèvement de sa maison au milieu de difficultés sans cesse renaissantes. Louis de Beaumont, évêque de Paris, son protecteur, mourut en 1492. Elle fut mise en possession de la chèvecerie, et Guillaume Allegrin, en son nom, reçut deux écus d’or à la couronne, don du roi Charles VIII, au grand autel de Notre-Dame. La chèvecerie resta à l’abbesse, durant tout le temps que durèrent les difficultés, soulevées par l’élection de Gérard Gobaille à l’évêché de Paris, et Guillaume Allegrin ne reçut décharge des joyaux de la métropole qu’en 1499.
  • Jeanne était abbesse depuis douze ans, et depuis douze ans aussi elle était en lutte ou mieux en guerre ouverte avec le seigneur d’Yerres son voisin. Jean Budé 5) vieilli avait cédé |170 Yerres à ses enfants, et surtout à l’aîné Dreux Budé, IIe du nom. Celui-ci à peine en possession ouvre la série des contestations et des procès contre l’abbaye. On se souvient peut-être qu’un contrat de 1454, signé par Guillemette la Camuse, avait cédé le moulin de Mazières et une partie de l’enclos du couvent à Dreux Budé, Ier du nom, grand-père du seigneur actuel, par bail emphytéotique. Jeanne de Rauville avait laissé les choses en l’état, plutôt par crainte que par respect de l’engagement. Arrive Jeanne Allegrin, qui s’efforce de réorganiser sa communauté. Dès le premier jour elle juge la situation intenable.
  • Le meunier Macé Chevalier et sa femme sont journellement dans la cour des moniales et jusque sous le cloître; cette promiscuité est intolérable. Chevalier est l’homme de paille de Budé, et celui-ci excite journellement son fermier contre l’abbesse et ses sœurs. Ce dernier refuse de moudre le blé du monastère, ou le retient par devers lui, malgré la clause de son contrat. De plus, lui et sa femme surtout injurient continuellement Jeanne Allegrin, menacent de la frapper, veulent entrer malgré tout, à toute heure de jour et de nuit, dans la cour et dans les bâtiments attenant à la chapelle Saint-Nicolas. — L’abbesse en appelle à toutes les lois civiles et religieuses pour faire cesser un tel état de choses. Dans un mémoire très serré, très bien fait, œuvre de Simon Allegrin sans doute, Jeanne se plaint amèrement: “C’est une honte, dit-elle, au sieur Budé, qui est homme de lettres, d’agir ainsi, de voler des religieuses et de se dérober derrière un homme du peuple, qui, si il était seul, s’arrangerait aisément avec les moniales.” Ces vexations durèrent 25 ans, et Jeanne Allegrin n’en vit pas la fin.
  • D’ailleurs lorsqu’un peu d’accalmie se faisait sur un point, Budé recommençait la lutte sur un autre. Il se trouvait en face des Allegrin, comme lui un peu robins et hobereaux de province. Alors la guerre de plume au moyen de mémoires, |171 de rapports, d’expertises devient quotidienne. Parfois elle menace de tourner au tragique.
  • Pour se mettre à l’abri, Jeanne Allegrin a eu l’idée de construire un mur de clôture. Budé s’y oppose, en prétendant qu’il a le droit de justice sur le terrain qu’on veut entourer. On ne tient pas compte de son opposition, et déjà les ouvriers élèvent la construction. Budé en l’apprenant fait battre la générale à Yerres; il rassemble du monde comme pour repousser une attaque, et voilà 60 à 80 hommes, armés de bâtons et de piques, qui arrivent à l’abbaye, sous la conduite du châtelain, s’opposent à la continuation des travaux, crient, blasphèment, injurient, et finalement se précipitent sur les domestiques et les ouvriers du monastère, les maltraitent, les frappent, en les poursuivant jusque dans les bâtiments claustraux, d’où les malheureuses moniales fuient en criant, pour aller chercher un refuge dans leur chapelle.
