Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Marie d'Estouteville (1470-1534)

Notule

  • Marie d'Estouteville, d'abord religieuse de Notre-Dame d'Yerres, en fut la trente-troisième abbesse, de 1520 à 1534.

Notice de l'abbé Alliot

  • Chapitre XVII. Marie d'Estouteville (1520-1534).
    • Abbatiat de Marie d'Estouteville. — Reconstruction de l'abbaye. — Procès avec Pierre de Lannay et les Budé. — Habile administration. — Mort de plusieurs moniales. — Première maîtresse des novices. — Sainteté de l'abbesse. — Erreurs à son sujet.
  • Après le départ de Marie de Savoisy, les religieuses donnèrent la crosse à la prieure du couvent, Marie d'Estouteville. La nouvelle élue s'était associée à l'œuvre de la réforme, et sa prélature ne pouvait que la fortifier.
  • Marie était fille de Charles d'Estouteville, seigneur de Villebon, Gastine, Montdoucet et autres lieux, et d'Hélène de Beauveau. Petite-fille d'Isabeau de Savoisy, et par conséquent parente de la précédente abbesse, la nouvelle titulaire avait, par sa famille paternelle et maternelle, dans le monde et à la cour, de puissantes relations, qui lui furent d'un grand secours pour ses œuvres et ses entreprises à l'abbaye.
  • On la trouve en désaccord avec l'histoire et la tradition pour l'orthographe de son nom; car sa signature est ainsi libellée par elle-même, le 11 janvier 1521: M. de Stouteville hūble abbesse. Sa personne donne également lieu aux difficultés d'ordre chronologique, tant pour la date de sa mort que pour la durée de sa prélature. Et cependant elle a vécu en plein âge historique, et les pièces d'archives, écrites sous son abbatiat, sont multiples et fort variées.
  • Marie de Savoisy avait relevé la maison au point de vue monastique et spirituel; Marie d'Estouteville, en affermissant |190 la discipline claustrale, s'appliqua tout d'abord à la reconstruction matérielle de sa maison.
  • L'abbaye, située dans une vallée, à proximité d'un cours d'eau susceptible de s'enfler considérablement en hiver, n'offrait pas toutes les garanties désirables, au point de vue de la santé, de l'hygiène, diraient les modernes. De plus, les bâtiments étaient vieux, ruineux, malsains, étroits et fort incommodes. Les travaux d'une certaine importance, accomplis trente ans plus tôt par Jeanne Allegrin, n'avaient remédié qu'incomplètement à l'insuffisance des constructions. Celles-ci, dans leur ensemble, dataient de la fin du XIIIe siècle, remaniées et gâtées malheureusement à plusieurs reprises, depuis 240 ans. Marie d'Estouteville résolut de tout jeter par terre, pour reconstruire un monastère nouveau.
  • Grâce à ses ressources personnelles et à celles que lui fournissait la manse abbatiale reconstituée peu à peu, elle commença des édifices qui lui parurent sans doute grandioses à elle et à ses compagnes, mais qui en réalité étaient bas, mesquins et sans grand caractère architectural. Il n'en subsiste plus aujourd'hui qu'une porte romane, dont le tympan est orné de chimères assez finement exécutées. La vue d'ensemble du monastère, conservée dans une gravure du cabinet des Estampes, à la Bibliothèque Nationale, et la courte description de l'abbé Lebeuf, en donnent une idée plutôt défavorable. Les différentes salles sont vastes; mais ajourées par des larges baies sans style; les moniales, pour coucher, ont un dortoir commun sans cellules: réfectoire, cloître, salle de chapitre, tout est exécuté avec une simplicité sans grandeur. Cette restauration parut pourtant une merveille aux contemporains et surtout aux religieuses. En reconnaissance celles-ci donnèrent, à Marie d'Estouteville, le titre de deuxième fondatrice de l'abbaye. Elle l'avait rebâtie tout entière, en effet, à l'exception d'une partie de la chapelle, qui garda sa forme gothique et son abside; car on s'était contenté d'allonger et d'agrandir sa nef.
  • L'abbesse acheva ces constructions en entourant le monastère et le jardin d'un grand mur de clôture, qui venait d'être achevé en 1527, lorsque Pierre de Lannoy, seigneur de Brunoy, |191 accourut à l'abbaye, avec une troupe d'hommes armés, et de manouvriers, qui renversèrent une partie de ce mur d'enclos, sous prétexte que l'abbesse avait empiété sur son domaine, et renfermé dans sa clôture des terres soumises à la justice seigneuriale de son château. Cette violence donna lieu à une action judiciaire encore pendante en 1542.
  • Marie d'Estouteville avait en horreur les procès, qui lui étaient suscités de tous côtés, et qu'elle devait bon gré mal gré poursuivre. Pour en diminuer le nombre, elle sollicita et obtint du pape, dès 1521, un privilège en vertu duquel l'abbaye d'Yerres ne devait être citée en justice, ni par évêque, ni par prêtre, ni par juge laïque. Ce bref pontifical n'eut pas grande efficacité, croyons-nous, à l'époque de sa promulgation, mais un siècle plus tard il servira de base à une singulière argumentation, comme nous le verrons.