  • Une autre fois, c’est le droit de justice qui amène les contestations et la lutte. Budé prétend avoir à lui seul la justice dans toute l’étendue de la paroisse. Les moniales y prétendent de leur côté, sur leurs terres et leur enclos. Elles prouvent, par le témoignage de Jean et de Robert de Boncourt 6), tous deux fermiers à l’abbaye, que dès 1466, Jeanne de Rauville avait un maire ou bailli, des sergents, et que plusieurs coupables étaient renfermés dans les prisons de l’abbesse; c’est pourquoi Jeanne Allegrin, soutenue par les siens, qui sont membres du Parlement, continuera d’être justicière sur son domaine. En conséquence, son bailli s'installe sous le grand portail du monastère, et fait comparoir quelques miséreux, coupables de peccadilles. Budé l’apprend, arrive comme un furieux, accompagné de plusieurs séides, se jette sur le juge, le précipite à bas de son siège, le frappe et le maltraite d’odieuse manière.
  • Toutes ces luttes étaient suivies d’actes de procédures, qui amenaient des enquêtes, des gens de justice, une année de |172 procureurs et de greffiers, hébergés au monastère, dont ils troublaient la paix, et fomentaient des divisions jusque dans les rangs des moniales.
  • Il ne faudrait pas croire que Budé est le seul à batailler contre l’abbesse. “Jean de Wibourg, curé de la partie senestre de Brie” est non moins ardent à combattre contre l’abbaye, pour la possession totale des dîmes de sa paroisse 7). — Yolande de Château-Challon, veuve de Jean du Monceau, a fait enfermer, dans les prisons de son castel de La Ferté-Alais, trois hommes des moniales: Georges Arnault, Mathurin Lepère et Pierre Favier; elle ne veut pas les élargir, et des officiers de justice sont obligés de venir de Paris, pour faire lâcher prise à l’irascible dame 8). — Nicole de Villemeneur, curé de Villabé, après l’avoir été de Soignolles, aidé de tous ses paroissiens, soutient lui aussi une lutte impitoyable contre Jeanne Allegrin, au sujet des dîmes de sa paroisse; il en sera de même de son successeur, Anthoine Guillery, ancien chapelain du monastère.
  • Lorsque la querelle est terminée sur un point, le litige recommence sur un autre. On ne saurait dire les difficultés et les tracas suscités à Jeanne Allegrin et à tous les siens, pour la reconstitution de la fortune abbatiale. Partout les bornes de la propriété ont été arrachées au temps de la guerre et depuis, par des voisins avides et des tenanciers peu délicats ou insouciants. Les Allegrin s’efforcent de refaire un plan terrier, opération épineuse en tout temps, mais particulièrement délicate à la fin du XVe siècle, où la plupart des titres ont été détruits, et où on est contraint de s’en rapporter à des témoignages oraux, très souvent confus et contradictoires. Parmi tous les propriétaires limitrophes de nos moniales, seuls les chanoines de Saint-Marcel à Paris semblent avoir accepté le bornage sans contestation, pour leurs biens situés à Lieusaint. Ils étaient représentés par trois d’entre eux: Jean Mouchard, maître ès-ars, bachelier en décret, |173 curé de Bagneux, grand vicaire en l’église cathédrale de Notre-Dame, à Paris, Michel Saget, et Jean Barthois, tous trois prêtres, et membres du vénérable chapitre de Saint-Marcel.
  • Si pénibles que fussent les luttes, soutenues par Jeanne Allegrin contre des séculiers, elles l’étaient moins toutefois que celles entreprises contre des religieuses comme elle. Jeanne avait en horreur tous les actes du gouvernement de sa devancière; malheureusement elle avait hérité de toutes ses prétentions, touchant la supériorité de ce qu’on nommait, à Yerres, les maisons dépendantes.
  • Dès les premiers mois de sa prélature, elle voulut imposer à Gif une supérieure de son choix et de sa maison. Nous avons dit ailleurs 9) comment Étiennette la Paguine se vit un jour décerner le titre d’abbesse, partit avec une petite caravane pour s’en aller à la recherche et à la chasse de son abbaye, et revint humblement à Yerres, après avoir fait buisson creux.