  • En dépit des désirs de son abbesse et des Lettres pontificales, l'abbaye avait toujours de nombreuses contestations avec les Lannoy, seigneurs de Brunoy, et avec les intraitables Budé. Dreux Budé vieilli était cependant devenu plus pacifique et plus accommodant. Marie d'Estouteville lui fit en 1521 un bail emphytéotique du moulin de Mazières. Il mourut peu de temps après; Jean Budé, IIIe du nom, et ses cohéritiers abandonnèrent leurs droits sur ce contrat, et les moniales traitèrent directement avec des meuniers 1).
  • Les prêtres, locataires des dîmes paroissiales, n'exécutaient pas toujours les charges des baux avec une ponctualité exemplaire; mais de ce côté l'abbesse eut un peu de paix, car ces ecclésiastiques traitèrent presque toujours avec un de leur confrère, Louis Tartin 2), le procureur modèle mais un peu envahissant, chargé des intérêts temporels |192 de la communauté, et muni de procurations en règle pour les traiter, sans avoir besoin de recourir à l'abbesse. Celle-ci dut intervenir personnellement néanmoins dans les affaires concernant les deux curés de Brie, les habitants toujours révoltés de Villabé, et dans une querelle plus pénible encore entre son abbaye et celle de Notre-Dame-du-Lys, près Melun. Dans cette discussion, Marie d'Estouteville produisit un vieux livre de comptes, remontant jusqu'à 130 ans, c'est-à-dire au XIVe siècle. À l'aide de ce témoin plus que séculaire, elle gagna son procès, et les Cisterciennes du Lys furent condamnées à acquitter les anciens droits. — Même obstination, et même condamnation aussi de la part des religieuses de Saint-Antoine à Paris, en 1535.
  • Marie d'Estouteville signala encore son habileté administrative dans la solution de différentes affaires assez épineuses. L'éternelle question de la chèvecerie de Paris revenait au changement de chaque évêque. En 1532, François de Poncher mourut, une pièce d'or aux armes du marquis de Saluces est mise à l'offrande le jour des obsèques du prélat, les religieuses la réclament, elle leur est remise après quelques difficultés; et un peu plus tard lorsque Jean du Bellay monta sur le siège de Saint-Denis, un reçu de Jean de Solon, chanoine chèvecier, fut remis aux religieuses en décharge de tous les joyaux de la basilique de Notre-Dame; cela pourtant n'allait jamais sans de certains tiraillements, et même à l'abbaye on sentait le poids d'un droit suranné, dont les chanoines et les religieuses souhaitaient également la suppression.
  • La dîme du pain de la Maison du roi était encore un de ces vieux usages appelant un réforme et une transformation. Marie d'Estouteville la ménagea, et désormais sa maison, au lieu de sommes variables et aléatoires, eut un droit fixe de 15 livres tournois par jour, lorsque le prince habitait Paris. Elle obtint aussi la diminution de certains impôts très lourds pour sa communauté. François Ier se montra toujours très favorable et très bien disposé pour l'abbesse d'Yerres; pendant son règne, il ne donna pas moins de vingt-cinq lettres en faveur de cette maison, et la plupart furent obtenues par Marie d'Estouteville. |193
  • L'habileté et le succès dans les choses temporelles n'étaient pourtant pas la préoccupation principale de l'abbesse d'Yerres. Elle avait surtout pour but sa sanctification personnelle et celle de sa communauté.
  • À peine en charge, elle avait passé par de rudes et pénibles épreuves à l'intérieur de sa maison. Benoîte le Riche, élue prieure, mourut en 1520, après quelques semaines d'exercice. Au mois de septembre de la même année, ce fut Madeleine de Vonier qui descendit dans la tombe, au moment même où Marguerite de Poilloüe tombait en langueur, traînait souffrante, et incapable d'observer la règle durant un an, pour s'endormir dans le Seigneur en octobre 1521, après avoir donné, à ses sœurs en religion, l'exemple fortifiant de toutes les vertus. Pour l'abbesse, c'était perdre, en même temps que des compagnes et des amies, ses appuis, les vrais piliers de la réforme.
  • L'entretenir et la faire vivre cette réforme était la pensée dominante de Marie d'Estouteville. Afin de l'appuyer et au besoin de la suppléer dans cette grande œuvre, elle prit une collaboratrice active et zélée. Antonine le Lièvre fut choisie pour l'aider dans sa tâche; elle eut le titre de coadjutrice; mais elle mourut en 1525. Louise de la Baume, une première fois coadjutrice au temps de Marie de Savoisy, remplaça la défunte; elle aussi usa promptement ses forces et mourut toute jeune encore, au mois de juin 1531; le titre de coadjutrice fut supprimé. De cette époque date la création d'une maîtresse des novices. Elle était désignée dans la règle de Poncher; mais Marie de Savoisy, à cause de circonstances particulières, et à l'imitation des anciennes abbesses d'Yerres, avait voulu se réserver à elle-même la formation des jeunes moniales, pour leur inculquer plus directement l'amour du nouveau règlement, introduit par elle dans la communauté.