  • Cet insuccès ne découragea pas Jeanne Allegrin. Ayant appris la mort d’Isabelle de Brindesalle à Saint-Remy de Senlis, elle se fait mettre, par autorité de justice, en possession du temporel; et tente d’y envoyer Isabelle Lempereur, l’une de ses moniales. Celle-ci avait été nommée solennellement dans la salle capitulaire d’Yerres, où on lui fit prêter tous les serments, exigés 20 ans auparavant d’Isabelle de Brindesalle.
  • Ainsi engagée, Isabelle Lempereur part pour Senlis en janvier 1502. Elle n’est pas seule; deux ou trois moniales d’Yerres l’accompagnent; un procureur laïque et quatre hommes pour cavaliers de ces dames. Arrivée à Saint-Remy, la caravane trouve portes closes. On parlemente avec la supérieure temporelle, nommée Antoinette Morel, chantre de l’abbaye et professe d’Yerres. Celle-ci refuse d’ouvrir et proteste contre l’intrusion dont sa maison est menacée, elle en appelle au bailli de Senlis, et ce magistrat rend aussitôt une sentence vraiment équitable, pleine de bon sens et de convenance. Il règle qu’Isabelle Lempereur et ses compagnes auront des cellules au monastère; mais que les hommes, leurs compagnons, videront illico les chambres |174 qu’ils ont envahies, dès que la porte a été entr’ouverte, et iront loger en ville: il statue en outre que les clefs et le gouvernement de la maison seront dévolus à Antoinette Morel, et que la justice pourvoira au règlement de l’office divin.
  • Isabelle Lempereur fait appel de cette sentence. L’affaire est portée au Parlement et au roi Louis XII: rien n’y fait. Isabelle et les siens sont contraints de déguerpir, de quitter Senlis et de regagner Yerres. Puis les moniales de Senlis 10) font un coup d’autorité. Malgré les protestations des Yerroises, elle se sont réunies et ont élu pour abbesse, Jeanne de Vaulx, prieure de Morguenval. Celle-ci, appuyée et soutenue par les chanoines de Saint-Rieul, a pris possession, en dépit des réclamations et des menaces de Jeanne Allegrin et de ses sœurs.
  • Malheureusement Jeanne de Vaulx mourut au bout de dix-huit mois de prélature, et en octobre 1503, l’abbaye de Saint-Remy se trouve sans titulaire, en face des mêmes difficultés que l’année précédente. Afin de prévenir les entreprises d’Yerres, la communauté de Senlis élit en toute hâte Marie Charlette pour abbesse. Les chanoines de Saint-Rieul confirmèrent cette élection, on ne sait de quel droit, le 31 octobre 1503. C’était rentrer d’un seul coup dans la légalité et la tradition, puisqu’on avait trouvé, sous le cloître de Saint-Remy, une moniale capable de le gouverner. Mais à Yerres on proteste, et par l’entremise de Jean Lefebvre, son représentant, Jeanne Allegrin porte sa cause devant l’Official de Reims, métropole de Senlis. Le juge ecclésiastique reçoit avec bienveillance l’appel de nos moniales, qui, se voyant appuyées, s’efforcent de pousser les choses à fond.
  • Jeanne Allegrin part pour Senlis, accompagnée cette fois de quatre de ses sœurs: Marguerite Poilloüe, réfectorière; Jeanne Pôilloüe “enfermière”; Blanche de Lannoy, cellerière; et Guillemette Allegrin, grainetière, suivies de trois chapelains. Elle va, dit-elle, mettre de l’ordre dans sa maison de Saint-Remy, corriger, réformer, changer; elle est aidée de |175 quatre procureurs, dont deux sont prêtres. Tout ce monde arrive à Senlis, où on parlemente longtemps avant de pouvoir s'introduire à l’abbaye. Enfin Jeanne Allegrin et les siens sont sous le cloître; mais les chanoines de Saint-Rieul, prévenus de cette invasion, quittent leur office, arrivent en toute hâte et forcent, bon gré mal gré, tous les nouveaux venus à vider la place et à s’en retourner. Un vaste procès commence; il se poursuit en même temps à Senlis, à Reims et à Paris: une foule de personnages, prêtres et laïques, y jouent un rôle; ils font si bien, que le plus clair résultat de cette lutte fut la ruine complète de la malheureuse abbaye de Saint-Remy, qui ne s’en releva jamais.
  • Mais les religieuses d’Yerres avaient-elles un droit quelconque, qui légitimât leur âpreté dans cette circonstance? Aucun, nous le répétons. Elles ne pouvaient se réclamer que d’une lettre papale du XIIe siècle, qui leur permettait uniquement de demander à ce que l’abbesse de Saint-Remy fut tirée d’Yerres, si on n’en pouvait trouver une à Senlis. Et cette concession, vieille de trois siècles, était périmée depuis longtemps, par le développement de la législation bénédictine et aussi par le fait des circonstances. Il avait fallu tout l’esprit d’entreprises de Jeanne de Rauville, pour la faire revivre au XVe siècle, et la léguer à ses successeresses.
  • Détournons nos regards de ces querelles et de ces luttes sans utilité et sans gloire, pour considérer Jeanne Allegrin dans une attitude plus conforme à son honneur et à sa vocation. Les difficultés extérieures ne l’avaient point empêchée de poursuivre avec une louable ténacité sa mission, qui consistait à relever sa communauté. Elle y réussit pleinement. Si elle a voulu, avec une âpreté qui pourra sembler excessive, la reconstitution du domaine abbatial, ce n'est pas pour la vulgaire satisfaction d’être grande propriétaire, ou d’avoir une crosse richement dotée, mais bien pour la noble ambition de restaurer une grande abbaye. Or, à un personnel nombreux, il faut des ressources pour vivre; et l’abbaye, dans la pensée de sa supérieure, doit être populeuse. C’est pourquoi elle s’applique à recruter des vocations. Sous son impulsion éclairée, les jeunes postulantes entrent au cloître; elle |176 les forme elle-même à la vie religieuse, et aux pratiques monastiques. Par ses soins, on reprend l’office canonial; la grand’messe est chantée tous les jours. Elle a aussi rouvert l’Obituaire, y a vu toutes les charges de sa maison, et en a fait acquitter un grand nombre.
  • En un mot, l’abbaye est redevenue une maison de prière, où le silence n’est peut-être pas très rigoureux, la discipline très étroite, ni la vie très austère. Mais quel changement cependant, si on compare la situation en 1505 ou 1510, à ce qu’elle était 30 ans auparavant. Alors il n’y avait ni prière, ni office, ni religieuses dignes de ce beau nom; tandis qu’aujourd’hui le cloître est peuplé de quarante moniales au moins, trois prêtres et parfois davantage y célèbrent tous les jours la sainte messe; les lieux réguliers sont reconstitués et les exercices de la vie claustrale en honneur, bref, le couvent vit et fonctionne.
  • Aussi le public ne s’y trompe-t-il pas. Il a repris le chemin de l’abbaye, et, signe caractéristique, il y apporte de nouveau ses dons et ses aumônes, pour marquer sa confiance dans les oraisons et les suffrages des saintes moniales. Le 15 janvier 1503, Martin André, marchand chaussetier à Paris, donne à Jeanne Allegrin 200 livres, en vue du salut de son âme; mais il stipule que de son vivant, il prendra sur l’abbaye 10 livres de rente annuelle, et pourra y finir ses jours si bon lui semble. C’est ainsi que l’abbesse ramenait peu à peu la sympathie des fidèles à sa maison, en leur faisant aimer et estimer la vie religieuse.
  • Les dernières années de Jeanne Allegrin furent attristées parla continuation de ses luttes et de ses procès avec des adversaires que nous avons déjà nommés. Elle fut condamnée par le Parlement en 1510, à payer annuellement 2 muids de grain à Simon Marin, curé de Yillabé. Des fermiers agressifs, tel que Jean Logre, établi à Lieusaint, lui suscitèrent de longs et coûteux embarras. Enfin, chose plus grave, l’évêché de Paris, occupé par le pieux Etienne Poncher, voulait la contraindre à introduire chez elle des changements et une réforme, qu’elle repoussait.