  • Marie de Rapillart, la première, fut chargée des délicates fonctions de maîtresse des novices; on lui adjoignit une maîtresse de chant, et la petite école, pourvue maintenant de deux, puis bientôt de trois maîtresses, rentra aussi dans ses attributions. Ainsi organisée, l'abbaye, vivant dans un silence et dans un recueillement dignes d'éloges, présentait |194 néanmoins une très grande activité, sous l'habile et pieuse direction de son abbesse.
  • Sa lourde charge et ses grands travaux n'empêchaient pas Marie d'Estouteville d'être une fille toute intérieure. Elle s'était aménagée une petite cellule à l'extrémité du grand et spacieux dortoir de la communauté; elle se retirait souvent dans cet étroit espace, y pratiquait des actes de mortification corporelle, passait de longues heures en oraison devant son crucifix, pour y puiser la force de supporter ses épreuves et de suffire à un accablant labeur quotidien. De l'aveu de tous les contemporains, sa piété fut remarquable; elle faisait ses délices de l'Office divin, le voulait digne et solennel: c'est pourquoi elle n'épargnait rien quand il s'agissait de la pompe du culte. Durant toute sa prélature, trois ou quatre prêtres, parfois davantage, furent nourris et entretenus à l'abbaye pour y accomplir les différents services religieux 3). Douce aux autres, sévère à elle-même, Marie d'Estouteville pratiqua les vertus claustrales à un degré héroïque, digne, au témoignage de du Saussay, qui vivait tout près et comme à la source des traditions, de lui mériter les honneurs de la canonisation.
  • Elle est rangée, et avec raison, au nombre des abbesses triennales, qui ne pouvaient être réélues qu'une ou deux fois, d'après la règle, et par conséquent ne devaient porter la crosse que neuf ans, après lesquels une interruption d'au moins trois ans était nécessaire. Mais à Yerres les religieuses avaient un tel culte pour leur abbesse, qu'elles demandèrent et obtinrent des dispenses. Marie d'Estouteville fut réélue six fois de suite; elle accomplissait son sixième triennat lorsqu'elle mourut le 10 ou le 11 janvier 1537. Ses filles versèrent, sur sa dépouille mortelle, des flots de larmes, seuls parfums dignes d'embaumer les restes de cette grande |195 et sainte religieuse. Elles avaient, dans son intercession, une telle confiance, qu'elles s'opposèrent à ce qu'on lui élevât un tombeau, afin d'être plus près de son cadavre, couché à une très petite profondeur dans le sol de l'église abbatiale, et près duquel non seulement les moniales, mais les fidèles du dehors vinrent prier longtemps avec assiduité, non sans ressentir des marques irrécusables de la protection du Ciel, obtenue par son intercession.
  • Ce ne fut qu'au bout de plus de 25 ans qu'on lui éleva un mausolée, sur lequel on grava une inscription fautive presque en toutes ses parties. On y lisait: « Cy gist humble religieuse et dévote Dame, sœur Marie d'Estouteville, laquelle on peut dire fondatrice et restauratrice du couvent de céans, lequel a régi par l'espace de XXIII ans, durant lequel temps a été abbesse XIIII ans, le vendredy XI janvier 1533, âgée de 64 ans 4).“
  • Cette inscription a exercé la sagacité de plusieurs historiographes, et donné lieu à de multiples erreurs. Marie d'Estouteville, comme le dît le Nécrologe, d'accord en cela avec les pièces d'archives, mourut en janvier 1537. Elle était abbesse depuis 1520; par conséquent sa prélature avait duré 17 ans et non pas 14 ans seulement, car elle fut sans interruption. Il est vrai qu'une certaine tradition de l'abbaye voulait que Marie de Savoisy ait porté la crosse six ans, c'est-à-dire jusqu'en 1523. Bien qu'il n'en soit rien, comme nous l'avons montré à l'aide des documents les plus authentiques et les plus incontestables, cette tradition s'est exprimée dans l'inscription tumulaire de Marie d'Estouteville. La date de 1533 ne peut être attribuée qu'à la faute d'un graveur ou d'un copiste, puisque le texte de l'Obituaire existait. Il est vrai que Mévil donne bien celle de 1587! et que Lebeuf appelle cette abbesse Marie de Bouteville. Avec un peu de bonne volonté, en faisant venir Marie d'Estouteville à Yerres dès 1514, et en admettant qu'elle eût le pouvoir réel du temps de Jeanne Allegrin elle-même, et l'exerçât aussi pendant |196 que Marie de Savoisy portait la crosse, on arriverait peut-être à trouver les 23 ans de l'inscription. Nous avons suffisamment fait justice de ces données, faussement dites historiques.

Documents

Sources

Bibliographie

Notes

1)
Note d'Alliot. — En 1535, Jeanne Marie loue le moulin pour 50 livres. — En 1540. Louis Segogue, boulanger à Yerres, paie le moulin 60 livres. — En 1543, Jean Girard est meunier, et, outre son fermage, il doit 12 anguilles chaque année.
2)
Note d'Alliot. — Louis Tartin fut successivement curé de Villabé, dè Villerov et d'Évry-les-Châteaux. — En 1530, la dîme paroissiale d'Yerres est louée à Martin le Duc et Jean Soullard, tous deux vicaires audit lieu; — en 1533. à Étienne Challine, vicaire; — en 1536, à André Lauboury, vicaire; — en 1538, à Jean Hebart, vicaire; — en 1548, à Hildevert Treneguy, vicaire. — À la même époque, Louis Demore, curé de Brunoy, louait aussi les dîmes de sa paroisse: l'un de ces baux est de 1527.
3)
Note d'Alliot. — Les noms de dix ou douze prêtres se lisent dans les différentes pièces d'archives, comme ayant été employés à l'abbaye, entre 1520 et 1540. Parmi eux nous relevons ceux de: Claude Berthault; — Guillaume Lefèvre; — Guillaume Bonnefoy; — Clément Marignier; — Jean Bourgeois et Gabriel le Pelletier. — Il paraît, en outre, d'après un mémoire dressé en 1538, que les curés d'Yerres, dont le presbytère était ruiné, habitaient l'abbaye et en étaient les “domestiques”, y faisant l'office de procureurs.
4)
Note d'Alliot. — Ce texte vient des cahiers de Gaignières au cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale. Il n'a pas grande autorité, car, pour lui comme pour beaucoup d'autres, l'inscription lapidaire a été fort mal copiée.
marguerite.destouteville.txt · Dernière modification: 2022/07/25 12:29 de bg