  • C’est au milieu de ces tristesses et de ces épreuves que |177 Jeanne Àllegrin termina sa carrière par une sainte mort, le 4 mai 1513, après avoir porté la crosse à Yerres pendant 26 ans. En mourant elle laissait 35 professes à l’abbaye et une dizaine de novices. Elle avait vu plusieurs des siens disparaître tour à tour, et n’avait de consolation que dans la présence de sa sœur Guillemette qui lui succéda 11).
  • On a reproché à Jeanne Allegrin l’introduction de ses parents à l’abbaye et leur trop grande ingérence dans les affaires du monastère; on lui a fait un crime de ses prétentions injustifiées; du grand nombre de procès entrepris par ses soins ou de son assentiment; du peu de régularité de ses moniales et de son opposition à l’établissement de la réforme. Disons bien vite que tous ces torts, vrais en un sens, sont plutôt imputables à l’époque et aux circonstances qu’à l’abbesse elle-même: Jeanne, en effet, fut une vraie religieuse, une moniale pieuse, une supérieure vigilante et zélée, elle a droit à un bon rang dans la glorieuse liste des grandes et saintes abbesses dont elle renoua la tradition.
  • (…).

Documents

Sources

Bibliographie

Notes

1)
Note d'Alliot.Ablon, cant. de Longjumeau, arr. de Corbeil (S.-et-O.). — Fontenay-les-Briis, cant. de Limours, arr. de Rambouillet (S.-et-O.).
2)
Note d'Alliot. — Guillaume était sans doute le père de Jeanne, Simon et Michel ses frères.
3)
Note d'Alliot. — La nomination de Simon Allegrin, comme procureur général de l’abbaye, était,du 23 mars 1488, avant Pâques.
4)
Note d'Alliot. — Cette famille Poilloüe, dont les filles entraient à Yerres dès le XVe siècle, s’est perpétuée jusqu'à nos jours sous des noms divers: Poilloüe de Saint-Mars, Poilloüe de Saint-Périer, Poilloüe de Bierville, Poilloüe de Saclas, etc.
5)
Note d'Alliot. — Ce Jean Budé laissa une nombreuse famille: 14 enfants, 7 fils et 7 filles. Le cinquième de ses fils fut le fameux Guillaume Budé, dont la statue se trouve dans la cour du collège de France. La postérité de ce savant homme passa en Suisse, sous la conduite de sa veuve, Roberte le Lyeur, qui se fit |170 protestante, en se plaçant sous la direction de Calvin. Les Budé suisses se sont perpétués jusqu’à nos jours; ils ont pris la particule et se nomment maintenant de Budé. — Quant à Jean Budé, il mourut en 1501 et fut enterré aux Célestins de Paris avec Catherine le Picart de Plateville, sa femme, morte en 1506.
6)
Note d'Alliot. — Dans le mémoire d’où nous extrayons ces renseignements, Robert de Boncourt, écuyer, âgé de 42 ans, s’honore d’avoir été, pendant huit ans. serviteur et valet de l’abbaye; il y est maintenant fermier, s’y est marié et y vit parfaitement heureux.
7)
Note d'Alliot. — L’abbesse et le curé ignorent ce semble la transaction de 1274.
8)
Note d'Alliot. — Cet emprisonnement avait eu lieu pour un délit commis à Marancourt, paroisse de Saint-Cyr-la-Rivière, où l’abbesse prétendait avoir des droits de haute, moyenne et basse justice.
9)
Note d'Alliot.Histoire de l'abbaye de Gif, pages 88 et 89.
10)
Note d'Alliot. — L’abbaye de Saint-Remi n’avait, à ce moment-là. que quatre religieuses: Antoinette Morel, professe d’Yerres; Marie Charlette et Antoinette Dautrée, professes de Chelles et Marguerite la Jolye.
11)
Note d'Alliot. — L’Obituaire contient les noms de plusieurs membres de la famille Allegrin, morts à Yerres au temps de l’abbesse Jeanne, entre autres celui de Catherine Allegrin, sans doute nièce de Jeanne.
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